1516_Koc_rapport1

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1516_Koc_rapport1
Istanbul 2015 – 2016
Rapport de séjour
« Pourquoi as-tu choisi la Turquie? ». Les Turcs ont passé leur année à s’étonner de mon
intérêt pour leur pays, comme ce dernier ne le méritait pas. Ils ne désapprouvent pas mon choix, car
ils savent que la Turquie a beaucoup à offrir, mais ils se demandent ce qui peut amener un Européen
à essayer d’intégrer leur culture, alors qu’ils font tous le chemin inverse, aspirant généralement à
passer à l’Ouest dès que l’occasion se présente.
La Turquie ne m’a pas été révélée comme un coup de cœur ou sur un coup de tête. Mon choix
de 3A a été l’objet d’une réflexion appuyée par mes proches. L’un de mes premiers critères était
d’éviter une destination anglo-saxonne, persuadé que j’aurais l’occasion plus tard de vivre dans un
pays anglophone. Par ailleurs, maîtrisant déjà l’allemand et ayant une maîtrise suffisante de l’anglais,
je désirais partir dans un pays où je pourrais apprendre une troisième langue. Je recherchais donc un
lieu quelque peu exotique : un environnement atypique plutôt que la réputation académique.
Cela m’a amené à hésiter entre l’Inde, les Philippines, la Russie et la Turquie. A force de
recherches sur les différents pays et les opportunités qu’ils auraient pues m’offrir, mon choix s’est
porté sur Istanbul. Il est important de préciser que la ville dans laquelle on réside ne reflète pas
toujours l’ensemble du pays, et cela se vérifie pour Istanbul.
Afin d’être certain que Sciences Po ne reviendrait pas sur ma décision, Istanbul et ces
différentes universités ont constitué mes 6 choix. Koç University était mon choix 4, classé après trois
départements de Bogazici University. Cela n’a pas eu beaucoup d’influence sur mon année, que j’ai
passé majoritairement « hors les murs ». Mon objectif était réellement de vivre en Turquie, avec les
Turcs, pour parler leur langue. Outre les différents buts fixés, j’étais décidé à saisir toutes les
opportunités offertes par cette troisième année, sans trop savoir à quoi m’attendre. Ainsi, alors que je
pensais avoir des convictions et des jugements peu susceptibles d’évoluer, et alors que je souhaitais
avant tout acquérir des connaissances sur le pays et des compétences pratiques telles que la danse ou
la cuisine, il se trouve que cette année m’a bousculé et a sensiblement modifié certaines de mes
préconceptions.
Une année partagée entre voyages, vie stambouliote et Koç University
Vivre sur le campus de Koç University signifie à peu de chose près faire une croix sur la vie
stambouliote. Le campus se situe à 1h15 de la place Taksim en transport en commun. Son isolement
rend difficile les déplacements journaliers vers le centre-ville pour ceux qui y résident.
Je ne voulais pas vivre sur le campus et j’ai donc décidé de m’installer à Şişli—Mecidiyeköy, un
quartier connu des Turcs car il est l’un des plus peuplés d’Istanbul. Ce carrefour au cœur de la ville est
pollué, bondé, fatiguant mais il a l’avantage d’être authentique, peu cher et central. Je me suis installé
dans une grande collocation, composée majoritairement d’étudiants Erasmus, car il est difficile de
trouver des collocations avec des Turcs lorsque l’on vient juste d’arriver. Toutefois, des amis ont réussi
à vivre un an avec des étudiants turcs. Cela est donc possible. Les avantages d’une telle option sont
évidents, le seul problème est l’inadéquation du rythme de vie des Turcs, qui ont une vision à long
terme, et celui des étudiants Erasmus, toujours à la recherche d’un endroit où partir pour le weekend…
Istanbul est un carrefour propice aux voyages. Bien qu’il soit difficile de sortir de cette
mégalopole, il y a une multitude d’endroits à visiter à proximité le temps d’un week-end. Voyager a
constitué une partie majeure de ma 3ème année. J’ai profité de chaque temps libre pour m’évader, que
ce soit vers les Balkans, ou bien vers la côté Egéenne, ou encore plus à l’est vers la Mer Noire.
