L`Africanisation du règlement des conflits
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L`Africanisation du règlement des conflits
PERSPECTIVES INTERNATIONALES La revue des étudiants -chercheurs en Relations Internationales de Sciences Po Numéro 3 Janvier – Juin 2013 Les intervenants internationaux L’ A f r i c a n i s a t i o n d u r è g l e m e n t d e s c o n f l i t s : my t h e o u r é a l i t é ? L e c a s des médiations africaines en Afrique de l’ouest francophone (2000-2010) Abdoulaye Bamba POUR CITER CET ARTICLE BAMBA, Abdoulaye. L’africanisation du règlement des conflits : mythe ou réalité ? Le cas des médiations africaines en Afrique de l’Ouest francophone (2000-2010). Perspectives Internationales, janvier-juin 2013, n° 3, p. 70-88. P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? L’AFRICANISATION DU REGLEMENT DES CONFLITS : MYTHE OU REALITE ? LE CAS DES MEDIATIONS AFRICAINES EN AFRIQUE DE L’OUEST FRANCOPHONE (2000-2010) Par Abdoulaye Bamba1, Université Félix Houphouët Boigny, Côte D’Ivoire D ans le cadre du règlement des conflits en Afrique, l’Organisation des nations unies lança en 1993 un appel aux organisations régionales et sous-régionales pour une coopération adaptée en permanence aux différentes mutations dans le monde. Dix ans plus tard, le 13 juin 2004, le ministre français des affaires étrangères, Dominique de Villepin, annonçait, au cours du IVème Forum de l’institut des hautes études de la défense nationale sur le continent africain (FICA), le principe qui devait désormais guider l’implication de la France dans les conflits en Afrique : l’africanisation des solutions aux conflits en Afrique. Ce principe, qui a fini par être adopté par les autres puissances extérieures, fut accueilli favorablement par les Africains. En Afrique de l’Ouest, l’instabilité politique engendrée par des coups d’État, des guerres civiles, des conflits ethniques, ont installé progressivement cette région dans une « paix internationale négative2 ». Ces conflits, qui constituent des menaces permanentes pour la stabilité de la sous-région, ont mis à mal les mécanismes élaborés le 10 décembre 1999 par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) 1 Abdoulaye Bamba est titulaire d’un Doctorat en histoire contemporaine, après avoir soutenu une thèse intitulée « Les relations politiques Côte d’Ivoire-Guinée : du débat sur la communauté franco-africaine à la mort de Sékou Touré (1958-1984) ». Il est depuis 2009 enseignant au sein de la filière histoire de l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan, Côte d’Ivoire. Ses recherches s’orientent vers l’histoire politique inter-africaine et la place de l’Afrique dans les relations internationales. Il est l’auteur de plusieurs articles dont « Retour des tirailleurs ivoiriens après la libération de la France en 1944 : entre fierté et indignation », GODO GODO, Revue d’Histoire d’Art et d’Archéologie Africains (I.H.A.A.), n° 21, 2011, p. 28-40, et « Coopérations France Afrique-Chine Afrique : similitudes et divergences », Revue ivoirienne d’histoire n°21, 2012, p. 19-37. 2 K. Biaya TSHIKALA, Acteurs et médiations dans la résolution des conflits en Afrique de l’Ouest. p. 137. 2 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? pour les juguler ou anticiper leur éclatement3. Les organisations à dimension plus importantes telles que l’Union africaine (UA) et l’Organisation des Nations unies (ONU) mirent en marche leurs dispositifs juridiques et techniques pour appuyer la CEDEAO en vue d’éteindre les foyers de tension. Mais ces différents mécanismes montrèrent leur inefficacité face à des conflits aux natures variables et complexes. L’enlisement et les blocages apparus dans leur résolution ont démontré les limites de l’option juridique et ont ouvert la voie à une pratique extensive de la diplomatie. Cela n’est certes pas nouveau4, mais cette pratique a pris de l’ampleur et s’est généralisée avec la multiplication des conflits : la médiation comme mode alternatif de règlement des conflits. Le terme médiation vient du latin mediare qui signifie « s’interposer », « être au milieu ». Retenons simplement que la médiation est : « un mode de règlement des litiges consistant, pour les parties en désaccord parfois appelées « médiées », à choisir ou faire désigner un tiers appelé médiateur dont la mission est d’aider les parties soit à prévenir un conflit soit à le résoudre ». Et le médiateur est celui « qui sert d’arbitre, de conciliateur5 ». Les médiations africaines d’aujourd’hui ont certes pour objectif de contribuer à la résolution des crises, mais elles visent surtout à laisser les Africains régler, eux-mêmes, pacifiquement, leurs différends, en utilisant leurs propres mécanismes ; ce que nous appelons ici l’africanisation du règlement des conflits. Cela suppose que ces derniers devraient être désormais capables de faire face à tous les aspects qui touchent au règlement pacifique de ces crises (le suivi des accords issus des médiations à travers notamment ses volets financier et matériel). Dans la pratique, cette dimension interne de la résolution des conflits africains implique des interventions extérieures, c’est-àdire celles qui n’émanent pas de pays, de personnalités ou d’institutions africains. Elles ont pris une place importante dans le règlement pacifique de ces conflits, apparaissant ainsi comme un moyen de consolidation des médiations africaines. La notion d’intervention extérieure sous-entend donc tout apport non-africain (par exemple de l’Union européenne, de la France et d’autres pays occidentaux), ayant une emprise directe ou indirecte sur la résolution de ces crises quand les Africains affichent leur volonté de s’approprier la paternité du retour à la paix. Ces interventions ont un caractère financier, et sont, pour la plupart, le fruit d’une sollicitation des Africains eux- 3 Ce sont le Conseil de sécurité et de médiation du mécanisme, la Commission pour la défense et la sécurité, le Conseil des sages et le Centre d’observation et de contrôle d’alerte précoce. 4 Plusieurs hautes personnalités africaines ont mené des médiations au cours des périodes antérieures à la présente étude : Nelson Mandela dans le dossier burundais ; Omar Bongo Odimba dans celui du Congo-Brazzaville ; Quet Masire ancien président du Botswana dans le conflit de la RDC et Félix Houphouët Boigny dans le début de la crise libérienne. 5 Xavier Linant DE BELLEFONDS, Alain HOLLANDE. L’arbitrage et la médiation. p. 24. 