Représentations du handicap mental au sein des collectivités

Transcription

Représentations du handicap mental au sein des collectivités
Représentations du handicap mental
au sein des collectivités territoriales
Étude commanditée par L’AEIM-Adapei 54
Synthèse
CoralieVincent
Sous la direction de Madame Ingrid Voléry, Maitre de conférences
Sous le tutorat de Monsieur Gilles Dupuits, Directeur Général de l’AEIM-Adapei54
Master Expertise et Interventions sociologiques
Université Nancy II
Janvier à Juillet 2010
L’étude présentée dans le rapport, ci-joint, fait suite à une demande de l’association
départementale AEIM - Adultes Enfants Inadaptés Mentaux de Meurthe et Moselle. Cette
demande a pour objet la sensibilisation des collectivités territoriales1 aux spécificités du
handicap mental.
L’AEIM est une association qui a été créée en 1957. Dès 1960, elle s’inscrit dans un grand
mouvement national, l’Unapei2, qui fédère des unions départementales. L’AEIM y adhère
depuis sa création.
Cette demande de l’AEIM découle d’un double constat :
 Les collectivités territoriales ne sont pas accessibles aux personnes handicapées
mentales.
 L’AEIM méconnaît les actions entreprises en ce sens par les collectivités.
L’objectif fixé est double :
 Faire connaître le handicap mental et ses besoins spécifiques à ces collectivités
territoriales
 Réaliser des partenariats entre ces mêmes collectivités et l’AEIM, afin de rendre la
ville plus accessible à ces personnes.
La commande qui en résulte est donc de cerner de manière plus précise :
 Les représentations du handicap mental que développent les personnes au sein de ces
collectivités.
 Les motivations et freins de ces mêmes personnes, face à l’accueil d’une personne
handicapée mentale.
 Les logiques organisationnelles internes à la collectivité.
Pour ce faire, nous avons mené des observations au sein des commissions communales
d’accessibilité, des entretiens individuels et un grand nombre d’entretiens collectifs, c'est-à1
Tout au long de ce rapport, nous emploierons le terme de collectivité territoriale dans le sens d’entité
administrative française, distincte de l'administration de l'État, qui doit prendre en charge les intérêts de la
population d'un territoire précis. Il s’agit des communes du département de la Meurthe et Moselle dans leur
globalité, que nous considérons ici comme des entités politiques, juridiques et géographiques. 2
Union Nationale des Associations de Parents d’Enfants Inadaptés qui a évolué en Union Nationale des
Associations de Parents et amis de personnes handicapées mentales. Elle existe depuis 50 ans et représente
60 000 familles adhérentes, 600 associations, 3 000 établissements et services gérés, 180 000 personnes
handicapées mentales accompagnées, 75 000 professionnels employés. 2
dire des groupes de réflexions avec les élus et les agents de la collectivité territoriale. Au
final, ce sont 25 collectivités territoriales sur le département de la Meurthe et Moselle qui ont
été interrogées. Elles sont de bords politiques différents, de tailles différentes et issues de
circonscriptions différentes (cf. Éléments de méthodologie en annexe du rapport).
Il est important de prendre en compte l’histoire du handicap (cf. partie 1 du rapport), pour
comprendre comment et pourquoi des associations comme l’AEIM sont devenues ce qu’elles
sont aujourd’hui à la fois un porte-parole, un expert et un gestionnaire. L’histoire permet de
mesurer l’évolution d’une société qui est passée en 50 ans, d’une volonté de ne pas se soucier
au quotidien du handicap mental à une euphémisation3 de la différence.
L’association, dont le fondement juridique a été instauré par la loi de juillet 1901 a été la
forme de regroupement la plus employée dans le champ du handicap. Les premières
associations, représentant le handicap mental, sont à l’initiative de parents « pionniers » qui,
en recherchant des informations, des soutiens pour leurs enfants ont mutualisé leurs
compétences, leurs réponses, leurs initiatives et contacts.
L’objectif initial des associations était la prise en compte par les pouvoirs publics de la
nécessité de proposer aux personnes handicapées et à leurs familles des modes de prise en
charge et d’accompagnements adaptés. Ce sont les associations qui, par leur force, leur
pugnacité, ont amené la puissance publique à apporter des réponses à leurs préoccupations.
Cette volonté a abouti à la création de liens étroits entre ces associations et les pouvoirs
publics. Cela a demandé de trouver un équilibre entre « autonomie associative » et
« légitimité politique ».
Actuellement, la mise en place de la loi n° 2009-879 HPST du 21 juillet 2009 oblige les
associations à revenir à cette fonction politique de contre-pouvoir pour éviter leurs éventuelles
disparitions. En effet, la place des associations est modifiée à plusieurs niveaux, et en
particulier au niveau de leur représentativité et de la nouvelle procédure d’autorisation des
établissements médico-sociaux par appels à projets.
Dans ce contexte le lien aux collectivités territoriales apparait comme un véritable enjeu pour
l’AEIM. Cette dernière peut en effet constituer un soutien dans la mise en œuvre des
transformations souhaitées par la loi sur le handicap (cf. partie 1 du rapport).Les
3
Tendance à l’utilisation d’euphémismes dans toutes formes d’expression. 3
collectivités perçoivent les éventuelles interventions de l’association comme une opportunité
de mettre en pratique plus rapidement et simplement les directives de la loi n° 2005-102 du 11
février 2005 : notamment sur le point de l’accessibilité à tout et pour tous, quelque soit le
type de handicap.
Il fallait donc étudier les représentations actuelles des collectivités territoriales pour connaître
les points et les freins sur lesquels il faut agir afin de permettre à la personne handicapée
mentale d’être reconnue et de pouvoir avoir un accès à la ville, tel que l’exige la loi de 2005
(cf. partie 2 du rapport). Différentes représentations sont identifiées (Cf. figure N° 1).
Figure N°1 : « Les pôles de représentations autour des handicapés mentaux »
Axe 2. Conceptions du service
public
Égalité de traitement :
Traiter identiquement
Agents
Fou
Axe 1. Représentations des handicapés
mentaux
Adulte
Enfant
Élus
Égalité des chances :
Compenser les difficultés
Ces représentations sont d’autant plus importantes qu’elles vont structurer les pratiques
d’accueil de la collectivité territoriale et qu’elles vont fortement peser sur la manière dont les
4
collectivités territoriales pensent l’accessibilité ou l’accueil de la personne handicapée
mentale. C’est ce que nous montre le tableau numéro 2.
5
Tableau N°2 : Tableau récapitulatif des représentations sur les handicapés mentaux
6
Représentations
Un «fou»
Un enfant
Un adulte
Actions
Comment réagissent les
personnes interrogées
lors de l’accueil d’une
personne handicapée
mentale ?
- Mise en place de
stratégies d’évitement,
de mise à distance,
- Tenter de se
débarrasser rapidement
de l’usager handicapé,
-N’invite pas l’usager
handicapé à s’avancer,
- Position
d’observation
- Rester sur la
défensive
- Veiller à ce qu’il n’y
ait pas d’engagement
pris par l’usager
- Veiller à ne pas le
contrarier
Égalité de traitement
- S’adresser à l’usager
- Parler doucement,
handicapé comme à
- Guidance physique
n’importe quel usager
- Faire à sa place
Égalité des chances
- Répéter les mêmes
- Adapter sa posture
informations plusieurs
professionnelle, en
fois,
prenant en compte les
- Utiliser un vocabulaire capacités et limites
infantile et simple,
supposées de l’usager
- Tutoyer,
handicapé,
- Mettre de la couleur
- S’assurer que l’usager
handicapé a bien
assimilé les
informations
Égalité de traitement
Effets pervers ?
problèmes posés
Points à travailler
- Passer à côté des
besoins de l’usager,
- Sentiment de rejet de
la part de l’usager,
-Processus
d’isolement,
- Une qualité d’accueil
en fonction du profil de
l’usager,
- La non prise en
compte de la personne
handicapée mentale,
- Les freins à
l’autonomisation, ce
qui peut engendrer des
attitudes violentes.
- Passer à coté des
besoins de l’usager,
- Passer à coté des - Mettre l’usager en
besoins de l’usager
difficulté,
- Engendrer un
Manque
de
« malaise »
considération de la
Égalité des chances
personne et de ses
capacités
- Indisposer l’usager
handicapé en « en
faisant trop »,
- Risque que l’usager
se sente perdu dans une
masse d’informations
Égalité de traitement
- La non prise en
compte de la personne
handicapée mentale,
- Les freins à
l’autonomisation, ce
qui peut engendrer des
attitudes violentes.
- Faire un effort pour
adapter sa posture
professionnelle
Égalité des chances
- Avoir le souci
d’utiliser un langage
simple
- Reformuler
différemment
7
L’ignorance importante des spécificités et de l’accessibilité nécessitent de mettre en place des
actions réfléchies et adaptées au public et à ses attentes (cf. partie 3 du rapport). Partant d’une
proposition initiale qui se voulait seulement de sensibilisation, l’étude conduite souligne au
contraire la nécessité de créer des groupes de travail à la demande des collectivités
territoriales conscientes qu’elles ne devaient pas s’arrêter à une seule action de sensibilisation,
mais mener une réflexion plus large sur les problèmes que pose l’accessibilité de la personne
handicapée mentale.
Même si l’approche du handicap mental s’est avérée différente selon qu’il s’agissait d’élus ou
d’agents territoriaux présents aux entretiens menés, il y a un intérêt commun à mettre en place
des groupes de travail pour faire évoluer les mentalités et bouger les postures
professionnelles. Ces groupes de travail permettront d’aller plus loin dans l’analyse des
discours, des élus et agents, ces derniers seront alors acteurs et porteurs de leur démarche.
L’association pourra identifier les freins et les motivations des membres des collectivités
territoriales et par conséquent leurs besoins et attentes de l’association.
Il est primordial de monter des actions ciblées aux attentes et aux besoins des collectivités
territoriales, en tenant compte de ce que nous venons de voir, leurs représentations, leurs
motivations et leurs freins. (Cf. tableau N°3). Afin que la personne handicapée mentale soit
un
citoyen
à
part
entière
avec
un
accès
à
la
cité.
8
Changer représentations
et pratiques du handicap mental
Intitulé
de la
piste
Degrés
d’urgence
pour la
mettre en
place
Fiche
N°1
Fiche
1
N°2
Fiche
Étayer le rôle des
représentants de
l’association
Élaborer des
partenariats
N°3
Fiche
N°4
Fiche
N°5
2
2
Points positifs
Freins
- Faire connaitre le handicap - Prendre le temps d’identifier
mental, ses spécificités et ses les besoins et attentes de
différences.
chacun selon sa posture
professionnelle, son vécu, sa
- Répondre à une demande
mission professionnelle,
des collectivités territoriales
demande de l’investissement
en termes d’apprentissage.
et un temps de préparation au
préalable important
- Les groupes de travail
permettent de mener une
- Changer son regard sur le
réflexion plus large sur
handicap
différents aspects du
handicap et d’y faire
- Rechercher des savoir- faire
participer différents
concrets à faire passer, pour
professionnels afin que
que chaque membre de la
chacun soit acteur dans la
collectivité territoriale puisse
collectivité territoriale.
s’y identifier.
- Accompagner une
collectivité territoriale sur le
long terme, pour mettre en
place une politique
Distance de certaines
d’accueil adaptée au
collectivités territoriales à la
handicap mental.
question du handicap
- Tester des nouvelles
interventions.