Ma vie à Koç n’a donc été qu’une dimension parmi d’autres de mon expérience en Turquie. Il
me semblait utile de le préciser avant d’approfondir mon propos sur ce point. Koç est une université
privée, contrairement à Bogazici University. Cela se ressent à travers le niveau de vie élevé de ses
étudiants, dont le parking de l’école est l’incarnation. Pour autant, l’université est reconnue dans les
classements internationaux et son département « business » est particulièrement réputé.
L’avantage de cette université repose essentiellement dans son cadre reposant et verdoyant,
qui permet de respirer un peu après des journées passées dans le centre-ville. Le complexe sportif est
incroyable et cela fait partie des opportunités que j’ai saisies. Les étudiants étrangers sont très bien
accueillis, notamment en ce qui concerne la semaine d’intégration et la procédure d’acquisition du
permis de résidence (Ikamet). En début d’année, nous nous sommes vus attribués un mentor, et, bien
que moi-même peu présent sur le campus, j’ai sollicité le mien à plusieurs reprises sans que cela ne
pose problème. Enfin, pour ceux qui souhaitent sortir du monde « sciences piste », Koç semble se
présenter comme une bonne option dans le sens ou le nombre limité de collègues français dans
l’université, ainsi que l’éloignement de ceux qui étudient à Bogazici, place naturellement cet
environnement à l’écart. Ces petits avantages ne compensent cependant pas un niveau académique
moins élevé qu’à Bogazici University, ainsi qu’un trajet de plus de 2h aller-retour.
Le système universitaire de Koç University est calqué sur le système américain. Après la semaine
d’intégration, nous avons pu choisir nos cours avec sérénité, puisque les salles sont attribuées en
fonction des effectifs dans chaque cours et non l’inverse. En principe, les étudiants internationaux ne
peuvent prendre que 5 cours ; chacun d’entre eux est récompensé par 6 crédits. Il est toutefois possible
de négocier avec l’administration pour avoir 6 cours, ce qui devient nécessaire en cas de non-validation
au premier semestre. Les inscriptions sont suivies d’une semaine « Ad & Drop » lors de laquelle il est
possible de changer de cours si ce dernier ne correspond pas à vos attentes. Ce système flexible est
appréciable. Cela permet la construction d’un emploi du temps sur mesure. Ainsi, voulant limiter mes
trajets, j’ai fait en sorte que mes 5 cours soient concentrés sur deux jours de la semaine. L’équipe en
charge des étudiants internationaux, ainsi que le corps professoral, très féminin, s’est révélé
dynamique et efficace.
Un même cours a lieu deux fois dans la semaine, et ne dure qu’une heure et quinze minutes par
séance. La plupart d’entre eux reposent sur le système de readings. Quand ceux-ci sont d’une longueur
raisonnable, ils s’avèrent un bon outil de travail qui permet d’aller directement à la principale source
académique sur un sujet donné. Pour certains cours, ces readings sont indispensables tandis que pour
d’autres, la simple lecture du professeur peut suffire. Je présente ci-dessous mes 5 cours du premier
semestre ainsi que mes 5 cours du second semestre.
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Europe from late Antiquity to 1700 (ARHA 227):
J’ai apprécié ce cours, qui aurait pourtant pu sembler trop ambitieux au vu de l’intitulé. Plutôt que
d’avoir la prétention de traiter 2 millénaires d’histoire européenne en 30h, la professeure a préféré
concentré son cours sur des sujets précis au sein de la période donnée, sans s’appesantir sur ce qu’elle
supposait acquis. Destiné aux étudiants turcs, ce cours était logiquement assez simple pour les
étudiants européens, mais les readings ont été utiles et j’ai renforcé ma culture générale sur des sujets
tels que la littérature du Moyen-Âge et le développement du Christianisme. En général, j’ai été
impressionné par la culture historique de mes camarades turcs.
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History of Modern Diplomacy (HIST 311)
Bien que le sujet traité soit intéressant, j’ai été déçu par ce cours qui a avant tout pêché par le
manque de dynamisme de notre professeure ainsi que des readings fastidieux. Il y avait peu de
participation en classe et la professeure se contentait bien souvent de relire des extraits des articles
avec nous.