3 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? mêmes, ce qui justifie, dans cette étude, l’utilisation des expressions « recours à l’extérieur » ou d’ « intervenants extérieurs ». Ce constat convoque les interrogations suivantes. Doit-on réellement attribuer aux Africains la paternité du règlement de ces conflits ? Ces intervenants extérieurs n’apparaissent-ils pas comme une limite de cette africanisation ? La présente étude se propose de revisiter, d’une part, la véritable place de cette africanisation à travers la médiation du Burkina Faso dans la résolution des crises ivoirienne, togolaise et guinéenne, et d’autre part, le recours aux intervenants extérieurs pour la consolidation des accords issus des médiations comme limite de cette volonté d’africanisation. L’ÉMERGENCE DU BURKINA FASO COMME NOUVEAU PÔLE DE LA MÉDIATION OUESTAFRICAINE Dès l’éclatement d’une crise en Afrique de l’Ouest, la paix collective s’organise autour de la CEDEAO, qui sert de laboratoire sous-régional de règlement des conflits6. Il n’est pas surprenant qu’en plus de cette organisation, de bonnes volontés (individus, ONG, pays européens, Union européenne, société civile, etc.) proposent leurs bons offices au service de la paix. La mauvaise coordination des médiations entraîna parfois des chevauchements, des conflits d’intérêts et de compétences. Au vrai, toutes ces interventions, si elles visaient le rétablissement de la paix, n’avaient pas toujours les mêmes intérêts. Les questions de leadership, de positionnement et parfois même de règlements de comptes, apparurent au beau milieu des négociations. La pluralité des bons offices ou médiations ayant montré leur limite eu égard au problème de leadership, et parfois des règlements de comptes, la CEDEAO a pris l’initiative de recadrer les interventions, passant des multiples interventions à l’imposition de Ouagadougou comme nouvelle capitale du règlement des conflits. Cette première partie analyse des conséquences de ces multiples médiations sur le règlement du conflit et le choix de B. Compaoré comme médiateur de la sous-région ouest-africaine. La crise ivoirienne La crise ivoirienne, à travers les différentes interventions extérieures, se présenta comme le principal baromètre de ce « mal » des médiations. En effet, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, un groupe de soldats ivoiriens attaqua simultanément les villes d’Abidjan, de Bouaké et de Korhogo, alors que le chef de l’État, Laurent Gbagbo, était en visite en Italie. L’échec de la prise d’Abidjan les obligea à se replier sur la ville de Bouaké. Ce coup d’État manqué se mua alors en une rébellion qui divisa le pays en deux. Dès l’apparition de la crise en septembre 2002, la CEDEAO organisa un sommet extraordinaire à Accra (Accra I) le 29 septembre, et décida la création d’un 6 Charles ZORGBIBE. Paix et guerres en Afrique T2, le chemin de l’union. p. 113. 4 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? « Groupe de contact » pour une médiation entre le gouvernement ivoirien et les mutins. Le sommet décida de l’envoi d’une force de paix et le chef de l’État togolais fut choisi comme le coordinateur du « groupe de contact » de la CEDEAO. Le choix du président togolais était fondé sur deux atouts essentiels qui militaient en sa faveur. Il était, à cette période, le doyen des chefs d’État de la sous-région (parce qu’à la tête du Togo depuis 1967). Il capitalisait en outre, plus de trente années d’expérience au service de la paix. Après sa prise de pouvoir en 1967, il joua au médiateur entre les présidents Marien N’Gouabi du Congo-Brazzaville et Mobutu Sesse Seko du Zaïre. En 1972, il participa à la réconciliation entre les protagonistes de la guerre du Biafra. Deux ans plus tard, c’est dans le conflit opposant la Haute-Volta au Mali qu’il offrit ses services de médiateur. En 1977, il intervint pour obtenir la libération d’otages français détenus par le Front Polisario. Puis, un an plus tard, il est de nouveau au cœur de la médiation entre l’Égypte et la Libye. Par ailleurs, lorsque les présidents Mathieu Kérekou du Bénin et Omar Bongo du Gabon se brouillèrent, c’est lui qui fut l’artisan de leur réconciliation. Au cours de cette même année 1978, il contribua à l’historique réconciliation entre la Guinée, le Sénégal et la Côte d’Ivoire. En 1980, il montra ses qualités de facilitateur lorsqu’il intervint au Tchad pour mettre un terme aux combats opposant les forces de Goukouni Oueddeï à celles de Hissène Habré. En 1991, il intervint pour réconcilier les protagonistes des conflits libérien et sierra léonais. Quatre ans plus tard, lorsqu’éclata le conflit entre le Cameroun et le Nigéria au sujet de la péninsule de Bakassi, sa médiation permit d’obtenir le retrait des forces militaires et le recours à une solution diplomatique. Avec Eyadema, la capitale togolaise fut pendant des années le lieu de rencontre de plusieurs responsables africains, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition civile ou armée. En 2001, ce fut sous son auspice que se tint à Lomé la cinquième session de l’organe central du mécanisme de l’OUA pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits7. C’est fort de ces atouts qu’il se retrouva à la tête du « Groupe de contact », connaissant déjà le dossier ivoirien pour y être intervenu entre 2000 et 2001. Toutefois, le président togolais ne fut pas le seul dirigeant de l’Afrique de l’Ouest à s’intéresser au dossier ivoirien. Le président en exercice de la CEDEAO d’alors, le président sénégalais Abdoulaye Wade, avait également une bonne maîtrise du dossier ivoirien, mais s’était mis en mauvaise posture lorsqu’il affirma à Dakar le 22 janvier 2001, à l’ouverture d’un forum sur le « racisme, la xénophobie et l’intolérance », qu’« un Burkinabé subit en Côte d’Ivoire ce qu’un Noir ne subit pas en Europe8 ». Faisant fi des positions tranchées, le chef de l’État togolais réussit en moins de deux mois à organiser, 7 C’est à lui que la France confia en 1994 la première réflexion à mener sur la conception, l’organisation et la mise en œuvre d’une force africaine de maintien de la paix. 8 Philippe LEYMARIE. L’Afrique de l’Ouest dans la zone de tempêtes. p. 1. 