Génétique et syndrome Gilles de la Tourette
Transcription
Génétique et syndrome Gilles de la Tourette
Re v u e f la sh N e urol og i e . com 20 1 0 ; 2(9-10) : 238- 40 Génétique et syndrome Gilles de la Tourette : que faut-il retenir en 2010 ? Genetics and Gilles de la Tourette syndrome: what to keep in mind in 2010? Christel Depienne1 Andreas Hartmann2 UPMC/INSERM UMR S-975, Centre de recherche de l'institut du cerveau et de la moelle épinière, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l'hôpital, 75651 Paris cedex 13 ; AP-HP, Département de génétique et cytogénétique, Centre de Génétique Moléculaire et Chromosomique, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l'hôpital, 75651 Paris cedex 13 <[email protected]> 2 Centre de référence « syndrome Gilles de la Tourette », Pôle des maladies du système nerveux, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l'hôpital, 75651 Paris cedex 13 ; UPMC/INSERM UMR S-975, Centre de recherche de l'institut du cerveau et de la moelle épinière, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l'hôpital, 75651 Paris cedex 13 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. 1 Mo ts c l é s syndrome Gilles de la Tourette, tics, TOC, gènes, facteurs de susceptibilité Ke y w o r d s Tourette syndrome, tics, OCD, genes, susceptibility factors Pour la pratique on retiendra Le syndrome Gilles de la Tourette (SGT) est une affection neuropsychiatrique caractérisée par l’existence de tics moteurs et vocaux. Les études de familles et de jumeaux ont montré que ce syndrome avait une composante génétique très importante. Toutefois, les gènes impliqués restent aujourd’hui encore largement méconnus. Alors que les premières études ont suggéré un mode de transmission autosomique dominant, les études actuelles sont plus favorables à une hérédité complexe, faisant intervenir de multiples gènes en interaction avec d’autres facteurs environnementaux. Plus rarement, un gène majeur pourrait être impliqué dans quelques familles. À ce jour, seulement deux gènes, SLITRK1, codant pour une kinase impliquée dans la croissance des prolongements des neurones, et HDC, codant pour une enzyme impliquée dans le métabolisme de l'histamine, ont été identifiés mais l’implication de ces gènes reste controversée et ils ne concerneraient à eux deux qu’une toute petite fraction des patients avec SGT. L’ensemble des études réalisées suggère que le syndrome est génétiquement très hétérogène et polygénique dans de nombreux cas. L’évolution récente des technologies dans le domaine de la génétique devrait permettre une avancée significative dans la compréhension des gènes impliqués dans le SGT au cours des prochaines années. Abstract: Gilles de la Tourette syndrome (GTS) is a neurological disorder characterized by multiple involuntary motor and vocal tics. Genetic studies in twins and families have provided compelling evidence that GTS has a strong genetic component. However, the nature of the genetic factors involved and the physiopathological mechanisms by which they act remain unidentified so far. Although initial studies have proposed single-major locus models with a preferential autosomal dominant inheritance, more recent studies favour complex inheritance models, with multiple genes and environmental factors interacting to produce the pathological phenotype. However, a major gene could still be involved in some families. Two genes, SLITRK1, encoding a neuronal kinase and HDC, encoding L-histidine decarboxylase, have been proposed as causative gene in selected families. However, implication of these genes, which would be a very rare cause of GTS, needs further confirmation. Altogether, the studies performed so far have suggested that the genetics of GTS is a very heterogeneous and complex. The recent revolution in available technologies in the genetic field should permit to make accelerated progress in the identification of genes involved in GTS. The identification of these genes is indeed an important issue to identify the biological pathways and the neuronal circuits involved in this disorder. L e syndrome Gilles de la Tourette (SGT) est une affection neuro psychiatrique caractérisée par l’existence de plusieurs tics, moteurs et vocaux involontaires, débutant généralement dans l’enfance ou dans l’adolescence. La sévérité, la fréquence et les manifestations sont variables d’un patient à l’autre et chez un même patient Génétique et syndrome Gilles de la Tourette : que faut-il retenir en 2010 ? Bien que la composante génétique du syndrome Gilles de la Tourette, affection neuropsychiatrique caractérisée par l’existence de tics moteurs et vocaux, soit 238 neurologie.com | vol. 2 n°9-10 | novembre-décembre 2010 au cours du temps. Toutefois, ces tics sont très souvent associés chez les patients à des troubles psychiques et à un handicap important dans leur vie sociale et professionnelle. Des troubles obsessionnels-compulsifs (TOC) et les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (THDA) sont très souvent rapportés chez les patients atteints du SGT et constituent parfois une partie importante du handicap [1, 2]. La prévalence du SGT est estimée à 1/2 000 pour une présentation complète des manifestations, mais elle pourrait atteindre 1/200 pour des formes mineures incluant les tics chroniques. Il est maintenant bien établi que le SGT a une composante génétique importante. Georges Gilles de la Tourette, qui a été le premier à décrire les caractéristiques clinique de ce syndrome, avait lui-même déjà remarqué sa tendance à l’agréga tion familiale. Depuis, de nombreuses études basées sur des études de familles ou de DOI : 10.1684/nro.2010.0228 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. jumeaux ont pu le confirmer. Les jumeaux monozygotes (vrais jumeaux) sont en effet concordants à 60-90 % alors que les jumeaux dizygotes (faux-jumeaux) ne le sont qu’à 10-20 % [3]. Une augmentation du risque relatif (d’être atteint) pour les apparentés au premier degré est multiplié par 10 ou même par 100 selon les études [3, 4]. Par ailleurs, des patients avec SGT et des patients présentant des tics chroniques plus modérés coexistent souvent au sein des familles, suggérant que les tics modérés et le SGT constituent un continuum clinique, le SGT étant à l’extrémité la plus sévère du spectre [5]. Une autre caractéristique intéressante est le déséquilibre du ratio des sexes, celui-ci étant nettement en faveur des garçons puisqu’on compte trois garçons atteints pour une fille atteinte. Cette observation suggère que des gènes situés sur les chromosomes sexuels (ou le contexte hormonal) pourraient modifier l’expression de la maladie ou être directement à l’origine de celle-ci [6]. Enfin, les désordres psychiatriques ou neurologiques fréquemment associés au SGT comme le TOC, le syndrome d’hyperactivité, la schizo phrénie ou la dépression sont des pathologies connues pour avoir également une forte composante génétique [1]. Toutefois, en dépit de ces nombreuses études, les gènes en cause demeurent encore largement inconnus. Les études de familles ont suggéré que la transmission de ce syndrome est probablement complexe et multifactorielle c’est-à-dire faisant intervenir à la fois des facteurs génétiques, qui pourraient être différents d’une famille à l’autre (hétéro généité génétique), et des facteurs environnementaux. Dans quelques cas, le SGT pourrait être causé par un gène majeur se transmettant préférentiellement de manière autosomi que dominante avec une pénétrance (risque pour l’individu d’être atteint s’il est porteur de la mutation) incomplète et une expressivité variable de la maladie [6]. D’autres études ont quant à elles favorisé l’hypothèse d’une transmission mixte dite semi-récessive/semi-dominante [4]. Des études récen tes favorisent plutôt l’hypothèse d’une hérédité polygéni que mais ceci n’est pas en contradiction avec l’existence d’un gène majeur dans certaines familles. Les études utilisant les approches de génétique classiques pour identifier les gènes en cause dans les familles (étude de liaison génétique) ont permis de proposer quelques localisations génomiques (comme par exemple le bras long du chromosome 2) mais la plupart d’entre elles ont été à ce jour infructueuses dans l’identification du ou des gène(s) en cause [3]. Une seule étude de liaison a récemment permis d’identifier un gène potentiellement impliqué dans une famille avec plusieurs membres atteints de SGT : il s’agit du gène HDC, codant pour la L-histidine decarboxylase, une enzyme impliquée dans le métabolisme de l’histidine [7]. La mutation identifiée correspond à une perte de fonc tion de l’allèle muté censée réduire la quantité de protéine fonctionnelle. Toutefois, aucune autre mutation dans ce gène n’a été trouvée chez un grand nombre de patients et d’autres études sont donc nécessaires pour valider le rôle de ce gène dans le SGT. D’autres approches, comme les études d’association, qui consistent à comparer la fréquence de variants sélectionnés entre une population de malades et une population contrôle appariée, ont été utilisées pour trouver des fac teurs de susceptibilité dans le SGT. Les gènes impliqués dans les voies de neurotransmission dopaminergique ont tout particulièrement fait l’objet de ces études du fait de l’efficacité de certains antagonistes des récepteurs dopa minergiques