Pistes Hamlet

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Pistes Hamlet
Antigone-en ligne – Shakespeare, Hamlet
Piste pédagogique 4
Shakespeare, Hamlet
Exemple d’analyse ciblée :
Extraits des scènes IV et V de l’acte I : le spectre
1. Avant de visionner ces extraits.
a. Sensibiliser l’œil et l’oreille.
Ces scènes se situent à la fin du premier acte. Elles ont lieu sur les remparts du château
d’Elseneur. Les officiers de la garde ont aperçu une « chose » qui ressemble étrangement au
roi défunt et père d’Hamlet. À sa nouvelle apparition (scène I), Horatio, l’ami d’Hamlet,
essaie de lui parler mais le spectre ne répond pas et disparaît. Ils délibèrent sur la conduite à
tenir devant ce prodige. Horatio a l’intuition que cette apparition va avoir des conséquences
sur la suite des événements : « Que faut-il en penser, je n’en sais rien,/Mais ma première idée,
c’est que c’est l’annonce/De bouleversements pour notre pays. »
La scène II est une scène de cour : la reine Gertrude vient d’épouser Claudius, le frère de son
défunt mari ; celui-ci prononce un discours tandis que le jeune prince ne parvient pas à cacher
son dégoût devant cette nouvelle situation. Horatio lui fait part de l’événement de la veille et
le convie à rejoindre la garde la nuit suivante. Hamlet espère pouvoir parler au spectre.
La troisième scène achève l’exposition de l’acte ; le jeune et fougueux Laërte prend congé de
son père Polonius et de sa sœur Ophélie qui lui a confié les sentiments tendres qu’Hamlet
semble éprouver pour elle. Son père et son frère la mettent en garde.
Les deux dernières scènes sont, elles, consacrées à la rencontre entre Hamlet et le spectre. La
mise en scène d’un être surnaturel pose des questions au théâtre : comment en effet
représenter un fantôme ? Le texte le présente en armure, la visière levée si bien que son visage
est aisément identifiable, sans pour autant qu’il ait une matérialité. Puisque celui-ci n’a pas
ouvert la bouche lors de ses premières apparitions, la rencontre avec son fils sera décisive ;
son retour parmi les vivants est justifié par le message qu’il doit délivrer au seul qui soit en
mesure de l’entendre. L’enjeu de cette rencontre est donc bien la révélation d’un secret qui
n’en est un que parce qu’il implique une vengeance : Hamlet apprend ainsi en même temps la
cause réelle de la mort de son père et la mission qui lui incombe.
b. Le contexte des spectacles.
On peut utiliser les notices sur les différentes mises en scène pour en saisir le contexte. La
plus ancienne est celle de Patrice Chéreau, elle a été réalisée par Pierre Cavassilas pour la
télévision en 1988 après la création du spectacle au Festival d’Avignon lors de sa reprise au
Théâtre des Amandiers de Nanterre ; la version de Peter Brook est, elle, spécialement conçue
pour le film, tourné en anglais par le metteur en scène lui-même en 2001 pour Arte à partir de
sa mise en scène créée aux Théâtre des Bouffes du Nord. Le DVD est actuellement disponible
chez Arte/vidéo ; quant à la version de David Bobee, elle a été réalisée par Greg Germain
pour la télévision (France Ô) en 2010 et est également disponible en DVD.
Il sera intéressant de comparer et confronter les choix qui ont conduit les trois metteurs en
scène dans le traitement scénique du rôle du spectre. Alors que David Bobee le dématérialise
en utilisant les moyens de la nouvelle technologie, les deux autres metteurs en scène
choisissent de l’incarner à travers la présence d’un acteur. Mais tandis que Chéreau le juche
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sur un cheval lui conférant ainsi une majesté et une dimension spectaculaire sur scène, figure
de cavalier de l’Apocalypse, Brook choisit pour sa part la plus grande sobriété dans la
simplicité. L’acteur Jeffery Kissoon, vêtu de noir, joue du trouble provoqué par sa présence
énigmatique et solennelle dans le face à face avec son fils ; la force mystérieuse qui se dégage
de lui sera d’ailleurs redoublée lorsque le spectateur constatera, à la scène suivante, que ce
même acteur interprète également Claudius, le frère meurtrier du roi. Ce choix dramaturgique
qui joue sur la distribution pour créer un effet d’illusion optique est bien entendu un parti-pris
fort de la mise en scène qui ne peut qu’interroger vivement le spectateur.