5 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? le 19 mars 2001, une rencontre entre les trois leaders de la scène politique ivoirienne à Lomé. Cela contribuera à favoriser l’organisation du forum de la réconciliation nationale de 2001. En tout état de cause, les efforts de médiation de G. Eyadema ont porté leurs fruits, puisque le 17 octobre 2002, il obtint avec « le Groupe de contact » la signature du cessez-le-feu, et le 30 octobre débutèrent à Lomé les premières négociations directes entre les deux protagonistes ivoiriens. Toutefois, le choix de G. Eyadema et ses premiers succès n’étaient pas du goût de tout le monde, en particulier du président sénégalais. En effet, A. Wade, en sa qualité de président en exercice de la CEDEAO, n’avait guère apprécié d’être écarté du « Groupe de contact ». Soupçonnant un éventuel sabotage de sa part, tous les partis impliqués dans la crise ivoirienne adoptèrent une déclaration qui appuyait les efforts du médiateur togolais. Six jours après cette déclaration, le 18 décembre, le président Wade, toujours en sa qualité du président en exercice de la CEDEAO, organisa un sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement à Dakar pour discuter de la crise ivoirienne. Il fut boycotté par la majorité des chefs d’État membres de l’institution, qui voulaient ainsi traduire leur mécontentement suite aux différentes déclarations de A. Wade. En effet, alors que les belligérants se trouvaient chez Eyadema, A. Wade annonça que les négociations ne porteraient pas leurs fruits, et posa les jalons d’une discussion ivoiro-ivoirienne à Paris. C’est dans ce contexte de confusion qu’il faut situer l’initiative de la France qui, en organisant les assises de Linas Marcoussis en janvier 2004, n’avait d’autre objectif que de court-circuiter les efforts du président togolais. Celui-ci ne l’appréciera guère et le manifesta ouvertement par son absence au sommet des 25 et 26 janvier 2004 en France9. Les difficultés rencontrées dans l’application de Marcoussis obligèrent la CEDEAO à reprendre en main le dossier ivoirien. L’antagonisme EyademaA. Wade sonna le glas de la médiation francophone dans la sous-région. C’est dans ce contexte que les Accords d’Accra II et III et Pretoria I et II marquèrent la prise en main de la crise ivoirienne par la médiation anglophone10. Les initiatives du président gabonais apportèrent quelques 9 À l’initiative de Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères du gouvernement français, les forces politiques ivoiriennes furent invitées à venir négocier en France pour trouver une solution à la crise ivoirienne. Les négociations se déroulèrent du 15 au 23 janvier 2003 dans le centre d’entraînement de l’équipe de France de Rugby à Linas-Marcoussis, banlieue parisienne, et étaient présidées par le constitutionnaliste français Pierre Mazeaud. Contrairement à Lomé, les protagonistes étaient uniquement les partis politiques représentatifs de la Côte d’ Ivoire (FPI, PDCI-RDA, RDR, PIT, UDCI, l’UDPCI, MFA) et les groupes rebelles armés (MPCI, MPIGO, MG), à l’exclusion des médiateurs africains et de l’Etat de Côte d’Ivoire. 10 Accra II se tint le 8 mars 2003 : les « Forces nouvelles » et les partis politiques s’accordent sur la composition du gouvernement. Accra III, le 30 juillet 2003, vit la signature d’un accord qui relançait les accords de Marcoussis. Quant aux accords de Pretoria, les décisions suivantes furent arrêtées : Pretoria I, le 6 avril 2005, 6 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? avancées, mais furent également prises dans l’engrenage des considérations de conflits régionaux11. Le décès du président togolais, le 5 février 2005, entraîna un vide dans la médiation sous-régionale, et notamment dans le conflit ivoirien. Durant cette période, A. Wade espérait pouvoir refaire surface et devenir ainsi le successeur d’Eyadema. Mais, après l’intermède anglophone, la médiation revint dans le camp francophone, et le chef de l’État du Burkina Faso, Blaise Compaoré, fut choisi comme médiateur dans la crise ivoirienne. Le président burkinabé, sans être le doyen des chefs d’État en 2007, connaissait tous les protagonistes de cette crise, et avait à son actif plusieurs succès dans les médiations qu’il a conduites. Qu’il suffise de rappeler quelques exemples pour s’en convaincre. C’est à Ouagadougou que les principaux acteurs politiques du Libéria avaient lancé leur processus de paix. En décembre 2003, c’est également à Ouagadougou que fut signé l’accord de paix entre le gouvernement tchadien et les rebelles du mouvement pour la paix et la justice (MDJT). B. Compaoré est aussi intervenu dans les crises de Madagascar, de la République Centrafricaine et du Niger. S’agissant de la Côte d’Ivoire, il réussit à réunir, à Ouagadougou, les différents protagonistes de la crise ivoirienne, et parvint à leur faire parapher un accord le 4 mars 2007, appelé Accord Politique de Ouagadougou (APO), qui prévoyait différentes dispositions militaires et politiques. Sur le plan militaire, étaient prévus l’unification des « Forces nouvelles » et les forces nationales de défense et de sécurité au sein d’un Centre de commandement intégré créé à cet effet, le remplacement de la « zone de confiance » par une « ligne verte » jalonnée de postes d’observation de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) qui seraient progressivement démantelés, le démantèlement des milices, le désarmement des combattants, leur enrôlement et leur reconversion dans un programme de service civique12. La dimension politique de l’accord prévoyait l’extension de l’amnistie à tous les crimes et délits portant atteinte à la sûreté de l’État commis entre septembre 2000 et la date de la signature de l’Accord, la simplification et l’accélération de l’identification de la population et leur inscription sur les listes électorales, l’organisation d’élections libres, démocratiques, ouvertes et transparentes, conformément aux Accords de Linas-Marcoussis et de Pretoria. La signature de l’APO était en soi une victoire et une revanche du médiateur B. Compaoré. Il signait ainsi son retour sur la scène sous-régionale décida de la fin des hostilités, le démantèlement des milices et la reprise du processus de désarmement. Le 29 juin 2005, les Accords de Pretoria II enregistraient la signature d’une déclaration qui fixa un calendrier pour le désarmement, l’adoption de lois et la création d’une commission électorale. 11 Les chefs d’Etat de l’Afrique de l’Ouest estimaient que la crise ivoirienne était une « affaire ouest-africaine ». Certains chefs d’État comme Wade et Eyadema perçurent Bongo comme un « intrus ». 12 ONU, Treizième rapport du Secrétaire général sur l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire, S/2007/275, 14 mai 2007. 