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Migration & Globalization (SOSC 105)
Il me semblait pertinent d’en apprendre plus sur ce thème en tant qu’étudiant en Turquie. Bien
qu’étant une introduction au sujet, la professeure a tout de même analysé la crise migratoire actuelle.
J’ai acquis des connaissances concrètes concernant le droit des réfugiés. En outre, nous avons visionné
de nombreux documentaires et avions des lectures intéressantes, ce qui a contribué à la qualité de
l’enseignement.
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Big Data for Business and Public Sector
Ce cours est une seconde opportunité que j’ai eu l’occasion de saisir en ayant été accepté à Koç
University. Enseigné par la directrice du département des sciences administratives et sociales, ce
module revêtait toutefois un aspect transversal, puisqu’il se faisait rencontrer des étudiants en
sciences politiques, en business et en ingénierie. J’ai choisi cet enseignement en raison de la
problématique traité, qui me passionne. Je voulais notamment me faire une idée de mon choix de
master. Le cours a nécessité une charge de travail importante, mais très utile puisque j’ai acquis de
nombreuses compétences qui sortent du champ de connaissance traditionnel d’un étudiant à Sciences
Po. Surtout, l’exigeant projet de groupe de fin de semestre a été très enrichissant car nous avons pu
utiliser nos compétences respectives sur un projet concret. Je recommande ce cours pour ceux
intéressés par la problématique.
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Basic Turkish II (TURK 202)
En France, j’ai suivi une courte introduction au turc via Sciences Po. Malheureusement, la
formation Erasmus, qui permettait d’apprendre les bases du turc de manière intensive quelques
semaines avant la rentrée, a été supprimée. J’ai tout de même choisi de prendre directement un cours
de turc niveau II, afin de ne pas perdre de temps. Si le cours n’est pas pensé pour un apprentissage
intensif du turc, il n’en demeure pas moins que Mme Baltacioglu est une excellente professeure, très
pédagogue et humaine. Le turc est une langue logique, mais différente des langues européennes et
par conséquent longue à ingurgiter. Pour ceux qui désirent parler un turc satisfaisant le plus
rapidement possible, je pense qu’un livre, voire un cours, en complément, est indispensable.
Au deuxième semestre, j’ai décidé d’approfondir mon apprentissage du turc et de la Turquie
en général.
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State & Society during the 19th century in the Ottoman Empire (HIST 433)
Ce cours de niveau master s’avère très intéressant pour les passionnés d’histoire et du 19ème
siècle en particulier. La professeure est passionnée par son sujet et les readings sont relativement
accessibles. Les étudiants turcs surpassent naturellement les quelques étudiants internationaux du
cours sans pour autant que cela soit trop difficile. J’ai donc beaucoup appris à travers cet
enseignement, que j’ai choisi avant tout par goût pour l’histoire et pour la Turquie plutôt que par
correspondance avec mes futures études.
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Contemporary issues in Turkish politics (INTL 406)
Ce fut certainement le cours le plus passionnant de l’année (en compétition avec celui sur le Big
Data). Notre professeur est un politiste reconnu en Turquie, et il n’a pas la langue dans sa poche avec
ces étudiants. Toutefois, contrairement à ce que suggère l’intitulé de l’enseignement, le cours se
concentre sur la période allant de l’après-guerre jusqu’aux années 2000 et n’évoque malheureusement
pas le régime en place, hormis lorsque notre professeur se laissait aller à quelques saillis. Ce cours a
été l’occasion pour moi de me plonger dans la politique turque et son histoire récente, notamment à
travers l’écriture d’un paper sur Alparslan Türkes, figure de l’ultra-nationalisme turc, ainsi qu’un projet
de groupe. Ce dernier consistait à créer un « political compass », c’est-à-dire une représentation du
spectre politique, pour les années 1960 en Turquie. Ce fut un travail intéressant.