2. Regarder les extraits dans les trois mises en scène.
3. Analyses.
a. L’univers scénique.
Les univers créés par ces trois mises en scène sont très différents tant dans les choix
scénographiques que dans les effets produits sur le spectateur.
Dans la mise en scène de Brook, la dramatisation de la scène est exacerbée par une musique à
base de percussions qui accompagne l’avancée du spectre dans l’obscurité. La scène n’est
éclairée que par des bougies, ce qui rend l’atmosphère d’autant plus inquiétante. Comme un
masque dans la nuit, le personnage s’avance vers Hamlet dont le spectateur adopte le point de
vue. Tandis qu’Horatio se retire comme saisi d’effroi, le jeune Hamlet affronte la silhouette
au visage impassible qui s’avance vers lui (on pourra convoquer également la figure du
Commandeur dans Don Juan). La sobriété de la scénographie laisse visible les murs et
l’architecture du Théâtre des Bouffes du Nord qui sert d’écrin à la pièce. Ainsi, dans ce
théâtre à l’italienne, les murs rouges et les lustres très faiblement éclairés sont bien visibles et
on discerne parfaitement les balcons. Les acteurs jouent à même le sol, recouvert de tapis
rouges, l’espace autour est vide, ponctué par de hauts candélabres dorés, supports de petites
flammèches. Les costumes sont sobres, coupés dans des matières qui évoquent la simplicité
de la toile de bure. Horatio est en blanc tandis qu’Hamlet est en noir. Le spectre, quant à lui,
disparaît sous un long manteau brun dont ne dépassent que la tête et les mains.
Dans la mise en scène de Chéreau, c’est le sol-marqueterie qui structure l’espace. Cette
scénographie signée par Richard Peduzzi recouvre l’espace du plateau comme une immense
façade de palais, posée à l’horizontal qui constitue autant de chausse-trappe pour les acteurs.
L’arrivée du spectre est annoncée par une sorte de son métallique qui effraie les compagnons
d’Hamlet, aussitôt suivi d’un bruit de sabots claquant sur le bois. Un cavalier noir, juché sur
son cheval caparaçonné et semblant faire corps avec lui apparaît, alors, vêtu d’une longue
cape noire, le visage pareil à une tête de mort surmontée de longs cheveux filasse. L’espace
nu met en valeur le surgissement du cheval dans l’espace, le bois irrégulier et lisse n’est par
ailleurs pas un sol adapté aux sabots de l’animal, ce qui provoque, outre la surprise du
spectateur, une certaine appréhension devant un risque possible de glissade conditionnant de
ce fait le regard porté vers la scène.
Bobee, quant à lui, choisit de faire apparaître la figure du spectre en plein milieu d’une scène
de fête, sorte de banquet qui réunit la cour et montre la débauche du nouveau roi avec sa
nouvelle épouse. Claudius et Gertrude sont debout sur la table entourés d’autres danseurs ; au
moment où ils s’embrassent, une sorte de silhouette hologramme surgit sur le mur du fond
tandis que la musique change. Comme un graphique laser mesurant l’intensité de la musique,
cette forme peu à peu identifiable à un visage prend la parole face au seul Hamlet.
L’originalité réside ici dans cette dématérialisation technologique qui projette le personnage
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du spectre en deux dimensions sur la paroi de l’espace scénographique, remotivant le sens du
mot « spectre » utilisé en physique qui désigne des variations dans l’intensité ou dans la phase
d’un rayonnement complexe suivant la longueur d’onde par exemple.
b. Dramaturgie et direction d’acteurs.