7 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? et s’installait désormais dans le rôle de médiateur incontournable de l’Afrique Occidentale francophone. La crise togolaise de 2005-2006 qui vit également une multiplication des médiateurs finit par consacrer le président Blaise Compaoré comme « lead mediator ». La crise de succession togolaise Lorsque le président du Togo décède le 5 février 2005, après 38 ans de règne, l’armée décida « d’introniser » son fils à la tête du pays, suite à une modification de dernière minute de la Constitution. Devant les protestations de la communauté internationale face à cette situation, Faure Gnassingbé se retira de la tête du pays. La CEDEAO se saisit alors du dossier et s’impliqua au Togo (il existait dans ce pays une crise multiforme : institutionnelle, politique, et morale, mais surtout économique et sociale, dûe à la mal gouvernance, mais aussi à 15 années d’embargo de l’Union européenne). C’est dans ce contexte qu’une mission de médiation dirigée par le président en exercice de la CEDEAO, le président nigérien Mamadou Tandja, en compagnie du président malien Amadou Toumani Touré, permit la signature le 28 février 2005 d’un accord politique entre le gouvernement et l’opposition sur les principaux points de divergence concernant l’organisation de l’élection présidentielle. Malgré cet accord, la fracture entre l’opposition et le pouvoir s’approfondit au point de laisser de moins en moins de place au dialogue. C’est dans ce contexte très tendu que se tint l’élection présidentielle du 24 avril 2005, qui ramena Faure Eyadema à la tête du pays avec 60,22% des suffrages exprimés13. À l’annonce des résultats, les partisans de son adversaire Emmanuel Akitani Bob descendirent dans la rue pour protester. Le 27 avril, la violence s’installa dans différents quartiers de la capitale, entraînant plusieurs morts et de nombreux blessés. Face à ce climat de violences et de tueries, l’organisation communautaire choisit un nouveau médiateur en la personne de B. Compaoré. Ce choix ne fit pas, dans un premier temps, l’unanimité au sein la classe politique togolaise, dans la mesure où pour une partie de cette classe, la CEDEAO s’était discréditée en cautionnant cette élection14, et qu’ensuite B. Compaoré s’était rapproché de Faure Eyadema après son élection. Mais après d’intenses tractations le 26 juillet 2006 et sous la pression de l’Union européenne15, elle finit par accepter ce choix. Le président du Burkina Faso n’en était pas à sa première expérience dans ce pays. Pour rappel, en 1993, le Burkina Faso, par le biais de la personne d’Hermann Yaméogo, présida le « Comité sur la crise togolaise » comprenant l’Allemagne, le Burkina Faso, l’Égypte, les États-Unis et la France. L’initiative du président du Burkina Faso, pour régler cette crise sociopolitique, fut 13 François SOUDAN. Togo, la déchirure. p 30. La CEDEAO avait déployé 150 observateurs pour surveiller le déroulement du scrutin. Elle entérina les résultats de ces élections malgré les irrégularités constatées par les observateurs. 15 Yerine Seck CHEIKH. Togo, les dessous d’un accord. p. 59. 14 8 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? couronnée par la signature de l’Accord avec le Collectif de l’Opposition pour la Démocratie (COD II) le 11 juillet 1993, accord qui mit fin à la crise. Tous les acteurs politiques se mirent d’accord, par un fort consensus, sur la nomination d’un premier ministre en vue de conduire le pays jusqu’aux élections. Cette première médiation de B. Compaoré retint l’attention de la communauté internationale. Treize ans plus tard, le 20 août 2006, le chef de l’État du Burkina Faso parvint à réunir à Ouagadougou les délégués de dix partis politiques togolais et la société civile, non sans avoir auparavant, précisément le 13 août, invité les autorités coutumières et religieuses du Togo à Ouagadougou pour apporter leur contribution à la résolution de la crise. L’accord signé prévoyait la formation d’un gouvernement d’union nationale, et stipulait que la commission électorale indépendante (CENI) contrôlerait tout le processus électoral, du recensement des électeurs à l’organisation du scrutin. Le mode du scrutin uninominal à un tour serait supprimé et remplacé par un vote uninominal à deux tours16. Enfin, l’accord contenait l’appel des partis de l’opposition pour la reprise de la coopération en particulier avec l’Union européenne, qui avait suspendu son aide au Togo depuis 1993 pour raison de « déficit démocratique ». Le « comité de suivi » était présidé par B. Compaoré et composé de l’UE et de la CEDEAO que l’on retrouva par ailleurs dans la crise guinéenne. La crise guinéenne La crise guinéenne de 2009 consacra définitivement le chef de l’État du Burkina Faso comme premier médiateur de l’Afrique de l’Ouest francophone. Dès le décès du président Lansana Conté le 22 décembre 2008, l’armée s’empara du pouvoir et, de façon unilatérale, a dissous le gouvernement et suspendu la Constitution. Le capitaine Dadis Camara, à la tête du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) devint chef de l’État. Ce coup d’État avait été accueilli plutôt positivement par la population. À peine installée, la junte annonça l’organisation d’élections crédibles en 18 mois. Mais son arrivée n’a fait qu’exacerber les tensions politiques en Guinée. L’armée avait étendu son emprise sur le pouvoir en militarisant l’administration publique, en utilisant les fonds publics pour mettre en place des groupes de soutien au CNDD. Le capital de sympathie dont bénéficiait la junte s’effrita au fur et à mesure que les tensions politiques devenaient plus vives. Le 28 septembre, elles atteignirent le cap de l’irréversible à la suite de la répression brutale, par des éléments des forces de sécurité guinéennes, d’un rassemblement pacifique de l’opposition dans le grand stade du 28 septembre à Conakry, pour protester contre l’intention du chef de la junte de se présenter aux élections prévues pour janvier 2010. Le bilan fut de 160 morts et 1700 blessés, et des violations flagrantes des droits de l’homme, y compris 16 Ibid. 9 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? des viols contre des civils17. Ces événements creusèrent le fossé entre les autorités militaires au pouvoir d’un côté, et les partis d’opposition et la société civile de l’autre, et exacerbèrent les tensions à travers le pays. La réaction rapide et ferme de la communauté internationale, qui s’était traduite par la mise en place d’une commission d’enquête internationale