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Culture & Society (SOSC 102)
Les deux cours précédents exigeaient de travailler régulièrement. Cet enseignement fut
relativement aisé puisqu’il s’agit d’un cours de première année sur les média. Le thème, intéressant, a
été, comme j’aurais dû m’y attendre, développer superficiellement. Les readings étaient relativement
pauvres et le niveau général bas.
-
Basic Turkish III et Intermediate Turkish I
Comme je l’ai écrit, j’ai choisi de me concentrer un maximum sur l’apprentissage du turc lors du
deuxième semestre. Toujours enseigné par Mme Baltacioglu, ces cours ont avant tout permis de
renforcer ma grammaire et mon vocabulaire. En ce qui concerne l’expression, rien ne vaut à mon sens
une virée en autostop dans le reste du pays. Par ailleurs, en Intermediate Turkish I (niveau B1), j’ai eu
la chance d’être dans une classe composée exclusivement d’Iraniens et de Pakistanais, ce qui fut très
enrichissant humainement. Ces étudiants vivent généralement à Istanbul durant l’ensemble de leurs
études, et espèrent ensuite pouvoir trouver un emploi en Turquie ou en Europe. Par conséquent, ils
sont les seuls qui continuent l’apprentissage du turc à un niveau élevé.
En règle générale, ces cours m’ont demandé moins d’effort que ce à quoi j’avais été habitué à
Sciences Po.
Outre ces 10 cours, j’ai animé durant un an un cercle de conversation francophone. Un soir par
semaine pendant une heure, je me suis entretenu avec des étudiants turcs désireux de conserver leur
niveau de français. La plupart d’entre eux avaient étudié dans les prestigieux lycées français d’Istanbul
tels que Galatasaray ou Notre-Dame de Sion. Cette expérience fut l’occasion de rencontrer des Turcs
de mon université en dehors de nos mentors. La plupart de mes amis turcs à ce jour sont issus de ce
cercle de conversation. Bien qu’il requière un minimum de préparation, le cercle est avant tout un
moment convivial en fin de journée, qui permet d’échanger sur les différences entre la France et la
Turquie. Il est par ailleurs accompagné d’une rémunération faible, mais appréciable, à chaque fin de
semestre.
Koç, Istanbul et la Turquie : 3 expériences différentes
Lors des cercles de conversation, j’ai pu voir à quel point les étudiants de Koç m’étaient
semblables. J’étais à vrai dire peu surpris de constater que l’expérience d’un étudiant à Koç University
ne diffère guère de celle vécue dans n’importe quelle université – avec campus – en Europe ou aux
USA. Le système universitaire de Koç n’est pas proprement turc, mais bien américain. Les cours sont
enseignés en anglais dans leur immense majorité et les étudiants sont largement « européanisés ». La
confrontation à la différence est donc limitée dans un tel cadre.
Ma vie à Şişli—Mecidiyeköy fut bien plus enrichissante sur ce point. Le quartier est
relativement conservateur, ce qui implique l’absence de vie nocturne étudiante sur place, à l’exception
de quelques bars à chicha. Nous avons donc profité d’un voisinage réellement turc (et kurde). Notre
collocation surplombait une école, qui s’anime tous les lundis matins au rythme de l’hymne national
entonné par une armée d’enfants sur le pied de guerre. Le vendredi, ils chantent d’autant plus fort
qu’ils sont enfin en week-end. Ils quittent l’établissement en tournant le dos au portrait géant
d’Atatürk, et courent jusque dans les bras de leurs mères voilées. L’occidentalisation autoritaire
prônée par le fondateur de la République Turque n’est pas parvenue à convaincre les mères de mon
quartier de retirer leur voile. Au moment où leurs enfants franchissent le portail, les pères sont en train
de prier à la mosquée. Après le chant du muezzin, qui n’a rien à envier en sonorité aux sirènes des
cargos du Bosphore, les familles se rassemblent pour manger dans l’une des très nombreuses
enseignes qui empiètent sur les trottoirs. Le vendredi est certainement le jour le plus exotique pour
une visite d’Istanbul.
