Représentations du handicap mental au sein des collectivités
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Représentations du handicap mental au sein des collectivités
Représentations du handicap mental au sein des collectivités territoriales Étude commanditée par L’AEIM-Adapei 54 Synthèse CoralieVincent Sous la direction de Madame Ingrid Voléry, Maitre de conférences Sous le tutorat de Monsieur Gilles Dupuits, Directeur Général de l’AEIM-Adapei54 Master Expertise et Interventions sociologiques Université Nancy II Janvier à Juillet 2010 L’étude présentée dans le rapport, ci-joint, fait suite à une demande de l’association départementale AEIM - Adultes Enfants Inadaptés Mentaux de Meurthe et Moselle. Cette demande a pour objet la sensibilisation des collectivités territoriales1 aux spécificités du handicap mental. L’AEIM est une association qui a été créée en 1957. Dès 1960, elle s’inscrit dans un grand mouvement national, l’Unapei2, qui fédère des unions départementales. L’AEIM y adhère depuis sa création. Cette demande de l’AEIM découle d’un double constat : Les collectivités territoriales ne sont pas accessibles aux personnes handicapées mentales. L’AEIM méconnaît les actions entreprises en ce sens par les collectivités. L’objectif fixé est double : Faire connaître le handicap mental et ses besoins spécifiques à ces collectivités territoriales Réaliser des partenariats entre ces mêmes collectivités et l’AEIM, afin de rendre la ville plus accessible à ces personnes. La commande qui en résulte est donc de cerner de manière plus précise : Les représentations du handicap mental que développent les personnes au sein de ces collectivités. Les motivations et freins de ces mêmes personnes, face à l’accueil d’une personne handicapée mentale. Les logiques organisationnelles internes à la collectivité. Pour ce faire, nous avons mené des observations au sein des commissions communales d’accessibilité, des entretiens individuels et un grand nombre d’entretiens collectifs, c'est-à1 Tout au long de ce rapport, nous emploierons le terme de collectivité territoriale dans le sens d’entité administrative française, distincte de l'administration de l'État, qui doit prendre en charge les intérêts de la population d'un territoire précis. Il s’agit des communes du département de la Meurthe et Moselle dans leur globalité, que nous considérons ici comme des entités politiques, juridiques et géographiques. 2 Union Nationale des Associations de Parents d’Enfants Inadaptés qui a évolué en Union Nationale des Associations de Parents et amis de personnes handicapées mentales. Elle existe depuis 50 ans et représente 60 000 familles adhérentes, 600 associations, 3 000 établissements et services gérés, 180 000 personnes handicapées mentales accompagnées, 75 000 professionnels employés. 2 dire des groupes de réflexions avec les élus et les agents de la collectivité territoriale. Au final, ce sont 25 collectivités territoriales sur le département de la Meurthe et Moselle qui ont été interrogées. Elles sont de bords politiques différents, de tailles différentes et issues de circonscriptions différentes (cf. Éléments de méthodologie en annexe du rapport). Il est important de prendre en compte l’histoire du handicap (cf. partie 1 du rapport), pour comprendre comment et pourquoi des associations comme l’AEIM sont devenues ce qu’elles sont aujourd’hui à la fois un porte-parole, un expert et un gestionnaire. L’histoire permet de mesurer l’évolution d’une société qui est passée en 50 ans, d’une volonté de ne pas se soucier au quotidien du handicap mental à une euphémisation3 de la différence. L’association, dont le fondement juridique a été instauré par la loi de juillet 1901 a été la forme de regroupement la plus employée dans le champ du handicap. Les premières associations, représentant le handicap mental, sont à l’initiative de parents « pionniers » qui, en recherchant des informations, des soutiens pour leurs enfants ont mutualisé leurs compétences, leurs réponses, leurs initiatives et contacts. L’objectif initial des associations était la prise en compte par les pouvoirs publics de la nécessité de proposer aux personnes handicapées et à leurs familles des modes de prise en charge et d’accompagnements adaptés. Ce sont les associations qui, par leur force, leur pugnacité, ont amené la puissance publique à apporter des réponses à leurs préoccupations. Cette volonté a abouti à la création de liens étroits entre ces associations et les pouvoirs publics. Cela a demandé de trouver un équilibre entre « autonomie associative » et « légitimité politique ». Actuellement, la mise en place de la loi n° 2009-879 HPST du 21 juillet 2009 oblige les associations à revenir à cette fonction politique de contre-pouvoir pour éviter leurs éventuelles disparitions. En effet, la place des associations est modifiée à plusieurs niveaux, et en particulier au niveau de leur représentativité et de la nouvelle procédure d’autorisation des établissements médico-sociaux par appels à projets. Dans ce contexte le lien aux collectivités territoriales apparait comme un véritable enjeu pour l’AEIM. Cette dernière peut en effet constituer un soutien dans la mise en œuvre des transformations souhaitées par la loi sur le handicap (cf. partie 1 du rapport).Les 3 Tendance à l’utilisation d’euphémismes dans toutes formes d’expression. 3 collectivités perçoivent les éventuelles interventions de l’association comme une opportunité de mettre en pratique plus rapidement et simplement les directives de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 : notamment sur le point de l’accessibilité à tout et pour tous, quelque soit le type de handicap. Il fallait donc étudier les représentations actuelles des collectivités territoriales pour connaître les points et les freins sur lesquels il faut agir afin de permettre à la personne handicapée mentale d’être reconnue et de pouvoir avoir un accès à la ville, tel que l’exige la loi de 2005 (cf. partie 2 du rapport). Différentes représentations sont identifiées (Cf. figure N° 1). Figure N°1 : « Les pôles de représentations autour des handicapés mentaux » Axe 2. Conceptions du service public Égalité de traitement : Traiter identiquement Agents Fou Axe 1. Représentations des handicapés mentaux Adulte Enfant Élus Égalité des chances : Compenser les difficultés Ces représentations sont d’autant plus importantes qu’elles vont structurer les pratiques d’accueil de la collectivité territoriale et qu’elles vont fortement peser sur la manière dont les 4 collectivités territoriales pensent l’accessibilité ou l’accueil de la personne handicapée mentale. C’est ce que nous montre le tableau numéro 2. 5 Tableau N°2 : Tableau récapitulatif des représentations sur les handicapés mentaux 6 Représentations Un «fou» Un enfant Un adulte Actions Comment réagissent les personnes interrogées lors de l’accueil d’une personne handicapée mentale ? - Mise en place de stratégies d’évitement, de mise à distance, - Tenter de se débarrasser rapidement de l’usager handicapé, -N’invite pas l’usager handicapé à s’avancer, - Position d’observation - Rester sur la défensive - Veiller à ce qu’il n’y ait pas d’engagement pris par l’usager - Veiller à ne pas le contrarier Égalité de traitement - S’adresser à l’usager - Parler doucement, handicapé comme à - Guidance physique n’importe quel usager - Faire à sa place Égalité des chances - Répéter les mêmes - Adapter sa posture informations plusieurs professionnelle, en fois, prenant en compte les - Utiliser un vocabulaire capacités et limites infantile et simple, supposées de l’usager - Tutoyer, handicapé, - Mettre de la couleur - S’assurer que l’usager handicapé a bien assimilé les informations Égalité de traitement Effets pervers ? problèmes posés Points à travailler - Passer à côté des besoins de l’usager, - Sentiment de rejet de la part de l’usager, -Processus d’isolement, - Une qualité d’accueil en fonction du profil de l’usager, - La non prise en compte de la personne handicapée mentale, - Les freins à l’autonomisation, ce qui peut engendrer des attitudes violentes. - Passer à coté des besoins de l’usager, - Passer à coté des - Mettre l’usager en besoins de l’usager difficulté, - Engendrer un Manque de « malaise » considération de la Égalité des chances personne et de ses capacités - Indisposer l’usager handicapé en « en faisant trop », - Risque que l’usager se sente perdu dans une masse d’informations Égalité de traitement - La non prise en compte de la personne handicapée mentale, - Les freins à l’autonomisation, ce qui peut engendrer des attitudes violentes. - Faire un effort pour adapter sa posture professionnelle Égalité des chances - Avoir le souci d’utiliser un langage simple - Reformuler différemment 7 L’ignorance importante des spécificités et de l’accessibilité nécessitent de mettre en place des actions réfléchies et adaptées au public et à ses attentes (cf. partie 3 du rapport). Partant d’une proposition initiale qui se voulait seulement de sensibilisation, l’étude conduite souligne au contraire la nécessité de créer des groupes de travail à la demande des collectivités territoriales conscientes qu’elles ne devaient pas s’arrêter à une seule action de sensibilisation, mais mener une réflexion plus large sur les problèmes que pose l’accessibilité de la personne handicapée mentale. Même si l’approche du handicap mental s’est avérée différente selon qu’il s’agissait d’élus ou d’agents territoriaux présents aux entretiens menés, il y a un intérêt commun à mettre en place des groupes de travail pour faire évoluer les mentalités et bouger les postures professionnelles. Ces groupes de travail permettront d’aller plus loin dans l’analyse des discours, des élus et agents, ces derniers seront alors acteurs et porteurs de leur démarche. L’association pourra identifier les freins et les motivations des membres des collectivités territoriales et par conséquent leurs besoins et attentes de l’association. Il est primordial de monter des actions ciblées aux attentes et aux besoins des collectivités territoriales, en tenant compte de ce que nous venons de voir, leurs représentations, leurs motivations et leurs freins. (Cf. tableau N°3). Afin que la personne handicapée mentale soit un citoyen à part entière avec un accès à la cité. 8 Changer représentations et pratiques du handicap mental Intitulé de la piste Degrés d’urgence pour la mettre en place Fiche N°1 Fiche 1 N°2 Fiche Étayer le rôle des représentants de l’association Élaborer des partenariats N°3 Fiche N°4 Fiche N°5 2 2 Points positifs Freins - Faire connaitre le handicap - Prendre le temps d’identifier mental, ses spécificités et ses les besoins et attentes de différences. chacun selon sa posture professionnelle, son vécu, sa - Répondre à une demande mission professionnelle, des collectivités territoriales demande de l’investissement en termes d’apprentissage. et un temps de préparation au préalable important - Les groupes de travail permettent de mener une - Changer son regard sur le réflexion plus large sur handicap différents aspects du handicap et d’y faire - Rechercher des savoir- faire participer différents concrets à faire passer, pour professionnels afin que que chaque membre de la chacun soit acteur dans la collectivité territoriale puisse collectivité territoriale. s’y identifier. - Accompagner une collectivité territoriale sur le long terme, pour mettre en place une politique Distance de certaines d’accueil adaptée au collectivités territoriales à la handicap mental. question du handicap - Tester des nouvelles interventions. - Mutualiser des moyens - Remobiliser les représentants de l’association autour d’un projet commun. - Réinstaller les représentants Difficultés internes liées au dans leur rôle. recrutement de bénévoles - Permettre une reconnaissance du handicap mental dans les lieux décisionnels. Figure N°3 : Les pistes de réflexions et d’actions Légende : Niveau de 1 à 3. 