dans le SGT. En particulier, des variants situés dans les gènes codant pour les récepteurs dopaminergi ques DRD4 et DRD2 sur le chromosome 11, dans le gène MAOA, codant pour la monoamine oxidase A, sur le chro mosome X, et dans le gène du transporteur à la dopamine (SCL6A3/DAT) sur le chromosome 5p, pourraient jouer un rôle dans la susceptibilité de développer la maladie mais ces résultats restent actuellement controversés [3]. Plus récemment, des études d’association réalisées sur l’ensem ble du génome (GWAS) chez des milliers de patients versus des milliers de contrôles ont mis en évidence des régions du génome qui pourraient contenir des facteurs de suscep tibilité au SGT ; mais ces résultats doivent là encore être reproduits et validés par d’autres équipes [3]. Enfin, des réarrangements chromosomiques ont été identifiés chez quelques patients présentant un SGT, par des approches de cytogénétique classique, ou plus récemment par des ana lyses de puces à ADN. L’ensemble de ces études a identifié de potentielles régions candidates comme les chromosomes 7q, 8q et 18q, au niveau desquelles des anomalies ont été iden tifiées chez plusieurs patients de familles indépendantes [4]. C’est d’ailleurs par cette approche qu’un autre gène poten tiellement impliqué dans le SGT a été identifié. La découverte d’une inversion sur le chromosome 13 chez un patient a conduit une équipe américaine à cribler le gène SLITRK1 situé à proximité du point de cassure, ce qui leur a permis d’identifier une mutation tronquante et un variant localisé dans une région non codante du gène chez trois autres patients [8]. SLITRK1 est un gène codant pour une kinase qui serait impliquée dans régulation de la croissance des neurites (prolongements des cellules nerveuses). Son expression étant très répandue dans le cerveau pendant la période de déve loppement, ces données renforcent l’hypothèse selon laquelle des troubles de développement – liés plus particulièrement à l’établissement des connexions entre neurones – pourraient être une cause physiopathologique du SGT. Toutefois, l’impli cation de ce gène dans le SGT reste actuellement controversée car le variant localisé dans les régions non codantes pourrait être un polymorphisme rare spécifique de certaines popula tions et aucune autre mutation n’a pu être mise en évidence par d’autres équipes [3]. Plus récemment, une étude a proposé que de rares micro-réarrangements génomiques (également appelés variants de nombre de copies ou CNV) soient parfois à l’origine du SGT, comme cela a été rapporté pour plusieurs autres désordres psychiatriques dont l’autisme et la schizo phrénie [9]. En conclusion, l’ensemble des études réalisées dans le domaine de la génétique du SGT a fortement suggéré que le syndrome est génétiquement hétérogène, avec proba blement un grand nombre de gènes, voire plusieurs modes de transmission impliqués. Il est vraisemblable que le SGT est polygénique dans de nombreux cas ; ce serait donc la combinaison de variants, rares ou fréquents, qui détermi nerait la susceptibilité des patients à développer les tics en accord avec d’autres facteurs environnementaux. L’arrivée de technologies de nouvelle génération dans le domaine de la génétique, comme le séquençage haut débit, devrait neurologie.com | vol. 2 n°9-10 | novembre-décembre 2010 239 permettre d’avancer plus significativement dans la com préhension des gènes et mécanismes impliqués dans ce syndrome complexe dans les années à venir. 5. Golden GS. Tics and Tourette’s: a continuum of symptoms? Ann Neurol 1978 ; 4 : 145-8. 6. Pauls DL, Leckman JF. The inheritance of Gilles de la Tourette’s syndrome and associated behaviors. Evidence for autosomal dominant transmission. N Engl J Med 1986 ; 315 : 993-7. Conflit d’intérêts aucun Références 2. Rickards H. Tourette’s syndrome and other tic disorders. Pract Neurol 2010 ; 10 : 252-9. 4. Patel PI. Quest for the elusive genetic basis of Tourette syndrome. Am J Hum Genet 1996 ; 59 ; 980-2. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. 1. Jankovic J. Tourette’s syndrome. N Engl J Med 2001 ; 345 : 1184-92. 3. O’Rourke JA, Scharf JM, Yu D, Pauls DL. The genetics of Tourette syndrome: a review. J Psychosom Res 2009 ; 67 : 533-45. 240 neurologie.com | vol. 2 n°9-10 | novembre-décembre 2010 7. Ercan-Sencicek AG, et al. L-histidine decarboxylase and Tourette’s syndrome. N Engl J Med 2010 ; 362 : 1901-8. 8. Abelson JF, et al. Sequence variants in SLITRK1 are associated with Tourette’s syndrome. Science 2005 ; 310 : 317-20. 9. Sundaram SK, Huq AM, Wilson BJ, Chugani HT. Tourette syndrome is associated with recurrent exonic copy number variants. Neurology 2010 ; 74 : 1583-90.