La femme de 50 ans
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La femme de 50 ans
GYNÉCO ET SOCIÉTÉ La femme de 50 ans Natacha Espié* Á l’évocation de la femme de 50 ans, une association s’est imposée d’emblée. Il s’agit d’une citation de Simone de Beauvoir dans La Force des choses : “Au fond du miroir, la vieillesse guette et, c’est fatal, elle m’aura. Elle m’a. Souvent je m’arrête, éberluée, devant cette chose incroyable qui me sert de visage.” Et puis surgissent d’autres associations que l’on pourrait peut-être qualifier de plus optimistes, d’autres images plus médiatiques s’imposent : Claire Chazal, Sharon Stone, Inès de La Fressange. Toutes, la cinquantaine triomphante. Ainsi, 50 ans, n’est-ce pas ce passage où l’on n’est plus jeune tout en n’étant pas encore vieille. Cinquante ans, c’est certes la maturité. Mais comment la vivre cette maturité à l’heure du traitement hormonal substitutif (THS), de la chirurgie esthétique avec son cortège de lifting, Botox® et collagène ? Comment réagir devant la tentation du maintien d’un idéal de jeunesse permanente ? Et rappelons-nous que la maturité, la cinquantaine n’est pas la vieillesse, et que les pertes n’y sont pas du même ordre. Et s’il y a pertes, quelles sont-elles ? La plus évidente est certainement la perte de la capacité de procréer. Puberté, ménopause : 2 portes face à face, et parfois 2 portes bien étroites, 2 portes qui limitent le temps biologique de la procréation. Le sang qui s’écoule chaque mois vient rythmer la périodicité du maternel, laissant libre cours à l’illusion que tout est toujours possible. Hélène Deutsch écrit de la ménopause qu’il s’agit d’une “perte morceau par morceau de tout ce qui avait été donné à la puberté”. Catherine, avec sa franchise de ton coutumière, se confie : “Je m’en fous d’avoir des règles préfabriquées.” Elle prend du THS, “Je sais bien que c’est le traitement qui me les donne, mais moi j’aime ça, la trace du sang, je me sens femme et pas vieille.” Mais que veut dire être vieille ? * Psychologue, psychanalyste, Paris. Dans le Talmud, il est écrit : “Une femme est vieille, c’est-à-dire atteinte par la ménopause, quand, à l’approche de l’âge critique, elle ne voit pas son flux cataménial pendant 3 époques consécutives.” 6 | La Lettre du Gynécologue ̐ n° 370 - mars 2012 Mais aujourd’hui les progrès de la médecine, voire de la chirurgie esthétique, contribuent au ralentissement des signes de vieillissement, et l’âge où l’on considère que la vieillesse commence a changé dans la mesure où il se déplace en fonction de l’espérance de vie. Cependant, ces progrès n’ont pratiquement pas modifié la date à laquelle une femme cesse irrémédiablement de pouvoir être mère. Mais une femme est-elle uniquement déterminée par le fait d’être mère ? Et Élisabeth Badinter aurait-elle vraiment tort de considérer comme abusive l’assignation de la femme à son rôle de mère ? Alors, peut-être que ne plus pouvoir être mère ne veut pas forcément dire ne plus être femme et être vieille. Mais la ménopause, c’est aussi un cortège de symptômes qui, tous, attaquent le corps : modification de la peau, des formes du corps, sécheresse vaginale, bouffées de chaleur, douleurs articulaires. Justine rapporte sa confrontation quotidienne au miroir. “Tous les matins, au moment de me maquiller, je me mets à ruisseler. Vous comprenez, je me suis agitée, alors, avec les bouffées de chaleur, je n’arrive pas à me maquiller. Je me dis que si je prenais un traitement hormonal, ça réduirait au moins mes bouffées de chaleur. Mais j’ai peur avec tout