- Mutualiser des moyens
- Remobiliser les
représentants de
l’association autour d’un
projet commun.
- Réinstaller les représentants Difficultés internes liées au
dans leur rôle.
recrutement de bénévoles
- Permettre une
reconnaissance du handicap
mental dans les lieux
décisionnels.
Figure N°3 : Les pistes de réflexions et d’actions
Légende : Niveau de 1 à 3. 1 est le plus urgent à mettre en place.
9
Introduction
L’étude que nous allons présenter dans le présent rapport fait suite à une demande de
l’association départementale AEIM - Adultes Enfants Inadaptés Mentaux de Meurthe et
Moselle. Cette demande a pour objet la sensibilisation des collectivités territoriales1 aux
spécificités du handicap mental.
Par commodité de langage, l’association utilise le terme de « handicap mental » mais
ce qui préoccupe l’association est bien la « déficience intellectuelle»2. Cette commodité
langagière sera utilisée tout au long de ce travail : les termes « déficients intellectuels »,
« handicapés mentaux » seront utilisés l’un ou l’autre dans l’acception de « déficients
intellectuels ».
L’AEIM est une association loi 1901,qui a été créée en 1957. Dès 1960, elle s’inscrit
dans un grand mouvement national, l’Unapei3, qui fédère des unions départementales.
L’AEIM y adhère depuis sa création. L’Unapei est la première fédération d’associations,
composée de parents, d’amis et de personnes handicapées mentales. Ensemble, ils œuvrent
pour la représentation et la défense des intérêts des personnes handicapées mentales.
« L’Unapei est un mouvement familial regroupant des militants, qui cherche à promouvoir la
personne handicapée mentale en tant que citoyen, en tant que Personne, par le biais
d’actions »4.
Les associations affiliées à l’Unapei agissent pour répondre aux besoins et aux attentes
des personnes handicapées mentales, favoriser leur insertion et leur permettre de vivre
dignement avec et parmi les autres. L’Unapei fédère près de 600 associations présentes au
1
Tout au long de ce rapport, nous emploierons le terme de collectivité territoriale dans le sens d’entité administrative française, distincte de l'administration de l'État, qui doit prendre en charge les intérêts de la population d'un territoire précis. Il s’agit des communes du département de la Meurthe et Moselle dans leur globalité, que nous considérons ici comme des entités politiques, juridiques et géographiques. 2
Chaque mot renseigne sur quelque chose. Le « handicap mental » ne dit rien sur l’origine du handicap, alors que « la déficience intellectuelle » explicite bien la cause. Il est important de faire la distinction entre la déficience intellectuelle et la maladie mentale. Néanmoins, dans les deux cas il y a handicap. Le terme « handicap mental » est utilisé ici comme une commodité de langage, une habitude prise par l’Unapei, nous nous y conformons donc en n’oubliant pas de souligner que l’AEIM n’accompagne et ne prend en charge que les personnes atteintes de déficience intellectuelle. 3
Union Nationale des Associations de Parents d’Enfants Inadaptés qui a évolué en Union Nationale des Associations de Parents et amis de personnes handicapées mentales. Elle existe depuis 50 ans et représente 60 000 familles adhérentes, 600 associations, 3 000 établissements et services gérés, 180 000 personnes handicapées mentales accompagnées, 75 000 professionnels employés. 4
Régis Devoldère, président de l’Unapei de 2000 à 2010. niveau régional (Urapei5), au niveau départemental (Adapei6, Udapei7, Association tutélaire)
et niveau local (Apei8, Papillons Blancs, Chrysalide, Envol…).
L’AEIM est une Adapei qui obtient, en 1963, la reconnaissance d’Utilité Publique9, ce
qui lui confère davantage de légitimité dans le secteur médico-social.
A ce jour, elle est ainsi la troisième Adapei de France, gère 34 établissements
spécialisés répartis sur les 6 territoires du département10, comptabilise 3000 prises en charges,
et compte près de 1000 adhérents et 1300 professionnels. Son objet social est de répondre aux
besoins des personnes handicapées mentales et à ceux de leurs familles. Elle veille à rester le
plus proche possible des familles et des lieux de vie sociale de la personne en situation de
handicap mental. L’association est donc à la fois une force économique et sociale importante
du département (10ème entreprise régionale et 3èmeemployeur de Meurthe et Moselle).
En 2008, l’AEIM engage une campagne d’information sur un programme
« Accessibilité et handicap mental ». Cette campagne découle de la loi n° 2005-102 du 11
février 200511, plus particulièrement de ses articles relatifs à l’accessibilité. En effet,
l’obligation faite aux collectivités territoriales de rendre l’environnement accessible aux
personnes en situation de handicap se limite bien souvent à l’aspect architectural de
l’accessibilité et aux personnes en situation de handicap moteur ou sensoriel. Ce point de vue
est fortement relayé, dans les commissions d’accessibilité, par les handicapés physiques qui,
contrairement aux déficients intellectuels, sont en capacité de se représenter eux-mêmes dans
les différentes instances, alors que les déficients intellectuels sont représentés par leurs
tuteurs. Ce type de représentation « indirecte » des handicapés mentaux génère des questions
sur sa légitimité par rapport aux autres catégories de handicap : les parents représentent-ils
leurs enfants ou alors défendent-ils leurs propres intérêts au détriment de ceux de leurs
enfants ? C’est donc pour affirmer la légitimité de cette représentation et la spécificité de
5
Union Régionale des Associations de Parents et amis de personnes handicapées mentales. Association Départementale d’Amis et de Parents d’Enfants Inadaptés. 7
Union Départementale de d’Amis et de Parents d’Enfants Inadaptés. 8
Association de Parents et amis de personnes handicapées mentales. 9
Les associations reconnues d’Utilité publique par décret en Conseil d’État, ont des critères exigés par le
ministre de l’Intérieur de durée de fonctionnement (3 ans minimum), de budget (70 000 euros ou plus) et de
nombre d’adhérents (200 au moins). Elles peuvent recevoir des dons et des legs, sont soumises au contrôle
financier de la Cour des comptes et peuvent accomplir tous les actes de la vie civile.
10
Territoire de Longwy, territoire de Briey, territoire du Val de Lorraine, territoire de Nancy couronne, territoire
Terre de lorraine, territoire Lunévillois. 6 territoires pour répondre aux besoins des personnes handicapées et de
leurs proches dans chaque bassin de vie. 11
Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. 6
l’accessibilité pour les personnes déficientes intellectuelles que l’AEIM a engagé ces actions
de sensibilisation.
L’AEIM a organisé sept commissions12 dont les objectifs sont définis autour du programme
S3A13 (Symbole d’Accueil, d’Accompagnement et d’Accessibilité) symbolisé par ce
pictogramme :
Picto
S3A.jpg
Il représente l’accompagné (la personne
handicapée mentale) dans la lumière et
l’accompagnant dans l’ombre (de profil).
Cette campagne s’articule avec une campagne nationale lancée par l’Unapei « Les victoires de
l’accessibilité ».La demande que nous a faite l’AEIM s’inscrit donc dans cette campagne, qui
depuis 2009 est entrée dans une phase plus active avec la mise en place d’« actions de
sensibilisation ». L’objectif de ces dernières est de sensibiliser le personnel des
administrations et collectivités territoriales de Meurthe et Moselle au handicap mental. Elles
se réalisent par le biais d’interventions et de partenariats, selon le modèle développé par
l’Unapei dans sa campagne nationale.
Cette demande de l’AEIM découle d’un double constat :
 Les collectivités territoriales ne sont pas accessibles aux personnes handicapées
mentales.
 L’AEIM méconnaît les actions entreprises en ce sens par les collectivités.
L’objectif fixé est double : faire connaître le handicap mental et ses besoins spécifiques à
ces collectivités territoriales et réaliser des partenariats entre ces mêmes collectivités et
l’AEIM, afin de rendre la cité plus accessible à ces personnes.
La commande en résultant est donc de cerner de manière plus précise :
 Les représentations du handicap mental que développent les personnes au sein de
ces collectivités.
12
Dont les objectifs sont de favoriser les échanges, la réflexion et de promouvoir le pictogramme S3A autour
d’un programme de recherche-action en 7 axes : les centres commerciaux – la prévention en matière de santé et
les soins – les transports urbains – les établissements AEIM – les clubs sportifs – la culture et pratique artistique
– la reconnaissance des acquis professionnels. 13
Pictogramme normé depuis mai 2000, par l’AFNOR sous le nom S3A. Il a la même légitimité que le logo
bleu et blanc représentant un fauteuil roulant et signifiant l’accessibilité au handicap moteur, par exemple.  Les motivations et freins de ces mêmes personnes, face à l’accueil d’une personne
handicapée mentale.
 Les logiques organisationnelles internes à la collectivité.
La finalité de l’intervention est de créer un lien entre le domaine politique (les
élus communaux, territoriaux, conseillers généraux voire régionaux) et l’association. Il
s’agit de cibler la sensibilisation sur des instances publiques, dans le souci de permettre
l’apprentissage de « savoirs faire », de « savoirs agir » et de « savoirs être ». Élaborer avec
elles des processus d’accueil et d’accompagnement adaptés à la personne handicapée mentale,
afin de rendre le site le plus accessible possible à sa déficience, sera l’aboutissement de la
démarche. Il s’agit donc bien d’aider les collectivités à penser et à mettre en place une
politique d’accueil à destination des déficients intellectuels. Ceci impose d’une part, de
distinguer les divers types de handicaps et d’autre part, de connaître les spécificités du
handicap mental.
Lorsque les constats, à partir des trois points mentionnés plus haut, seront établis, différentes
interrogations nous permettront de faire des propositions de pistes de réflexions. Ces
interrogations sont les suivantes :
Quels axes de travail développer avec ces collectivités ?
Quelles collaborations peut-on mettre en place entre l’AEIM et ces collectivités ?
Quels outils construire pour sensibiliser le personnel des collectivités territoriales au
handicap mental ?
Quels aspects techniques développer pour promouvoir un accueil adapté aux déficients
intellectuels ?
La commande de l’AEIM s’inscrit dans différents contextes que nous allons décrire
dans une première partie. Nous y présenterons l’histoire du secteur associatif et ses relations
avec les pouvoirs publics14, les enjeux actuels pour les associations et, pour terminer, la place
de l’AEIM dans le paysage médico-social actuel et ses relations avec les collectivités
territoriales du département. Dans une seconde partie, nous exposerons les éléments
significatifs recueillis lors des observations et des différents entretiens réalisés, les
méthodologies de mise en œuvre étant développées en annexe15. La troisième partie devra
répondre aux questions posées plus haut, à partir de ces constats, afin d’élaborer des pistes de
14
Tout au long de ce rapport, nous utiliserons le terme de pouvoirs publics dans le sens d’entités administratives
et institutionnelles. 15
Annexes éléments de méthodologie (échantillon, entretiens, etc.) page 73. réflexions rendant plus adaptée aux personnes déficientes intellectuelles l’accessibilité des
collectivités territoriales. En effet, l’AEIM souhaite se placer comme une force de proposition
au sein du département.
C’est par un travail sur les représentations, c'est-à-dire les perceptions des professionnels
des collectivités territoriales sur le handicap mental, qu’il sera possible de repérer les
dénominateurs communs susceptibles d’évoluer, et de proposer des pistes de réflexions et
d’actions.