Brook travaille sur l’extrême sobriété de ses acteurs. Chaque geste est d’autant plus
significatif. Le gros plan permet par ailleurs de souligner une symbolique frappante : alors que
le visage du spectre reste impassible, sa main s’avance au moment où le prince lui demande
s’il doit l’appeler « père ». Cette image, mise en relief par la caméra, renvoie le spectateur à la
comparaison précédente utilisée par Horatio qui témoignait de la ressemblance de la vision
avec le roi comme de celle de ses deux mains. Ce geste éloquent pallie alors le silence du
spectre qui semble ainsi apporter son approbation à travers ce lien qui les unit par-delà
l’histoire – tous deux portent le nom d’Hamlet. Ce geste établit une communication entre eux
: le jeune Hamlet à son tour tend la main, les mains s’unissent et cette union déclenche la
parole du spectre (« Écoute-moi »). Le prince semble alors disparaître dans les bras de son
père qui lui confie le secret de sa mort. Hamlet, tel un jeune chevalier, s’agenouille alors pour
recevoir cette parole. Le visage du spectre est impassible, son débit est lent, posé, le ton de la
voix est grave alors que le jeune homme a le visage ouvert, buvant chacune des paroles du
père. Le contraste se creuse devant l’horreur de la révélation. D’abord incrédule, le jeune
Hamlet manifeste un rejet à l’énoncé du nom de son oncle criminel puis son visage s’inonde
de larmes, écrasé par la force du spectre qui s’anime de plus en plus, l’accompagnement
musical accentuant encore la dramatisation croissante du récit de son empoisonnement –
prenant ici toute la puissance d’une hypotypose. Au moment où le spectre dresse le bilan de
tout ce qu’il a perdu, il retrouve un débit plus posé, s’adresse plus directement à son fils
auquel il impose ses mains et lui confie la mission de le venger. Après le départ du spectre, le
plan large qui l’isole sur le sol rouge permet de montrer le désarroi du jeune homme et la
démesure de la tâche qui lui incombe.
Le spectre juché sur son cheval dans la mise en scène de Chéreau provoque par son entrée
mouvementée une grande agitation sur le plateau : les amis du prince s’écartent, tandis que le
jeune Hamlet se jette à genoux accentuant encore par cette position la majesté et la grandeur
du spectre qui ne cesse de faire tourner son cheval sur lui-même. Aux paroles d’Hamlet : « je
te nomme Hamlet, mon roi », le spectre s’immobilise, comme frappé par cette parole de
reconnaissance. Devant les interrogations de son fils, il est cependant de nouveau pris par un
mouvement de plus en plus saccadé qui l’amène à cabrer son cheval comme si par ce signe il
voulait entraîner son fils à l’écart. Hamlet qui brûle de suivre le cavalier doit tout d’abord
lutter contre ses compagnons, Horatio et Marcellus qui l’empêchent de passer craignant pour
sa vie. Les menaçant de son épée, le jeune prince finit par rejoindre le spectre à présent
descendu de cheval pour lui confier son secret.
Contrairement à la mise en scène de Brook, Chéreau met en avant la distance entre les deux
personnages sur le plateau, comme pour marquer leur différence de nature. Hamlet se situe en
arrière par rapport à un premier plan qui porte le verbe de l’information dramatique ;
l’opposition se joue aussi sur la corporalité des acteurs avec le jeu de Wladimir Yordanoff,
personnage courbé, comme accablé par le poids de son message et la fougue de Gérard
Desarthe, faisant tournoyer son épée comme impatient d’entrer en action. L’extrait,
étrangement, ne montre pas de face à face entre les deux personnages.
Le jeu entre Hamlet et le spectre dans la mise en scène de Bobee est particulier dans la mesure
où l’acteur, Pierre Cartonnet, est face à une effigie numérique. Surdimensionné, le spectre qui
s’anime et se transforme, entre figuration et abstraction technologique, est également une
voix, très audible pour sa part, qui s’adresse directement à l’acteur sur scène. Cette relation –
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entre humain et entité déshumanisée – crée une impression très étrange pour le spectateur.
Hamlet, et seulement lui, semble en effet avoir le pouvoir de communiquer avec une autre
dimension, au-delà de l’humanité. C’est Hamlet qui interpelle le spectre qui s’adresse alors à
lui avec une voix douce et caverneuse, très humaine, contrastant fortement avec son
apparence dématérialisée. Le dispositif frontal est ici original puisque l’acteur s’adresse aux
spectateurs – avec l’effigie dans son dos – comme s’il s’adressait au spectre. Les plans
alternent entre la vision en pied, qui oppose la petitesse de la silhouette d’Hamlet se détachant
sur le tissage au laser de la figure du spectre, et le gros plan qui montre l’effet des paroles du
récit du défunt roi sur le visage en larmes de son fils. Le jeu de l’acteur est quasiment un jeu
« cinématographique », c’est-à-dire sans aucune « théâtralité » qui marquerait son origine
scénique.
c. Synthèse.