ce qu’on dit sur les hormones, et puis ça n’est pas pour moi, pas déjà, je ne peux pas m’y résigner, je ne peux pas me résigner à cette vie qui s’écoule, à cette possibilité d’avoir des enfants qui s’effiloche.” Parce que là, on n’est pas dans le symbolique, mais dans le réel, dans le jamais plus, et qu’il va falloir trouver une place psychique à ce fait. Tâche d’autant plus ardue que, bien souvent, il existe un véritable décalage entre ce corps qui fait défaut et cette tête qui, elle, ne ressent pas ses 50 ans. Mais ce “jamais plus” vient activer le registre fantasmatique de la castration. Tant qu’elle existe, la capacité de procréer fait “fantasmatiquement” obstacle à la mort. Une fois cette capacité perdue, plus rien n’arrête la fuite du temps. Jacqueline Schaeffer appelle ainsi la ménopause “la castration blanche”. Angoisse de castration, crises de milieu de vie, angoisse de mort, voilà une ronde qui peut se révéler infernale et qui produit souvent des défenses du côté du déni et d’une suractivité d’allure hypermaniaque. Sylvie parle vite, marche vite, zappe d’une activité GYNÉCO ET SOCIÉTÉ à l’autre, jamais à l’arrêt, peut-être pour ne pas penser. Toujours en mini-jupe, jamais en retard pour ses injections de Botox®. Elle dit ne pas vouloir vieillir parce que, pour elle, c’est la mort. Alors parfois, les tentatives de guérir de l’angoisse suscitée par la vieillesse et la mort prennent la forme du choix d’un objet amoureux beaucoup plus jeune. Autrefois, c’était l’apanage des hommes, si l’on excepte quelques exemples célèbres allant de George Sand à Colette. Aujourd’hui, les femmes s’y essayent. On a même trouvé un nom à ce phénomène. On désigne ces femmes par le terme de “cougars”. Les magazines féminins y consacrent des articles. Un feuilleton américain, Cougar Town, reprend ce thème. De Madonna à Claire Chazal, on affiche son jeune amant, car il n’est pas question de honte à avoir. D’aucuns et d’aucunes y verraient une grande avancée sur le long chemin de l’égalité des sexes, une victoire de la parité. Aujourd’hui, les femmes s’autorisent ce que les hommes ont longtemps pratiqué. Et pourquoi pas d’ailleurs ! Gardons simplement à l’esprit que, parfois, le spectre d’Œdipe et de ses désirs incestueux est à l’orée du bois, la crise du milieu de vie, à l’instar de l’adolescence, venant interroger ces pulsions. Si Catherine “s’éclate”, pour reprendre ses mots, avec son jeune amant de 30 ans, Aurélie peine à cacher son trouble depuis le début de sa relation avec un homme de l’âge de son fils, enchaînant divers symptômes psychosomatiques, qui ne sont que le reflet de son angoisse. Et puis, vous vous en doutez bien, tout cela, au fond, tourne autour d’une autre composante de notre psychisme, le narcissisme. Après tout, ce que craint Narcisse, ce qui le terrifie, c’est de vieillir. Et nous vivons dans une société qui, en quelque sorte, redouble cette hémorragie du narcissisme, chaque société, chaque culture produisant des images idéales du corps qui sont érigées en normes, auxquelles nous sommes censés nous conformer pour ne pas déroger, pour ne pas être exclus. Et aujourd’hui ce mouvement revêt une ampleur particulière, avec l’idée de contrôler son corps comme le reflet d’une capacité, certes illusoire, à contrôler sa vie. Il s’agit d’arrêter les signes du temps. Les régimes, l’exercice physique et la chirurgie esthétique en sont les armes principales. Regardez ces fameuses “cougars”. On se réjouit qu’elles ne fassent pas leur âge, on n’imagine pas Madonna ou Sharon Stone ne prenant pas “un soin