1 est le plus urgent à mettre en place. 9 Introduction L’étude que nous allons présenter dans le présent rapport fait suite à une demande de l’association départementale AEIM - Adultes Enfants Inadaptés Mentaux de Meurthe et Moselle. Cette demande a pour objet la sensibilisation des collectivités territoriales1 aux spécificités du handicap mental. Par commodité de langage, l’association utilise le terme de « handicap mental » mais ce qui préoccupe l’association est bien la « déficience intellectuelle»2. Cette commodité langagière sera utilisée tout au long de ce travail : les termes « déficients intellectuels », « handicapés mentaux » seront utilisés l’un ou l’autre dans l’acception de « déficients intellectuels ». L’AEIM est une association loi 1901,qui a été créée en 1957. Dès 1960, elle s’inscrit dans un grand mouvement national, l’Unapei3, qui fédère des unions départementales. L’AEIM y adhère depuis sa création. L’Unapei est la première fédération d’associations, composée de parents, d’amis et de personnes handicapées mentales. Ensemble, ils œuvrent pour la représentation et la défense des intérêts des personnes handicapées mentales. « L’Unapei est un mouvement familial regroupant des militants, qui cherche à promouvoir la personne handicapée mentale en tant que citoyen, en tant que Personne, par le biais d’actions »4. Les associations affiliées à l’Unapei agissent pour répondre aux besoins et aux attentes des personnes handicapées mentales, favoriser leur insertion et leur permettre de vivre dignement avec et parmi les autres. L’Unapei fédère près de 600 associations présentes au 1 Tout au long de ce rapport, nous emploierons le terme de collectivité territoriale dans le sens d’entité administrative française, distincte de l'administration de l'État, qui doit prendre en charge les intérêts de la population d'un territoire précis. Il s’agit des communes du département de la Meurthe et Moselle dans leur globalité, que nous considérons ici comme des entités politiques, juridiques et géographiques. 2 Chaque mot renseigne sur quelque chose. Le « handicap mental » ne dit rien sur l’origine du handicap, alors que « la déficience intellectuelle » explicite bien la cause. Il est important de faire la distinction entre la déficience intellectuelle et la maladie mentale. Néanmoins, dans les deux cas il y a handicap. Le terme « handicap mental » est utilisé ici comme une commodité de langage, une habitude prise par l’Unapei, nous nous y conformons donc en n’oubliant pas de souligner que l’AEIM n’accompagne et ne prend en charge que les personnes atteintes de déficience intellectuelle. 3 Union Nationale des Associations de Parents d’Enfants Inadaptés qui a évolué en Union Nationale des Associations de Parents et amis de personnes handicapées mentales. Elle existe depuis 50 ans et représente 60 000 familles adhérentes, 600 associations, 3 000 établissements et services gérés, 180 000 personnes handicapées mentales accompagnées, 75 000 professionnels employés. 4 Régis Devoldère, président de l’Unapei de 2000 à 2010. niveau régional (Urapei5), au niveau départemental (Adapei6, Udapei7, Association tutélaire) et niveau local (Apei8, Papillons Blancs, Chrysalide, Envol…). L’AEIM est une Adapei qui obtient, en 1963, la reconnaissance d’Utilité Publique9, ce qui lui confère davantage de légitimité dans le secteur médico-social. A ce jour, elle est ainsi la troisième Adapei de France, gère 34 établissements spécialisés répartis sur les 6 territoires du département10, comptabilise 3000 prises en charges, et compte près de 1000 adhérents et 1300 professionnels. Son objet social est de répondre aux besoins des personnes handicapées mentales et à ceux de leurs familles. Elle veille à rester le plus proche possible des familles et des lieux de vie sociale de la personne en situation de handicap mental. L’association est donc à la fois une force économique et sociale importante du département (10ème entreprise régionale et 3èmeemployeur de Meurthe et Moselle). En 2008, l’AEIM engage une campagne d’information sur un programme « Accessibilité et handicap mental ». Cette campagne découle de la loi n° 2005-102 du 11 février 200511, plus particulièrement de ses articles relatifs à l’accessibilité. En effet, l’obligation faite aux collectivités territoriales de rendre l’environnement accessible aux personnes en situation de handicap se limite bien souvent à l’aspect architectural de l’accessibilité et aux personnes en situation de handicap moteur ou sensoriel. Ce point de vue est fortement relayé, dans les commissions d’accessibilité, par les handicapés physiques qui, contrairement aux déficients intellectuels, sont en capacité de se représenter eux-mêmes dans les différentes instances, alors que les déficients intellectuels sont représentés par leurs tuteurs. Ce type de représentation « indirecte » des handicapés mentaux génère des questions sur sa légitimité par rapport aux autres catégories de handicap : les parents représentent-ils leurs enfants ou alors défendent-ils leurs propres intérêts au détriment de ceux de leurs enfants ? C’est donc pour affirmer la légitimité de cette représentation et la spécificité de 5 Union Régionale des Associations de Parents et amis de personnes handicapées mentales. Association Départementale d’Amis et de Parents d’Enfants Inadaptés. 7 Union Départementale de d’Amis et de Parents d’Enfants Inadaptés. 8 Association de Parents et amis de personnes handicapées mentales. 9 Les associations reconnues d’Utilité publique par décret en Conseil d’État, ont des critères exigés par le ministre de l’Intérieur de durée de fonctionnement (3 ans minimum), de budget (70 000 euros ou plus) et de nombre d’adhérents (200 au moins). Elles peuvent recevoir des dons et des legs, sont soumises au contrôle financier de la Cour des comptes et peuvent accomplir tous les actes de la vie civile. 10 Territoire de Longwy, territoire de Briey, territoire du Val de Lorraine, territoire de Nancy couronne, territoire Terre de lorraine, territoire Lunévillois. 6 territoires pour répondre aux besoins des personnes handicapées et de leurs proches dans chaque bassin de vie. 11 Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. 6 l’accessibilité pour les personnes déficientes intellectuelles que l’AEIM a engagé ces actions de sensibilisation. L’AEIM a organisé sept commissions12 dont les objectifs sont définis autour du programme S3A13 (Symbole d’Accueil, d’Accompagnement et d’Accessibilité) symbolisé par ce pictogramme : Picto S3A.jpg Il représente l’accompagné (la personne handicapée mentale) dans la lumière et l’accompagnant dans l’ombre (de profil). Cette campagne s’articule avec une campagne nationale lancée par l’Unapei « Les victoires de l’accessibilité ».La demande que nous a faite l’AEIM s’inscrit donc dans cette campagne, qui depuis 2009 est entrée dans une phase plus active avec la mise en place d’« actions de sensibilisation ». L’objectif de ces dernières est de sensibiliser le personnel des administrations et collectivités territoriales de Meurthe et Moselle au handicap mental. Elles se réalisent par le biais d’interventions et de partenariats, selon le modèle développé par l’Unapei dans sa campagne nationale. Cette demande de l’AEIM découle d’un double constat : Les collectivités territoriales ne sont pas accessibles aux personnes handicapées mentales. L’AEIM méconnaît les actions entreprises en ce sens par les collectivités. L’objectif fixé est double : faire connaître le handicap mental et ses besoins spécifiques à ces collectivités territoriales et réaliser des partenariats entre ces mêmes collectivités et l’AEIM, afin de rendre la cité plus accessible à ces personnes. La commande en résultant est donc de cerner de manière plus précise : Les représentations du handicap mental que développent les personnes au sein de ces collectivités. 12 Dont les objectifs sont de favoriser les échanges, la réflexion et de promouvoir le pictogramme S3A autour d’un programme de recherche-action en 7 axes : les centres commerciaux – la prévention en matière de santé et les soins – les transports urbains – les établissements AEIM – les clubs sportifs – la culture et pratique artistique – la reconnaissance des acquis professionnels. 13 Pictogramme normé depuis mai 2000, par l’AFNOR sous le nom S3A. Il a la même légitimité que le logo bleu et blanc représentant un fauteuil roulant et signifiant l’accessibilité au handicap moteur, par exemple. Les motivations et freins de ces mêmes personnes, face à l’accueil d’une personne handicapée mentale. Les logiques organisationnelles internes à la collectivité. La finalité de l’intervention est de créer un lien entre le domaine politique (les élus communaux, territoriaux, conseillers généraux voire régionaux) et l’association. Il s’agit de cibler la sensibilisation sur des instances publiques, dans le souci de permettre l’apprentissage de « savoirs faire », de « savoirs agir » et de « savoirs être ». Élaborer avec elles des processus d’accueil et d’accompagnement adaptés à la personne handicapée mentale, afin de rendre le site le plus accessible possible à sa déficience, sera l’aboutissement de la démarche. Il s’agit donc bien d’aider les collectivités à penser et à mettre en place une politique d’accueil à destination des déficients intellectuels. Ceci impose d’une part, de distinguer les divers types de handicaps et d’autre part, de connaître les spécificités du handicap mental. Lorsque les constats, à partir des trois points mentionnés plus haut, seront établis, différentes interrogations nous permettront de faire des propositions de pistes de réflexions. Ces interrogations sont les suivantes : Quels axes de travail développer avec ces collectivités ? Quelles collaborations peut-on mettre en place entre l’AEIM et ces collectivités ? Quels outils construire pour sensibiliser le personnel des collectivités territoriales au handicap mental ? Quels aspects techniques développer pour promouvoir un accueil adapté aux déficients intellectuels ? La commande de l’AEIM s’inscrit dans différents contextes que nous allons décrire dans une première partie. Nous y présenterons l’histoire du secteur associatif et ses relations avec les pouvoirs publics14, les enjeux actuels pour les associations et, pour terminer, la place de l’AEIM dans le paysage médico-social actuel et ses relations avec les collectivités territoriales du département. Dans une seconde partie, nous exposerons les éléments significatifs recueillis lors des observations et des différents entretiens réalisés, les méthodologies de mise en œuvre étant développées en annexe15. La troisième partie devra répondre aux questions posées plus haut, à partir de ces constats, afin d’élaborer des pistes de 14 Tout au long de ce rapport, nous utiliserons le terme de pouvoirs publics dans le sens d’entités administratives et institutionnelles. 15 Annexes éléments de méthodologie (échantillon, entretiens, etc.) page 73. réflexions rendant plus adaptée aux personnes déficientes intellectuelles l’accessibilité des collectivités territoriales. En effet, l’AEIM souhaite se placer comme une force de proposition au sein du département. C’est par un travail sur les représentations, c'est-à-dire les perceptions des professionnels des collectivités territoriales sur le handicap mental, qu’il sera possible de repérer les dénominateurs communs susceptibles d’évoluer, et de proposer des pistes de réflexions et d’actions. 