chargée de faire la lumière sur ces événements tragiques, témoignait de sa détermination à mettre fin à l’impunité en Guinée en particulier, et en Afrique de l’Ouest en général. La détérioration de la situation en Guinée pouvait avoir de lourdes conséquences sur les fragiles processus de paix mis en place dans les pays voisins de la Guinée dans le bassin du fleuve Mano (Côte d’Ivoire, Libéria et Sierra Leone), et sur la stabilité de la sous-région dans son ensemble. Mieux, la Guinée avait de tout temps été une terre d’accueil des réfugiés des pays voisins. Une déstabilisation de ce pays entraînerait, à n’en point douter, une situation plus confuse, et psychologiquement intenable pour la sous-région. La crainte d’une guerre civile avait déjà conduit les populations guinéennes à traverser la frontière sénégalaise. De plus, une dégradation de la situation en Guinée risquait d’entraîner une prolifération massive d’armes, et pouvait, en outre, favoriser l’apparition de nombreux groupes politicomilitaires capables de remettre en cause l’autorité de l’État. Certains de ces groupes trouveraient refuge dans les États voisins où ils entreraient en contact avec les mouvements locaux, ou même recruteraient des « seigneurs de guerre » devenus célèbres par leurs activités. Lorsqu’il s’agissait de trouver une médiation18, les préférences du chef de la junte allèrent vers le président Abdoulaye Wade. Mais celui-ci, une fois de plus, s’était compromis, et ne pouvait sérieusement être accepté par une partie des protagonistes. Il avait, dès le coup d’État, apporté son soutien à la junte, et s’était de facto disqualifié, parce qu’il s’était laissé prendre par les sentiments en appelant régulièrement Dadis Camara « mon fils ». Le 8 août 2009, le chef de la junte guinéenne reçut, en présence du président Abdoulaye Wade, l'oscar du mérite du Conseil international des managers africains (CIMA), pour son combat contre les narcotrafiquants et pour la moralisation de la vie économique. Toute chose qui ne garantissait pas une objectivité de sa médiation. Mais le chef de l’État sénégalais pensait le contraire. Il pouvait se prévaloir d’un curriculum vitae bien fourni en matière de médiation. En 20012002, à la suite de l’élection présidentielle de décembre 2001 à Madagascar, il réussit à réunir les deux protagonistes, le président sortant Didier Ratsiraka et son opposant Marc Ravalomanana à Dakar en avril 2002. Cette élection, qui avait été suivie d’une crise et d’un blocage, fut l’occasion pour Wade de tenter de rapprocher les deux positions. Il fit signer un accord à Dakar en avril 2002, 17 François SOUDAN. art. cit. p. 28. Le colonel Kadhafi avait proposé également ses services pour être médiateur dans cette crise. Il mit à la disposition du premier ministre guinéen, Lassana Kouyaté, un jet privé. Fin octobre, il fut reçu par Dadis Camara au camp Alpha Yaya de Conakry. Ses initiatives furent ignorées par ses pairs. 18 10 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? après la seconde rencontre entre les deux hommes politiques malgaches. En 2006, il joua le rôle de médiateur dans la crise du Darfour, où le Sénégal avait envoyé des soldats dans le cadre de la force de paix de l’Union Africaine. En 2007, il proposa une médiation au Zimbabwe entre le président Robert Mugabe et son principal opposant Morgan Tsvangirai. Ces exemples ne suffirent pas à convaincre ses pairs de le laisser jouer le rôle de médiateur en Afrique occidentale. En octobre 2009, B. Compaoré fut désigné médiateur dans la crise guinéenne par le président en exercice de la CEDEAO, le Nigérian Umaru yar Adua. Il était désormais le doyen des chefs d’État de la sous-région francophone, en termes de longévité à la tête d’un pays. Il connaissait également tous les acteurs politiques guinéens, et, de plus, avait à son actif la signature de l’Accord Politique de Ouagadougou qui avait permis d’amoindrir la tension en Côte d’Ivoire. Il avait pour mission de rétablir le dialogue entre les acteurs politiques guinéens et de « mettre en place une nouvelle autorité pour assurer une transition courte et pacifique devant aboutir à des élections crédibles, libres et transparentes19 ». Le choix de la CEDEAO mettait ainsi fin à toute velléité de médiation de Dakar et à toute multiplication des médiations. L’accord de sortie de crise (appelé également Accord de Ouagadougou) fut signé le 15 janvier 2010 dans la capitale du Burkina Faso. Il prévoyait le maintien à l’étranger de Dadis Camara et la tenue d’une élection présidentielle dans les six mois à venir. Le chef de la junte avait été victime d’une tentative d’assassinat le 3 décembre 2009. Son état de santé ne lui permettait donc plus d’assurer cette transition20. Il fut remplacé par le Général Sékouba Konaté qui parvint à organiser, le 27 juin 2010, une élection présidentielle démocratique et pluraliste. Une mission CEDEAO-UA-ONU fut dépêchée en Guinée les 19 et 20 août 2010 pour évaluer l’état d’avancement des préparatifs du second tour. Le 3 septembre, les deux candidats en lice, Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé, signèrent à Ouagadougou, sous les auspices du président B. Compaoré du Burkina Faso, un mémorandum par lequel ils s’engagèrent à garantir des élections libres, transparentes et démocratiques, et à préserver la cohésion sociale et l’unité nationale. Le 4 septembre, la mission CEDEAOUA-ONU informa le président Compaoré de l’évolution de la situation en Guinée et des conclusions de la réunion du Groupe de contact international, en insistant sur l’importance primordiale de l’effort de médiation de la CEDEAO pour assurer une transition crédible et pacifique en Guinée. Ces accords permirent l’organisation de l’élection qui se solda par la victoire d’Alpha Condé, désormais à la tête du pays. Le premier président démocratiquement élu depuis l’indépendance de la Guinée apparaissait comme le fruit de la médiation sous-régionale menée par le chef de l’État du 19 ONU, Rapport du Secrétaire général sur le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest S/2009/6822009, 31 décembre 2009. 20 Après des soins intensifs au Maroc, il trouve l’exil chez le médiateur où il réside. 