1. Le handicap mental :
Un objet méconnu
« La déficience concentre sur elle de nombreux registres, économiques,
symboliques, moraux, esthétiques, religieux, juridiques et morphologiques par
exemple, elle peut être pensée comme un fait social total. Sa spécificité
contribue en outre à perturber le cycle des réciprocités au sein des échanges sociaux »16.
Le sens commun réduit, le plus souvent, la notion de « handicap » à « handicap
physique », parfois à « handicap sensoriel », rarement à « handicap mental ». Les termes
« handicapés mentaux », « malades mentaux » sont confondus et employés indistinctement,
ancrés comme similaires dans l’imaginaire17. La polysémie du terme « handicapés mentaux »
oscillant entre d’un côté la figure de « l’enfant » — quelque soit l’âge — en état d’incapacité
et à surprotéger, et de l’autre celle de « l’adulte », en état de capacité, ouvre ainsi des champs
apparemment contradictoires dans les possibles représentations.
Plusieurs questions auxquelles nous nous efforcerons de répondre dans cette partie s’imposent
à ce stade de notre étude : Comment les personnes interrogées s’expriment-elles,
spontanément ou après relance, sur ces sujets ? Comment, à partir de ces expressions,
hiérarchiser les réponses, en extraire les données communes, pour proposer des facteurs
explicatifs et des leviers de changement ?
2.1
Les perceptions du handicap
2.1.1 Du handicap en général
Les personnes interrogées ne définissent pas le handicap en des termes scientifiques,
mais plutôt en référence à leurs expériences quotidiennes, à des confrontations
occasionnelles ou encore à leurs vécus personnels. Descriptions en chaines d’instants dans
lesquels ils ont été amenés à porter un regard sur la personne handicapée et ont pu être
confrontés à leur propres peurs et méconnaissance.
Les travaux de sociologie de la santé18montrent que les représentations19de la maladie
sont toujours construites à partir de l’expérience personnelle et à partir du milieu social et
culturel de la personne. Ce constat peut se faire également avec le handicap : les entretiens
menés prouvent que les représentations des personnes interrogées sur le handicap sont
en adéquation avec leur propre vécu.
16
17
18
19
ALAIN BLANC, Le handicap ou le désordre des apparences, Armand colin, Paris, 2008. MICHEL FOUCAULT, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, Paris, 1976. CLAUDINE HERZLICH, Médecine, maladie et société, Armand Colin, Paris, 1970. Entendu dans le sens de « perceptions ». Afin, d’aider les personnes interrogées à se prononcer sur le handicap et sur des
situations rencontrées par les personnes handicapées, nous avons choisi et proposé onze
photos. Dans cet échantillon de photos, les quatre types de handicaps sont représentés :
handicap moteur, handicap mental, handicap visuel et handicap auditif. Nous avons
sélectionné ces photos car elles représentent chacune une situation différente : les personnes
handicapées sont seules ou accompagnées, dans une situation de la vie quotidienne, sur un
lieu de travail.
Face à ces photos, les personnes interrogées étaient invitées à s’exprimer sur ce qu’est le
handicap en général : comment le perçoivent-elles ? Comment le définissent-elles ? Quelles
images les dérangent, les perturbent ? Lorsqu’elles entendent les termes « personnes
handicapées » quelle image s’impose à elles ?
1
2
4
3
5
7
6
8
10
9
11
Ce qui ressort en premier lieu de ce travail est que le « handicap » est usuellement
associé au handicap moteur. Ainsi, à la présentation des photos (ci-dessus), les personnes
interrogées sont unanimes pour définir la personne handicapée comme étant celles présentées
dans des fauteuils roulants (photos numéros 1, 6 et 10)
« Un fauteuil roulant c’est ce que l’on voit en premier »
D’emblée elles justifient leurs propos par une énumération d’actions, mises en place
par la collectivité, en faveur du handicap : des places de parking réservées aux personnes
handicapées, des abaissements de trottoirs, des diagnostics bâtis, des portes d’entrées
automatiques, des ascenseurs, des rampes, des bandes podotactiles au sol, etc. Autrement dit,
il s’agit d’actions principalement en faveur du handicap moteur, et dans une moindre mesure
en faveur du handicap sensoriel.
Les personnes interrogées évoquent notamment des actions concrètes mais
surtout visibles par tous et qui s’imposent comme des évidences. Ces actions sont
justifiées par le fait que, pour les collectivités territoriales, la personne handicapée est
majoritairement définie comme une personne qui « a quelques difficultés à vivre son
quotidien », un quotidien que la collectivité a le devoir de simplifier, selon la loi n° 2005-102
du 11 février 2005.
La mise en place de ces actions est, dans la plupart des collectivités, la conséquence des
dispositions légales à prendre avant 201520. A noter qu’en décembre 2009, ces mêmes
collectivités ont dû rendre un diagnostic bâti et une expertise de leurs locaux municipaux au
gouvernement, afin d’estimer le coût financier des travaux à réaliser en faveur de
l’accessibilité.
La notion d’accessibilité est donc définie essentiellement sous l’angle du handicap moteur et
de ses spécificités :
« Le fauteuil roulant doit pouvoir accéder partout, et en prenant le même chemin que
les personnes valides »
« C’est aller où on veut quand on veut »
« C’est mettre tout en adaptation »
20
Date d’application de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005. Cette association au handicap moteur est accentuée selon le type de service enquêté. Les
structures telles que la direction départementale de l’équipement ou encore les unités
d’accessibilité territoriales scindent le handicap selon leurs propres compétences d’actions.
Si tous s’accordent sur cette assimilation « handicap moteur / handicap mental », les
personnes interrogées se distinguent néanmoins, selon leurs représentations de leur mission de
service public, perçue tantôt comme un traitement uniforme, tantôt comme un traitement
différencié, afin de compenser les difficultés.
Les avis des personnes interrogées sont en effet partagés. Certaines personnes pensent que
l’accessibilité devrait passer inaperçue, sans stigmatiser la personne handicapée comme par
exemple : passer par une porte d’entrée différente de la porte principale. D’autres pensent, en
revanche, que toute accessibilité demande un effort et que par conséquent l’accessibilité ne
peut pas passer inaperçue étant donné les chantiers bâtis qu’elle entraîne.
Nous remarquons ici une tension importante, qui va structurer l’ensemble des
attitudes vis-à-vis du handicap. Cette tension s’enracine dans deux conceptions du
service public :
-
La première est issue des différentes approches politiques et sociologiques en
faveur du handicap du début du XXème siècle jusque dans les années 198021 : elle
implique de traiter de manière identique l’ensemble des personnes.
-
La seconde consiste à traiter de manière différente les personnes, pour
compenser les inégalités dont elles peuvent être victimes du fait de leur handicap.
Chaque conception représente un accompagnement différent pour les personnes
handicapées mentales. Il s’agit ici de données théoriques que nous reprendrons plus loin
dans l’analyse, afin de présenter les conséquences pratiques.
Cette tension n’est pas propre au handicap, puisqu’elle se retrouve par exemple dans le cas
des rapports hommes femmes ou dans tous types de rapports sociaux. Les actions de
discriminations positives auprès des milieux populaires pour permettre aux enfants de suivre
des études supérieures en sont une illustration. Ces débats de discriminations positives en
faveur des classes populaires s’opposent aux principes de l’égalité de traitement par exemple.
21
CORALIE VINCENT, Les politiques du handicap à l’épreuve du terrain, Mémoire de Sociologie M1, Nancy 2,
2009. Au-delà des perceptions générales du handicap qu‘ont les personnes interrogées, nous allons
analyser les représentations du handicap mental dans la sous-partie suivante.
2.1.2 Représentations du handicap mental
« Qu’est-ce que le handicap mental ? »
Cette question provoque de l’embarras, un temps de réflexion est alors nécessaire pour
y répondre car si pour certains la réponse est évidente (« il s’agit de ceux qui ont un handicap
au cerveau »), pour d’autres, ce constat n’est pas aussi avéré. En effet, avoir une image
personnelle de la personne handicapée mentale ne suffit pas à en faire une définition et encore
moins à l’énoncer en public.
Chacun fait appel à ses propres expériences et références pour définir le handicap mental.
L’image générale énoncée, pour le décrire est souvent la trisomie 21 et l’autisme profond.
« Le handicap mental est souvent représenté à travers la trisomie et l’autisme »
« C’est comme Duquenne22 dans le huitième jour, c’est toujours lui que l’on voit ! »
Cette perception du handicap mental n’est pas anodine. Elle montre que les personnes
interrogées associent le handicap mental aux difficultés de communication, de
compréhension du fonctionnent institutionnel et des attentes en termes de normes
sociales.
Nous la retrouvons dans d’autres propos :
« On ne peut pas trop discuter avec un autiste… ! »
Ces perceptions sont celles qui sont relayées dans les médias. Le handicap mental est souvent
présenté sous l’image de la trisomie 21, de l’autisme ou du polyhandicap, des images qui ne
suscitent pas beaucoup d’interactions possibles ou d’autonomie réelle.
Il semble difficile pour les personnes interrogées de distinguer les différents types de
handicaps mentaux.
En effet, à aucun moment il nous a été précisé que la personne handicapée mentale pouvait
aussi être celle que nous ne remarquons pas immédiatement et qui peut faire seule ses
22
Acteur du film Le huitième jour atteint d’une trisomie 21.Le Huitième Jour, film belge, Jaco Van Dormael,
1996. démarches personnelles (courses, changement d’adresse, opérations financières, etc.) et qu’il
existe plusieurs niveaux dans la déficience intellectuelle.
Bien que le thème de l’intégration ne fût pas inscrit au cahier des charges et dans la grille
d’entretiens, les personnes interrogées, spontanément, mettent en parallèle intégration –
autonomie et handicap. Elles s’approprient ainsi le discours dominant qui est transmis par
les médias.
« On ne connait pas bien ce type de handicap et on ne sait pas comment intégrer ces
personnes »
« L’intégration est certainement possible mais sous une forme différente »
« Quand le handicap est lourd à regarder, il est moins intégré »
« Ce sont des personnes que l’on ne voit pas, elles sont enfermées dans leurs
établissements donc on ne peut pas les intégrer dans la ville »
Une des difficultés est d’expliquer qu’il ne s’agit pas ici de sensibiliser les collectivités
territoriales à l’intégration des personnes handicapées, mais qu’il s’agit de leur rendre
des lieux publics accessibles à leurs spécificités.
Pour les personnes rencontrées, l’intégration se définit en rapport avec le travail.
Par exemple, lors de la présentation des onze photos, un agent de mairie identifie les
personnes handicapées se trouvant sur un lieu de travail comme étant des personnes
« intégrées dans la société », un autre agent dit : « lui, avec la canne blanche et une cravate il
est sur son lieu de travail donc c’est qu’il est intégré et autonome ». Ces professionnels ne
font pas référence à l’intégration sociale ou communautaire. Pour ces derniers, l’intégration
est assimilée au secteur de l’entreprise « intégrer à un poste de travail », l’intégration se
définit dans le sens de se rendre utile dans la réalisation d’une tâche précise par exemple.