1. Le handicap mental : Un objet méconnu « La déficience concentre sur elle de nombreux registres, économiques, symboliques, moraux, esthétiques, religieux, juridiques et morphologiques par exemple, elle peut être pensée comme un fait social total. Sa spécificité contribue en outre à perturber le cycle des réciprocités au sein des échanges sociaux »16. Le sens commun réduit, le plus souvent, la notion de « handicap » à « handicap physique », parfois à « handicap sensoriel », rarement à « handicap mental ». Les termes « handicapés mentaux », « malades mentaux » sont confondus et employés indistinctement, ancrés comme similaires dans l’imaginaire17. La polysémie du terme « handicapés mentaux » oscillant entre d’un côté la figure de « l’enfant » — quelque soit l’âge — en état d’incapacité et à surprotéger, et de l’autre celle de « l’adulte », en état de capacité, ouvre ainsi des champs apparemment contradictoires dans les possibles représentations. Plusieurs questions auxquelles nous nous efforcerons de répondre dans cette partie s’imposent à ce stade de notre étude : Comment les personnes interrogées s’expriment-elles, spontanément ou après relance, sur ces sujets ? Comment, à partir de ces expressions, hiérarchiser les réponses, en extraire les données communes, pour proposer des facteurs explicatifs et des leviers de changement ? 2.1 Les perceptions du handicap 2.1.1 Du handicap en général Les personnes interrogées ne définissent pas le handicap en des termes scientifiques, mais plutôt en référence à leurs expériences quotidiennes, à des confrontations occasionnelles ou encore à leurs vécus personnels. Descriptions en chaines d’instants dans lesquels ils ont été amenés à porter un regard sur la personne handicapée et ont pu être confrontés à leur propres peurs et méconnaissance. Les travaux de sociologie de la santé18montrent que les représentations19de la maladie sont toujours construites à partir de l’expérience personnelle et à partir du milieu social et culturel de la personne. Ce constat peut se faire également avec le handicap : les entretiens menés prouvent que les représentations des personnes interrogées sur le handicap sont en adéquation avec leur propre vécu. 16 17 18 19 ALAIN BLANC, Le handicap ou le désordre des apparences, Armand colin, Paris, 2008. MICHEL FOUCAULT, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, Paris, 1976. CLAUDINE HERZLICH, Médecine, maladie et société, Armand Colin, Paris, 1970. Entendu dans le sens de « perceptions ». Afin, d’aider les personnes interrogées à se prononcer sur le handicap et sur des situations rencontrées par les personnes handicapées, nous avons choisi et proposé onze photos. Dans cet échantillon de photos, les quatre types de handicaps sont représentés : handicap moteur, handicap mental, handicap visuel et handicap auditif. Nous avons sélectionné ces photos car elles représentent chacune une situation différente : les personnes handicapées sont seules ou accompagnées, dans une situation de la vie quotidienne, sur un lieu de travail. Face à ces photos, les personnes interrogées étaient invitées à s’exprimer sur ce qu’est le handicap en général : comment le perçoivent-elles ? Comment le définissent-elles ? Quelles images les dérangent, les perturbent ? Lorsqu’elles entendent les termes « personnes handicapées » quelle image s’impose à elles ? 1 2 4 3 5 7 6 8 10 9 11 Ce qui ressort en premier lieu de ce travail est que le « handicap » est usuellement associé au handicap moteur. Ainsi, à la présentation des photos (ci-dessus), les personnes interrogées sont unanimes pour définir la personne handicapée comme étant celles présentées dans des fauteuils roulants (photos numéros 1, 6 et 10) « Un fauteuil roulant c’est ce que l’on voit en premier » D’emblée elles justifient leurs propos par une énumération d’actions, mises en place par la collectivité, en faveur du handicap : des places de parking réservées aux personnes handicapées, des abaissements de trottoirs, des diagnostics bâtis, des portes d’entrées automatiques, des ascenseurs, des rampes, des bandes podotactiles au sol, etc. Autrement dit, il s’agit d’actions principalement en faveur du handicap moteur, et dans une moindre mesure en faveur du handicap sensoriel. Les personnes interrogées évoquent notamment des actions concrètes mais surtout visibles par tous et qui s’imposent comme des évidences. Ces actions sont justifiées par le fait que, pour les collectivités territoriales, la personne handicapée est majoritairement définie comme une personne qui « a quelques difficultés à vivre son quotidien », un quotidien que la collectivité a le devoir de simplifier, selon la loi n° 2005-102 du 11 février 2005. La mise en place de ces actions est, dans la plupart des collectivités, la conséquence des dispositions légales à prendre avant 201520. A noter qu’en décembre 2009, ces mêmes collectivités ont dû rendre un diagnostic bâti et une expertise de leurs locaux municipaux au gouvernement, afin d’estimer le coût financier des travaux à réaliser en faveur de l’accessibilité. La notion d’accessibilité est donc définie essentiellement sous l’angle du handicap moteur et de ses spécificités : « Le fauteuil roulant doit pouvoir accéder partout, et en prenant le même chemin que les personnes valides » « C’est aller où on veut quand on veut » « C’est mettre tout en adaptation » 20 Date d’application de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005. Cette association au handicap moteur est accentuée selon le type de service enquêté. Les structures telles que la direction départementale de l’équipement ou encore les unités d’accessibilité territoriales scindent le handicap selon leurs propres compétences d’actions. Si tous s’accordent sur cette assimilation « handicap moteur / handicap mental », les personnes interrogées se distinguent néanmoins, selon leurs représentations de leur mission de service public, perçue tantôt comme un traitement uniforme, tantôt comme un traitement différencié, afin de compenser les difficultés. Les avis des personnes interrogées sont en effet partagés. Certaines personnes pensent que l’accessibilité devrait passer inaperçue, sans stigmatiser la personne handicapée comme par exemple : passer par une porte d’entrée différente de la porte principale. D’autres pensent, en revanche, que toute accessibilité demande un effort et que par conséquent l’accessibilité ne peut pas passer inaperçue étant donné les chantiers bâtis qu’elle entraîne. Nous remarquons ici une tension importante, qui va structurer l’ensemble des attitudes vis-à-vis du handicap. Cette tension s’enracine dans deux conceptions du service public : - La première est issue des différentes approches politiques et sociologiques en faveur du handicap du début du XXème siècle jusque dans les années 198021 : elle implique de traiter de manière identique l’ensemble des personnes. - La seconde consiste à traiter de manière différente les personnes, pour compenser les inégalités dont elles peuvent être victimes du fait de leur handicap. Chaque conception représente un accompagnement différent pour les personnes handicapées mentales. Il s’agit ici de données théoriques que nous reprendrons plus loin dans l’analyse, afin de présenter les conséquences pratiques. Cette tension n’est pas propre au handicap, puisqu’elle se retrouve par exemple dans le cas des rapports hommes femmes ou dans tous types de rapports sociaux. Les actions de discriminations positives auprès des milieux populaires pour permettre aux enfants de suivre des études supérieures en sont une illustration. Ces débats de discriminations positives en faveur des classes populaires s’opposent aux principes de l’égalité de traitement par exemple. 21 CORALIE VINCENT, Les politiques du handicap à l’épreuve du terrain, Mémoire de Sociologie M1, Nancy 2, 2009. Au-delà des perceptions générales du handicap qu‘ont les personnes interrogées, nous allons analyser les représentations du handicap mental dans la sous-partie suivante. 2.1.2 Représentations du handicap mental « Qu’est-ce que le handicap mental ? » Cette question provoque de l’embarras, un temps de réflexion est alors nécessaire pour y répondre car si pour certains la réponse est évidente (« il s’agit de ceux qui ont un handicap au cerveau »), pour d’autres, ce constat n’est pas aussi avéré. En effet, avoir une image personnelle de la personne handicapée mentale ne suffit pas à en faire une définition et encore moins à l’énoncer en public. Chacun fait appel à ses propres expériences et références pour définir le handicap mental. L’image générale énoncée, pour le décrire est souvent la trisomie 21 et l’autisme profond. « Le handicap mental est souvent représenté à travers la trisomie et l’autisme » « C’est comme Duquenne22 dans le huitième jour, c’est toujours lui que l’on voit ! » Cette perception du handicap mental n’est pas anodine. Elle montre que les personnes interrogées associent le handicap mental aux difficultés de communication, de compréhension du fonctionnent institutionnel et des attentes en termes de normes sociales. Nous la retrouvons dans d’autres propos : « On ne peut pas trop discuter avec un autiste… ! » Ces perceptions sont celles qui sont relayées dans les médias. Le handicap mental est souvent présenté sous l’image de la trisomie 21, de l’autisme ou du polyhandicap, des images qui ne suscitent pas beaucoup d’interactions possibles ou d’autonomie réelle. Il semble difficile pour les personnes interrogées de distinguer les différents types de handicaps mentaux. En effet, à aucun moment il nous a été précisé que la personne handicapée mentale pouvait aussi être celle que nous ne remarquons pas immédiatement et qui peut faire seule ses 22 Acteur du film Le huitième jour atteint d’une trisomie 21.Le Huitième Jour, film belge, Jaco Van Dormael, 1996. démarches personnelles (courses, changement d’adresse, opérations financières, etc.) et qu’il existe plusieurs niveaux dans la déficience intellectuelle. Bien que le thème de l’intégration ne fût pas inscrit au cahier des charges et dans la grille d’entretiens, les personnes interrogées, spontanément, mettent en parallèle intégration – autonomie et handicap. Elles s’approprient ainsi le discours dominant qui est transmis par les médias. « On ne connait pas bien ce type de handicap et on ne sait pas comment intégrer ces personnes » « L’intégration est certainement possible mais sous une forme différente » « Quand le handicap est lourd à regarder, il est moins intégré » « Ce sont des personnes que l’on ne voit pas, elles sont enfermées dans leurs établissements donc on ne peut pas les intégrer dans la ville » Une des difficultés est d’expliquer qu’il ne s’agit pas ici de sensibiliser les collectivités territoriales à l’intégration des personnes handicapées, mais qu’il s’agit de leur rendre des lieux publics accessibles à leurs spécificités. Pour les personnes rencontrées, l’intégration se définit en rapport avec le travail. Par exemple, lors de la présentation des onze photos, un agent de mairie identifie les personnes handicapées se trouvant sur un lieu de travail comme étant des personnes « intégrées dans la société », un autre agent dit : « lui, avec la canne blanche et une cravate il est sur son lieu de travail donc c’est qu’il est intégré et autonome ». Ces professionnels ne font pas référence à l’intégration sociale ou communautaire. Pour ces derniers, l’intégration est assimilée au secteur de l’entreprise « intégrer à un poste de travail », l’intégration se définit dans le sens de se rendre utile dans la réalisation d’une tâche précise par exemple. Néanmoins, pour les personnes interrogées, le travail en milieu protégé, exercé par une personne handicapée mentale dans un ESAT par exemple, ne