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Gastronomie
G astronomie
Les essais en ouvert d’Alex Corton
Il semble que le premier dépôt de marque
pour un couteau de Laguiole (prononcer
“layol”), date du 17 décembre 1905,
à l’initiative de la maison Payet Silvet. Mais
ce n’est qu’après la guerre de 1914-1918
que la production industrielle a réellement
commencé.
Le couteau de Laguiole est un couteau
pliant au manche en forme de jambe de
femme, dont le système de fermeture
comporte un ressort forgé. Les plaques
de garde du manche sont faites, la plupart
du temps, de corne de bovin de l’Aubrac,
rivetée sur la platine, avec, assez souvent,
un cloutage de laiton représentant un
crucifix. La tête du ressort s’orne d’une
abeille (appelée “mouche” par les pro) mais
des variantes sont possibles : fleur, rosace,
nœud, feuille d’arbre, voire au cours de
l’histoire, profil de Napoléon III ou bonnet
phrygien. Le couteau de Laguiole était
populaire parce que vendu à prix modique
par les colporteurs dans les foires. Parvenu
à l’âge viril, le jeune en recevait un de son
père ou de son oncle, en échange d’une
pièce de menue monnaie. Le modèle de
base pouvait déjà se compléter d’un tirebouchon, d’un poinçon, voire des deux.
N’oublions pas, s’agissant du tire-bouchon,
le rôle particulier des Aveyronnais, de la
fin du XIXe siècle à nos jours, dans la vente
de la limonade, terme générique dissimulant le négoce du vin bouché. Et, s’agissant du poinçon, l’usage que le rustique
bouvier pouvait en faire, pour percer toute
pièce de cuir de l’attelage nécessitant d’être
retendu d’un cran de plus.
L’invention du couteau pliant, au XVIIe,
a donné naissance à un rituel particulier
dans le monde rural. Lors du repas de
midi, placé au plus haut bout de la table
de ferme, trônait le maître de maison qui,
par le claquement de sa lame en début
et en fin de repas, marquait son autorité
sur les gens vivant sous son toit. Après
avoir récité le bénédicité, tracé une croix
de la pointe sur la boule de pain, puis
tranché l’entame, il donnait le signal du
service. Chacun des commis de ferme et
des bergers tirait alors de sa poche son
propre couteau pliant. Le couteau pliant
était l’apanage des mâles, les femmes ne
disposant, elles, que des modèles à lame
fixe, rangés dans le tiroir de la grande
table. Puis, une fois avalée la dernière
bouchée et le dernier trait de vin ou de
cidre bu, lorsque le patron refermait son
couteau, les femmes pouvaient desservir
et les hommes retourner à leur besogne.
Toute parole inutile était évitée. Le
monde rural n’était pas un monde de
bavards.
Depuis 1979, l’Aveyron offre à chaque
nouveau président de la République en
visite officielle dans le département un
couteau de la marque Calmels. Cette
maison est connue à Laguiole depuis 1829,
date où Pierre-Jean Calmels assembla sa
première lame sur un manche en bois
tourné. Mais le couteau offert n’est pas
un couteau rural, il s’agit d’un couteau
bourgeois1, à garniture d’ivoire et lame
d’inox. Valery Giscard d’Estaing a reçu le
sien, François Mitterand et Jacques Chirac
aussi. Nous n’avons aucun détail s’agissant
du président Nicolas Sarkozy. On peut
l’imaginer, à la table de l’Élysée, fermant
son laguiole d’un claquement sec, pour
renvoyer les ministres au travail, ainsi que
des valets de ferme… On peut, d’ailleurs,
tout imaginer.
■
Alex Corton Gastrologue de garde
Pour vos achats d’excellents couteaux
(Laguiole et autres) :
Coutellerie Kindal
33, avenue de l’Opéra, 75002 Paris
1 Dans les familles bourgeoises, on ne coupait pas (on ne cou-
pe toujours pas, si l’on a reçu les bons principes) la salade avec
le couteau. Explication : cet usage vient de l’époque où les
couteaux de table comportaient une lame en acier normal. Le
vinaigre de la salade piquant le métal, afin de toujours disposer de lames en bon état, il était souhaitable de lui épargner le
contact de cet agent corrosif. Un bon usage s’est installé perdurant par-delà le modernisme et l’invention de l’inox.
P2T
Congrès de physiologie, de pharmacologie et thérapeutique
Clermont-Ferrand, 9-11 avril 2008
Vous trouverez sur le site www.congres-p2t.fr le programme du congrès
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La Lettre du Pharmacologue - Vol. 22 - n° 1 - janvier-février-mars 2008