Néanmoins, pour les personnes interrogées, le travail en milieu protégé, exercé par une
personne handicapée mentale dans un ESAT par exemple, ne s’assimile pas à une intégration
sociale ou professionnelle. En effet, dans les représentations communes l’intégration
professionnelle passe uniquement par le milieu ordinaire, alors que pour un travailleur
handicapé il s’agit bien d’un travail à part entière. Dans les représentations communes, le fait
qu’il s’agisse d’un « travail adapté », éloigne la personne handicapée mentale des normes, des
cadres et des obligations professionnelles connues dans le milieu de travail ordinaire. Dans les
représentations communes, le travail protégé s’assimile à une occupation sans grande
productivité. Cette idée mériterait d’être analysée ultérieurement, tout comme le thème de
l’intégration pourrait faire l’objet d’une autre étude plus approfondie.
Pour les personnes rencontrées, l’intégration de la personne handicapée mentale est
évaluée en fonction de son niveau d’autonomie. Comme le montre le schéma numéro 1 cidessous, l’autonomie est ici définie comme une capacité à faire par soi-même, c’est-à-dire
sans l’aide d’un tiers. Or, comme nous avons pu le constater plus haut, et comme en témoigne
le schéma numéro 2 présenté ci-après, la personne handicapée mentale est définie comme une
personne inapte à faire seule une tâche, ce qui conduit à un manque d’intégration.
NB : Ci-dessous, nous présentons des schémas qui, comme les analyses précédentes, traduisent
uniquement les représentations des personnes interrogées.
Définition de l’intégration (Schéma N°1)
Évaluation de l’intégration de la personne handicapée mentale (Schéma N°2)
Les personnes interrogées ont le sentiment d’être dans l’incapacité de trouver
une norme et une logique, dans le comportement d’une personne handicapée mentale.
En effet, les attentes quotidiennes d’une population sont basées sur leurs références
personnelles et sur leurs valeurs : dire bonjour, dire merci, être poli, être rapide, être civilisé,
être discret, savoir prendre la parole, être audible, etc. Cette incapacité à classer la personne
handicapée mentale dans la société est renforcée par la méconnaissance des personnes
interrogées sur les spécificités de ce type de handicap.
Ici, nous mettons en avant deux idées :
-
Dans les discours recueillis, « intégrer » signifie « être autonome », ce qui indique
« faire seul ».
-
Dans la pratique, ce qui gêne les personnes interrogées, c’est l’infraction aux normes
d’interactions verbales et corporelles : tenir la distance de courtoisie, être poli, savoir ce qui
ne se fait pas en public, etc. Autant de situations qui gênent les professionnels de l’accueil, qui
sont les premiers à être confrontés aux usagers handicapés mentaux.
2.1.2.1
Une difficulté à repérer les comportements associés au
handicap mental
Un des premiers problèmes soulevés par les personnes interrogées est la difficulté à
identifier le handicap mental, ou tout simplement à reconnaître une personne handicapée
mentale.
« C’est un handicap caché, ce sont des personnes isolées»
« On ne les remarque pas »
En effet, un fauteuil roulant ou une canne blanche permettent d’identifier une personne
handicapée et de définir son type de déficience. Or, pour le handicap mental, il est beaucoup
plus délicat de déterminer le degré de déficience mentale, voire même de la percevoir.
Un second problème soulevé par les personnes interrogées est leur ignorance et leur
inexpérience au sujet du handicap mental. Nous avons même été amenés à constater que
certaines personnes ne souhaitaient pas approfondir le sujet et s’en tenaient à de simples
remarques :
« Faut dire que l’on n’en voit pas souvent, alors c’est dur à dire ! »
« Moi ça ne me choque pas »
« Ils ne me gênent pas »
Dans la mesure où les personnes interrogées ne savent pas définir le handicap mental, elles
n’en connaissent par conséquent pas les spécificités et ne peuvent pas adapter leurs attitudes,
leurs comportements, leurs actes et leurs pratiques sans tomber dans les préjugés et les peurs.
Lorsqu’elles sont invitées à s’exprimer, cela provoque une certaine gêne, de la confusion et
une stigmatisation de la personne handicapée mentale. Nous ressentons aussi une peur d’être
jugées sur les propos qu’elles emploieront.
Leurs peurs s’expriment en fonction des comportements parfois imprévisibles de la personne
handicapée mentale, aux comportements sortant de la norme sociale. Les élus et les
professionnels municipaux ne sont pas des populations qui ont pour habitude d’être
confrontées au handicap mental. L’ignorance des spécificités est donc un obstacle majeur
dans l’accueil de la personne handicapée mentale.
Cette ignorance des spécificités se retrouve dans les différentes représentations stéréotypées
du handicap mental, comme nous allons le voir dans les paragraphes suivants.
2.1.2.2
La mobilisation de représentations stéréotypées du
handicap mental
Quatre stéréotypes ont été identifiés dans les discours recueillis, il faut néanmoins
différencier les personnes qui assimilent le handicap mental au handicap moteur, de ceux
qui l’assimilent à des individus ne sachant pas se comporter en public par rapport aux
normes établies.
Comme nous l’avons expliqué précédemment, chaque personne a une vision
particulière de la personne handicapée mentale, de ses capacités et de sa place dans la société.
Dans cette sous partie, nous faisons figurer des extraits d’entretiens montrant quels
stéréotypes sont mobilisés pour définir la personne handicapées mentale, une manière de
coder ce handicap qu’elles ne maitrisent pas. Nous constatons alors que la personne
handicapée mentale interroge, intrigue. Elle est perçue comme une personne qui peut faire
peur, qui ne sait pas toujours se comporter en société et qui impressionne l’entourage. En
d’autres termes, elle apparaît comme un individu « ingérable et enfermé dans son centre ».

Premier stéréotype
Il apparaît très clairement que la personne handicapée mentale enfreint les codes
comportementaux attendus par la société actuelle23.
« Ce n’est pas simple de garder son calme, d’ailleurs quand on est à l’accueil on est mal à
l’aise, on ne sait pas comment se comporter »
« Les personnes handicapées mentales sont parfois violentes, en conflit, et cela peut être
ingérable, irrationnel, perturbant »
Ce stéréotype est davantage mobilisé par les agents de la collectivité territoriale.
2.1.2.2.1

Une confusion avec le handicap moteur
Second stéréotype
Comme nous l’avons décrit plus haut, lors de la présentation des photos, le handicap moteur
est désigné comme réponse à la question « pour vous, qu’est-ce que le handicap ? ». Cette
« grande tendance », constatée dans les entretiens, est de s’en tenir aux spécificités du
23
ERVING GOFFMAN, Les rites d’interactions, Paris, les éditions de minuit, 1967. handicap moteur et de placer le handicap mental dans un prolongement, un continuum, en
gommant les spécificités du handicap mental.
Il faut préciser que les personnes interrogées ne font pas forcément une confusion entre le
handicap moteur et le handicap mental, mais elles réalisent plutôt une réduction. Elles
réduisent un terme générique « handicap » à une de ses composantes « handicap
moteur » par exemple, prenant ainsi les spécificités du handicap moteur comme acquis pour
le handicap mental. Cf. « Pistes de réflexions et d’actions » 55 et 57 « Poursuivre la
sensibilisation au handicap mental » et « Répondre à une méconnaissance persistante ».
2.1.2.2.2

Spécificité des handicapsmentaux
Troisième stéréotype : « le fou »
Lorsque les personnes interrogées prennent en compte les spécificités des handicaps mentaux,
elles l’assimilent au « fou », c'est-à-dire au secteur de la maladie mentale,

Quatrième stéréotype : l’enfant
Ou au contraire, les personnes interrogées opposent cette vision du fou à celle d’un enfant,
qu’elles décrivent comme une personne unique.
Il y a donc deux profils à distinguer : ceux qui perçoivent la personne handicapée mentale
comme un « fou » (cf. profil 1) et ceux qui dissocient le handicap mental de la folie (cf.
profil 2). Il faut différencier ces deux perceptions car elles ne suscitent pas les même pratiques
professionnelles ; il y a la crainte d’un côté et l’infantilisation de l’autre.
Ces deux derniers stéréotypes étant les plus rencontrés, nous allons les développer dans le
paragraphe suivant.
2.1.2.2.2.1
Profil N°1 : La personne handicapée mentale assimilée au
« fou »
Comme nous l’avons décrit précédemment, l’incapacité à comprendre les logiques
suivies par une personne handicapée mentale et à connaître les normes auxquelles elle se
réfère, intrigue et dérange les personnes rencontrées. La personne handicapée mentale ne
rentre pas dans les cases légitimées par la société. Les personnes interrogées nous confient
être mal à l’aise en présence du handicap mental qu’elles confondent avec la maladie mentale,
provoquant les mêmes gênes.
Les personnes interrogées assimilent le handicap mental avec la maladie mentale
(schizophrénie, dédoublement de la personnalité, hallucination), une comparaison qui leur fait
peur et les tient à distance de la personne handicapée.
« Ce sont souvent des fous »
« On lit souvent dans le journal qu’ils ont agressé quelqu’un dans la rue »
« La dernière fois, ils disaient aux informations qu’un homme comme ça, avait poignardé
sa grand-mère »
Lorsque nous demandons « qu’est-ce qu’un homme comme ça ? », nous obtenons la
réponse suivante :
« Pas stable, qui se prend pour plusieurs personnes en même temps par exemple »
Nous voyons bien dans ces exemples d’entretiens que la confusion avec le « fou » est totale.
Étudiant les représentations sociales, Denise Jodelet explique que le discours tenu par ces
personnes est en adéquation avec les peurs que mobilisent la proximité et le contact avec cette
figure de l'altérité qu'est le « fou »24, c’est également le cas avec la figure du handicapé
mental.
« Ils sont peu maniables, violents, dangereux même. De sorte qu’il faut un certain courage
pour s’en occuper au quotidien »
« Attention, il pourrait s'énerver et devenir méchant, vous donner un coup »
« Ce sont des gens qui sont quand même pas comme tout le monde »
La personne handicapée mentale est décrite comme un individu inconscient de ses actes
certes, mais capable aussi d’actes violents, incontrôlables et agressifs.
Les personnes mobilisant ce stéréotype privilégient la mise à distance et l’isolement physique
de la personne handicapée.
« Dans chaque situation, on les accueille en les isolant et on les isole en les accueillant(…) ce
n’est pas bien, mais c’est plus prudent ».
Les objections sont faites en se basant sur la crainte :
« Rien qu'à leur figure, à leur apparence, ils me mettent mal à l’aise »
Les stigmates de la détresse physique et mentale confrontent parfois à l’étrangeté.
24
DENISE JODELET, Les représentations sociales de la folie, Paris, Puf, 1989. « Il y a un aspect Cour des Miracles qui est désagréable à regarder »
Le devoir de garder toute sa dignité en toutes circonstances est une norme dans notre
société, une manière de protéger la façade sociale. Lorsque cette norme se mêle à la crainte,
les réactions peuvent être excessives. Le spectacle des malades mentaux inquiète et devient
gênant pour soi lorsqu’il est public.
Denise Jodelet explique que face à la présence multiforme et incessante de la folie, se
constitue tout un savoir subtil pour élaborer une position défensive conduisant à ne pas « faire
attention » aux malades mentaux, et même à « ne plus les voir ».
D’une manière générale, le malade mental dérange et angoisse, de la même manière que le
handicapé mental, ils enfreignent tous deux les codes sociaux, c’est donc en toute logique que
ces deux cas sont confondus.