s’assimile pas à une intégration sociale ou professionnelle. En effet, dans les représentations communes l’intégration professionnelle passe uniquement par le milieu ordinaire, alors que pour un travailleur handicapé il s’agit bien d’un travail à part entière. Dans les représentations communes, le fait qu’il s’agisse d’un « travail adapté », éloigne la personne handicapée mentale des normes, des cadres et des obligations professionnelles connues dans le milieu de travail ordinaire. Dans les représentations communes, le travail protégé s’assimile à une occupation sans grande productivité. Cette idée mériterait d’être analysée ultérieurement, tout comme le thème de l’intégration pourrait faire l’objet d’une autre étude plus approfondie. Pour les personnes rencontrées, l’intégration de la personne handicapée mentale est évaluée en fonction de son niveau d’autonomie. Comme le montre le schéma numéro 1 cidessous, l’autonomie est ici définie comme une capacité à faire par soi-même, c’est-à-dire sans l’aide d’un tiers. Or, comme nous avons pu le constater plus haut, et comme en témoigne le schéma numéro 2 présenté ci-après, la personne handicapée mentale est définie comme une personne inapte à faire seule une tâche, ce qui conduit à un manque d’intégration. NB : Ci-dessous, nous présentons des schémas qui, comme les analyses précédentes, traduisent uniquement les représentations des personnes interrogées. Définition de l’intégration (Schéma N°1) Évaluation de l’intégration de la personne handicapée mentale (Schéma N°2) Les personnes interrogées ont le sentiment d’être dans l’incapacité de trouver une norme et une logique, dans le comportement d’une personne handicapée mentale. En effet, les attentes quotidiennes d’une population sont basées sur leurs références personnelles et sur leurs valeurs : dire bonjour, dire merci, être poli, être rapide, être civilisé, être discret, savoir prendre la parole, être audible, etc. Cette incapacité à classer la personne handicapée mentale dans la société est renforcée par la méconnaissance des personnes interrogées sur les spécificités de ce type de handicap. Ici, nous mettons en avant deux idées : - Dans les discours recueillis, « intégrer » signifie « être autonome », ce qui indique « faire seul ». - Dans la pratique, ce qui gêne les personnes interrogées, c’est l’infraction aux normes d’interactions verbales et corporelles : tenir la distance de courtoisie, être poli, savoir ce qui ne se fait pas en public, etc. Autant de situations qui gênent les professionnels de l’accueil, qui sont les premiers à être confrontés aux usagers handicapés mentaux. 2.1.2.1 Une difficulté à repérer les comportements associés au handicap mental Un des premiers problèmes soulevés par les personnes interrogées est la difficulté à identifier le handicap mental, ou tout simplement à reconnaître une personne handicapée mentale. « C’est un handicap caché, ce sont des personnes isolées» « On ne les remarque pas » En effet, un fauteuil roulant ou une canne blanche permettent d’identifier une personne handicapée et de définir son type de déficience. Or, pour le handicap mental, il est beaucoup plus délicat de déterminer le degré de déficience mentale, voire même de la percevoir. Un second problème soulevé par les personnes interrogées est leur ignorance et leur inexpérience au sujet du handicap mental. Nous avons même été amenés à constater que certaines personnes ne souhaitaient pas approfondir le sujet et s’en tenaient à de simples remarques : « Faut dire que l’on n’en voit pas souvent, alors c’est dur à dire ! » « Moi ça ne me choque pas » « Ils ne me gênent pas » Dans la mesure où les personnes interrogées ne savent pas définir le handicap mental, elles n’en connaissent par conséquent pas les spécificités et ne peuvent pas adapter leurs attitudes, leurs comportements, leurs actes et leurs pratiques sans tomber dans les préjugés et les peurs. Lorsqu’elles sont invitées à s’exprimer, cela provoque une certaine gêne, de la confusion et une stigmatisation de la personne handicapée mentale. Nous ressentons aussi une peur d’être jugées sur les propos qu’elles emploieront. Leurs peurs s’expriment en fonction des comportements parfois imprévisibles de la personne handicapée mentale, aux comportements sortant de la norme sociale. Les élus et les professionnels municipaux ne sont pas des populations qui ont pour habitude d’être confrontées au handicap mental. L’ignorance des spécificités est donc un obstacle majeur dans l’accueil de la personne handicapée mentale. Cette ignorance des spécificités se retrouve dans les différentes représentations stéréotypées du handicap mental, comme nous allons le voir dans les paragraphes suivants. 2.1.2.2 La mobilisation de représentations stéréotypées du handicap mental Quatre stéréotypes ont été identifiés dans les discours recueillis, il faut néanmoins différencier les personnes qui assimilent le handicap mental au handicap moteur, de ceux qui l’assimilent à des individus ne sachant pas se comporter en public par rapport aux normes établies. Comme nous l’avons expliqué précédemment, chaque personne a une vision particulière de la personne handicapée mentale, de ses capacités et de sa place dans la société. Dans cette sous partie, nous faisons figurer des extraits d’entretiens montrant quels stéréotypes sont mobilisés pour définir la personne handicapées mentale, une manière de coder ce handicap qu’elles ne maitrisent pas. Nous constatons alors que la personne handicapée mentale interroge, intrigue. Elle est perçue comme une personne qui peut faire peur, qui ne sait pas toujours se comporter en société et qui impressionne l’entourage. En d’autres termes, elle apparaît comme un individu « ingérable et enfermé dans son centre ». Premier stéréotype Il apparaît très clairement que la personne handicapée mentale enfreint les codes comportementaux attendus par la société actuelle23. « Ce n’est pas simple de garder son calme, d’ailleurs quand on est à l’accueil on est mal à l’aise, on ne sait pas comment se comporter » « Les personnes handicapées mentales sont parfois violentes, en conflit, et cela peut être ingérable, irrationnel, perturbant » Ce stéréotype est davantage mobilisé par les agents de la collectivité territoriale. 2.1.2.2.1 Une confusion avec le handicap moteur Second stéréotype Comme nous l’avons décrit plus haut, lors de la présentation des photos, le handicap moteur est désigné comme réponse à la question « pour vous, qu’est-ce que le handicap ? ». Cette « grande tendance », constatée dans les entretiens, est de s’en tenir aux spécificités du 23 ERVING GOFFMAN, Les rites d’interactions, Paris, les éditions de minuit, 1967. handicap moteur et de placer le handicap mental dans un prolongement, un continuum, en gommant les spécificités du handicap mental. Il faut préciser que les personnes interrogées ne font pas forcément une confusion entre le handicap moteur et le handicap mental, mais elles réalisent plutôt une réduction. Elles réduisent un terme générique « handicap » à une de ses composantes « handicap moteur » par exemple, prenant ainsi les spécificités du handicap moteur comme acquis pour le handicap mental. Cf. « Pistes de réflexions et d’actions » 55 et 57 « Poursuivre la sensibilisation au handicap mental » et « Répondre à une méconnaissance persistante ». 2.1.2.2.2 Spécificité des handicapsmentaux Troisième stéréotype : « le fou » Lorsque les personnes interrogées prennent en compte les spécificités des handicaps mentaux, elles l’assimilent au « fou », c'est-à-dire au secteur de la maladie mentale, Quatrième stéréotype : l’enfant Ou au contraire, les personnes interrogées opposent cette vision du fou à celle d’un enfant, qu’elles décrivent comme une personne unique. Il y a donc deux profils à distinguer : ceux qui perçoivent la personne handicapée mentale comme un « fou » (cf. profil 1) et ceux qui dissocient le handicap mental de la folie (cf. profil 2). Il faut différencier ces deux perceptions car elles ne suscitent pas les même pratiques professionnelles ; il y a la crainte d’un côté et l’infantilisation de l’autre. Ces deux derniers stéréotypes étant les plus rencontrés, nous allons les développer dans le paragraphe suivant. 2.1.2.2.2.1 Profil N°1 : La personne handicapée mentale assimilée au « fou » Comme nous l’avons décrit précédemment, l’incapacité à comprendre les logiques suivies par une personne handicapée mentale et à connaître les normes auxquelles elle se réfère, intrigue et dérange les personnes rencontrées. La personne handicapée mentale ne rentre pas dans les cases légitimées par la société. Les personnes interrogées nous confient être mal à l’aise en présence du handicap mental qu’elles confondent avec la maladie mentale, provoquant les mêmes gênes. Les personnes interrogées assimilent le handicap mental avec la maladie mentale (schizophrénie, dédoublement de la personnalité, hallucination), une comparaison qui leur fait peur et les tient à distance de la personne handicapée. « Ce sont souvent des fous » « On lit souvent dans le journal qu’ils ont agressé quelqu’un dans la rue » « La dernière fois, ils disaient aux informations qu’un homme comme ça, avait poignardé sa grand-mère » Lorsque nous demandons « qu’est-ce qu’un homme comme ça ? », nous obtenons la réponse suivante : « Pas stable, qui se prend pour plusieurs personnes en même temps par exemple » Nous voyons bien dans ces exemples d’entretiens que la confusion avec le « fou » est totale. Étudiant les représentations sociales, Denise Jodelet explique que le discours tenu par ces personnes est en adéquation avec les peurs que mobilisent la proximité et le contact avec cette figure de l'altérité qu'est le « fou »24, c’est également le cas avec la figure du handicapé mental. « Ils sont peu maniables, violents, dangereux même. De sorte qu’il faut un certain courage pour s’en occuper au quotidien » « Attention, il pourrait s'énerver et devenir méchant, vous donner un coup » « Ce sont des gens qui sont quand même pas comme tout le monde » La personne handicapée mentale est décrite comme un individu inconscient de ses actes certes, mais capable aussi d’actes violents, incontrôlables et agressifs. Les personnes mobilisant ce stéréotype privilégient la mise à distance et l’isolement physique de la personne handicapée. « Dans chaque situation, on les accueille en les isolant et on les isole en les accueillant(…) ce n’est pas bien, mais c’est plus prudent ». Les objections sont faites en se basant sur la crainte : « Rien qu'à leur figure, à leur apparence, ils me mettent mal à l’aise » Les stigmates de la détresse physique et mentale confrontent parfois à l’étrangeté. 24 DENISE JODELET, Les représentations sociales de la folie, Paris, Puf, 1989. « Il y a un aspect Cour des Miracles qui est désagréable à regarder » Le devoir de garder toute sa dignité en toutes circonstances est une norme dans notre société, une manière de protéger la façade sociale. Lorsque cette norme se mêle à la crainte, les réactions peuvent être excessives. Le spectacle des malades mentaux inquiète et devient gênant pour soi lorsqu’il est public. Denise Jodelet explique que face à la présence multiforme et incessante de la folie, se constitue tout un savoir subtil pour élaborer une position défensive conduisant à ne pas « faire attention » aux malades mentaux, et même à « ne plus les voir ». D’une manière générale, le malade mental dérange et angoisse, de la même manière que le handicapé mental, ils enfreignent tous deux les codes sociaux, c’est donc en toute logique que ces deux cas sont confondus. Il est important de souligner les points communs entre ces deux cas. Comme nous le verrons dans la partie 3, sur les pistes de réflexions et d’actions, lors d’une sensibilisation il sera important que le formateur insiste sur les distinctions entre la maladie mentale et le handicap mental, deux cas peu connus et confondus dans les collectivités. Cf. « Pistes de réflexions et d’actions » page 55 et 57 « Poursuivre la sensibilisation au handicap mental » et « Répondre à une méconnaissance persistante ». 