Toutefois, le niveau d’occidentalisation reste très important, et le dépaysement ne dure qu’un
temps. Une soirée stambouliote réunit les mêmes ingrédients qu’une soirée classique. L’alcool, par
exemple, est consommé par toutes les franges de la société, bien qu’il soit soumis à un niveau élevé
de taxation. A la télévision, les clips turcs et américains sont diffusés à tour de rôle, sans que l’on puisse
constater de véritable contraste entre les deux.
C’est seulement lorsque l’on discute avec des Turcs rencontrés au hasard que l’on peut
vraiment se rendre compte de ce qui nous différencient plus substantiellement. Les tendances lourdes
de la société turque entrent en effet en contradiction avec celles défendues par l’Europe. Ainsi, j’ai pu
écouter à de nombreuses reprises des chauffeurs de camions turcs, stoppés à l’occasion du trajet d’un
week-end, soutenir l’immoralité de l’Europe face à une Turquie de plus en plus intransigeante sur le
plan des mœurs. L’Union, dont les infrastructures aussitôt passée la frontière bulgare font pales figures
face aux chantiers géants des Turcs, ne fait plus rêver. La fierté nationale turque, quasiment
indécelable parmi les étudiants de Koç, est très présente chez les classes plus conservatrices. Pour
autant, l’identité turque est tourmentée par le conflit kurde. L’union nationale sur le sujet est
difficilement atteignable lorsque l’on sait que prêt de 20% de la population en Turquie est kurde. Si la
nature terroriste du PKK est indiscutable chez les Turcs, les Kurdes d’Istanbul sont bien plus critiques
sur la question. J’ai beaucoup échangé avec les gérants d’une petite enseigne de restauration kurde ;
ces derniers soutiennent un discours très différent de celui porté par des Turcs issus de milieux sociaux
pourtant semblables. La société turque, au-delà de sa division économique, incarnée par l’élite de Koç
University, est également divisée ethniquement. Pour un français qui a toujours vécu dans des milieux
relativement homogènes, ce fut une confrontation intéressante.
En plus d’être une année en Turquie, cette année fut une immersion dans le système Erasmus.
J’étais méfiant envers ce dernier car je pensais qu’il m’empêcherait d’être un étudiant intégré avec les
Turcs. Cette réflexion n’est pas fausse, mais il s’avère dans tous les cas difficiles d’échapper à la logique
Erasmus à moins d’avoir au préalable des points d’accroche avec le pays. N’attendant pas grand-chose
de cette expérience, je fus agréablement surpris et j’ai eu la chance de rencontrer des étudiants de
toute l’Europe et d’ailleurs. Nous avons beaucoup échangé et j’ai pu réaliser ce que signifie « être
Européen », en contraste avec « être Turc », mais aussi avec « être Américain ». J’ai constaté que
l’identité européenne, sans réellement exister, sans être vraiment reconnue par ceux qui la portent,
n’est pas pour autant une chimère. Il est difficile de restituer cette expérience, mais il est certain qu’elle
fut majeure.
Enfin, nous avons également eu la chance de partager notre collocation avec un Syrien d’Alep et
une Iranienne. Ils sont la preuve vivante de ce qui est ressassé dans les média depuis des années. A
Istanbul, certains quartiers sont connus pour être majoritairement habités par des réfugiés. La crise
migratoire se ressent très concrètement. Mais vivre directement avec un Syrien fut bien plus saisissant
encore. A son contact, on comprend que la Syrie n’était pas si différente de la Turquie (bien que plus
religieuse). Le désastre Syrien paraît moins loin de nos préoccupations lorsque l’on vit à Istanbul,
certainement un point commun avec Beyrouth. La géopolitique affecte directement le tout à chacun
dans ses régions, contrairement à une Europe qui n’est touchée que par le terrorisme, et à la marge
par la crise migratoire.
Le terrorisme est justement un dernier aspect qu’il est nécessaire d’évoquer après cette année à
Istanbul. Le climat a pu parfois être pesant à la suite d’attaque sur des lieux touristiques ou populaires.
La Turquie est un pays en guerre civile dans sa partie sud-est, et les attaques à Ankara et à Istanbul ont
été assez fréquentes au deuxième semestre. Toutefois, le total des victimes à Istanbul pour l’année
scolaire est bien inférieur à celui de Paris. S’il n’est pas agréable de « vivre avec le terrorisme », cela
reste le quotidien de million de personnes à travers le monde.