Il est important de souligner les points communs entre ces deux cas. Comme nous le
verrons dans la partie 3, sur les pistes de réflexions et d’actions, lors d’une sensibilisation il
sera important que le formateur insiste sur les distinctions entre la maladie mentale et le
handicap mental, deux cas peu connus et confondus dans les collectivités. Cf. « Pistes de
réflexions et d’actions » page 55 et 57 « Poursuivre la sensibilisation au handicap mental » et
« Répondre à une méconnaissance persistante ».
2.1.2.2.2.2 Profil N°2 : La personne handicapée mentale dissociée du
« fou »
Dans cette dissociation de la folie, la personne handicapée mentale est perçue comme
une personne à part entière. Les entretiens réalisés montrent qu’il y a deux sous-profils à
différencier : ceux qui considèrent la personne handicapée mentale comme un adulte restant
enfant et ceux qui considèrent la personne handicapée mentale comme un adulte connaissant
des difficultés spécifiques et singulières, voire une personne à « part entière ». Il faut, ici,
préciser qu’un enfant est aussi une personne à part entière et cette considération est
importante dans son éducation et dans le développement de son autonomie dans la mesure de
ses réelles capacités et compétences. Nous avons, dans ces représentations des personnes
« infantilisées » ou « adultisées 25», « incapables » ou « capables ».
 La personne handicapée mentale représentée comme un enfant
Après une confusion entre les handicapés mentaux et le « fou » apparaît une seconde
confusion celle de l’infantilisation.
« Ce sont des personnes qui ne réagissent pas et à qui on ne peut pas confier quelque
chose d’important »
En effet, un enfant en bas âge n’est pas capable de faire seul, il faut faire avec lui ou à
sa place, nous ne nous adressons pas à lui mais à son accompagnateur, il demande de
l’attention et de la surveillance, nous ne lui donnons pas de responsabilité, il peut être discret,
peureux, amusant, bruyant ou dérangeant, l’enfant n’a pas conscience de ses actes et des
conséquences possibles de ces dernier, etc. Pour les personnes interrogées, ces propos sont
applicables à la personne handicapée mentale, qui comme l’enfant apparaît comme une
personne incontrôlable dans ses actes.
« Quand ils viennent, ils sont toujours souriants, malgré leur handicap lourd…c’est
comme des enfants, ils ne s’en rendent pas compte ! »
Si nous poussons à l’extrême cette idée d’infantilisation, nous pouvons dire que
l’enfant n’a pas de place dans la société s’il n’est pas accompagné. Il en serait alors de même
pour la personne handicapée mentale, considérée comme un petit enfant à qui il est impossible
de confier des responsabilités ou de travailler comme un salarié ordinaire.
Cette perception du handicap mental a des conséquences sur les pratiques d’accueil de
la personne handicapée dans la collectivité territoriale. Les professionnels ont le réflexe de
s’adresser de manière infantile aux personnes handicapées qui viennent seules, et à celles qui
viennent accompagnées, ils s’adressent aux accompagnateurs, de la même manière que nous
nous adressons à un parent plutôt qu’à un enfant.
« Il faut être honnête ce sont des personnes qui ne seront jamais aptes à se prendre en charge
seules. Elles auront toujours besoin d’être accompagnées par leurs parents »
25
Néologisme pour décrire le fait d’être rendu adulte. Les personnes interrogées évaluent la personne handicapée mentale en fonction de son
incapacité à faire quelque chose seule.
Les personnes handicapées mentales ne sont pas des enfants, certaines ont des points
de vue sur ce qu’est l’autonomie, l’intégration ou le travail. Prenons l’exemple d’une jeune
femme handicapée mentale : l’autonomie est symbolisée par des références liées à la norme
sociale telles qu’être en couple, avoir un enfant et un appartement. S’il advient que cette
dernière est traitée comme un enfant, cela peut être vécu comme une violence symbolique,
voire plus fort encore, la personne se sentira dévalorisée, atteinte dans ses capacités et en
souffrira réellement et concrètement.
A chaque fois que des individus n’ont pas les capacités de « gouverner eux-mêmes
leurs actes », ils sont considérés comme des enfants, ce constat se fait aussi pour les
personnes âgées, ayant un niveau de dépendance importante ou une perte de repères
spatio-temporels, que nous assimilons à des enfants.
Tout comme dans le profil numéro 1, il est important de souligner les points communs
entre un enfant et une personne handicapée mentale, afin que la distinction entre ces deux cas
soit précisée lors d’une sensibilisation.
 La personne handicapée mentale représentée comme un adulte singulier
Les propos de ceux qui parlent des personnes handicapées mentales comme étant des
personnes « à part entière et singulière » s’inscrivent dans un registre compatissant et tolérant
et s’articulent autour de deux notions d’égalité. Nous retrouvons ici deux conceptions du
service public, comme entrevue dans la partie précédente.

L’égalité de traitement :
Cette notion de l’égalité concerne principalement des agents municipaux expérimentés dans le
service public. La personne handicapée mentale est perçue comme un égal, qu’il convient de
traiter de manière standardisée.
«Ça serait nos enfants, nos frères ou sœurs, on ne voudrait pas qu’on les traite
différemment »
« Quand j’ai signé mon contrat (…), mon chef m’a dit maintenant, ton travail c’est tous les
matins de faire au mieux (…), pour moi c’est traiter tout le monde pareil »
« On n’est pas aveugle, on voit bien qu’ils ont un souci mais on fait comme si on ne le
remarquait pas et on fait les mêmes gestes que pour le visiteur d’avant ou celui d’après »
« Bien sûr ce sont des handicapés, c'est une affaire entendue, mais enfin ils ne sont pas
transparents, ni forcément méchants, c’est une évidence »
« Il ne faut pas les traiter différemment, ça pourrait être nos enfants, et on souffrirait
du regard des gens dans la rue »
« Les gens qui sont contre ont tort, ils comprennent pas du tout, parce que ces gens-là c'est
des gens comme nous »
Lorsqu’il y a égalité de traitement, nous « gommons » le handicap, nous n’en parlons pas,
puisque l’usager n’est pas reconnu dans ses spécificités handicapantes mais uniquement
comme un citoyen ordinaire, la charge de travail est donc facilitée.
C’est un mode d’approche qui n’est pas adapté au handicap mental.
Un problème se pose puisqu’il faut néanmoins tenir compte des limites de compréhension et
d’action de la personne handicapée mentale.

L’égalité des chances :
Cette notion de l’égalité concerne principalement des élus qui défendent des idéaux pour leur
collectivité. Ils considèrent qu’il faut intervenir différemment avec une personne handicapée
mentale, afin de compenser ses difficultés.
« Comment peuvent-ils faire seuls une tâche ? Ce n’est pas possible. »
« C’est à nous de nous adapter, eux ils n’en n’ont pas les moyens »
Dans ce cas, les personnes interrogées prennent en compte le handicap avec ses techniques de
compensation, par exemple une prothèse auditive serait prise en considération.
Nous avons pu constater que ce sont des élus, c'est-à-dire des hommes politiques qui se
réfèrent à cette tendance. Cela peut s’expliquer par le fait que réaliser concrètement l’accueil
d’une personne handicapée n’est pas de leur ressort, ce qui n’est pas le cas des agents qui ne
peuvent pas choisir qui ils reçoivent. Il est donc plus facile pour les élus d’avoir une approche
de compensation en dehors de toutes tentatives de pratiques d’accueil.
Comme nous pouvons le constater, il y a une tendance forte pour l’égalité de traitement au
détriment de l’égalité des chances, ce qui se traduit par une disproportion des extraits
d’entretiens. Cette dernière peut également s’expliquer par le faite que nous avons peu eu
d’entretiens individuels avec les agents (Cf. méthodologie en annexe).
A travers ces deux perceptions de la notion d’égalité transparaissent deux
conceptions différentes du service public, c'est-à-dire deux manières de concevoir son
métier. Donc travailler l’accessibilité du handicap mental implique de toucher aux
conceptions que les agents des collectivités territoriales ont de leurs métiers.
Afin de récapituler les grands modèles de représentations, nous proposons ce schéma, ciaprès. L’axe numéro 1 permet de visualiser les trois perceptions du handicap mental portées
par les membres des collectivités territoriales. L’axe numéro 2 présente les deux conceptions
du service public. Chaque catégorie de population interrogée se situe dans un des cas, par
exemple les agents se placent dans une conception d’égalité de traitement, tout en considérant
l’usager handicapé mental comme un adulte.
« Les pôles de représentations autour des handicapés mentaux »
Axe 2. Conceptions du service
public
Égalité de traitement : Traiter
identiquement
Agents
Axe 1. Représentations des
handicapés mentaux
Fou
Adulte
Enfant
Élus
Égalité des chances :
Compenser les difficultés
Les membres des collectivités territoriales placent toutes les personnes handicapées
mentales au même niveau de déficiences et sous des formes conceptuelles : autisme profond ou
trisomie 21.
Le handicap mental est différencié des autres handicaps, mais sous des explications
stigmatisantes. A aucun moment, les personnes interrogées émettent des différences au sein
même du handicap mental. Elles ne soulignent pas la diversité qu’implique ce type de handicap,
victime d’une vision stéréotypée persistante, tantôt perçue à travers les traits d’un «fou», tantôt
à travers les traits d’un enfant ou tantôt à travers les traits d’un adulte différent (égalité des
chances) ou transparent (égalité de traitement).
Certains membres des collectivités territoriales ont une image de la folie, de la maladie
mentale propre qu’ils assimilent au handicap mental. La représentation de l’infantilisation
renvoie à une obligation d’accompagnement et à une prise en charge soignée, au contraire de la
représentation d’adulte qui renvoie à une obligation d’autonomie. Dans les deux cas, on ne tient
pas compte des compétences de la personne.
A travers les discours recueillis, nous pouvons constater que l’’accessibilité se nourrit
de différentes visions : d’abord en fonction des handicaps physiques (moteur, visuel ou
auditif) tels que les rabaissements de trottoirs, les portes automatiques, les feux parlants, les
affichages. Ensuite, selon la notion d’autonomie, enfin arrive la notion d’accompagnement.
2.1.3 Accessibilité pensée via le handicap moteur
La méconnaissance des personnes interrogées ne se fait pas sentir uniquement sur les
spécificités du handicap mental, mais aussi sur l’association des notions « handicap mental »
et « accessibilité ». Les personnes questionnées ne perçoivent en aucune façon de quoi il
s’agit. Lors de l’énoncé de cette question, un silence s’installe temporairement.
S’il est possible de définir l’accessibilité, il semble en revanche délicat d’imaginer
ensemble ces deux concepts. Pour le premier, il s’agit du caractère de ce qui est accessible, un
objet ou un lieu qui ne comporte pas de difficultés ou d’obstacles, principalement sur un plan
moteur. Pour le second, quant à lui, la définition du handicap mental peut se faire par
élimination d’idées et suppositions.
« L’accessibilité au handicap mental…cela ne vient pas à l’esprit ! »
« L’accessibilité pour le handicap mental ? C’est possible ? Franchement ça doit
être compliqué ! »
« Pour le handicap physique, oui je vois bien, mais pour le handicap mental c’est
quoi ? »
Un effort d’imagination est alors nécessaire :
« Accessibilité…handicap mental….c’est peut être…être plus patient ? »
« C’est logique qu’eux aussi aient leur accessibilité, les sourds ont bien la langue
des signes »
« C’est être plus lent dans notre débit de parole ? »
« C’est tenter de les comprendre sans les blesser ? »
L’accessibilité au handicap mental est un impensé dans les représentations
collectives communes. Les personnes interrogées pensent savoir plus facilement imaginer,
décrire et mettre en pratique l’accessibilité au handicap moteur ou sensoriel. Elles tentent
donc d’envisager l’accessibilité au handicap mental à travers le handicap physique.
