cancer et nutrition
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Nutrition et cancer Professeur Jean-Louis Schlienger Chef du Service de Médecine Interne et de Nutrition – Hôpital de Hautepierre - CHU de Strasbourg Introduction Chaque année plus de 200 000 cancers sont diagnostiqués en France dont 2/3 avant l’âge de 70 ans. Les performances thérapeutiques s’améliorent mais n’empêchent pas cette maladie si redoutée d’être la première cause de mortalité. En l’occurrence, jamais l’adage « mieux vaut prévenir que guérir » n’a été aussi vrai. La prévention des cancers Prévenir le cancer n'est pas une utopie. La lutte contre le tabagisme en est un bel exemple. Les relations entre nutrition et cancer, quoique plus complexes, s'inscrivent dans la même logique de prévention primaire. En effet, de nombreuses études épidémiologiques observationnelles suggèrent que si 60% des cancers seraient dus à l'environnement, environ trente pour cent des cancers seraient favorisés par une alimentation inadéquate, alors que la pollution, stipendiée à juste titre, n'expliquerait que deux pour cent des cancers. Le rôle de l'alimentation est illustré par l'inégalité de la prévalence des cancers dans le monde. Il y a dix fois plus de cancers du sein, du côlon ou de la prostate dans les pays riches que dans les pays pauvres. Par ailleurs, les immigrants finissent par faire les cancers du pays d'accueil. Effets carcinogènes des aliments > Carcinogènes alimentaires Lorsqu'on évoque la relation alimentation et cancer, c'est tout d'abord le spectre de carcinogènes alimentaires qui vient à l'esprit. Ils existent certes mais ne constituent qu'un aspect marginal de la problématique. Les xénobiotes contaminant les aliments peuvent agir sur l'initiation de la cancérogénèse en favorisant la mutation d'un gène cellulaire, ou sur la promotion du cancer en favorisant la dérégulation des gènes. Les produits phytosanitaires et les pesticides ne sont pas les seuls en cause. Les aliments peuvent aussi être contaminés par les saprophytes qui produisent des mycotoxines telles que l'aflatoxine produite par un parasite végétal de la cacahuète ou les fumosimines du maïs. La première est impliquée dans le cancer du foie, la seconde dans le cancer de l'oesophage. Effets carcinogènes des aliments > Modification des éléments natifs La modification des aliments natifs par des procédés de conservation comme la salaison ou le fumage ou par des produits de cuisson peut aussi être cancérogène. Des relations ont été décrites entre le cancer de l'estomac et la consommation de salaisons ou de poissons et de viandes fumés. La cuisson à très haute température et la carbonisation notamment par le barbecue produit des amines aromatiques hétérocycliques néoformées à fort potentiel cancérigène. Les additifs n'ont pas de potentiel cancérogène aux doses journalières administrées. Le jaune de beurre issu du brai de houille a été évincé de la liste des additifs autorisés. Parmi les moyens de conservation il faut souligner les bénéfices liés à la réfrigération qui a réduit la corruption des aliments et quasi supprimé la production de nitrosamines à partir des nitrates et des nitrites. C'est ainsi qu'est expliquée la forte diminution de la prévalence du cancer gastrique au cours des dernières décennies. Effets carcinogènes des aliments > Nature des aliments > L'alcool La nature des aliments a également été considérée comme déterminant de la cancérogénèse, soit comme facteur favorisant soit comme facteur protecteur mais un lien de causalité est difficile à établir. La consommation de boissons alcoolisées en excès (plus de deux verres chez la femme et plus de trois verres par jour chez l'homme) a un impact certain sur les cancers des voies aérodigestives supérieures en synergie avec le tabac et sur le cancer du foie. Effets carcinogènes des aliments > Nature des aliments > Les graisses La consommation de graisses est également associée à un risque accru de cancer. Par exemple les études écologiques concernant de nombreuses nations ont montré une relation positive étroite entre les apports lipidiques journaliers et la mortalité par cancer du sein. L'augmentation de la consommation lipidique expliquerait l'augmentation récente du cancer du colon et du cancer de la prostate au Japon. Ce sont les graisses saturées, marqueurs de l'alimentation occidentale, qui sont en cause. La consommation de graisses saturées et tout particulièrement de viande rouge est également associée au risque de cancer du côlon mais les études cas-témoins ou de cohorte sont souvent contradictoires. Effets anti carcinogènes > Les fibres alimentaires Le rôle protecteur des fibres alimentaires souvent mis en avant dans le cancer du colon a été affirmé sur la foi d'études observationnelles mais n'a pas pu être confirmé par les études d'intervention. Dans l'enquête européenne EPIC portant sur deux millions de personnes/année, il existe une relation inverse entre le cancer