intense de leur corps”. Et cette image corporelle particulièrement contrôlée n’est pas seulement un signe de beauté, mais plutôt le symbole de la réussite sociale et, par extension, du bonheur. Quelle vaste escroquerie ! On vous dit : “Soyez vous-même”, mais, si on reprend un titre du magazine Elle, “Restez vous-même, gagnez 10 ans.” Il ne s’agit donc pas d’être soi-même, mais de travailler son corps, de le maîtriser pour entrer dans les normes de notre société qui imposent d’être jeune, belle, mince, saine, sexy et, ajoute Michèle Lachowsky, si on est blonde, c’est le nirvana. Et la vieillesse alors ? Notre société en donne une représentation particulièrement négative. Puisque les moyens d’action sont à la portée de tous, vieillir va apparaître comme une négligence, une faiblesse. Au fond, vieillir, n’est-ce pas un coupable relâchement dans lequel ne tombent que les perdants ? Il ne s’agit pas non plus de sombrer dans un discours opposant le paraître et son cortège superficiel, et un désir d’apparaître telles que nous serions véritablement à l’intérieur, mais plutôt de se méfier, d’une part, d’une société par trop normative qui ne laisse aucune chance au sujet d’advenir à lui-même et, d’autre part, de ne pas oublier que la tentation d’investir l’expression manifeste de la jeunesse dénote également un porte-à-faux, une vulnérabilité, une faille qui ne dit pas son nom. Et cette faille peut s’élargir : on évolue dans son rôle de mère, les enfants sont devenus grands, les parents vieillissent, et puis je suis fatiguée, est-ce que je lis encore le désir dans le regard de l’autre ? “Là, tout s’enchaîne, me dit Aurélie, les bouffées de chaleur, je dors mal, je suis fatiguée, j’ai mal partout, une vieille, je vous dis. Et puis, pour mon mari, on dirait que je suis devenue transparente. Et les enfants qui sont partis, parfois j’entre dans leur chambre, je reste là, et les larmes coulent.” Alors qu’est-ce qui fait que l’on va trébucher ? Parfois l’épreuve de la réalité, un travail que l’on perd, un compagnon, un mari, qui s’en va, souvent pour quelqu’un de plus jeune parce que, pour lui aussi, la cinquantaine amène son lot de questionnements. Une maladie qui fait son apparition, le cancer du sein étant particulièrement présent à la cinquantaine. Cette blessure infligée au corps et à la psyché par le temps peut conduire à la dépression avec un sentiment de dépréciation. Et cette défaillance de l’amour de soi se combine à la nostalgie d’un temps où tous les possibles se présentaient à nous. Oui, mais trébucher n’est pas obligatoire. Contrairement à Aurélie, Catherine dit : “Les enfants sont partis, les parents ne sont pas encore malades, et moi je m’amuse enfin au lit.” La Lettre du Gynécologue ̐ n° 370 - mars 2012 | 7 GYNÉCO ET SOCIÉTÉ Il faut assez d’amour pour soi pour parvenir à trouver des bénéfices qui viendront contrebalancer toutes ces pertes. Autrement dit, en langage psy, pouvoir s’appuyer sur une identification primaire solide. Pour certaines, cette remobilisation narcissique passera par un recours psychique, c’est-à-dire qu’elles entameront ce travail d’analyse qu’elles remettaient depuis de longues années, dans l’espoir que demain sera meilleur. D’autres se concentreront sur leur corps pour colmater les brèches occasionnées par ces 50 ans qui effleurent la vieillesse. Peut-être est-il important que la femme puisse inventer une nouvelle façon d’être femme, qu’elle puisse également s’offrir comme objet de désir. Ce qui importe sans doute plus, c’est de pouvoir continuer à lire dans le regard de