L’accessibilité n’est pensée qu’en prolongement à l’accessibilité au handicap moteur, comme
l’adaptation du bâti. Les perceptions qu’ont les personnes sur le handicap moteur
influencent leurs perceptions du handicap mental, ce qui rend difficile une définition de
la notion d’accessibilité pour ce type de handicap.
L’accessibilité pour le handicap moteur et pour le handicap mental ne se définissent pas et ne
s’appliquent pas de la même manière. Il s’agit en quelque sorte de deux mondes.
Les personnes interrogées ont comme premières réactions de penser qu’il n’y a « pas
d’autonomie possible ». Comme nous l’avons vu dans la sous partie précédente, de la même
manière qu’elles font des parallèles entre « autonomie » ou « intégration », elles associent
l’autonomie à l’accessibilité.
L’idée de l’accessibilité au handicap mental arrive au bout de plusieurs minutes de débat, il
s’agit de l’accompagnement.
« Il ne peut pas être seul pour faire des démarches »
« C’est à nous d’être accessible »
L’accompagnement se présente comme étant la solution pour tous, mais qui doit
accompagner ? Ce questionnement pourra être traité ultérieurement dans la partie « Pistes de
réflexions et d’actions » page 55, « Poursuivre la sensibilisation au handicap mental ».
Contrairement à ce que nous pourrions penser, rares sont ceux qui perçoivent
l’accompagnement comme une contrainte ou un obstacle.
« A partir du moment où l’on nous explique comment il faut faire et se comporter, ce
n’est pas gênant d’être accueillant »
« C’est logique, il ne peut pas faire des choses seul, donc quand il est seul c’est à nous
de compenser comme on peut »
Ceux qui perçoivent mal l’accompagnement, sont ceux qui disent ne pas maitriser le handicap
et plus particulièrement le handicap mental.
« Comment peut-on l’accompagner, si on ne sait pas ce que c’est son handicap et
surtout si on ne sait pas ses réactions »
Mais de quel accompagnement s’agit-il ? Cela dépend des représentations mobilisées.
Il semble plus aisé d’imaginer l’accessibilité au handicap moteur ou sensoriel : les
exemples d’accessibilité rentrent dans les discours communs et sont relayés par la presse
régulièrement.
De même, les personnes interrogées se sentent davantage concernées par les
handicaps moteurs ou sensoriels : personne n’est à l’abri de se retrouver dans un fauteuil
roulant un jour ou d’avoir l’ouïe et la vue qui diminuent en vieillissant. En effet, il est
Tableau récapitulatif des représentations sur les handicapés mentaux
Trois pôles de représentations sont présentés : le «fou», l’enfant et l’adulte. Pour chaque cas,
nous présentons la manière dont les personnes handicapées sont accueillies, plus précisément
les stratégies mobilisées par les personnes interrogées confrontées au handicap mental, les
problèmes que cet accueil pose et les points à travailler par la suite. Autrement dit, il s’agit de
présenter quelques dimensions qui pèsent sur les perceptions du handicap mental et sur
lesquelles il faut agir pour changer les regards des collectivités territoriales.
Représentations
Un «fou»
Un enfant
Un adulte
Actions
Comment réagissent
les personnes
interrogées lors de
l’accueil d’une
personne handicapée
mentale ?
Effets pervers ?
problèmes posés
Points à travailler
- Mettre en place des
stratégies d’évitement, de
mise à distance,
- Tenter de se débarrasser
rapidement de l’usager
handicapé,
-Ne pas inviter l’usager
handicapé à s’avancer,
- Garder une position
d’observation
- Rester sur la défensive
- Veiller à ce qu’il n’y ait
pas d’engagement pris
par l’usager
- Veiller à ne pas le
contrarier.
- Parler doucement,
- Guider physiquement
l’usager handicapé,
- Faire à la place de
l’usager,
- Répéter les mêmes
informations plusieurs
fois,
- Utiliser un vocabulaire
infantile et simple,
- Tutoyer,
- Mettre de la couleur.
- Passer à côté des
besoins de l’usager,
- Provoquer un sentiment
de rejet de la part de
l’usager,
- Engendrer un processus
d’isolement,
- Avoir une qualité
d’accueil en fonction du
profil de l’usager.
- Passer à coté des
besoins de l’usager,
- Avoir un manque de
considération de la
personne et de ses
capacités.
- La non prise en compte
de la personne
handicapée mentale,
- Les freins à
l’autonomisation, ce qui
peut engendrer des
attitudes violentes.
- La non prise en compte
de la personne
handicapée mentale,
- Les freins à
l’autonomisation, ce qui
peut engendrer des
attitudes violentes.
Égalité de traitement
- S’adresser à l’usager
handicapé comme à
n’importe quel usager
Égalité des chances
- Adapter sa posture
professionnelle, en
prenant en compte les
capacités et limites
supposées de l’usager
handicapé,
- S’assurer que l’usager
handicapé a bien assimilé
les informations
Égalité de traitement
- Passer à coté des
besoins de l’usager
handicapé,
- Mettre l’usager en
difficulté,
- Engendrer un
« malaise ».
Égalité des chances
- Indisposer l’usager
handicapé en « en faisant
trop »,
- Prendre le risque que
l’usager se sente perdu
dans une masse
d’informations
Égalité de traitement
- Faire un effort pour
adapter sa posture
professionnelle.
Égalité des chances
- Avoir le souci d’utiliser
un langage simple
- Reformuler
différemment
2.1.4 Les différences de visions élus / agents
Au vu de la méthode d’investigation utilisée, il n’est pas possible d’élaborer un
comparatif précis entre les propos des élus et ceux des agents municipaux. L’objectif n’était
pas là. Mais, il est possible de réunir quelques éléments et propos récurrents.
Les élus et les agents municipaux n’ont pas forcément eu toujours la même vision des choses.
Là où ils s’accordent sur une définition du handicap, et de son accessibilité, comme étant des
faits rentrés dans leur logique et leur gestion quotidienne, il n’en est pas de même pour les
perceptions sur le handicap mental et de son accessibilité.
2.1.4.1
Les élus
Pour les élus, il semble plus facile d’accueillir une personne handicapée mentale.
Deux discours se distinguent :
 Soit, les élus ne sont pas conscients des difficultés rencontrées par les agents en
pensant que tout est toujours bien organisé, que les agents sont tous et toujours
accueillants, chaleureux et qu’il n’y a pas de difficultés apparentes :
« Ici, quand les personnes handicapées viennent, tout le monde est gentil»
« On fait confiance à la spontanéité de la personne d’accueil »
« Mon personnel sait qu’il faut s’adapter aux usagers »
« Ce sont des attitudes normales, j’ose espérer qu’elles le font déjà à l’accueil ici ?
Accueillir comme n’importe quelle personne : respecter, accompagner, être poli…quand il y
a une difficulté c’est évident que l’on se propose pour aider (…) c’est du civisme ! »
En tenant ces propos, les élus ôtent les particularités du handicap mental, puisqu’ils parlent de
« civisme » et de « politesse ».
Les orientations données ici ne résolvent pas les problèmes pratiques rencontrés par les
agents municipaux, qui peuvent du coup résister à l’introduction de pratiques
d’accompagnement du handicap mental.
 Soit, les élus ont parfois constaté des dysfonctionnements, des interrogations ou des
malaises au sein de la collectivité :
« À l’accueil, elles sont toujours surprises quand elles sont confrontées à ce type de
handicap »
« Quand un groupe entier se déplace (…) là c’est le cirque, les professionnels ne
savent pas vraiment y faire, ils ne sont pas à l’aise »
Les élus semblent davantage séduits par l’idée d’accompagnement : « c’est humain », « c’est
citoyen ».
Les élus sont attentifs à l’intervention et aux propositions de l’association, car ces
propositions se réfèrent à la loi de n° 2005-102 du 11 février 2005 et à la demande de mise en
accessibilité, autant de sujets qui posent questions aux collectivités.
« Ça serait intéressant que les associations comme Familles Rurales soient
sensibilisées aussi, ou encore la police municipale, la ludothèque, le CCAS (…), élargir audelà de l’accueil »
Contrairement aux agents, les élus veillent davantage aux mots qu’ils emploient pour décrire
la personne handicapée mentale, ils sont dans le politiquement correct.
2.1.4.2
Les agents
Les agents peuvent parfois sembler plus réticents, ils savent que cet accompagnement
va être à leur charge, en plus de leurs obligations et charges professionnelles.
« Il faut savoir ce qui pourrait être fait à notre niveau »
« Si vous pouvez donner des idées aux responsables…ça serait bien »
« Est-il possible de reconnaître le handicap mental ? Est-il possible de toujours
l’accompagner malgré le travail et le poste occupé ? »
« Ça se règle en interne dans notre propre organisation, faut trouver à s’arranger le
tout c’est d’être motivé ! »
Les agents ont plus d’a priori que les élus sur les caractéristiques du handicap mental :
« enfant », « violent », « perturbateur », « idiot », « dangereux »…etc.
Les agents appréhendent ce handicap, au regard des exigences de leurs fonctions
d’accueil telles que la rapidité, l’efficacité, la politesse, la précision. Une de leurs peurs
est donc d’avoir à gérer un cas particulier trop lourd, ne leur permettant alors plus de
répondre à leurs objectifs professionnels. De plus, gérer les autres usagers n’est pas
simple : impatience, énervements, réflexions etc. Cf. « Pistes de réflexions et d’actions » page
55, « Poursuivre la sensibilisation au handicap mental ».
Organiser de l’accompagnement adapté est innovant pour une collectivité car le
pictogramme S3A est encore peu distribué, sur le département. Actuellement, les collectivités
peuvent apposer le pictogramme, suite à une action de sensibilisation (3 heures) dispensée par
des professionnels du handicap ou des formateurs. Les collectivités veulent faire partie des
premières à l’obtenir, ce qui permet de le faire savoir dans la presse et auprès des populations.
Le fait que les agents ressentent le besoin d’être au préalable sensibilisés aux spécificités du
handicap mental, est secondaire.
2.2 Les facteurs explicatifs et les leviers de changements
2.2.1 Les moyens humains, la politique des ressources
humaines
Dans l’engagement d’une collectivité territoriale, pour le handicap mental et son
accessibilité dans la cité, l’AEIM est tributaire d’une à trois personnes convaincues du bienfondé des actions de l’association, sur un plan humain et citoyen.
Ces personnes sont sensibilisées, soit par leurs professions (responsables CCAS, travailleurs
sociaux, élus en charge du handicap, etc.), soit par leurs parcours personnels (personne
handicapée dans la famille, expériences vécues). Ces personnes se positionnent, en tant
« qu’entrepreneurs de morale »26ou des« ambassadeurs ».Ils sont un relais entre leur
lieu de travail, ou de responsabilités, et une association référente d’un handicap.