2.1.2.2.2.2 Profil N°2 : La personne handicapée mentale dissociée du « fou » Dans cette dissociation de la folie, la personne handicapée mentale est perçue comme une personne à part entière. Les entretiens réalisés montrent qu’il y a deux sous-profils à différencier : ceux qui considèrent la personne handicapée mentale comme un adulte restant enfant et ceux qui considèrent la personne handicapée mentale comme un adulte connaissant des difficultés spécifiques et singulières, voire une personne à « part entière ». Il faut, ici, préciser qu’un enfant est aussi une personne à part entière et cette considération est importante dans son éducation et dans le développement de son autonomie dans la mesure de ses réelles capacités et compétences. Nous avons, dans ces représentations des personnes « infantilisées » ou « adultisées 25», « incapables » ou « capables ». La personne handicapée mentale représentée comme un enfant Après une confusion entre les handicapés mentaux et le « fou » apparaît une seconde confusion celle de l’infantilisation. « Ce sont des personnes qui ne réagissent pas et à qui on ne peut pas confier quelque chose d’important » En effet, un enfant en bas âge n’est pas capable de faire seul, il faut faire avec lui ou à sa place, nous ne nous adressons pas à lui mais à son accompagnateur, il demande de l’attention et de la surveillance, nous ne lui donnons pas de responsabilité, il peut être discret, peureux, amusant, bruyant ou dérangeant, l’enfant n’a pas conscience de ses actes et des conséquences possibles de ces dernier, etc. Pour les personnes interrogées, ces propos sont applicables à la personne handicapée mentale, qui comme l’enfant apparaît comme une personne incontrôlable dans ses actes. « Quand ils viennent, ils sont toujours souriants, malgré leur handicap lourd…c’est comme des enfants, ils ne s’en rendent pas compte ! » Si nous poussons à l’extrême cette idée d’infantilisation, nous pouvons dire que l’enfant n’a pas de place dans la société s’il n’est pas accompagné. Il en serait alors de même pour la personne handicapée mentale, considérée comme un petit enfant à qui il est impossible de confier des responsabilités ou de travailler comme un salarié ordinaire. Cette perception du handicap mental a des conséquences sur les pratiques d’accueil de la personne handicapée dans la collectivité territoriale. Les professionnels ont le réflexe de s’adresser de manière infantile aux personnes handicapées qui viennent seules, et à celles qui viennent accompagnées, ils s’adressent aux accompagnateurs, de la même manière que nous nous adressons à un parent plutôt qu’à un enfant. « Il faut être honnête ce sont des personnes qui ne seront jamais aptes à se prendre en charge seules. Elles auront toujours besoin d’être accompagnées par leurs parents » 25 Néologisme pour décrire le fait d’être rendu adulte. Les personnes interrogées évaluent la personne handicapée mentale en fonction de son incapacité à faire quelque chose seule. Les personnes handicapées mentales ne sont pas des enfants, certaines ont des points de vue sur ce qu’est l’autonomie, l’intégration ou le travail. Prenons l’exemple d’une jeune femme handicapée mentale : l’autonomie est symbolisée par des références liées à la norme sociale telles qu’être en couple, avoir un enfant et un appartement. S’il advient que cette dernière est traitée comme un enfant, cela peut être vécu comme une violence symbolique, voire plus fort encore, la personne se sentira dévalorisée, atteinte dans ses capacités et en souffrira réellement et concrètement. A chaque fois que des individus n’ont pas les capacités de « gouverner eux-mêmes leurs actes », ils sont considérés comme des enfants, ce constat se fait aussi pour les personnes âgées, ayant un niveau de dépendance importante ou une perte de repères spatio-temporels, que nous assimilons à des enfants. Tout comme dans le profil numéro 1, il est important de souligner les points communs entre un enfant et une personne handicapée mentale, afin que la distinction entre ces deux cas soit précisée lors d’une sensibilisation. La personne handicapée mentale représentée comme un adulte singulier Les propos de ceux qui parlent des personnes handicapées mentales comme étant des personnes « à part entière et singulière » s’inscrivent dans un registre compatissant et tolérant et s’articulent autour de deux notions d’égalité. Nous retrouvons ici deux conceptions du service public, comme entrevue dans la partie précédente. L’égalité de traitement : Cette notion de l’égalité concerne principalement des agents municipaux expérimentés dans le service public. La personne handicapée mentale est perçue comme un égal, qu’il convient de traiter de manière standardisée. «Ça serait nos enfants, nos frères ou sœurs, on ne voudrait pas qu’on les traite différemment » « Quand j’ai signé mon contrat (…), mon chef m’a dit maintenant, ton travail c’est tous les matins de faire au mieux (…), pour moi c’est traiter tout le monde pareil » « On n’est pas aveugle, on voit bien qu’ils ont un souci mais on fait comme si on ne le remarquait pas et on fait les mêmes gestes que pour le visiteur d’avant ou celui d’après » « Bien sûr ce sont des handicapés, c'est une affaire entendue, mais enfin ils ne sont pas transparents, ni forcément méchants, c’est une évidence » « Il ne faut pas les traiter différemment, ça pourrait être nos enfants, et on souffrirait du regard des gens dans la rue » « Les gens qui sont contre ont tort, ils comprennent pas du tout, parce que ces gens-là c'est des gens comme nous » Lorsqu’il y a égalité de traitement, nous « gommons » le handicap, nous n’en parlons pas, puisque l’usager n’est pas reconnu dans ses spécificités handicapantes mais uniquement comme un citoyen ordinaire, la charge de travail est donc facilitée. C’est un mode d’approche qui n’est pas adapté au handicap mental. Un problème se pose puisqu’il faut néanmoins tenir compte des limites de compréhension et d’action de la personne handicapée mentale. L’égalité des chances : Cette notion de l’égalité concerne principalement des élus qui défendent des idéaux pour leur collectivité. Ils considèrent qu’il faut intervenir différemment avec une personne handicapée mentale, afin de compenser ses difficultés. « Comment peuvent-ils faire seuls une tâche ? Ce n’est pas possible. » « C’est à nous de nous adapter, eux ils n’en n’ont pas les moyens » Dans ce cas, les personnes interrogées prennent en compte le handicap avec ses techniques de compensation, par exemple une prothèse auditive serait prise en considération. Nous avons pu constater que ce sont des élus, c'est-à-dire des hommes politiques qui se réfèrent à cette tendance. Cela peut s’expliquer par le fait que réaliser concrètement l’accueil d’une personne handicapée n’est pas de leur ressort, ce qui n’est pas le cas des agents qui ne peuvent pas choisir qui ils reçoivent. Il est donc plus facile pour les élus d’avoir une approche de compensation en dehors de toutes tentatives de pratiques d’accueil. Comme nous pouvons le constater, il y a une tendance forte pour l’égalité de traitement au détriment de l’égalité des chances, ce qui se traduit par une disproportion des extraits d’entretiens. Cette dernière peut également s’expliquer par le faite que nous avons peu eu d’entretiens individuels avec les agents (Cf. méthodologie en annexe). A travers ces deux perceptions de la notion d’égalité transparaissent deux conceptions différentes du service public, c'est-à-dire deux manières de concevoir son métier. Donc travailler l’accessibilité du handicap mental implique de toucher aux conceptions que les agents des collectivités territoriales ont de leurs métiers. Afin de récapituler les grands modèles de représentations, nous proposons ce schéma, ciaprès. L’axe numéro 1 permet de visualiser les trois perceptions du handicap mental portées par les membres des collectivités territoriales. L’axe numéro 2 présente les deux conceptions du service public. Chaque catégorie de population interrogée se situe dans un des cas, par exemple les agents se placent dans une conception d’égalité de traitement, tout en considérant l’usager handicapé mental comme un adulte. « Les pôles de représentations autour des handicapés mentaux » Axe 2. Conceptions du service public Égalité de traitement : Traiter identiquement Agents Axe 1. Représentations des handicapés mentaux Fou Adulte Enfant Élus Égalité des chances : Compenser les difficultés Les membres des collectivités territoriales placent toutes les personnes handicapées mentales au même niveau de déficiences et sous des formes conceptuelles : autisme profond ou trisomie 21. Le handicap mental est différencié des autres handicaps, mais sous des explications stigmatisantes. A aucun moment, les personnes interrogées émettent des différences au sein même du handicap mental. Elles ne soulignent pas la diversité qu’implique ce type de handicap, victime d’une vision stéréotypée persistante, tantôt perçue à travers les traits d’un «fou», tantôt à travers les traits d’un enfant ou tantôt à travers les traits d’un adulte différent (égalité des chances) ou transparent (égalité de traitement). Certains membres des collectivités territoriales ont une image de la folie, de la maladie mentale propre qu’ils assimilent au handicap mental. La représentation de l’infantilisation renvoie à une obligation d’accompagnement et à une prise en charge soignée, au contraire de la représentation d’adulte qui renvoie à une obligation d’autonomie. Dans les deux cas, on ne tient pas compte des compétences de la personne. A travers les discours recueillis, nous pouvons constater que l’’accessibilité se nourrit de différentes visions : d’abord en fonction des handicaps physiques (moteur, visuel ou auditif) tels que les rabaissements de trottoirs, les portes automatiques, les feux parlants, les affichages. Ensuite, selon la notion d’autonomie, enfin arrive la notion d’accompagnement. 