Arrivée à maturation ?
Sur le plan des connaissances pures, j’ai commencé à apprendre à Koç le traitement de
données et j’ai perfectionné ma maîtrise d’Excel. Mon projet de groupe du premier semestre a été très
instructif et j’ai conduit un projet au second semestre en me servant de ce que j’avais appris au
premier. Ma culture générale s’est renforcée. Au deuxième semestre, j’ai beaucoup appris sur la
politique en Turquie, dont les rebondissements pourraient faire l’objet de séries télévisées qui
n’auraient rien à envier aux productions américaines… Par ailleurs, l’histoire de la Turquie m’est
désormais familière. J’ai donc l’impression de bien connaître ce pays, peu de dimensions manquant à
ma culture.
Pour ce qui est de la langue, un des objectifs phares de ma 3A, le bilan est plus mitigé. J’ai
acquis un niveau B1, bien loin de la maîtrise parfaite que j’escomptais un peu naïvement en début
d’année. J’aurais pourtant suivi deux cours au deuxième semestre et voyagé seul en autostop afin de
parler un maximum. Ma conclusion est qu’il est difficile d’apprendre le turc en un an, à moins d’être
immergé dans ce cadre 24 heures sur 24. Mon anglais quant à lui, très imparfait au début de ma 3A,
c’est nettement amélioré. Mes amis et colocataires étaient britanniques, ce qui m’a fait beaucoup
progresser, sans doute plus que les cours dispensés tout au long de l’année à Koç.
Au niveau des compétences pratiques, je soulignerai que le coût peu élevé de la vie permet
d’apprendre à cuisiner avec des produits plus divers - une fois passée la période durant laquelle l’on
croit pouvoir manger dans la rue toute l’année. A Koç, j’ai pu reprendre le tennis, continuer le squash,
m’adonner au footing et au football. Par ailleurs, bien que cela fasse plus de 5 ans que je ne vis plus
avec mes parents, la vie dans une collocation de huit personnes m’a apporté des compétences
nouvelles, telles que la gestion des courses et le paiement des charges. En général, j’ai gagné en
autonomie.
Enfin, et comme je l’ai déjà évoqué, mes idées et mes préconceptions ont été bousculées tout
au long de l’année. Cela est dû au mix explosif de mon environnement Erasmus (particulier dans mon
cas), d’une Turquie en effervescence, et de voyages dans des pays stimulants, en premier lieu l’Iran.
De plus, je tiens à souligner l’importance du temps libre. C’est lui qui m’a permis de me plonger dans
des ouvrages et des réflexions que je n’aurais pas eu le temps d’approfondir auparavant.
Je suis ainsi plus critique envers le discours médiatique. J’ai également moins foi en l’Union
Européenne et son avenir. Je suis en revanche toujours aussi confiant dans la nature humaine, certain
que nos différences ne sont que le produit de systèmes et de structures qui ont parfois intérêt à nous
opposer.
Ces états d’âme n’ont malheureusement pas pour vertu d’aboutir sur un projet bien défini. Je
suis pour le moment incapable de me figurer ce que sera ma vie dans 5 ans. Tout au plus, j’ai acquis
une idée bien précise de ce que je ne souhaitais pas faire plus tard. Pour voir les choses positivement,
je désire avant tout être mobile pour les années avenir, en intégrant des structures de taille
raisonnable pour des causes que je défends. De là à dire que je suis arrivé à maturation, voilà un pas
que je ne franchirai pas, d’abord par pudeur, mais aussi car je préfère l’incertitude à une certitude
erronée.