11 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? Burkina Faso. Une fois de plus, l’imposition d’un seul médiateur permit de ramener le calme en Guinée. Cependant ces résultats flatteurs cachèrent difficilement l’influence de l’extérieur, car aucune de ces médiations ne se fit sans le recours aux puissances étrangères. Celles-ci, en répondant à ces différentes sollicitations ne dénaturent-elles pas l’africanisation des conflits ? Doit-on considérer ce recours comme une ingérence ou un simple appui diplomatique ? LE RECOURS A L’EXTERIEUR : SOUTIENS DIPLOMATIQUES OU INGERENCE ? Les limites de l’africanisation du règlement des conflits La volonté des Africains de gérer eux-mêmes leurs problèmes traduisaient une velléité de s’affranchir de la tutelle des puissances occidentales, et de ne plus apparaître comme des éternels assistés et des incapables. Ils tinrent également à certains paramètres qui sont : une meilleure connaissance humaine, historique, culturelle du pays affecté, une proximité géographique, des intérêts économiques croisés et, enfin, les effets de la fin de la Guerre froide. En effet, durant des décennies, les puissances extérieures au continent (États-Unis, URSS, France, Grande-Bretagne, Portugal) apparaissaient comme les véritables « puissances africaines21 » qui imposaient la solution leur convenant (diplomatique ou militaire), sans tenir compte des premiers concernés : les Africains. Ces conflits se retrouvaient pris dans l’engrenage de la Guerre froide et leur résolution était tributaire de l’évolution des relations entre les deux grandes puissances (États-Unis et URSS). Mais, avec la fin de la Guerre froide, ces puissances ne trouvaient plus utile et urgent de régler des conflits aux natures changeantes et qui ne présentaient plus d’intérêt idéologique. Cela laissait désormais libre cours aux médiations africaines, qui voyaient ainsi l’occasion de montrer leur savoirfaire. En Afrique de l’Ouest, la CEDEAO finit par imposer la médiation burkinabé dans la sous-région francophone. Le chef de l’État du Burkina Faso avait, certes, une vision d’ensemble de la totalité des questions à suivre et la meilleure manière de les traiter22 et de parvenir à l’objectif escompté, mais il 21 Yao KOUASSI. La médiation comme moyen de prévention et de limitation des possibles dérapages. p. 24. 22 Il est possible de distinguer les étapes suivantes dans sa méthodologie de médiation : rencontre séparée avec les principaux protagonistes ; analyse de la situation par chacun des belligérants ; proposition de solution par chacune des parties, étude des propositions par le médiateur et élaboration d’un document de synthèse des deux propositions ; le document est ensuite soumis aux deux parties pour avis et amendement ; élaboration d’un projet d’accord tenant compte des observations ; après accord définitif, élaboration du document officiel et organisation d’une plénière pour la signature de l’accord-cadre. 12 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? avait besoin de la communauté internationale pour faire face aux obstacles et aux difficultés de sa médiation. Le Burkina Faso est l’un des pays les plus pauvres du continent, et, de surcroît, enclavé. Il ne possédait donc pas les moyens financiers et militaires pour imposer une paix. Pourtant, il réussit trois médiations dans trois crises de la sous-région. L’indice de développement humain dans ce pays est de 0,331, soit le 181ème rang sur 187 pays classés. La population vivant en dessous du seuil de pauvreté est estimée à 56,5% (20% en milieu urbain et 50% en milieu rural)23. Ce paradoxe s’explique au-delà des qualités personnelles du chef de l’État burkinabé, par des facteurs exogènes, qui sont en réalité les vrais tenants de la résolution de ces crises. Ni la CEDEAO, ni le médiateur, ne disposaient de moyens de coercition à l’égard des parties en conflit. La solution militaire restait toujours problématique, car les États africains craignaient qu’un tel scénario ne leur fût imposé à l’occasion d’une crise dans leur pays. Quant aux moyens financiers, ce n’est pas un leurre de le dire : la CEDEAO n’avait pas les moyens de sa politique en raison de l’irrégularité dans le paiement des cotisations des pays membres. Plusieurs d’entre eux ont en effet accumulé des arriérés d’impayés, qui constituaient un frein dans le cadre des politiques de prévention des conflits et surtout de la mise en œuvre des accords de paix. En guise d’illustration, l’ECOMOG a coûté 300 000 dollars par jour seulement pour la nourriture, et ce sans tenir compte de l’entretien du détachement en Sierra Leone. Quand on sait que le budget de cette organisation en 1995 était de 7 millions de dollars, l’ECOMOG a coûté à lui seul 19 millions de dollars. Ce budget ne prenait pas en compte les frais relatifs aux livraisons de pétrole ou à l’usure du matériel24. Sans ressources financières suffisantes, il était impossible pour la CEDEAO et pour le médiateur de faire face à leurs responsabilités en matière de paix et de sécurité. L’appui financier de l’extérieur : facteur de consolidation des accords Il revint par conséquent à l’extérieur d’intervenir comme seule voie de recours. L’extérieur fournit un vaste arsenal de moyens politiques, financiers, militaires et relationnels. L’influence extérieure s’est accrue ces dix dernières années pour des raisons historiques et économiques, mais aussi pour des raisons morales. Au XXIe siècle, il est moralement inacceptable d’assister passivement à des violences et destructions que les médias servent à satiété. Les opinions publiques, surtout dans les démocraties avancées, acceptent difficilement l’indifférence et l’inaction. Ni elles, ni les organisations 23 Pascal AIRAULT. Koudougou la rebelle. p. 70. À l’échelle continentale, l’UA elle aussi ne peut financer toutes les missions militaires. En 2003, elle disposait de 31 millions de dollars contre 43 en 2004. En 2005, le président de la Commission avait souhaité avoir 517 millions de dollars, il n’en a reçu que 158,2 millions dont 40% pour le budget de fonctionnement. 