2.1.3 Accessibilité pensée via le handicap moteur La méconnaissance des personnes interrogées ne se fait pas sentir uniquement sur les spécificités du handicap mental, mais aussi sur l’association des notions « handicap mental » et « accessibilité ». Les personnes questionnées ne perçoivent en aucune façon de quoi il s’agit. Lors de l’énoncé de cette question, un silence s’installe temporairement. S’il est possible de définir l’accessibilité, il semble en revanche délicat d’imaginer ensemble ces deux concepts. Pour le premier, il s’agit du caractère de ce qui est accessible, un objet ou un lieu qui ne comporte pas de difficultés ou d’obstacles, principalement sur un plan moteur. Pour le second, quant à lui, la définition du handicap mental peut se faire par élimination d’idées et suppositions. « L’accessibilité au handicap mental…cela ne vient pas à l’esprit ! » « L’accessibilité pour le handicap mental ? C’est possible ? Franchement ça doit être compliqué ! » « Pour le handicap physique, oui je vois bien, mais pour le handicap mental c’est quoi ? » Un effort d’imagination est alors nécessaire : « Accessibilité…handicap mental….c’est peut être…être plus patient ? » « C’est logique qu’eux aussi aient leur accessibilité, les sourds ont bien la langue des signes » « C’est être plus lent dans notre débit de parole ? » « C’est tenter de les comprendre sans les blesser ? » L’accessibilité au handicap mental est un impensé dans les représentations collectives communes. Les personnes interrogées pensent savoir plus facilement imaginer, décrire et mettre en pratique l’accessibilité au handicap moteur ou sensoriel. Elles tentent donc d’envisager l’accessibilité au handicap mental à travers le handicap physique. L’accessibilité n’est pensée qu’en prolongement à l’accessibilité au handicap moteur, comme l’adaptation du bâti. Les perceptions qu’ont les personnes sur le handicap moteur influencent leurs perceptions du handicap mental, ce qui rend difficile une définition de la notion d’accessibilité pour ce type de handicap. L’accessibilité pour le handicap moteur et pour le handicap mental ne se définissent pas et ne s’appliquent pas de la même manière. Il s’agit en quelque sorte de deux mondes. Les personnes interrogées ont comme premières réactions de penser qu’il n’y a « pas d’autonomie possible ». Comme nous l’avons vu dans la sous partie précédente, de la même manière qu’elles font des parallèles entre « autonomie » ou « intégration », elles associent l’autonomie à l’accessibilité. L’idée de l’accessibilité au handicap mental arrive au bout de plusieurs minutes de débat, il s’agit de l’accompagnement. « Il ne peut pas être seul pour faire des démarches » « C’est à nous d’être accessible » L’accompagnement se présente comme étant la solution pour tous, mais qui doit accompagner ? Ce questionnement pourra être traité ultérieurement dans la partie « Pistes de réflexions et d’actions » page 55, « Poursuivre la sensibilisation au handicap mental ». Contrairement à ce que nous pourrions penser, rares sont ceux qui perçoivent l’accompagnement comme une contrainte ou un obstacle. « A partir du moment où l’on nous explique comment il faut faire et se comporter, ce n’est pas gênant d’être accueillant » « C’est logique, il ne peut pas faire des choses seul, donc quand il est seul c’est à nous de compenser comme on peut » Ceux qui perçoivent mal l’accompagnement, sont ceux qui disent ne pas maitriser le handicap et plus particulièrement le handicap mental. « Comment peut-on l’accompagner, si on ne sait pas ce que c’est son handicap et surtout si on ne sait pas ses réactions » Mais de quel accompagnement s’agit-il ? Cela dépend des représentations mobilisées. Il semble plus aisé d’imaginer l’accessibilité au handicap moteur ou sensoriel : les exemples d’accessibilité rentrent dans les discours communs et sont relayés par la presse régulièrement. De même, les personnes interrogées se sentent davantage concernées par les handicaps moteurs ou sensoriels : personne n’est à l’abri de se retrouver dans un fauteuil roulant un jour ou d’avoir l’ouïe et la vue qui diminuent en vieillissant. En effet, il est Tableau récapitulatif des représentations sur les handicapés mentaux Trois pôles de représentations sont présentés : le «fou», l’enfant et l’adulte. Pour chaque cas, nous présentons la manière dont les personnes handicapées sont accueillies, plus précisément les stratégies mobilisées par les personnes interrogées confrontées au handicap mental, les problèmes que cet accueil pose et les points à travailler par la suite. Autrement dit, il s’agit de présenter quelques dimensions qui pèsent sur les perceptions du handicap mental et sur lesquelles il faut agir pour changer les regards des collectivités territoriales. Représentations Un «fou» Un enfant Un adulte Actions Comment réagissent les personnes interrogées lors de l’accueil d’une personne handicapée mentale ? Effets pervers ? problèmes posés Points à travailler - Mettre en place des stratégies d’évitement, de mise à distance, - Tenter de se débarrasser rapidement de l’usager handicapé, -Ne pas inviter l’usager handicapé à s’avancer, - Garder une position d’observation - Rester sur la défensive - Veiller à ce qu’il n’y ait pas d’engagement pris par l’usager - Veiller à ne pas le contrarier. - Parler doucement, - Guider physiquement l’usager handicapé, - Faire à la place de l’usager, - Répéter les mêmes informations plusieurs fois, - Utiliser un vocabulaire infantile et simple, - Tutoyer, - Mettre de la couleur. - Passer à côté des besoins de l’usager, - Provoquer un sentiment de rejet de la part de l’usager, - Engendrer un processus d’isolement, - Avoir une qualité d’accueil en fonction du profil de l’usager. - Passer à coté des besoins de l’usager, - Avoir un manque de considération de la personne et de ses capacités. - La non prise en compte de la personne handicapée mentale, - Les freins à l’autonomisation, ce qui peut engendrer des attitudes violentes. - La non prise en compte de la personne handicapée mentale, - Les freins à l’autonomisation, ce qui peut engendrer des attitudes violentes. Égalité de traitement - S’adresser à l’usager handicapé comme à n’importe quel usager Égalité des chances - Adapter sa posture professionnelle, en prenant en compte les capacités et limites supposées de l’usager handicapé, - S’assurer que l’usager handicapé a bien assimilé les informations Égalité de traitement - Passer à coté des besoins de l’usager handicapé, - Mettre l’usager en difficulté, - Engendrer un « malaise ». Égalité des chances - Indisposer l’usager handicapé en « en faisant trop », - Prendre le risque que l’usager se sente perdu dans une masse d’informations Égalité de traitement - Faire un effort pour adapter sa posture professionnelle. Égalité des chances - Avoir le souci d’utiliser un langage simple - Reformuler différemment 2.1.4 Les différences de visions élus / agents Au vu de la méthode d’investigation utilisée, il n’est pas possible d’élaborer un comparatif précis entre les propos des élus et ceux des agents municipaux. L’objectif n’était pas là. Mais, il est possible de réunir quelques éléments et propos récurrents. Les élus et les agents municipaux n’ont pas forcément eu toujours la même vision des choses. Là où ils s’accordent sur une définition du handicap, et de son accessibilité, comme étant des faits rentrés dans leur logique et leur gestion quotidienne, il n’en est pas de même pour les perceptions sur le handicap mental et de son accessibilité. 2.1.4.1 Les élus Pour les élus, il semble plus facile d’accueillir une personne handicapée mentale. Deux discours se distinguent : Soit, les élus ne sont pas conscients des difficultés rencontrées par les agents en pensant que tout est toujours bien organisé, que les agents sont tous et toujours accueillants, chaleureux et qu’il n’y a pas de difficultés apparentes : « Ici, quand les personnes handicapées viennent, tout le monde est gentil» « On fait confiance à la spontanéité de la personne d’accueil » « Mon personnel sait qu’il faut s’adapter aux usagers » « Ce sont des attitudes normales, j’ose espérer qu’elles le font déjà à l’accueil ici ? Accueillir comme n’importe quelle personne : respecter, accompagner, être poli…quand il y a une difficulté c’est évident que l’on se propose pour aider (…) c’est du civisme ! » En tenant ces propos, les élus ôtent les particularités du handicap mental, puisqu’ils parlent de « civisme » et de « politesse ». Les orientations données ici ne résolvent pas les problèmes pratiques rencontrés par les agents municipaux, qui peuvent du coup résister à l’introduction de pratiques d’accompagnement du handicap mental. Soit, les élus ont parfois constaté des dysfonctionnements, des interrogations ou des malaises au sein de la collectivité : « À l’accueil, elles sont toujours surprises quand elles sont confrontées à ce type de handicap » « Quand un groupe entier se déplace (…) là c’est le cirque, les professionnels ne savent pas vraiment y faire, ils ne sont pas à l’aise » Les élus semblent davantage séduits par l’idée d’accompagnement : « c’est humain », « c’est citoyen ». Les élus sont attentifs à l’intervention et aux propositions de l’association, car ces propositions se réfèrent à la loi de n° 2005-102 du 11 février 2005 et à la demande de mise en accessibilité, autant de sujets qui posent questions aux collectivités. « Ça serait intéressant que les associations comme Familles Rurales soient sensibilisées aussi, ou encore la police municipale, la ludothèque, le CCAS (…), élargir audelà de l’accueil » Contrairement aux agents, les élus veillent davantage aux mots qu’ils emploient pour décrire la personne handicapée mentale, ils sont dans le politiquement correct. 2.1.4.2 Les agents Les agents peuvent parfois sembler plus réticents, ils savent que cet accompagnement va être à leur charge, en plus de leurs obligations et charges professionnelles. « Il faut savoir ce qui pourrait être fait à notre niveau » « Si vous pouvez donner des idées aux responsables…ça serait bien » « Est-il possible de reconnaître le handicap mental ? Est-il possible de toujours l’accompagner malgré le travail et le poste occupé ? » « Ça se règle en interne dans notre propre organisation, faut trouver à s’arranger le tout c’est d’être motivé ! » Les agents ont plus d’a priori que les élus sur les caractéristiques du handicap mental : « enfant », « violent », « perturbateur », « idiot », « dangereux »…etc. Les agents appréhendent ce handicap, au regard des exigences de leurs fonctions d’accueil telles que la rapidité, l’efficacité, la politesse, la précision. Une de leurs peurs est donc d’avoir à gérer un cas particulier trop lourd, ne leur permettant alors plus de répondre à leurs objectifs professionnels. De plus, gérer les autres usagers n’est pas simple : impatience, énervements, réflexions etc. Cf. « Pistes de réflexions et d’actions » page 55, « Poursuivre la sensibilisation au handicap mental ». Organiser de l’accompagnement adapté est innovant pour une collectivité car le pictogramme S3A est encore peu distribué, sur le département. Actuellement, les collectivités peuvent apposer le pictogramme, suite à une action de sensibilisation (3 heures) dispensée par des professionnels du handicap ou des formateurs. Les collectivités veulent faire partie des premières à l’obtenir, ce qui permet de le faire savoir dans la presse et auprès des populations. Le fait que les agents ressentent le besoin d’être au préalable sensibilisés aux spécificités du handicap mental, est secondaire. 2.2 Les facteurs explicatifs et les leviers de changements 2.2.1 Les moyens humains, la politique des ressources humaines Dans l’engagement d’une collectivité territoriale, pour le handicap mental et son accessibilité dans la cité, l’AEIM est tributaire d’une à trois personnes convaincues du bienfondé des actions de l’association, sur un plan humain et citoyen. Ces personnes sont sensibilisées, soit par leurs professions (responsables CCAS, travailleurs sociaux, élus en charge du handicap, etc.), soit par leurs parcours personnels (personne handicapée dans la famille, expériences vécues). Ces personnes se positionnent, en tant « qu’entrepreneurs de morale »26ou des« ambassadeurs ».Ils sont un relais entre leur lieu de travail, ou de responsabilités, et une association référente d’un handicap. Nous avons pu remarquer que ces ambassadeurs étaient soit : Des parents d’enfants handicapés (ce sont les plus investis), Des représentants de l’AEIM dans les commissions communales d’accessibilité Des bénévoles responsables de territoires sur le département (ce dernier est divisé en 6 territoires) Des personnes ayant un membre de leur famille ou un ami proche atteint d’un handicap important et contraignant, Des personnes déjà investies dans des opérations avec l’AEIM, telle que l’opération « Brioche annuelle », Des professionnels du handicap investis en tant qu’élus dans leur commune, Des agents, responsables de services sociaux municipaux, Des élus municipaux ayant des responsabilités départementales ou régionales, Des personnes déjà investies dans des associations similaires à l’AEIM ou à but charitable ou religieux. 