En mars, j’ai choisi de m’orienter vers le double-diplôme en Affaires Européennes entre la Freie
Universität à Berlin et Sciences Po. Ce choix se justifie non pas par un amour de l’UE mais au contraire
par l’envie de questionner cette structure, pour mieux imaginer sa remise à plat. La dimension
recherche de ce master, particulièrement présente du côté allemand, m’attire spécialement. En
Turquie, on n’est jamais bien loin de l’Allemagne, et j’ai eu l’occasion de pratiquer mon allemand à de
nombreuses reprises, aussi bien avec des étudiants Erasmus qu’avec des Turcs. En outre, le lien entre
la Turquie, qui n’est décidemment pas prête d’entrer dans l’UE, et l’Europe, m’intéresse
particulièrement. C’est sur cet axe que j’entends travailler si je suis admis dans ce double diplôme. En
cas de refus, je pense me diriger vers les problématiques sociales du master Affaires Publiques ou bien
vers le numérique.
Conclusion :
Une 3A en Turquie est une 3A stimulante. Elle peut l’être sur le plan académique, elle l’est sur
le plan humain et culturel. Istanbul est une ville remuante et fatigante, qu’il ne faut donc pas assimiler
à une 3A sous le soleil. Tout ceci correspond à ce que je désirais pour cette troisième année. J’ai saisi
les opportunités qui m’ont été présentées, ce qui a contrebalancé mes déceptions au regard de
certains objectifs que je n’ai pas pu atteindre, dont en premier lieu l’intégration complète avec les
Turcs. J’ai renforcé mon anglais, bien que n’étant pas parti dans une destination anglo-saxonne, et j’ai
acquis des connaissances de turc assez solide pour continuer en master, ce que je vais faire. Cela ne
sera peut-être pas utile, mais il est tout de même probable que je retourne à Istanbul prochainement,
pourquoi pas dans le cadre d’un stage en année de césure. Sur le long terme, il m’est tout simplement
difficile d’y voir clair.
Cette année n’est donc pas une année de repos avant le master mais bien une année tremplin.
Evidemment, les longs week-ends et les voyages ont contribué à faire de cette expérience une année
très plaisante et souvent festive, mais toujours dans un contexte passionnant et atypique. Ainsi, j’ai
énormément apprécié cette expérience, et ne serait-ce qu’à ce titre, je la recommande.
Annexes :
Les procédures administratives :
L’entrée en Turquie nécessite un passeport ou la carte d’identité. Je ne recommande pas cette
dernière, ayant moi-même eu des difficultés à me déplacer avec. Avant l’expiration de votre durée de
séjour (90 jours) de préférence, vous devez acquérir l’Ikamet (permis de résidence). Il vous en coutera
une vingtaine d’euros (60TL). A Koç, la procédure est gérée d’un bout à l’autre par le bureau des
étudiants internationaux. Il suffit donc de rassembler les documents requis et de les donner à votre
mentor. Ce petit plus, propre à Koç, est tout à fait appréciable.
Il est par ailleurs recommandé de s’inscrire sur le site Ariane, celui des français à l’étranger. Il vous
informe des derniers évènements en Turquie. Vous pouvez également créer un dossier pour être
enregistré auprès du consulat.
Logement :
« Here is Turkey ! ». Voilà ce qu’a répondu mon propriétaire pour me signifier qu’aucun document
n’est requis pour la collocation. Autant dire que tout cela est rarement légal. Il est facile de trouver un
logement à Istanbul, attention toutefois, les prix pratiqués pour les étudiants Erasmus sont largement
supérieurs aux prix du marché. Sur les groupes Facebook tels que « Erasmus Istanbul Flats and
Flatshares », les arnaques pullulent. Une connaissance a remarqué au bout de quelques mois qu’il
payait trois fois plus que ces colocataires turcs. Ceux-ci profitaient des étudiants Erasmus pour alléger
le montant de leur propre loyer. De même, ne faites pas attention à la pression des propriétaires qui
affirment que dès le 3 septembre, toutes les collocations sont louées. Prenez votre temps pour
chercher et trouver la pépite.