Les trois extraits se distinguent tout d’abord par le support textuel différent qu’ils mettent en
scène : la traduction d’Yves Bonnefoy, l’adaptation anglaise proposée par Peter Brook et
Marie-Hélène Estienne et la traduction de Pascal Collin. Une traduction proche du texte de
Shakespeare donc et deux adaptations qui pratiquent aussi bien l’ellipse que la condensation.
De même, les trois supports audiovisuels varient et changent la perception des extraits
proposés dans la mesure où la théâtralité qui émane de la scène est beaucoup plus prégnante
dans une réalisation proche de la captation telle qu’elle est proposée par Pierre Cavassilas que
l’adaptation spécifiquement scénarisée pour le film de Peter Brook.
Les trois choix dramaturgiques proposés pour le traitement du spectre n’en sont pourtant pas
moins intéressants à confronter tant ils montrent l’incroyable liberté dont peut faire preuve le
metteur en scène pour le traitement scénique d’un même thème et l’originalité du choix qui
est le sien.
Pistes d’utilisation des documents annexes
L’extrait vidéo et les quatre documents iconographiques permettent d’observer les choix
élaborés par Thomas Ostermeier, dans sa mise en scène d’Hamlet.
L’action est filmée dans le cadre prestigieux de la cour d’honneur du palais des Papes, à
Avignon, en 2008.
Documents :
– Extrait vidéo de la mise en scène de Thomas Ostermeier : © ZDF – 2008.
– Photographie de la scène dans la cour d’honneur du palais des Papes à Avignon : ©
Schaubühne/Jan Pappelbaum.
– Photographies de la mise en scène montrant les personnages : © Schaubühne/Arno Declair.
Thomas Ostermeier propose une mise en scène d’Hamlet qui s’ouvre sur le monologue « Être
ou ne pas être », suivi de la scène, muette, de l’enterrement du père d’Hamlet qui sera suivi du
banquet en l’honneur du remariage de sa mère.
Proposition d’exploitation pédagogique de ces documents
Visionnez le début de la mise en scène filmée de Thomas Ostermeier, surtitré en allemand, de
préférence sans le son.
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Observez attentivement les photographies et répondez aux consignes suivantes :
1. Réalisez une description de l’espace scénique
Grâce à l’extrait vidéo et aux photographies, on observe une avant-scène en terre battue.
Celle-ci se transforme progressivement en boue sous l’effet du jet d’eau et favorise ainsi les
glissements des personnages. Ils pataugent et s’enlisent de plus en plus.
En fond de scène est positionnée une grande table dressée pour le banquet des jeunes époux et
la cour du Danemark.
On observe, à partir des photographies, que des éléments du décor sont amovibles, le rideau,
notamment, sur lequel sont projetées des scènes filmées en temps réel par les comédiens.
2. Faire un schéma de l’espace scénique en essayant de faire apparaître toutes ses
caractéristiques, situer chacun des personnages et les accessoires présents
On pourra s’intéresser de façon privilégiée au rôle du personnage transformant la terre en
boue à l’aide du jet d’eau. Le décalage entre la situation et l’attitude, très sérieuse, de
« l’arroseur » ne fait que renforcer l’atmosphère décalée et l’impression gênante qui se
dégagent de ces premières images.
3. Élaborez des hypothèses sur l’identité, la situation et les répliques des personnages
Le jeu des acteurs, muets, tient du burlesque : le fossoyeur est d’une maladresse extrême, il
tombe à plusieurs reprises dans le trou creusé pour le cercueil.
Les actions de ce personnage, qui fait écho à Buster Keaton, ainsi que les rituels de
l’enterrement, deviennent dérisoires.
Les autres personnages, Gertrude, soutenue par Polonius, Claudius, figé devant le cercueil et
Hamlet, témoin de l’action, donnent à cette scène de farce tragique toute son intensité.
4. Caractérisez la mise en scène
Cette scène, presque cinématographique, est tirée de l’imagination du metteur en scène, elle
est hors texte dans l’œuvre de Shakespeare : Thomas Ostermeier modifie ainsi l’ordre des
scènes et en crée de nouvelles.
Il s’agit donc bien d’une scène d’exposition, développant l’enterrement du père d’Hamlet ; un
corps littéralement bien difficile à enterrer.
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