Sujet : Le sort des procédures civiles d`exécution pratiquées en

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Sujet : Le sort des procédures civiles d`exécution pratiquées en
EXAMEN PROFESSIONNEL D'HUISSIER DE JUSTICE
Jeudi 23 avril 2015
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Sujet : Le sort des procédures civiles d’exécution pratiquées en vertu de
créances de sommes d’argent avant l’ouverture d’une procédure
collective
Les procédures civiles d’exécution et les procédures collectives poursuivent des
objectifs opposés : pour les unes, la satisfaction individuelle du créancier saisissant, et pour les
autres, le maintien de l’activité et de l’emploi conjugué à l’apurement subsidiaire et collectif du
passif. C’est la raison pour laquelle l’article L. 622-21-II du code de commerce prévoit que le
jugement d’ouverture d’une procédure collective « arrête ou interdit … toute procédure
d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que
toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif ».
L’article L. 622-21 est relatif à la sauvegarde et il est applicable au redressement et à la liquidation
judiciaires sur renvoi des articles L. 631-14 et L. 641-3. En revanche, l’interdiction des poursuites ne
s’applique pas au rétablissement professionnel créé par l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, car il
ne s’agit pas d’une procédure collective.
Cette interdiction des poursuites s’applique tout particulièrement aux procédures pratiquées
avant le jugement d’ouverture en vertu de créances de sommes d’argent, appelées aussi
créances monétaires. Elle vaut pour toutes les mesures, tant les mesures d’exécution forcée (I)
que les mesures conservatoires (II). Mais leur finalité n’étant pas la même, leur sort diffère selon
des règles et critères qui leur sont propres.
I.
Le sort des mesures d’exécution forcée
L’article L. 622-21-II réserve expressément les procédures d’exécution ayant produit un effet
attributif avant le jugement d’ouverture de la procédure collective. Il faut donc distinguer les
mesures d’exécution forcée selon qu’elles produisent (A) ou non (B) un effet attributif.
A. Les mesures avec effet attributif
Il s’agit des saisies portant sur des créances de somme d’argent. La plus connue et la plus
importante en pratique est la saisie-attribution. Mais l’effet attributif est aussi attaché à toutes
les saisies spéciales de créances monétaires : avis à tiers détenteur, oppositions à tiers détenteur
(des organismes sociaux et des collectivités territoriales), saisie à tiers détenteur (pour le
recouvrement des créances non-fiscales de l’Etat) et la demande de paiement direct de la
pension alimentaire. La seule saisie qui échappe à cet effet est la saisie des rémunérations du
travail, mais elle est en principe indifférente à l’ouverture d’une procédure collective.
En effet, à l’exception de l’Alsace-Moselle, une procédure collective ne peut pas être ouverte contre un
salarié.
Cet effet attributif explique qu’en principe ces saisies ne sont pas affectées par l’ouverture
ultérieure d’une procédure collective (1). Mais depuis la loi de sauvegarde de 2005, ce principe a
été considérablement atténué par la création d’un nouveau cas de nullité facultative (2).
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1) Le principe
L’effet attributif signifie que la propriété de la créance saisie est transférée du patrimoine du
débiteur saisi dans celui du créancier saisissant. Comme cet effet est immédiat, il se produit dès
le moment où la saisie est pratiquée entre les mains du tiers saisi. C’est la raison pour laquelle
l’ouverture ultérieure d’une procédure collective ne peut plus affecter cette créance car elle est
déjà sortie du patrimoine du débiteur, et cette solution s’applique aussi aux créances à
exécution successive (Ch. mixte, 22 nov. 2002, n° 99-13935, Bull. ch. mixte, n° 7 ; D., 2003, p.
445, note C. Larroumet et p. 3270, obs. A. Lienhard ; déjà en ce sens : Civ. 2e, 10 juill. 1996, n° 9419551, Bull. civ., II, n° 209).
Cette solution prétorienne a été expressément consacrée par le législateur pour les oppositions à tiers
détenteurs des organismes sociaux : CSS, art. R. 652-8, al. 2 et C. rur. et pêche maritime, art. R. 725-18,
al. 2.
Mais cela ne signifie pas que la procédure collective sera toujours sans la moindre incidence. En
effet, tout dépend du moment précis où elle est ouverte et l’huissier de justice doit se montrer
très prudent pour préserver les droits du saisissant.