Indications pratiques sur Koç et Istanbul :
Déplacement : Koç University se situe à proximité de la Mer Noire. Pour s’y rendre, il est nécessaire
d’aller au dernier arrêt de métro, puis de prendre au choix : une navette, un dolmus (minibus turc) ou
un bus. Parmi ces derniers, je recommande la navette puisqu’elle part désormais toutes les 15 minutes
pour un prix similaire que celui du dolmus, mais pour une durée deux fois moins longue. A la place de
30 minutes depuis le métro, il vous en faudra donc 15. Il suffit de se procurer la bonne carte de
transport à Koç. En général, si vous souhaitez habiter dans le centre-ville, je pense qu’il est plus
raisonnable de vivre prêt d’une station de métro, à savoir Taksim, Osmanbey, Şişli—Mecidiyeköy,
Gayreteppe. Au nord de ces stations, les quartiers deviennent chers et ils sont moins bien situés. Au
sud, vous êtes tout simplement loin de Koç. Les plus courageux iront vivre à Besiktas, voire Kabatas,
mais cela rallongera leur parcours d’une vingtaine de minutes.
Infrastructure et vie associative : à Koç, vous trouverez des terrains de foot, deux terrains de tennis,
un complexe sportif avec salles de musculation, terrains multisports, terrains de squash, mais aussi des
restaurants et des cafés, une « kafetaria » faisant office de cantine pour les moins fortunés, un
supermarché, une banque et même un coiffeur… Autant dire qu’il est possible de rester des semaines
entières sur le campus. En revanche, dès lors que les services sont payants, ils sont chers (relativement
aux prix turcs). La vie associative est active, avec de nombreux évènements parsemant l’année. Avec
les clubs de supporters, je suis allé voir deux matchs de Besiktas en coupe UEFA. J’ai aussi pris part à
des ateliers cuisines pour les Erasmus. Enfin, j’ai animé un cercle de conversation en français.
Coût de la vie : l’année a commencé avec un taux de change très favorable : 1€ = 3,4TL. Il est resté bon
jusqu’à maintenant, se stabilisant autour de 1€ = 3,2TL. Ainsi, vous pouvez manger dans la rue pour
6TL, prendre un thé pour 1TL, acheter un t-shirt quelconque pour 10TL, vous désaltérer avec une pinte
au bar pour 12TL... Traverser le pays d’est en ouest en bus vous coutera 100TL (pour 1500km) - bien
que l’autostop se pratique très bien en Turquie. Le logement lui, vous coutera de 600TL dans des
quartiers tels que Şişli—Mecidiyeköy, jusqu’à 1200TL pour les endroits les plus prisés. Pour ma part,
mon loyer était de 750TL (240 euros) par mois et je dépensais entre 1000TL et 1300TL (300-400 euros)
pour le reste, voyages compris (excepté les billets d’avion). La bourse Erasmus était d’un total de 1600
euros environs. Elle a été créditée sur mon compte en décembre.
Voyages :
Weekends : Mes destinations pour un weekend ont été : Bucarest, Izmir, Efes et Pamukkale, Bursa,
Sile (mer noir).
Une semaine : dans le cadre des vacances religieuses de septembre (Bayram Kurbani), je suis allé à
Antalya et ses environs en passant par Izmir. En novembre, je suis parti une dizaine de jours en Géorgie
et en Arménie, destinations que je recommande - si possible lors de saisons plus chaudes. Avant mon
voyage en Iran, je suis allé une semaine en Bulgarie en passant par Edirne. Pour Spring Break enfin, j’ai
parcouru la côté de la Mer Noire, région méconnue des touristes étrangers mais appréciée des Turcs.
Voyage d’hivers : après ma semaine en Bulgarie, je suis parti une vingtaine de jours en Iran. Pour y
aller, nous avons traversé la Turquie, ce qui n’est pas forcément judicieux car la procédure pour
acquérir le visa fut longue et couteuse, alors qu’il est possible de l’obtenir directement et à moindre
frais à l’aéroport de Téhéran. A ce jour, ce fut mon voyage le plus marquant.
Voyage d’été : Il est en cours de préparation à l’heure où j’écris ces lignes. Il s’agit de se rendre
d’Istanbul jusqu’au Kirghizistan en autostop (juin-juillet). Notre trajet, qui reproduit (imparfaitement)
la route de la soie, évite la route du sud, qui passe par l’Iran et Turkménistan, notamment car elle
nécessite de nombreux visas. La route du nord, qui implique la traversée de la mer Caspienne, ne
requiert l’acquisition que d’un visa : celui de l’Azerbaïdjan.
Jean SUBTIL

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