26 HOWARD BECKER, Outsiders, Paris, A.M Metailé, 1985. Ces ambassadeurs agissent comme un levier organisationnel permettant de réaliser un changement et d’être à l’interface entre deux mondes. Ils sont alors utiles dans la résolution de problèmes liés à l’organisation interne de la collectivité. Certaines collectivités sont néanmoins dynamiques en l’absence d’ambassadeur comme définit précédemment. Trois raisons ont été distinguées : Une volonté du maire d’inscrire le handicap dans son agenda politique, La présence d’établissements spécialisés sur le territoire de la collectivité, Lorsqu’une collectivité est investie dans le bien-être des personnes vieillissantes (création de services d’aides à la personne, maison de retraite ou de repos), elle est selon les élus, souvent très à l’écoute du bien être des personnes handicapées. En effet, les élus ont parfois assimilé le handicap mental à la vieillesse, sur un plan du mode de prise en charge du visiteur, du temps demandé, de l’effort de compréhension réciproque, etc. Les collectivités territoriales disent recevoir davantage de personnes âgées désorientées que de personnes handicapées mentales. Ces trois raisons, sont des opportunités dont l’association doit s’emparer. Cf. « Pistes de réflexions et d’actions » page 55, « Poursuivre la sensibilisation au handicap mental ». En effet, le fait que les collectivités réalisent des rapprochements entre les personnes handicapées mentales et les personnes âgées, peut constituer un argument de mobilisation pour les collectivités territoriales via l’association AEIM. 2.2.2 L’organisation interne dans la collectivité territoriale Les collectivités n’ont pas toutes les mêmes moyens humains. Nous avons pu constater différents cas de figures : Certains professionnels sont à la fois chargés d’accueillir des usagers, de gérer le standard téléphonique, de réaliser des tâches de secrétariat ou d’économat Dans les grandes collectivités, l’accueil est divisé selon l’objet de la demande de l’usager, ce dernier est alors orienté vers le service concerné. Dans ces cas, où les moyens humains peuvent être faibles, l’arrivée d’une personne handicapée mentale perturbe l’ensemble de l’organisation du travail. En effet, en général la personne à l’accueil tente de se rendre disponible immédiatement et d’accorder davantage de temps à la personne handicapée mentale tout en continuant à gérer les usagers présents à cet instant. « On évite de les faire attendre » « S’ils attendent trop longtemps ça peut dégénérer » Si la personne de l’accueil se rend disponible immédiatement, elle n’est alors pas dans une égalité de traitement puisqu’elle prend en compte le fait que l’usager handicapé est différent et demande une attention particulière. Si par contre, la personne de l’accueil explique à l’usager handicapé qu’il doit attendre son tour et qu’elle l’accompagnera dès que possible, elle se place dans une égalité des chances, une compensation du handicap. Deux questions se posent alors : comment la collectivité peut gérer son organisation interne, et s’adapter ? Comment définir un « bon accueil » de la personne handicapée mentale ? Cf. « Pistes de réflexions et d’actions » page 55, « Poursuivre la sensibilisation au handicap mental ». « Encore faut il pouvoir s’adapter, on manque de temps et d’effectifs » Nous avons pu remarquer que le nombre de professionnels à l’accueil ne dépend pas forcément de la taille de la collectivité (plus ou moins de 5000 habitants).Ainsi, une collectivité de moins de 5000 habitants peut disposer de deux personnes à l’accueil, à l’inverse une de plus de 5000 habitants n’a parfois qu’une personne. Il est important de souligner ici, que l’organisation de l’accueil est centrale et qu’il convient sans doute de travailler sur les représentations que les collectivités territoriales ont de l’accueil. En effet, puis que ce n’est pas la taille de la collectivité qui rentre en compte, mais bien l’importance accordée à l’accueil versus les visions techniques de leur travail. Ce n’est pas la taille de la collectivité qui rentre en compte, mais bien l’importance accordée à l’accueil versus les visions techniques de leur travail. Ces visions techniques du travail des fonctionnaires territoriaux sont intimement liées à la conception qu’ils se font de leurs missions et des conditions qu’ils souhaitent pour l’accueil des personnes déficientes intellectuelles. Il était donc important d’en appréhender les contours à travers nos entretiens. Nous avons pu dégager deux thèmes essentiels : L’impact de la conception de leurs missions des fonctionnaires dans le traitement des personnes handicapées mentales La nature des problèmes liés à l’accueil des personnes handicapées mentales (matérielles ou humaines) A l’écoute des discours recueillis, nous avons pu identifier deux positionnements : 1. Les personnes interrogées qui jugent que leur mission professionnelle de service public, est de traiter de façon homogène le public handicapé mental, versus celles qui pensent que dans le service public il faut s’adapter à l’usager. Ces deux conceptions du service public se confrontent et s’opposent. Il faut prendre en compte ces deux visions dans le contenu de la sensibilisation. « On est dans une situation d’adaptation permanente » « Une personne à l’accueil doit prendre le temps de s’occuper d’une personne handicapée mentale ; même si elle a du travail il faut s’organiser en interne, pour que l’accueil soit adapté » « Dans les collectivités on est plus sensibilisé qu’ailleurs car on les voit tous ces handicaps là, on les rencontre tous à un moment ou à un autre, en tant qu’élu ou citoyen ». 2. Les personnes interrogées qui pensent que l’accueil de personnes handicapées mentale pose des problèmes d’organisation matérielle, versus ceux qui pensent qu’il s’agit uniquement d’une problématique humaine. « Mais dans une mairie il n’y a pas de souci de rentabilité donc ce n’est pas un souci de prendre son temps ! » « On a besoin de plus de temps ce n’est pas le même problème ». « Il faut plus communiquer, aider et en même temps faire le boulot qu’il y a …ca n’aura rien de facile. Oui les employés doivent être disponibles c’est différent ». « Il faut qu’un service puisse être dispo et s’organiser en interne mais ça n’a rien d’insurmontable et puis on n’a pas le choix c’est la loi aussi ! » « Quand à la mairie y a un souci c’est le CCAS que l’on appelle ». « Le handicap il faut s’en occuper au quotidien, pour que les services intègrent cela » « Cela se situe plus dans les rapports humains, c’est à la personne à l’accueil de sentir et de s’adapter, il n’ya rien de matériel à mettre en application. Mais c’est un handicap difficile à déceler et encore plus à comprendre ». Ces deux dimensions posent une question, qu’est-ce-que le « bon accueil » ? Si le « bon accueil » signifie, par exemple, apporter la bonne information à la question de l’usager handicapé, s’assurer s’il l’a bien comprise et retenue, alors le « bon accueil » ne se résume pas à avoir un comportement humain et souriant. Cf. « Pistes de réflexions et d’actions », page 55, « Poursuivre la sensibilisation au handicap mental ». Conclusion Il est important de se rappeler l’histoire du handicap, comment et pourquoi des associations comme l’AEIM sont devenues ce qu’elles sont aujourd’hui à la fois un porte-parole, un expert et un gestionnaire. Par conséquent, revenir sur un rappel historique et contextuel, en première partie, était nécessaire pour comprendre les enjeux actuels, pour mesurer l’évolution d’une société confrontée à des aspects matériels et financiers importants. Une société qui est passée en 50 ans, d’une volonté de ne pas se soucier au quotidien du handicap mental à une négation de la différence. Il fallait donc étudier les représentations actuelles des collectivités territoriales pour connaître les points et les freins sur lesquels il faut agir pour permettre à la personne handicapée mentale d’être reconnue et de pouvoir avoir un accès à la cité, tel que l’exige la loi de 2005, obligeant les collectivités territoriales à penser le handicap mental. L’ignorance importante des spécificités et de l’accessibilité nécessitent de mettre en place des actions réfléchies et adaptées au public et à ses attentes, et c’est là que d’une action qui se voulait seulement de sensibilisation, s’est imposée la nécessité de créer des groupes de travail à la demande des collectivités territoriales conscientes qu’elles ne devaient pas s’arrêter à une seule action de sensibilisation, mais mener une réflexion plus large sur les problèmes que pose l’accessibilité de la personne handicapée mentale. Même si l’approche du handicap mental s’est avérée différente selon qu’il s’agissait d’élus ou d’agents territoriaux présents aux entretiens menés, il y avait un intérêt commun à mettre en place des groupes de travail pour faire évoluer les mentalités et bouger les postures professionnelles. Ces groupes de travail permettront d’aller plus loin dans l’analyse des discours, des élus et agents, ces derniers seront alors acteurs et porteurs de leur démarche. L’association pourra identifier les freins et les motivations des membres des collectivités territoriales et par conséquent leurs besoins et attentes de l’association. Par ailleurs, au fil de cette étude l’impact de la loi HPST sur le médico-social s’est avéré de plus en plus important, suscitant de nombreuses interrogations au sein de l’AEIM. En effet, la place des associations est modifiée à plusieurs niveaux comme nous avons pu le voir dans la première partie, et en particulier au niveau de leur représentativité et de la nouvelle procédure d’autorisation des établissements médico-sociaux par appels à projets. Le risque est grand de voir la régionalisation instaurer une distance entre les usagers et les décideurs que sont les ARS. Pour consolider le lien aux collectivités territoriales et construire la communication autour de l‘accessibilité au handicap mental, deux types d’enjeux ont été relevé. Le premier est de nature interne, il concerne la capacité de l’association à la fois gestionnaire d’établissements et porte-parole à mobiliser ses adhérents, qui tardent ou peine à s’impliquer dans une association en particulier lorsque leur enfant souffrant d’un handicap mental est jeune. Le second est de nature externe, il est en lien avec les représentations des collectivités territoriales. L’étude a montré que pour la démarche S3A, l’AEIM s’est lancée dans une vaste campagne de sensibilisation dont il était difficile, au départ d’en mesurer l’impact. Depuis 9 mois, en ciblant les collectivités territoriales comme destinataires d’actions de sensibilisation, par le biais de ce stage, trois constats se sont imposés : D’emblée les collectivités territoriales ont accueilli favorablement cette proposition de sensibilisation qui représentait pour elles une possibilité de se mettre en conformité avec le volet accessibilité de la loi 2005. Elles se sont révélées être demandeuses pour une meilleure gestion du handicap mental à leur niveau et ont osé exprimer leur méconnaissance, leurs peurs, leurs confusions, leurs a priori. Pour réduire la distance entre les décideurs et les usagers il faut jouer la carte de la proximité en se rapprochant des collectivités territoriales et précisément des élus. Une hypothèse de départ, était de penser que les tailles (nombres d’habitants) de collectivités territoriales influencent la prise en charge du handicap mental, mais un des résultats majeurs de ce travail est de comprendre que ce sont les spécificités des groupes professionnels en présence qui comptent. En particulier, cette étude montre qu’élus et agents sont porteurs de différentes représentations, tant du handicap mental que de la « bonne façon » de l’accueillir. Cf. partie 2 sur les représentations et les profils page 24. Aussi face à ces différents positionnements professionnels, il est tout à fait nécessaire de penser des lignes d’actions communes, mais aussi des lignes d’actions spécifiques (cf. partie 3 « Pistes de réflexions et d'actions » page 53) en particulier en travaillant sur la question de la tension entre l’égalité de traitement et l’égalité des chances pour les membres des collectivités territoriales. Au delà de ce travail de « lien avec les collectivités territoriales », il est nécessaire d’inclure cette action dans un environnement institutionnel et plus large, en parti en : Proposant aux établissements d’hébergement ou de travail qui accueillent des personnes handicapées mentales de faire une sensibilisation en direction des entreprises avoisinantes, voire des habitants, qui peuvent être amenés à côtoyer ou à rencontrer les personnes handicapées mentales et se trouver démunis en cas d’incidents ou d’accidents. Tissant des liens avec d’autres associations similaires et établissements spécialisés, confrontés aux mêmes problématiques de méconnaissance du handicap, de manque de moyens. Envisageant de diffuser la sensibilisation dans les commerces. BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES GENERAUX J. AFCHAIN, Les associations d’action sociale, Dunod, 1997. M. AGULHON, L’histoire sociale et les associations, Revue de l’économie sociale, n°4, 1998. J.C. BARDOUT, Les libertés d’associations. 