l’autre, dans le regard de l’homme, l’amour et le désir, ce qui peut contribuer à atténuer le cours du temps. La ménopause, c’est aussi, et parfois surtout, la dispo- nibilité d’une femme, d’une femme soulagée de ses tâches de vie familiale et de maternage, ce qui peut la conduire à être attentive et ouverte à d’autres investissements prometteurs de lendemains qui chantent. Que dire d’autre ? Que 50 ans, c’est, certes, une véritable révolution personnelle. Le moi idéal est différent de celui d’avant. Certaines, à l’instar de Noëlle Chatelet, vont refuser la dictature du paraître, d’autres vont investir une vie sexuelle beaucoup plus riche, d’autres encore se désintéressent d’une vie amoureuse et sexuelle au profit d’un investissement intellectuel ou de la création artistique. Il peut aussi s’agir, “tout simplement”, si je puis l’exprimer ainsi, de faire la paix avec soi-même. Au fond, peut-être ne faudrait-il garder en mémoire que ceci : le féminin se conquiert jusqu’au bout de la vie, ce qui me paraît être un formidable espoir. ■ mars à juin | 2012 AGENDA 29 mars 2012 – Domaine de l’Amirauté, Deauville – Cercle de vidéochirurgie gynécologique. 29-30 mars 2012 – Domaine de l’Amirauté, Deauville – 12es Journées gnécologiques, pédiatriques et obstétricales modernes. Renseignements : JPCOM, 1, rue Isidore-Pierre, 14000 Caen. Tél. : 02 31 27 19 18. Fax : 02 31 27 19 17. E-mail : [email protected] – Internet : www.jpcom.fr 29 mars-1 er avril 2012 – Palais des Congrès de Morzine – 17es Journées de médecine fœtale. Renseignements : P. COM.B, 6, rue du Gast, 78100 SaintGermain-en-Laye. Tél. : 01 34 51 29 85. Fax : 01 34 51 29 86. E-mail : [email protected] 14 avril 2012 – Centre des Congrès, 14, bd Carnot, Aixen-Provence – 3e Journée d’actualités médico-chirurgicales de la polyclinique du Parc Rambot. Organisation générale et inscription : agence ATouT.Com, Europôle de l’Arbois, Village entreprises bat A, 13857 Aix-en-Provence Cedex 3. Tél. : 04 42 54 42 60. Fax : 04 42 51 00 68. Internet : www.atoutcom.com 20-21 avril 2012 – Paris, Cordeliers de l’université Pierre et Marie Curie à l’Odéon – 7e journée scientifique de l’Institut Sexocorporel International-Jean-Yves Desjardins (ISI). L’atelier d’approfondissement du vendredi matin 20 avril fera le point sur “Les avancées des neurosciences en sexualité humaine”. Les séances plénières du samedi 8 | La Lettre du Gynécologue ̐ n° 370 - mars 2012 matin 21 avril porteront sur “La grille d’évaluation selon de modèle de santé sexuelle. L’outil clinique du praticien”, “La logique du système : de l’anamnèse au diagnostic” et “La prise en charge sexologique : démarche thérapeutique et traitement”. Le samedi après-midi sera consacré aux ateliers de perfectionnement. Inscription sur www. sexocorporel.com 9-11 mai 2012 – Hôtel Negresco, Nice – 9e Congrès international de gynécologie obstétrique et de reproduction de la Côte d’Azur. Renseignements : secrétariat d’organisation, André Bongain. Tél. : 33(0)4 92 03 61 05/08. Fax : 33(0)4 92 03 65 63. E-mail : [email protected]. Inscription : Creative Spirit, Magali Liotier, 11-13, avenue Isola-Bella, 06400 Cannes. Tél. : 33(0)4 97 06 39 39. Mobile : 33 (0)6 65 65 02 84. E-mail : [email protected] 7-9 juin 2012 – Maison de la Chimie, Paris – 11es Journées européennes de la Société française de gynécologie (SFG). Date limite pour déposer les abstracts : 13 avril 2012. Inscriptions : J.C. Marques de Barros, Agence CCC, 32, rue de Paradis, 75010 Paris. Tél : +33(0)1 45 23 03 87 – Fax : +33(0)1 72 33 55 25. E-mail : [email protected]