Si la saisie n’avait pas encore été dénoncée au débiteur dans le délai de 8 jours (CPCE, art. R.
211-3, à propos de la saisie-attribution), elle devra l’être, à peine de caducité, en tenant compte
des pouvoirs d’assistance ou de représentation conférés éventuellement aux organes de la
procédure collective ouverte (cette règle vaut même si la dénonciation a été faite au débiteur
après le jugement d’ouverture dans l’ignorance légitime de l’identité des organes de la
procédure collective : Com., 19 fév. 2002, n° 98-22727, Dr. et procéd., 2002, p. 237, obs. Ph.
Hoonakker).
Si cette dénonciation avait déjà été faite, elle n’a pas à être réitérée (Civ. 2e, 8 déc. 2011,
n° 10-24420). Mais si le délai de contestation n’était pas expiré, il est interrompu dès lors qu’un
organe de la procédure collective ouverte dispose de pouvoirs d’assistance ou de
représentation. Il ne recommencera alors à courir qu’à compter de la dénonciation de la saisie à
cet organe (Com., 19 janv. 1999, n° 96-18256, Bull. civ., IV, n° 17 ; D., 1999, p. 245, note F.
Derrida).
Dans tous ces cas, il suffit de veiller aux formalités requises pour préserver l’efficacité de la
saisie. Mais l’emprise de la procédure collective sur ces saisies a été considérablement
accentuée par la nullité facultative issue de la loi de sauvegarde de 2005.
2) La nullité facultative
Elle est inscrite à l’article L. 632-2, al. 2 du code de commerce en ces termes : « Tout avis à tiers
détenteur, toute saisie attribution ou toute opposition peut également être annulé lorsqu'il a été
délivré ou pratiqué par un créancier à compter de la date de cessation des paiements et en
connaissance de celle-ci ». Seules échappent donc à cette nullité la demande de paiement direct
de la pension alimentaire et la saisie à tiers détenteur.
C’est sans doute la raison pour laquelle cette nouvelle saisie réservée à l’Etat a ainsi été dénommée alors
même qu’elle reprend l’essentiel des dispositions de l’opposition à tiers détenteur des collectivités
territoriales.
Cette nullité facultative relève de la compétence du tribunal de la procédure collective. Il est
saisi par un organe de la procédure collective qui est, selon le cas, l'administrateur, le
mandataire judiciaire, le commissaire à l'exécution du plan ou le ministère public (C. com., art.
L. 632-4). La nullité est encourue lorsque la saisie a été pratiquée en période suspecte et que le
créancier connaissait la cessation des paiements. Mais comme elle n’est que facultative, le juge
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n’est jamais obligé de la prononcer même lorsque ses conditions sont remplies (Com.,
12 janv. 2010, n° 09-11119, Bull. civ., IV, n° 5 ; RTD civ., 2010, p. 102, obs. R. Perrot).
La charge de la preuve pèse sur le demandeur qui doit établir que le saisissant avait connaissance de la
cessation des paiements et la jurisprudence décide que cette connaissance doit être certaine et personnelle
(ainsi, il a été jugé que la connaissance de la cessation des paiements par l’huissier de justice instrumentaire
ne suffit pas à rendre de mauvaise foi son mandant, le créancier : Com., 2 déc. 2014, n° 13-25705).
En revanche, une telle saisie pratiquée hors période suspecte reste à l’abri de la procédure
collective ouverte ultérieurement, sous réserve des formalités éventuellement à accomplir, ce
qui n’est que rarement le cas des mesures d’exécution forcée sans effet attributif.
B. Les mesures sans effet attributif
Il s’agit de toutes les mesures d’exécution forcée avec vente, qu’elles portent sur un bien
meuble corporel (saisie-vente), sur un bien meuble incorporel (saisie des droits d’associé et des
valeurs mobilières ainsi que ses adaptions aux autres biens incorporels) ou sur un bien
immobilier (saisie immobilière). De telles saisies ne sont à l’abri d’une procédure collective
ouverte ultérieurement contre le débiteur saisi que si elles ne sont plus en cours à cette date.
C’est la raison pour laquelle l’incidence de la procédure collective n’est pas la même selon que
l’on se situe avant (1) ou après (2) la vente du bien saisi.