Nous avons pu remarquer que ces ambassadeurs étaient soit :
 Des parents d’enfants handicapés (ce sont les plus investis),
 Des représentants de l’AEIM dans les commissions communales d’accessibilité
 Des bénévoles responsables de territoires sur le département (ce dernier est divisé en 6
territoires)
 Des personnes ayant un membre de leur famille ou un ami proche atteint d’un
handicap important et contraignant,
 Des personnes déjà investies dans des opérations avec l’AEIM, telle que l’opération
« Brioche annuelle »,
 Des professionnels du handicap investis en tant qu’élus dans leur commune,
 Des agents, responsables de services sociaux municipaux,
 Des élus municipaux ayant des responsabilités départementales ou régionales,
 Des personnes déjà investies dans des associations similaires à l’AEIM ou à but
charitable ou religieux.
26
HOWARD BECKER, Outsiders, Paris, A.M Metailé, 1985. Ces ambassadeurs agissent comme un levier organisationnel permettant de réaliser un
changement et d’être à l’interface entre deux mondes. Ils sont alors utiles dans la
résolution de problèmes liés à l’organisation interne de la collectivité.
Certaines collectivités sont néanmoins dynamiques en l’absence d’ambassadeur comme
définit précédemment. Trois raisons ont été distinguées :
 Une volonté du maire d’inscrire le handicap dans son agenda politique,
 La présence d’établissements spécialisés sur le territoire de la collectivité,
 Lorsqu’une collectivité est investie dans le bien-être des personnes vieillissantes (création
de services d’aides à la personne, maison de retraite ou de repos), elle est selon les élus,
souvent très à l’écoute du bien être des personnes handicapées. En effet, les élus ont
parfois assimilé le handicap mental à la vieillesse, sur un plan du mode de prise en charge
du visiteur, du temps demandé, de l’effort de compréhension réciproque, etc. Les
collectivités territoriales disent recevoir davantage de personnes âgées désorientées que de
personnes handicapées mentales.
Ces trois raisons, sont des opportunités dont l’association doit s’emparer. Cf. « Pistes de
réflexions et d’actions » page 55, « Poursuivre la sensibilisation au handicap mental ».
En effet, le fait que les collectivités réalisent des rapprochements entre les personnes
handicapées mentales et les personnes âgées, peut constituer un argument de mobilisation
pour les collectivités territoriales via l’association AEIM.
2.2.2 L’organisation interne dans la collectivité territoriale
Les collectivités n’ont pas toutes les mêmes moyens humains. Nous avons pu
constater différents cas de figures :
 Certains professionnels sont à la fois chargés d’accueillir des usagers, de gérer le standard
téléphonique, de réaliser des tâches de secrétariat ou d’économat
 Dans les grandes collectivités, l’accueil est divisé selon l’objet de la demande de l’usager,
ce dernier est alors orienté vers le service concerné.
Dans ces cas, où les moyens humains peuvent être faibles, l’arrivée d’une personne
handicapée mentale perturbe l’ensemble de l’organisation du travail. En effet, en général la
personne à l’accueil tente de se rendre disponible immédiatement et d’accorder davantage de
temps à la personne handicapée mentale tout en continuant à gérer les usagers présents à cet
instant.
« On évite de les faire attendre »
« S’ils attendent trop longtemps ça peut dégénérer »
Si la personne de l’accueil se rend disponible immédiatement, elle n’est alors pas dans une
égalité de traitement puisqu’elle prend en compte le fait que l’usager handicapé est différent
et demande une attention particulière. Si par contre, la personne de l’accueil explique à
l’usager handicapé qu’il doit attendre son tour et qu’elle l’accompagnera dès que possible,
elle se place dans une égalité des chances, une compensation du handicap.
Deux questions se posent alors : comment la collectivité peut gérer son organisation
interne,
et
s’adapter ?
Comment
définir
un
« bon
accueil »
de
la
personne
handicapée mentale ? Cf. « Pistes de réflexions et d’actions » page 55, « Poursuivre la
sensibilisation au handicap mental ».
« Encore faut il pouvoir s’adapter, on manque de temps et d’effectifs »
Nous avons pu remarquer que le nombre de professionnels à l’accueil ne dépend pas
forcément de la taille de la collectivité (plus ou moins de 5000 habitants).Ainsi, une
collectivité de moins de 5000 habitants peut disposer de deux personnes à l’accueil, à
l’inverse une de plus de 5000 habitants n’a parfois qu’une personne. Il est important de
souligner ici, que l’organisation de l’accueil est centrale et qu’il convient sans doute de
travailler sur les représentations que les collectivités territoriales ont de l’accueil. En effet,
puis que ce n’est pas la taille de la collectivité qui rentre en compte, mais bien l’importance
accordée à l’accueil versus les visions techniques de leur travail.
Ce n’est pas la taille de la collectivité qui rentre en compte, mais bien l’importance accordée à
l’accueil versus les visions techniques de leur travail. Ces visions techniques du travail des
fonctionnaires territoriaux sont intimement liées à la conception qu’ils se font de leurs
missions et des conditions qu’ils souhaitent pour l’accueil des personnes déficientes
intellectuelles. Il était donc important d’en appréhender les contours à travers nos entretiens.
Nous avons pu dégager deux thèmes essentiels :
 L’impact de la conception de leurs missions des fonctionnaires dans le traitement des
personnes handicapées mentales
 La nature des problèmes liés à l’accueil des personnes handicapées mentales
(matérielles ou humaines)
A l’écoute des discours recueillis, nous avons pu identifier deux positionnements :
1.
Les personnes interrogées qui jugent que leur mission professionnelle de service
public, est de traiter de façon homogène le public handicapé mental, versus celles qui
pensent que dans le service public il faut s’adapter à l’usager. Ces deux conceptions du
service public se confrontent et s’opposent. Il faut prendre en compte ces deux visions dans le
contenu de la sensibilisation.
« On est dans une situation d’adaptation permanente »
« Une personne à l’accueil doit prendre le temps de s’occuper d’une personne
handicapée mentale ; même si elle a du travail il faut s’organiser en interne, pour que
l’accueil soit adapté »
« Dans les collectivités on est plus sensibilisé qu’ailleurs car on les voit tous ces
handicaps là, on les rencontre tous à un moment ou à un autre, en tant qu’élu ou citoyen ».
2.
Les personnes interrogées qui pensent que l’accueil de personnes handicapées
mentale pose des problèmes d’organisation matérielle, versus ceux qui pensent qu’il
s’agit uniquement d’une problématique humaine.
« Mais dans une mairie il n’y a pas de souci de rentabilité donc ce n’est pas un
souci de prendre son temps ! »
« On a besoin de plus de temps ce n’est pas le même problème ».
« Il faut plus communiquer, aider et en même temps faire le boulot qu’il y a …ca
n’aura rien de facile. Oui les employés doivent être disponibles c’est différent ».
« Il faut qu’un service puisse être dispo et s’organiser en interne mais ça n’a rien
d’insurmontable et puis on n’a pas le choix c’est la loi aussi ! »
« Quand à la mairie y a un souci c’est le CCAS que l’on appelle ».
« Le handicap il faut s’en occuper au quotidien, pour que les services intègrent cela »
« Cela se situe plus dans les rapports humains, c’est à la personne à l’accueil de
sentir et de s’adapter, il n’ya rien de matériel à mettre en application. Mais c’est
un handicap difficile à déceler et encore plus à comprendre ».
Ces deux dimensions posent une question, qu’est-ce-que le « bon accueil » ? Si le « bon
accueil » signifie, par exemple, apporter la bonne information à la question de l’usager
handicapé, s’assurer s’il l’a bien comprise et retenue, alors le « bon accueil » ne se résume pas
à avoir un comportement humain et souriant. Cf. « Pistes de réflexions et d’actions », page 55,
« Poursuivre la sensibilisation au handicap mental ».
Conclusion
Il est important de se rappeler l’histoire du handicap, comment et pourquoi des associations
comme l’AEIM sont devenues ce qu’elles sont aujourd’hui à la fois un porte-parole, un expert
et un gestionnaire. Par conséquent, revenir sur un rappel historique et contextuel, en première
partie, était nécessaire pour comprendre les enjeux actuels, pour mesurer l’évolution d’une
société confrontée à des aspects matériels et financiers importants. Une société qui est passée
en 50 ans, d’une volonté de ne pas se soucier au quotidien du handicap mental à une négation
de la différence. Il fallait donc étudier les représentations actuelles des collectivités
territoriales pour connaître les points et les freins sur lesquels il faut agir pour permettre à la
personne handicapée mentale d’être reconnue et de pouvoir avoir un accès à la cité, tel que
l’exige la loi de 2005, obligeant les collectivités territoriales à penser le handicap mental.
L’ignorance importante des spécificités et de l’accessibilité nécessitent de mettre en place des
actions réfléchies et adaptées au public et à ses attentes, et c’est là que d’une action qui se
voulait seulement de sensibilisation, s’est imposée la nécessité de créer des groupes de
travail à la demande des collectivités territoriales conscientes qu’elles ne devaient pas
s’arrêter à une seule action de sensibilisation, mais mener une réflexion plus large sur
les problèmes que pose l’accessibilité de la personne handicapée mentale. Même si
l’approche du handicap mental s’est avérée différente selon qu’il s’agissait d’élus ou d’agents
territoriaux présents aux entretiens menés, il y avait un intérêt commun à mettre en place des
groupes de travail pour faire évoluer les mentalités et bouger les postures professionnelles.
Ces groupes de travail permettront d’aller plus loin dans l’analyse des discours, des élus et
agents, ces derniers seront alors acteurs et porteurs de leur démarche. L’association pourra
identifier les freins et les motivations des membres des collectivités territoriales et par
conséquent leurs besoins et attentes de l’association.
Par ailleurs, au fil de cette étude l’impact de la loi HPST sur le médico-social s’est avéré de
plus en plus important, suscitant de nombreuses interrogations au sein de l’AEIM. En effet, la
place des associations est modifiée à plusieurs niveaux comme nous avons pu le voir dans la
première partie, et en particulier au niveau de leur représentativité et de la nouvelle procédure
d’autorisation des établissements médico-sociaux par appels à projets. Le risque est grand de
voir la régionalisation instaurer une distance entre les usagers et les décideurs que sont les
ARS.
Pour consolider le lien aux collectivités territoriales et construire la communication autour de
l‘accessibilité au handicap mental, deux types d’enjeux ont été relevé. Le premier est de
nature interne, il concerne la capacité de l’association à la fois gestionnaire d’établissements
et porte-parole à mobiliser ses adhérents, qui tardent ou peine à s’impliquer dans une
association en particulier lorsque leur enfant souffrant d’un handicap mental est jeune. Le
second est de nature externe, il est en lien avec les représentations des collectivités
territoriales. L’étude a montré que pour la démarche S3A, l’AEIM s’est lancée dans une vaste
campagne de sensibilisation dont il était difficile, au départ d’en mesurer l’impact.
Depuis 9 mois, en ciblant les collectivités territoriales comme destinataires d’actions de
sensibilisation, par le biais de ce stage, trois constats se sont imposés :
 D’emblée les collectivités territoriales ont accueilli favorablement cette proposition de
sensibilisation qui représentait pour elles une possibilité de se mettre en conformité avec
le volet accessibilité de la loi 2005. Elles se sont révélées être demandeuses pour une
meilleure gestion du handicap mental à leur niveau et ont osé exprimer leur
méconnaissance, leurs peurs, leurs confusions, leurs a priori.
 Pour réduire la distance entre les décideurs et les usagers il faut jouer la carte de la
proximité en se rapprochant des collectivités territoriales et précisément des élus.