24 13 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? humanitaires ne voulaient voir se répéter les erreurs commises durant la Guerre froide. La mission confiée au médiateur était d’instaurer ce que Paul Valéry appelait « la paix de satisfaction » qui établit, dans une confiance générale, des rapports de paix durable entre les parties en conflit. Lorsqu’un accord est trouvé, il faut des dispositions financières, matérielles et militaires pour en garantir la bonne application. Les propos ci-après de B. Compaoré, rapportés par Zorgbibe, sont révélateurs de cette réalité : « Il est nécessaire que les signataires et la communauté internationale puissent évaluer périodiquement la mise en place de l’accord et apporter d’éventuelles corrections25 ». Cette signature, qui constituait une étape cruciale dans la gestion du conflit, n’en resta pas moins le début d’un nouveau processus également ardu, qui était la mise en œuvre de l’accord, son suivi et son adaptation à l’évolution continue sur le terrain. D’une manière générale, la signature d’un accord de paix était accompagnée d’une conférence de sortie de crise pour la reconstruction et le développement du pays. Des fonds étaient annoncés pour la reconstruction et la consolidation des acquis de l’accord. Dans le cas ivoirien, avant l’ouverture du dialogue de Ouagadougou, les parties ivoiriennes avaient signé cinq accords de paix depuis le début du conflit en 2002. Chacun de ces accords contribuait, certes de manière significative, au règlement de certains aspects importants de la crise, mais la signature de l’Accord de Ouagadougou marquait un authentique tournant dans le processus de paix en Côte d’Ivoire. Pour la première fois depuis le début de la crise, les parties ivoiriennes avaient noué un dialogue de leur propre initiative, avec un médiateur de leur choix. De surcroît, elles avaient elles-mêmes tracé le cadre devant permettre de régler les questions fondamentales qui avaient jusque-là entravé les progrès du processus de paix. En conséquence, les parties ivoiriennes entendaient assumer en pleine propriété le processus énoncé dans l’Accord de Ouagadougou. L’accord prévoyait des dispositions de suivi, et mettait en relief le rôle que devrait jouer la communauté internationale. Et pourtant cet accord était supposé être le fruit d’un dialogue direct entre Ivoiriens. L’accord politique de Ouagadougou du 4 mars 2007, obtenu à la suite de garanties données par la communauté internationale, en est une parfaite illustration. La garantie de financement des élections et autres mesures d’accompagnement était la condition de la réussite de cet accord. Le médiateur et la CEDEAO pouvaient-ils trouver les moyens pour garantir une telle initiative ? Assurément non. L’extérieur, en l’occurrence les puissances extérieures, intervinrent comme facteur de consolidation de l’accord car le processus de retour à la normale dépendait également du relèvement économique du pays. À ce stade, ni l’Union africaine, ni la CEDEAO, ne pouvaient prétendre soutenir 25 Charles ZORGBIBE. op. cit. p. 294. 14 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? financièrement ce processus. Les opérations du FMI et de la Banque mondiale se multiplièrent en Côte d’Ivoire. Ainsi, depuis le début de l’année 2007, les deux institutions avaient désigné des représentants dans le pays, marquant ainsi le début de leur retour. La Banque mondiale envisageait d’accorder une subvention de l’ordre de 120 millions de dollars en vue du règlement des arriérés pour appuyer la réinsertion des anciens combattants, le processus d’identification et le relèvement des collectivités. Entre temps, l’ONUCI et d’autres organismes des Nations unies entreprirent, avec la Banque mondiale, un travail préliminaire concernant l’opportunité et le calendrier d’une évaluation des besoins au lendemain du conflit, qui permettrait de fixer les étapes du relèvement et de la reconstruction. Le cas du Togo est également révélateur de toute l’influence de l’extérieur. Suite à la proclamation de la victoire de Faure Gnassingbé, la CEDEAO affirma, le 27 avril 2005 qu’en dépit des anomalies enregistrées, l’élection était « satisfaisante », et, donc, que les résultats annoncés étaient crédibles. Quant à l’UA, elle suspendit ses sanctions à l’égard du Togo, car ce pays ne se trouvait plus dans une situation anti-constitutionnelle. Il appartenait désormais au médiateur de trouver les voies et les moyens pour créer les conditions de formation d’un gouvernement d’union nationale préconisé par la France. D’entrée de jeu, le médiateur fixa les lignes à ne pas franchir. « Nul ne serait autorisé à contester par exemple, l’élection de Faure Gnassingbé d’avril 200526 ». Lorsque l’accord fut signé, l’Union européenne procéda à une reprise graduelle de sa coopération avec le Togo. Elle avait imposé 22 engagements au pouvoir, afin de voir lever par la Commission les sanctions imposées depuis 1993. Cet accord portait sur les fonds de la période 1990-1994 qui avaient été gelés pour « déficit démocratique ». Le Togo avait été exclu du programme du 10ème FED. L’ambassadeur de l’Union européenne auprès du Togo en 2006, Filiberto Ceriani Sebregondi, dira en substance : « Les fonds du 9ème FED qui concernent les années passées seront débloqués lorsqu’un calendrier électoral sera fixé, et lorsque de nouvelles élections seront organisées27 ». Le facilitateur lança, à la suite de l’accord, un appel à la communauté internationale dans son ensemble, dans le but de reprendre la coopération avec le Togo. L’appel du médiateur était la preuve que sa mission était terminée, et il appartenait désormais à ceux qui détenaient les réels pouvoirs de suivre et d’encourager l’application des résolutions de l’accord28. Enfin, le cas guinéen vint définitivement mettre en relief l’importance de l’extérieur. 26 Yérine Seck CHEICK. art. cit. p. 60. Ibid. 28 En 2008, les institutions financières internationales lui accordent un allègement de la dette au titre de l’initiative « pays pauvres très endettés » (PPTE) alors qu’en réalité 27 15 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? La situation économique de la Guinée pendant la période de crise politique était dramatique, et le recours à l’extérieur était indispensable, voire incontournable. Le taux d’inflation était de 21% et les réserves de change, presque épuisées, équivalaient à 15 jours d’importation. Le déficit budgétaire était de 13% du PIB, et la dette du pays estimée à près de 375 millions de dollars. La masse monétaire était passée de 4 727,2 milliards à 10 367,9 milliards de francs guinéens29. La Guinée se trouvait dans un état de faillite économique qui ne lui permettait pas de financer elle-même sa reconstruction après ces élections présidentielles, d’autant plus que les institutions de Bretton Woods avaient cessé toute coopération pendant la période de transition militaire. La reconstruction passait par un recours systématique à l’extérieur. Ainsi, ces institutions relancèrent graduellement, après les élections, leur coopération avec la Guinée : la Banque mondiale accorda un appui budgétaire de 78 millions de dollars pour faire face aux arriérées de dette, et mit à sa disposition 200 millions de