1) Avant la vente du bien saisi
Si au jour du jugement d’ouverture d’une procédure collective, le bien saisi n’a pas encore été
vendu, la procédure d’exécution est toujours en cours. Elle est alors arrêtée conformément à
l’article L. 622-21-II du code de commerce et le saisissant doit en donner mainlevée
(Com., 21 septembre 2010, n° 09-15117, Procédures, 2010, comm. n° 410, obs. B. Rolland).
Mais il faut réserver la saisie immobilière qui est seulement suspendue en cas d’ouverture
d’une procédure collective avant la vente de l’immeuble saisi car elle pourra toujours être
reprise en cas de liquidation judiciaire dans les conditions suivantes :
 à l’initiative du liquidateur qui peut demander au juge commissaire la subrogation dans les
droits du poursuivant et, si elle est accordée, la saisie immobilière reprendra au stade où
elle était au jour du jugement d’ouverture, sans qu’il y ait lieu de reprendre les actes déjà
accomplis (C. com., art. L. 642-18, al. 2) ;
 à l’initiative du poursuivant s’il s’agit d’un créancier hypothécaire qui, en vertu de
l’article L. 643-2 du code commerce, est autorisé à exercer son droit de poursuite
individuelle lorsqu’il a déclaré sa créance et que le liquidateur n’a pas agi dans les trois
mois du jugement de liquidation judiciaire.
Si le bien a déjà été vendu au jour du jugement d’ouverture, l’incidence de la procédure
collective est moins forte, mais le saisissant n’est pas nécessairement à l’abri, loin s’en faut.
2) Après la vente du bien saisi
Il a toujours été admis que la saisie s’achève avec la vente du bien saisi. En conséquence, si la
procédure collective est ouverte après la vente du bien saisi, la saisie n’est plus en cours et la
vente, amiable ou forcée, ne pourra plus être remise en cause.
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En matière mobilière, ce moment se situe au jour de l’adjudication en cas de vente forcée et en cas de
vente amiable, il devrait correspondre au versement du prix entre les mains de l’huissier de justice qui seul
emporte transfert de propriété. En matière immobilière, l’adjudication doit être définitive avant l’ouverture
de la procédure collective, c’est-à-dire plus susceptible d’une surenchère (Com., 4 mars 2014, n° 13-10534,
RJDA, 2014, n° 546) et, en cas de vente amiable, l’achèvement de la saisie devrait se situer au jour du
constat judiciaire.
Mais cela ne signifie pas que les saisissants seront nécessairement payés sur le prix de vente. En
effet, si une procédure de distribution a été ouverte et qu’elle n’est pas achevée, elle est
arrêtée comme la saisie elle-même en vertu de l’article L. 622-21-II. De telles procédures sont
alors caduques et les fonds doivent remis au mandataire judiciaire pour être distribués selon les
règles de la procédure collective ouverte (C. com., atr. R. 622-19).
Cette difficulté ne se rencontre pas pour les mesures conservatoires car elles ne tendent jamais
directement au paiement du saisissant.
II. Le sort des mesures conservatoires
Pour déterminer le sort des mesures conservatoires pratiquées avant l’ouverture d’une
procédure collective, il faut tenir compte à la fois de l’interdiction des poursuites inscrite à
l’article L. 622-21-II du code de commerce et de la nullité de droit prévue à l’article L. 632-1-7°
du même code. Ce texte s’applique à toutes les mesures conservatoires pratiquées en période
suspecte. Mais la portée de ces règles n’est pas la même selon le type de mesures
conservatoires : saisies conservatoires (A) ou sûretés judiciaires (B).
A. Les saisies conservatoires
Toute saisie conservatoire rend indisponible les biens qui en sont grevés en vue de sa
conversion, le moment venu, dans la mesure d’exécution forcée qu’elle préfigure. Aussi, pour
déterminer le sort des saisies conservatoires pratiquées avant l’ouverture d’une procédure
collective, il faut distinguer selon que la conversion a été (1) ou non (2) opérée.
1) En cas de conversion
Une mesure conservatoire convertie en mesure d’exécution forcée avant le jugement
d’ouverture est valable, même si la mesure conservatoire a été pratiquée en période suspecte.