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ANNEXES Annexe 1 : Éléments de méthodologie Pour réaliser cette étude, nous avons du faire des choix méthodologiques, nous avons réalisé : 7 entretiens semi-directifs individuels sur 5 collectivités territoriales différentes (dont 3 durant la phase exploratoire), avec élus et agents. 20 entretiens collectifs avec élus et agents, un par collectivité territoriale. Au total, 25 collectivités territoriales et environ 210 personnes interrogées. De plus, nous nous sommes entretenus de manière informelle avec environ 30 « personnes ressources », telles que des responsables départementaux (élus, DDE, conseil général, administrateurs de l’association, partenaires de l’AEIM, etc.) Ne sachant pas par où commencer, nous avons eu une démarche extensive pour balayer au mieux et au plus vite, les dimensions seyantes. Nous ignorions si la taille de la collectivité territoriale allait influencer ou pas les résultats finaux. Finalement, il s’est avéré que ce sont les niveaux de groupes professionnels qui sont entrés en compte. L’étude a débuté par une phase exploratoire, afin de nous permettre de nous imprégner du contexte de l’étude grâce à tout un travail de lectures, de prise de contacts et de collecte de données diverses. D’une part en interne, sur l’histoire, l’organisation, les missions, la composition de la structure, d’autre part en externe, sur les relations avec les différents partenaires ? La légitimité de l’association ? Sa reconnaissance ? Ses actions ? Ses projets ? Quelles sont les lois qui régissent le statut de l’association, et ses fonctions ? Acquérir des connaissances et des informations sur les communes du département, les communautés de communes, les intercommunalités, les EPCI, les circonscriptions et organisations générales du département. La première prise de contacts s’est donc faite avec toutes les collectivités territoriales de plus de 5000 habitants du département, ainsi qu’avec 10 collectivités territoriales de moins de 5000 et avec une quinzaine de communautés de communes ou communautés urbaines. Prendre majoritairement des collectivités territoriales de plus de 5 000 habitants est volontaire car la loi de 2005 les oblige à avoir une commission communale d’accessibilité présidée par le maire ou par un adjoint au social. Nous avons donc perçu là une porte d’entrée dans les collectivités territoriales et un lieu où les projets sont présentés et écoutés. Nous avons pu nous inviter dans ces collectivités à titre d’observation d’une part et pour nous permettre également de prendre des contacts pour les entretiens à mener par la suite. A chaque fois, une prise de contact longue, mais nécessaire, a été réalisé nous demandant un temps de préparation pour chaque collectivité territoriale, ainsi que des courriers de présentation de l’étude (envoyés par le président de l’AEIM), un recueil d’organigrammes, d’informations sur la collectivité territoriale et sur sa place dans le canton, la circonscription, le territoire etc. Parallèlement, nous avons pris contact avec les 17 administrateurs de l’AEIM représentant le handicap mental dans 17 communes de plus de 5000 habitants, afin de recueillir des informations sur l’organisation de la collectivité territoriale et de cerner la place du handicap mental dans la commission communale d’accessibilité. Durant ces prises de contacts et réalisation des entretiens exploratoires, nous avons réalisé la grille d’entretiens collectifs (Cf. Annexe 2), et fait évoluer la grille d’entretiens individuels (Cf. Annexe 2). Les entretiens exploratoires ont permis de découvrir les aspects à prendre en compte, de rectifier ou d’élargir le champ d’investigation des lectures et de mettre en lumière le champ à étudier. Il s’agit d’une phase de découverte. Les entretiens semi-directifs individuels Ils ont l’avantage de permettre un contact direct avec l’interlocuteur et ses ressentiments. Il s’instaure alors un véritable échange avec comme objectif que l’interlocuteur exprime ses perceptions, ses interprétations, ses représentations, et ses expériences. Le contenu de l’entretien a fait l’objet d’une analyse systématique destinée à tester les hypothèses de travail. Le but de ces entretiens individuels est de comprendre la sensibilité de la collectivité territoriale à la question du handicap mental, les contraintes que cela engendre, de réfléchir à la manière d’amener la collectivité territoriale à penser le handicap. La question n’est pas (uniquement) de savoir s’il y a des problèmes mais de savoir ce que les collectivités territoriales font et peuvent faire pour penser le handicap mental. De même, il est important de prendre en compte les affaires d’organisation des collectivités territoriales et non pas uniquement les représentations de celles-ci, d’où l’importance de décrire l’accueil et les contraintes humaines. Les entretiens semi-directifs individuels se déroulent en 1 heure environ. Les entretiens collectifs Les entretiens collectifs, c'est-à-dire la réunion d’un petit groupe d’acteurs, ont pour objectif de récolter un maximum de données et de confronter différents acteurs de la collectivité territoriale. L’objectif, de ces entretiens, est de faciliter les échanges, d’approfondir les représentations du handicap mental et de les confronter, autour d’une étude de cas, illustrant la question de l’accessibilité pour le handicap mental. Cela permet que tous s’écoutent et prennent conscience qu’ils ne sont pas nécessairement sur le même « longueur d’onde ». Tout cela dans la confidentialité et le respect de la parole de chacun. L’entretien collectif permet de répondre au format de l’étude d’une part, mais apporte d’autre part, une première mise au travail pour les professionnels et élus, c’est un exercice interactif qui influe sur le changement. Cette méthode apporte une plus value au niveau de l’action, ce qui n’est pas le cas de l’entretien individuel. Néanmoins, sur le plan de la collecte du matériau, nous perdons des données, puisque face aux élus, les agents s’expriment différemment et les relances sont impossibles. Il faut prendre en compte, que les paroles de chacun peuvent influencer les discours des autres. Donner son opinion personnelle devant un groupe demande un effort de conceptualisation et de spontanéité dans la prise de parole. De plus, il n’y a pas de possibilité d’identifier des profils détaillés par rapport aux discours recueillis. Une difficulté à prendre en compte dans cette méthode d’investigation est que le groupe interrogé se met systématiquement en position de défense au début de l’entretien. Le thème proposé ayant un impact affectif sur le groupe, celui-ci va avoir tendance à se solidariser, à faire bloc, dans la mesure où il peut se sentir en situation de risque. Il faut donc prendre le temps d’amener le groupe à penser son vécu commun sur le handicap. La méthode de l’entretien collectif consiste à recueillir les expériences du problème posé, quelles sont les opinions sur les faits ou les effets dont il est ou a été témoin dans sa pratique professionnelle ou personnelle, puis quelles sont les attentes pour la suite. Tout au long de l’entretien collectif, il faut être vigilant aux tensions entre les participants et contrôler, maitriser la dynamique du groupe, pour le faire progresser vers l’objectif proposé. Annexe 2 : Grille d’entretiens L’entretien semi-directif individuel : L’entretien semi-directif individuel aborde 4 domaines : 1. L’organisation et fonctionnement de la commune, le découpage des services, le rapport au public, l’accueil et la relation aux usagers, puis aux personnes handicapées, puis aux personnes handicapées mentales, la prise en charge du handicap ; 2. Les représentations, les perceptions sur la personne handicapée mentale, puis sur l’accessibilité en amenant à établir un parallèle ou des comparaisons avec les autres handicaps ; 3. Les lieux et espaces où les questions sur le handicap mental et l’accessibilité peuvent être posées définies, ou des actions peuvent être programmées, les commissions mises en place, leurs contenus, leurs généalogies et leurs actions antérieures et futures, la mise sur agenda des questions sur la handicap, les partenariats ou travaux communs avec les autres mairies sur ces questions ; 4. Le parcours personnel de la personne, les dossiers qu’elle a traités et travaillés. L’Entretien collectif : La consigne passée aux collectivités était de rassembler un groupe de 8 élus, mais nous avons parfois été confrontés à des groupes de 15 personnes, où élus et agents se mêlaient. Déroulement d’un entretien collectif : Les personnes s’assoient autour d’une table, (nous numérotons les personnes pour avoir un repère lorsqu’elles parleront), après une rapide présentation et explication de l’entretien, nous commençons par un tour de table pour connaitre leur fonction, puis nous leur présentons les 11 photos, ci-dessous. Chacun est invité à s’exprimer sur les photos présentées : Quelles photos vous perturbent ? Vous gênent ? Vous mettent mal à l’aise ? Vous touchent ? Lorsque que vous entendez les termes de « handicap » ou « personne handicapée » quelle image s’impose à vous ? Est-ce que le handicap est toujours visible sur ces photos ? L’objectif est de comprendre quelles photos représentent le plus le handicap en général, puis de voir si les personnes parlent du handicap mental spontanément et si oui dans quels termes. Ces échanges durent entre 10 et 30 minutes, abordant différents thèmes de discussions entre les personnes interrogées. Puis nous leur présentons deux petits films, mettant en scène une personne handicapée mentale dans un acte de la vie quotidienne : un jeune homme faisant une démarche en mairie pour obtenir une carte d’identité seul et un jeune homme (dont le handicap mental n’est pas visible) arrivant dans une médiathèque pour emprunter livres et CD. Ces films provoquent des réactions immédiates sur le handicap mental et ses spécificités. Ils montrent également les difficultés des personnes d’accueil à la médiathèque ou à la mairie. Ces échanges durent entre 15 et 30 minutes.