dollars30 pour différents chantiers. Le FMI engagea avec les autorités guinéennes la négociation d’une facilité de crédit (FCR). Ici non plus, ni la CEDEAO, ni le médiateur, ne pouvaient prétendre accompagner le processus de retour constitutionnel en aidant financièrement la Guinée. Les recours à l’extérieur entraînaient donc généralement un désir de contrôle des différents processus engagés après la signature des accords politiques pour le retour définitif de la paix dans ces pays. De fait, le manque de moyens logistiques et financiers du côté des Africains poussa la France et autre pays occidentaux à « contrôler » et à soutenir ces médiations dans leurs différentes étapes, non sans proposer plusieurs solutions. La France apparaît au premier plan pour ses liens historiques avec ces trois pays. La Côte d’Ivoire et le Togo font partie de son « pré carré », tandis que la Guinée était un pays à contrôler après plusieurs années de relations marquées par une méfiance réciproque. Après une période des relations difficiles avec la Guinée de Sékou Touré, et un début de normalisation avec Lassana Conté, la France espérait cette-fois-ci faire revenir définitivement la Guinée dans « son giron ». Dans sa logique de puissance, la France tenait notamment à démontrer qu’elle maîtrisait la gestion des crises qui secouaient son ancien « pré carré ». Afin de ne pas être au premier plan, elle lança une initiative multilatérale en cas de crise ou de conflit. Elle opta pour un multilatéralisme en tant que démultiplicateur de moyens, et qui devrait constituer véritablement une perspective d’avenir souhaitable pour la politique africaine de la France, et l’UE devrait constituer, désormais, un cadre de choix. En intervenant en Afrique avec le concours des pays européens, la France gagnait en efficacité dans ses actions, se crédibilisait davantage et partageait également les risques le pays ne respectait pas tous les critères pour prétendre à l’annulation de sa dette publique extérieure, estimée à environ 1,8 milliard de dollars. 29 André Silver KONAN. Un si lourd héritage. p. 64. 30 Ibid. 16 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? et les coûts de l’implication. Le ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier, déclarait en 2005 que : « la politique (de la France) se fonde à présent sur la double logique du partenariat avec les Africains et avec les Européens. […] Nous devons passer du « pré carré » français à une « nouvelle frontière » qui soit à la fois française et européenne31 ». La France considérait désormais l’UE comme le nouveau lieu de concrétisation de ses propres initiatives en Afrique ; l’action dans le cadre européen deviendrait ainsi un élément structurant de la politique africaine de la France. Afin de permettre un déploiement plus efficace des opérations, le soutien financier de l’UE s’effectua notamment grâce à la Facilité de paix africaine (FPA). Créée en 2004 à partir des ressources du 9ème Fond européen de développement (FED), elle était alimentée par les contributions volontaires des États membres32. En décembre 2005, le Conseil européen adopta la stratégie de l’UE pour l’Afrique, qui recensa un certain nombre de priorités dans les domaines de la paix et de la sécurité, de la gouvernance démocratique et des droits de l’homme, du commerce et de l’intégration régionale, ainsi que d’autres questions primordiales en matière de développement. Cette stratégie se fondait sur trois principes fondamentaux : l’égalité, le partenariat et l’appropriation entre l’UE et l’Afrique, et le dialogue politique. En matière de paix et de sécurité, le plan d’action 2008-2010 fixa trois actions prioritaires : renforcer le dialogue concernant les défis en matière de paix et de sécurité ; rendre pleinement opérationnelle l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) et assurer le financement prévisible des opérations de soutien de la paix conduites par l’Afrique. CONCLUSION La place des médiations africaines dans le règlement des conflits en Afrique de l’Ouest francophone est à relativiser. Si le président du Burkina Faso est devenu incontestablement le médiateur ouest-africain en titre, son armée et sa puissance financière ne sauraient lui garantir les succès obtenus dans ses trois médiations. Il faut y voir également la bonne application de la médiation sur le terrain par tous les acteurs. La CEDEAO elle non plus ne pouvait s’attribuer seule la paternité des accords de paix issus des médiations dans la mesure où la durée de ces négociations, les moyens financiers à 31 Michel BARNIER. Diplomatie française : le réflexe européen. p. 142. De nombreuses opérations ont bénéficié ou bénéficient du soutien de la FPA comme la mission de l’UA au Soudan (AMIS), la mission de l’UA en Somalie (AMISOM), la mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX), la mission de l’UA au Comores (AMISEC). 32 17 P e r s p e c t i v e s I n t e r n a t i on a l e s Numéro 3/Janvier – Juin 2013 So m a l i e , d ’ u n e i n t e r v e n t i o n à l ’ a u t r e : La paix introuvable ? débloquer pour rassurer les belligérants et la reconstruction de la paix ne pouvaient être le fait des Africains. « L’ingérence étrangère » ici peut être considérée, à court terme, comme indispensable, car le recours à l’extérieur traduisait, en réalité, l’incapacité des Africains à faire face, malgré leur bonne volonté, à la résolution définitive de leurs problèmes dans leur volet financier. Il ressort de l’étude de ces trois crises que l’appui aux médiations africaines apparaît avant tout de nature financière, faisant en quelque sorte de la France et de l’Union européenne les mécènes des initiatives africaines de résolution des conflits, et montrant ainsi les limites matérielles de ces médiations. BIBLIOGRAPHIE Documents officiels ONU. Rapport intérimaire du Secrétaire général sur les moyens de combattre les problèmes sous-régionaux et transfrontaliers en Afrique de l’Ouest. S/2005/86, 11 février 2005. ONU. Rapport du Conseil de sécurité. A/61/2, 1er août 2005-31 juillet 2006. ONU. Treizième rapport du Secrétaire général sur l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire. S/2007/275, 14 mai 2007. ONU. Rapport du Secrétaire général sur les enfants et le conflit armé en Côte d’Ivoire. S/2007/515, 30 août 2007. ONU. Quatorzième rapport du Secrétaire général sur l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire. S/2007/593, 1er octobre 2007. ONU. 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