Cette solution a été consacrée, après une période d’incertitude, à propos de la conversion de la
saisie conservatoire de créances en saisie-attribution. A l’origine, la conversion d’une saisie
conservatoire pratiquée en période suspecte était jugée nulle (Com., 12 oct. 1999, n° 96-13133,
Bull. civ., IV, n° 166 ; D. affaires, 1999, p. 45, obs. A. Lienhard). Mais cette solution, généralement
critiquée car une saisie-attribution pratiquée directement est toujours valable, a finalement été
abandonnée (Com., 10 déc. 2002, n° 99-16603, Bull. civ., IV, n° 191 ; D., 2003, act. jurispr., p. 68,
obs. A. Lienhard). Malheureusement la portée de ce revirement est limitée depuis la nullité
facultative introduite par la loi de 2005 (supra), qui devrait aussi s’appliquer aux saisiesattributions pratiquées sur conversion d’une saisie conservatoire.
Cette difficulté ne se pose pas pour les autres mesures conservatoires dont la conversion est
aussi possible avant le jugement d’ouverture, quelle que soit la date à laquelle elles ont été
pratiquées. Mais comme la mesure d’exécution forcée correspondante est toujours une saisie
avec vente, elle sera plus ou moins affectée selon que la vente a déjà eu lieu ou on (supra).
2) En l’absence de conversion
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Toute conversion d’une mesure conservatoire postérieurement à l’ouverture d’une procédure
collective est prohibée par la règle de l’interdiction des poursuites. Il s’ensuit qu’une saisie
conservatoire non convertie avant le jugement d’ouverture ne pourra plus produire le moindre
effet et devra être levée (il s’ensuit que le tiers saisi ne pourra plus être poursuivi pour ne pas
avoir fourni les renseignements prévus : Civ. 2e, 20 oct. 2005, n° 04-18870). Cette solution est
applicable quel que soit le bien grevé. Mais elle est critiquable lorsque que la saisie
conservatoire porte sur une créance monétaire car celle-ci confère au saisissant le droit de
préférence du créancier gagiste (CPCE, art. L. 523-1).
Il aurait donc été logique de distinguer selon la date à laquelle la saisie conservatoire a été
pratiquée. Si elle est postérieure à la date de la cessation des paiements, il est normal qu’elle ne
puisse produire le moindre effet si elle n’a pas été convertie avant le jugement d’ouverture
puisqu’elle encourt aussi l’annulation. En revanche, si elle a été pratiquée hors période
suspecte on aurait pu admettre que seule la conversion est interdite après le jugement
d’ouverture et que le saisissant conserve son droit de préférence dans la procédure collective.
Mais tel n’est pas la position de la Cour de cassation qui ne fait aucune différence selon la date
de la saisie conservatoire non convertie (Com., 22 avr. 1997, n° 94-16 979, Bull. civ., IV, n° 100 ;
D., 1997.IR.127, Rev. huiss., 1997, p. 432).
Ainsi, la nullité de droit de la période suspecte est indifférente en matière de saisies
conservatoires car elle est absorbée par l’interdiction des poursuites, ce qui n’est pas le cas pour
les sûretés judiciaires.
B. Les sûretés judiciaires
Pour les sûretés judiciaires, c’est la nullité de droit de la période suspecte qui l’emporte car
celles-ci ne tendent pas directement à l’exécution forcée. Elles font l’objet d’abord d’une
inscription provisoire, qui correspond au temps de la protection. Puis lorsque le créancier
dispose d’un titre exécutoire, elles font l’objet d’une inscription définitive qui lui confère les
droits de suite et de préférence au rang conféré par l’inscription provisoire. Il pourra alors
poursuivre l’exécution forcée, mais celle-ci n’est ainsi jamais la conséquence immédiate de la
sûreté judiciaire. C’est la raison pour laquelle l’inscription définitive n’est pas interdite par
l’ouverture d’une procédure collective postérieurement à l’inscription provisoire, mais tout
dépend du moment où celle-ci a été prise.
Si l’inscription provisoire a été prise en période suspecte, la sûreté judiciaire est nulle, comme
toutes les mesures conservatoires, et a fortiori, aucune inscription définitive n’est possible.
En revanche, si elle a été prise avant la date de la cessation des paiements, l’inscription
provisoire est valable et une inscription définitive pourra être prise même après l’ouverture
d’une procédure collective et le créancier pourra se prévaloir dans cette procédure de la qualité
de créancier privilégié (Com., 11 avr. 1995, n° 92-21563, Rev. huiss., 1996, p. 964, obs. R. Martin,
rendu à propos du régime antérieur à la réforme de 1991/1992, mais dont la solution est
transposable au régime actuel).
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