 Une hypothèse de départ, était de penser que les tailles (nombres d’habitants) de
collectivités territoriales influencent la prise en charge du handicap mental, mais un des
résultats majeurs de ce travail est de comprendre que ce sont les spécificités des groupes
professionnels en présence qui comptent. En particulier, cette étude montre qu’élus et
agents sont porteurs de différentes représentations, tant du handicap mental que de la
« bonne façon » de l’accueillir. Cf. partie 2 sur les représentations et les profils page 24.
Aussi face à ces différents positionnements professionnels, il est tout à fait nécessaire
de penser des lignes d’actions communes, mais aussi des lignes d’actions spécifiques (cf.
partie 3 « Pistes de réflexions et d'actions » page 53) en particulier en travaillant sur la
question de la tension entre l’égalité de traitement et l’égalité des chances pour les membres
des collectivités territoriales.
Au delà de ce travail de « lien avec les collectivités territoriales », il est nécessaire d’inclure
cette action dans un environnement institutionnel et plus large, en parti en :
 Proposant aux établissements d’hébergement ou de travail qui accueillent des personnes
handicapées mentales de faire une sensibilisation en direction des entreprises avoisinantes,
voire des habitants, qui peuvent être amenés à côtoyer ou à rencontrer les personnes
handicapées mentales et se trouver démunis en cas d’incidents ou d’accidents.
 Tissant des liens avec d’autres associations similaires et établissements spécialisés, confrontés
aux mêmes problématiques de méconnaissance du handicap, de manque de moyens.
 Envisageant de diffuser la sensibilisation dans les commerces.
BIBLIOGRAPHIE
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http://www.semionet.fr/ressources_enligne/Enseignement/02_03/02_03_oipp/projets/cultpolitique.pdf
 FILMOGRAPHIE
Le
Huitième
Jour,
film
belge,
Jaco
Van
Dormael,
1996.
ANNEXES
Annexe 1 : Éléments de méthodologie
Pour réaliser cette étude, nous avons du faire des choix méthodologiques, nous avons réalisé :
 7 entretiens semi-directifs individuels sur 5 collectivités territoriales différentes (dont 3
durant la phase exploratoire), avec élus et agents.
 20 entretiens collectifs avec élus et agents, un par collectivité territoriale.
Au total, 25 collectivités territoriales et environ 210 personnes interrogées. De plus, nous nous
sommes entretenus de manière informelle avec environ 30 « personnes ressources », telles
que des responsables départementaux (élus, DDE, conseil général, administrateurs de
l’association, partenaires de l’AEIM, etc.)
Ne sachant pas par où commencer, nous avons eu une démarche extensive pour balayer au
mieux et au plus vite, les dimensions seyantes. Nous ignorions si la taille de la collectivité
territoriale allait influencer ou pas les résultats finaux. Finalement, il s’est avéré que ce sont
les niveaux de groupes professionnels qui sont entrés en compte.
L’étude a débuté par une phase exploratoire, afin de nous permettre de nous imprégner du
contexte de l’étude grâce à tout un travail de lectures, de prise de contacts et de collecte de
données diverses. D’une part en interne, sur l’histoire, l’organisation, les missions, la
composition de la structure, d’autre part en externe, sur les relations avec les différents
partenaires ? La légitimité de l’association ? Sa reconnaissance ? Ses actions ? Ses projets ?
Quelles sont les lois qui régissent le statut de l’association, et ses fonctions ? Acquérir des
connaissances et des informations sur les communes du département, les communautés de
communes, les intercommunalités, les EPCI, les circonscriptions et organisations générales du
département.
La première prise de contacts s’est donc faite avec toutes les collectivités territoriales de plus
de 5000 habitants du département, ainsi qu’avec 10 collectivités territoriales de moins de
5000 et avec une quinzaine de communautés de communes ou communautés urbaines.
Prendre majoritairement des collectivités territoriales de plus de 5 000 habitants est volontaire
car la loi de 2005 les oblige à avoir une commission communale d’accessibilité présidée par le
maire ou par un adjoint au social. Nous avons donc perçu là une porte d’entrée dans les
collectivités territoriales et un lieu où les projets sont présentés et écoutés. Nous avons pu
nous inviter dans ces collectivités à titre d’observation d’une part et pour nous permettre
également de prendre des contacts pour les entretiens à mener par la suite.
A chaque fois, une prise de contact longue, mais nécessaire, a été réalisé nous demandant un
temps de préparation pour chaque collectivité territoriale, ainsi que des courriers de
présentation de l’étude (envoyés par le président de l’AEIM), un recueil d’organigrammes,
d’informations sur la collectivité territoriale et sur sa place dans le canton, la circonscription,
le territoire etc.
Parallèlement, nous avons pris contact avec les 17 administrateurs de l’AEIM représentant le
handicap mental dans 17 communes de plus de 5000 habitants, afin de recueillir des
informations sur l’organisation de la collectivité territoriale et de cerner la place du handicap
mental dans la commission communale d’accessibilité.
Durant ces prises de contacts et réalisation des entretiens exploratoires, nous avons réalisé la
grille d’entretiens collectifs (Cf. Annexe 2), et fait évoluer la grille d’entretiens individuels
(Cf. Annexe 2). Les entretiens exploratoires ont permis de découvrir les aspects à prendre en
compte, de rectifier ou d’élargir le champ d’investigation des lectures et de mettre en lumière
le champ à étudier. Il s’agit d’une phase de découverte.
 Les entretiens semi-directifs individuels
Ils ont l’avantage de permettre un contact direct avec l’interlocuteur et ses ressentiments. Il
s’instaure alors un véritable échange avec comme objectif que l’interlocuteur exprime ses
perceptions, ses interprétations, ses représentations, et ses expériences. Le contenu de
l’entretien a fait l’objet d’une analyse systématique destinée à tester les hypothèses de travail.
Le but de ces entretiens individuels est de comprendre la sensibilité de la collectivité
territoriale à la question du handicap mental, les contraintes que cela engendre, de réfléchir à
la manière d’amener la collectivité territoriale à penser le handicap. La question n’est pas
(uniquement) de savoir s’il y a des problèmes mais de savoir ce que les collectivités
territoriales font et peuvent faire pour penser le handicap mental. De même, il est important de
prendre en compte les affaires d’organisation des collectivités territoriales et non pas
uniquement les représentations de celles-ci, d’où l’importance de décrire l’accueil et les
contraintes humaines. Les entretiens semi-directifs individuels se déroulent en 1 heure
environ.
 Les entretiens collectifs
Les entretiens collectifs, c'est-à-dire la réunion d’un petit groupe d’acteurs, ont pour
objectif de récolter un maximum de données et de confronter différents acteurs de la
collectivité territoriale. L’objectif, de ces entretiens, est de faciliter les échanges,
d’approfondir les représentations du handicap mental et de les confronter, autour d’une étude
de cas, illustrant la question de l’accessibilité pour le handicap mental. Cela permet que tous
s’écoutent et prennent conscience qu’ils ne sont pas nécessairement sur le même « longueur
d’onde ». Tout cela dans la confidentialité et le respect de la parole de chacun.
L’entretien collectif permet de répondre au format de l’étude d’une part, mais apporte d’autre
part, une première mise au travail pour les professionnels et élus, c’est un exercice interactif
qui influe sur le changement. Cette méthode apporte une plus value au niveau de l’action, ce
qui n’est pas le cas de l’entretien individuel. Néanmoins, sur le plan de la collecte du
matériau, nous perdons des données, puisque face aux élus, les agents s’expriment
différemment et les relances sont impossibles. Il faut prendre en compte, que les paroles de
chacun peuvent influencer les discours des autres. Donner son opinion personnelle devant un
groupe demande un effort de conceptualisation et de spontanéité dans la prise de parole. De
plus, il n’y a pas de possibilité d’identifier des profils détaillés par rapport aux discours
recueillis.
Une difficulté à prendre en compte dans cette méthode d’investigation est que le groupe
interrogé se met systématiquement en position de défense au début de l’entretien. Le thème
proposé ayant un impact affectif sur le groupe, celui-ci va avoir tendance à se solidariser, à
faire bloc, dans la mesure où il peut se sentir en situation de risque. Il faut donc prendre le
temps d’amener le groupe à penser son vécu commun sur le handicap.
La méthode de l’entretien collectif consiste à recueillir les expériences du problème posé,
quelles sont les opinions sur les faits ou les effets dont il est ou a été témoin dans sa pratique
professionnelle ou personnelle, puis quelles sont les attentes pour la suite.
Tout au long de l’entretien collectif, il faut être vigilant aux tensions entre les participants et
contrôler, maitriser la dynamique du groupe, pour le faire progresser vers l’objectif proposé.
Annexe 2 : Grille d’entretiens
L’entretien semi-directif individuel :
L’entretien semi-directif individuel aborde 4 domaines :
1. L’organisation et fonctionnement de la commune, le découpage des services, le
rapport au public, l’accueil et la relation aux usagers, puis aux personnes handicapées,
puis aux personnes handicapées mentales, la prise en charge du handicap ;
2. Les représentations, les perceptions sur la personne handicapée mentale, puis sur
l’accessibilité en amenant à établir un parallèle ou des comparaisons avec les autres
handicaps ;
3. Les lieux et espaces où les questions sur le handicap mental et l’accessibilité peuvent
être posées définies, ou des actions peuvent être programmées, les commissions mises
en place, leurs contenus, leurs généalogies et leurs actions antérieures et futures, la
mise sur agenda des questions sur la handicap, les partenariats ou travaux communs
avec les autres mairies sur ces questions ;
4. Le parcours personnel de la personne, les dossiers qu’elle a traités et travaillés.
L’Entretien collectif :
La consigne passée aux collectivités était de rassembler un groupe de 8 élus, mais nous avons
parfois été confrontés à des groupes de 15 personnes, où élus et agents se mêlaient.
Déroulement d’un entretien collectif :
Les personnes s’assoient autour d’une table, (nous numérotons les personnes pour avoir un
repère lorsqu’elles parleront), après une rapide présentation et explication de l’entretien, nous
commençons par un tour de table pour connaitre leur fonction, puis nous leur présentons les
11 photos, ci-dessous.
Chacun est invité à s’exprimer sur les photos présentées : Quelles photos vous perturbent ?
Vous gênent ? Vous mettent mal à l’aise ? Vous touchent ? Lorsque que vous entendez les
termes de « handicap » ou « personne handicapée » quelle image s’impose à vous ? Est-ce que
le handicap est toujours visible sur ces photos ? L’objectif est de comprendre quelles photos
représentent le plus le handicap en général, puis de voir si les personnes parlent du handicap
mental spontanément et si oui dans quels termes.
Ces échanges durent entre 10 et 30 minutes, abordant différents thèmes de discussions entre
les personnes interrogées.
Puis nous leur présentons deux petits films, mettant en scène une personne handicapée
mentale dans un acte de la vie quotidienne : un jeune homme faisant une démarche en mairie
pour obtenir une carte d’identité seul et un jeune homme (dont le handicap mental n’est pas
visible) arrivant dans une médiathèque pour emprunter livres et CD. Ces films provoquent des
réactions immédiates sur le handicap mental et ses spécificités. Ils montrent également les
difficultés des personnes d’accueil à la médiathèque ou à la mairie. Ces échanges durent entre
15
et
30
minutes.

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