colique et la consommation de fibres et un doublement des apports en fibres pourrait réduire le cancer du côlon de quarante pour cent. Aux Etats-Unis, les plus forts consommateurs de fibres ont une prévalence des adénomes coliques réduite de vingt cinq pour cent. L'adjonction de fibres réduit la fréquence des adénomes coliques, améliore le transit et contribue à diluer les cancérogènes contenus dans la lumière colique. Elles réduisent donc le temps de contact avec la paroi colique. Aux Etats-Unis, les plus forts consommateurs de fibres ont une prévalence des adénomes coliques réduite de vingt cinq pour cent. Effets anti carcinogènes > Les fruits et légumes Le rôle protecteur des fruits et légumes est en revanche mieux établi. Toutes les études épidémiologiques concordent et certaines suggèrent même que certains légumes ou fruits seraient particulièrement protecteurs de certains cancers d'organe. Ainsi les tomates ont la réputation de protéger du cancer de la prostate en raison de leur haute teneur en un micro constituant, le lycopène. En fait nombreux sont les micro constituants des fruits et légumes susceptibles d'être protecteurs sans que l'on puisse en fournir la preuve : resvératrol, glucosinolates, sulphoraphanes, allyl-sulfides, héspéridine, etc. La plupart de ces micro constituants sont des polyphénols dont le pouvoir anti oxydant est remarquable. Effets anti carcinogènes > Les vertus anti oxydantes Les vertus anti-oxydantes des aliments sont intéressantes dans la mesure où le stress oxydant peut être un élément de l'initiation et de la promotion des cancers. C'est dans cette mesure qu'a été préconisée la consommation de micronutriments antioxydants tels que la vitamine E ou tocophérol, les caroténoïdes, la vitamine C et le sélénium par ailleurs contenus en quantité significative dans les fruits et légumes. Malheureusement les études d'intervention testant l'intérêt de l'administration de ces vitamines à doses pharmacologiques n'ont montré aucun effet bénéfique. Bien au contraire, dans certains essais la mortalité par cancer a été augmentée. L'étude d'intervention SU.VI.MAX réalisée en France sur une cohorte de treize mille volontaires a utilisé les doses nutritionnelles de vitamine C, de vitamine E, de bétacarotène, de zinc et de sélénium. Après huit ans on observe une diminution d'un tiers des cancers chez les hommes avec une mortalité réduite de trente sept pour cent. Effets anti carcinogènes > Le style alimentaire Au delà de l'effet carcinogène ou anti carcinogène des aliments ou des substances véhiculées par les aliments il convient de s'intéresser au style alimentaire. En effet les apports énergétiques élevés dus à une consommation importante en graisses saturées et en sucres raffinés qui caractérisent l'alimentation occidentale dite de type western sont associées à une prévalence plus élevée des cancers. Il existe également une augmentation du risque de mortalité par cancer qui est corrélée avec l'indice de corpulence (BMI). L'obésité peut être considérée comme une situation à risque de cancer (avec un risque relatif de 1,8) notamment pour les cancers digestifs, du rein et de l'endomètre. On admet qu'un apport protéique important et un excès d'apport calorique stimulent la production d'hormone de croissance et d'IGF-1 qui se comportent comme des facteurs de croissance tumorale. Face aux certitudes et aux présomptions et aux interrogations légitimes il persiste encore de nombreuses idées fausses tenant de la rumeur ou de la désinformation. Il en est ainsi du rôle cancérigène des additifs autorisés, des édulcorants, des aliments manufacturés comme le café soluble et du rôle protecteur de l'agriculture biologique. Conclusion Au total il existe une interaction forte entre alimentation et cancer même si les études d'intervention probantes manquent encore. Certains constituants natifs ou néoformés sont à évincer de l'alimentation en prenant des mesures sécuritaires mais c'est surtout le style alimentaire qui est à considérer. L'ensemble des études observationnelles plaident en faveur d'une alimentation à faible densité énergétique et à forte densité nutritionnelle. Elles permettent d'élaborer une stratégie de prévention fondée sur la diminution de l'apport énergétique global, la lutte contre le surpoids et l'obésité, la consommation de cinq portions de fruits et légumes chaque jour, la diminution de la part des graisses saturées tout en maintenant une consommation significative de produits laitiers et la limitation des boissons alcoolisées. Il n'existe pas d'indication pour une supplémentation vitaminique pharmacologique. Les procédés de conservation et les modes de cuisson sont à diversifier tout comme l'alimentation. Le modèle alimentaire le plus favorable, le plus convivial et le plus palatable est l'alimentation de type méditerranéenne qui permet à la fois de prévenir nombre de cancers mais aussi l'obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires.