Beautiful_Dark_-_tome_1_-_Jocelyn_DaviesFichier PDF - e
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Traduitdel’anglais(États-Unis)parAuroreAlcayde Àmesgrands-parents,SandraetMarkMessler, quiontgardéuneplacepourmonpremierromansurleurtable bassedepuisquejesuisenâged’écrire. Unenuit,leventsoufflaàtraverslesrideauxde machambre.Quandj’ouvrislesyeux,jenevis rien.Niluneniombre. Lelendemainmatin,jetrouvailafenêtrefermée. Parterre,ilyavaituneplume.Jen’avaisdoncpas rêvé.Maisdansl’obscurité,jenesusdiresielle étaitblancheounoire. 1 Unebourrasqueglacialem’accueillitaumomentoùjemeplantaidevantleLoveTheBean,lecafé équitable de ma ville. La dernière tempête de neige avait fait geler routes et trottoirs, si bien que j’avaisfaillitomberensortantdemavoiture. Jejetaiuncoupd’œilauxenvirons. Nousétionssamedisoir,touslescommercesétaientfermésetiln’yavaitpasunchatdanslesrues. BienvenueàRiverSprings,petitebourgadeduColorado! Cassie,Danetmoiavionsrendez-vousauLoveTheBean.Touslesans,jesuppliaismesamisdene pasm’organiserdefêted’anniversaireet,touslesans,ilsfaisaientlasourdeoreille.C’étaitdevenu une sorte de tradition. Cette année, j’avais pris les devants et décidé moi-même du programme : d’abord, une tournée de cupcakes et de cafés latte, gracieusement offerts par Ian, qui travaillait au Love The Bean et qui nous refilait toujours des consommations gratuites, puis séance de minuit au cinéma,oùl’onjouaitStormEnemy,unfilmcatastrophedesérieBcommejelesaime. Enéquilibreprécairesurletrottoirverglacé,jepoussailaporteducafé. Lasalle,plongéedanslenoirmalgréquelquesguirlandesclignotantes,étaitdéserte.Bizarre… —Ilyaquelqu’un?chuchotai-je. Laported’entréeserefermaderrièremoidansuntintementdeclochettes.Jecrusentendreunbruit insistant,unesortede«chuuut». —Surprise!s’écriaCassieenjaillissantdederrièreunfauteuil. —C’estpasvrai!m’exclamai-jed’untonmélodramatique. Difficile de feindre la surprise : il était évident que Cassie allait ignorer mes plans au profit des siens. Lamoitiédesélèvesdepremièredemonlycéesurgirentàleurtourdesdifférentscoinsdelasalle : les filles de mon équipe de ski, les membres du groupe de musique de Cassie et des camarades d’athlétismedeDan.Ilyavaitpeud’élèvesàNorthwood,ettoutlemondes’entendaitplutôtbien. —Joyeuxanniversaire! —Cassie!Tum’avaispromis! Jeluidonnaiuncoupdebonnet,etellelevalesmainsensignedereddition. —Désolée,tusaisquejenet’obéisjamais,lança-t-elledansunéclatderire. Elle me conduisit à travers la foule vers le fond de la salle, où trônaient plusieurs canapés. Dan nousyattendait,sourireauxlèvres,unpaquetbrillantdanslesmains. —Jesais,jesais.Tunevoulaispasdecadeaunonplus,criaCassiepar-dessuslamusique.Maisje n’aipaspurésister. —J’espèrequeçanevousapascoûtétropcher… —Non!Ont’adénichéuncadeaunazedecheznaze. Danmeserrafortdanssesbras. —Tuesencolère?Tunousaimesplus?Super,monplanpourgarderCassierienquepourmoia fonctionné! IlpinçaenriantlebrasdeCassie,quirépliqua,amusée: —Pourça,ilfaudraattendrel’apocalypse.Etencore,c’estpasgagné! Elledéboutonnasongiletetensortituneflasquemétallique. —Onn’apastouslesjoursdix-septans! —Etcen’estpastouslesjoursl’apocalypse,grommelaDan. —Vousavezdéjàbuavantquej’arrive,ouquoi?lestaquinai-je. Trèsclasse,Cassieavaitrevêtuunepetiterobeàfleurssouslegiletjaunevintagequ’elleadoraitet rassemblésachevelurerousseenunchignondéstructuré.Elleavaitaussiungroscollantetdesaprèsskis, indispensables en cette saison. Dan, lui, portait son éternel sweat à capuche bleu marine. De temps à autre, il chassait ses cheveux bruns, qui lui retombaient constamment dans les yeux. Impossible de rester en colère contre ces deux-là : on était les meilleurs amis du monde depuis la maternelle. —J’avoue,vousavezfaitdutrèsbonboulot. —Oh,çaluiplaît!s’exclamaDanendonnantuncoupdecoudeàCassie. —Encoreheureux!soupiraCassie.J’aimisdeuxheuresàfabriquerleslampionsetàdémêlerles guirlandes. —Tueslareinedestravauxmanuels,luiassurai-je. —Justement…Aurisquedet’agacer,onaquelquechosepourtoi,m’expliquaDan. Ilrentralatêtedanslesépaules,commesij’allaislefrapper. —Trèsdrôle,répondis-je.Tut’esentraînéàesquiverlescoups? Ilmetenditunpaquetenpapierargenté,surlequels’étalaitun«Joyeuxanniversaire,Skye!»en lettrespailletées. —C’étaitmonidée,sevantaCassie. —Maisc’estmoiquil’aiemballé,précisaDan. —Commesiçanesevoyaitpas…,fitCassieenroulantdesyeux.Nedéballepastoncadeautoutde suite,Skye,taphobiedessurprisespourraittejouerdestours.Rends-nousservice,etouvre-lequand tuserasenmesuredel’apprécieràsajustevaleur,d’accord? —Promis!dis-jeenriant.D’ailleurs,çaseraitdommaged’abîmerunsijolipaquet… —C’estpluscompliquéqueçaenal’air,soulignaDan. — Je voudrais porter un toast, repris-je. En règle générale, c’est vrai que je n’aime pas les surprises,mais…vousvousenêtesbiensortis.Merci. Cassielevasonmug. — J’adore faire des surprises ! En plus, on sait que c’est toujours dur, pour toi, de fêter ton anniversaire. Jeluilançaiunregardacerbe,qu’ellefitsemblantdenepasremarquer. —Ànotreétouffanteprésence!s’exclamaDanenlevantsonmugàsontour. —Àtesdix-septans,ajoutaCassie.L’âgedelaraison. Lesguirlandesclignotantesdiffusaientunelumièreflouedanslasalle,etlesenceintescrachaient delamusiqueàpleinvolume.Cassien’étaitpaslaseuleàavoirapportédel’alcoolendouce.Maggie Meltzer, la capitaine de l’équipe de ski féminine, me servit une liqueur tandis que les autres invités commençaient à danser. Quelqu’un me colla dans les bras d’un des camarades d’athlé de Dan, qui m’entraînasurlapiste. —Ehben!Pourquelqu’unquin’aimepaslessurprises,elleal’airdebiens’amuser,commenta Cassie. Auboutd’unmoment,matêtesemitàtourner,etjeregagnailescanapésentitubant.CassieetDan, collésl’unàl’autre,discutaientavecanimation. —Tiens,Skye! JemeretournaietmetrouvainezànezavecIanquiapportaitunplateaudecupcakesdorés.Cassie et moi le surnommions le meilleur ami « mâle » de Dan. Il avait des cheveux blonds et un visage constellédetachesderousseur.J’aimaisbienIan,mêmes’ilauraitpréféréquejel’aimetoutcourt… —Tuvois,laphaseAdetonplaninitialtienttoujours:c’estlamaisonquioffre. — J’arrive pas à comprendre par quel miracle tu ne t’es pas encore fait virer ! plaisantai-je en prenantungâteauroseparsemédevermicellesmulticolores. — La maison ne tiendrait pas deux secondes sans le très sexy homme à tout faire que je suis, répliquaIan. Ilfrottasonépaulecontrelamienne. —Celadit,jeveuxbienmefairevirerpourtoi. Ilposasonplateausurlatablebasse,enfaceducanapéoùétaientinstallésDanetCassieets’assità côtédemoi. —Alors,surprise? —Devousvoirbravermoninterdictionformelle,commel’andernier?Ehbien,crois-leounon, mais…oui,çam’asurprise. —Qu’est-cequetupensesdelamusique? Jeregardailapetitescènedresséedansuncoindelasalle,oùseproduisaitungroupedepop. —Pasmal. —IlsnesontpasaussibonsquelesSomnambules,intervintCassie,quiparlaitdesongroupede musique.Tantpis,jemesuisquandmêmesurpasséeaujourd’hui,vousnetrouvezpas? —Toutàfait,acquiesçai-je.Parcontre,l’anprochain,sijedisnon,c’estnon. —Maisoui,biensûr,ironisaIan. —Sionnet’organisepasdefêted’anniversaire,quilefera?demandaCassie. Aïe…Sansqu’elleleveuille,sesparolesm’avaientblessée.Jerepensaiàmesparents,mortsquand j’avais six ans. Mes souvenirs étaient vagues. Tante Jo – la meilleure amie de maman, devenue ma tutrice légale – m’avait donné un carton rempli de photos d’eux. Apparemment, à chacun de mes anniversaires,mamèreconfectionnaitungâteaubiscornuqu’ellemelaissaitdécoreravecunglaçage vanille-chocolat. À en croire les images, le résultat était catastrophique, mais cela restait, encore aujourd’hui,mondessertpréféré.Étrangecommedeschosesdontjemesouvenaisàpeinepouvaient memanquer… —Tuessuperbe!mesoufflaIanàl’oreille. Jeredescendisbrusquementsurterre. —Merci.Çadoitêtrel’effetanniversaire. —Non,tuestoujourssuperbe. Ilrougitetfitsemblantdes’intéresseràsongâteau.Ilportaitunpolovertestampillédulogodu café,pastrèssexy.Autantnepasluiretournerlecompliment:ilauraitcomprisquejeluirendaisla pareilleparpurepolitesse. Ilcommençaitàfairevraimentchaudaumilieudelafoule.Jen’avaisjamaisétéàl’aisedansles espacesclosetbondés.J’aimaismieuxêtresurlespistesdeskietsentirleventmemordrelesjoues. Jemelevai: —J’aibesoindeprendrel’air. —Couvre-toibien,petite,meconseillaDanenprenantunevoixdegrand-mère. Jefouillaidansletasdemanteauxsurlecanapé,maisnetrouvaiquemonbonnetetmonécharpe. —Jet’accompagne?proposaIan. —Non,merci,jevaisjusterespirerunpeu.Paslapeinederisquerunepneumoniepourmoi. —D’accord.Jedoisretournertravailler,detoutefaçon. —J’aiadorétesgâteaux. — Je ne les ai pas faits moi-même, répondit-il, visiblement déçu, comme si j’avais dit ou fait quelquechosedemal. Jeleregardais’éloigner.Pourquoiavoirrefusésacompagnie?Aprèstout,saprésenceétaitplus quetolérable.D’unautrecôté,j’avaisbesoindemeretrouverseuledeuxminutes.Ilcomprendrait.Il comprenaittoujours. Jemismonbonnetetm’enroulail’écharpeautourducouavantd’ouvrirlaporteducafé.Lefroid mefitfrissonner.Jefermailesyeuxetprisuneprofondeinspiration,savourantcetinstantderépit.Je rouvrislespaupières:lapleineluneflottaitau-dessusdesmontagnes. —Salut! Je fis volte-face, gênée d’être surprise en pleine méditation. Un garçon grand et musclé, dont le visageétaitdissimuléparl’ombredel’auventducafé,setenaitcontrelafaçadedubâtiment. —Oh,fis-jeenreculantverslaporte.Désolée,jenevoulaispasvousdéranger.Jevais… —C’estbon,tupeuxrester,merépondit-il.Jecommençaisàmesentirseul. Ilfitunpasverslalumière. —Jen’aipasl’habitudedelamontagne. Sa façon de me fixer de ses yeux sombres, fascinants, m’interpella. J’éprouvai comme une sensationdedéjà-vu.Leclairdeluneaccentuaitsespommettessaillantesetfaisaitressortirsonteint olive.Sescheveuxnoirsseconfondaientaveclanuit. —Tut’appellesSkye,c’estbiença? J’acquiesçaietdétachaimonregarddeluipourmeconcentrersurlesmontagnes.Jenevoulaispas qu’ilmevoieentraindel’observer.Quiétait-ce?Satêtemedisaitquelquechose…Entoutcas,lui savaitquij’étais.Avait-ilentendumesinvitésprononcermonnom? —Jefuismaproprefête.Tropnul! —Tun’aspourtantpasl’aird’êtrerabat-joie,déclara-t-il.Tudoisdoncavoirunebonneraisonde fuir.Tuessaiesd’échapperàquelquechose?Ouàquelqu’un?… —Non,àrien. —Rienderien? Ilparlaitavecdécontraction,commesinousnousconnaissionsdepuistoujours. —Oualors,j’essaied’échapperàtout…,lâchai-je. Il éclata de rire, et sa voix grave résonna dans la rue déserte. Je sentis mon ventre se tordre. Du calme,Skye!Jen’avaisjamaiseuunetelleréactionenprésenced’uninconnu. —Tufuissouventtespropresfêtes? — Seulement quand on les organise dans mon dos. Et toi, tu traînes souvent autour des fêtes auxquellesonnet’apasinvité? —Oui,répondit-ilavecunsourirequilaissaapparaîtreuneadorablefossette.Caronnesaitjamais surquionvatomber. Nous restâmes un instant sans rien dire. J’avais envie de discuter avec lui, mais aucun sujet de conversationnemevenaitàl’esprit.Jemejuraiquelaprochainefois,j’empêcheraisCassiedevider toutsonalcooldansmonverre. —Bon,jevaisretourneràl’intérieur,dis-jeauboutd’unmoment.Ilsvontfinirparsedemander oùjesuispassée. —Tuasfaitunvœu? —Pardon? —Quandtuassoufflétesbougies. Jepiquaiunfard.Pourquoicettequestioninnocentemeparaissait-ellesiintime? —Non,jen’yaipaspensé,dis-jeenréalisantquec’étaitlecas. —Iln’estpastroptard.Tuasencoreunedemi-heurepourchangerlecoursdetavie. Drôlederéflexion… —Etsijeneveuxrienchanger? —Rienderien? Jesongeaiàmesparents…Impossibledesouhaiterquoiquecesoitàleursujet. —Non,vraiment. —Tantmieux,alors. Jemetournaiverslaporte,avecladésagréableimpressiondenepasavoirsaisitouteslessubtilités denotreconversation. —Àbientôt,Skye,dit-iltandisquejeregagnaislecafé.Etjoyeuxanniversaire! 2 Souslesnéonsdestoilettesdésertes,j’observaisavecétonnementmonreflet.Mesirisavaientpris une couleur argentée ! Pas grise, comme d’habitude, mais argentée. Je clignai des yeux. Pas de changement. Au contraire… On les aurait dits plus éclatants, plus intenses, comme dans un documentaire qu’on avait regardé, l’année dernière, en cours de chimie. Un scientifique brisait un vieuxthermomètreau-dessusd’uneboîte,etlemercureserépandait,vifetléger.Rienàvoiravecla matièregluantequej’avaisimaginée. Mon cœur battait à tout rompre. C’était quoi, ces yeux ? Étaient-ils déjà comme ça avant que je sorte?Est-cequecelaavaitunlienavecl’étrangeattirancequejeressentaispourlegarçoncroisé dehors?Garçondontjeneconnaissaismêmepaslenom,d’ailleurs. La porte des toilettes s’ouvrit, et j’entendis des rires. Je me précipitai dans l’un des cabinets et m’adossaicontrelaportemétallique.Ilfallaitquejemecalme:horsdequestionquemesamisme voientdanscetétat-là.Ladernièrefois,j’avaisréussiàm’entirer,pourtant… C’était arrivé deux semaines auparavant, lors d’une compétition de ski. J’étais au coude à coude avecunefilledelaHolyCrossAcademy.Jefonçaisetnégociaislesvirages,concentréeàl’extrême. Au moment de me féliciter pour ma victoire, mon adversaire m’avait demandé si je portais des lentilles de contact. Plus tard, dans le miroir de toilettes comme celles-ci, j’avais vu ce phénomène pourlapremièrefois.Terrifiée,j’avaisregardémesyeux,semblablesàdel’argentenfusion. J’attendisquelesdeuxintrusessortentdestoilettes.Unefoisseule,jemepostaidenouveaudevant lemiroiretlevailatête. Mesirisétaientredevenusnormaux.Sansraison,jemesouvinsd’unecomptinesurdesclochettes d’argent que mon père me chantait quand j’étais petite. Je l’avais complètement oubliée ; c’était la premièrefoisquej’yrepensaisdepuissamort. Chassantcesouvenirdemonesprit,jeprisuneprofondeinspiration,meredressaietévaluaimon reflet.J’avaisleteintpluspâlequed’habitude,etmatenue–jeanetsweatbleu–qui,deuxheuresplus tôt,m’avaitsembléparfaitepourunesoiréeentreamismeparaissaitàprésentnégligée.J’ôtaimon sweatpourdévoileruntee-shirtmoulantetsexyetrassemblaimescheveuxnoirscollésparlasueur enqueue-de-cheval. Rapide coup d’œil sur ma montre : presque minuit. Est-ce qu’on m’en voudrait si je m’éclipsais maintenant?Cassieseraitdéçue.ElleavaitpassélasemaineàjubileraprèsavoirobtenudeTanteJo la levée de mon couvre-feu. Ça m’ennuyait de ne pas en profiter plus, mais j’avais soudain perdu touteenviedefairelafête.Qu’est-cequim’arrivait?J’étaismaladeouquoi? Unefoisderetourdanslasalle,lalumièretamiséemedemandaunpetittempsd’adaptation. C’estalorsquejelesvis:deuxgarçonsquimetournaientledos.L’unétaitblond,l’autreavaitdes cheveuxnoirscoupéscourt.Ilsdiscutaientavecanimationàvoixbasse,commes’ilsnesouhaitaient pasqu’onlesentende.Jenevoyaispasleurvisage,maisj’étaiscertainedenepaslesconnaître. Seulesdesbribesdeleurconversationmeparvenaient: — Non… Pas encore…, disait le blond, qui se tenait droit, les poings serrés. Tu n’es pas censé intervenir. —Etalors?chuchotal’individuauxcheveuxbruns.Tesrèglesnes’appliquentpasàmoi,Devin. Enunclind’œil,ilpoussal’autresurunepiledechaises,quis’effondraavecfracas.Enfin,c’estce quej’avaiscruvoir,carças’étaitdéroulésivite…Touslesregardssebraquèrentsureux;quelqu’un coupalamusique.Devin,sonné,gisaitaumilieudeschaises. —Commetuvoudras,Asher,souffla-t-il. Ilserelevaetlegarçonbrunlerejoignit.Quelquesinvitéssemirentàcrier.Jetentaiderefoulerla peurquimontaitenmoi. —Àmaplace,tuauraisfaitlamêmechose,grondaAsherd’untonmenaçant. —Tusaisbienquenon. Lesgenssemassaientautourd’eux,etjemeretrouvaimalgrémoiaupremierrang.Derrière,onse bousculaitpourmieuxvoir.J’étaispiégée. —Àquilafaute? Devinsecontorsionnapouréchapperàlaprised’Asher,etcedernierfutpropulséenarrière,droit surmoi.Lesbrastendusetlesyeuxfermés,jelesentismepercuterdepleinfouetavantdes’écrouler avecmoisurleplancher.Uneviolentedouleurmetraversalapoitrine,mecoupantlarespiration. —Skye!s’écriaCassie. J’étais incapable de lui répondre, à moitié assommée sous le poids d’Asher. Il se tourna pour se relever,lescoudesdechaquecôtédematête.Nosvisagessetouchaientpresque.Soudain,jevisses yeuxs’écarquiller. C’étaitlegarçonquej’avaisrencontrédevantlecafé.Celuiquim’avaitdemandésij’avaisfaitun vœu pour mon anniversaire. Son regard donnait le vertige, comme lorsqu’on observe une pièce tomberaufondd’unpuits. Jereprismonsouffle. —Dégage,grosnaze!dis-jeenlepoussantdetoutesmesforces. Surpris,Asherretombasurleflancpendantquejemelibérais. L’autregarçon,Devin,medévisageaitluiaussi. Àcetinstant,unbruitassourdissantmefitsursauter,suivid’unsifflementaigu.Jesautaisurmes piedsetfendislafoulepourrejoindreCassie.Leplanchersemitàtrembleretjetombaiàgenoux. Lesinvités,gagnésparlapanique,criaientenseruantverslaporte. Jesentisdeuxmainsmesoulever. —Skye! Soulagée,jem’accrochaiàmonamie. —Qu’est-cequisepasse? Ellesecoualatête,lesyeuxécarquillés. —Aucuneidée! —Tremblementdeterre!hurlaquelqu’un. La vaisselle vacilla sur les étagères et alla se fracasser par terre. Partout, les vitres se brisaient. C’étaitlechaos. Cassiem’entraînaverslasortie. —Vite,ons’enva! Lesolsesoulevaitsousnospieds.JeremarquaiqueDanetIannoussuivaient. —Montezdansvosvoitures!criaDan.Jevousappelledemain.JeresteavecIanjusqu’àl’arrivée desflics. Autourdenous,malgréladiminutiondessecousses,lesgenscouraienttoujoursdanstouslessens. Cassieetmoifonçâmesdanslefroidmordantversnosvoitures,garéesàl’autreboutdelarue.Nous nousarrêtâmesdevantsaVolvo,àboutdesouffle. —Disdonc,toutlemondeparleradetonanniversairelundimatin,marmonnaCassieencherchant sesclés. En dépit de mes efforts pour rester debout, mes jambes se dérobèrent et je m’écroulai par terre, haletante.Cassies’accroupitàcôtédemoi: —Skye?Çava? Tandisqu’ellerepoussaitunemèchedemescheveux,j’appuyailatêtecontrelaportièreetfermai lesyeuxenmeconcentrantsurmarespiration,alorsquelevacarmecessait. —Jemesensbizarre.Jecroisquej’aitropbu. — Tu ne peux pas conduire dans cet état-là, déclara Cassie en me prenant la main. Tu trembles commeunefeuille. —Mais… J’étaisincapabledemettredesmotssurcequim’arrivait.Jen’ycomprenaisrien.Cen’étaitpasde l’angoisse,nidelapeur.C’étaitcommeunabrutissementtotal. —Allez,monte!ordonnaCassie. Ellem’installasurlesiègepassageretattachamaceinture. —Jeteraccompagne,dit-elleendémarrant.Tuviendrasrécupérertavoituredemainmatin. J’inspirai à fond pour essayer de maîtriser mes tremblements. Je jetai un coup d’œil dans le rétroviseur:aubeaumilieudelaruesedressaitunesilhouettesombreémergeantdesténèbres. 3 Le lendemain, le ciel gris annonçait une tempête de neige imminente. La faible lumière matinale éclairait les murs bleu clair de ma chambre. Je me pelotonnai sous ma couette : bien emmitouflée, j’avaisl’impressiond’êtreàl’abridumondeextérieur.Enrevanche,jesouffraisd’unterriblemalde crâne,etjen’avaispasdutoutlasensationd’avoirunandeplusquelaveille. Je m’apprêtais à faire la grasse matinée quand mon portable sonna, m’obligeant à quitter mon coconpourallerlerécupérersurmacommode. —Salut,Ian,lançai-jeendécrochantavantderegagnermonlit.Enchemin,jerefermailafenêtre, quejen’avaisaucunsouvenird’avoirlaisséeouverte. —Salut,réponditIan.Commentçava? —Bien!Jesuistoujoursaulit. —Netentepaslemâlequisommeilleenmoi.Tuportesquoi? —Ian! —C’estbon,jeplaisante! Tu parles qu’il plaisantait ! Il n’arrêtait pas de faire ce genre de blague, alors que, pour moi, il n’étaitriend’autrequ’unami. —Jevoulaisprendredetesnouvelles.C’étaitflippant,hiersoir! — Oui, c’est ce que j’appelle une vraie fête surprise ! Je ne savais pas qu’il y avait des tremblementsdeterredanslecoin. —Cen’étaitpasuntremblementdeterre.C’estlachaudièrequiaexploséausous-sol. —Jecroyaisqu’elleétaitneuve? L’an dernier, Ian avait pesté contre l’installation de la chaudière, qui l’obligeait à passer au café avantlesheuresdecourspoursuperviserlestravaux. —Oui,maisilyaeusurchauffe,etellealâché.D’oùl’explosion. —Ehben!C’estbizarre.Ilyadesblessés? —Pasàmaconnaissance.Onaeubeaucoupdechance. —Skye?appelaTanteJodepuislecouloir.Chérie,situveuxrécupérertavoiture,allons-yavant qu’ilneige. —Bon,passeaucafésituasuneminuteoudeux,continuaIan,quil’avaitentendue.Jesuisentrain denettoyer. —Toutseul? —Tuveuxremuerlecouteaudanslaplaie? Unbruitdeverrecassérésonnadanslecombiné.Iansoupira. —OK,onsevoitlà-bas,dis-je. J’eusàpeineletempsderaccrocherqueCassiem’appelaitàsontour. —Unetempêtedeneigeapproche!s’écria-t-elle.Commentçava? —J’ailatêtedansunétau!Ormavoituresetrouveàl’autreboutdelaville,etjedoisbraverles élémentspourallerlachercher,grognai-je. —Jevois.Appelle-moiquandtuserasderetour. Tante Jo, à qui j’avais raconté l’incident, conduisait en silence, l’air tendu. J’aurais voulu la rassurer,maiscommentfairesi,moi-même,jenecomprenaispascequim’étaitarrivé? La tête calée contre le dossier de mon siège, je fis semblant de somnoler en l’observant à la dérobée. Quelquesmèchesgrisonnantess’échappaientdesaqueue-de-chevaletelleavaitunlégercoupde soleil sur les joues, souvenir d’une balade en montagne avec les membres du club de randonnée qu’elledirigeait. ElleavaitétéobligéederemplaceraupiedlevéJennSpratt,lamonitriceenchef,quis’étaitcasséla jambeetluxél’épauleàcaused’unmousquetondéfectueux.Ducoup,TanteJoétaitlaseulepersonne suffisammentqualifiéepourconduirelesrandonnéeshorspiste.Depuisquinzejours,ellerevenaità la maison couverte de coups de soleil, d’engelures, d’égratignures et de bleus. C’était une femme athlétique,pleinedevie,quiparaissaitplusjeunequ’ellenel’était.Aujourd’hui,mamèreauraiteu sonâge,maisjenel’auraispasvuetenirlemêmerythme.Dansmonsouvenir,elleétaitvaporeuse. Parfaite… — Je vais faire un tour au Bean avant de rentrer, déclarai-je lorsqu’elle s’arrêta à côté de ma voiture. —Netraînepastrop,merépondit-elleenjetantuncoupd’œilinquietversleciel.Onvaessuyer unesacréetempête! —Net’enfaispas,j’aidespneusneige. Ellemeconsidéraunlongmoment. —Trèsbien,finit-elleparlâcher. C’étaitamusantdevoirquelqu’unquipassaitsontempsàescaladerdesmontagneshostilesdouter del’efficacitédepneuscloutés. —Faisattention,insista-t-elleenmepassantlamaindanslescheveux. —C’estjustedelaneige.J’ail’habitude.Pourquoitut’inquiètes? —Cettehistoired’explosionm’aunpeuremuée.Heureusementquej’étaisàlamaison,hiersoir! Je déteste mon nouvel emploi du temps… Quand je pense que j’aurais pu être en excursion au momentdetonaccident… Oui,j’yavaissongé,moiaussi. —Maisjevaisbien,ettuétaislà. —Cesoir,jeteprépareraiunvraidîner. —Unvraidevrai,quetucuisinerasdeAàZ?fis-jeenbattantdescils. Tante Jo était la reine des provisions surgelées. Et, même si elle s’évertuait à n’acheter que des aliments«sains»(rizcomplet,choubio,quinoa,cegenredechoses),jedoutaisqu’unplatpasséau micro-ondespuisseêtrebonpourlasanté.Quandelleétaitdisponible,elleaimaitfairelacuisine,ce quirendaitsesabsencesencorepluspénibles. —Jeveuxdeslasagnes! —Etpuisquoiencore?Parcontre,situnerentrespastroptard,jeteferaidescookies. —Tuessaiesdemecorrompre? —Lafinjustifielesmoyens! Jeluitirailalangue. —Jet’adore. —C’estça,dit-elleenmechassant.Moiaussi,jet’adore.DisbonjouràIandemapart. Quand je descendis de la voiture, les premiers flocons commençaient à tourbillonner dans l’air. Super…TanteJometueraitsijerestaiscoincéesouslaneige!J’enfonçaimonbonnetsurlatêteet medirigeaiverslecafé. Plantée sur le trottoir calciné devant la structure en bois qui faisait office de vitrine jusqu’à hier soir,jecontemplailedésastre.Ilyavaitduverrebrisépartout,desfauteuilsrenversés,descanapés déchirés.Ladéflagrationavaitsoufflélavitrineréfrigéréesousletiroir-caisse. —Ian? J’entendisunbruitdeverreaufondducafé. —Quiestlà? —C’estmoi,Skye. Ianémergeadel’arrière-boutique,lescheveuxenbatailleetlesyeuxinjectésdesang. —Tuasvucebordel?fit-ilenhaussantlesépaules.Direquejesuiscensétoutnettoyer…Mission impossible! —Jesuissincèrementdésolée.C’est…incroyable. Jeneprispaslapeined’entrerparlaporteetenjambailereborddelavitrineavantdemefrayerun cheminjusqu’aucomptoir. —Est-cequeçava?demandai-je. —Oui,ettoi? —Oui.Jesuisunpeusecouée,mais… —Jeveuxdire…tutesens…normale? — Je viens de te répondre, dis-je, sans comprendre pourquoi les gens de mon entourage réagissaientcommeça,toutàcoup.C’estbon,c’estjustelachaudièrequiaexplosé! —Oui,oui,répondit-ilenmefixantdanslesyeux.Maisjeneteparlepasdeça. —Allez,accouche!J’aipromisàmatantederentrertôt,donc,situpouvais… Ilreposasonbalaietcontournalecomptoir,unelueurfébriledansleregard. —Tuaslesyeuxgris. —Tuparlesd’unscoop! —Saufqu’hiersoirilsétaientargentés. Moncœurfitunbonddansmapoitrine:alors,ill’avaitremarqué,luiaussi? —C’estvrai,fis-jed’unairdétaché.Çadépenddelaluminosité. Ilposalesmainssurmesépaules. —Skye,tesyeuxétaientargentés,commedumercure. Jefrissonnai:jem’étaisfaitexactementlamêmeréflexion,laveille. —Tuvasposerunebâcheàlaplacedesfenêtres?demandai-jepourchangerdesujet.Çacaille, ici. —Tuentendscequejetedis? —Oui,oui.Ducalme!Mesirisparaissentparfoisargentés,c’esttout. —Jen’aijamaisvuuntrucpareil!Jeconnaisbientesyeux,etilssontmagnifiques…Enfin,ce n’estpaslaquestion. La tournure que prenait cette conversation ne me plaisait pas. Je me libérai de son étreinte et reculai. —Écoute,Ian,tuessympa,maistoutvabien.Est-cequej’ailesyeuxargentés,là? —Non,reconnut-il,visiblementembêté.Tudoismeprendrepouruncinglé!C’estàcausedece quis’estpasséhiersoir.C’étaitvraimentl’apocalypse!Oubliecequejet’aidit,d’accord? Saufqu’ilavaittoujourscettelueurfébriledansleregard.Ilfallaitquejemesauve. —Jet’auraisbienaidé,dis-je,battantenretraite,maisj’aideslecturesàfaireavantlareprisedes cours.Onsevoitdemain. —Jeterappellequ’onestenvacances,Skye! —Sijeveuxentreràl’universitéColumbia,j’aiintérêtàmedéfoncer. —C’esttoiquivois,lâcha-t-il,l’airdéçu. Aumomentderegagnermavoiture,jejetaiunderniercoupd’œilverslecafé.Ianétaitdenouveau entraindebalayer.Ilavaitl’airsiseulqu’unsentimentdeculpabilitémesubmergea.J’yétaisalléeun peufortaveclui.Jenedevaispasmanqueràmondevoird’amitiésousprétextequejemefaisaisdes filmsàcausedemesyeux. JesortismonportableetappelaiCassie. —JesuisauBean,dis-jesanspréambule.Dan,toietmoi,onvafaireunesurpriseàIan. —MaisleBeanestenvrac,non? —Cassie… —Désolée. —Tupréfèrestetournerlespoucestoutelajournéeouvenirm’aider? —Metournerlespouces. Pourtouteréponse,jetoussaibruyammentdanslecombiné. —C’estbon,soupiraCassie.Jesais,ilfautaidersonprochain,blablabla.J’arrive! Je retournai au Bean et enjambai de nouveau le squelette de la vitrine. Les débris de verre craquèrentsousmesbottes;Iansetournaversmoietungrandsourireilluminasonvisage. —Tuasd’autresbalaisenréserve?lançai-jeenremontantmesmanches. Touslesquatre,nousréussîmesàramasserleverrecasséetàdéposerlesmeublesabîmésdansla benneàorduresavantl’arrivéedesvitriers. Une fois le travail achevé, Cassie sortit une bouteille thermos remplie de chocolat chaud. Nous nousinstallâmesdanslescanapésetregardâmeslesartisansquiposaientunenouvelledevanturesous uncielchargédenuages. —Ilyaencorepasmaldetravauxàfaire,remarquaDanendésignantleparquetgondoléetles lézardesdanslemur. —D’aprèsBurt,lesouvrierspasserontdemain,réponditIan. Burt,lepropriétaireducafé,étaitvenudresserunconstatd’assuranceavecunagent.Àprésent,il passaitdescoupsdefildanssonbureau. — Au fait, c’étaient qui, les mecs qui se sont battus hier soir ? demanda Cassie, une lueur de curiositédanslesyeux. Danhaussalesépaules. —Inconnusaubataillon!Voussavez,vous,pourquoiilsensontvenusauxmains? —Ilsavaientl’airdesedisputer,répondis-je. Cassieseredressa. —Tusaisquelquechose?Parle! Je sirotai une gorgée de chocolat, regrettant déjà mes paroles. Je préférais garder pour moi la discussionquej’avaiseueavecAsher. —Oui,jelesaicroisésunpeuavantleurbagarre. —Ilssedisputaientàproposdequoi?s’enquitDan.Çadevaitêtregravepourqu’ilsenarriventlà ! Mesamismedévisageaientcommesij’allaisleurannoncerlescoopdusiècle. —Aucuneidée!Ilsparlaientderèglesàrespecter,maisjen’aipasentendugrand-chose. —Ilssedisputaientàproposdelarèglequiinterditformellementd’organiserunanniversaireà Skye?ironisaIan. —Ça,c’estsuperimportant!m’exclamai-jeenluidonnantunpetitcoupd’épaule. Ilsouritetdétournalatêtepourcacherlerougequiluimontaitauxjoues. —Alors,c’étaientqui,cesmecs?insistaCassie.Quelqu’unlesconnaît? —Pourquoitut’intéressesautantàeux?lataquinaDan. —Parcequ’ilssontnouveaux.Etsupersexy. —JenelesaijamaisvusauBean,fitIan.Çadoitêtredestouristesvenusskierdanslecoin. Pour ma part, je n’y croyais pas trop. Je repensai à Asher et à cette impression de déjà-vu qui m’avaitassaillieaumomentoùilavaitposélesyeuxsurmoi.Maisjenepouvaisrienrévéleràmes amis,vuquejenecomprenaispasmoi-mêmecephénomène. Puisjesongeaiàcetype,seul,aubeaumilieudelarue,quinousavaitregardéespartir,Cassieet moi. Ce souvenir me glaçait le sang. J’avais beau essayer de m’en débarrasser, la vision persistait. J’avais la certitude qu’il s’agissait d’Asher. Pourquoi nous observait-il ? Avait-il, comme moi, ressenticettedrôled’attirance,voireplus?… —Queleschosessoientclaires,Skye:nousn’avonspasinvitécestypes,m’informaCassie. —Exact,maisleBeanétaitouvertaupublic,précisaIan.Burtnevoulaitpasqu’onferme.Ducoup, n’importequipouvaitentrer. —Laprochainefois…,commençaCassie. —Saufqu’iln’yaurapasdeprochainefois,l’interrompis-je.Vousn’alleztoutdemêmepasme refairececoup-làpourmadernièreannéedelycée! Cassie se cacha derrière sa main et fit un signe de tête entendu aux garçons. Apparemment, une nouvellefêtesurpriseseraitinévitable. —Bon,puisquevousvousfichezdecequejeveux…,dis-jeenmelevant.J’aipromisàTanteJo derentreravantlatempête,etjesuisdéjàenretard. Ianselevaàsontour. —Encoremerci.Tum’assauvélavie! D’un geste maladroit, il m’enfonça mon bonnet jusqu’aux oreilles avant d’aller rejoindre son patrondanslebureau. —Ilesttropmignon!s’exclamaCassie.Pourquoitunesorspasaveclui? —Tutrouvestouslesmecsmignons!fitremarquerDan. —Non,Daniel,certainssontcarrémentcraquants! Je les laissai se chamailler et partis retrouver ma voiture, avec la drôle d’impression d’être surveillée.Jebalayailarueduregard.Autourdemoi,desgenspeinaientàavancersurlestrottoirs recouvertsdeneige.Maispasdetracedeceluiquejecherchais. Aumomentoùjem’engouffraisdansmavoiture,jecrusvoirducoindel’œilunesilhouetteaux cheveuxblondsetauxyeuxbleus.Jemeretournai.Personne. Jedémarraienmepromettantdenepluspenserauxdeuxtypesdelaveille.Iandevaitavoirraison, c’étaitsansdoutedestouristesquejenereverraisjamais. Pendantletrajet,jelaissailavitrebaissée,dansl’espoirquel’airglacialmeremettraitlesidéesen place. 4 Lelendemainmatin,jemesentaisbizarre. Àmoitiéréveillée,lesyeuxfermés,jerestaisentrelerêveetlaréalité,avecl’impressionquemon corpsplanaitau-dessusdulit.Saisiedepanique,jeserraiplusfortlespaupières. Jememisàcompteràrebours:trois,deux,un. Puisj’osairegarderautourdemoi. Non,jeneflottaispasdansl’air.Jemetrouvaisdansmonlitdéfait,signequej’avaispasséunenuit agitée.Ilfaisaitjour;l’airfroidsoulevaitmesrideauxens’engouffrantparlafenêtregrandeouverte. Monréveilsonna,etjemartelaileboutond’arrêt.Quandjejetaidenouveauuncoupd’œildessus, ilétaitdéjàseptheuresetdemie.Malheur!Plusquequaranteminutespourmepréparer! Oubliantl’épisodedérangeantduflottement,j’enclenchailavitessegrandV.J’enfilaiunjeannoir, deux débardeurs, un gros pull, ainsi que deux longs colliers. Dans la salle de bains, je me débarbouillaietm’enduisisdecrèmeavantdemebrosserlesdentsetdem’appliquerdumascara.Je rassemblaimescheveuxenunchignonnégligé,chaussaimesbottes,attrapaimonsacàdosetdévalai l’escalier. Danslacuisine,TanteJom’attendaitdéjà,unetassedecafédanslesmains. —JeparsenexcursiondanslesCollegiates,lança-t-elleavecunregardscrutateur. Apparemment,monairinquietneluiavaitpaséchappé.Ilfaisaitvolerenéclatsl’imagedelafille autonomequej’essayaisdedonner. —Jerevienssamedi,continua-t-elle.J’auraimonportablesurmoi,maissitun’arrivespasàme joindre,appellelebureau.Ilspourrontmecontacteravecletéléphonesatellitaire. Jeconnaissaisdéjàlaprocédure;TanteJomefaisaittoujourslesmêmesrecommandationsquand ellepartaitenmontagne.LesCollegiatesétaientuneportionspectaculairedesRocheuses.J’avaisdu malàimaginercepetitboutdefemmeescaladercesparoisavecunsacdevingtkilossurlesépaules! TanteJoétaitdrôlementforte!Et,commeelleaimaitmelerappeler,ellemaniaittrèsbienlepiolet… —Jecomptesurtoi,ajouta-t-elle. —Etmoi,jecomptesurtoipourmepréparerdescookiesàtonretour. Tante Jo éclata de rire. Je savais qu’elle culpabilisait de me laisser seule si souvent, alors je la rassurais autant que possible. Mais, en réalité, elle me manquait beaucoup. Comme, moi j’allais lui manquerlejouroùjepartiraisàl’université… J’attrapaiunebarredecéréalesdansunplacardetembrassaimatantesurlesommetducrâne. —Àbientôt!Jet’adore. —Moiaussi,répondit-elleenmerendantmonsourire.N’oubliepasd’appeleraubureausituasun souci. Unefoisdansmavoiture,jenotaiquelaneigeavaitdéjàfonduetquelesroutesétaientpraticables. Je fonçai comme une malade. Je n’avais encore jamais été à la bourre. Et il était hors de question d’attaquerlesemestreavecunbilletderetard. Pendantquejemegarais,monportablesonna.C’étaitCassie. —Alors,roucoula-t-elle,prêteàamorcercesecondsemestre? —Jesuissurtoutprêtepourprendreunetassedecafé. —Rabat-joie!Onseretrouveencours.J’aidesragotstoutfrais. Colporter des ragots était l’activité favorite de mon amie. Et il y avait fort à parier que ses nouveauxcomméragesconcernaientsonsujetdeprédilection:lesgarçons. L’horlogedutableaudebordindiquaithuitheuresune.Plusqueneufminutes! Arrivéesurlesmarchesdel’entrée,jem’arrêtainet.Personnenemesuivait–jem’enétaisassurée ensortantdemavoiture–,pourtantjemeretournai. —Salut,Skye. Asher!Ilm’étudiaitdelatêteauxpieds,undemi-sourireauxlèvres. — Bon, continua-t-il après s’être éclairci la voix, je suis désolé de m’être battu le soir de ton anniversaire.Jenevoulaispasquetuvoiescequetuasvuetque…tuentendescequetuasentendu. Tun’yétaispourrien.DisonsqueDevinetmoiavonsunlongpassif… Ilfitunepause,puisreprit: —Jesuistrèscontentd’avoirfaittaconnaissance.C’étaitquoi,tonvœu,finalement? Jen’enavaisfaitaucun.Etlediscoursd’Ashern’avaitniqueuenitête:pourquoiaurais-jepensé quelabagarredecesdeuxtypesmeconcernait,alorsquejenelesavaisjamaisvusdemavie?Asher étaitpeut-êtresimplementnerveuxdemerevoir…Oualorsilcachaitunecertainetimidité. —Oh,j’aioubliédemeprésenter,dit-il.Jem’appelleAsher. Il me tendit la main. Je fis de même, non sans lui avoir adressé un regard méfiant. Quand nos doigtssetouchèrent,unepetitevaguedefrissonsmetraversalebras.Jeretiraivivementlamain. — Voilà, fit-il en souriant. Ce n’était pas si dur. Par contre, tu risques d’être en retard. Je t’accompagne? —Àl’intérieur?Euh,lerèglementestassezstrict… —Tantmieux.Dansmonancienlycée,onn’étaitpasaussiscrupuleux,meréponditAsherenme faisantsignedepasserdevantlui. —Tonancienlycée?Parcequetuesinscritici? — Eh oui ! Tu vas devoir me supporter encore un moment. Mais, pas de panique, je ne me bagarreraiplus. — Y a intérêt, lui dis-je d’un air détaché en essayant de dissimuler ma surprise. Je ne veux pas avoiraffaireàunvoyou. Unimmensesourireéclairasonvisage. —Dommage!Moncousinprétendquejesuisunvoyoupatenté,fit-il,pince-sans-rire. —Toncousin? —Lemecavecquijemesuisbattu.Unconseil:necroisjamaiscequ’ildit. Sonregard–fort,ardent,intense–mefitmonterlerougeauxjoues.Jemedépêchaidefranchirla porte. — Bon, fit Asher en sortant une feuille de la poche arrière de son pantalon. Tu vas peut-être pouvoirm’aider.Oùsetrouvelasalle2-18? Jesourismalgrémoietluiproposaidemesuivre. Alorsquenousarpentionscouloirsetescaliers,j’eusdenouveaul’impressiond’êtreépiée.Orje n’étais pas le centre de l’attention générale : c’était Asher que toutes les filles mataient. La cloche allaitsonnerd’uneminuteàl’autre,maispersonnenebougeait.Jelançaiuncoupd’œilenbiaisvers lesretardatairespendantquenousavancionsensilenceaumilieud’unefoulecaptivée. —C’estici,dis-jeenesquissantungestethéâtralverslaportedelaclasse. —Aprèstoi,réponditAsher. Jeleregardai,interdite:jeneluiavaispasditquej’avaiscoursdanscettesalle,moiaussi. —Çanevapas,Skye? Unfracasmétalliquemesortitdemespensées.Devin,lecousind’Asher,setenaitprèsd’uncasier, àl’autreboutducouloir.Etilm’observait. Sonvisageétaitdénuédetouteexpression,maislatempératuredanslesparagessemblachuterde plusieursdegrés. Devin glissa la bretelle de son sac à dos sur l’épaule et s’approcha. J’aurais aimé entrer dans la salledeclasse,maisj’étaiscommeparalysée.Ils’arrêtadevantmoi. —Jesuisdésoléd’avoirgâchétafêtesamedisoir. Il parlait d’une voix douce, calme, timide. Et sincère. Maintenant que je le voyais de près, je remarquai qu’il avait les yeux d’un bleu qui respirait la tranquillité. Une tranquillité dont je rêvais depuislamortdemesparents. Je reportai mon attention sur Asher et sentis toute l’animosité qui se dégageait de lui. Je les regardai l’un et l’autre, sans comprendre ce qui était en train de se passer. Je me sentais prise au piège,commelesoirdemonanniversaire. —Vousdevriezprendrerendez-vousavecSchneider,laconseillèred’orientation,dis-je.Ilparaît qu’ellegèretrèsbienlesconflits. Laclocheretentit. —Super!Jesuisenretardàcausedevous. —Ilyaundébutàtout,missPonctualité,merétorquaAsher. Commentsavait-ilquej’étaistoujoursàl’heure? 5 Quandj’entraidanslaclasse,MlleManningannonçaitdéjàleprogrammedelajournée. Cassieétaitlà,prèsdelafenêtre,entrainderamasserlacalculatricequ’ellevenaitdefairetomber. Elle tourna la tête et ouvrit de grands yeux en apercevant les deux garçons qui m’accompagnaient. Puisellemefitunclind’œiletsemitàgriffonnerdanssoncahier. —Skye? MlleManning,postéedevantsonbureau,mefixaitdansl’attented’uneréponse. —Excusez-moi,fis-je,humiliée. Et, pour la première fois de ma vie, je me faufilai jusqu’à ma place sous les yeux de mes camaradesdéjàinstallés.Cassiemedonnaunlégercoupdepiedsouslepupitre. —Quelleentrée!murmura-t-elle. —Veuillezl’excuser,demandaAsheràMlleManning.Moncousinetmoiétionsperdus,etSkye nousagentimentaidésàtrouvernotrechemin.Onestnouveaux,voussavezcequec’est.Jem’appelle Asher.J’aibeaucoupentenduparlerdevous. Iladressaunsourireéclatantàlaprof,quirougitetsemitàarrangersacoiffure.Ellesetourna versDevin. —Etvous,vousêtes…? —Devin,réponditl’intéressé,malàl’aise,contrairementàsoncousin. —Bienvenue.Ilyadesplaceslibresaufonddelaclasse.Installez-vous. En passant près de moi, Asher sourit à nouveau. Mon cœur s’emballa, j’étais subjuguée par la facilitédéconcertanteaveclaquellelenouveauavaitretournélasituation.Monpetitdoigtmedisait queniluinimoin’aurionsdebilletderetard. Je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule. Asher était affalé sur sa chaise, jambes étendues. Devin,lui,setenaitbiendroit,l’airconcentré. —Bien,aprèscettepetitedistraction,ditMlleManning,examinonslabrochuredontvousauriez dûvousmunirenpassantdevantmonbureau. Personneneréagit. —Allons!Lesvacancessontterminées,ilfautreprendresesbonnesvieilleshabitudes.Cassandra! MlleManninglançaunregardaiguiséàCassieaumomentdeluiremettrelesbrochures.Monamie piochadanslapileavantdemelapasser. «Ellepeutpasmesacquer!»,gribouilla-t-elleenbasdelafeuille. Je fis semblant de ne rien voir et commençai à lire mon fascicule. Mlle Manning, qui enseignait l’histoire,étaitnotreprofprincipale,raisonpourlaquellejenedevaissurtoutpasmelamettreàdos. Elleavaitl’airdem’apprécier,sansdouteparcequejem’intéressaisàsescours,etjecomptaissur elle pour m’écrire une bonne lettre de recommandation en vue de mon entrée à l’université. Je n’avaispasintérêtàtoutgâchermaintenant. Labrochurecomprenaitleprogrammedétaillédelaclassedeneigeorganiséepourlesélèvesde première.C’étaitlevoyagequel’onattendaittousdepuisnotreentréeaulycée.Onallaitpouvoirse détendreunpeuetskierpourleplaisir,choserarepourmoi,quienchaînaislescompétitions. — Départ jeudi prochain, à huit heures et demie. Vous trouverez la liste des fournitures en page trois.Et,s’ilvousplaît,tenez-vous-y… Jenel’écoutaisdéjàplus,soudainconscientedelaprésenced’AsheretdeDevinderrièremoi.Je regardai discrètement vers le dernier rang. Asher me fixait, un sourire insolent aux lèvres, un soupçondedéfidansleregard. Devin, lui, semblait perdre son sang-froid face à l’attitude de son cousin. On aurait dit que ces deux-là étaient chargés d’une énergie destructrice. Comment se comportaient-ils lorsqu’ils étaient seuls?Pourêtrehonnête,Devinétaitencoreplusdifficileàcernerqu’Asher. Commes’ilavaitludansmespensées,Devinsetournaversmoi.Lachaleurquiselisaitdansses yeux me donnait envie de le connaître davantage. En me penchant de nouveau sur mon pupitre, je trouvaiunmotdeCassie:«T’esfoutue!» Pendanttoutel’heure,jesentisleursregardsdansmondos.Et,commeunfaitexprès,l’horlogeaudessusdutableaunoirégrenaitlesminutesavecunelenteurinfinie. Lafinducoursfutunevéritabledélivrance. —Àplus!fitCassieavecunclind’œil. Elle ne traînait jamais avant son cours de musique. Mais, aujourd’hui, je la soupçonnai de s’éclipserrapidementpourunetoutautreraison. —L’honneurestsauf,tun’auraspasdebilletderetard,lançaAsherdansmondos. Il rayonnait, alors que Devin trépignait, comme prêt à se jeter sur son cousin à tout moment. J’avais rarement vu autant d’hostilité et de méfiance, surtout entre deux membres d’une même famille. —Oui,etcommenttusaisquejen’aijamaiseuderetard? Devinseraidit.Detouteévidence,latournurequeprenaitcetteconversationneluiplaisaitpas.Ou peut-êtren’appréciait-ilpasdemevoirdiscuteravecsoncousin. Asherfitunemoueénigmatique. —Jetel’aidit,toutlemondeconnaîttaréputation. Alors, comme ça, ma ponctualité était commentée par les élèves du lycée ? Je n’en étais pas convaincue. —Enparlantderetard,j’aiintérêtàmedépêcherd’alleraucourssuivant.Quantàvous,essayezde résoudrevosproblèmes.Sérieux,onsentlatensionentrevousàdeskilomètresàlaronde.Cen’est pastrèssain! Je pensais bénéficier d’une heure ou deux de répit avant la pause déjeuner pour réfléchir à mon drôle de comportement vis-à-vis des deux nouveaux. Mais peu de temps après que j’eus franchi la porteducoursd’espagnol,Devinentradanslasalle.Ils’installaaurangderrièremoi,àdeuxplaces d’écart–cequi,d’aprèsCassie,estladispositionidéalepourflirterentoutediscrétion.Pourmapart, je me contentai de rester droite comme un i, sans oser bouger. Je savais qu’il était en train de me regarder.Étonnant,carjen’avaisriendeplusquelesautresfillesdulycée. Sic’étaitunecompétitionentrecousinspoursavoirlequelseraitlepremieràobtenirunrencard dansleurnouveaubahut,alorsnon,merci,ceseraitsansmoi! Bienentendu,jeretrouvaiAsheràmoncoursd’histoire.Ilnebronchapas,maissasimpleprésence derrière moi m’empêcha de me concentrer et de mémoriser les dates importantes de la Première Guerremondiale.Etjem’efforçaisibiend’ignorerDevin,installéàlapaillassevoisinependantle coursdechimie,quejelaissaidébordermasolutiondeglucose. Quandmidisonna,jemerendiscomptequejen’avaisrienretenudecesdeuxmatières.Cepetitjeu devaitcesser! Àlacafétéria,j’aperçusDanànotretablehabituelleetmedépêchaidel’yretrouver.Jem’écroulai surunechaiseenfacedelui. —Wouah!fit-il,labouchepleinedefrites.Çavapas? —Jesuiscrevée,répondis-je.Jenemesuispasencoreremiseduweek-end. —C’étaitquandmêmelameilleurefêtedetouslestemps. —Exact.C’était…explosif! —Ouais,c’étaitrenversant. Encombréedesonplateaubio,Cassienousrejoignitets’installaàcôtédeDanengrimaçantdevant sonassiettedefrites.Elledébouchasolennellementsabouteilledejusdefruits,butunegorgéeetleva lesyeuxversnous. —Skyeestamoureuse,lâcha-t-elleenfin. —N’importequoi!m’offusquai-je.Dequoituparles? —Arrête,jenesuispasaveugle!C’estleseuldomainedanslequelj’excelle,jenevisquepour cesmoments-là.Onestamiesdepuissilongtemps,toietmoi!Tucroyaisquejeneleremarquerais pas? Danm’adressaunsourirenarquois. —Dois-jedemanderquiestl’heureuxélu,ouCassiefinira-t-elleparcracherlemorceau? —Jenesuispasamoureuse! —Quoideneuf?lâchaIanens’asseyantàcôtédemoi. —Skyeestamoureuse,l’informaDan. —Sérieux?fitIan,l’airenjoué.Jeleconnais? —ElleenpincepourlesdeuxmecsquisesontbattusauBean,réponditCassie. —Quoi?m’étranglai-jeententantd’ignorerl’aircontritdeIan.Testalentsdevoyancetejouent destours,Cassie. Cettedernièreavalaunegorgéedesonjusdefruitsavantdes’éclaircirlavoix. —Jevaisteprouverquenon.Premièrement:tuétaisenretardcematin,alorsqueçanet’arrive jamais. Deuxièmement : tu es apparue en même temps que les deux petits nouveaux, à qui tu avais portésecourspourleuréviterd’errerdanslescouloirspendantdessiècles… — Devin a trouvé son chemin tout seul, objectai-je, et Asher n’était pas perdu, il voulait simplementsavoiroùétaitlasalle2-18. —Ettut’esportéevolontairepourleguider.Vousavezeuletempsdebavarderunpeuenroute,et tuassentitoncœurchavirer. —Cassie,situcontinues,jetefourrecettefritedansl’oreille. — Troisièmement : tu es sur la défensive. Typique ! Quatrièmement : tu n’as pas arrêté de te retournerpourlesmater,jet’aibienvue,mêmesitufaisaissemblantdefouillerdanstonsac. —Maisje… —Chut!Etenfin,cinquièmement:tun’aspasencoretouchéàtondéjeuner. Elleavaitraison:jen’avaismêmepasdéballémonsandwichàladinde.Jepiquaiunfard. — Ah ! s’exclama Cassie en me pointant du doigt. Remarquez le changement de couleur chez l’accusée!Skyenemangejamaisrienquandelleestnerveuse.Etpourquoiserait-ellenerveusesielle n’étaitpas…amoureuse? Ian me dévisageait comme s’il ne me reconnaissait plus. Dan, désinvolte comme toujours, applauditauraisonnementdeCassie. —Bienjoué,Sherlock! —Jeteremercie,moncherWatson.Alors,lequeldesdeuxteplaîtleplus?J’aidéjàrécoltéplein d’infosàleursujet. — Désolée, ma vieille, mais tu te mets le doigt dans l’œil, lui répondis-je en mordant dans mon sandwich. D’accord, on a quelques cours ensemble, eux et moi. Mais ça s’arrête là. Et, si tu veux savoir,jelestrouveplutôtbizarres. Aumomentoùjeprononçaicesparoles,Asherentradanslacafétériaentouréd’unebandedefilles deseconde.Arrivéàmonniveau,ilmedécochaunpetitsourire.Jesentismonvisages’empourprer de nouveau et baissai les yeux sur mon sandwich. J’avais perdu l’appétit, et je n’étais plus sûre de pouvoirbernerCassieenmeforçantàmanger. —Ahoui,ironisaDan.Ilestvraimenttrès,trèsbizarre. —D’accord,continuaCassie,jevaistouttedire.Lui,c’estAsher.L’autre,leblond,c’estDevin.Ils viennenttouslesdeuxdeWhitehallAcademy,unlycéeprivédeDenverquiabrûléavantlesvacances. D’aprèsEmilyRedwood–tulaconnais,c’estunecopined’AlisonColes,dontlamèrefaitpartiedu comité des inscriptions –, ils ont tous les deux fait un carton à leur examen d’entrée. L’incendie à DenverlesauraittellementtraumatisésqueleurfamilleadécidédelesinscrireàRiverSpringspour leurchangerlesidées.Quandonypense,c’estvraiqu’ilsontl’airtorturé… Je suivis son regard et vis Devin, assis dans un coin, le nez dans un bouquin, une part de pizza intactesursonplateau. —Ildoitenfouirsadéprimeauplusprofonddesonâme.Àmonavis,tudevraisplutôttefocaliser surAsher. —Pourquoiiln’yajamaisdenouvellesmignonnesdanscelycée?seplaignitDan. —Hé,salemacho,onparledeSkye,là,fitCassieenfronçantlessourcils. —Sansblague? Cassieluidonnaunepetitetapesurlebras. —Enfin,c’esttoiquivois,Skye,conclut-elle.Etsitumeréservaisceluiquetun’auraspaschoisi? Lesautresmecsdulycéesonttropnazes! EllebraquasonregardsurDan,pritsonplateauetquittalatable. —Et,sinon,c’estquoi,taversionàtoi?demandaDan,labouchepleine. —Jen’enaiaucuneidée,soupirai-je. —Jeveuxbientecroire,répondit-ilenregardantCassies’éloigner. 6 Jepassailerestedelasemainedansunbrouillardpermanent.Persuadéequ’AsheretDevinétaient dangereux et qu’ils m’avaient prise pour cible, je me jurai de les éviter autant que possible. Peine perdue:jelescroisaispartoutoùj’allais.Onauraitditqu’ilsmesuivaient.Commentyremédier?Je n’allaisquandmêmepaslesaccuserdemeharceleretpasserpouruneprétentieuse!D’unautrecôté, ilétaitdifficiledecroirequ’ils’agissaitdesimplescoïncidences… Alors, quand le vendredi arriva enfin, j’étais bien décidée à me changer les idées. Et comme le Beanrouvraitjustementcesoir-là,nousdécidâmesdenousyretrouver,Cassie,Danetmoi. L’odeurdecaféquirégnaitdanslasallebondéememitaussitôtdebonnehumeur.Surl’estrade, une chanteuse interprétait un morceau doux au piano. J’aperçus Ian derrière le comptoir et lui adressaiunbrefsalutquej’espéraicomplètementneutre,auquelilréponditsanssourire.Depuisque Cassie avait fait sa démonstration à la cafétéria, ma relation avec lui était un peu tendue. J’allais devoirredoublerd’effortspourlimiterlesdégâts! JerepéraiCassieetDaninstalléssuruncanapé.Monamiem’avaitréservéuneplaceenjetantson sacàmainetsonmanteausurunfauteuilàproximité. J’allai au bar pour commander un café latte, mais Ian servait déjà deux élèves de seconde. Je triturais une boîte d’aspartame en attendant qu’il se libère quand, tout à coup, Asher vint s’appuyer contrelecomptoir. — Je me disais que faire un barrage entre ton café latte et toi était la seule solution pour que tu arrêtesdem’ignorer!murmura-t-il. — Mais je ne t’ignore pas ! dis-je d’un air dégagé. Et qu’est-ce qui te fait croire que je vais commanderuncafélatte?J’aipeut-êtreenvied’unthéglacé,quisait? Asherdésignamonbonnetetmadoudoune. —Tumeprendspourundébile?Quiboiraitunthéglacéparuntempspareil? —Jen’aijamaisditquetuétaisdébile. —Ahoui?Alors,pourquoituessaiesdem’éviter? Nous restâmes un moment sans rien dire, face à face. Il s’était rapproché de moi, et je sentais la chaleur de son corps près du mien. Je nous imaginai blottis l’un contre l’autre, par un long aprèsmidi d’hiver… Soudain, j’eus trop chaud, comme le soir de mon anniversaire. « Pourvu que mes yeux ne soient pas redevenus argentés ! », pensai-je, affolée. J’avais le pressentiment qu’Asher ne goberaitpasmesexplicationsfumeusesaussifacilementqueIan… — Qu’est-ce qui s’est passé dans ton ancien lycée ? demandai-je de but en blanc. Cassie m’a dit qu’ilyavaiteuunincendie. Levisaged’Ashers’assombrit. —Oui,c’estpresquevrai. —Commentça,presque?Ilabrûléounon? —SkyeParker,lesévénementsnesontjamaisoutoutnoirs,outoutblancs. Ilsetut,gênécommes’ilvenaitdefaireunegaffe,puisreprit: —C’estcompliqué. —D’accord.Tantpis,laissetomber. —Leschosesévoluenttrèsvite,continua-t-il.Etonn’estpastoujoursprêtàlesaffronter. —Tupeuxprécisertapensée?fis-jeenm’accoudantaucomptoir. Ilrelevalatêteetm’adressaunsourirepenaud. — Désolé, ça doit te sembler très confus. Je parlais de mon déménagement, de mon arrivée ici. Toutçaesttrès…différent.J’aibesoindem’habituer. Ilpiochaunbonbonàlamenthedansunbolposésurlecomptoiretleconsidéralonguementavant delemettredanssabouche,commes’ildétenaitlesréponsesàsesquestionsexistentielles. «Sijel’embrassais,là,maintenant,seslèvresauraientungoûtdementhe»,mesurpris-jeàpenser enobservantsabouche.Quandjerelevailesyeux,jecompristoutdesuitequ’ilavaitludansmon esprit.Vite,jereportaimonattentionsurlaboîted’aspartame. —Tufiniraspartrouvertaplace,luiassurai-je. —Toi,tuvisicidepuistoujours,non? Pourunefoisqu’ilposaitunequestionaulieud’assénerunevérité! —Oui,maisonn’apasbesoindedéménagerpourconnaîtrelechangement. —Skye,qu’est-cequ’onficheici?lança-t-iltoutàcoup.Tunepréféreraispasalleraucinéma? StormEnemyesttoujoursàl’affiche,etj’adorelesfilmscatastrophe. Touchée ! Encore une fois, il avait visé juste : ce film, je voulais le voir depuis des semaines. Comments’yprenait-ilpoursavoirautantdechosesàmonsujet?C’étaitpeut-êtreunecoïncidence. Seulement, habituée aux séries policières, je savais que les filles qui croyaient aux coïncidences étaienttoujourslespremièresàsefairemassacrer. —Là,maintenant?demandai-je,déconcertée. Ilsouritavecespièglerie. —Oui,mademoiselle. Est-cequ’ilmeproposait…desortiraveclui? —Enfait,j’étaiscenséepasserlasoiréeavecmesamis,bafouillai-jeenmontrantdudoigtCassie etDan. C’étaitlavérité,etpourtantj’avaisl’impressiondedireungrosmensonge. —Siçasetrouve,ilsn’auraientmêmepasremarquétonabsence…,plaisantaAsher. CassieetDan,assissurlecanapé,hochaientlatêteaurythmedelamusique,lesyeuxfermés. —Etvoilà! Ian venait de déposer un café latte fumant devant moi, et il dévisageait Asher comme si celui-ci étaitunvoleurouqu’ilallaitdéclencherunenouvellebagarre.Jenepouvaispasleblâmer… — Mais elle n’a pas encore passé sa commande ! ironisa Asher. Elle a peut-être envie d’un thé glacé. —Jelaconnaisdepuisdesannées,jesaiscequ’elleaime. JesentaisqueIanseretenaitd’ajouter:«Or,toi,ellenet’aimepas.» —C’estlamaisonquioffre,annonça-t-ilaumomentoùAshersortaitunbilletdedixdollarspour payermaconsommation. Ian ne cilla pas et fixa Asher, qui soutint son regard. Ce genre d’affrontement me mettait mal à l’aise.Onauraitditdeuxmâlesdominantscherchantàmarquerleurterritoire.Auboutd’unmoment, Ianpritlebilletàcontrecœuretrenditlamonnaie. —Écoutez,onsevoitplustard,lançai-jeàlacantonadeenrécupérantmoncafé.Désoléepourle ciné,Asher. Lecharmeétaitrompu.Asherouvritlabouchecommepourprotester,maisseravisa.Était-ildéçu ?Blasé? —Pasgrave.Àlaprochaine! Puisildisparutaumilieudelafoulesansmêmemejeterundernierregard. —Jen’aipasconfianceencetype,lâchaIan.Tunel’appréciespasvraiment,j’espère? Jen’enavaisaucuneidée.Toutétaitsicompliqué… —Biensûrquenon,répondis-jeavecfermeté.Jesuisjustelapremièrepersonnequ’ilavuelejour desarentrée,alorsils’estattachéàmoicommeunpetittoutou. J’espéraisfaireriremonami.Envain. —Tusais,ilneconnaîtpersonneici…,insistai-je. Ian fit une moue dubitative. Il avait raison, après tout : Asher venait de se trouver une bande d’admiratricesàlacafétéria. —J’essayaisd’êtresympa,c’esttout,ajoutai-je,commepourmejustifier. —Faisattention!ditIanavantdesetournerversunautreclient. Jefisdemi-touretmefigeai:Cassiemeregardaitfixementdepuislecanapé.Elleôtasonsacetson manteaudufauteuilqu’ellem’avaitréservé. —TuaschoisiAsher?Ducoup,jeprendsDevin,c’estça?J’adorelescausesdésespérées! Ellesefrottalesmainscommeunméchantdedessinanimé. —Lavictoiren’enseraqueplussavoureuse! —Prends-lestouslesdeuxsiçatechante.Jenesuispasdutoutintéressée.Asherestbeaucouptrop mystérieuxpourmoi. — Sexy et ténébreux, commenta Cassie. Je ne vois pas ce qu’il y a de mal à ça. Je me demande quelsterriblessecretssecachentderrièrecemagnifiqueregard. —Quec’estunmachoquienchaînelesconquêtes?suggéraDan. —Tun’aspasunemeilleurevanne?semoquaCassie. —Jemedemandecequelesnanasluitrouvent.Elleslesuiventtoutescommesonombre! —Tuneseraispasunpeujaloux? —N’importequoi! —Elleestsympa,lamusiquecesoir,dis-jepourfairediversion. —C’estvrai,acquiesçaCassie.Stellaestgéniale!Elleécritetcomposeelle-mêmesesmorceaux. Àcetinstant,lachanteuseannonçaunentractedequinzeminutes. — Oh, chouette ! s’exclama Cassie en bondissant sur ses pieds. J’ai envie de lui poser quelques questions.Tuviens,Dan?Skye,jeteconfiemesaffaires.Tunousgardesnosplaces,hein? Surce,elleattrapalamaindeDanetl’entraînadanslescoulisses. Jem’appuyaicontreledossierdemonfauteuil,fermailesyeuxetsirotaimoncafélatteenessayant demedétendre.Droite,j’imitailaposturezendeDevin.L’espaced’uninstant,j’eusl’impressionque çafonctionnaitpourdevrai.Peut-êtrequ’unpeudeyogameferaitdubien… Àcemoment-là,j’entendiscouinerlecuirducanapéetsentisdesgenouxfrôlerlesmiens. —Désolée,cetteplaceest…,fis-jeavantdevoirquec’étaitDevin.Commentsepassetathérapie familiale?dis-jesuruntonfaussementdécontracté. —Maquoi? —TarelationavecAsher. Uneombrepassasursonvisage. —Ah,tuparlesdeça… —Çanevapastrèsbien,vousdeux,visiblement. —C’estcompliqué,dit-ilendétournantleregard. Je pris sa réponse pour une invitation à clore notre discussion. Je refermai les yeux, vexée. Je décidaidelaisseràCassielesoindechasserDevindesaplace.Oudeledraguer,peuimporte. —Excuse-moi,souffla-t-il. —Pardon? — Ne te prends pas la tête pour Asher et moi, on se comporte comme ça depuis toujours, dit-il, l’airsincèrementnavré.Toietmoi,onn’apasdémarrédubonpied.J’aimebienbriserlaglaceavec unegentillebagarre,maislàçan’apasfonctionné,pasvrai?plaisanta-t-il. Jel’écoutaissansriendire. —Désolé,fit-il,jenesuispastrèsdouépourfairelaconversation.Jen’aipasl’habitudedetout recommenceràzéroetdesympathiseravecdesinconnus. Asherm’avaitfaitlamêmeremarque.Cependant,ilsemblaitmieuxsupporterlasituationqueson cousin. Je m’interrogeai sur le manque de confiance de Devin : il avait un physique de prince charmant,ettoutenluirespiraitlaperfection.Commentpouvait-ill’ignorer? —Tut’yprendsplutôtbien,luiassurai-je,maistudevraistedévoilerunpeuplus. Illevalesyeuxversmoi.Ilavaitunregardincroyable,irréel,douxetfermeàlafois,dubleule pluspurquej’avaisjamaisvu.Unmélanged’eauetdeglace. —Jet’aivueparleravecAsheraucomptoir.Ilessaiedeteconquérir. Savoixavaituneintonationinhabituelle,commes’ilcamouflaitunaccent. Même absent, Asher faisait toujours partie de l’équation. Les deux cousins ne pouvaient pas s’empêcherdes’évoquerl’unl’autre. —Tucrois?lâchai-jesansdissimulermonagacement. —Ilobtienttoujourscequ’ilveut.Etilnes’encombrepasde… Ilsetut,hésitant. —Derègles?suggérai-je. Jeretinsunéclatderiredevantl’expressionhorrifiéedeDevin:onauraitditquejevenaisdele gifler.Jebustranquillementmoncaféenl’observantdederrièremonmug. —Jevousaientendusvousdisputersamedi,expliquai-je. Ilfronçalessourcils. —Et…tuasentenduquoi,aujuste? Jehaussailesépaules. —Unehistoirederègles,justement.Ashern’avaitpasl’airdes’yintéresser.Alors,c’estquoi,ces règles? —C’estuncodequeje… Ilsoupira: —Non,laissetomber. — Étant donné que vous vous êtes bagarrés dans un café plein à craquer, au risque de blesser quelqu’un,jediraisquetoncodenefonctionnepassuperbien. — Asher ne comprend rien à rien. S’il y a des règles, c’est pour une bonne raison. Mais je ne devraispast’ennuyeravectoutça. —Non,vas-y.C’estintéressant.Etjecroisquetumaîtrisesl’artdelaconversation,maintenant. Unlégersourirepassasurseslèvres. —Jesavaisquetumecomprendrais.Tuesquelqu’undetrès…précis. Précis?Certes,ilm’arrivaitd’êtreconsciencieuse,maislaremarquedeDevinétaitétrange.Etil étaitlui-mêmeunpeubizarremalgrésonphysiqueavantageux. J’entendisquelqu’unseraclerlagorge.Jelevailesyeux:CassieetDansetenaientdevantnous,un largesourireauxlèvres,attendantquejelesprésente.Cequejefisaussitôt. —Salut,mec,lançaDan. —Salut,mec,répétaDevind’untonenjouéquisonnaitfaux,toujoursaveccetaccentvaguement étranger.Bon,jevaisvouslaisser. —Oh,non,onnevoulaitpasvousdéranger,s’excusaCassie. — C’est rien, je devais partir, de toute façon. Ravi d’avoir fait votre connaissance, dit-il en se levant.Etc’étaitsympadeparleravectoi,Skye.Mercipourlaleçondebavardage. —Tut’enesbientiré. AvecAsher,j’avaisl’impressionqueladiscussionn’étaitqu’unjeu,undéfi,etcen’étaitpasfacile dememontrersousmonvraijour.AvecDevin,toutsemblaitbeaucoupplusnaturel. Ils’enallaetCassies’installasurlecanapé. —Unvéritableesprittorturé! —Etcommenttulesais?s’étonnaDan. —Ilsuffitderegardersesyeux. —Jen’airienvu,moi!semoquanotreami.Bon,jevaisfaireunepartiedebillard. UnefoisDanhorsdeportéedevoix,Cassieserapprochademoi. —Lachance!Deuxcousinssupermignonsquitedraguentlemêmesoir!Raconte! —Devinnemedraguaitpas. —Parcontre,Asher…? — Là, c’est différent. Je crois qu’il ne peut pas s’empêcher de draguer tout ce qui bouge, même MlleManning. —Pasfaux.Çadoitêtrecool,d’avoirdeuxprétendantsàlafois. —Saufquecen’estpaslecas.Onajusteparlé. —Voilà!s’exclamaIan,quejen’avaispasvuarriver. Ilramassamatassevideetlaremplaçaparunmugrempliàrasbord. —Celui-ci,c’estmoiquil’offre. Iltournalestalonsavantquejepuisseleremercier. —Non,enfait,çafaittroisprétendants,chuchotaCassie. Troisdetrop. 7 Lesjourssuivants,ilfitunfroiddecanardàRiverSpings. Mêmelamaisonétaitpleinedecourantsd’air,quis’engouffraientdanslesintersticesdel’immense baievitréedonnantsurlesmontagnesmajestueuses.Quandonregardaitparcettefenêtre,onsesentait comme suspendu en hauteur. D’habitude, j’adorais cette impression de légèreté, mais à présent, à causedemonrêveétrange,jetrouvaislasensationdésagréable.Deplus,lesyeuxnoirsd’Asheretle regardbleudeDevinmepoursuivaientpartoutoùj’allais. TanteJoétaitrentrée.Elles’évertuaitàrendrel’atmosphèreplusdouilletteennousmitonnantde bonspetitsplats.Moi,allergiqueàtoutetâcheculinaire,jepassaismontempsenbonnetetenécharpe àmonterlechauffage. —Arrête,Skye,ilnefaitpassifroid!merabrouagentimentTanteJoenenfournantuneplaquede cookiesàlacannelle. —Maisjesuisfrigorifiée!gémis-jeenfrissonnant. Jegrimpaisurl’undestabouretsquientouraientleplandetravail. —Onvalaisserlechauffagesurvingtpourl’instant.Tun’asqu’àenfilerunautrepull. —Maisj’enportedéjàcinq! —Tusurvivras.Tiens,goûte! Jesaisislacuillèreenboisqu’ellemetendaitetléchailapâteàcookies.Mmm…undélice! —Etceseraencoremeilleurunefoiscuit!m’exclamai-je. —Patience,plusquequinzeminutes!répondit-elleens’essuyantlesmainssursontablier.Tuveux bien aller me chercher mon livre de cuisine dans le buffet ? J’aimerais faire des chaussons aux pommes. Une fois dans le couloir, je ne pus m’empêcher de jeter un coup d’œil sur le thermostat : peu importecequ’avaitdécidéTanteJo,onsegelaitdanscettemaison! Je m’apprêtais à monter le chauffage lorsque mon cœur se mit à battre à toute vitesse. Et il se produisitunechoseincroyable;alorsquejenetouchaisàrien,leschiffresgrimpèrentenflèche.Les trente-huitdegrésatteints,lepetitboîtiersemitàgrésiller,puisl’écrans’éteignitpourdebon. Hein?Jen’avaismêmepaseffleurélebouton!J’étudiaimesdoigts,maisévitaidecroisermon refletdanslemiroirdel’entrée,depeurdeconstaterquemesyeuxétaientredevenusargentés. Étais-jelacausedececourt-circuit?Non,impossible… —Skye?Toutvabien?demandaTanteJodelacuisine. Jem’emparaidulivrederecettesetmehâtaidelarejoindre. —Oui!répondis-jeendéposantl’ouvrage.Maisjecroisquelethermostatestcassé.Ilfaudrale faireréparer. —Ilnefaitpasunechaleurtropicale,maisçaneveutpasdirequelethermostatestfichu,répliquat-elle.Passe-moileminuteur. Jem’exécutaietdéclarai: — Tout compte fait, je me demande s’il ne fait pas plus doux dehors. Je vais me dégourdir les jambes.Tunem’envoudraspassijetefaussecompagniependantquelescookiescuisent? —Tuesvraimentgeléeàcepoint?J’espèrequetun’aspasattrapélagrippe,s’inquiétaTanteJo entendantlamainversmonfront. Jem’esquivaietsaisismadoudoune,mesmouflesetunecasquetteenlaine. —Jen’enaipaspourlongtemps. Unefoisdehors,jeplongeailesmainsdansmespochesetmemisàmarcherdanslaneige.Mes doigts me faisaient toujours mal. Qu’est-ce qui venait de se passer, bon sang ? J’avais peut-être accumuléunecharged’électricitéstatiqueet,quandjem’étaisapprochéeduthermostat…boum! Tout était si bizarre, ces derniers temps ! D’abord mes yeux, puis cette impression de flotter, ensuite l’explosion de la chaudière, et maintenant cet incident avec le thermostat… De plus, deux – non,trois–garçonsmetournaientautour,alorsque,mêmesijen’étaispasmoche,jen’avaisrien d’exceptionnelnonplus. Jedéambulaiàtraverslesarbres,jusqu’àmonsentierfavori,oùj’aimaismeretrouverseulepour cogiter.J’étaiscommeauborddumonde,carencontrebassedéployaitunravinàlavégétationdense parseméedetouchesdeneige. J’inspiraiàfondleparfumdesconifères,etmesentisrassurée.Detouteévidence,jecherchaisdes connexions là où il n’y en avait aucune. La chaudière avait explosé à cause d’une anomalie. Le système de chauffage à la maison était déjà ancien. Devin et Asher ne se livraient qu’à une banale rivalitéentrecousins.Ianetmoiavionslongtempsétéproches,riend’étonnantàcequ’ilessaiedeme protéger.Quantàmesyeux…Entoutehonnêteté,jen’avaispasencoretrouvéd’explicationplausible. Ce n’était pas qu’une histoire de luminosité, car la couleur argentée qu’ils prenaient parfois me terrorisait. Etj’avaissûrementrêvél’épisodeduflottement.Toutlemonderêvedevoler;çaillustreundésir de liberté. J’avais dix-sept ans, je m’apprêtais à quitter River Springs et Tante Jo pour partir à l’université,j’étaisdoncprêteàprendremonenvol,voilàtout. J’ouvrisgrandslesbraspourmieuxapprécierlabourrasquequisoufflaitdepuisleravin.L’été,cet endroit était idéal pour manœuvrer un cerf-volant grâce aux courants d’air ascendants. Je levai le visage vers le ciel, fermai les paupières et, comme toujours depuis qu’ils étaient décédés, je m’imaginaim’envolerpourretrouvermesparents. Toutàcoup,monpieddérapasuruneflaqueverglacée.Jecriai,tombaiàlarenverse,puis…plus rien. Uninstantplustard,j’étaisdenouveaudebout,moncœurbattantàtoutrompredevantunregard bleufamilier. Devinm’entouraitfermementdesesbras.Etmêmesic’étaitimpossible,àcausedenosmanteaux épais, j’avais l’impression de sentir la chaleur de son corps. Une sensation surprenante, et très agréable.Unebrûluresaisissante,fraîcheetchaudeàlafois. —Tunedevraispastepromenersiprèsdubordquandlesolestgelé,dit-ilaveccalme. D’où avait-il surgi ? Et quelle était la probabilité pour qu’il se trouve par hasard ici juste au momentoùj’avaisbesoindelui? —Qu’est-cequetufaislà?demandai-je. J’avaislesoufflecoupé:parcequej’avaisfrôlélamort,ouparcequ’ilsetenaittoutprèsdemoi? —Jeteprotège,çanesevoitpas? — Non, réponds-moi ! Dans les films, la fille qui croit aux coïncidences se fait toujours tuer la première,Devin. —Dequoituparles?J’exploraislessentiers.C’était…ladestinée. —C’étaittadestinée,devenirici? — C’est trop dur à concevoir ? lança-t-il en relâchant son étreinte. J’ai découvert pas mal d’endroitsdepuisquej’aiemménagéàRiverSprings,maiscelui-ciestmonpréféré.C’estsicalme! Peut-êtrequeluietmoiétionsplussemblablesquejenelepensais? —Jecomprendscequetuveuxdire. Ilsourit,etsonregardpassad’unbleuquasimenttranslucideàunbleuprofond. Nous nous fixâmes sans rien dire. De nouveau, je fus frappée par la simplicité de mes rapports aveclui.AvecAsher,lacommunications’étaitétablieenunéclair.Maislà,toutétaitinfinimentplus doux. —Commenttufaisça?balbutiai-je. —Commentjefaisquoi? — Comment tu arrives à toujours être si serein ? J’ai le cœur qui bat à cent à l’heure, et toi, tu restesimpassiblecommes’ilnes’étaitrienpassé. —Maisilnes’estrienpassé. Riendecatastrophique,non.Etpourtant,ilyavaitbeletbienquelquechose. Je me traînai jusqu’à un rocher près du précipice, enlevai la neige accumulée dessus et m’y installaifaceàunpanoramaspectaculaire. —Jesuisencoreunpeuremuée,expliquai-je. Devinmerejoignitets’assitàcôtédemoisansunmot.Sonsilencemefitrepenseràcequ’avaitdit Cassiesursonâmetorturée. —Tuasperduunprochedansl’incendiedetonancienlycée?demandai-je. Ilhésitauninstant,puissecoualatête. —Non. —Tun’arrivespasàt’intégreraussibienqu’Asher? —Ici,jenemesenspaschezmoi. —Etc’étaitcomment,cheztoi? — Comme ça : beau, calme, tranquille, la neige et le froid en moins. Quand tu es chez toi, tout paraîtplussimple,toutestplanifiéàl’avance. Ilesquissaunsourire. —Pasbesoindesuivredescoursdegestiondelacolère. —Alors,tuasparléàlaconseillère?dis-jeenriant. — Non, c’est inutile. Asher va encore braver les règles, c’est dans sa nature. Et tant qu’il continuera…çameposeraproblème. —C’estunrebelle,commentai-je. LasérénitédisparutduvisagedeDevin,etjeregrettaid’avoirabordécesujet. —Oui,unrebelle,acquiesça-t-il. Il se tut. Méditait-il ? Souhaitait-il secrètement la mort de son cousin ? Non, impossible. Il avait beaus’êtrebattuaveclui,cen’étaitpasluiquiavaitfrappélepremier.Etjenelevoyaispasblesser quelqu’un,niluivouloirdumal.Ilressemblaitplutôtàunecolombe,alorsqu’Asherfaisaitpenserà unfaucon. Leventsoufflaitdeplusenplusfort,etlesnuagesdevenaientmenaçants. —Ilvaencoreneiger,commentai-jeenmeréjouissantdepouvoirskierdanslapoudreuselorsde notrevoyagescolaire. —Ettoi,pourquoituviensici?demandasoudainDevin. Jemerecroquevillai,lementonsurlesgenoux. —Pourmerapprocherdemesparents,mesurpris-jeàrépondre.Ilssontmortsquandj’avaissix ans. C’estincroyableàquelpointtoutsemblaitnaturelaveccegarçon:jeluidévoilaismessecretssans aucunegêne. —Tumeprometsdenepasriresijet’avouequelquechose?repris-je. —Promis. —Quelquefois,jemedisque,sijemeconcentreàfond,jepourraim’envoleretalleroùjeveux. C’estbête,hein?Icijemesens…silégère! Ilm’examinaitavecintensité. — C’est pour ça que j’aime skier, poursuivis-je entre deux rires nerveux. Quand je dévale les pistes,j’ail’impressiondevoler. —Çatientlaroute.Ilt’arrived’enrêver? — Oui. L’autre matin, je me suis réveillée en croyant que je flottais réellement. C’était très troublant. Pourquoijeluiparlaisdeça?Certainementparceque,àdéfautd’êtreaussidrôleetextravertique soncousin,ilsavaitécouterlesgens.Etqu’ilétaittrèsouvert. —Oui,voler,çafaitbizarre,fit-il,pensif. Unebourrasqueglacéesoufflasoudaindepuisleravin. — Il va vraiment neiger, dis-je en descendant du rocher. J’ai froid, et des cookies tout chauds m’attendentàlamaison.Jevaisrentrer. —Moiaussi. Ilseleva,etnousrebroussâmeschemin.Cettefois-ci,jeprissoind’éviterlesflaquesgelées.Devin surveillaitchacundemespas.Quandlapentedevenaittropraideetquejecommençaisàglisser,ilme rattrapaitparlebraspourm’éviterdetomber. Lorsquemamaisonapparutànosyeux,unsilencepesants’abattitsurnous.Jemesentaisbeaucoup plusprochedeluiàprésent,maispasassezpourl’inviteràvenirpartagerlescookiesdeTanteJo. —Jetelaisse,dit-ilenfin.Méfie-toid’Asher.Ilestséduisant,maislefréquenterresterisqué. —Parcequ’iln’aimepasseplierauxrègles? —Non,parcequ’iltemettraitendangerdemort. Unarômedecannelleflottaitdanslacuisine. — Où étais-tu passée ? demanda Tante Jo, attablée devant des mots croisés. Les cookies sont en trainderefroidir! —Pardon,dis-jeenmedébarrassantdemadoudouneetdemacasquettedelaine. —Tapromenadet’aréchauffée,aumoins? JerepensaiauxdernièresparolesdeDevinetfrissonnai. —Pasdutout! —Çat’apprendraàteplaindredelatempérature!s’esclaffa-t-elle. —Tul’asdit.Oùsontlescookies? —Surlecomptoir. —Etlelait? —Danslefrigo.Skye,tudébarques,ouquoi?Oùas-tulatête? Excellentequestion.Probablementdanslesnuages,au-dessusdusentierpédestre. Jemordisdansungâteauetlemâchaiensilence. —Dis,tuasdéjàaiméquelqu’un?finis-jepardemander. —Oui,jet’aime,toi. Jegrimaçai. —Maisnon!Jeveuxdire:est-cequetuasdéjàétéamoureused’ungarçon? Ellelevalesyeux. —J’aieuquelquespassades,avoua-t-elle.Pourquoi?Tuasdessentimentspourquelqu’un? —C’estencoretrèsconfus,pourl’instant. —Çacommencecommeça,généralement. Jeris,léchailesmiettesdecookiesurmesdoigtsetenpiochaiunautre. —Ilyadeuxnouveauxélèvesaulycée. —C’estbien,lanouveauté. —Passûr.Onsecroisetoujoursàdesmomentsetàdesendroitsétranges. JedécidaidetairemarencontreavecDevinaucoursdemapromenade.J’avaisenviedegarderce secretpourmoi. — Ils sont un peu bizarres tous les deux, constamment en train de se disputer mes faveurs. Seulement,j’aipasl’impressiondelesintéresseràproprementparler.Ilsessaientjustedesemettre des bâtons dans les roues. Tiens, maintenant que je te raconte cette histoire, je me rends compte qu’ellen’estpastrèscohérente. —S’ilssontintéressés,c’estcertainementparcequ’ilstetrouventfantastique. —Tun’espasobjective,fis-jeenavalantunegorgéedelait. —Çaneterendpasmoinsfantastique. Le temps de goûter et de faire quelques devoirs, j’avais réussi à me convaincre que Devin avait exagéré le portrait qu’il avait peint d’Asher. Pour une raison quelconque, les deux cousins ne s’entendaientpas.C’estcourant,danslesfamilles,non?Enfin,jen’avaisjamaiseunigrands-parents, nioncle,niunevraietante,nicousin,nifrère,nisœur.Justemesparents,etTanteJo. Dans un soupir, je m’écroulai à plat ventre sur le lit et feuilletai mon cahier d’histoire pour me changerlesidées.Maisdespenséesobscuresnemequittèrentpastoutaulongdelasoirée.J’avais toujoursfaitdemonmieuxpournepasdécevoirmesparents,mêmes’ilsnepouvaientpluslevoir,et pouréviterd’êtreunfardeauauxyeuxdeTanteJo.Jemepliaisauxrègles,j’évitaisd’êtreenretard encours,jerendaismesdevoirsàl’heure.Asher,lui,étaitunpeurebelle.Unbadboy sexy. À quoi pouvaitbienressemblerlavieencompagnied’ungarçoncommelui?Àquoiressemblaituneviede transgression? Devin,lui,étaitlasagesseincarnée.Maiscequim’attiraitparticulièrementchezlui,c’étaitcequ’il dégageait.Ilrespiraitunesérénitéquej’auraistantvouluconnaître. Je passai des heures à fixer mon cahier d’un œil morne, puis m’assurai d’avoir bien fermé la fenêtre et me faufilai sous ma couette. Je restai ainsi, les yeux rivés au plafond décoré d’étoiles phosphorescentes. Cettenuit-là,jenerêvaipasdeDevin.Enrevanche,jesentislevisaged’Ashertoutprèsdumien, seslèvresmechuchotantdesmotsdouxàl’oreille. 8 Lorsque je revis Asher au lycée le lundi suivant, je fus prise d’une bouffée de chaleur. C’était gênant de le revoir après le rêve que j’avais fait. Et si j’avais oublié les mots exacts qu’il m’avait murmurésensonge,jemesouvenaistrèsbienducontactdeseslèvressurmapeau… Audébutducoursd’histoire,ilseglissaàcôtédemoi. —C’estlaplaced’Ellie,luifis-jeremarquerd’untonsec. Ellieetmoiétionsdanslamêmeéquipedeski,etellem’auraittuéesijeneluiavaispasréservésa placehabituelle. Ilsecalaaufonddelachaise,lesbrascroisés. —Skye,jepeuxt’êtreutile!Tun’aspasl’airdebienconnaîtrelesdatesdelaPremièreGuerre mondiale… Je grimaçai : il avait raison. Depuis son arrivée, j’avais beaucoup de mal à me concentrer. Le laissers’asseoiràcôtédemoi,c’étaitl’échecscolaireassuré. —Salut,Skye!lançaElliederrièrenous.Prêtepourl’entraînementd’aujourd’hui?Ilparaîtque… Elles’arrêtanetenvoyantAsheretsemitàenroulersesbouclesblondesautourdesesdoigts. —Net’inquiètepas,Asherallaitpartir,dis-je. Ellieouvritdegrandsyeux. —Ohnon!s’empressa-t-ellederépondred’untonaguicheurinsupportable.Nevousenfaitespas. Detoutefaçon,j’aioubliémeslunettes.Jevaism’asseoirprèsdutableau.Profitebiendelaplace! Ellerejoignitunpupitreaupremierrangsansnousquitterdesyeux. JemetournaiversAsher,abasourdie. —J’ypeuxriensilesgenssecomportentcommeçaavecmoi!soupira-t-il,lespaumesenl’air. —Silesfillessecomportentcommeça,précisai-je. —Puisquetuledis… Ilsepenchaversmoi,etjesentissonparfummusquéauxaccentsprimitifs.Ilm’étaitfamilier,mais àcausedecetteproximité,moncerveauneparvenaitpasàl’identifier. —Skye,reprit-il,jesaisquetutraînesunpeuavecmoncousin.Cen’estpasunebonneidée.Tu feraismieuxdel’éviter. —Tiens,ilm’aditlamêmechoseàtonsujet. —Pasétonnant. —Qu’est-cequisepasse,concrètement,entrevous? Ilsecaladenouveauaufonddesachaise. —Nousn’avonspaslamêmevisiondelavie. —Excusebidon!Tusaisquelesrebellescommetoifinissentenprison,n’est-cepas? —Oubienilsdécouvrentdesvaccins,enchaîna-t-il,deviennentinventeurs,reçoiventleprixNobel de la paix ou apparaissent dans des livres d’histoire. Ils pensent différemment et contribuent au progrès. Jeledévisageai,cherchantunerépliquecinglante,quinevintpas. Nousn’échangeâmespasunmotpendantlerestedel’heure.Dèsquemonregarddéviaitverslui, sonexpressionm’indiquaitclairementqu’ilavaitremporténotreduel. Lemercredisuivant,Devinmerejoignitdanslaqueuedelacafétéria. —Alors,cescookies?medemanda-t-il. —Délicieux,tuauraisdûvenir. Jeregrettaiimmédiatementmesparoles:est-cequej’étaisentraindeflirteraveclui?… —Uneprochainefois,peut-être.Tatanteestbienrevenuedesonexcursion? —Oui,depuisquelquesjoursdéjà.Maiscen’estpasvraimentmatante,c’estmatutrice.C’étaitla meilleureamiedemamère.Ellem’aadoptéequandmesparentssontmorts. —Jesuissincèrementdésolé.Çan’apasdûêtrefacile. Jecroisaisonregardcompatissant.Avait-ilperduunproche,luiaussi? — Ça ne l’est toujours pas…, lâchai-je, mal à l’aise, car la cantine ne se prêtait pas aux confidences. — Un sandwich à la dinde et une pomme, s’il vous plaît, demandai-je à Greta, la dame de la cantine. —Bonappétit,mesouhaitaDevin. Jemeretinsdel’inviteràmatable. —Merci,bonappétitàtoiaussi. JerepéraiCassieetDan,assisànosplaceshabituelles,ungrandsourireauxlèvres.Jeleurrendis leursourire,mêmesiunsentimentd’inquiétudemeserrasoudainlagorge:jen’avaisjamaisparlé deTanteJoavecDevin!Commentavait-ildevinéqu’elleétaitpartieenexcursion? —Jenesuispasdugenreàfanfaronner,commençaCassieaumomentoùjem’installaiàtable, maisjetel’avaisbiendit! —Remballe,répondis-je. —Enplus,cettehistoirearrivepileaubonmoment! Elle faisait référence à notre voyage scolaire qui débutait le lendemain. Il était de notoriété publique que de nombreux couples se formaient pendant cette semaine spéciale. Selon Cassie, le mélangedefroid,d’endorphineproduiteparlestassesdechocolatchaudetl’effetprovoquésurles mecsparlescombinaisonsdeskirendaientl’atmosphèrepropiceauflirt.Monamieavaitélevécette réflexionaurangdescienceexacte. —Bienqu’ilyaitdelacompétitiondansl’air…,poursuivitCassie. Je balayai le réfectoire du regard et aperçus Asher entouré d’une bande de filles, dont Ellie, qui trituraittoujourssesbouclesenbattantdescils. —Iln’apaseutropdemalàs’intégrer,commentamonamie. Defait,Ashersemblaitsedélecterdel’envoûtementqu’ilexerçaitsurEllie,etlafaisaitrireenlui chuchotantquelquechoseàl’oreille. Devais-jemesentirécœuréeou…déçue? Devin, lui, était assis à l’autre bout de la même table. Quelques filles essayaient d’entamer une conversationaveclui,maisilévitaitleurregard,malàl’aise,cequimeconsolaunpeu. Asher releva la tête et m’adressa un clin d’œil, comme si, au beau milieu de ses admiratrices, j’étaislaseulequicomptaitréellementpourlui. Jedétournailesyeux,sentantmoncœurs’affoler.Jen’étaispasjalouse,non,maisjenesupportais pasdelevoirsecomportercommesij’allaissuccombermoiaussiàsoncharme.Jeluidécochaiun regardnoir. —Jem’enfiche,dis-jeenmeretournantversmesamis. —Vousvoulezbienm’expliquercequecemecadeplusquemoi?fitDan,lessourcilsfroncés. —Tun’asqu’àluiposerlaquestion,réponditCassie,excitéecommeunepuce.Ilarrive! —Jepeuxm’asseoir?demandaAsher,unefoisprèsdenous. —Non!dis-jeaumomentoùCassiel’invitaitàs’installer. Ilpritplaceàcôtédemoietmerenditunsourireeffronté.JefusillaiCassieduregard. —Qu’est-cequisepasse?lançaAsherenpiquantunefritedansl’assiettedeDan. Cedernierfulminait;Cassie,elle,affichaitunemineradieuse.Etmoi?Ehbien,jenesavaispas quelletêtej’avais. —Pasgrand-chose,réponditmonamie.Tut’intègresbienàNorthwood? —Çava,répondit-ilavecungestedumentonendirectiondelatablequ’ilvenaitdequitter. Touteslesfillesnousfixaient,l’airfuribond. —JevenaispoursavoircequefaisaitSkyeaprèslescours. —Pourquoi?fis-je,suspicieuse. —Pourqu’onsorteensemblecesoir. Cassiemeregardaitavecdéfi.Jerougis,gênéeparsonintérêtpourmavieamoureuse. D’ailleurs,toutlemondemedévisageait.Monbras,quifrôlaitceluid’Asher,mepicotait… — Ce soir, je ne peux pas, mentis-je. On part en classe de neige demain, et je ne prends pas ce séjouràlalégère. —Moinonplus!Sagedécision,ironisa-t-il. Ils’étira,etj’aperçussonventrebronzéetmusclésoussontee-shirt. Ellies’approchaitàpasfeutrésdenotretable. —Jedoisyaller,déclaraAsheravecunautreclind’œil. — Skye ! hurla Cassie dès qu’il se fut éloigné en me jetant une frite à la figure. Pourquoi tu as refusésoninvitation?Cemecestraidedinguedetoi! —Non!répondis-jed’unevoixplusaiguëqu’àl’accoutumée.Ilcroitjustequesonpetitnuméro vamefairecraquercommetoutescellesàquiilfaitdesclinsd’œil! —Parcequelesfillesaimentlesclinsd’œil?voulutsavoirDan. —Commetuveux,répliquaCassie.Maisilteplaît,c’estévident!Alors,nevienspaspleurnicher lejouroùiliravoirailleurs. —Ça,jamais!déclarai-jeavecforce. JemeretournaipourvoirDevin:ilnousobservait,unrictusauxlèvres. 9 Ilfaisaitencorenuitnoirelorsquejemelevailelendemainmatin,etlamaisonétaitplongéedans unsilencedemort. Jevérifiaiquej’avaisbienpristouteslesaffairesdelalistedeMlleManning.Deschaussettesen laine;uncaleçonlong,pasfranchementsexy;uneparka.Unpantalonetunmasquedeski.Touty était. Jebranchailacafetièreet,enattendant,regardaiàtraverslabaievitrée.Lecielpassad’unnoirde veloursàunbleumarine,puis,enfin,s’éclaircit. Unefoislecaféprêt,TanteJomerejoignitpourlepetitdéjeuner.Jemeversaiunboldecéréales accompagnéderondellesdebanane. —Onpeutdirequenosemploisdutempsconcordent,ditTanteJo.Tuparsenclassedeneigeet, moi,enexcursiondanslachaînePresidential. —Tun’astoujourspastrouvédemoniteurremplaçant? — Non. Je me demande si je ne vais pas jeter l’éponge. De toute façon, Jenn sera sur pied dans quelquessemaines,etlaviereprendrasoncourshabituel. Dèsquelesoleilfutlevéetmatassedecafévidée,j’embrassaiTanteJo,lançaimonsacdansla voitureavantd’allumerlaradioetdedémarrer. Cassie,DanetIanm’attendaientdéjàdevantlelycée.Jelogeaimonsacdanslasouteducaretallai retrouvermesamis.Cassie,surexcitée,s’étaitsurpasséeenchoisissantsatenue:unegrossecasquette detrappeurenfaussefourrure,desleggingsnoirsetd’énormesaprès-skis.Danavaitmisunbonnet péruvien;celuiqueportaitIanaffichaitunlogodeskateboard. —Tuasbucombiendelitresdecaféavantdevenir?demandai-jeàmonamie. —Tusaisbienquejenetouchejamaisàcetruc! —Tuasquandmêmedescendudeuxcannettesdesodaenchemin,observaDan. Enguisederéponse,Cassietirasurlescordonsdesonbonnetpéruvien. Ian me souriait, ce qui était bon signe. Je n’avais pas trop eu l’occasion de lui reparler depuis l’épisodeavecAsherauBean. —Prêtàt’éclater?lançai-je. —Plusquejamais.J’attendsceweek-enddepuisdesannées. Jemerapprochaiunpeudelui.Jeluidevaisbienquelquesexcuses. —Tunousasmanquécettesemaineàlacantine,dis-je. —Oui,j’avaisunexposéàterminer. —Ah,d’accord.Jecroyaisquetumefaisaislatête. —Non,merépondit-ildoucement.Biensûrquenon. —Tantmieux!Onestamisdepuistoujours,aprèstout. —Oui,onestamis… Nous fûmes interrompus par Dan, qui donna une bourrade dans l’épaule de Ian et entama une conversationaveclui. Jejetaiuncoupd’œilautourdemoi,saluantaupassagelesfillesquejeconnaissais.Jefrémisàla vued’EllieenrepensantàlamanièredontAsherl’avaitsuivielaveille.Bon,paslapeinedesombrer danslajalousie!Aprèstout,c’étaitmoiquiavaisrepoussésesavances.Jem’attendaisàquoi?Qu’il portesoncœurbriséenbandoulière? L’espaced’unbrefinstant,jefusdéçuedenetrouverniluiniDevindansleflotd’élèves. —Vite!ordonnaCassie.Grouille-toiavantqu’iln’yaitplusdeplacesàdeux. Ilrégnaitunfroiddecanarddanslecar.Cassieetmoinousinstallâmesaufond,àcôtédesesamis musiciens Trey et Evan. Elle se tourna pour leur parler de la nouvelle chanson sur laquelle elle travaillait. —Jel’aicomposéesurmonordi.Tenez,jel’aimisedansmoniPod. DanetIansetrouvaientdeuxrangsdevantnous. —Brrr!Onsecaille!seplaignitJoshBrooks. —Unpeudepatience,çavient!luiréponditlechauffeurducarenmettantlechauffage. — Mince, grogna Cassie, qui fouillait dans son sac à dos. J’ai laissé mon iPod dans mon sac de voyage.Jevaisvoirs’ilsontdéjàfermélessoutes. Elleselevaetremontaencourantl’alléecentraleducar.D’ungestemachinal,jetouchailagrille d’aération:rien.Génial!Letrajetpromettaitd’êtreglacial. Toutàcoup,unjetdevapeurbouillantemecinglalamain.Jehurlaidedouleur. —Toutvabien? Jesursautai:devantmoisetenaitDevin. —Jemesuisbrûlée. Je lui montrai ma main. Seulement, il n’y avait rien, ni marque ni rougeur. Devin me regarda, étonné,sansfairedecommentaires. — Est-ce que la place est prise ? demanda-t-il en indiquant le siège de Cassie. Je suis arrivé en retard,etiln’yenapresqueplus. —Euh,oui.Enfin… —Oui,elleestprise!lançaAsherenseglissantàcôtédemoi. Il dévisagea Devin. On aurait dit qu’il s’était installé à cet endroit pour faire enrager son cousin plutôtquepourprofiterdemaprésence. LevisagedeDevins’assombrit. —Enplusilfaitbon,ici!poursuivitAsherenfrottantsesmainsgantées.Dommagequetudoives tetrouveruneautreplace,monvieux… —Veinard,murmurasoncousind’unevoixàpeineaudible. Asherluirenditunregardtriomphant. —Çava,c’estjusteunsiège,dis-je,agacéeparleurpetitjeu. —Non,c’estbienplusqueça,déclaraAsher. — Dis donc, lâcha Cassie en revenant vers nous, les joues rouges et les yeux pétillants. Tu m’as piquémaplace,Asher.Dubalai! Ashermeregarda,puistoisaDevinquiesquissaunsourirenarquois.Ilseleva,hochantpolimentla tête,pourrendresonsiègeàCassie. —Onsereverrasurlespistes,mepromit-ilens’éloignantdansl’allée. Devinmefixaitcommes’ilessayaitdemerappelerlesavertissementsqu’ilm’avaitdonnés.Jelui adressaiunsourirerassurant. —Jel’airetrouvé!meditCassieenagitantsoniPod.Waouh,ilfaitbonici,comparéaurestedu car. — Parce que le chauffage n’est pas encore allumé ? lui demandai-je en sentant un frisson me parcourirl’échine. —Non.Jen’ycomprendsrien! «Moinonplus»,faillis-jeluirépondreenpensantauthermostatquiavaitgrilléchezmoietàla manière dont la vapeur avait jailli de la grille d’aération quand j’avais passé la main dessus. Commentétait-cepossible? Jemecontentaidehausserlesépaules. —Aufait,trèsintéressantecettepetitescèneentrelesdeuxcoqs,commentamonamie. — Louche, tu veux dire. C’est quoi, ce cirque ? Un coup, Devin semble m’apprécier et faire des efforts pour me parler ; un coup, il garde ses distances. Quant à Asher, il me sort son numéro de charme, et va draguer d’autres filles aussitôt après. On dirait que je ne les intéresse pas, et qu’ils veulentmeforceràchoisirl’und’eux. LesouriredeCassies’élargit. —Bref,ilsattendentdetoilamêmechosequetouslesgarsdulycée.Cequiestnouveau,c’estla façondontturéagis. Ellefitunepause,puisreprit: —Àlaréflexion,c’estmêmelapremièrefoisquejetevoisréagirtoutcourt.Enfin,depuiston histoireavecJordan. Jordan,leseuletuniquegarçonavecquij’étaissortie.Unecatastrophe. —Non,jesuissûrequ’ilsveulentautrechose,répondis-jeenm’assurantquelesdeuxcousinsne nousentendaientpas. —D’accord,ditCassieenmetapotantlegenou.Ettoi?Qu’est-cequetuveux? Jemecalaiaufonddemonsiègeetregardaileparkinggeléàtraverslavitrealorsquelecarse mettaitenmarche. Oui,qu’est-cequejevoulais? Bonnequestion. 10 Jedormispendantlamajeurepartiedutrajet,latêtesurl’épauledeCassie.Lechauffageavaitfini parfonctionnerdanstoutlecar,etilfaisaitunechaleurétouffante. Aprèsnotrearrivéesurplaceaucrépusculeetl’attributiondeschambres,nousdescendîmesdîner. Les gigantesques fenêtres du réfectoire donnaient sur la montagne, où de petites lumières commençaientàscintiller,illuminantlespistes. J’engloutis mon repas en un clin d’œil ; je n’avais pas réalisé à quel point je mourais de faim. Pendantquelesserveursdébarrassaientlestables,Ianproposauneséancedeskinocturne,cequifut refuséparMlleManning.Maisonnouslaissaquartierlibrepourlerestedelasoirée. Nousnousréunîmestousautourdel’immensecheminéedelasallecommune,oùl’onpouvaitse réchauffer au coin du feu et commander des chocolats chauds au bar. Installée sur une banquette, Cassieouvritsavesteenpolaireetensortitsaflasqueenmétal. —Çavapas,latête?chuchotai-je.Onvasefairecoller! — Tu préfères rester ennuyeuse, aligner les bonnes notes et entrer dans une super université, ou vivreunséjourinoubliable?répliquaCassie. Aprèsavoirvérifiéquepersonneneregardait,elleversaunpeud’alcooldanssonchocolatchaud. Ce n’était pas la première fois qu’elle me titillait au sujet de mon sérieux. Je réfléchis : étais-je aussicoincéequ’elleleprétendait? —D’accord,dis-jeenluifaisantsignedes’exécuteravantquejenechanged’avis. Trey,Evanetlesautresnousrejoignirent. IanvintsecollercontremoipendantqueCassiepapillonnaitaumilieudugroupeenservantunpeu d’alcoolàchacun. JemejuraidenepaspenseràAsheretàDevin,niàmonentréeàl’université,niàmesnotes,niau thermostat.Jedevaisprofiterdel’instantprésent.Cassieavaitraison:jepouvaisparaîtrecoincée.Il fallait que je me détende un peu, que je m’amuse. Qu’est-ce que j’en avais à faire si Asher était énigmatique, Devin mystérieux, et qu’ils donnaient l’impression de me suivre partout où j’allais ? D’ailleurs,jenelesavaispasvusdepuislafindudîner.Jejetaiuncoupd’œilautourdenous.Devin lisaitdansuncoin.Asher,lui,n’étaitpasenvue. Cassielevasatasseetpritunegrosserasadedechocolatalcoolisé,bientôtimitéeparEllie.Ianme jetaunregardenbiais,quej’évitai. —Avecquituveuxsortir?chuchotai-jeàCassie.Ilparaîtqueçasefaitbeaucouppendantcegenre deséjour… Ellemelançaunsouriremystérieux. —Ilfaudraitquejeboiveunpeuplusavantdetel’avouer. Pendantlesdeuxheuresquisuivirent,quelquespersonnessedésolidarisèrentdugroupe,tandisque d’autresvinrents’ygreffer.D’unairabsent,Ianmecaressaitlegenouaveclepetitdoigt. Devin,quin’avaitpasbougédesonfauteuil,relevaitdetempsàautrelatêtepourmeregarder.À quoipensait-il?Devais-jel’inviteràsejoindreànous?Detouteévidence,iln’étaitpasàsonaiseici, contrairement à Asher. Je ne le connaissais pas encore suffisamment pour savoir s’il espérait, ou redoutait,qu’onluiproposedeveniraucoindufeu. Jem’apprêtaisàprendreunenouvellegorgéedemaboissonamélioréequandjem’aperçusquema tasseétaitvide. —Quelqu’unveutunchocolat?dis-jeenmelevant. —Oui,réponditIanencalantsesmainsderrièresanuque.J’enprofite,pourunefoisquecen’est pasmoileserveur. JepassaidevantDevin,quimesourit,etrejoignislebar,oùjecommandaileschocolats.Soudain, unevoixfamilière–chaleureuse,rauque,unbrineffrontée–meparvintdepuislecouloirderrièrele bacàglaçons.Moncœurmanquauncoup. Labarmaidmeservitdeuxtassesfumantes.Jelessaisis,maisl’unedesansesétaitétrangementplus chaude que l’autre. Une brûlure fulgurante me traversa la main, et je laissai tomber la tasse, éclaboussantlebardechocolat. —Pardon,bafouillai-je,gênée. Lajeunefemmepartitchercheruneserpillièreentraînantlespieds.Quelquesglaçonspourraient rafraîchir le chocolat, mais pour aller les chercher je devrais me rapprocher d’Asher. Est-ce que j’avaisréellementenviedelecroiser? Je risquai un regard dans le couloir : Asher me tournait le dos, penché au-dessus de quelqu’un adosséaumur.Ellie! —Maisqu’est-cequevousfaites?lâchai-jesanspouvoirmecontrôler. —Skye!s’écriaEllieensedétachantd’Asher.Qu’est-cequ’ilya? Ashermesouritcommesiderienn’était. —Tiens,Skye!Tut’amusesbienaveclesautres? —Euh…oui,dis-jeenmesentanttoutàcoupridicule.Jeviensprendredesglaçons.Jenevoulais surtoutpasvousdéranger. —Desglaçons?medemandaAsher,suspicieux.Dansduchocolat? —Oui,ilestvraimenttropchaud,fis-je,lesjouesenfeu. Jemeplaçaientreeuxdeuxetattrapaiunepoignéedeglaçons.Asherm’observaitd’unœilméfiant. Ellie,lesbrascroisés,regardaitailleurs. —Skye?lançaIan,quiarrivaitavecnosdeuxtasses. Lorsqu’ilm’aperçutavecmarationdeglaçons,ilsourit. Je m’approchai de lui pour mettre les glaçons dans nos tasses, mais ceux-ci fondirent instantanémententremesdoigtsavantd’atterrirenuneflaqued’eausurletapis. —Hein?marmonnai-je,leslarmesauxyeuxsansraisonapparente. Ducalme!Paslapeinedepéteruncâbledevanttoutlemonde. LeregarddeIanseposatouràtoursurAsher,surEllie,etenfinsurmoi. — Comme tu mettais du temps, je suis venu voir si tout allait bien. Waouh ! Tes yeux sont redevenusargentés! Ashermejetauncoupd’œilsévère. Moncœurbattaitàtoutevitesse. —Est-cequeçava?demandaIan. —Oh,toutvabien,s’empressaderépondreAsheravantdereportersonattentionsurmoi.Est-ce queIanettoi,vousêtes…? —Quoi?Non,biensûrquenon!m’écriai-je,avantdemerendrecomptequeIann’avaitpaspipé mot. Unsilencepesants’abattitsurnous. —Bon,jevaisrapporternostasseslà-bas,déclaraIansanscachersonembarras. Jedevaisagir. —Désoléedevousavoirinterrompus,dis-jeenmetournantversAsheretEllie.Reprenezlàoù vousenétiez. JelongeaislecouloirpourretrouverIanlorsquej’entendislavoixd’Asher. —Skye,attends! —Quoiencore?fis-jeenm’arrêtant. Ilarrivaitàpetitesfouléesversmoi. —Qu’est-cequisepasse?demanda-t-ilenfourrantsesmainsdanssespoches. —Commentça? —Qu’est-cequit’arrive? —Rien. —Alors,pourquoitut’énerves? —Jenem’énervepas,répliquai-jeunpeutropvite. Asherm’adressaunregardétrange. —Tunevaspast’entirercommeça!Situnemeledispas,jem’inventeraimapropreexplication. Etelleneserapasforcémentbonne. Commentmesortirdecemauvaispas?Etpourquoiétais-jeaussiagacée? —Alors?m’encouragea-t-il. —Jenesaispas…Jecroyaisquetu…tusais.Maisàprésent,tudraguesEllie. Jemetusetlevailesyeuxverslui.Ilmeregardaitd’unairtendre,quimedéstabilisaencoreplus. —Excuse-moi,soufflai-je.Çadoitêtrelafatigue. —Tuasdormitoutletempsdutrajet. —Tum’asvue? —Jevoistoutdetoi. —Nechangepasdesujet,bredouillai-je,estomaquée.Jet’enveuxtoujours. —Nemedispasquetuesjalouse,lança-t-il,lesyeuxbrillants. —Tulefaisexprès?demandai-je. —Peut-être. Jedevaispartird’icileplusvitepossible,histoiredesauverlepeudedignitéquimerestait. —J’yvais.Ettoi,retourneavecEllie,dis-jeenpoursuivantmonchemin. —Oh,Skye!s’exclamaAsherderrièremoi.Jeplaisantais! Maisj’avaisdéjàregagnémaplaceprèsdufeu.Ian,lesyeuxbaissés,lescoudessurlesgenoux, serraitsatassecommes’iltentaitdes’yaccrocher.Jeluitapotail’épaule. —Viens,onvaprendrel’air,luidis-je. Jefussoulagéedelevoiracceptermaproposition. Nousenfilâmesnosmanteauxetsortîmessurlaterrasse.Devinnousavaitjetéundrôlederegard quandnousétionspassésprèsdelui.PourquoiAsheretluiavaient-ilsbesoind’épiertousmesfaitset gestes? Dehors,ilfaisaitcomplètementnoir.Deslumièrestremblaientauloinsurlamontagne.Cellesde l’aubergeéclairaientlaneige,formantunhaloautourdelaterrasse.Au-delà,leclairdeluneprojetait salueurbleutée. —Ian… —Non,nedisrien. —Toietmoi,onestamis… —Jet’ensupplie,épargne-moile:«Restonsamis»!Lesmecsdétestententendreça.Onsesent encoreplusnulsdecroirequ’ilpourraitsepasserquelquechose… J’eusl’impressionquemoncœurallaitsedécrocher. —Maisc’estlaréalité!Onestamis,etjeveuxqu’onlereste.Cassie,Danettoiêtesmesmeilleurs potes.Qu’est-cequejeferaissansvous? Ilglissalesmainsdanssespoches. —TuaimesAsher,n’est-cepas? —Jen’ensaisrien.C’estbête,maisilaquelquechosequime…Jen’arrivepasàl’expliquer. —C’estundonJuan.Ilvatefairedumal. Jenesouhaitaispasparlerd’Asher. —Toietmoi,onresteamis?insistai-je. —Oui,réponditIanensouriant. Lesmainssurlarambardedelaterrasse,jemepenchaienavantetregardailaneigebrillersousle clairdelune. —Ceseragénial,deskierdemain! Ianm’imita,sonépaulefrôlantlamiennedemanièrerassurante. Soudain, quelque chose attira mon regard : Devin se dirigeait vers les arbres, seul, comme d’habitude. Je l’aurais bien rejoint, pour fuir l’atmosphère pesante de l’auberge… Ian suivit mon regard. —TuasremarquéàquelpointDevinestcalmequandAshern’estpasdanslesparages?fis-je.J’ai enviedeça,desfois.Decalme,depaix.C’estsiduràavoir. —Mouais…Jetrouveçaennuyeux. —J’auraisaiméskiercettenuit,dis-je.Etsionyallaitquandmême? Ianagitalebrasenriant. —Non,jenetienspasàavoirdesproblèmes.Laseuleinfractionquejemepermets,c’estl’alcool deCassie.Siencoreonpartaitengroupe…Maisjustetoietmoi,c’esttropdangereux. «Asherleferait,lui,pensai-je.Ilviendraitavecmoi.Ilenfreindraitlesrègles.»Saufqu’ilétaiten traindeflirteravecEllie… Ianetmoinousattardâmesencorequelquesminutessurlaterrasse,puisjeluisouhaitaiunebonne nuitetretournaiàl’intérieur. CassieetDanétaienttoujoursinstallésavecnosautrescamaradesautourdelacheminée,maisje n’étaisplusd’humeuràmejoindreàeux.Jemontailesmarchesdeuxàdeuxjusqu’àlachambreque jepartageaisavecCassie,meruaisouslescouverturesetrestaiallongée,plongéedanslesténèbres. Quand Cassie arriva à son tour, je l’entendis m’appeler, mais je ne lui répondis pas. Je demeurai couchée, raide, incapable de dormir ou de penser à quoi que ce soit d’autre qu’Asher. Pourquoi ? Pourquoihantait-ilmespensées?MaruptureavecJordannem’avait-elledoncrienappris? 11 Lepetitdéjeunerfutunevéritabletorture. Ian était de nouveau distant avec moi, et je faisais tout pour éviter de croiser le regard insistant d’Asher. Devin boudait dans son coin. Asher lui avait-il raconté ce qui s’était passé la veille ? Ils étaientcousins,aprèstout,etonseracontecegenredechoses,entrecousins. Bientôt,toutlelycéesauraitquejem’étaistapélahontedemavie! Jenedésiraisqu’unechose:chaussermesskisetm’évader. Après le petit déjeuner, M. De Nardo, le professeur d’anglais, forma les équipes. Cassie faisait partiedugroupedespoussins,etDan,malgrésonbonniveau,décidadelasuivrechezlesdébutants. Jemeretrouvaidansl’équipedesskieursconfirmés,encompagniedeIan,Ellie,Maggie,Devinet Asher.Cederniervintàmarencontreetmurmuramonnomàl’oreille.Jel’esquivai. Surlecheminversletélésiège,Ianmejetaunregardperplexe. —Onleprendensemble?proposai-je. —D’accord. Je me collai à lui pour être sûre de ne pas me retrouver avec quelqu’un d’autre. Il était hors de question de prendre le télésiège avec Ellie après ce qui s’était passé la veille. Et si Asher pensait pouvoirremonterlamontagneavecmoi,ilsefourraitledoigtdansl’œil.LuietEllien’avaientqu’à s’asseoirensemble! Ilfaisaitfroidausommet.Lesgensquiskiaientenbasdelapisteressemblaientàdeminuscules pixels.Latêteenarrière,j’observailecielbleu-grisetm’imaginaiêtreseuleaumonde. Ian et moi rejoignîmes notre groupe au bord de la piste noire, appelée l’Échelle de Jacob. Ian commençaàdiscuteravecunefille.Par-dessussonépaule,jeremarquaiDevin,enretrait. —Unejournéeidéalepourskier,pasvrai?fitAsher.J’espèrequelebeautempssuivra. Jenerépondisrien. —Écoute,àproposd’hiersoir…,reprit-il. — On oublie tout, d’accord ? dis-je en me tournant vers lui. C’est arrivé et maintenant c’est terminé.Onavance. —«On»? Savoixétaitsérieuse,maisilconservaitsonéternelleexpressionmoqueuse.Agacée,jemismes lunettesdeskietmeconcentraisurlapiste. —Tusaisskier? —Jen’aiperduaucunecoursecetteannée,répondis-jesansluiaccorderunregard. —Impressionnant!Tuasuneexcellentemaîtrisedelatechnique. Arquésursesskis,ildécrivitunarcdecercle,obligeantungarçonquisetenaitprèsdemoiàse décaler. —Maiscen’estpastout,mechuchota-t-il. —Ah!Etqu’est-cequ’ilyad’autre?demandai-je,lesyeuxrivéssurlapente. —Tuadorestesterteslimites.C’estpourçaquetuaimestantskier.Tufrôleslachute,sachantque tu peux te rattraper. Tu aimes tout contrôler, car tu es consciente que, si l’on te poussait un peu, tu seraiscapabledebasculerducôtéobscur. —N’importequoi!répliquai-je. Ilneconnaissaitriendemavie.Etj’allaisluifaireravalersonsourireprétentieux! —Autempspourmoi,dit-ilenajustantsonmasquedeski.Quelacoursecommence! Il s’élança, le torse en avant, les bras près du corps. Une seconde plus tard, je le suivis. Je ne pensaisdéjàplusàskieravecIan.Asherm’avaitlancéundéfi,etjedevaislerelever. LesyeuxbraquéssurAsher,jenevoyaispluspersonned’autre.S’iltournaitàdroite,jel’imitais. S’il coupait un virage juste avant une bosse, je faisais de même. C’était un jeu, un challenge. Je ressentaislebesoinimpérieuxdeluiprouvermescapacités. Asher était un excellent skieur. Ses gestes étaient pleins d’assurance, bien maîtrisés, sans qu’on perçoivelemoindreeffortdesapart. Toutàcoup,jemetrouvaiàsahauteur.Penchéenavant,iltentadetenirlacadence,maisilfinitpar selaisserdépasser.J’allaisdeplusenplusvite.Leterrainsemblaits’échappersousmesskis,comme dusabledansunsablier.Soudain,laneigecédapourdevrai.Jeperdisl’équilibre,maisréussisàne pastomber. Je jetai un coup d’œil en arrière et une vague de terreur me submergea. Une énorme masse de neigedévalaitlapente,seprécipitantsurmoiàunevitessevertigineuse.Moncœurtambourinaitdans mapoitrine,etj’avaisdumalàrespirer.L’avalanchegagnaitduterrain.Paniquée,jecherchaiautour demoiunendroitoùm’abriter,n’importequelleaspéritéàlaquellemeraccrocher.Rien!Iln’yavait pluspersonnederrièremoi.J’étaisseule,seuleetendanger. Le souffle coupé, je percutai violemment le flanc de la montagne. Une douleur phénoménale me traversalachevilleaumomentoùcelle-cisedérobasousmonpoids. J’avaisperdutoutcontrôle. Iln’yavaitplusquecettesensationdechute,mêléedepeuretd’allégresse. 12 Quelqu’unm’appelaitauloin.C’étaitbeauàentendre,commeunechansond’unautremonde. Est-cequej’étaismorte?C’étaitça,leparadis? Ouest-cequej’étais…ailleurs? —Skye? J’ouvrisgrandslesyeuxetmeredressaidoucement. Jemetrouvaisdansunesortedegrotte.C’étaitunendroitsombre,oùseulefiltraitunepâlelueurà traverslesparoistranslucides.J’étais…coincéesouslaneige? DevantmoisetenaitAsher,àgenoux. —Qu’est-cequetufichesici?demandai-jed’unevoixrauque. —Tuesréveillée!souffla-t-il,soulagé.Toutvabien?Commenttutesens? — Ma tête…, commençai-je en essayant de dissiper la brume qui m’envahissait le crâne. Et ma cheville…Jecroisquejemelasuisfoulée,oucassée.Onestoù? —Jecroisqu’onesttombésdansunegrotte.Jet’aivuedisparaîtredansuntrou,alorsj’aisauté pourterejoindre. Ilexaminamacheville.Jegrimaçai. —Désolé… Ils’éclaircitlagorge. —Jenepeuxrienfairepourtafoulure.J’aiappeléàl’aidetoutàl’heure… Illevalesyeux,sansdouteverslemondeextérieur. —Jenevoulaispastelaissertouteseuleici,poursuivit-ilenentourantmonpieddeneige. —C’étaitvraimentbizarre,lâchai-je.J’aisentiunevaguedepuissancem’envahiràmesurequeje te rattrapais. Et… on aurait dit que la neige et la glace se désintégraient au fur et à mesure que j’avançais.C’étaitterrifiant. Ashern’avaitpasl’airétonné,plutôtincrédule.Jecraignissoudainquemesyeuxsoientredevenus argentésetdétournaileregard. —Jesais,çaal’airfou,ditcommeça,conclus-je. Il ne répondit pas. Le silence glacial de la grotte me fit frissonner. Mes doigts engourdis me brûlaient. —Tuasfroid?demandadoucementAsher. —Jegèle! —Tiens,medit-ilenm’enveloppantdanssaparka,quigardaitencorelachaleurdesoncorps. —Non,protestai-je.Tuenasbesoin. —J’ailesangchaud,çavaaller.Tutesensmieux? —Oui,merci. Ilmefixaitd’unairétrange. —Sijetemontrequelquechose,tumeprometsden’enparleràpersonne?lâcha-t-il. —Tuveuxmedivertirjusqu’àl’arrivéedessecours? —Onvadireçacommeça.Mais,avant,tudoismepromettre. —Promis.Jesuisouverteàtouteformededistractionpouvantm’empêcherdepenserànotremort prochaine. —Onnevapasmourir,déclara-t-il. Il semblait si sûr de lui que je le crus presque, alors que je ne savais pas comment quiconque pourraitnoustrouveravantquel’onfinisseenglaçonsgéants. Ashersemitderrièremoi.Jesentaissontorsetoutcontremondosetsonsoufflesurmanuque.Je tentai en vain de contrôler ma respiration : la douleur, le froid et la proximité d’Asher m’en empêchaient. Ilpassasesbrasdevantmoi. —Tendslesmains,ordonna-t-il. Jem’exécutai,lentement.Illespritdanslessiennesetlestournapaumesverslehaut. —Surtout,n’aiepaspeur,murmura-t-il. Commentpourrais-jeêtrepluseffrayéequejenel’étaisdéjà? Etpuis… Unepetiteflammesemitàdansersurmespaumes.Elleétaitinoffensive:sadoucechaleurravivait lacirculationdansmesdoigtsengourdis.Peuàpeu,lagrotteseremplitd’unefaiblelueurorangée projetantdesombressurlesparois. Jetenaisdufeudansmesmains! —Asher?couinai-je,lecœurbattantàtoutrompre.Co…commenttuarrivesàfaireça? —Unmagiciennedévoilejamaissessecrets. Laflammevacilla,puismontajusqu’auplafond.Bientôt,elleperçauntroudanslaneige,révélant lecielau-dessusdenostêtes. —Wouah!s’exclamaAsher.C’étaitpasprévuauprogramme… Ils’écartaetsepostaenfacedemoi,lessourcilsfroncés. —D’habitude,jecontrôlemieuxcetour.Jenesaispaspourquoiça… Ilsetutetmecaressalajoue.Ilavaitlesdoigtsencoretièdes,etmesfrissonscessèrent. —Àproposd’hiersoir…,commença-t-il. Jesoupirai. —J’aipasenvied’enparler. —Non,attends,c’estvrai:j’essayaisd’attirertonattention.Maispaspourlaraisonquetucrois. —Alors,pourquoi? Ilmesouritaffectueusementtoutencontinuantdemecaresserlajoue. —Skye,chuchota-t-il.C’est…compliqué. —Jenecomprendspas…,dis-jetoutbas,prised’uneenvieirrésistiblededormir. —Onn’estpasobligésdedéciderdusortdumondetoutdesuite,fitAsher,énigmatique. Ilplaçalamainsousmatête,quiroulasursonépaule. —Skye,resteéveillée,s’ilteplaît!Parle-moi,net’arrêtepas. —Tuveuxquejedisequoi? —N’importe,toutcequitepasseparlatête. Lesmotssortirenttoutseulsdemabouche. —Mesparentssontmorts… Monesprits’embrumaitpeuàpeu. —…dansunaccidentdevoiturequandj’avaissixans. —Jesuisdésolé,réponditAsherd’unevoixdouce. Ilmepritlamain.J’enfouislevisagedanssapoitrineetmelaissaibercerparsarespiration. —Jenemesouvienspastropdel’accident.Jenesaispaspourquoij’aisurvécu… C’étaitbond’enparler,moiquin’enparlaisjamaisavecpersonne. —J’auraispumourir. Prononcéeàvoixhaute,cettephraseétaitterrifiante. Asherécartaunemèchedecheveuxdemonvisage. — Mais tu n’es pas morte, dit-il avec gentillesse. À présent, repose-toi, les secours vont bientôt arriver. Matêtedevinttoutelourde,etlemondes’assombrit.Avantdeplongerpourdebondanslatorpeur, jesentisledouxcontactdeslèvresd’Ashercontremonfront. Enfin,jecrois. 13 Lorsquej’ouvrisdenouveaulesyeux,jemetrouvaisdansuntoutautreenvironnement. Allongéedansunlitétroitsousunecouvertureenlaine,jeportaisunpyjamaenflanellequejene connaissais pas. Apparemment, j’étais à l’infirmerie du chalet, un lieu triste et austère. Le plafond étaitcouvertdecraqueluresetd’auréolesd’humiditéquel’onavaitmaladroitementtentédemasquer avecdelapeintureblanche.Jemesentaisbienmieuxqu’avant,sil’onfaisaitabstractiondeladouleur quim’enserraitlacheville. Avais-je vraiment été bloquée dans une grotte de neige en compagnie d’Asher ? Avait-il fait apparaître… du feu à partir de rien ? J’avais l’impression de me réveiller d’un rêve pour me confronteràladureréalité. OùsetrouvaitAsher?Jetournailatête,espérantlevoirassisprèsdemoi,pourqu’ilm’explique que tout cela n’avait été qu’un tour de mon imagination. Ou qu’il m’avoue avoir caché un briquet danssamain. MaismonregardrencontraDevin.Installédansunfauteuildevantlafenêtre,ilregardaitlespentes enneigées. —Qu’est-cequetufichesici?demandai-je.OùestAsher? Devinsetournaversmoi,impassible. —Ah!Tuesréveillée. Monpoulss’accéléra. —Jesuisrestéeendormiecombiendetemps? —Unbonmoment,répondit-ilenexaminantsesmains. —Est-cequejevaisbien? —Tun’asaucunecommotion,c’estleprincipal.Toutlerestepeutparfaitementsesoigner. —Toutlereste? J’essayai de me redresser, mais Devin m’en empêcha d’un geste doux. Prise d’un vertige, je reposailatêtesurl’oreiller. —Oùsontmesamis?Qu’est-cequetufaislà? —Jemesuisfaitdusoucipourtoi.Tachutet’afaitoublierquenoussommesamis,toietmoi? Infirmière!OndiraitqueSkyeestfrappéed’amnésie! —Arrête!OùestAsher? —Oh…Partisechanger,seréchaufferousetrouverdenouvellesgroupies;qu’est-cequej’en sais?Jenesuispassonangegardien. Lemot«groupies»mefittiquer. —Non,maistuessoncousin,dis-je.Tudevraist’inquiéterpourlui.Onauraitpumourir… Devinfitunegrimace. —Asherpeuttrèsbiens’occuperdeluitoutseul.Parailleurs,iln’apasuneseuleégratignure. —Etquinousasortisdelà?Je…aïe! En voulant me redresser, je sentis une douleur atroce dans ma cheville entourée d’un bandage serré. Devinsecoualatête,commes’ilavaitoubliéquej’étaisblessée. —Tuasmal? —Plutôt,oui.J’aidûmefaireuneentorse. Devinseleva,s’approchadulitetappliquasesmainscontremachevilled’ungesteincroyablement doux.Jemelaissaiallercontremonoreiller,envahieparunesensationdecalme. Il appuya un peu plus fort. La douleur se fit plus aiguë, puis, chose invraisemblable, cessa complètement.JeregardaiDevin,abasourdie.Ilretirasesmains. —Çadevraitalleràprésent. Jetournaimonpieddansunsens,puisdansl’autre:plusaucunegêne! —Commentas-tu…? Je fus interrompue par l’arrivée de Cassie, Dan et Ian. Le bonnet de Cassie était de travers, les lunettesdeskideDanpendaientautourdesoncou,etIansemblaitperdu,commes’ilnesavaitpas quoifairepourmeréconfortersanscafélatte. —Skye!Toutvabien?s’écriaCassieenseruantversmoi.Onaentendudirequetuavaisétéprise dans une avalanche, et… Oh, tu as l’air en pleine forme. Tu t’es cassé quelque chose ? Tu pourras remarcherunjour? —Jevaisbien,jecrois,déclarai-jeensouriantàDanetàIan,restésenretrait. —Cool,s’exclamaDanavantderemarquerlaprésencedeDevin.Salut,mec. —Salut,réponditDevind’untonpincé. Cassieluijetauncoupd’œil,puissepenchaversmonoreille,unlargesourireauxlèvres. —Onnevousgênepas?Onpeutpartir,situveux… —Arrête,Cassie! —Ilfautquejemesauve,annonçatoutàcoupDevin. Ohnon!J’avaisencoretantdequestionsàluiposer!Essayait-ildeleséviter? —Devin… —Jesuiscontentquetuaillesbien. Ilseleva,adressaunbrefsalutàmesamisetsortitenclaquantlaportederrièrelui. —D’accooord,ditenfinCassiepourromprelesilencequivenaitdes’installerdanslachambre. J’aientendudirequ’Ashers’étaitcomportéenhérospendanttonsauvetage. —Est-cequ’ilvabien?fis-jeenmeredressantàlamentiondesonprénom.Iln’estpasblessé? Devinn’avaitpasl’aird’êtreaucourant. «Nides’eninquiéter»,pensai-je. —Ilvabien,maugréaIan.Cemecauneveinedecocu! —L’avalancheafaitdesvictimes?poursuivis-je. —Aucune,Asherettoiétiezdrôlementenavancesurlerestedugroupe,expliquaIan.Vousskiiez àunevitessedemalade! —Ouais,j’aiprissondéfiunpeutropàcœur…Désoléedet’avoirlaisséderrière. —Pasgrave!J’aijamaisaimélesavalanches,detoutemanière,plaisantaIan.Jevaistechercher unbonchocolatchaud. Rapporterdelanourritureoudesboissonspourconsolersesamis:duIantoutcraché. —Jeviensavectoi,déclaraDan.JevaisprévenirManningetDeNardoqueSkyevabien. Dèsqu’ilseurentdisparu,Cassiesepenchaversmoi. —Alors,ques’est-ilréellementpassé? —Dequoituparles? —Skye,jet’enprie!Jesuistameilleureamie,tudoismedirequelquechose. J’étaisperplexe:pouvais-jeluiconfierlavéritésurcesévénementsétranges?Sijedevaism’en ouvriràquelqu’un,c’étaitbienàCassie;maiscommentluiexpliquerqu’uneflammeavaitsurgiau creuxdemespaumes?EtqueDevinm’avaitsoignélachevillejusteenposantsesmainsdessus? Avantquej’aiepumedécider,uneinfirmièrepénétradanslapièce. Etj’euslesentimentd’êtresauvéepourladeuxièmefoisdelajournée. 14 — Donc, si j’ai bien compris, résuma Cassie en regardant mon reflet dans le miroir avant de se retourner,tut’esévanouiedanslesbrasd’Asherpourteréveillerdansceuxde…Devin? Lesoleils’étaitcouchéderrièrelesmontagnes,nousnouspréparionsdansnotrechambrepourla veilléeautourd’unfeudecamp.L’infirmièrem’avaitlaisséepartiraprèsavoirconstatéquelesseuls symptômesquejeprésentaisétaientceuxd’unennuiprofond. — Mouais, tu peux effectivement déformer mes propos pour en arriver à cette conclusion, répondis-je. J’étaisassisesurmonlit,adosséecontreplusieursoreillers,vêtued’unvieuxjeanetd’unevesteen polairenoire.Cassies’appliquaituntraitd’eye-linerbrunsurlespaupières.Pourquisemaquillaitelleainsi?Ellenem’avaitparléd’aucungarçoncesdernierstemps…D’habitude,quandCassieétait amoureuse,nousétionstousmisaussitôtaucourant. —Alors?insista-t-elle.Desdétails? J’espéraisqu’aprèsl’arrivéeimpromptuedel’infirmièreCassieauraitoubliésesquestions.Mais non.Jepensaiàlaneigequisedérobaitsousmesskis,àmaterreurfaceàl’avalanche.ÀAsheretàla grotte.Aufeu.EtàDevinquim’avaitsoignéedecettefaçonincroyable.C’étaitdéjàfoud’ysonger; alors, en parler à voix haute… J’en étais à me demander si ma chute n’avait pas provoqué des hallucinations. Je voulais retrouver Devin et Asher pour qu’ils m’expliquent ce qui s’était passé. Mais Cassie, métamorphoséeenmèrepoule,nem’avaitpaslâchéed’unesemelle. — Il n’y a rien à raconter, prétendis-je. J’ai perdu connaissance après avoir été entraînée par l’avalanche,c’esttout.Jenemesouviensderien,àpartlaprésenced’Asher. — C’est ça ! ironisa Cassie en étalant du gloss sur ses lèvres. Pas grave, je finirai bien par découvrirlavéritéunjouroul’autre. Elle émit un petit gloussement. Mon amie avait un rire communicatif qui nous avait déjà valu quelquessoucisaulycée.Jen’yrésistaisjamais,etcettefoisencorejememisàrireavecelle. NousriionstoujoursaumomentoùDanetIanfrappèrentànotreporte. Cassierectifiasonmaquillage,etjeluilançaisonmanteau.Machevillenemefaisaittoujourspas souffrir,commesiellen’avaitjamaisétéfoulée. —Ilparaîtqu’Ashert’asauvélavie?fitIan. —Jen’iraispasjusqu’àdireça. Quoique… Sans lui, on ne m’aurait jamais retrouvée. Devin et Asher avaient l’étrange faculté d’apparaîtreaumomentoùj’étaisendanger.Dangerquin’avaitjamaisétéaussiomniprésentavant leurarrivéeàRiverSprings… Touslesquatre,nousempruntâmesunpetitcheminquiserpentaitàtraversbois.Noussuivionsle raidelumièredelatorchedeCassiedontlemouvementmerappelaitceluidelaneigesedérobant sousmesskis.Mavisionsebrouillaet,pendantquelquessecondes,jemesentispartir. —Çava?medemandaIanenserapprochantdemoi. Jesecouailatêtepourmeressaisir. —Oui,çava. — Tu ne devrais peut-être pas sortir si peu de temps après ton accident. Tu veux que je te raccompagnedanstachambre? Retourneràlachambrenechangeraitrien.Jen’avaispasbesoind’unenuitdesommeil,maisde réponses à mes questions. Je devais savoir si je devenais folle, ou s’il y avait ne serait-ce qu’une infimepossibilitéquetoutcelasoitréel. Lesentierdébouchaitsuruneclairièreoùflambaitungrandfeu.MlleManningachevaitdedicter lesrèglesauxlycéensdéchaînés. —Pourrappel:pasd’alcoolnidecigarettes.N’oubliezpasdebienéteindrelefeu,etnettoyezles lieuxavantdepartir. Ellesouritetagitaunsacenplastiqueremplidemarshmallows,debiscuitsetdechocolat. —Pournousremettredenosémotions,précisa-t-elleenmejetantuncoupd’œil. Cassie, Dan, Ian et moi repérâmes un rondin de bois sur lequel nous asseoir. En chemin, je fus bombardéedequestionsparmescamarades.Larumeurallaitbontrain…Seulement,jenesavaispas comment expliquer ce qui s’était passé en haut de la montagne et, plus tard, à l’infirmerie. J’allais devoirtrouveruneversionconvaincante… —Elleaétéfantastique,intervintunevoixderrièremoi. Ashermerejoignit,touslesregardsbraquéssurlui. —Vousauriezdûvoirça!Unénormemorceaudeglaces’estdétachédelamontagneetaaccéléré l’avalanche.Etpourtant,Skyearéussiàl’éviter,dit-ilavecunsourireentendu. —Jusqu’àcequejetombe,ajoutai-je. —Quandmême,c’étaithéroïque.Pasétonnantqu’ellegagneautantdemédaillesauski! —Çan’avaitriend’héroïque. —Vucommetut’escognélatête,tuassansdouteoubliélamanièredontças’estpassé. Il m’adressa un regard insistant, et je me tus. De toute façon, je lui avais promis de garder son secret. —C’estpossible,fis-je,jouantlejeu.Jenesaismêmepluscommentonestremontésàlasurface. Peut-êtrequetupourrasmeleraconter,aprèslaveillée? Iln’eutpasletempsdemerépondre,carEllieletiraparlebras. —Jesuiscontentequetuaillesbien,Skye,lança-t-elleenlepoussantdel’autrecôtédufeu. Ashermeregarda,impuissant. —Ondiraitquec’estfichupourtoiaveclui,chuchotaCassiealorsquejem’installaisentreelleet Ian. —Qu’est-cequetuveuxqueçamefasse?dis-jeenhaussantlesépaules. Enréalité,jefulminais.Commentpouvait-ilsecomporterainsiaprèscequenousavionsvécudans lagrotte?Jen’avaispourtantpasrêvé,ils’étaitbienpasséquelquechoseentreluietmoi… Une fois les marshmallows distribués, nous commençâmes à les faire griller au-dessus des flammes. —C’estgrâceàtoiqu’onvaserégaler,ditIan.Tudevraisalleràl’infirmerieplussouvent. —Oui,MlleManningaétésupersympaavecmoi! Elle s’était occupée de toutes les formalités administratives et avait essayé de contacter Tante Jo, dontletéléphonenecaptaitpas.Elleavaitalorsappeléàsonbureau,oùsescollèguesavaientpromis delajoindreparsatellite. Cassietapadanssesmainspourattirerl’attentiondenoscamarades,lesyeuxbrillants. —Etsionseracontaitdeshistoires? —J’enaiune,réponditAsher. Lerefletdesflammesquidansaitsursonvisageaccentuaitlafossetteaucoindesabouche. —C’estunelégendefamiliale,précisa-t-il. Devin,lamâchoireserrée,fixaitlefeuensilence. —Ilétaitunefois,commençaAsheravecungestethéâtral,uneassembléequirégnaitsurlepeuple terrien. Cette assemblée avait bien plus de pouvoir que le président des États-Unis et toutes les puissances mondiales réunies. Elle s’appelait l’Ordre. Plus ancien que le temps lui-même, l’Ordre n’avaitqu’uneseulemission:garderlemondesouscontrôle. Ilsetutuninstantavantdecontinuer: —Sesmembresétaienthiérarchisés.LesÉlus,lesplushautsdignitaires,étaientdotésdelaVue:ils pouvaientvoirladestinéedesindividus.Ilsconsidéraientcommeétantdeleurdevoirdesuperviserla viedesTerriens.Lesmembresenbasdel’échelle,eux,devaientsuivrelesconsignesdesÉlus.Onles appelaitlesGardiensdel’OrdreNaturel,oulesGardienstoutcourt.Ilsn’avaientaucunlibrearbitre etdépendaientdubonvouloirdesÉlus. Tousmescamaradesl’écoutaient,fascinés.Devin,l’airmalàl’aise,évitaitleregarddesautres. —Aufildutemps,unpetitgroupes’opposaàcettedistributiondesrôles.Sesmembrespensaient quelemondeseraitmeilleursilesÉlusarrêtaientdesemêlerdelaviedesTerriens,quelavieserait meilleuresionlaissaitlechaoss’installerdetempsàautre,sionpermettaitauxgensdemenerune vie moins ordonnée mais sereine. Les dissidents ne réussirent pas à imposer leurs idées et furent obligés de quitter l’Ordre. Bannis du paradis dans lequel ils vivaient, ils furent condamnés à errer parmi les gens dont autrefois ils régentaient les vies. Les Rebelles passèrent leur temps à travailler leurs propres pouvoirs. Afin de contrer la Vue des Élus, ils perfectionnèrent leur maîtrise des élémentsetapprirentàcréerlechaos. Asher interrompit son récit pour remuer les braises, dont jaillit une gerbe d’étincelles. Devin tressaillitetmeregardaavecinsistance.Sesyeux,sombresetindéchiffrables,nerespiraientplusla tranquillité. — Ainsi allèrent les choses, reprit Asher, jusqu’à ce qu’un événement inouï vienne bousculer l’équilibreetsecouerl’OrdreetlesRebelles. Ildardasonregardsurmoi. —L’amour.Legranddestructeurdesmondes. Cassie,fandeshistoiresd’amourépiques,m’agrippalebras. — Il y a dix-huit ans, l’un des Rebelles tomba amoureux d’une magnifique Gardienne solitaire. CetteGardienneétaitpromiseàunautrehomme,choisipourelleparlesÉlus.Mêmesi,commetous lesGardiens,onluiavaitapprisàdétesterlesmembresdelaRébellion,elleéprouvaitdessentiments profondsàl’égardduRebelle.Quisait,ilavaitpeut-êtreuncharmefouetunsourireàtomber… Asher m’adressa un clin d’œil, et je sentis mon cœur faire un bond dans la poitrine. Il avait un sourireàtomber,etillesavait. — La Gardienne essaya d’oublier le Rebelle, en vain. Elle comprit donc qu’elle devait faire un choix:resterauparadisetsuivreladestinéetracéepourelleparlesÉlus,ous’engagersurunevoie inconnue. Les Anciens de la Rébellion n’approuvaient pas non plus cet amour. On rassembla alors septÉlusetseptAnciensdansuneréunionausommet,pendantlaquellelecouplefutjugé. Nous écoutions tous le récit d’Asher en silence. Je le regardais, troublée : son histoire m’était familière,jel’avaisdéjàentenduequelquepart…Maisoù? Ilcaptamonregardetcontinuasonrécit: —Aprèsdelonguesdélibérations,leverdicttomba:leRebelleetlaGardienneétaientbanniset n’appartenaient désormais plus ni à l’Ordre, ni à la Rébellion. Devenus mortels et déchus de leurs pouvoirs,ilsétaientforcésdevivreparmilesTerriens. «Lecouples’installadansunepetitebourgadeetdonnanaissanceàunefille. «LesÉlusetlesRebellescraignaientledangerpotentielquereprésentaitlefruitd’unetelleunion. Mais ils tentèrent de se rassurer en se disant que cette petite fille était humaine, et qu’elle n’aurait aucunpouvoir. «Cependantdesagentsdesdeuxbordsfurentenvoyéspourlasurveilleretinfluersurlecoursde savie. —Etensuite?lâchaCassie,lesoufflecoupé. Asherlançauncoupd’œilàDevinavantdedéclarer: —C’esttoutcequ’onsait. Ilbalayanotregroupeduregard,unsourireénigmatiqueauxlèvres. —Maiscen’estqu’unelégende,aprèstout… J’applaudis avec mes camarades, même si j’étais déçue par la fin de son histoire. Je voulais en savoirplussurcettefille,découvrirquielleétaitetcequ’elleétaitdevenue. — C’est tellement romantique ! soupira Cassie. On dirait une version extraterrestre de Roméo et Juliette! —Ettoi,Skye,qu’enas-tupensé?demandaAsherenprenantplaceàcôtédemoi. Ilétirasesjambesverslefeu,quicrachadesétincelles.Jesongeaiàl’épisodedelagrotte.Ceque j’en pensais ? Honnêtement, je n’en savais rien. Cette histoire me disait bien quelque chose, mais j’étaisincapablederemettreledoigtdessus. Soudain, les souvenirs enfouis dans ma mémoire affluèrent. Mon père me tenant dans ses bras devantlemiroirdelasalledebainsavantdememettreaulit;nousdeuxentraind’examinermon reflet et de rire ; la voix cristalline de ma mère qui me chantait une berceuse. De quoi parlait-elle, déjà? D’AnciensÉlus,deRébellionetd’amour! Je regardai Devin : il avait toujours la mâchoire crispée, et il semblait en colère. À cause de l’histoire? Illevalatête,etjerevisdanssesyeuxbleupâlel’avertissementqu’ilm’avaitfaitàproposd’Asher :«Ilestdangereux.» Jedétournaileregard,lecœurbattantàtouteallure. Unephrasetournoyaitdansmatête:«L’amour.Legranddestructeurdesmondes.» Comment Devin et Asher pouvaient-ils connaître la berceuse et les histoires que me racontaient mesparents?Quiétaient-ils?Etdequeldroitsemêlaient-ilsdemavie? —Skye?chuchotaAsher.Çava? —Laisse-la,ordonnaDevindel’autrecôtédufeu.Tuenasassezfait. Lefeu.Lalégende.Lesdeuxcousins. L’explosiondelachaudière. L’avalanche. Leschansons. Mesparents. Toutcelaavaitundénominateurcommun:moi. 15 QuandTanteJosemettaitencolère,mieuxvalaitsecacher. À notre retour, aux alentours de minuit, je la trouvai au chalet, outrée que Mlle Manning m’ait laissée«traînerenpleinenuitdanslaforêt»aprèsmonaccident. —Maisjenetraînaispas! Toutlemondenousregardait.Jemeretinspournepascrier. —J’étaisassisesurunrondindebois,devantunfeudecamp.Çan’arienderisqué! —Préparetesaffaires!lançaTanteJo.Onrentre. Inutiledediscuter… Unedemi-heureplustard,j’étaisassisedansson4×4,direction:lamaison. Les routes, sombres et battues par le vent, étaient encore plus effrayantes de nuit. Tante Jo conduisait sans dire un mot. La tête contre la vitre, je m’efforçais de repousser les pensées hallucinantesquimenaçaientmasantémentale. Aprèslerécitd’Asher,personnen’avaitosésejeteràl’eauetraconterunehistoire.Àlafindela soirée,j’avaisvouludiscuteraveclesdeuxcousins,maisAsherétaitdéjàpartiavecEllie,etDevin s’étaitpurementetsimplementvolatilisé. Detempsàautre,j’entendaisTanteJomarmonner.«Frôlélamort!»,«professeursincompétents »,«sitamèreétaitencorelà…» —TanteJo,paslapeinedet’inquiéter!Jevaisbien. —Onvaquandmêmefaireunsautauxurgences. Les urgences ? Je réprimai un frisson. Je détestais les hôpitaux, et je n’y étais pas retournée depuis…depuisquej’avaissixans.Etjen’allaiscertainementpasyallercesoir. —Uneinfirmièrem’adéjàexaminée,etjen’airien! Jemegardaibiendementionnermachevillefoulée,etlafaçondontDevinl’avaitsoignée. Jen’arrivaispasàl’expliquer,toutcommelefeuqu’Asheravaitfaitapparaître. — OK, se résigna Tante Jo. Mais tu ne sortiras pas du week-end. Et si jamais tu boites lundi, je t’emmènedirectàl’hôpital. —Ettarandonnée? —Jel’aiannuléepourpasserteprendre.JechercheraiunremplaçantpourJenndèslundi. Nousarrivâmesàl’aube,etjesombraiimmédiatementdansunsommeilprofond.Jemeréveillai en début d’après-midi, enfilai un sweat qui avait appartenu à mon père et me dirigeai à pas feutrés verslacuisine,quiembaumaitlesépices.TanteJodevaitêtredemeilleurehumeur. Postéeprèsdel’évier,elleplongeaitdesmorceauxdeviandedansunemarinade. —Commenttutesens?demanda-t-ellesansseretourner. —Çava,dis-jeengrimpantsuruntabouret. Ellepivota,lesmainspleinesd’épices. —J’aieutrèspeur,Skye.Jenesaispascequejeferaissijeteperdais. —Tunemeperdraspas. —C’estcequejecroyaisàproposdetamère,ditTanteJoenreprenantsapréparation. Jenedisrien,émuedevoircombienjecomptaispourelle. Lerestedelajournéepassaàlavitessedel’éclair.Nousmangeâmesduporcmarinéaudîner,puis passâmes la soirée à regarder des films catastrophe, blotties l’une contre l’autre sur le canapé du salon. Cettenuit-là,jefisdedrôlesderêves.Dansl’und’eux,Asheretmoiéchappionsàl’éruptiond’un volcan.Jetrébuchaisettombaisdanslarue,etDevinvenaitmesauver.TanteJoétaitlà,elleaussi, furieusedemevoirendanger.CassieetDan,eux,sefaisaientengloutirparunecouléedelaveetn’y survivaientpas. Je me réveillai avec l’impression de flotter au-dessus de mon lit. Quand elle se fut dissipée, je risquai un œil par-dessus ma couette, étonnée de sentir un souffle glacial sur mon visage. Je tressaillis : la fenêtre de ma chambre était encore grande ouverte et les rideaux battaient au vent ! Pourtantdepuislesoirdemonanniversaire,jeprenaissoindebienlaverrouilleravantd’allerme coucher… Je sortis de mon lit pour aller la refermer, et me figeai : une plume d’un noir de jais, longue commemonavant-bras,dansaitsurleparquet.Jen’avaisjamaisrienvudetel! Alorsquejemebaissaispourlaramasser,uncoupdeventrabattitlerideaucontremonvisage,et laplumes’envolaparlafenêtre. Queloiseaupouvaitbienavoircegenredeplumes? Jesecouailatête:desévénementsinexplicablessesuccédaientdepuismonanniversaire,commesi, enquittantleBeancesoir-là,j’avaispénétrédansunmondeparallèle… Jepassailajournéeàlire;enfind’après-midi,jepartismepromener. À un moment, je crus entendre une branche craquer derrière moi. Je me retournai d’un bloc : personne.J’étaisseule. Cettenuit-là,jerêvaiquemesparentsmenarraientl’histoirequ’Ashernousavaitracontéelorsde laveillée.Troublée,jevoyaismessouvenirsseconfondreavecmessonges,etmessongesprendrela formedesouvenirs. Lelundimatin,Cassiem’attendaitsurleparkingdulycée.Ellem’enlaçadèsquejesortisdema voiture. —Toutvabien?s’exclama-t-elle.Est-cequeJot’aconduiteàl’hôpital? —Jel’aiconvaincuedenepaslefaire.Maispréviens-moisitumetrouvesbizarre. —Euh…Çafaitdéjàplusieursjoursquejetetrouvebizarre! —J’aiétéunpeudistraite,c’esttout,prétendis-jeenriant. Cassiemelançaunregarddubitatifmaisnes’attardapassurlesujet. —Comments’estpasséleresteduweek-end?demandai-jeenavançantverslelycée. —Bof…C’étaitmoinsbienaprèstondépart.Saufquemaintenantj’arriveàdescendrelapistedes poussinssansmevautrer. —Waouh!commentai-je,amusée. Maisj’avaisbesoindeposerunequestionenparticulier.Jeprisuntondétaché. —Sinon,c’étaitcommentavecDevinetAsher? —Ilssontpartisquelquesheuresaprèstoiàcaused’uneurgencefamiliale.Enfin,c’estcequej’ai entendudire. Jem’arrêtainetetsaisislebrasdemonamiepourlaplacerenfacedemoi. —Quoi?Ilsnesontpasrestés? —Non.Qu’est-cequiteprend,Skye? —Etilssontrepartiscomment? Cassiehaussamollementlesépaules. —Quelqu’unadûvenirleschercher;c’étaitaubeaumilieudelanuit.Quelleimportance? Quelle importance ? Tout ceci n’avait rien d’anodin ! Et je comptais bien obtenir les réponses à mesquestions… Comme un fait exprès, les deux cousins arrivèrent en retard au cours de Mlle Manning. Asher débouladanslasalledeclasseenarborantsonsourirecharmeur,suiviparDevin,quiévitaleregard denotreprofesseur. Enpassantprèsdemoi,Ashermescrutaavecattention,etjesentislesangafflueràmesjoues. Devins’installaàcôtédelui. —Çava?articula-t-ilensilence. —Ilfautqu’onparle,répondis-jedelamêmemanière. Je crus que le cours ne s’achèverait jamais. Quand la cloche sonna enfin, j’étais devenue une véritablebombeàretardement. Prisedanslacohuedesélèves,j’eusdumalàdistinguerlesdeuxgarçons:ilss’étaientvolatilisés. JefinispartrouverAsherprèsdemoncasier.Jeluisaisislebraspourl’entraînerversunesallede classedéserte. —Oh,Skye,ironisa-t-ilalorsquejeleplaquaiscontrelaporte.Moiaussi,j’enaitrèsenvie,mais pasici!Etpasmaintenant! —Ilfautqu’onparle!dis-je,ignorantsessarcasmes. Seulement, perdue dans son regard, je n’arrivais pas à faire abstraction du contact de sa peau contrelamienne.Moiaussi,j’auraisvoulumetrouverdanscettesallepourunetoutautreraison…Je refoulaiaussitôtcetteidée. —Maintenant,cartessurtable!lançai-je.Lachaudièrequiexploselesoirdemonanniversaire,le feu que tu fais apparaître dans mes paumes, ma cheville soignée par Devin, le fait que tu connais l’histoirequemesparentsmeracontaientavantdememettreaulit…Tum’expliquescequisepasse? Ashernesouriaitplus.Jeserraisonbrasunpeuplusfort,maisilsedégageaetavançadanslasalle vide. L’énergie que j’avais accumulée dans la journée m’abandonna soudain, et je m’écroulai sur une chaise. Ashersepassalamaindanslescheveux. —Jesuisdésolé,bafouilla-t-il. —Alors,parle!Sitoutçaaunrapportavecmesparents,jesuisendroitdesavoir. —Jecomprendscequeturessens.Etj’aimeraispouvoirtouttedire,maispasici.SijamaisDevin nousvoit… — Je me fous de Devin ! hurlai-je. Je veux comprendre ! Est-ce que ça a un rapport avec mes parents? —D’accord,admit-il,l’airdéfait.Rejoins-moisurletoitaprèslescours,etjeteraconteraitout, promis.Peut-êtrepasd’uncoup,parcequ’onneconnaîtpasencoreles… —Qui,«on»?Devinettoi? Ilsemitàfairelescentpasdanslapièce. —Jepeuxrientediredepluspourl’instant.C’estlaseulerèglequej’aipromisdesuivre. —Bien.J’espèrepourtoiquetuserasaurendez-vous! Jemelevaipourpartir,ilmepritalorslamain. —Jesuisdésolé,répéta-t-il. Ilparaissaitsincère.Maisquevoulait-ilsefairepardonner,aujuste? Jenageaisenpleineconfusion. Jeretiraimamainetsortis. Lerestedelajournéenefutqu’unamalgameobscurd’équationsetdedateshistoriques.Lesnerfsà vif, je ne pensais qu’à Asher et à sa promesse. J’espérais qu’il me révélerait des détails sur mes parents.Laressemblanceentreleurshistoiresetcelled’Asherétaittroublante.Ilfallaitquejesache! Pendantledéjeuner,Cassieparladuweek-end. —TuvoisTrey,lemecdemongroupe?Ilestplutôtpasmal,tunetrouvespas,Skye?J’aimebien seschemisesàcarreaux,c’esttellementdécalé! —Trey?s’étranglaDan.TuespasséeàTrey,maintenant?EtlesdeuxrigolosdeDenver? —DevinetAsher?Ilsnem’intéressentpas.Enplus,AshersortavecEllie. —Ahbon?fis-jeenfeignantl’indifférence. —Jet’avaisditdeposeruneoptionsurlui,mavieille!réponditCassied’unairdégagé.Maistuas foiré ton coup. Ellie a annoncé à ses copines qu’Asher et elle, c’était officiel. Et il paraît qu’il embrassesuperbien… Lerougememontaauxjoues.Jejetaiuncoupd’œilverslatablequ’Asheroccupaithabituellement avecsonfan-club:elleétaitvide. Quellenulle!Pendantquejeressassaismessouvenirs,Asherenavaitprofitépourserapprocher d’Ellie. Etpourquoicelamefaisait-ilautantd’effet,d’ailleurs? CassieobservaDan,puisreportasonattentionsurmoi. —Désolée,Skye.Jenevoulaispas… —JeneressensrienpourAsher,l’interrompis-je.Et… —JesaisqueçaaétédurquandJordant’atrompéeavecMeganBirch,mecoupa-t-elleàsontour. Mais là, tu ne peux pas rejeter la faute sur Asher. Tu l’as envoyé promener chaque fois qu’il s’approchait de toi. Tous les mecs ne sont pas des Jordan en puissance ! Parfois, il faut savoir sacrifierunpeudesafiertépourtomberamoureux. —Etcommenttupeuxlesavoir,alorsquetun’asjamaisvécudegrandehistoired’amour? —Jel’ailudansCosmo. Il faut se montrer un peu vulnérable pour permettre à l’autre de mieux nousconnaître.C’estcompliqué,l’amour.Tiens,regardelalégendequenousaracontéeAsher. —Arrête!Jemefiched’Asher,dis-jed’unevoixmorne. —Alors,Devin?Jevousaivusparlerencourscematin. —Onaàpeineéchangédeuxmots. —N’empêche,tucraquespourl’undesdeux!Tuparaissaistellementsoulagédelesvoirarriver cematin. —J’étaiscontentedeconstaterqueleur«urgencefamiliale»n’étaitpassigrave. J’alignais les mensonges, et ma culpabilité ne diminuait pas. Moi qui avais toujours été honnête avecmameilleureamie… Quandlaclochesonnaenfinlafindescours,jemeruaidansl’escalierquimenaitautoit.Avant d’ouvrirlaportecoupe-feu,jem’arrêtai:etsiAshern’avaitpastenusapromesse? Maisilétaitbienlà. EtDevinaussi. 16 Adossé contre un château d’eau, Devin – lèvres pincées et bras croisés – ne dégageait pas sa sérénitéhabituelle. Asher,lui,jouaitleséquilibristesauborddutoit,brasàl’horizontale.Repenseràsarelationavec Ellieaprèstoutcequis’étaitpassépendantleweek-endmedonnaitlanausée. Je décidai de la jouer décontractée, comme si les révélations qu’ils s’apprêtaient à me faire me laissaientindifférente. —Tuveuxsauter?demandai-jeàAsher,unemainsurlahanche. Touslesdeuxfirentvolte-face,etAsherdescenditdelacorniche. —Pasencore. — Est-ce qu’il t’a dit quelque chose ? m’interrogea Devin en foudroyant son cousin du regard. Qu’est-cequetusaisàproposdetoutecettehistoire? —Rien,répliquai-jeenmetournantversAsher.C’estpourçaquejesuisici. —Tuvois,jetel’avaisdit!lançaAsheràsoncousin.Tucroisqu’ondevraitluimontrertoutde suite? —Memontrerquoi? —Jenesaispassielleestprête,fitDevin,sourcilsfroncés.Ellepourraitavoirunchoc. —J’aisurvécuàuneavalanche!m’exclamai-jeenessayantdedissimulermonangoisse.Jepeux toutencaisser. Les deux cousins échangèrent un regard. Je restai immobile, la gorge serrée : il valait peut-être mieuxquejenesacherien… Devinhochalatête. —Bien.Mais,quoiqu’ilarrive,nepaniquepas. J’allais acquiescer quand je sentis une onde de chaleur me traverser, comme au moment où le chauffages’étaitallumédanslecar.Puisunelumièreéblouissanteapparutdevantmoi.Aveuglée,je meprotégeailesyeuxetdétournailatête. À travers mes paupières closes, je vis la lueur s’atténuer. La chaleur se dissipait, elle aussi. Je rouvrislentementlesyeux… AsheretDevinsetenaientenfacedemoi,côteàcôte. Etilsavaientdesailes. Oui,degigantesquesailesjaillissaientdeleurdosenunegerbedeplumes.CellesdeDevin,d’un blancpur,contrastaientaveccellesd’Asher,d’unnoirprofond. —Alors?demandacedernier.Qu’enpenses-tu? J’en pensais que c’était impossible. Et, pourtant, j’avais la preuve sous les yeux. La vision était envoûtante,magnifique. J’avançailamainpourtoucherunedesailesd’Asher. Devinéclataderire–unrirequejen’avaisencorejamaisentendu,etdontlamusiquemeprocura unejoieinexplicable.C’étaitsibondelevoirheureux!Sonvisagenem’avaitjamaisparuaussibeau. —Jet’avaisprévenuequetuauraisunchoc,lança-t-il. —Je…Çava,prétendis-je,alorsqu’envéritéçan’allaitpasdutout. Sonnée,haletante,j’auraisvoulum’asseoirou,aumoins,trouverdequoimeretenir.Ilfallaitque jerestevigilante,aucasoùjedevraisfuir. —Mais…quiêtes-vous? Asherricana. —Tuvoulaissavoircommentjepouvaisconnaîtrel’histoiredetesparents. —Oui,ettunem’astoujourspasexpliqué! —Jelaconnaisparcequec’estaussilamienne. —Lanôtre,rectifiaDevin,etcelledetesorigines. 17 Lecielsemitàtournoyerau-dessusdemoi. —C’estuneblague?soufflai-je. Livide,DevinsetournaversAsher. —Jem’endoutais!s’écria-t-il.Tun’aspasput’empêcherdeluifairepeur! —Arrêtez,vousmefaitesflipper!C’estpasdrôle! —Cen’estpascenséêtredrôle,déclaraAsherens’approchantdemoi.Ils’agitdetonpatrimoine, Skye. Letoittanguaitsousmespieds;jeperdisl’équilibreettombaiàgenoux. —Çavaaller,murmuraAsher,penchésurmoi,unemainsurmondos. — Est-ce que… est-ce que tu insinues que le Rebelle et la Gardienne de ton histoire sont… mes parents? AsherlevalesyeuxversDevin,commeàlarecherchedesoutien.Devinhochalatête,etsesailes se replièrent avec grâce dans son dos avant de disparaître. Sous le choc, la poitrine oppressée, je restaiinertesurlebéton. —Je…j’arriveplusàrespirer.Asher? —Jesuislà,toutvabien. —Il…ilfautquejerentre. Devinm’aidaàmerelever. —Jeteraccompagne,dit-il.Jen’auraispasdûtefaireconfiance!lança-t-ilàAsher.Tuasencore trouvélemoyendetoutgâcher. Je voulais défendre Asher, mais je ne savais pas ce que Devin sous-entendait. De quoi parlait-il, exactement?Qu’essayaient-ilsdemedire?Quelalégendeétaitréelle?Danscequ’Ashernousavait racontépendantlaveillée,ilavaitétéaussiquestiondeparadis…Jetrébuchai,etDevinmerattrapade sesbraspuissants. Ilmeconduisitàlaportecoupe-feu.Avantdem’engagerdansl’escalier,jemeretournai:Asher repliait ses ailes noires, dont les plumes captèrent les dernières lueurs de l’après-midi avant de se fondredanssondos. Des milliers de pensées contradictoires me traversèrent l’esprit tandis que nous rejoignions le parkingdanslanuittombante. Je n’étais pas comme les gens que j’avais côtoyés toute ma vie durant. Désormais, je portais un lourdsecret.Silourdqu’ilmenaçaitdemeconsumer. Jefrissonnai.Devinretirasonblousonpourlemettresurmesépaules. —Merci. Ilnedisaitrien.Detempsentemps,jecommençaisunephrase,maisnelafinissaispas,lalaissant planerdansl’airnocturne. Enfin,Devinsetournaversmoi,levisageéclairéparunlampadaire. —Toutestarrivésivite!Bienplusvitequejel’auraissouhaité. Puisnousnouséloignâmesduhalodelumière,etDevinparutsoulagéquejenepuissepluslevoir. —Situasdesquestions,n’hésitepasàmelesposer. Nousétionspresquearrivésàmavoiture. —Quellecréaturees-tu? Jeleleuravaisdéjàdemandé,maisl’uncommel’autrenem’avaientpasrépondu. —UnGardien.Unmessager. Latêtesemitàmetourner. —Finalement,jecroisquejenesuispasencoreprêteàtoutentendre,lâchai-je. Devinn’ajoutarien. —Est-cequel’écolequiabrûléàDenveraréellementexisté?voulus-jesavoir. — Oui, mais nous n’avons jamais été scolarisés là-bas. Nous avons falsifié nos dossiers. C’était uneidéed’Asher;onavaitbesoind’uneexcusepourdébarquericienmilieud’année. —Etpourquoimaintenant? — Parce que tu viens d’avoir dix-sept ans. Les Anciens ont toujours pensé que quelque chose risquaitd’arriveràcemoment-là. —Quoi,parexemple? — Ils l’ignorent. On m’a envoyé pour te protéger. Bien entendu, les Rebelles n’avaient pas confianceenmoi,alors,deleurcôté,ilsontdépêchéAsher. Voilàquiexpliquaitlarivalitéentrelesdeuxgarçons! —Vousn’êtespascousins,ducoup? —Nousavonssansdouteunlointainancêtreencommun,maisriendeplus. Je me rendis soudain compte que j’étais exténuée. La fatigue accumulée ces derniers jours me coupaitlesjambes.Jem’appuyaicontreunevoitureenstationnement,uneSaabbleue. —Jen’enpeuxplus. —Net’enfaispas.Prendsletempsdetoutdigérer. Jecommençaiàpleureretdétournailatête,gênée.Devinremarquameslarmesetilpassaunbras autourdemesépaulescommepourmetransmettresaquiétude. —Çavaaller,Skye.C’estpourcetteraisonquejesuisici.Pourterassurer. J’enfouismonvisagedanssontorse,surprisemoi-mêmeparcegeste.Ilmeserracontrelui. —Votrebagarre,auBean,lesoirdemonanniversaire…C’étaitàcausedemoi? Ilseraiditunpeu. — Oui. Asher est entré en contact avec toi avant le moment prévu, bousculant l’Équilibre des Chosesetcausantlechaos.C’estcequej’aiessayédetedire.Asherestdangereux. «Dangereux».Maisdansquelsens?DangereuxparcequedifférentdeDevin?Dangereux,vule genre de personne – ou de créature – qu’il était ? Ou bien… dangereux à cause de l’effet qu’il produisaitsurmoi? —Est-cequeçava?medemandaDevinauboutd’unmoment. —Non,sanglotai-je.Vraimentpas. Ilmecaressaledos,etj’éprouvaiunesensationdecalme. —Jen’aipasbienconnumesparents.Ilssontmortsquandj’étaispetite.Jenesaismêmepassiles souvenirs que j’ai d’eux sont réels. Et vous, vous arrivez, et vous détruisez tout sur votre passage, et… Jen’achevaipasmaphrase.Commentexprimercequejeressentais? JemedétachaideDevinetplongeaimesyeuxdanslessiens.Ilmeregardacommes’ilmevoyait pourlapremièrefoisetm’effleuralajoueduboutdesdoigts. —Tuesunique,Skye…Àunpointquejen’auraisjamaisimaginé. Ilsecrispaetrecula. —Ilfautquej’yaille,lâcha-t-ild’untondistantquimesurprit.Onsevoitdemainencours. —D’accord. — Je sais que tu es épuisée, ajouta-t-il d’une voix tendre, l’air de culpabiliser. Mais tu devras bientôtaffrontertadestinée. —Etsijen’enaipasenvie? Ilnesouritpas:ilprenaitsamissiontrèsausérieux. —Leschosesserontplussimplessituacceptestadestinée. —Plussimplepourqui? —PourTOUTlemonde,crois-moi.Jetiensàtoi,plusquejeneledevrais.Jedésirecequ’ilyade mieuxpourtoi. —Etcommentpeux-tusavoircequiestmieuxpourmoi?objectai-je.Onseconnaîtàpeine! — L’Ordre est maître de notre destinée ; il nous guide. Ça nous permet de vivre sans aucune crainte. Voilàpourquoiilavaittoujoursl’airsizen.Àquoiressemblaitunmondeoùlapeurn’existaitpas? Auparadis? —Çavaaller,pourconduire? J’étaisencoretouteretournée,maisjen’avaispluslevertige. —Jecroisqueoui. Devinlevalamaincommepourmetoucherlajoue,puissemblaseraviseretlaissaretomberson bras. —Jesaisquecettesituationt’effraie.Maisrepenseànotreaprès-midisurlesentier,quandons’est assissurlesrochers:cecalme,cettepaix.L’Ordreressembleàça,enmieux.C’estbeau,Skye.Tune devraispasenavoirpeur. —Onsevoitdemain?bredouillai-je. Il hocha la tête, puis, avec un léger sourire, s’en alla. Je le laissai partir à contrecœur. En m’installantdansmavoiture,j’éprouvaicettedrôled’impressionquej’avaisressentiequandAsher m’avaitobservéelejourdelarentrée.Jemeretournaipourvérifiers’ilmesuivaitdenouveau. Cettefois,ilnes’agissaitpasd’Asher. À quelques rangées de moi, j’aperçus une superbe blonde qui se tenait près de la Saab contre laquelle je m’étais appuyée quelques minutes auparavant. Elle me dévisageait de ses yeux bleus perçantsetfroidsquimeparurentfamiliers.D’instinct,jeclaquailaportièreetlaverrouillai. Enrelevantlatête,jeconstataiquel’inconnueavaitdisparu. 18 Le lendemain matin, j’eus un mal fou à me lever. Je me traînai dans la cabine de douche et fis couler de l’eau bouillante, la tête en arrière, les yeux grands ouverts. Les événements de la veille étaient-ils le fruit de mon imagination ? Et ceux des jours précédents ? Ce que Devin et Asher m’avaientracontéétaitdément!Et,malgrélachaleurdelasalledebains,jefrémisenpensantàla questionquis’insinuaitdansmonesprit:sil’undemesparentsétaitunGardiendel’Ordreetl’autre unRebelle…moi,j’étaisquoi? Commentavais-jepuvivredix-septannéessansjamaism’apercevoirderien? À bien y réfléchir, la seule solution, c’était de ne pas croire Devin et Asher, de suivre mon petit bonhommedechemincommesiderienn’étaitetd’attendrequeleschosess’arrangentcommepar magie. Alors, je redeviendrais la bonne vieille Skye Parker, star de l’équipe de ski de Northwood Highetfutureétudianteàl’universitéColumbia. Maiscommentreprendreunevienormale,avecautantdequestionsrestéessansréponse? MaintenantqueDevinetAsheravaientouvertlesvannes,rienneredeviendraitcommeavant… Enquittantmachambre,j’attrapaileblousondeDevinposésurlachaisedebureau. TanteJoavaitlaisséunmotsurlatabledelacuisine: Salut,princesse, J’aiunerandonnéeàpréparerpourceweek-end,alorsjerentreraitardcesoir.Pourledîner,serstoidessurgelésdanslecongélo. Bisous,Jo. Unevaguedesoulagementmetraversa.HeureusementqueTanteJoétaitabsente.Sinon,comment luiexpliquerquelafillequ’elleavaitélevéecesonzedernièresannéesn’étaitpascellequ’ellecroyait ? Je voulais déposer le blouson de Devin avant le début des cours, mais en m’avançant dans le couloir, je sentis mon cœur s’emballer. Il se tenait près de son casier, en pleine discussion animée avec la blonde que j’avais aperçue sur le parking. Je faillis faire demi-tour ; mon instinct me commandacependantd’écoutercequ’ilsseracontaient.Jemecachaiderrièrelarangéedescasierset tendisl’oreille. —Raven!Jen’arrivepasàcroirequetusoislà!disaitDevin.C’estdangereux.Etsijamaisils apprennentquetuesici?C’estuncomportementdigned’un…Rebelle. Ilprononçalederniermotavecunepointeaccusatricedanslavoix. —Excuse-moidem’inquiéterpourtoi!lâchalafille.Detoutemanière,ilssontaucourantdema présence ici, et ils se font du souci pour toi. S’il te plaît, Devin, reviens ! Demande aux Élus de confiercettemissionàquelqu’und’autre.Peut-êtrequ’ilst’écouterontsitulessuppliesde… — Quelqu’un d’autre ? l’interrompit Devin d’un ton sec. Que je les supplie ? Et pourquoi cette fois-ciserait-elledifférentedesprécédentes?Jefaiscequ’onm’ademandédefaire,point.Onena parléavantmondépart,ettusavaisquejeseraisabsentlongtemps.Onsereverrabientôt,d’accord? Ilfautjustequetu… —Bientôt?Tuplaisantes!dit-ellesibasquejel’entendisàpeine.Tuconnaiscegenredemission, ettusaisquecelle-ciestspéciale. —Jem’ypréparedepuislongtemps,Raven.Jesuisbienentraîné. — Et nous, dans tout ça ? On est censés être ensemble… En plus, cette fille me fiche la trouille. J’aimeraisquetuprennestesdistancesavecelle. Ilsparlaientdemoi!Commentpouvais-jeimpressionnerunefillepareille? —Tusaisbienquec’estimpossible. —Alors,n’oubliepaslalégende.Ilyatantdechosesqu’onignoreencoreàsonpropos.Onnesait mêmepasdequoielleestcapable!… —Tuaspeur! —Jenepeuxpasressentircetteémotion! Elleavaitditcettephrasecommeelleseseraitplainted’êtremauvaiseenmaths. —Parcequel’Ordreteprotège.Tuneterendspascomptedudangerquiplaneici. —Jepeuxcomprendreledanger,mêmesijeneressenspaslapeur.Jem’inquiètepourtoi,c’est pourcelaquejesuisvenueici. —C’étaitinutile.Jedoisallerauboutdemamission. —Mais… —Onm’achoisi.C’estunhonneurauqueljenepeuxpasmesoustraire. Moncœurbattaitàtoutrompre. —Devin,rentreàlamaison,suppliaRavend’unevoixtremblante. —Non,onseretrouveraàmonretour. —Siturentres… —Jerentrerai,affirmaDevin.Sijevaisauboutdemamission,jegagneraileurrespect. —Etsiturentres…enfin,quandturentreras,onsemariera? —Tusaisbienqueoui. Ilyeutunsilence. —Situnet’enoccupespas,jeleferaimoi-même,déclaraRaven. J’entendislebruitdesespas. Qui était cette fille ? Une Gardienne, à en croire leur conversation. « Tu connais ce genre de mission.»Qu’est-cequecelasignifiait?Deplus,Devinetcettefilleétaientcensésêtreencouple,et pourtant…Bref,leurdiscussionm’avaitcomplètementdéroutée. Jesortisdemacachette.Devinétaittoujoursdevantsoncasier,lesyeuxperdusdanslevide. Jem’approchaidelui.Devais-jeluiavouerquej’avaistoutentendu?Jen’euspasletempsdeme décider:ilfitvolte-faceetmefusilladuregard.Puisilclaqualaportedesoncasieretm’arrachason blousondesmainsavantdepartirentrombe. 19 —Tuesdanslalune,remarquaCassieavantd’attaquerseslégumesàlavapeur.Ettuasdescernes. Çava? Lacafétériafourmillaitdelycéens. —Jen’aipastrèsbiendormicettenuit,dis-jeenbâillant. — C’est peut-être un stress post-traumatique dû à l’avalanche. Tu devrais le signaler à la conseillèred’éducationpourqu’elletetrouveungroupedeparole.J’enailachairdepoulequandje repenseàcequit’estarrivé. Siellesavaitàquelgenredeproblèmej’étaisconfrontée… —Non,jem’ensuisremise,net’enfaispas. Jejetaiuncoupd’œilmachinalsurlestablesalentour.Asherétaitàsaplacehabituelle,entouréde sesgroupies.Ilsemblaitdifférent,malgrétout.Quandilcroisamonregard,sonexpressionredevint sérieuseetilarticulaun:«Çava?»enmefaisantunsignedelamain. Jedétournailesyeux,incapabledelesaluerenretour.Pourquoimerendait-ilaussinerveuse? —Alors,tunemedemandespascomments’estpasséemajournée?poursuivitCassie. —Quoi? —Onparlebeaucoupdetoicesdernierstemps.Tulemérites,biensûr,surtoutaprèstonaccident. Mais… Ellesemorditleslèvres,unticquejeconnaissaisbien. —Oh,jesuisdésolée!m’exclamai-je.J’espèrequetun’espasencolère. —Non,jetelefaisremarquer,c’esttout. —Si,tul’es. —Oui,unpeu. Jeposaimonsandwichsurlatable. —Alors,Cassie,comments’estpasséetajournée? —C’étaitgénial!LesEllipsesMystérieusesdonnentunconcertlasemaineprochaineauBean. —Lesquoi? —LesEllipsesMystérieuses.C’estlenouveaunomdenotregroupe.Ilteplaît? —Oui,c’esttrès… — Trey trouve ça ridicule, dit-elle d’un air qui trahissait sa désaffection subite pour le pauvre garçon.Jetrouveçapêchu.LesSomnambules,c’étaitnul. —Maispourquoides«ellipsesmystérieuses»? —Parcequelesellipses,c’estforcémentmystérieux. —EtquandjouerontlesEllipses? —LesEllipsesMystérieuses,rectifiaCassie. —Parcequ’ondoitdirelenomenentierchaquefois? —Oui,sinonçaneveutriendire.Enfinbref,ilfautquetuviennes,çavaêtreénorme! — Bien sûr que je viendrai. Comment pourrais-je rater le premier concert des Ellipses Mystérieuses? J’avais du mal à faire la conversation tant j’avais l’esprit ailleurs. Au reste, Cassie semblait distraite, elle aussi. Elle regardait par-dessus mon épaule dès que quelqu’un passait derrière moi, maisj’étaistropfatiguéepourtenterdedevinercequilatracassait.Jebâillaidenouveau. —OùestDan? —Quoi?demandaCassie.Pourquoi? —Commeça. —Quisaitcequecemecfaitdesontempslibre?marmonna-t-elle. J’auraistantvoulupouvoirparlerdelaconversationentreRavenetDevinàCassie.Toutdevenait deplusenplusconfus,étrangeetimpossibleàcroire.IlfallaitquejediscuteavecAsher.Jesavais qu’ilmediraitlavérité. Alorsquejerangeaismeslivresdansmonsacàdosavantderentrerchezmoi,Ashersurgitàma gaucheetDevinàmadroite. —Viens,meditAsher.Onvamarcherl’airderienetavoiruneconversationconfidentielle. —Encore?ironisai-jeenprenantuntondétaché. Enréalité,j’avaisl’estomacnoué.Jenesavaispasquellequantitéderévélationsdémentesj’allais encorepouvoirencaisser. —Tuasbesoind’ensavoirplus,ditDevin. —Passûr!rétorquai-je,excédée. —Ducalme,fitAsherdesonairtaquinhabituel.Onnet’apastoutdithier.Situn’avaispasun seuildetoléranceaussibas,onn’auraitpaseubesoind’unedeuxièmeséance. —Tuesinsupportable,rétorquai-je. Illevaunsourcil. —Sansblague?Bon,pasdepanique.Onestlàpourt’aider.Oui,jesais,çanesevoitpas.Mais, crois-moi,onneteveutaucunmal. Nousvenionsdepasserlaported’entréedulycée,etlesoleilaveuglantmepiqualesyeux.Jelevai lamainpourmeprotéger. —Oùva-t-on? —Àl’entraînement,réponditDevin. —Hein?Pours’entraîneràquoi? —Àutilisertespou…,commençaAsheravantderemarquerleregardassassindeDevin.Enfin,à utiliserdestrucs. —Oh,super,marmonnai-je.Mestrucscommençaientjustementàrouiller. — C’est toi qui conduis, dit Devin en mettant des lunettes de soleil et en se dirigeant vers le parking. Unefoissonrivalhorsdeportée,Ashersepenchaversmoi. —Skye,souffla-t-ilpouréviterd’êtreentenduparlesautreslycéens.Jesaisquetuesencoresous lechoc,ettuasledroitdetemontrerméfiante.Maisfais-moiconfiance,d’accord? —Jenesaispas…dis-jeenrepensantàEllie,etàJordan. Pouvais-jefaireconfianceàAsher?Non,pasencore…Jenesavaisrienàsonsujet! —Jeveuxjustet’aider,reprit-il,surladéfensive,avantdedévalerlesmarches. Aprèsuninstantd’hésitation,jelesuivis. Nousquittâmeslavilleetroulâmesjusqu’àunchampoù,selonDevin,personnenenousverrait. Nousmarchâmesensilencesurl’herbeverglacée,DevinentêteetAsherderrièremoi.Ilfautdireque j’étaisbientropnerveusepouralignertroismotsintelligibles. Nousapprochâmesd’unsentierquiserpentaitàtraversbois. Devinsetournaversmoi. — Avant de commencer, reprenons depuis le début. Tes parents sont les nomades dont Asher a racontél’histoire. Jehochailatête,lecœurbattant. —Etmoi,danstoutça? —Tuesleurfille,et… IllançaunregardàAsher,quiluifitunsignedetêteenguised’approbation. —Pourquetucomprennesbien,ilfautqu’onterévèlelavérité,dit-il. —Parcequevousmementezdepuisledébut? —Arrêtedefairel’enfant. —Facileàdire!Vousêtesentraindedétruiretouteslesfondationssurlesquellesj’aiconstruitma vie!Jecroisavoirledroitdemerebeller! Asherm’adressaunsourirechaleureux. — J’aime bien les rebelles… Bref, l’Ordre, commença-t-il, supervise la Terre. Mais ses membres…neviennentpasd’ici. —Jel’avaisbiencompris,rétorquai-jesanscachermonimpatience. —Nousnesommespasdescréaturesterrestres,intervintDevin.Noussommes… Jefermailesyeux,sachantdéjàcequ’ilallaitdire. —Vousêtesdesanges,n’est-cepas? —Oui,sionveut,répondit-il.C’estcompliqué…Sic’estplusfacilepourtoidenousconsidérer comme des anges, alors, soit. En réalité, on nous appelle des Malakh, autrement dit des messagers. Nouspermettonsaumondedefonctionner.Parcontre,ilyaénormémentdefausseslégendesànotre sujet. Merappelantcequ’avaitditDevinàproposdelapersonnalitéd’Asheretdesestendancesdehorsla-loi,jemetournaiverslui. —TuesunRebelle?Tuasquittéleparadis?Alors,tuesunangedéchu? Ilhochalatête: —C’estàpeuprèsça. —Donc,monpèreétaitl’undestiens? —Oui,jusqu’àcequ’il… —Jusqu’àcequ’ilrencontremamère,jesais. Lespiècesdupuzzlecommençaientàsemettreenplace. —Ettuesunmessager,toiaussi? — Oui. On m’envoie souvent en mission de contre-espionnage, comme on dit sur Terre. Tu connais la loi de Newton ? « Tout corps exerçant une force sur un autre corps subit une force d’intensitéégaleetdemêmeréaction,maisdesensopposé,parl’autrecorps.» —Hum,oui? — Eh bien… Si tu considères les Gardiens comme des messagers du destin dont la tâche est de fairerégnerl’ordreetl’équilibreetquimanipulentleshumains…alorsnous,noussommeslaforce supposéelesenempêcher.Nousavonsnotrepropresystèmedepoidsetdecontrepoids. — « Manipuler » est un bien grand mot, Rebelle, souligna Devin. Tu es sûr de vouloir te lancer danscegenrededébat? —J’aimeraisbeaucoup,maisnousdevonsnousconcentrersurSkye,répliquaAsher. —J’aiuneautrequestion,lescoupai-je.SimamèreétaituneGardienne,etmonpèreunRebelle,et s’ilsétaienttouslesdeuxdesangesavantdedevenirmortelsetdememettreaumonde…qu’est-ce quejesuis,aufinal? —C’estexactementlaquestionquel’onsepose,réponditDevin.Tuesdifférente.Unique.Tues l’enfantcoincéeentrel’OrdreduMondeNatureletleChaosquiessaiedelerenverser.Tadestinée, ainsiquetespouvoirsnoussontinconnus. —Mespouvoirs? —Oui,fitDevinensouriantpourlapremièrefoisdel’après-midi.Tupossèdesdespouvoirs. 20 Unventfroidbalayaitlechamp. Jefrémis. —Quelgenredepouvoirs? —Commenousnesommespashumains,nousavonsdespouvoirs.Noussommesnésavec,eten avonsdéveloppéd’autresparnécessité. —Tufaisdesraccourcis,là,intervintDevin,maislefondrestevrai.LesÉlussontnésaveclaVue, commenoustel’avonsdéjàappris.EtlesGardiens,eux,ontd’autresdons.Ilsnevoientpaslefutur, mais ils influencent l’esprit des gens. Cette aptitude nous est utile par exemple pour soigner la douleur. —Alors,tuasbienguérimacheville!m’exclamai-je.Jesavaisbienquejen’étaispasfolle! —Tuesloind’êtrefolle,déclaraDevin.Parcontre,jen’auraispasdûtemontrercetouravantde t’avoirappristacondition.Jesuisdésoléde… —Del’avoireffrayée?lecoupaAsher. —Précisément. —Oh,tupeuxparler,toi!lançai-jeàAsher.Tum’asfichulesjetonsquandtuasfaitapparaîtreta flammedanslagrotte. —Tuluiasmontrétespouvoirs?éclataDevin. —Tuauraispréféréquejelalaissemourirdefroid? —Tuesincorrigible! —Dixitlemecquiajouélesguérisseurs,ripostaAsher. —Onm’adonnél’ordredelaprotéger. —Àmoiaussi! — Dites, on ne pourrait pas remettre ce combat de coqs à plus tard ? m’impatientai-je. Tiens, Asher,parle-moidespouvoirsdesRebelles.Est-cequetuasremarquédeschangementsdepuisquetu asquittél’Ordre?As-tutoujourslesmêmespouvoirsqueDevin? — La volonté de te surveiller et te protéger est tout ce que Devin et moi avons en commun, me réponditAsher.QuandlaRébellions’estdétachéedel’Ordre,sesmembresontperduleurspouvoirs d’origine.Maisauboutducompte,ilsontfiniparendévelopperd’autres,quileursontpropres.Ils les ont puisés dans la terre, l’eau, le feu, la pluie. Nous pouvons déclencher des tempêtes. Nous disposonsd’unarsenalinfailliblepourcombattrelamanipulationmentaledel’Ordre. —C’estincroyable!soufflai-je. —Mais,ça,c’étaitbienavantquej’arrive.Nouspossédonscespouvoirsdepuisdescentainesde milliersd’années. —Vousêtesvraimentimmortels?demandai-je. —Disonsquenousn’avonspaslemêmeprocessusdevieillissementqueleshumains,ditDevin. —Lesangesnesontpasdesdieux,ajoutaAsher.Onnaît,onvieillitetonmeurt,maispasaumême rythmequelesTerriens. —Alors,vousn’avezpasmonâge? —Jen’aiplusdix-septansdepuislongtemps,fitAsher,rêveur. Celam’attrista:àquoiressemblaitlaviedequelqu’unquiavaitétéspectateurd’aussinombreux changements? — Sans être humain, nous partageons certaines caractéristiques avec vous. Physiquement, on se ressemble.Nouscomprenonsetparlonsdenombreuseslangues,ditDevin. — Si je possède des… des pouvoirs, de quoi il s’agit ? Est-ce que je vais devenir un ange, moi aussi? J’hésitaiuninstantavantdeposerladernièrequestion: —Jeneseraiplusjamaishumaine? — Tu es déjà différente des autres, répondit Asher. Tu es plus rapide et plus puissante que la moyenne.Regarde,tuasremportétoutestescoursesdeskicettesaison. —Oui,parcequejem’entraînecommeunedingue! La sportive que j’étais refusait d’admettre que je disposais d’un avantage par rapport à mes adversaires. Sinon je devrais rendre sur-le-champ toutes mes coupes et médailles. Mais sous quel prétexte?Jenepouvaistoutdemêmepasavouerquej’étaisdopéeauxgènesd’ange! —Passeulement,poursuivitAsher.Tuasétéemportéeparuneavalanche,ettut’enessortieavec unesimplefoulure. —…quejen’aipaspuguérirtouteseule,luifis-jeremarquer. —Peuimporte.Lesimplefaitd’avoirsurvécutientdumiracle.Tespouvoirsnesontpasencore biendéfinis,continuaAsher.Nousnesavonsriendespouvoirsquisommeillententoi.Quandilsse manifesteront,tudeviendrasunecréatureàpart,nitoutàfaithumaine,nitoutàfaitange. Ilparlaitd’untonsolennel,commepourmefaireprendreconsciencedelagravitédelasituation. —C’esttaraisond’être,conclut-il.Tudoisrejoindrenotremondeetembrassertadestinée. —N’aiepaspeurdet’engagerdanscettevoie,enchaînaDevin.Elleteconduiraversnous,etvers unesérénitéquetun’asjamaisconnue. —D’accord,dis-jed’untonhésitant.Montrez-moicedontjesuiscapable. 21 —Regardebien,fitDevin.Tuvasvoirceque… Àcetinstant,unpanachedeflammesjaillitdanslecielsombre.DevinsetournaversAsher,l’air furieux. —Ons’étaitmisd’accordpourquecesoitmoiquidonnelapremièreleçon! —Désolé,j’aipaspum’enempêcher,réponditAsherd’untonmoqueur. Devinreportasonattentionsurmoi. —Enfreindrelesrègles,commeilvientdelefaire,n’estpastoléré. —N’estpastoléréparl’Ordre,précisaAsher.PourlesRebelles,c’estplutôtunepreuvedepensée indépendante,uneinitiativeintellectuelle. — Cela engendre le chaos, comme tu viens de le démontrer. Tes petits jeux nous font perdre du temps. Asheresquissaunerévérence. —Jet’enprie,continue. Jesouris:leurschamailleriesm’aidaientàmedétendre. Devindéployasesailes. —Avantd’avoirrecoursàsonpouvoir,onsentcommeunesortedecreuxaufonddesoi;puison lèvelesbras… Il joignit le geste à la parole et les branches des arbres autour de la clairière commencèrent à oscillerdansunventpuissant. —Ashercontrôlelefeu,ettoi,tucontrôlesl’air? —LaRébellioncontrôleaussilesélémentsterrestres,meréponditAsher. Ilsecoualamain,etlesolsemitàtremblersousmespieds. —L’Ordre,lui,alamaîtrisededifférenteschoses,expliquaDevin. —Commelaguérison?fis-je. —Oui.Ouça,répondit-ilenagitantlebras. Latempératurechutaaussitôtdeplusieursdegrés.Jememisàgrelotter. Asher envoya près de moi une gerbe de feu, qui me réchauffa instantanément. Puis les deux élémentssetélescopèrentdansunénormecraquementavantdedisparaître. —Etjesuiscenséesavoirfaireça?soufflai-je,impressionnée. —Nousnesavonspasdequoituescapable,merappelaDevin.Faisunessai,onverracequeça donne.Nevisepastrophaut. JemeconcentraipourtrouverenmoicecreuxdontDevinavaitparlé,envain. —Désolée,jeneressensriendutout. —Jevaistemontrer,ditAsher. Pendantlesheuresquisuivirent,j’eusdroitàunedémonstrationdespouvoirsdesdeuxanges.Ily eutdescoupsdetonnerre,desfuséeslumineuses.Asherfenditlesol,etDevinlereconsolida;levent soufflaautourdenoussansfairebougernoscheveux;lapluietombaentrombe,sansjamaisnous mouiller.Ilsmaîtrisaientparfaitementleurspouvoirs.Celuid’aider,etceluideblesser.Deguériret dedétruire. Les pièces du puzzle commençaient à s’imbriquer dans ma tête. Ma destinée ! Même si je ne pourraispasreproduiretoutesceschoses,ilfallaitserendreàl’évidence:desphénomènesétranges avaienttroublémonexistencecesdernierstemps.Mêmes’ilyavaitdesexplicationsrationnellespour chacund’eux,lespouvoirsquem’exposaientDevinetAshersemblaientplusplausibles. Jen’arrivaispastoujoursàdistinguerquiétaitresponsabledesdégâtsprovoquéssousmesyeux: les pouvoirs des ténèbres, ou ceux de la lumière ? Une guerre entre ces deux adversaires serait synonymed’apocalypse… Detempsàautre,ilss’arrêtaientetattendaientquejeprovoqueuneétincelleouunesecousse.Mais riennevenait.Àprésentquejepouvaislaisserlibrecoursàmespouvoirs,ilnesepassaitrien. —Skye!criaDevin,dissimuléparlesombresducrépuscule.Tuessûred’êtreassezconcentrée? —Oui!Maisj’aifroid,etmesdoigtssonttoutengourdis,dis-jeenremuantlesmains. —Jecroisquetunemesurespaslesérieuxdelasituation,dit-il. —Ehbien,siçasetrouve,jen’aiaucunpouvoir! Devinsoupira. —Jepensaisquec’étaittoiquiavaiscausél’incidentdanslecar… —C’étaitpeut-êtreunsimpleproblèmeélectrique,suggéraAsher. —Tun’ycroispastoi-même,ledéfiaDevin. —Peuimportecequejecrois. —Allez,c’estfinipourcesoir,onreprendral’entraînementdemain,décidaDevin.Rendez-vousà troisheuresetquarttapantessurletoitdulycée. «C’estvrai!J’aicoursdemain!»Aprèstoutcequejevenaisd’apprendre,lelycéemeparaissait presquedérisoire.Commentretournerlà-basetfairesemblantd’êtrenormale? —Alors,Skye? —D’accord. Devinrefermasesailesetuncourantd’airmecaressalevisage.Quelquesinstantsplustard,ilavait disparu. Jeregardaimesmains.Avais-jeunquelconquepouvoir?Étais-jecapabledefaireapparaîtredufeu ouduvent?Pouvais-jesoulagerladouleurdesgens? À quelques mètres de là se dressait un arbre dont une branche était cassée. Je levai les bras et concentrai toute mon énergie dans mes doigts, essayant de mettre en pratique les enseignements de Devinpourdéplacerl’air. Labranchesebalançadanslevent. Riend’autre. —Hé!lançaunevoixdanslenoir. C’étaitAsher.Jen’avaispasremarquésaprésence,tantsesailessefondaientdansl’obscurité. —Tudoistereposer. —Non,jeveuxencoreessayer,dis-jeenm’avançantversl’arbre. Ashermesuivit. —Arrête.C’esttonpremierjour,nebrûlepastoutestescartouches. Jel’ignorai. J’appliquaimesmainsautourdelabrancheàl’endroitoùelleétaitcassée,commeDevinavaitfait avecmacheville.Etsijamaisj’yarrivais?Cepouvoirpourraitserévélerutile…Permettait-ilaussi deguérirlesdouleurspsychologiques? Labranchesebrisaentremesmains,etjelaissaiéchapperunjuron. —Viens,meditAsher,onrentre. Noustraversâmeslaclairièreensilence.Ashertenaitdanssapaumeuneflammepournousguider danslanuitnoire.Enarrivantprèsdemavoiture,jesortislesclésdemapoche,maisAshermeles pritdesmains. —C’estmoiquiconduis,dit-il. —Maisjepeuxlefaire! —Tuesnerveuseetépuisée.Allez,monte. Jefisletourdelavoitureetm’installaisurlesiègepassager. —Tusaisconduire,aumoins?demandai-jeàAsher,unefoiscelui-ciassisderrièrelevolant. —Jesaistoutfaire. Je m’enfonçai dans mon siège. Mon esprit tentait d’assimiler tout ce que j’avais appris ces deux derniers jours. Asher posa la main sur la mienne. Comment faisait-il pour deviner ce dont j’avais besoinaumomentmêmeoùj’enavaisbesoin? Ashergaramavoituredansl’alléeetcoupalemoteur. —Mercidem’avoirraccompagnée. —C’estnormal.Tunecroyaistoutdemêmepasquej’allaistelaisserrentrertouteseuleaprèsune journéepareille? —Devinl’abienfait,lui. —Devinestunecréaturebizarre,marmonnaAsher.Neluipermetspasdetemanipuler. « Et toi, tu ne me manipules pas ? » avais-je envie de dire, mais je m’en abstins pour ne pas le mettremalàl’aise. Comment distinguer la réalité de la fiction ? Ce monde parallèle, ces pouvoirs magiques, l’incroyablevéritéàproposdemesparents…Pourquoim’avaient-ilscachétoutça?Ilsauraientpu melaisserunetraceécrite!Mêmesi,bienentendu,ilsnes’attendaientpasàmouriraussijeunes… —Tuveuxvenirvoirquelquechose?proposai-je. Asherhochalatête,alorsj’ouvrismaportièreetsortis.Quelquessecondesplustard,ilm’imitait. Jeluiprislamainetleconduisisàmamaison.Uneéchelleenvahieparlelierregrimpaitjusqu’au toit. —Suis-moi,dis-jeencommençantàl’escalader. Asherposalamainsurlebarreaudubas. —Allez,monte!ledéfiai-je.Quoi?Tuaslevertige? J’atteignis le sommet de l’échelle et rampai quelques mètres sur le toit en pente, Asher sur mes talons. Puis je m’installai, les genoux remontés contre la poitrine, et levai la tête vers les étoiles. Ashers’assitàcôtédemoi.Dansl’airglacialdelanuit,nossoufflesformaientdesvolutesdebuée. —Est-cequelesangesviennentdelà-haut?dis-jeenmontrantlesétoiles. Ashergloussa. —Non.Ilsviennentd’unroyaumeparallèle,pasd’unecontréecéleste.Maisjen’yaijamaismis lespieds.EtlequartiergénéraldelaRébellionsetrouveailleurs. —Oùça? —SurTerre,répondit-il,pensif. —Oùexactement? —Très,trèsloin. Aucunsonnenousparvenaitd’enbas,pasmêmelebruitdelacirculation.Onn’entendaitquele hurlementd’uncoyoteàplusieurskilomètresdelà. — Alors, nous ne sommes pas si différents, dis-je d’une voix basse, plus pour moi-même qu’à l’intentiond’Asher. —Enunsens,non,admit-ilengigotantd’unairgêné. —Est-cequeturegrettesparfoisd’avoirquittél’Ordre? —Jen’enaijamaisfaitpartie,toutcommelaplupartdesRebelles.SeulsnosAnciensl’ontconnu. Etnousn’avonsplusledroitd’yretourner. Ilfitunepause,puisreprit: — Mais, vu comme Devin obéit à toutes ses consignes, je dois dire que je me félicite de ne pas apparteniràl’Ordre. —Etpourquoiyaccorde-t-ilautantd’importance? —Parcequ’onl’aendoctriné. Ou bien était-ce Asher que l’on avait endoctriné ? Après tout, je n’avais aucun moyen de savoir lequel des deux était du bon côté… s’il existait un bon et un mauvais côté. Et moi ? À quel clan j’appartenais?Peut-êtrequej’avaismaplaceici,parmilesêtreshumains. Mesparentsmemanquaienttellement…J’auraisaimélesavoirprèsdemoipourmeguider. —Jesuismontéeicitouslesjours,cetété,dis-je.C’estl’endroitidéalpourseressourcer.Quandje nesuispassurlespistes,c’estlàquejemesensleplusenpaix. Asherdemeuraitsilencieux.Jeposailatêtesursonépauleetinspiraiprofondément.Ilsentaitbon l’herbeetlesapin. —Jesais,réponditAsheravecdouceur. Ilmefallutunmomentpourcomprendrecequ’ilvenaitdedire. —Pardon?Tusaisquec’estmonendroitpréféré? Ilhochalentementlatête. —Commentçasefait?demandai-jeenmeredressant. Ashersoupira,commesis’attardersurlesujetl’embêtait. —Tutesouviens,lejouroùons’estrencontrés?Ehbien,enfait,cen’étaitpaslapremièrefois quejetevoyais. —Etc’étaitquand,lapremièrefois?Arrêtetescachotteries,dis-moi! —C’étaitbienavant. —Ilyaunan? Ilneditrien. —Quoi,deuxans?Trois? — Assez longtemps pour avoir appris à te connaître, dit-il en s’éclaircissant la voix. Ça faisait partiedelamission.C’estainsiqu’onasuquandprendrecontactavectoi,aumomentoùtesyeuxse sontallumés. Quand mes yeux s’étaient allumés… J’essayai de me remémorer les paroles de mon père, prononcéesdevantlemiroirdelasalledebains.Luietmoi,nousregardionsmesyeux,etpuis… Devais-jemesentireffrayéeou,aucontraire,protégée?Ouunpeudesdeux? —Qu’est-cequetusaisàproposdemoi? —Tout. —J’endoute!répliquai-je,piquéeauvif. —Pose-moidesquestionssurtoi. —Bien.Jemangequoilemidi? —Unsandwichàladindeetunepomme,répondit-ilenfrottantsesonglescontresachemiseeten faisantminedebâiller. —Tropfacile!Tum’assouventvueàlacafétériacesdernierstemps.Bon,macouleurpréférée? —Tropsimple,semoquaAsher.Lebleuciel.Depuislamaternelle. —C’étaituncoupdechance.Tul’asdevinéàcausedemonprénom.Monlivrepréféré? —PersuasiondeJaneAusten,mêmesitunel’asjamaisditàquiquecesoit.Tufondscommeune guimauvedevantleshérosincapablesdes’avouerleuramour. —N’importequoi!lâchai-je,lesyeuxtournésverslesconstellations. —Non,c’estvrai.Dansunexposéen4e,tuasprétenduquecelivreétaitnul.Mais,enréalité,tu l’avais adoré. Et c’est pour ça que tu es restée aussi longtemps avec Jordan, même après avoir su qu’iltetrompait.Tuespéraisqu’ilt’aimaitencore. Çaalors!Jen’avaisjamaisparléàAsherdemonhorribleex-petitami! Jemetournaiverslui.Ilplissaitlesyeuxcommesilalumièredelalunel’aveuglait.Ilétaitbeau. —Quoid’autre? —Tun’essortieavecpersonnedepuisJordan. —Mouais.Etdonc…? —Tunet’espasautoriséeàaimerquiquecesoit. Jetripotaiunfildécoususurundemesgants. —Tunesaisriendemoi! — J’en sais bien plus sur toi que tu ne l’imagines. Tiens, le jour, tu arbores toujours cette expression,commesiquelquechosetehantait.Etc’estcommeçadepuisquejet’aivuelapremière fois.Mais,quandtudors…ceci–ileffleuralepetitplientremessourcils–disparaîtcomplètement. Ilfitglissersamainlelongdemajoue.Jesentislachairdepoulecourirsurmanuqueetmesbras. J’avalaimasalive,essayantdenepasperdrecontenance. —Parcequetumeregardesdormir? —Cen’estarrivéqu’uneoudeuxfois,réponditAsherensouriant.Çafaitbizarre,d’entrerdansla chambredequelqu’unquiignoretaprésence. —Sansblague!Ettoi,tudiraisquoisijevenaist’espionner? —Ilfaudraitd’abordquetumetrouves. Jeluidonnaiuncoupdepoingdanslebras,quinelefitmêmepasciller. —Nemetsplusjamaislespiedsdansmachambresansyavoirétéinvité! —Jeteprotégeais. —Ehbien,fais-ledeloin!EtDevin,çaluiarrivedeveniraussi? —Aucuneidée.Jenel’yaijamaisvu. —Ilsaitquetumesurveilles?C’estpastrèsfair-playdetapart. —Devinad’autreschatsàfouetter,réponditAsherendétournantleregard. —Oui.Raven,parexemple. Asherpivotabrusquementversmoietmedévisagead’unairglacial. —Tulaconnais? Oups!Jevenaisdefaireunegaffe. —Est-cequ’elleestici?poursuivit-il. —Hein?fis-jed’untonléger.Non,maisj’aientenduDevindireque… —Jeveuxlavérité!Soissérieusedeuxminutes! —Çatevabien,dedireça!C’esttoiquimedemandesderestersérieuse?Toiquin’arrêtespasde temoquerdemoidepuisquetuesarrivé!Oh,pardon,depuisquejesaisquetuesarrivé! —Jelefaispourteprotéger!Tucroisquec’estfacile?Tucroisqueçameplaît,detesurveiller dansl’ombrecommeunpervers? —Ohoui!Alors,turattrapesletempsperduavectesbagarresettesboulesdefeu!Tumerends dingue!Tuviensiciensachantlavéritésurmoi,maistumelaissespartirenclassedeneige?Et pendantquejeprendsmapausedéjeuneràlacafèt’,tuvasdraguerlesminettescommesitunevenais pasdefracassermavieentière! —Tuveuxquejetedisepourquoijeblaguetoutletemps?lança-t-il. Ilserelevacommes’ilétaitmontésurressorts,sesyeuxluisantauclairdelune. —Etpourquoij’agisdemanièreaussiinsouciante?C’estparcequesitutedoutaisdecequiest réellement en train de se jouer, de ce qui se passe à l’intérieur de toi, au sein de l’Ordre et de la Rébellion,situdevinaiscequiseracontechezlesanges,etcequit’attend,alorstuchialeraiscomme unegamine,Skye!Tuseraisparalyséeparlapeur.C’estpourçaquejetetaquinesanscesse!Jele faispourtoi.Sinon,tun’ysurvivraispasunesemainedeplus. Jemelevaiàmontour,secouailaneigedemonjeanetvissaiunpeuplusmonbonnetsurmatête. —Bravo!Jesuisàdeuxdoigtsdepleurermaintenant! Asherfourralesmainsdanssespoches. —Etmerde,marmonna-t-il. Jecroisailesbrassurmapoitrineetluilançaiunregardassassin. —Ilfautquej’yaille,dit-il.Ravenestdangereuse.Elledoitmijoterquelquechose. —Vas-y,répondis-je.Jevaismecoucher. Ashersedirigeaversl’échelle,puisseretourna,unpetitsourireaucoindeslèvres. —Çatefaisaitrager,demevoirdraguerd’autresfilles? —Dégage! 22 Lemercredimatin,j’entraidanslasalledeclasseaveclafermeintentiondenecroiserleregardde personne. À cause des événements de la veille, je ne voulais surtout pas me retrouver en face de Devinnid’Asherjusqu’àlafindelajournée. Occupée à gribouiller dans son cahier, Cassie releva à peine le nez lorsque je m’installai à côté d’elle. Tant mieux, sinon elle aurait remarqué mes yeux bouffis et cernés. J’avais dormi à peine quelquesheureslanuitprécédente. JemerepassaimadisputeavecAsher.EnquoilaprésencedeRavenposait-elleproblème?Asher etDevinmedissimulaientsûrementquelquechose. Je réussis à les éviter toute la matinée. Si l’un passait dans le couloir, je me cachais dans les toilettes.Sil’autres’approchaitdemoi,jefaisaissemblantdediscuteravecuncamarade.Etaulieu d’allerdéjeuneràlacafétéria,jemecalfeutraiàlabibliothèque,m’installantàunetableisolée. Jevoulaisrattrapermesleçonsenretard,maismeplongeaifinalementdansunlivresurlesanges. Depuis deux jours, je faisais d’intenses recherches sur Internet, qui ne donnaient pas grand-chose. Commemel’avaitditDevin,ilexistaitdenombreuxmythesàproposdesanges.Commentdistinguer levraidufaux? J’aurais pu aller me renseigner directement à la source (Devin ou Asher), mais j’avais le pressentiment qu’ils manigançaient quelque chose. Après tout, ils faisaient partie de deux clans différents,etmoi,j’étaispiégéeaumilieu. Jetressaillis:Devinvenaitdeprendreplaceenfacedemoi. —Tuessaiesencoredenouséviter,chuchota-t-il. —T’esparano,murmurai-jeentournantunepagedemonlivre. —Tunetrouveraspascequetuchercheslà-dedans. —Tunesaispascequejecherche. —Tudoisaccepteretapprendreàmaîtrisertespouvoirs. — Le seul pouvoir qui m’intéresse en ce moment, c’est celui de te faire disparaître. Au fait, j’annulenotrerendez-vousdecetaprès-midi.J’aiunentraînementdeski. —Tadestinéeestplusimportante,Skye! Jecroisailesbrassurlatableetmepenchaiverslui. —Est-cequelesÉlusmevoientencoresurcetoit,aujourd’hui? Ilpiquaunfard,gêné. —Ilsnemevoientpas,n’est-cepas? Iljetaunregardautourdenous,puisrepritd’unevoixencoreplusmystérieuse: —Ilyaénormémentdedétailsqu’ilsignorentàtonsujet.Tuesuneénigme.C’est…troublant. Prise d’une soudaine pitié, je posai la main sur la sienne. Il enlaça mes doigts et les contempla longuement. —Désolée,Devin,maisj’aibesoindetemps,dis-je.Unjouroudeux. Ilmefixadanslesyeuxetdéclara: —Tuseraisheureuseauseindel’Ordre. —Toi,tuesheureux? —Pasquandjesuisici.Ilyatropde… —Chaos,terminai-jeàsaplace. —Oui. Sesdoigtsseresserrèrentautourdesmiens. —Tuesunique,Skye. —Àcausedemesparents. —Non,grâceàtoiseule.Tuesintelligente,drôle,déterminée.Tuneressemblesàpersonne. Jesouris. —Jeterenvoielecompliment. —Alors,retrouve-noussurletoitcetaprès-midi. —Désolée,jenepeuxpas.Pasaujourd’hui. J’auraisvouludisparaîtresousterredevantsonairdéçu. — J’ai fait une promesse à mon équipe de ski, tentai-je d’expliquer. C’est une responsabilité, commelatiennevis-à-visdel’Ordre. —Maistoutça–ilfitungestecirculaire–n’auraplusaucuneimportancequandtuaurasrejoint l’Ordreavecmoi. —Mêmesijepossèdedespouvoirs,jeneveuxpasquittercemonde.C’estlemien! —Tunepeuxpasresterici! Àcetinstant,laclocheretentit.Sauvéeparlegong! — Il faut que j’aille en cours, fis-je en ramassant mes affaires. Dis à Asher qu’il n’y aura pas d’entraînementangéliqueaujourd’hui. Surce,jefilaiverslasortiesansluilaisserletempsdeprotester. Aulieud’alleràl’entraînement,jerentraichezmoi.Depuisl’avalanche,j’avaispeurdedéclencher unenouvellecatastrophe,avecmonespritdecompétition.D’ailleurs,jepensaisquittermonéquipede ski.Jenevoulaispasblesserquelqu’unàcaused’unpouvoirquejen’arrivaispasàcontrôler. Le vendredi, après une soirée tendue avec Tante Jo, j’eus du mal à m’endormir. Je n’avais pas réussiàluidirequejevoulaisarrêterleski,etunenouvellerecherchestérilesurlesangesm’avait déçue. Danslanuit,jemeréveillaiensursaut.Machambreétaitplongéedanslenoir;iln’yavaitpasun bruitdanslamaison.Jemelovaisousmacouette,prêteàmerendormir,lorsquejesentisuncourant d’airfroidchargéd’unparfumdeterrehumide. J’ouvrislesyeux:unesilhouettesedécoupaitdansleclairdelune.Effrayée,jemecognaicontre matêtedelit. —Bonsang,Asher,jet’aiditdeneplusvenirdansmachambre! —Désolé,maistunem’envoudrasplusquandtusauraspourquoijesuislà. —Ahoui?Etpourquoitueslà,alors? —Pourt’offrirlaliberté.Vite,habille-toietretrouve-moidehors. Ilsortitparlafenêtre,quejem’empressaideverrouillerderrièreluidansungestedérisoire,étant donnéqu’ilpouvaitl’ouvriràsaguise.Jefaillisretournermecouchermaisfinisparenfilerunjean, untee-shirt,unsweatetuneparka. Jedescendisl’escaliersurlapointedespiedspournepasréveillermatante,traversailamaisonet meglissaidehors. Asherm’attendaitprèsdesarbres,àcalifourchonsurunemotoneige. — Je me disais que tu aimerais sentir le vent souffler dans tes cheveux, dit-il tandis que je m’approchais. —Sijelevoulais,j’iraisskier. —Oui,maistunepeuxpast’accrocheràmoiquandtuskies. Ça,c’étaitbienvrai… —Jenesuispassûrede… —Allez,Skye,mecoupa-t-il.Jesaisàquelpointcesderniersjoursontétédurspourtoi.Tun’es mêmepasalléeàtonentraînementaujourd’hui! —Elliet’atoutraconté!éructai-je. —Non,j’étaisvenuteregarderskier. Jefourrailesmainsdanslespochesdemaparkaetcontemplailerefletdelalunesurlaneige. — Je voulais y aller, vraiment. Mais j’ai eu peur de déclencher une nouvelle avalanche ou de blesserquelqu’un.Jenepourraispasvivreaveccepoidssurlaconscience! Ilétaithorsdequestiondemettremescamaradesendanger. —Alors,tuasbesoindecettepromenade,décrétaAsher.Cesoir,onnepenseniànospouvoirs,ni àtousceuxquinoussurveillent.Pasunmotsurl’OrdreoulaRébellion!Onsecontentedeprofiter del’instant. C’étaitsûrementunetrèsmauvaiseidée,maisj’enfourchailamotoetpassailesbrasautourdesa taille. —Allons-y. Il fit vrombir le moteur et nous glissâmes sur la neige, zigzaguant entre les arbres, dévalant les pentes, montant vers les sommets. Le clair de lune baignait le paysage de sa lueur bleutée. Je me délectai de toutes les merveilles que nous offrait la nuit. Asher avait l’air si robuste contre moi ! Robuste,solideetchaud. Pourlapremièrefoisdepuisdesjours,jemesentaisbien.Jen’avaispluspeurdeprovoquerdes catastrophes.Jesavouraicettenouvellesérénité. Auboutd’unlongmoment,Asherarrêtalamotoneige,etnousmîmespiedàterre.Ildépliaune couverture,surlaquellejeprisplace,lesgenouxremontéscontremapoitrineetlesbrasautourdes jambes. Asher fit apparaître autour de nous plusieurs boules de feu qui nous enveloppèrent de leur chaleur. —Commenttufaispourentretenirlesflammessanslestoucher?demandai-je. —C’estunequestiond’entraînement. —C’estcequetuasfaitdanslagrotte? —J’aifaitcequ’ilfallaitpourtegarderenvie. —ParcequelaRébellionmeveutvivante? —Parceque,moi,jeteveuxvivante,répondit-ilens’asseyantàsontour.Ons’étaitpromisdene pasabordercessujets. —Dequoionvaparler,alors? —Onn’estpasobligésdeparler. Touchée!Jeposailementonsurmesgenouxetmemisàobserverlesétoiles.L’uned’ellesfilaà traversleciel. —Tuasfaitunvœu?demandaAsher. —Non,jen’ycroispastrop…Ettoi,tuenasfaitun? —J’aisouhaitéquetusoisheureuse,répondit-il,l’airgêné. —Ettoi,tuesheureux? —Plutôt:jesuisausommetd’unemontagneencompagnied’unejoliefille. —Çat’arrive,d’êtresérieux? Ilserembrunit. —Plussouventquetunelepenses. —TunedevraispasêtreavecEllieencemoment? —Jenesuispasamoureuxd’elle.Elleestsympa,maisellemecollebeaucouptrop.L’autrefois, auchalet,j’étaispartichercherdesglaçonsquandellem’acoincédanslecouloir. —Pourtantondiraitquetul’appréciesbeaucoup. —C’estvrai,maisjel’aiencouragéeàallervoirailleurs,mêmesi,pourêtrehonnête,j’aimete savoirjalouse. —Jenesuispasjalouse! —Ahoui?Cen’estpascequetudisais,hiersoir. —C’estfaux!Tuasentenducequetuvoulaisentendre. —N’importequoi! Pourmoi,celaavaitunsens.J’avaisdumalàl’avouer,maisjedétestaislevoiraveccettefille.Et jeconnaissaisassezbienElliepoursavoirqu’elles’accrochaitauxgarçonsquiluiplaisaient. —Tuavaisraison,fis-jeaprèsunlongsilence.J’avaisbesoindecettepromenade. Et,enregardantlesboulesdefeus’éteindre,jem’interrogeai:avais-jeégalementbesoindelui? 23 Lelundisuivant,unepluiefroidecoulaitlelongdesfenêtresetformaitdesflaquesdeneigefondue surleparkingdulycée.J’avaispasséunweek-endsolitaireet,àvraidire,AsheretDevinm’avaient manqué. Unmotm’attendaitsurlevolantdemavoiture: Finieslesvacances. RDVaujourd’huià15h15 Aucuneexcuseneseraacceptée. D. Jefaillisledéchirer,maisDevinavaitraison:jedevaisaffrontercequim’attendait. AsheretDevinétaientabsentsaupremiercours.Normal,aprèstout:ilsn’étaientpashumainset n’avaientpasbesoindesuivreunescolaritérégulière.Etmoi,est-cequejedevaisquandmêmevenir en classe ? Cette question me trottait encore dans la tête deux heures plus tard, pendant le cours d’histoire,quej’écoutaisd’uneoreilledistraite. MlleManningarpentaitlasalledeclasseetnousrendaitnosdevoirssurlabatailledelaSomme– une dissertation qui comptait pour quarante pour cent dans notre note finale – en nous dévisageant touràtourdederrièreseslunettesàmonturemétallique.Elles’arrêtaàmahauteuretfitglissermon devoirsurmonpupitre.UnénormeDécarlates’étalaitenhautdelapage. Jesentisunebouleseformeraucreuxdemonventre.Jen’avaisencorejamaiseudeD.L’horreur! J’avaiséchoué,malgrémesséancesderévisions.Ilfallaitdirequej’avaiseul’espritailleursces dernierstemps. —Skye,m’appelaMlleManningaumomentoùjepassaisdevantsonbureauàlafinducours. —Oui,jesais,anticipai-je.Désolée,jenesaispascequim’estarrivé. —Tuastoujoursétémameilleureélève!Quesepasse-t-il? —J’aiététrès…occupéecestemps-ci,dis-jesansconviction.Préoccupée,même.J’aidûprendre certainesdécisionsdepuisnotrevoyagescolaire. —Ilparaîtquetuasarrêtéleski. —Oui…L’avalanchem’abeaucoupeffrayée.J’aibesoindefaireunepause. J’avaisdiscutédemadécisionavecmonentraîneurlevendrediprécédent,maisjen’avaistoujours pastrouvél’occasiondel’annonceràTanteJo. MlleManningm’adressaunregardmi-sévère,mi-contrarié. —Est-cequejedoism’inquiéter?Tuveuxt’entreteniravecunconseiller? —Oh,non!dis-jeavecprécipitation.Maisjepourraispeut-êtrerattrapermondevoir… Ellepoussaunprofondsoupir. —D’accord,tuviendrasaprèslescoursaujourd’hui.Jetedonneraiuneheure,entrequinzeheures quinzeetseizeheuresquinze.Mais,Skye… Ellemeregardapar-dessusseslunettes. —IlvatefalloirunApourredressertamoyenne.Nelaissepaspassertachance. —Promis,répondis-je,lagorgesèche. Malheur!J’étaiscenséeretrouverDevinetAsheràquinzeheuresquinze.Jenepouvaispasêtreà deuxendroitsàlafois!Unchoixs’imposait. —Skye,repritMlleManningenôtantseslunettesetencontournantsonbureaupours’approcher demoi.Tuescertainequetuesperturbéeuniquementàcausedetondépartdel’équipedeski?Tu n’asriend’autre?Unproblèmefamilial?Unchagrind’amour? —Non,non,riendetel. —Tantmieux,dit-elleavecunsourire.Tuasdupotentiel,etunavenirradieuxs’offreàtoi. —Merci. Des larmes me montèrent aux yeux. J’aurais aimé être aussi affirmative qu’elle… Or, lorsque je regardaisenavant,jenevoyaisqu’ungrospointd’interrogation. —Quinzeheuresquinze,salle408. —Bien,j’yserai! Jemeprécipitaiverslasortiepournepasluimontrermeslarmes. Siseulementellesavait… MlleManningm’attendaitdéjàlorsquej’arrivaiàlasalle408versquinzeheuresdix. —Tiens,dit-elle,j’aiposétonsujetsurlatableprèsdelafenêtre.Tuasuneheure.Jesuislàsituas desquestions. Elles’assitàsonbureauetsortitunpaquetdecopies. Jem’installaiaupupitrequ’ellem’avaitdésignéetcommençaiàrédigermondevoiravecl’étrange impressiondenepasêtreàmaplacedanscettesalledeclassesilencieuse. C’étaitcommesilelycéenecomptaitplus… Jemeremémoraitouteslescatastrophes,petitesetgrandes,quej’avaisprovoquées:lachaudière qui explose au Bean, le thermostat qui saute, le chauffage qui s’enclenche dans le car scolaire, l’avalanche. Sij’étaisresponsabledecesincidents,pouvais-jelesreproduiresciemment? «Etsij’essayais?» JemeconcentraisurleradiateursouslafenêtrependantqueMlleManningcorrigeaitsescopies. Jeregardaileradiateuretlaissairessurgirtouteslesémotionsaccumuléescesdernièressemaines. Desimagesdéfilaientdansmatête:Devinmemettantengardecontreson«cousin»,lasoiréesurle toitdemamaisonavecAsher,nosépaulesquisefrôlaient,majouesursonépaule,notrepromenade enmotoneige…PenseràAshermesemblaitdésormaisdangereux.Iln’étaitpashumain;ilnevenait pasdecemonde.Est-cequetomberamoureused’unRebelleétaitcompatibleaveclesenseignements qu’ilsm’avaientprodigués?Sinon,allait-onmepunir,commeonavaitpunimesparents?Cegarçon était pour moi une énigme, alors que lui savait tout de moi. Pensait-il aussi souvent à moi que je pensaisàlui? Il faisait chaud ; j’avais les mains moites. Mais j’essayais encore et toujours de projeter mes émotionssurleradiateur.Et,soudain,jesentisuneodeurâcre. Delafumée. Uneminusculevolutenoires’échappaitdelagrilleduradiateur.Moncœursemitàbattreàtout rompre. Onnevoyaitaucuneflamme,maisildevaitbienyavoirdufeuquelquepart.Àprésent,lavolutese transformaitenunpanachedefumée. Unsouriresedessinasurmeslèvres:j’avaisenfinréussi! —C’estquoi,cetteodeur?s’inquiétaMlleManningenrelevantlenez.Oh,monDieu! Ellesautasursespieds,éparpillantlescopies.Lesystèmeanti-incendiesedéclenchaàcetinstantet arrosalaclasse. —Ohnon!cria-t-elleenrassemblantlesfeuilles. Jecourusouvrirlafenêtre.Jesuspendismongesteàlavued’Asher,quisetenaitderrièrelavitre. Ilm’adressaunclind’œil,puisdisparut. Ainsi,jem’étaisréjouietropvite!C’étaitluiquiavaitdéclenchél’incident. —Skye,jesuisdésolée,déclaraMlleManning.Onreferaunnouveaudevoirlasemaineprochaine. Ilfautquej’ailleprévenirquelqu’unpourleradiateur. Jelalaissaietfilaisurletoitenmontantlesmarchesquatreàquatre. Jetrouvailesdeuxangesdanslamêmepositionqueladernièrefois:Asherenéquilibreaubord du toit, les bras écartés, les ailes déployées, Devin appuyé contre le château d’eau. Il ne laissait transparaîtreaucuneémotion. —Tuesenretard,dit-ild’untonneutre. J’espérais qu’il ne savait pas que j’avais vu Asher deux fois dans son dos. Il ne l’aurait jamais approuvé. —J’essayaisderattraperundevoirquej’avaisfoiré,expliquai-je,tellementjesuisdistraitedepuis quejevousairencontrés.Avant,j’alignaislesbonnesnotes. —Ilfautqueturevoiestespriorités,réponditAsherens’éloignantdelacorniche.Peut-êtrequeles bonnesnotesn’enfontpluspartie. —Merciduconseil! Asherplissalesyeux,maisnesouritpas.Illuiétaitdécidémentimpossibledesemontrerspontané quandDevinétaitdanslesparages.Rienàvoiravecl’Asherquej’avaiscôtoyécesderniersjours. —Ilaraison,ditDevind’untonsérieux.Tespouvoirsvontbientôtsemanifester,etiltefaudrales maîtriser. —Nelelaissepast’intimider,mechuchotaàl’oreilleAsher,quisetrouvaitàprésentderrièremoi, alorsquejenel’avaispasvubouger.Tuenestoutàfaitcapable. —Qu’est-cequetudis?intervintDevin,malàl’aise.Est-cequetusaisquelquechosequej’ignore ? —Tun’asqu’àinterrogerRaven!répliquaAsher,furieux. —Laisse-laendehorsdecettehistoire. —Alors,elleestjustevenuetesaluer,c’estça?sifflaAsher.Tuasbesoinderenfortmaintenant? Tunepeuxpastedébrouillertoutseul? —J’aidit:laisse-laendehorsdeça! —SiçaconcernelasécuritédeSkye,grondaAsher,t’asintérêtàtoutmeraconter. L’air se refroidissait à mesure que le soleil disparaissait derrière les montagnes et que le ciel s’obscurcissait. Soudain, une explosion de lumière blanche déchira les ténèbres et les ailes gigantesquesdeDevinsedéployèrent.Lesyeuxbrillants,ilfronçasessourcilsdorés. —Jetemetsaudéfi,lâcha-t-ild’untonposéquimedonnalachairdepoule. Asherfitunpasenavant,sesailesdressées. —Ahoui?lança-t-ild’unevoixterrifiante. Uneviolentebourrasquedeventsouffladesesailes,mefaisantvaciller.Larafalefrappadeplein fouetlapoitrinedeDevin,quivintheurterlemurenbétondelacaged’escalieravantdes’effondrer surlesol. —Arrêtez!hurlai-je. Devin se remit sur ses pieds. Asher leva les mains et projeta une boule de feu. En un clin d’œil, Devinseretrouvaderrièreluietluibloqualesmainsdansledosavantdeluienserrerlagorgedu bras.Asherhoquetatandisquelabouledefeuqu’ilavaitgénéréepercutaitlemurenbétonetmourait enlaissantunetracenoire. —Lâche-le!grondai-je.Situluifaisdumal,jelevengerai! Devinrelevalatête,interloqué,puisdesserrasonétreinte.Asherenprofitapourseretourneret,à sontour,lemaîtriser. —Tuvasleregretter!hurla-t-il. Entre-temps,degrosnuagess’étaientaccumulésau-dessusdenous,etdeséclairszébraientleciel assombri. —J’enaiassezdetoi!lâchaAsherpendantqueDevinessayaitdeselibéreretqu’unepluiefroide semettaitàtomber. —C’estça,entretuez-vous!criai-je,bouillonnantdecolère. J’avaislecœurquibattaitàtoutevitesseetlesnerfsenpelote.Jesentaislachaleurmemonteraux joues. Et plus Asher et Devin se battaient, plus je ressentais cette puissance grandir en moi. J’avais l’impressiondepouvoirlacontrôler,maisc’étaitplutôtl’inverse.Avantquejepuisseidentifiercette force incroyable, un énorme craquement déchira l’air : le château d’eau venait de se fissurer et déversaitàprésentsoncontenusurletoit. Lesdeuxangess’arrêtèrentnetetcontemplèrentlascène.Jen’euspasletempsdemedemanderà quoiilspensaient:vidéedetouteénergie,jem’écroulaicommeunemasse. 24 Lesdernièreslueursdujourfiltraientàtraversmespaupièrescloses.Lapluieavaitcessé,etleciel s’étaitdégagé. Petitàpetit,jecommençaiàdistinguerdessonsetdesvoixautourdemoi. —Retiensl’eau!criaitAsher,quimesoulevaitdeterre. J’ouvrislesyeuxengrand. Lesénormesailesnoiresd’Asherbattirentunefois,puisdeux,etmavisionsebrouilla.Unedrôle de sensation me serra le ventre quand nous décollâmes. Je passai les bras autour de son cou et me blottiscontresontorse.Unefoishabituéeaumouvement,j’osairegarderautourdemoi. Nousvolions!Leventnouscinglaitlevisage,l’airfroidmemordaitlesjoues.Jemedévissaile coupouressayerd’apercevoirDevin,restésurletoit.L’eauquis’yétaitdéverséeretournaitàprésent danslechâteaud’eau,dontlabrèchesecolmataitd’elle-même. Nousvolionssansdiremot.Endessousdenouslesvalléesetleschampssedéployaient,constellés depointslumineux.Jemecalaidanssoncou.Êtresiprèsd’Asherm’étourdissaitcommeunedrogue. Jen’avaisjamaisconnupareillesensation. Monesprittentaitd’analysercequis’étaitproduitsurletoit.Jenesavaispasquiétaitresponsable de quoi, mais, pour la première fois, je compris qu’Asher avait eu raison : quelque chose en moi attendaitl’instantpropicepoursemanifester.Etalors… Ashermedéposadevantlaportedemamaison.J’étaissoulagéedesavoirqueTanteJoétaitpartie lematinmêmepourunerandonnée:commentluiaurais-jeexpliquécequivenaitdesepasser? Asherrepliasesailesdanssondos,etenuninstantlanuitdevintmoinsnoire. —Tuvasbien? Jehochaitimidementlatête,troubléeparcetteproximitévécueenpleinciel. —Tuesincroyable,Skye!Tunousasarrêtésaubeaumilieudenotrebaston,lança-t-il,unsourire malicieuxaucoindeslèvres. JemerendiscomptequejenesavaispasoùhabitaientDevinetAsher.Lanuitvenue,perdaient-ils leur forme humaine ? Est-ce que Devin retournait dans l’Ordre, tandis qu’Asher regagnait la Rébellion ? Il faisait un froid glacial ; j’avais les cheveux trempés, et mes dents s’entrechoquaient violemment. —Tuveuxrentrer?demandai-je,prenantmoncourageàdeuxmains. —Euh…oui,fitAsherd’unairgênéenévitantdecroisermonregard. Unechaleurépouvantablenoussurpritquandnouspoussâmeslaporte. —Qu’est-cequec’estquecetteétuve?fitAsher. —Jecroisquec’estmafaute,répondis-je,embêtée.Àmoinsquecenesoitunsimpleproblème d’électricité… —Tusaisbienquenon! Jefisunegrimace:ilavaitraison. — Oui, j’ai court-circuité le thermostat il y a deux semaines et, depuis, le chauffage fait des siennes. —Tespouvoirsaugmentent. —Maisjenelescontrôlepas,fis-jeremarquerenessayantdeconserveruntonléger.Viens! Grâceàlapleinelunequiilluminaitlesalondesalueurblanche,nousnousdéplacionsaisément sansmêmeallumerlalumière. Nousmontâmesdansmachambre.L’atmosphèreyétaitdouillettecomparéaurestedelamaison, videetsilencieuse.Jefisuncrochetparlasalledebainspourprendredeuxserviettesdetoilette.J’en tendisuneàAsheretm’épongeailescheveuxavecl’autre. Asherôtasonblousonetleposasurledossierdemachaise. —Tunevoudraispasbaisserlechauffage?Ilfaitunechaleuràcrever! —Bonneidée;maisjenesaispascommentfaire… Cequejenevoulaispasluiavouer,c’étaitquemespouvoirsnesemblaientsemanifesterqu’encas deforteémotion.Etmonpetitdoigtmedisaitquelachaleurquinousavaitaccueillisdanslamaison avaitunrapportavecsaprésenceàlui… S’endoutait-il?Avais-jedenouveaulesyeuxargentés? —Vienslà,dit-ilenmedébarrassantdemaserviette.Jevaist’aider.Fermelesyeux. J’obéis,etilmepritlesmains.Lapièceseréchauffadavantage,etuneétincellepassaentrenous. —Imaginequ’ilyapleind’électricitéentoietquetuactionnesuninterrupteur,ordonna-t-il. Ilfitunepause,etj’ouvrislesyeux.Ilmeregardaitavecuneintensitéincroyable.Ilfallaitqueje restesurmesgardes… — Les Élus, déclara-t-il, se concentrent sur les nuances : le souffle ténu d’une respiration, un cheveu rebelle. Ils régissent chaque détail sur Terre. Et chaque détail a un effet sur un autre détail. Imagine les gros changements que cela peut engendrer. Ils peuvent influencer la vie d’un individu, l’issued’unebataille,lecoursdel’histoire. J’avalaimasaliveavecdifficulté,hypnotiséeparsesyeux. —Notremission,àlaRébellion,c’estdelesempêcherdetoutcontrôler.Ettupeuxnousyaider. Unealarmesedéclenchadansmatête.Jereculai,etAshern’essayapasdemeretenir.Était-ilen traindememanipuler? Jeretiraimonmanteau,puismonsweat,lachaleurdansmachambreétaitvraimenttropétouffante. Soudain,jeprisconsciencedelasituation:moiquid’habitudeaccumulaislescouchesdevêtements, j’étaisendébardeurenprésenced’Asher.Jelevailesyeux:iltremblaitlégèrement. —Quoi?demandai-je. —Rien. Ildésignauneétagèreau-dessusdematête. —Onjoueauxdames? —Tuessérieux?Jen’yaipasjouédepuisdeslustres. —Pourquoipas?C’estunjeudestratégie;çanousferaunbonentraînement. Ilpritlaboîteetinstallaledamieretlespionssurletapis.Jem’assisentailleurenfacedelui. —Bien,dit-ilenattrapantunpionnoir.Voyonssituesàlahauteur. Ilavançasonpion,etpendantuntempsnousfûmesaucoudeàcoude,élaborantdesstratégieset descontre-stratégies.Maisnil’unnil’autren’arrivaitàdominerlapartie.Jesavaisquenousallions finirparunmatchnul. —Tunegagnerasjamais,fis-je. —J’essaieraitantquejelepourrai. Jedéplaçaiunpion. —Oh,jolicoup,reconnut-il. —Cen’estpaslapremièrefoisquejejoue. Oui,j’étaisendébardeuretenjeandansunechambresurchaufféeavecunangeauxcheveuxdejais etauregardincroyable.Et,oui,jeflirtaisaveclui. Et,pourlapremièrefoisdepuisunanetdemi,jemerendiscomptequejetombaisamoureused’un garçon. Jedevaisymettreunterme.Mavieétaitdéjàbienassezcompliquéecommeça! Jemelevai. —Jesuiscrevée,j’aimaldormilanuitdernièreàcausedetoi. Asherseredressadoucement. — J’en suis désolé. Et concernant la bagarre d’aujourd’hui… On s’est laissé emporter. Cette missionestsidifficile…laplusdifficilequej’aiedûgérer. Ilsetutetsepassalamaindanslescheveux. —Onesttousàcran,soupira-t-il. — Oh, toi aussi, tu l’es ? Alors, essaie de te mettre deux secondes à ma place. Au cas où tu ne l’auraispasremarqué,jen’aiaucuneidéedecequim’arrive! —Skye,jesuisnavré. Nousnoustûmes.Leseulbruitqu’onentendaitétaitceluiquefaisaitAsherentapantnerveusement dupied. —Arrête!dis-je.Qu’est-cequetuascesoir?Jetetrouvebizarre. —Jen’airien,prétendit-il. Jeledéfiaiduregard.Malampeprojetaitunedoucelueursursonvisage.Ilétaitsibeauquec’en étaitdouloureux.Jefisuneffortpourmeressaisir:çanemarcheraitjamaisentrenous!C’étaitun donJuan,commeJordan.Ilseserviraitdemoiet,enplus,iln’étaitmêmepashumain!Pourtant,dans cettepièceconfinéeetcettelumièretamisée,c’étaitsibonderessentircegenred’émotion.Asherfit unpasenavant. —Jenevaispast’embrasser,d’accord?déclara-t-il.Alors,arrêtedemeforcerlamain. —Mais…dequoituparles? J’étaispaniquée:ilavaitdevinécequejeressentais! —Detoutça!Tondébardeur,tonjeudedames,lefaitquetum’asinvitéàmonter… —Jetedemandepardon?C’esttoiquiasvoulujouerauxdames! —Çava,oublie.Jeneferairien. —Tantmieux!criai-je,rougedecolère.Etquiteditquej’enauraisenvie? —Ohsi,tuenasenvie! —Ohquenon,éclatai-je.Surtoutpasavectoi,quimerendsdingue! Ilmeregardaavecintensité: —Jeterendsdingue? Il fit deux grands pas vers moi, prit mon visage entre ses mains et mon corps entre ses ailes, et m’embrassa. Laterretremblasousnospieds.Pasgrave!Plusriennecomptait,àpartAsher. 25 Après le départ d’Asher, j’étais bien trop énervée pour m’endormir, malgré la fatigue. Je déambulai de pièce en pièce, observant la lune depuis différentes fenêtres. J’avais l’impression que j’allaismenoyerdanssalumièresijerestaisimmobileunseulinstant. Quandmontéléphonesonna,jefaillisfaireunecrisecardiaque.Àlavuedunumérodel’appelant, j’éprouvaiunevaguedesoulagement.CommentTanteJoavait-ellesentiquej’avaisbesoind’elle? —Coucou,dis-jeenmepelotonnantdansunfauteuil. —Salut,jevoulaisvérifiersitoutallaitbientantquemontéléphonecapte.Çava? —Oui,çava. —Jesuisdésoléededevoirpasserautantdetempsloindetoi. —Jesuisunegrandefille. —Celadit,c’estpeut-êtrepasplusmal,continua-t-elle.Çanousentraînepourl’annéeprochaine, quandtuserasàl’université. Sijamaisj’yallais…Carrienn’étaitmoinssûr,vuleniveaudemesnotescesdernierstemps. —Marandonnéefinitmercrediaprès-midi,m’informaTanteJo.Prendssoindetoijusque-là. —Promis. Puiselleraccrocha,etjemereplongeaidansmesréflexions. Mamèreavait-elleavouéàTanteJoqu’elleétaitunange?C’étaitpeuprobable;jen’avaismoimêmerienracontéàCassie…Certaineschosessontimpossiblesàexpliquer. J’entraidanslacuisineetmemisàfouillerlefrigo.Sonronronnementmerassurait,comblantle silence de la maison. Sur l’étagère du haut, je remarquai une assiette de cookies de la dernière fournéepréparéeparTanteJo.Ilsdevaientêtrerassis,maisilsferaientl’affaire.Jelessortis,allumai leplafonnier,grimpaisurl’undestabouretsetsaisisunmagazinedanslapileducourrier. Jem’apprêtaisàcroquerdansl’undescookieslorsquej’entendisuncliquetisdehors.Jelevailes yeux…etmefigeai,souslechoc:quelqu’unmeregardaitparlafenêtre!Desyeuxbleusperçants,un teint de porcelaine, des cheveux blonds. Je ne l’avais vue que deux fois, mais je l’aurais reconnue entremille. Raven. Une vague de panique me submergea. Que me voulait-elle ? Je ne savais rien à son sujet ; cependantlaréactionqu’avaiteueAsherenapprenantsaprésencen’auguraitriendebon.J’étaisen train de me demander ce que je devais faire quand elle se matérialisa au milieu de la cuisine, ses longues ailes blanches déployées. Les plumes brillaient d’un éclat lunaire et, l’espace d’un instant, j’imaginaiRavenmetrancherlagorged’unseulcoupd’ailes. Jefisunpasenarrière. —C’estça,recule,dit-elled’unevoixcalmequimefitfrissonner.Tun’aspasidéeàquelpointje suisdangereuse. —Qu’est-cequetumeveux?dis-jeenessayantdecamouflermapeur. — Pauvre petite Skye, confrontée à deux mondes opposés, deux pouvoirs qui s’acharnent à lui mettrelegrappindessus.Quevas-tufaire? —Jen’ensaisrien…J’ignoraistoutcelajusqu’àilyaquelquesjours. Raventournaautourdemoicommeunchats’apprêtantàbondirsursaproie. — Bien sûr ! Comment aurais-tu pu le savoir si même l’Ordre n’en savait rien ? « L’enfant au destinquel’OrdrenepeutvoiretquelaRébellionnepeuts’approprier.»C’estbiença,laprédiction quiapoussélesRebellesetlesGardiensàtesurveiller?L’uniqueraisonpourlaquellecettemission aétémiseenplace. —Quoi?Jecroyaisquel’Ordrepouvaittoutvoir. — C’est drôle, hein ? Tu es la seule personne capable de tout détruire, et pourtant nul ne sait commentvas’acheverlamission. —Qu’est-cequeturacontes?AsheretDevinnem’ontjamaisparlédeça. —Parcequ’ilsnesontpasaucourant.Cenesontquedespions.Etlesfillesmènenttoujoursles garçons par le bout du nez, pas vrai ? Bientôt, tu deviendras plus forte qu’eux, et dès qu’ils s’en apercevront,ilstelaisseronttomber. Ellefitunpasversmoi,puisundeuxième. —Pourquoitumedisça?Qu’est-cequetumeveux?m’écriai-jed’unevoixclaire,ayantréussià contenirmapeur. SoudainRavenseretrouvaderrièremoi.Lespointesacéréesdesesplumesmefrôlaientlanuque. —LaisseDevinretourneràl’Ordre!siffla-t-elle.Ilestàmoi.C’estcequ’ontdécidélesÉlus,etil enseraainsi,pourtoujours. —Maisjen’aijamaisvoulumel’approprier!Jen’airiendemandé,moi!m’écriai-jeenprenant gardeàcequesesailesnemetranchentpaslagorge. —Devinn’estpluslemêmeàcausedetoi!Nemedispasquetunemesurespastoninfluencesur lui! Savoixseradoucit: — Tu le tentes… Il t’apprécie beaucoup, même s’il est censé ne rien ressentir pour toi. Tu représentes sa mission, il ne devrait pas voir au-delà de ses obligations. Sinon, il échouera. Et s’il échoue… Ellesetutavantdeconclured’untonferme: —Ilfautquecelacesse! —Quoi?Tuplaisantes?rétorquai-jeenrepensantàlasérénitédeDevin. —Lesprédictionssontentraind’évoluer.LaVisionchange.Ettuenesresponsable. —Maisjenesaispascommentarrêtertoutça!D’ailleurs,jen’enaipasl’intention;jedoismener cettehistoireàbien,déclarai-je,surpriseparmespropresparoles. —Alors,facilite-nouslatâche.L’Ordret’attend!Sachequ’iltetrouvera,oùquetutecaches.Jete surveilleraitoujours,Skye. Sesailessemirentàbattredansunbruitassourdissant. Jefermailesyeux,attendantqu’ellesecalme. Quandjelesrouvrisuninstantplustard,Ravenn’étaitpluslà. Étenduesurmonlit,jeréfléchissais.Ravenm’avaitaccuséedechangerDevin,pourtanttoutenmoi trahissaitmonattachementpourAsher.Jerepensaisànotrebaiser,sesmainschaudesdansmanuque, sesdoigtsdansmescheveux…«Jetedésiredepuissilongtemps»,m’avait-ilmurmuréàl’oreille. Uneondedefrissonsmeparcourutlapeau. Je me tournai et me retournai dans mon lit, incapable de trouver une position confortable. Le visageenfouidansmonoreiller,jememisàrire,àrire,àuntelpointquejenesavaismêmeplussi jeriaisousijepleurais. SijamaisjepossédaislespouvoirsdesGardiensdel’Ordre,jenereverraisplusjamaisAsher. Alors que je commençais à m’assoupir, les paroles de Raven me revinrent en mémoire. « Ce ne sontquedespions.»Jerevisl’expressionblesséedeDevinquandAsherm’avaitprisedanssesbras au moment où le château d’eau avait explosé et que lui-même restait sur le toit pour réparer les dégâts. Aupetitmatin,jevismesrideauxondulerdanslabrise.Uneplumevirevoltaitsurleparquetdema chambre.Elleétaitnoirecommelanuit,noirecommelesyeuxd’Asher. 26 Le mardi matin, la Volvo verte de Cassie s’arrêta en cahotant à quelques places de moi sur le parkingdulycée.Jesortisrejoindremonamie,quifitclaquerlaportièredesonvéhiculeavantde donneruncoupdepiedrageurdanslesroues. —Est-cequeçava?demandai-je,surprise. Ellem’adressaunregardfroid,maisnem’empêchapasd’inspectersespneus. —Cen’estpasunproblèmederoue,dit-elle.Lemoteuradessoucisdepuisplusieursjours.Enfin, tunedoispasêtreaucourant. Aïe…Cassieetmoin’avionsplustropl’occasiondediscuterdepuisquejeprenaismesdéjeunersà la bibliothèque. De plus, nous ne nous voyions plus le week-end. Ces derniers jours, le temps s’écoulaitdemanièreétrange,commes’ils’arrêtaitpuisrepartaitets’étiraitàl’infini.Cassiedevait m’envouloirdem’êtreéloignéed’elle. Etpuiszut!nousnenousétionsjamaispromisdepasserchaqueinstantdenotrevieensemble! Elleverrouillasavoiture,etnousprîmeslechemindelaclasseensembleenbavardant,malgréla tension palpable entre nous. J’étais embêtée de la savoir en colère contre moi. Le monde tournait toujoursautourdeCassieet,pourunefoisquejem’occupaisdemesaffaires,elleneparvenaitpasà l’accepter. —C’estchiant!seplaignit-ellealorsquenousnousinstallionssurnoschaises.J’aifaitréviserla voitureendébutd’année,etlemoteurcaletoutletemps! — Tu devrais peut-être retourner chez le garagiste ? suggérai-je, consciente que Devin nous observait. Asher,lui,avaitdétournélesyeuxaprèsavoircroisémonregard. —Impossible,jesuisàsec.Jedétestemavie! —Ducalme,dis-jedansl’idéedemefairepardonner.Onvatrouverunesolution. Lecoursdurauneéternité.Laproximitéd’Asher,assisderrièremoiàcôtédeDevin,medonnait desfrissonsetfaisaitbattremoncœuràtoutevitesse.Pouvais-jefaireconfianceàcesdeux-là? JemerepassaissanscessemarencontreavecRaven. «Devinn’estpluslemêmeàcausedetoi.» Quevoulait-elledire? Aprèslecours,Ashermerejoignitdanslecouloir: —Çava? —Oui,fis-je,troubléeparsonregardbraquésurmoi.Hiersoir,c’était… —Oui,lâcha-t-il,commes’ilcherchaitlemotexact–ouqu’ilpensaitàm’embrasserdenouveau. Moncœurbattaitàtoutrompre. —C’étaitintense,poursuivit-il.Unpeutropintense,enfait. Sesparolesmefirentl’effetd’uneclaque. —Pardon? —Jecroisqu’ondevraitfaireattention,ralentirunpeulacadence.Jen’aipasenviequ’onseperde là-dedans.Lasituationestcomplexe,Skye,plusqu’onnepeutl’imaginer. —Non,rienàvoir,dis-je,lesmainstremblantes.Enréalité,tuaspeur. —Non,je… —Tusaisquoi?Tuasraison!lecoupai-jeenm’efforçantderavalerleslarmesquimemontaient auxyeux.Onafaituneénormeerreur.Onn’auraitjamaisdûs’embrasser. Tout ce que j’avais ressenti pour lui s’était envolé d’un seul coup. En tournant les talons, je remarquaiDevin,qui,postéprèsdel’escalier,avaitassistéàlascène. Aprèslescours,jetrouvaiDevindevantmoncasier.J’étaissoulagéedenevoirAshernullepart. —Oùesttamoitié?demandai-jeenm’approchant. —Occupée. Ilmeregardadelatêteauxpieds. —Tuavaisl’airstressé,aujourd’hui.Tuveuxallerfaireuntour? —D’accord,acquiesçai-jeenmedemandantsijenefonçaispastoutdroitdansunpiège. LesparolesdeRavenmerevinrentenmémoire,maisjerésistai.OnavaitenvoyéDevinpourme protéger et découvrir les pouvoirs qui sommeillaient en moi ; je n’avais aucune chance de m’y soustraire.Deplus,ilétaitleseulàs’êtrerenducomptequejebroyaisdunoir.J’avaisbesoind’un ami capable de comprendre ce que j’endurais. Et à ce moment-là, je me sentais à mille lieues de Cassieetdesautres,bref,demavienormale. Je garai ma voiture aux abords d’un sentier que Tante Jo aimait emprunter. Bien entretenu, sans êtretropfréquenté,c’étaitl’undemespréférés.Lebeautempsétaitaurendez-vous.Devinm’écoutait exposermescraintes. —Jenecomprendspas!soupirai-jeenshootantdansunebranche.Mespouvoirsnefonctionnent pas.Peut-êtrequejesuisnormale,aprèstout… —C’estvraimentcequetupenses?demanda-t-il.Pasmoi! —Oui.Non.Enfin,jenesaispas.Maistoutvadetravers… Jemetusetluiadressaiunregardàladérobée. —Etjenesaispaspourquoi,poursuivis-je. —Asherestimpulsif. Jelevailatête,surprise. —Ilparleetagitsansréfléchir,continuaDevin. Était-ilentraindemedonnerunconseilàproposd’Asher? Sanslevouloir,jememisàrire. —Tutrouvesçadrôle? Devinavaitl’airpenaud,maisils’autorisafinalementàsourire. —Tutemoques?demanda-t-ilalorsquejeriaisdeplusbelle. —Désolée!Maistevoirmedonnerunconseil,c’est… —Hé,jesuisunexcellentconseiller!sedéfendit-il. —Peut-être,maistunedispascequejesuiscenséefaire. —Commentça? —Ehbien,tucommenteslasituation,maistunedonnesaucuneconsigneconstructive. —Commentdireàquelqu’uncequ’ildoitfaire?commenta-t-il,songeur. Jelefixai,sidérée;ildébarquaitvraimentd’uneautreplanète! —Ehbien,tupeuxdire:«Passeàautrechose»,ou:«Arrêtedetomberamoureusedecrétins.» Çanefonctionnerapas,maisj’auraiapprisquelquechosepourlaprochainefois. —C’estimpossible,fitDevinavecunepointedetristessedanslavoix. —Etpourquoiça? —Jenepeuxpasordonnerauxgensdefairequoiquecesoit. Jecomprisoùilvoulaitenvenir,etmonsourires’évanouit. —C’estleprivilègedesÉlus,poursuivit-il. —Pardonne-moi. —Cen’estrien,dit-ilavecfroideur. Jesoupirai.Commentlefaireriredenouveau? —Alors,contrairementàAsher,tuneferaisjamaisriensuruncoupdetête?demandai-jeenlui jetantunregardenbiais. —Absolument.J’obéistoujoursauxordres. —Ettufaisquoiencasd’événementimprévu? —LesÉlusvoientnotredestinetsaventtoujourscequivasepasser. —Alors…ilssaventquejevaisfaireça? Jeformaiunebouledeneige,quejeluienvoyaiàlatête. Ilmeregardacommesijevenaisdeluitirerdessusavecunearmeàfeu. —Pourquoituasfaitça? Jeledévisageaiàmontour. —Tun’asjamaisfaitdebatailledeboulesdeneige? —Etpourquoienaurais-jefait? —Pourt’amuser?ironisai-je. Jeluilançaiunnouveauprojectile,qu’ilévita. — Ah, je vois que tu apprends vite. Allez, à ton tour ! À moins que tu ne puisses rien faire sans qu’ontel’aitordonné? —Onatoutdemêmeledroitdesedéfendre. —Alors,défends-toi,monvieux! Tandisqu’ilsebaissait,jepartismecacherderrièreunarbre. —Pourquoitutecaches?fit-il,déconcerté. —Parcequeleshostilitéssontdéclenchées,etquej’appliquemastratégiededéfense. Devinlevalesmains,etlaneigeaccumuléesurlesbranchesau-dessusdemoimetombadessusen cascade.Jem’éloignaidel’arbreenpoussantunpetitcri. —Tricheur! Ilriait.Ilcontinuaderiremêmelorsqu’unedemesboulesvintlefrapperenpleinefigure. Soudain, un tourbillon blanc souffla autour de moi. Les chances étaient inégales : mes pouvoirs naissantsn’étaientpasenmesurederivaliseraveclessiens.Alors,jebaissailatêteetmeruaisurlui. LesÉlusn’avaientdetouteévidencepasprévucetteattaque,carnoustombâmestouslesdeuxàla renversedanslaneige.Devincessaderire,ettouts’arrêta. Étenduesurlui,j’eussoudainconsciencedesoncalme,dumienetdeceluidesboisalentour.Devin avaitpassésesbrasautourdemoietmeserraitcontrelui.Nosvisagessetouchaientpresque.Ilavait les yeux d’un bleu incroyable. Je voulais m’y perdre, trouver la paix et la sérénité qu’ils avaient à offrir.Oublierlelycée,lescœursbrisésetmonmanqued’assurance. —Àquoiressembletonmonde?demandai-je. —Ilestbeau,réponditDevinavecunprofondrespect.Onconnaîtdéjànotredestin,alorsonne s’inquiète pas pour l’avenir. On obéit aux règles pour nous préserver et éviter les événements non désirés.C’estunétatéterneldebonheur.Decalme.Depaix. —Tuesheureuxlà-bas? —Très.Iln’existenijalousie,nimesquinerie.Ici,quandjetraverselescouloirsdulycée,jesuis assailliparlacolère,l’envie.J’entendslesélèvesdiredesméchancetéssurlesautres.Lesgenssont mauvais,cruels,égoïstes.Grâceàl’Ordre,nosviesànoussontbelles,légères. —C’estpourçaquetuestoujourszen. —Voilà. Ilposadélicatementlamaincontremajoue.Elleétaitchaudeetdouce.Ilfitcourirsonpouceau coindemabouche.Lebleudesesyeuxsefitplusintense. —Mesdescriptionsnefontpasjusticeàmonmonde.J’aienviedelepartageravectoi.J’aienvie departagertantdechosesavectoi… Ilclignadesyeux,commes’ilsortaitd’unetranse.Lecharmeétaitrompu.Ilsecoualatête. —Alors,tuasgagnénotrebataille. —Oui,ondirait,fis-jeenm’efforçantderéprimerletremblementdansmavoix. J’étaisencoreplustroubléequ’auparavant.J’avaiscrutomberamoureused’Asher,maiscetaprèsmidiavecDevinavaitpeut-êtrechangéladonne… Ilsétaienttellementdifférents!L’unlumineux,l’autreténébreux;d’uncôté,lapaix,del’autre,le chaos.Commentchoisir?Étaient-cemespouvoirsquiallaientprendreladécisionàmaplace? —Jesavaisquej’allaistebattre!fis-je,souriante. Jemeremisdeboutenévitantsonregard.Ets’illisaitdansmespensées?Lahonte! Lesderniersrayonsdusoleilfiltraientàtraverslesarbres. —Tuveuxessayerquelquechose?medemandaDevind’untonhésitant. Luttait-ilcontrelesmêmesémotionsquemoi? —Oui,pourquoipas? —Viens. Devinmepritlamaincommes’ils’agissaitdugesteleplusnaturelaumondeetm’entraînaversun massifdelavandefanéeaupiedd’unarbre.Ilsebaissaetm’invitaàfairedemême,puismemontra unetigebruneetsèche. —Elleestmorte,dis-je. Alorsqu’ilhochaitlatête,unelueurténuejaillitdesespaumes.Illespassaautourdelafleur,la lumièresefitplusforte… Quandilretiralesmains,lafleuravaitretrouvésacouleurviolette,etsatigeétaitdenouveaud’un vertintense. Magnifique! —J’attendaisqu’onsoitseulspourtemontrercepouvoir,dit-il. —Je…jepeuxessayer?bégayai-je. Ilhochadenouveaulatête.Jechoisisuneautrefleurfanée.Devinmepritlesmainsetenapprocha lafleur.J’auraisjuréqu’ilavaitfrissonnéaucontactdemapeau. Tenantlafleurd’unemain,jelacouvrisdel’autre.Jenesavaispassijedevaisressentirquelque chose;entoutcas,riennevint.Figéàcôtédemoi,Devinretenaitsonsouffle. —Ouvre,murmura-t-ilfinalement. Jeretiraimesmains:lafleurétaittoujoursfanée. Nousretournâmesàmavoituretantquelalumièredujourlepermettaitencore. —Tufaiscommentpourrentrercheztoi?demandai-je.Etc’estoù,«cheztoi»? —JeloueunappartementsurEvergreenStreet. ImaginerDevinseuldansunappartementvidemeserralecœur. —Jeteraccompagne?proposai-je.Allez,grimpe. —Çaneteferapasfaireuntropgranddétour? —Aucuneimportance! Nouséchangeâmesunsourireetnousinstallâmesdanslavoiture. —Aujourd’hui,c’était… Devinlaissasaphraseensuspens,occupéàbouclersaceinturedesécurité. —Amusant?letaquinai-je. Ilm’adressaunregardpenaudavantdehocherlatête. —Jen’avaispasriautantdepuisunsacréboutdetemps. —Moinonplus,avouai-je. Pendant le trajet, Devin demeura silencieux ; il m’indiquait juste de temps à autre le chemin à suivrepourallerchezlui,carjeneconnaissaispasbiencecoindelaville. La résidence où il vivait regroupait deux bâtisses en brique tristes à pleurer. Je me garai dans l’alléeetcoupailemoteur. —C’est…intéressant,commentai-je.Commentas-tutrouvécetendroit? —Iln’yapasbeaucoupd’appartementsàloueràRiverSprings.Alors,c’étaitça,oucouchersous lesponts. Ilvoulaitsansdoutemefairerire,maisjetrouvaiqu’iln’yavaitriendedrôlelà-dedans. —Devin,dis-je,merciencorepouraujourd’hui.Tum’asbeaucoupaidée. —Jet’enprie,Skye.Jesuiscontentpourtoi. Ilsortit,ouvritlaportedelamaisonetdisparutàl’intérieur.Quelquesinstantsplustard,unelampe s’allumaitàl’étage. Dans ma voiture silencieuse, je fus soudain submergée par la solitude. Je pensai appeler Asher, maisjenesavaismêmepass’ilavaituntéléphone.Et,detoutefaçon,iln’yavaitplusrienentrenous. J’étais triste, épuisée ; l’idée de me retrouver seule dans ma grande maison vide m’était insupportable. Alors, je descendis de la voiture, remontai l’allée et sonnai à la porte. Quelques secondesplustard,elles’ouvrit. —Skye?soufflaDevin,l’airtroublé. —Jepeuxrestercheztoicettenuit? Jeneluidonnaiaucuneexplication,depeurdefondreenlarmes.Jenevoulaispasqu’ilsedoutede madétresse.J’avaisbesoind’unamiet,àcetinstantprécis,ilétaitleseulàpouvoirmecomprendre. Sansdireunmot,iltiralebattantets’effaçapourmelaisserentrer. 27 La lumière de l’aube filtrait à travers les stores. J’avais dormi comme une souche et, pour la premièrefoisdepuismonanniversaire,jemesentaisreposée.Devinavaitpassélebrasautourdema taille;sontorse,pressécontremondos,sesoulevaitaurythmedesarespiration. Pendant un instant, j’hésitai à bouger pour ne pas le réveiller. J’essayai de me calmer et de m’habituer à la sensation que faisait naître en moi cette étreinte. Je fermai de nouveau les yeux et tentaidemerendormir.Maisjenemesentaispasàl’aise. JemetournailentementversDevin,quidormaittoujoursàpoingsfermés.C’étaitamusant,dele voirainsi,inconscientdemaprésence.Malheureusement,jedevaisleréveiller. Jeluitouchail’épaule.Ilouvritunœilgroggy. —Coucou,dis-je. —Coucou… Ilclignadesyeux,puisretirasonbras,commes’ils’étaitbrûlé. —Qu’est-cequetufaisici? —J’aipassélanuitcheztoi,tutesouviens?Ons’estendormischacund’uncôtédulit,avantdese retrouverdanscetteposition. Ilrit,encoreàmoitiéassoupi. —Désolé. —Jet’enprie. Je fermai les yeux, puis les rouvris. Il m’observait. Nos visages étaient tout près l’un de l’autre. Moncœurtambourinaitdansmapoitrine. Soudain,lesparolesdeRavenmerevinrentenmémoire:«Jetesurveilleraitoujours,Skye.» Une peur panique s’empara de moi : savait-elle que j’avais dormi chez Devin ? Je sursautai et m’assisentailleur. —QuiestRavenpourtoi? Devinseredressaàsontour. —Quesais-tuàproposd’elle?demanda-t-il. J’allaidroitaubut: —Elleestvenuemevoir. Ilportalesmainsàsonvisageetsecoualatête. —Raven,qu’est-cequetumanigancesencore? JemetournaiversDevin. —C’esttapetiteamie? —Non,dit-ilenmefixantdanslesyeux.C’estcompliqué.C’estma…promise. —Alors,tul’aimes? —Non,je… Ilsepassalamaindanslescheveux. —Jenesaispascequejeressenspourelle.Etlasituationnes’estpasarrangéerécemment. —Àcausedemoi? —Àcausedecequejeressenspourtoi. Moncœurbattaitàtoutrompre.J’avaisenviedepasserlajournéeàsescôtés,toutenvoulantfuir auplusvite.J’optaipourlafuite. —Ilfautquej’yaille,dis-jeenbondissanthorsdulit. Ilnebronchapas.J’enfilaimesbottesetattrapaimonmanteau,jetésurunechaiseprèsdelaporte. Avant de dévaler l’escalier, je me tournai une dernière fois. Adossé à son oreiller, Devin me regardait,impassible,ledrapfroissécontresontorsemusclé.Monventreseserra. —Àplus!lançai-je,lagorgenouée. Devinnem’avaitpassuivie,mais,unefoisdehors,j’entendislaserruredelaporteseverrouiller dansmondos. 28 AvoirDevinetAsherderrièremoipendantlescoursétaitau-dessusdemesforces.Jedécidaidonc de déambuler dans les couloirs. Si jamais un prof me surprenait, il penserait que je me rendais à l’infirmerie.Lesjambesencoton,jemedirigeaiverslestoilettesdusous-sol,généralementdésertes. Cassie et moi avions l’habitude de traîner là-bas avant ses répétitions avec son groupe et mon entraînementdeski.Quelqu’unavaitinstalléprèsdeslavabosunvieuxfauteuilquiavaitconnudes jours plus glorieux : sa housse en velours jaune moutarde était usée jusqu’à la corde et son rembourragesortaitàplusieursendroits. J’adoraiscefauteuil.Jem’yasseyaistoujourspendantqueCassieretouchaitsonmaquillagedevant laglace.Cejour-là,j’ouvrislaportedestoilettes,jetaimonsacàdosausoletm’écroulaisurlesiège avantdefondreenlarmes. J’entendislaportes’ouvriretunevoixfamilièremedire: —Ditesdonc,mademoiselle,qu’est-cequevousfichezici? Jesecouailatête.Cassieétaitaccroupieàcôtédufauteuil. — D’habitude, je me réserve pour mes sujets les plus loyaux, dit-elle en posant le menton sur l’accoudoir.Mais,là,jecroisqu’unejournéed’écolebuissonnières’impose. Lavuebrouilléeparleslarmes,jeparvinstoutdemêmeàesquisserunsourirereconnaissant. Cassie vivait avec ses parents et ses frères cadets dans une maison à la façade bleu pastel et aux voletsblancs.Là-bas,contrairementàchezmoi,denombreuxélémentstrahissaientl’existenced’une viedefamille.Ensortantdelavoiture,Cassierepoussadupiedunpetitcamionenplastiquejaune.Je medirigeaiverslaported’entrée,maismonamiemerattrapa. —Non,attends!Tutesouviensdecequiteredonnaittoujourslemoral,avant? Ellem’entraînaàdroitedelamaisonetouvritunportailenboisdonnantsurlejardinàl’arrière. Jesouris. —Mabalançoire!m’écriai-jeensautantdessus. Cassies’installasurl’autre. —TuhésitesentreAsheretDevin,pasvrai?dit-elle.Allez!Tuesmameilleureamie,jeteconnais bien.Jesavaisquetumecachaisquelquechose!Ellieestunebellegarce,hein? Jeris. —Oui,onvadireça… Enunsens,ellen’avaitpastort.J’étaistirailléeentreAsheretDevin,entrel’OrdreetlaRébellion. Ma propre préservation et un chagrin d’amour. Tout contrôler ou lâcher prise. Et jusque-là, je ne savaistoujourspasquoichoisir. —Quelleperspicacité! Cassiem’adressaunsourire. —C’estquej’aiquelquesannéesd’expérience…Alors,tuvasfairequoi? —Décideràpileouface. —Essaied’êtresérieuse,Skye!Tusaisdéjàquituvaschoisir,non? Jeréfléchisuninstant.Est-cequ’aufonddemoijeconnaissaisdéjàlaréponse?Cassiesemblaitsi sûredecequ’elleavançait!Alors,pourquoipasmoi? —Non,aucuneidée! —Jesuiscertainequetuprendraslabonnedécision. —J’espère,fis-je. Nousnousbalançâmesencore,oubliantlefroidglacial. —Cassie? —Ouais? Jeplantailestalonsdanslesolpourarrêterlabalançoire. —Jesuisdésoléedenepasavoirétéplusprésentecesdernierstemps. Elles’immobilisaàsontour. —Necroispasquejevaistepardonneraussifacilement!s’exclama-t-elleenseretenantderire.À genoux! —Oh,laferme! —D’accord. Nousnousremîmesànousbalancer. —Skye? —Oui? —Jetepardonne. —Merci. Ellemelançaunpetitsourireencoin,signequ’uneidéevenaitdeluitraverserl’esprit. —Tutesouviensquandons’estdisputéesenCE2àcausedupantalonàfleursqu’onavaitacheté enmêmetemps?Jet’avaistraitéedecopieuse,ettum’avaisrendutoncollierd’amitié. —Biensûrquejemesouviens!Onnousavaitsurnommées«lesjumelles»…Alors,onafondé notreClubdesCopieusesetons’estpromisdeporterlemêmevêtementunefoisparsemainejusqu’à lafindel’année. —Voilà!Enfait,j’aigardénoscolliers.Jemedisaisquetuvoudraisrécupérerletienunjour. —C’estpasvrai!m’exclamai-je. —Si,si.Viensvoir! Nous montâmes dans sa chambre, et elle sortit de sa boîte à bijoux deux médaillons dorés représentantchacunlamoitiéd’uncœur.Surl’unétaitinscrit«meilleure»etsurl’autre«amie». — Reprends le tien, dit Cassie. Tu es ma meilleure amie, oui ou non ? Mais ne disparais plus jamaiscommeça,d’accord?Tum’astropmanqué. Jeréprimaiunhoquettoutenessayantdenepastropculpabiliser.Lesévénementsdecesdernières semainesn’étaientrienàcôtédecequim’attendait.Et,malgrétoutemavolonté,Cassieneconnaîtrait jamaiscepandemonexistence. Jemepassailecollieraucouetfiscourirmonpoucesurlescontoursdumédaillon.Sijedevais écouterquiquecesoitencemonde,c’étaitbienCassie.Etjedécidaidelacroire:oui,jeprendraisla bonnedécision. Cassieetmoiemboîtâmesnosmédaillons,commeàl’époquedenotreenfance.C’étaitétrangede voircescolliersintacts,alorsquenousavionstantchangé. 29 Enrentrantdansmamaisonhorriblementvide,j’effaçaidurépondeurlemessageavertissantTante Jo que j’avais séché les cours. Je n’avais pas l’esprit tranquille, mais j’espérais tout arranger le lendemain. Enrevanche,ilm’étaitimpossibledemeconcentrersurmesdevoirs.Jedécidaialorsd’allerdans lechamppouressayerdeprovoquerunphénomènesurnaturel.Sciemment,pourunefois… Je m’y employais depuis pas mal de temps quand Devin et Asher firent leur apparition. J’eus un coupaucœurenvoyantAsher:ilavait,commemoi,unetêtededéterré. SiDevinavaitremarquéquoiquecesoit,iln’enlaissarientransparaître.Pourêtrehonnête,luinon plusn’avaitpasl’airensuperforme. —Ah,chouette,tut’entraînesdéjà,dit-il. Ilsemblaitplustenduqued’habitude;leDevinrieurdelaveillen’existaitplus.Repensait-ilàla nuit dernière ? Je m’efforçais moi-même de ne pas y songer ; en vain : je revoyais Devin, appuyé contresonoreiller,entraindemeregarderpartir.Etj’entendaisencoreleverroudelaportecliquer derrièremoi. Nous passâmes le reste de l’après-midi à travailler sur mes pouvoirs. Les deux messagers me montraienttoutessortesdetours;malheureusement,lesoirtombé,jen’avaistoujourspasréussià lesimiter.Inutilededirequenotremoraln’étaitpasauplushaut. Letempsétaitglacial;iltombaitdelaneigefondueetj’avaislesmainsengourdies.Devinessayait dem’apprendreàfaireremonterunestalactitesursabranche. —Tun’espasassezconcentrée!cria-t-il.Sers-toidetonesprit,Skye,canalisetonénergie. —Maisc’estcequejefais!répondis-je,exaspérée. J’avaisbeautenterd’utiliserlatechniquequem’avaitenseignéeAsher,jen’yarrivaispas.Mêmesi la journée passée avec Cassie m’avait rassérénée, elle m’avait aussi fait réaliser à quel point mon ancienne vie me manquait. J’aurais tout donné pour regarder un film dans la chambre de Cassie, prendreuncafélatteauBean,oujoueraubillardavecDanetIan. Mescheveux,humides,mecollaientauvisageetàlanuque.Pasbesoind’êtredevinpourimaginer dequellecouleurétaientmesyeux… —T’enfaispas,fitAsher. Ils’approcha,lesdeuxmainstenduesversmoi.Enunclind’œil,ilfitapparaîtreuneflammeentre sespaumes. —Luimâcherletravailn’arrangerarien,intervintDevin. Ilavaitprononcécettephrased’untonjaloux.Non,impossible!LesGardiensneconnaissaientpas cesentiment,selonsespropresparoles. —Jecroisquec’estclair:tonapprocheàtoiestunfiasco,réponditAsher. —Parpitié,arrêtezdevousprendrelebec!suppliai-je. Lefeudisparutdesmainsd’Asher,etl’airredevintglacial. —Onvas’arrêterlà,décidai-je. Vexé,Devintournalestalonsetévitadecroisermonregardaumomentoùils’envolaitparmiles arbres. Asheretmoirestâmesseulsdanslechamp,l’unenfacedel’autre. —Skye…,commença-t-il. Jeledévisageai.J’avaistantdechosesàluidire… Mais je fis volte-face et courus jusque chez moi. J’envoyai valser mes bottes dans la cuisine et montail’escalierenlaissantderrièremoidesempreintesmouillées.Jejetaimesvêtementsenboule surleseuildelasalledebainsetrestaidebout,amorphe,danslacabinededoucheavantdemerendre comptequejen’avaispasfaitcoulerl’eau.J’ouvrislerobinet,espérantquelejetbrûlantemporterait macolèreetmatristesse. Lachaleurravivamacirculation,maisnem’empêchapasd’éclaterensanglots.Jepleuraissifort quemesjambessedérobèrent.Jedemeuraiassisedanslebacàdouche,lesgenouxremontéscontre mapoitrine,lesyeuxrivéssurlestourbillonsmousseuxquis’écoulaientdanslesiphon. Jenesavaispluscequejevoulais.Avais-jevraimentdonnélemeilleurdemoi-mêmeaucoursde l’entraînement?J’avaisl’impressiond’êtreunebombeàretardementsurlepointd’exploser.Etles seulespersonnescapablesdemecomprendren’étaientmêmepashumaines. Jesortisdeladouche,m’essuyaietenlevailavapeurdumiroirau-dessusdulavabo.Jefixailafille quis’yreflétait:lescheveuxnoirs,leslèvresgonfléesparlespleurs,levisagemarbréderougeetles yeuxargentés.Pasgris,argentés. J’enfilaiunpyjamaenflanelle,mecouchaietmerecroquevillaienpositionfœtale.Mamèreme manquaitplusquetout. Tôtlelendemainmatin,j’entendisTanteJopiétinersurleseuildemaporte,faireunpasdansma chambre,puisreculerdanslecouloir.Elleavaitdûrevenirtarddanslanuit. —Skye?dit-elleenfin.Tuesréveillée? Jegrognaiuneréponseinintelligible. —Jeprendsçapourunoui.Jedoisretournerenrandonnéecetaprès-midi,jeseraiabsentependant dixjours.Veux-tuquejetepréparetonpetitdéjeunerpourmefairepardonner? Commesiuneassiettedepancakespouvaitrésoudremesproblèmes… Dixminutesplustard,jedescendaisdanslacuisinevêtued’unpantalondejogging,dequatreteeshirtsàmancheslonguessuperposésetd’uneécharpefaisanttroisfoisletourdemoncou. TanteJomedévisageaetfronçalessourcils. —Tupassesuneauditionpourunfilmd’horreur?plaisanta-t-elle. —Jenerépondspasàlaprovocation,lâchai-jeenm’installantàtable. Elles’assitenfacedemoi. —Monemploidutempst’embête,pasvrai? —Non,pasdutout. —Alors,tuasunproblèmeavecungarçon? Jesoupirai. —J’aideuxmecsentête…Maisjen’aipasenvied’enparler. —Est-cequejelesconnais? —Non,ilssontnouveaux. —Cesontceuxdonttum’asdéjàparlé? J’acquiesçai.TanteJones’attardapasdavantagesurlesujet. —Dis,est-cequemamant’aparlédesafamille?fis-je. —Ellem’asimplementexpliquéqu’elleétaitorpheline.Maistulesaisdéjà. TanteJoétaitorpheline,elleaussi.Cepointcommunavaitrenforcéleuramitié. —Pourquoi,tuasenviederetrouvertesracines?demanda-t-elle. Était-ce le cas ? Peut-être… J’avais des grands-parents au sein de l’Ordre et de la Rébellion. S’intéressaient-ils à moi ? Pourquoi n’avaient-ils pas pris contact avec moi aussitôt que Devin et Asherétaiententrésdansmavie?Ilsdevaientêtreaucourantdemonexistence! —Jenesaispas.Jepenseàpleindetrucsencemoment. —J’auraisaimépouvoirtedonnerplusdedétails,moncœur. Si seulement elle savait ce qui se passait dans ma vie !… Je versai du sirop d’érable sur mes pancakes. —J’espèrequelespancakesdétiennentlasolutionàmonproblème… —Ilsontréponseàtout!répliquaTanteJoenriant. Après avoir fini de manger et embrassé Tante Jo, je me mis en route pour le lycée, un peu rassérénée. Tante Jo était la personne à qui je tenais le plus au monde. Aussi longtemps qu’elle serait à mes côtés,jepourraistoutsurmonter. 30 Jeretiraisdeslivresdemoncasierlorsqu’unboutdepapierpliéenglissaetvirevoltajusqu’ausol. Jemebaissaipourleramasser,pensantinstinctivementqu’ils’agissaitd’unmessaged’Asheroude Devin.Maisàlavuedemonnommarquéd’uneécriturebaroque,jedevinaiqu’ils’agissaitdeCassie. Elle n’envoyait jamais de texto ; elle préférait passer des coups de fil ou laisser des mots cérémonieux.Onpouvaitdirecequ’onvoulaitdeCassie,maiselleagissaittoujoursavecbeaucoup declasse. Voicicequ’ellem’annonçait: CassieetlesEllipsesMystérieusesvousinvitentàleurtoutpremierconcert! Cesoirà20h30. AuLoveTheBean 75MainStreet RiverSprings,Colorado Répondezenremettantcetteinvitationdansmoncasieravant15heures. _____________acceptevolontierscetteinvitation. _____________déclineavecregretcetteinvitation. Amusée,j’inscrivismonnomsurlapremièreligneavantdemedirigerverslecasierdeCassie.Je stoppainet:Asherm’yattendait.Commeilétaitladernièrepersonnequej’avaisenviedevoir,jefis demi-touretfilaidansmasalledecourssansdéposerl’invitation. Quandj’arrivaiàlacafétéria,Cassieétaitdéjàinstalléeànotretable,saguitaresurlesgenouxet unepartitiondemusiquedevantelle.Jem’assisfaceàelleetluiagitaimoninvitationsouslenez. —Désoléedevousdéranger,chèredemoiselle,maisj’aiquelquechosepourvous. —Oh!Super,j’aidéjàeupleinderéponsespositives.J’espèrequ’ilyauraassezdeplaceauBean !Qu’est-cequetuvasmettre?Promets-moidet’habillerchic! Jeposail’invitationsurlatableetdéballaimonsandwichàladinde. —Jenesaispascequejevaisporter,fis-je.Etjedétestem’habillerchic. —D’accord,tantpispourlatenue,maistuviens,hein? —Biensûrquejeviens. —Chouette!Parcequej’aiunequestionàteposer. —Laquelle? Ellesetut,uninstant,sansdoutepourfairemonterlatension. —Tuaimesprendredesrisques? —Quelgenrederisques? —J’aienviedefaireuntruccesoir.Etçamefoutunpeulesjetons. —Queltruc? Cassiesemitàjoueravecunemèchedecheveuxéchappéedesatresse. —Çaseraitunepremière.J’aiundecestracs! —Normal,tuvaschanterdevantunecentainedespectateurs! —Tuplaisantes?Jesuisuneartiste:lascène,c’estmontruc.Parcontre,là,sijemelançais,ça seraithallucinant! —Alors,fais-le!répondis-jesanstropréfléchir.Dequoiils’agit? —Tuverrascesoir,ditCassieenm’adressantunclind’œil. QuandDanetIannousrejoignirent,ellepiquaunfardetsetut. J’étais en train de prendre des bouquins dans mon casier pour les derniers cours lorsque Devin surgitderrièremoi. —Rangeça!s’écria-t-ilavecunpetitsourireenm’arrachantleslivresdesmainspourlesreposer surl’étagère.Ons’enva. —Ahoui?Etpourquoi? —Onsèchelescoursjusqu’àlafindelajournée. Lecouloirsevidaitpeuàpeu;laclocheétaitsurlepointdesonner. —Super,marmonnai-je.Surtout,net’enfaispaspourmonbulletinscolaire!Jedénicheraibienun petitboulotaufast-foodducoin. —Skye,mecoupaDevind’untonirrité.Çasertàriendenouséviter!Ilesttempsdeseremettre autravail. —Parfait,lâchai-jeenrefermantmoncasier. Restée la veille au lycée pour passer l’examen de rattrapage de Mlle Manning, je n’avais pas pu allerm’entraîner;jesuivisdoncDevinverslasortie. Ashernousattendaitprèsdemavoiture.J’eusdumalàtraverserleparkingtellementmesjambes tremblaient.Jem’installaisansunmotauvolant;Devins’assitsurlesiègepassageretAshersurla banquettearrière.Jedémarraietprislaroutedelamontagne. Il faisait incroyablement doux pour une journée d’hiver. La pluie avait fait fondre la neige par endroits,révélantdestouffesd’herbemorte. Nous laissâmes la voiture au pied de la montagne et grimpâmes un sentier escarpé jusqu’à une clairière recouverte d’une couche de neige compacte. Des stalactites pendaient aux branches des arbresquil’entouraient. Devinsetournaversmoi. —Skye,dit-ild’unairgrave,cettedernièresemaineaétécompliquéepourtoi,maisaujourd’huitu doisfairedesefforts.Jeveuxquetum’impressionnes,quetumemontrescedonttuescapable. —Oh,c’estbon!gémitAsherendéployantsesailesgigantesques.Ellesaitcequ’elleaàfaire! Skye,souviens-toidecequejet’aidit:fermelesyeux,visualiseuninterrupteuretappuiedessus. —Etsij’échoue,onm’enverraàlaguillotine? — Ce n’est pas le moment de plaisanter ! déclara Devin. Il est temps que tes pouvoirs se manifestent.Leurnaturedétermineratadestinée,n’oubliepas. —Enclair,lanaturedemespouvoirsdétermineralequeldevousdeuxjedevraisuivre?Etsije n’aienviedesuivrepersonne? —TuserasobligéedefaireunchoixuniquementsitespouvoirsregroupentceuxdesÉlusetceux desRebelles,expliquaDevin,quisemblaitperdrepatience. JefisungesteversAsher. — Les Rebelles, qui possédaient des pouvoirs relatifs à la lumière, ont décidé d’en développer d’autres.Pourquoijenepourraispasenfaireautant? —C’estpossible,admitAsher.Maissituoptespouruncamp,tuperdraslespouvoirsdel’autre. —Alors,jepeuxchoisir? —Oui,ditAsher. —Non,fitDevinaumêmemoment.SitudétienslesmêmespouvoirsquelesÉlus,tufaispartiede l’Ordre. — Peu importe ! s’écria Asher, contrarié. Notre mission, c’est de t’aider à trouver tes pouvoirs, Skye.Alors,s’ilteplaît,essaiedelesinvoquer. Jefermailesyeuxettentaidescruterl’obscuritéderrièremespaupièrespourvoircequ’elleavait àm’offrir,nesachantmêmepascequej’étaiscenséechercher. Quandjelesrouvris,AsheretDevinmedévisageaient,l’airtendu. Devinsoupira: —Toujoursrien?Essaieencore. Jebouillonnais:siseulementjepouvaismeservirdecessatanéspouvoirspourmedébarrasserde Devin et de tous mes problèmes ! Si seulement je pouvais atteindre cet interrupteur et le faire fonctionner… Àcetinstant,unrochersedétachaduflancdelamontagneetdébouladroitsurDevin. Toutsedéroulaenunéclair. Jetendislamain. Uneforceincroyableremontaversmapaume. Ashercriaquelquechoseenagitantsesailes. Etlerochers’arrêtaaumilieudesacourse,suspendudanslevide. Puisilfitdemi-touretregagnasaplace. AsheretDevinmeregardaient,bouchebée. —C’étaitquoi,Skye?soufflaDevin.Commenttuasfait? —Pasmal,commentaAsher,unsourireauxlèvres.Maislaprochainefois,évitedefaireremonter lerocheretlaisse-les’écrasersurDevin. —Refais-le!suppliaDevinenignorantlaremarquedesonrival. Jefisunenouvelletentative,inquiète:etsijen’arrivaispasarrêterlerocheràtemps,cettefois-ci? Riennesepassa. —Encoreuneffort!criaDevin,dontlavoixfittomberquelquesstalactites. —Jefaiscequejepeux!braillai-je.Qu’est-cequevousattendezdeplus? —Cen’estpassuffisant,ditDevinenregardantdanslevide.Ilyaquelquechoseentoiqui… Ilsetut,l’airtroublé. —Jesaisquec’estlà,entoi,déclara-t-ild’untonsec. Rien à voir avec le Devin tel qu’il était quand nous étions seuls et que je me réveillais dans ses bras… — Tu dois essayer, encore et encore, dit-il en détachant chaque mot. Ou sinon, je ne sais pas ce qui… —C’estbon,t’asfini?lançaAsherennousrejoignantd’unpasnonchalant. IlfusillaitDevinduregard.Cedernierouvritlabouche,commepourajouterquelquechose,mais ilseravisa.Était-ilobligédefaireunchoixcontraireàsaproprevolonté?Pourlapremièrefois,je mesuraisonamertumefaceàAsher. S’il pouvait sacrifier si aisément ce qu’il désirait au bénéfice de la guerre entre l’Ordre et la Rébellion,dequoiétait-ilcapablepoursatisfairelesÉlus? —Viens,fitAsherenm’éloignantdelui.Tuasfaitdetonmieux. —Non,s’écriaDevin.Net’envapas,jet’enprie! Un nœud se forma au creux de mon ventre. Je voulais aider Devin, mais cette pression qu’il exerçaitsurmoimefatiguait. —Netemetspasentraversdenotrechemin!lâchaAsherd’untonglacial.Jenetelaisseraipasla pousser à bout. Nous savons tous les deux que les pouvoirs de Skye se manifesteront au moment voulu. —Réfléchisbienàcequetufais,Rebelle!crachaDevin. —Jetedonnelemêmeconseil,ripostaAsher. —Çasuffit!hurlai-je.Arrêtezdevousbattre!J’enaimarre!Jesuisgrande,jepeuxm’occuperde moitouteseule! Lesilences’abattitsurlaclairière. —Jemecasse!dis-jed’unevoixétonnammentassurée. Jeregardailesdeuxmessagers,pivotaisurmestalonsetredescendisparlesentierquimenaitau pieddelamontagne. Le soir, je décidai de faire plaisir à Cassie et de me mettre sur mon trente et un. J’optai pour la petite robe noire qu’elle m’avait forcée à acheter lors de notre dernière virée shopping et pour les joliesbottesdeTanteJo.Jememaquillaietlaissaimescheveuxdétachés.Unfrissondesatisfaction meparcourutlorsquejemevisdanslaglace.Jemetrouvaisjolie. Quivoulais-jeimpressionnerenmepomponnantdelasorte? Arrivée devant le Bean, je coupai le moteur et restai quelques instants dans ma voiture glaciale, hésitantàentrer.AsheretDevinseraient-ilsprésents?Cesoir-là,jevoulaistoutoublieretpasserdu bontempsavecmesamissansavoiràsupporterlesremarquesdeDevinàproposdemesprétendus pouvoirs,nilavued’Asher,quimerappelleraitlechagrind’amourqu’ilm’avaitinfligé.Jeprisune grandeinspirationpourmedonnerducourage,sortisdelavoitureetpoussailaportedubar. L’atmosphère y était douce, magique. Cassie avait une nouvelle fois installé des guirlandes clignotantes.Moiquiavaisdumalàreconnaîtremaviecesdernierstemps,jemesentistoutdesuite incroyablementbien. Cassie,paréed’unecouronnedeviolettes,arpentaitlascènehabilléed’uneminijupeàsequinstrop légèrepourlasaisonetdebottinescloutées.Quandellemevit,ellelevalespouces,sansdoutepour mesignifierqu’elleétaitprêteàprendrelefameuxrisquedontellem’avaitparlé.Jeluifissignedela mainetluienvoyaiunbaiserenmedemandantcequ’ellepouvaitbienmijoter. Lesmusiciensdesongroupeaccordaientlesinstruments.Dan,assisaupremierrang,m’invitaàle rejoindre. — Alors, tu es venue ! fit-il en m’enlaçant. On ne te voit plus beaucoup ces temps-ci, à part à la pausedéjeuner. —C’estvrai… —Bon,c’estsympa,enchaîna-t-il,j’aimebienmangermesfritesentaprésence,mais…Avant,on discutait,ettout… —Oui,jesais,je… —Toutvabien?Jepeuxfairequelquechosepourt’aider? Jememordislalèvreinférieure.Jeréalisaique,minederien,nousétionsentraindegrandir,etla simpleprésencedenosamisnesuffisaitplus. —Merci,fis-jeenluidonnantunpetitcoupdanslebrasetensouriant.Jevaisbien. —Situledis…lâcha-t-il,unpeudéçu.J’auraisbienvoulumebagarrer.Çafaitlongtempsqueje n’aipasbottélesfessesàunemmerdeur! —Oui,depuisl’écolematernelle,plaisantai-je. — Tu sais, Skye, je me fais du souci pour toi. Si tu veux que j’aille casser la gueule à un petit nouveau,tun’asqu’à… —Dan,tun’espasobligé… —Jen’appréciepasleurfaçondeteregarder,commesituétaisuntrophée. —Dan,sijamaisj’aibesoind’ungardeducorps,jeteferaisigne,d’accord? —OK,jecomptesurtoi! NousfûmesinterrompusparlesifflementdumicroqueCassieétaitentrainderégler. Une fois les préparatifs terminés, elle regarda son public, radieuse, ses cheveux roux se fondant danslaluminositétamiséedelasalle.Puisellesaisitlemicroàdeuxmainsetcommençaàchanter. Elle était fabuleuse, et les Ellipses Mystérieuses faisaient du bon boulot. Tout le monde écoutait, subjugué. Auboutd’unmoment,Cassiedéclara: —Jedédiecettechansonàmesamis. Elle avait l’air déterminé, comme si elle se préparait psychologiquement à un gros bouleversement. Trey et Jonah, ses musiciens, abandonnèrent leurs instruments, et Cassie prit une guitareacoustiqueavantdes’installersuruntabouretaucentredelascène. Ellesemitàjouer,ettoutautourdenousdisparut.Iln’yavaitplusquelesondesaguitare,etcelui desavoixcristalline. Saufqu’ellenechantaitpluspoursesamis:ellechantaitpourl’und’euxenparticulier… DandévoraitCassiedesyeuxcommes’illavoyaitpourlapremièrefois,etcommes’ilavaitenfin compris.Unsouriresedessinasurseslèvres. Toutenchantant,Cassieouvritlespaupièresetposasonregardsurlui. Jesentismoncœurseserrer.Alors,commeça,CassieétaitamoureusedeDan,etjen’avaisrien soupçonné!Quelleamienullejefaisais! Ians’approchadenousàpasdeveloursettapotalebrasdeDan. —Elleestgéniale!chuchota-t-il. —Carrément,réponditDan. —Elledevraitenregistrerunalbum. —Jecroisqu’elleyadéjàsongé. Ianfitungesteendirectiondubar. —Jevoussersquelquechose?Cadeaudelamaison. —Ian!m’exclamai-je.Commenttonpatronpeut-iltegarder? —Queveux-tu,apparemment,certainespersonnesm’apprécient… Touchée!Unefoisdeplus,jeculpabilisai:CassieetDann’étaientpaslesseulsamisquej’avais négligés. —Jevaisprendreuncafélatte,mecontentai-jederépondre. Treycomptajusqu’àquatreenentrechoquantsesbaguettesau-dessusdesatête,etilsattaquèrentun autre morceau. Dan et moi nous mîmes à danser en faisant coucou à Cassie, qui, rayonnante, commençaitàchanter. Ducoindel’œil,j’aperçusAsherquientraitdanslecafé,secouantlaneigedesonmanteau.Jefis semblantdenepaslevoiretcachaimonvisagederrièremescheveux.Danéclataderire.Jejetaiun regard discret vers Asher : il nous observait d’un air morose. Entre-temps, Ian revint avec nos boissons.Nousnousassîmesetjesirotaiquelquesgorgéesdecafé.Quandjelevailesyeux,Asher avaitdisparu. DanetIanécoutaientCassiechantersansmeprêterattention. —Tum’accordescettedanse? Jemeretournaibrusquement,manquantderenversermonmug.Devinsetenaitdevantmoi,timide, l’airpleind’espoir. —Euh…oui,pourquoipas,répondis-jeenluidonnantlamain. Ilm’enlaça,etnousrejoignîmeslescouplesquiévoluaientsurlapiste.Jen’avaispasl’habitudede danserauBean,etcettedémonstrationmemettaitmalàl’aise. Alorsqu’ilmeserraitcontrelui,jemesurprisàrepenseraubonheurquej’avaiséprouvéenme réveillantdanssesbras. —Tudansesplutôtbien,fis-je. —J’aidesannéesetdesannéesd’expérience,répondit-il. Desdécennies?dessiècles?des…millénairesd’expérience?Jen’avaispasvraimentenviedele savoir. Ilsetutetralentitlerythme.Nousbougionsàpeine. —Jesaisquejen’aipasétécommode.Jenesuispas…aussispontanéqu’Asher.Mais… Ils’écartademoi,leregardintense. —Jetiensàtoi,Skye.Jeneveuxpasquetuprennesunemauvaisedécision. —Unemauvaisedécision,quimeconduiraitducôtéobscur? —Sachequetuesimportante,etquejeferaisn’importequoipourtoi. Ilnemequittaitpasdesyeux.Ilavaitl’airémuetsincère. Àlafinduslow,Devinmelâchaetpartitsansseretourner.CommeAsher. Cassienousrejoignitpendantl’entracte,sonchignondéfaitetlesjouesenfeu. —Alors,verdict? —Vousavezassuré!s’écriaIan. Cassieesquissaunepetiterévérence. Dan,silencieux,jouaitavecsescheveux. —Jeconfirme,vousavezétégéniaux,fis-je.Ilvafalloirfêterça. — J’espérais que tu allais le proposer ! s’exclama Cassie. Comme Jo n’est pas là, je me suis dit que… —Pasquestion!répondis-je.Matantemetueraitsiellel’apprenait. —Oh,Skye,jet’enprie!C’estnotrepremièresoiréeensembledepuistonanniversaire,ettuasla maisonpourtoi!Enplus,tudisaisquetut’ysentaisseule. Pourquoi hésiter ? C’était l’occasion rêvée d’organiser une petite fête. Tante Jo ne devait pas ignorercequ’ellerisquaitenlaissantuneadolivréeàelle-mêmependantdessemaines… —D’accord,acquiesçai-jeàcontrecœur. —C’estvrai?Super! Cassieremontasurscène,saisitsonmicroets’écria: —L’after-partyauralieuchezSkyecesoir! JemetournaiversDan. —Jemedemandesic’estlameilleure,oulapireidéedetouslestemps… 31 Ma maison se révéla parfaite pour la soirée. Les baies vitrées laissaient passer le clair de lune, créant une atmosphère romantique, et les dimensions du salon permettaient aux invités de circuler sansencombre.C’étaitdécidé:j’allaisorganiserlafêtepourlafindel’annéescolaire.Mêmesi,d’ici là,jenesavaispasoùj’enseraisdemarecherchedepersonnalité… LefrèreaînédeMaggieMeltzeravaitapportéunfûtdebière,quel’oninstalladanslacuisine,sous lafenêtreoùm’étaitapparueRaven.Malgrétousmesefforts,monancienneexistenceempiétaitsans cessesurmanouvellevie. Jesirotaimabièreendiscutantavecdesfillesdemonéquipedeski.MarelationavecEllieétait toujoursunpeutendue,maisellem’énervaitmoinsqu’avant.Bienentendu,repenseràAsheretelle entraindes’embrassermedonnaittoujourslanausée;maissavoirqu’Asherallaitretournerunjour auprèsdelaRébellionmerendaittoutaussimalade. Cassiemerejoignitetm’attiraàl’écart. —Bon,fit-elle,çanetedérangepaspourDan,hein? —Hum…,dis-jepourlafairemarcher. —Jen’airiendit,depeurdetoutgâcher…Onestdesibonsamis,Dan,toietmoi!Alors,çanete dérangepas,dis?Enfin,s’ilressentlamêmechose… —Tuplaisantes?Ilestraidedinguedetoi!Tuauraisdûlevoiraumomentoùilacomprisquetu chantaispourlui…Jesuisraviepourvous! En réalité, ça m’avait fichu un coup : si elle et Dan sortaient ensemble, cela bouleverserait la cohésiondenotrebande.J’essayaidemeraisonnerenmedisantquej’auraisaiméquerienn’entrave marelationavecAsher.Jedevaism’habitueràvoirleschosesévoluer. JedécidaideparleràCassiedemesparents,deluiavouerlavéritéàproposd’AsheretdeDevin, et de mon propre rôle dans cette situation. Il y avait du monde dans la cuisine, mais nous nous trouvionsdansuncoinoùpersonnenenousentendrait. —Cassie,commençai-jed’unevoixchevrotante.Jedoistedirequelquechose. —Jelesavais! — C’est difficile d’en parler, mais je veux que tu le saches. Tu es ma meilleure amie, et je suis désoléedet’avoircachétoutça…J’auraisdûtemettreaucourantdepuisledébut. — C’est rien, me répondit Cassie en me posant la main sur l’épaule. Je ne t’en veux pas. Je te prometsqueçaresteraentrenous. —D’accord,fis-jeenprenantunegrandeinspiration.Tutesouviensdel’histoirequenousavait racontéeAsherautourdufeudecamp? Intéressée,Cassiesouffla: —Oui!Tuveuxdireque…? —Non,enfinpresque.C’estplusqueça…Enfait… Jem’interrompis:j’avaisdenouveaul’impressiond’êtreobservée.JemeretournaietvisDevin près de l’îlot central. Il ne nous regardait pas, mais son expression indiquait clairement qu’il avait toutentendu.Jedevaisvitetrouveruneparade! —Enfait,poursuivis-je,iln’ajamaisaiméEllie.Ons’estembrassés;c’estmoiqu’ilaime. Jedisaislavérité,mêmesielleétaitpartielle.J’étaismaladeàl’idéequeDevinentendaitcela,mais jenepouvaispaslelaisserdevinerquej’allaistoutdévoileràCassie. Cettedernièreouvritdesyeuxgroscommedessoucoupes. —Oh,Skye!s’exclama-t-elleenmeprenantdanssesbras.C’estfantastique!Jet’ordonnedetout meraconterendétail! —Jeleferai,promis.Là,ilfautquetuaillesretrouverDan.Vousavezdestasdechosesàvous dire.Moi,jevaisvoircommentsepassecettefête;c’estmoil’hôtesse,aprèstout! —C’esttellementromantique!roucoulaCassieenbattantdesmainsavantdefilerdanslesalon. Ouhlà,j’avaisfrôlélacatastrophe!Jenem’enremettaispas.Jemeretournaietmetrouvainezà nezavecAsher.Devin,lui,avaitdisparu. —Qu’est-cequiestromantique?demandaAsher,latêtepenchéesurlecôté. Ilm’observaitcommes’ilessayaitdeliredansmespensées.Ilétaittropbeauavecsonjeanetson sweatcouleurchocolat!J’avaisenviedenichermonvisageaucreuxdesonépauleetdesentirson soufflesurmajoue. —Rienquiteconcerne,dis-jeenessayantdem’éclipser. —J’auraisplutôtcrulecontraire,mechuchota-t-ilàl’oreille.Alors,vousparliezdemoi? —Non!m’écriai-je.D’ailleurs,qu’est-cequetufichesici?Jenet’aimêmepasinvité! —C’estvrai,maistacopineainvitétoutlemonde.Allez,nesoispasdésagréableetoffre-moià boire. —Etpuisquoiencore?Pourquoituesvenu? Asher,déconcerté,conservatoutdemêmesontonenjoué. —J’avaisenviedetevoir.Enplus,aucasoùtul’auraisoublié,dit-ilenmeprenantgentimentmais fermementparlecoude,j’aiunemissionàaccomplir.Jedoisteprotéger. —Ehbien,tut’yprendscommeunmanchecesderniersjours! —Arrêted’êtreaussicompliquée! —Maisjesuiscompliquée!Àcausedemesdeuxnatures. —C’estpasvrai!soupiraAsherensepassantlamaindanslescheveux.Tuesvraimentincroyable !Bon,jet’explique:j’aipaseudenouvellesdelaRébelliondepuispasmaldetemps,etlaprésence de Raven m’inquiète. Quelqu’un a dû l’envoyer ici, elle n’aurait jamais pris l’initiative. C’est une Gardienne,elledoitobéirauxordres.C’estsavie. Mon cœur tambourina encore plus fort. Asher, inquiet ? C’était bien la première fois qu’il l’avouait. —Alors?demandai-je. —Alors,ildoitsetramerquelquechose,etj’aimeraissavoircequec’est. Nousrestâmessilencieuxuninstant. —Tuestrèstrèsenbeauté,dit-ilàbrûle-pourpoint. —Ahoui?fis-je,flattée. Ilsepenchacommepourm’embrasser,maissemblaseraviserauderniermoment. —Désolé,jepréfèrem’éloignerunpeudetoi.Maisjeneparspas;jevaistesurveiller,d’accord? —Peuimporte,faiscommeçatechante,soupirai-je. Jefisletourdusalon:toutsepassaitbien.EricWalshavaitbranchésoniPodauxenceintesetla maisonrésonnaitdemusique.Parmiracle,lefûtdebièren’étaitpascomplètementvide.CassieetDan n’étaient pas en vue ; Ian, lui, discutait avec Elizabeth Seifert. Tant mieux : il méritait de trouver quelqu’un qui l’apprécierait à sa juste valeur. Je saisis mon manteau et m’approchai de la porte coulissante qui menait à la terrasse. Je me figeai : Asher, appuyé sur la rambarde, se découpait en silhouettecontreleclairdelune.Ilregardaitlesétoiles. Aulieudelerejoindre,commelesoirdemonanniversaire,jeretournaidanslacuisineprendre uneautrebière.Cettefois-ci,jen’allaispasfuirmafête! 32 Aulieuderamasserlesgobeletsenplastiquequijonchaientlesol,Cassieetmoi,perchéessurle comptoirdelacuisine,bavardionsengrignotantdesrestes.Ilétaitdeuxheuresdumatin;lesderniers invitésvenaientdepartir. —Allez,jerentre!fitCassieensautantàterre.Ondéjeuneensembledemain?Onsemangeraun trucbiengras! —Tuessûred’êtreenétatdeconduire?m’inquiétai-je.Tuaseuletempsdedessoûler? —Turigoles!J’airienbu,j’étaistropoccupée,réponditmonamieavecunsourireénigmatique. — Si je comprends bien, tu n’as pas l’intention de me dire quoi que ce soit à propos de Dan ? marmonnai-jeenl’accompagnantàsavoiture. —Humhum!fit-elleavantdes’installerauvolant. —Bien! Jetapaisurletoitdelavoitureetreculai. Cassietournalaclédanslecontact.Rien.Elleessayadenouveau.Seulunesortedecouinementse fitentendre. —Ohnon!s’écria-t-elleensortant.Bagnoledemerde! —Hourra!lançai-je,soulagée.Commeça,tuvasdormiriciet,demainmatin,ons’occuperadela dépanneuse.D’accord? —Mais,d’abord,onseferaunsuperpetitdéjeuner,hein? —Accordé! Dansmachambre,nousempilâmesdesoreillersetdescouverturessurlesol,commeaubonvieux temps. —Skye? —Oui? —Danetmoi,ons’estembrassés. —Jelesavais! —Jesuistropcontente!soupiraCassie.Tumeprometsqueçanechangerarienànotreamitié? Uneminuteplustard,elledormaitprofondément. À midi, les rayons du soleil et un vent froid s’insinuant sous nos couvertures nous tirèrent du sommeil. —Qu’est-cequec’est?grognaCassie. —Machambres’esttransforméeenbanquise,dis-jeenplongeantsousmacouette. —Faisquelquechose,bonsang! Jejetaiuncoupd’œilverslafenêtre:elleétaitgrandeouverte. —Valafermer!criaCassie.MonDieu,pourquoitul’asouverte? Jen’yétaispourrien,maisjeconnaissaislecoupable… —J’aidûlefairedansmonsommeil.Ilfautcroirequejesuissomnambule. Jemeprécipitaihorsdescouvertures,poussailebattantetretournaidansnotrelitimprovisé. —L’airfrais,çacreuse.J’aienvied’unebonneomelette,déclaraCassie.Avecdespommesdeterre sautées. Unedemi-heureplustard,nousroulionsversleBigMouth’s.Cassietéléphonaàsamère. — Oui, j’ai dormi chez Skye après le concert. Pardon de ne pas avoir appelé hier soir. Ouais, c’étaitgénial!Là,onvadéjeuner.Etmavoiturearendul’âme,jevaisdevoirlafaireremorquer.J’en saisrien,maman…Quoi?J’espèrequeçanecoûterapasaussicher.Commentjepourraislesavoir? J’aiencorejamaisfaitremorquermavoiture!Bon,d’accord.Laissetomber.Jeterappelleplustard. Bisous. Elleraccrochaviolemment. —Punaise,grogna-t-elle.Lesparents,quelleplaie! Uneexpressiongênéesepeignitaussitôtsursonvisage. —Oh,Skye,jesuisdésolée.Jenevoulaispasdireça… — Ça ne fait rien, répliquai-je, vaguement choquée quand même. Je dois avouer que tes parents sonteffectivementunpeuchiants. Après un déjeuner délicieux (et bien gras), je conduisis Cassie au garage. Tandis qu’elle s’entretenaitaveclemécanicien,jesortisprendrel’air. —Skye? JemeretournaietmetrouvainezànezavecDevin. —Tum’asfaitunedecespeurs! —Excuse-moi,dit-il. Ilressemblaitaugarçonsympachezquij’avaispassélanuit,ilyavaituneéternitédecela. —Qu’est-cequetufichesici?demanda-t-il. Jefisunsignedetêteendirectiondugarage. —Cassien’apasréussiàdémarrerhiersoir.Elleestentraindenégocierundépannage. Àcemoment-là,Cassiesemitàcrier: —Quoi?Répétez!Çavamecoûtercombien? J’éclataiderire. —Tusais,commençaDevin,mêmesijen’enaipasbesoinpourmedéplacer,lesvoituresm’ont toujoursfasciné.J’enaidéjàréparéplusieurs;jenesuispasmauvaisenmécanique.Jepourraisfaire unsautcheztoietyjeterunœil. —C’estvrai,tuferaisça?Çanousaideraitbeaucoup,carCassien’apasunrondencemoment,et sesparentssontsuperdursenaffaire. —Ceseraunplaisir.Jevaisyallertoutdesuite.Pendantcetemps-là,vousn’aurezqu’àfaireun tour.J’auraifiniavantquevousayezletempsdedireouf. —C’esttrèsgentildetapart,Devin.Merci! Ilmesouritdumêmesourireenjôleurqueladernièrefois. —Cen’estrien. Lorsque Cassie sortit du garage en claquant la porte, je lui appris la bonne nouvelle. Nous saluâmesDevinetfilâmesverslecentrecommercial. Jepassailesmeilleuresvingt-quatreheuresdecesdernièressemaines.D’abordleconcertauBean, puis la fête, la soirée pyjama, le déjeuner, et enfin cette virée au centre commercial ! Cassie me fit acheterunejolierobe-pullblanche,merecommandantdelaporteravecdesbottes,commelaveille. J’avaishâtedevoirlatêted’Asherlorsqu’ilmeverraitdanscettetenue. Et,peut-êtreparcequejepensaisjustementàlui,ilapparutalorsqueCassieessayaitdesvêtements dansunecabine.Jedéambulaisnonloindelàlorsquejelevisdevantmoi. —Nesoispassisurprise,dit-il.Tum’asautoriséàtesurveiller. —Àlafête,pasquandjefaisdushopping. —Tunel’avaispasprécisé. —Qu’est-cequetufaislà?m’exclamai-je,agacée. —Jetesurveille. —Jesuissérieuse. Ilhaussalesépaulesetsoupira. —Jepensaisqu’onpourraitfairequelquechoseensemble.Untrucquin’auraitrienàvoiravectes pouvoirs.Jenesaispas,moi,allerauBeanjoueraubillard… —C’estunrencardquetuveux? —Pourquoipas? —Asher,jen’aimepastespetitsjeux. —Cen’estpasunjeu.Jesaisquejedevraist’éviter,pourtantjeneveuxqu’unechose:êtreavec toi.ÇaneferapasplaisirauxAnciens,mais… —Maisilsdevraients’yattendre,c’estça?ParcequetuesunRebelle. Ilm’adressaunsourireéblouissant. —Ilsontbeaus’yattendre,çaneleurplairaquandmêmepas.Maisjem’enfous.Jeveuxêtreavec toi.Onpourraitallerskier,ous’asseoirdehorsetprofiterdutempspasséensemble. C’étaittentant.Trèstentant.Mais… —Jenepeuxpas,pasmaintenant.JesuisavecCassie.Dumoins,jusqu’àcequeDevinaitréparésa voiture. —Devinréparesavoiture?répétaAsher,dontlesourires’évanouitinstantanément. —Oui,lemoteuralâché,etellen’apaslesmoyensdepayerungaragiste.Alors,illuiaproposé sonaide. Asherfronçalessourcils. —Etpourquoiilferaitça? —Pourêtresympa?suggérai-je. Ilsecoualatête. —Non,çanemarchepascommeça.Devinn’aaucunlibrearbitre.Iln’agitquesurconsignede l’Ordre. Faux!Quandilm’avaitlaisséedormirdanssonlit,c’étaitluiquil’avaitdécidé,pasl’Ordre. —Tunepeuxpasluifaireconfiance,Skye.Sijamaisilsabotesavoiture… —Ilnelasabotepas!Illarépare. —Non,àmoinsquelesÉlusleluiaientdemandé.Orcen’estsûrementpaslecas. —Pourmefaireplaisir?Pourm’influencerdansmonchoix?Jen’ensaisrien!Quoiqu’ilen soit,ilnousrendungrandservice. —Tunecomprendspas,Skye!Ildoitmijoterquelquechose:ilfautquejedécouvrecequec’est. —Tuexagères!Arrêtedeluifairejouerlemauvaisrôle. —Commetuvoudras… Ilmelançaundernierregard,puismetournaledos.Jesentismoncœurmelâcher:pourquoine pouvait-onsecomporternormalement,luietmoi,justepourunefois? —Bien,fitCassieensurgissantderrièremoi.Puisquejen’aiaucuneréparationàpayer,jem’offre deuxnouveauxhautsett’inviteàmangeruneénormecoupedeglace! Pendant que nous nous régalions, j’eus l’impression fugace d’être revenue à ma vie d’avant. À l’époqueoùtoutsemblaitsifacile… Lesbrasencombrésdesacs,nousnousapprochionsdemavoiturelorsquej’éprouvaiunedrôlede sensation. Des nuages s’agglomérèrent d’un seul coup au-dessus de nous et plongèrent le parking danslesténèbres.Jevacillaiettombailourdementsurlebitume. —Skye?criaCassie.Skye! Savoixmeparvenaitdeloin;puisjenel’entendisplusdutout.Ilfaisaitsinoirautourdemoique jenevoyaisrien.Leventsoufflait,etlesolondulaitsousmespiedscommes’ilétaitliquide. Soudain,touts’arrêta. Je n’étais plus sur le parking. Les nuages avaient laissé place à un ciel d’un bleu froid. J’étais toujoursàterre,maisdansunendroitinconnu,allongéesurledos,leregardbraquésurlesfeuilles luxuriantes d’immenses arbres qui se dressaient au-dessus de ma tête. De toute évidence, je ne me trouvaisplusdansleColorado. J’entendisquelqu’unm’appeler. «Cassie?»tentai-jededire,maisaucunsonnesortitdemabouche. Ilnes’agissaitpasdeCassie.Non,c’étaitAsher. —Skye?criait-il.Skye?Resteavecmoi… «Asher?S’ilteplaît,aide-moi!» Encoreunefois,lesmotsrestèrentbloquésdansmagorge. Levisaged’Asherétaitrecouvertd’ecchymosesetdeblessures. —Toutvabiensepasser,dit-il,maintenantqu’onestlà.Ilsvontnousaider,ilsveulentqueturestes envie. Puislesoleildevintéblouissantaupointdem’aveugler. «Asher!hurlai-je.Net’envapas!» Et,soudain,jemetrouvaidenouveauétenduesurlebitumeduparkingducentrecommercial. —Skye!appelaitCassie,agenouillée,àcôtédemoi.Tuvasbien?Tuestombéedanslespommes! Tuasencorelagueuledebois?Tuveuxmangerautrechose? —Non,fis-jeenessayantdebouger. Cassiem’offritsonbras,etjemerelevaienm’appuyantsurelle. —Çava,c’estpassé. Vraiment?Quevenais-jedevoir?Quem’était-ilarrivé? —Viens,ditmonamied’unevoixdouce.Onrentre. 33 PendantqueCassieconduisait,jemeblottisaufonddemonsiègeetfermailesyeux.Lesdernières vingt-quatre heures avaient été trop belles pour être vraies. Tout semblait si facile que j’en avais presqueoubliécequej’étaisentraindevivre.Cettevisionétait-ellelefruitd’undemespouvoirs? Et,sioui,dequelgenredepouvoirs’agissait-il? Enarrivantchezmoi,noustrouvâmeslavoituredeCassiegaréedansl’allée.Devin,lui,n’étaitpas là. —Tucroisqu’ilafinidelaréparer?medemandamonamie. —Essaie,tuverrasbien. Cassiepritplaceauvolantettournalaclé,restéesurlecontact.Lemoteurvrombitetdémarradu premiercoup.Ellefitmarchearrièreetpassalatêteparlavitrebaissée. —C’estincroyable!CeDevinestunange!Cemoteurn’ajamaisaussibienfonctionné. —OndiraitqueDevinadestalentscachés. Cegarçonmesurprenait.Asherbrossaitunportraitdeluipeureluisant;pourtantDevinavaitun cœurenor. —Tuessûrequeçavaaller?demandaCassie.Tuneveuxpasquejeresteunpeuavectoi? —Non,çaira,merci.Jevaisboireunpeud’eauetmereposer. —Bon,appelle-moisituasbesoindequoiquecesoit. —D’accord!lançai-jeavecdésinvolture. Saufquejen’allaispasaussibienquejevoulaislemontrer.Caruntruceffrayantgrandissaiten moi. Cassiepartie,jerentraiàlamaison,mesentantterriblementseule.J’attrapaiunchâleenlaineetle jetaisurmesépaulesavantdepassersurlaterrasse. Lesoleils’étaitcouchéderrièrelesmontagnes,etleciels’assombrissait. Moncœurfitunbondlorsquej’aperçusAsherassisdanslefauteuilenbois.Ilnemevitpastoutde suite,carilmetournaitledos,lesyeuxlevésverslespremièresétoilesdusoir,commelaveille. J’eus soudain envie d’être câlinée. Je m’approchai de lui, m’installai sur ses genoux et nous enveloppaitouslesdeuxdansmonchâle.L’airsurpris,ilmepassalamaindanslescheveuxtandis quejemeblottissaiscontrelui. —Est-cequetuaschasséDevinetréparélavoituredeCassietoi-même? —Non,ilétaitdéjàpartiquandjesuisarrivé.Maisj’aivérifiélemoteur:ilabienétéréparé. — Pourquoi cela t’étonne ? Je te rappelle que Devin m’a soignée, alors pourquoi n’aurait-il pas réparélavoituredeCassie? —L’Ordrenefonctionnepasdemanière…spontanée. Nousrestâmessilencieuxquelquesinstants.Jesavouraissaprésence. —Asher? —Oui? —J’aipeur. —Jesais,c’estnormal. —Qu’est-cequejevaisdevenir? Ilmeserraunpeuplusfortdanssesbras,commepourmeprépareràcequ’ilallaitmedire. —Tespouvoirssontinstablespourlemoment,etpersonnenesaitquandilsvontévoluer,nimême s’ilsvontévoluer.Moi,jepensequeoui. Ilsepenchaetmechuchotaàl’oreille: —Jetetrouvevraimenttrèsforte,Skye. Jefrissonnai.Ashersetutetenfouitsonvisagedansmescheveux. — Ce n’est que le début. Et si je peux t’aider à affronter ce qui t’attend, je le ferai. L’Ordre est impitoyable;sesmembressefichentbiendetoi.Seulsleurpropreintérêtetlecontrôledesdestinées comptentpoureux. Ilmefitbasculerenarrièrepourmeregarderdanslesyeux.Sonregard,incroyablementintense, mefitchavirer. — Nos deux clans ne s’accordent que sur une chose : que tu es différente de tout ce que l’on a connujusqu’àprésent.Etquetunenousaspasencoremontrécedonttuescapable. Jeneluiracontaipascequim’étaitarrivésurleparking:jenetrouvaispasencorelecouraged’en parleràvoixhaute.Peut-êtreplustard.Enpleinjour. —Ducoup,jemedisais…,fit-ilenjouantavecunemèchedemescheveux. —Quoi? —Tuessûredevouloirentendrecequejevaisdire? Ilplongeadenouveausesyeuxdanslesmiens. —Surprends-moi!fis-je. Ilseretintderire. —As-tudéjàeupeurdesaisirunechosequetuaspourtanttoujoursdésirée? —Oui,répondis-je,lecœurbattant. —LaRébellionnouspermetdevivreselonnospropresrègles.JesaisqueDevinsouffredeson absencedelibrearbitre.Toi,tuescoincéeentrecesdeuxmondes,ettun’aspastroptonmotàdire danscettehistoire.Tespouvoirsprendrontledessusaumomentvoulu. Ilinspiraàfondavantdeconclure: —Mais,moi,j’ailechoix.J’ailepouvoirdechoisircequejedésire.Etjen’aijamaisriendésiré aussifort. Il avala sa salive avec difficulté, puis nous restâmes silencieux quelques minutes. La tête posée contresontorse,jel’écoutairespirer. —Asher,toncœurnebatpas!m’exclamai-jesoudain. —Çat’ennuie? —Non,fis-jeaprèsquelquessecondesderéflexion,dumomentquetuéprouvesdessentiments. —Nulbesoindecœurpourconnaîtrel’amour,chuchota-t-ilàmonoreille. Jeregardaisesyeuxrieurs,sabouche…sapetitefossetteàgauche. Ilserralechâlefortautourdenous,etjel’embrassaisousleclairdelune. 34 Ledimanche,jefaisaisd’habitudelagrassematinée.Maiscejour-là,quelquechosemeréveilla.Je sortis machinalement du lit et me dirigeai vers la salle de bains pour me préparer avant les cours. Soudain, je réalisai que ce n’était pas mon réveil qui m’avait tirée du sommeil, mais une sirène de police.Évidemment,jen’avaispascours!Jemerecouchaisur-le-champpourfinirmanuit. C’était sans compter les rayons du soleil qui m’empêchent de garder les yeux fermés plus de quelquessecondes.Jerestaiallongée,àcontemplerleplafond.Lesétoilesphosphorescentesquej’y avais installées étant enfant avaient l’air si différent à la lumière du jour ! Elles ressemblaient à ce qu’ellesétaient:devulgairesautocollants. Jemesentaisàmillelieuesdelapersonnequilesavaitcolléesquelquesannéesauparavant.J’avais tantchangéenquelquespetitessemaines… Est-ceque,commeleprétendaitAsher,mespouvoirsavaienttoujourssommeilléenmoisansse manifester ? De toute évidence, je les avais réveillés. À présent, je devais identifier leur nature et apprendreàlescontrôler.Pourvuquej’ensoiscapable! Je décidai de descendre me préparer du café. Ce faisant, je savourai chaque détail familier que j’aimais tant et que j’avais cru acquis à jamais : l’odeur de l’escalier en bois, la surface lisse de la rampesurlaquelleglissaitmamain,lesformesgéométriquesquelalumièreprojetaitdanslesalonà traverslabaievitrée,lafraîcheurducarrelagesousmespieds,lecrissementdesgrainsdecaféqueje piochaidanslaboîte,leparfumdelavapeurquis’échappaitdelacafetièreetleclapotisdel’eauqui s’écoulait à travers le filtre. Le silence qui précéda le moment où je versai le café dans la tasse, le tintementdelacuillèrequandjeleremuai. Je rapportai ma tasse dans ma chambre et m’installai en tailleur dans le gros fauteuil près de la fenêtre.Monœilfutattiréparunobjetmétalliquedansmabibliothèquequibrillaitausoleil.Jeme levaietm’enapprochai. C’étaitlecadeauquem’avaientoffertCassieetDanlesoirdemonanniversaire,auqueljen’avais pas encore touché. Je me mis sur la pointe des pieds et saisis le paquet enveloppé dans du papier argenté,surlequels’étalaitun:«Joyeuxanniversaire,Skye!»écritenlettrespailletées.Jefussaisie d’uneinexplicabletristesse.JesourisenimaginantDanemballerlecadeauavecmaladresse. LepapierdévoilaunadaptateurdeiPodpourmavoiture.Quelledélicateattention:j’étaislaseule personnedenotreentouragequiécoutaitencorelaradioenvoiture.Moncœurseserra:désormais, mavieneressembleraitplusjamaisàça… Incapabledemerendormiraprèsmoncafé,jeredescendisàlacuisinepourmepréparerunbolde céréales et nettoyer un peu la maison. Depuis quand Tante Jo était-elle partie ? J’avais perdu toute notiondutemps. Jeramassailesgobeletsenplastiqueetpassailaserpillièredanslacuisine,puism’accordaienfin letempsdeprendreunpetitdéjeuner.Jeregardaismescéréalesd’unœilmornelorsqueletéléphone sonna. Je n’avais jamais repris le chemin de l’hôpital de River Springs depuis que l’on m’y avait emmenéequandj’avaissixans.Àl’époque,jevoyageaisàl’arrièred’uneambulance.Unsouvenir merevintàl’esprit. —Resteavecmoi,Skye!Allez,resteavecmoi,machérie. J’étais étendue sur un brancard, incapable de bouger. Des larmes coulaient entre mes joues et le masqueàoxygènequ’onm’avaitmissurlabouche.Jerespiraistrèsviteetessayaisdedemanderoù setrouvaientmesparents,maismesparolesétaientétoufféesparlemasque.L’infirmièremetenaitla mainetmerépétaitdemecalmer,d’arrêterdepleurer. Commentconnaissait-ellemonnom? —Skye! Danm’attendaitàl’entréeetbonditversmoienmevoyantpasserlesportesautomatiques.Lesyeux rougesàforced’avoirpleuré,ilavaitl’airanéanti. —Jesuiscontentdetevoir. —Est-cequ’ellevabien?lâchai-jeenretenantleslarmesquimemontaientauxyeux. —Elleestinconsciente,réponditDan.Lesmédecinspensentqu’elles’entirera,maisellenes’est pasencoreréveillée.Oh!Jedétesteleshôpitaux. —Moiaussi,fis-je,tremblante. Ilyavaitdeschariotspartout.J’ôtailemasquedemabouche. —Oùestmamaman?Etoùestmonpapa?criai-je,désespérée. Jepleuraisàchaudeslarmes.L’infirmièrem’avaitexpliquéquemesparentsavaientététransportés par une autre ambulance. Eux aussi se trouvaient sur des chariots. L’infirmière remit le masque en place.J’essayaiderespirernormalement,commeellemeledisait,maisjen’yarrivaispas. «Oùsont-ils?Surquelbrancard?»tentais-jedesavoir. Maispersonnenem’entendait.Lesmotsrestaientbloquésdansmagorge. Cassie était dans la chambre 512. Le couloir était plein de gens en fauteuil roulant, reliés à des bouteillesd’oxygèneetàdesperfusions.J’avaisdumalàrespireretjesuaisàgrossesgouttes.De petitspointsnoirsdansaientdevantmesyeux. J’ouvrislaporte.Lachambreétaitsemblableàcellequej’avaisoccupéeonzeansplustôt,presque jourpourjour. Evelyn,lamèredeCassie,avaitl’aird’avoirvieillidecentans.Jelaserraidansmesbras. —Jesuissincèrementdésolée. Cen’étaitpasmafaute,maisj’avaisbesoindedirequelquechose. Elle me dit que le père de Cassie avait emmené Charlie et Matty, les deux frères cadets de mon amie,prendreungoûteràlacafétériapourlescalmer. Enm’approchantdulit,jeréprimaiunmouvementderecul.Cassie,endormie,avaitunhématome autourdel’œil,despansementssurlesdeuxbras,lajambegauchemaintenueau-dessusdulit,plâtrée. —Cassie,murmurai-je.Qu’est-cequit’estarrivé? Evelynposalamainsurmonépaule. —Sesfreinsontlâché.Elleafaituntête-à-queueetheurtéunlampadaire.Legaragistequiaréparé lavoituredeCassieafaitn’importequoi! —Cen’estpaslegaragistequiaréparésavoiture,dis-je.Jereviens! Ils étaient forcément à l’hôpital, puisque j’y étais ! Je parcourus les couloirs, pris l’ascenseur et vérifiai chaque étage à leur recherche, espérant que Devin, en tant que Gardien, pourrait guérir Cassie. Je les trouvai tous les deux dans le hall, près du bureau des admissions. Asher paraissait inquiet. QuantàDevin,difficilededireàquoiilpensait.Connaissait-illadestinéedeCassie?Jem’enfichais, jen’allaispaslaissermonamiemourir! Asheraccourutversmoi,etjemelaissaiallercontrelui. —Commentva-t-elle?demanda-t-il. —Elleestdanslecoma.Ouendormie,ouinconsciente,j’ensaisrien.Entoutcas,ellenes’estpas encoreréveillée.Devin!Viens,tudoislaguérir! —Quoi?soufflaDevin,troublé. —Elleestdanslachambre512.Dépêche-toi! Uneexpressionétrangesepeignitsursonvisage. —Jenepeuxpaslaguérirtantqu’onnem’enapasdonnél’ordre. —Pardon? —Oui,réponditDevin,perplexe.Jenepeuxpasl’aidersilesÉlusnemedisentpasdelefaire. Quelpantin!Jamaisjenepourraismelaisserdominerparl’Ordre.Jamais!Autantrejoindrela Rébelliontoutdesuite,peuimportelanaturedemespouvoirs. —Tunepeuxrienfaire?m’écriai-jed’untonaccusateur.Tuasbienréussiàréparersavoiture, pourtant!Est-cequelesÉlustel’avaientordonné? — Les Élus agissent parfois de manière confuse, rétorqua Devin. On ne comprend pas d’emblée leursintentions,maisilfautleurfaireconfiance.Ensuite,toutdevientplusclair. —EtsiCassieneseréveillejamais?lâchai-je,horrifiée.Etsi… Je ne pus achever ma phrase. Et si Cassie mourait, tout comme mes parents ? Si elle m’abandonnait,elleaussi? —Alors,c’estquecelafaisaitpartieduplanglobal,déclaraDevin. —Jetel’avaisdit,Skye!s’emportaAsher.Lefonctionnementdel’Ordrefaitfroiddansledos. LesÉlusetleursesclavessemoquentdesgens! —Nousœuvronspourlebiendumonde,répliquaDevin.Nousentretenonsl’équilibredelavie. —Maisvousvousenfoutez,delavie!hurlai-je.Ettoi,tutefousdelamienne! —Iln’yarienquejeneferaispaspourtoi. —Menteur!Tunedésobéiraisjamaisàl’Ordre. —Commentpeux-tudireça,Skye?Je… Ils’interrompit,l’airpitoyable. —Ilfautquej’yaille!dit-ilsoudain.Jesuisdésolédenepaspouvoirguérirtonamie.J’espère quetutrouverasunautremoyendeluivenirenaide. Ilfitdemi-touretpassalesportesautomatiques. Asherlesuivitdesyeux,impuissant. —C’estça,casse-toimauviette!cria-t-il. PourquoiDevins’était-ilenfui?Lesévénementsformaientpeuàpeuunpuzzlecohérentdansma tête.LemessagerdesÉlusdevaitappliqueràlalettreleursconsignespourqueledestinfonctionne selon le « plan global » de l’Ordre. Ce qui signifiait qu’on lui avait bien ordonné de réparer la voituredeCassie.Maispourquoi?Etsibutdelamissionn’étaitpasderéparerlavoiture,maisdela saboter?Ensectionnantlesfreins,parexemple,aprèsavoirprovoquélapannedumoteur. —Asher,tucroisqueDevinauraitétécapabledesaboterlesfreinsdeCassie? —Aucuneidée.J’avouenepaslesavoirvérifiés,jen’airegardéquelemoteur. —Maispourquoil’Ordreenvoudrait-ilàCassie? —Jenesaispas,maisjen’élimineraisaucunehypothèsepourlemoment.Jevaisessayerdefaire parlerDevin,puisj’iraim’entreteniraveclesAnciensdelaRébellion.Nebougepas,Skye,d’accord ?Tuesensécuritéici.Manifestement,l’Ordreadécidédechangerlesrègles,etnousdevonsprendre cechangementenconsidération. —Tumelaissestomber?soufflai-je,désespérée. Ilplongeasonregarddanslemienetfitcourirleboutdesondoigtsurmonnez. —Net’inquiètepas,jereviensvite. Après son départ, je me repassai à rebours les événements des derniers jours en espérant comprendrepourquoilesÉlusauraientdécidédefairedumalàCassie.Nousétionsalléesaucentre commercial pendant que Devin réparait sa voiture. Nous l’avions croisé au garage. Cassie et moi étions allées manger un morceau au Big Mouth’s. Nous nous étions réveillées, la fenêtre de la chambregrandeouverte.Pendantlafête… MonDieu!Pendantlafête,j’avaisparléàCassiedel’histoiredufeudecamp. Jemefigeai.Devinétaitàquelquespasdenousquandj’avaisfaillitoutavoueràCassie.Jem’étais ravisée au dernier moment, ayant remarqué qu’il tendait l’oreille. Alors, il avait tout entendu ! Il savaitquej’étaissurlepointdedévoilermessecretset,parconséquent,lessiens.OrCassieétaitla seulepersonneàquij’auraispumeconfier.Ducoup,siDevinvoulaitàlafoismegarderenvieet conserversessecrets,lemeilleurmoyendes’enassurer,c’étaitd’éliminerCassie. J’étaisatterrée:Devin,quej’avaisapprisàconnaître,était-ilcapabled’unetellehorreur? À moins que ce ne soit Asher qui voulait m’éloigner de Devin en le faisant passer pour un criminel…Asher,lui,pouvaitagircommebonluisemblait;ilnerecevaitd’ordredepersonne.De plus,tousdeuxavaienttoujoursétéencompétition,etleurrivalités’étaitdurcieaumomentoùj’étais entréedansleurvie.Asheressayait-ildediscréditerDevinpourmepousseràchoisirlaRébellion? Àquifaireconfiance? 35 Perturbée,jeretournaidanslachambredeCassie.Dan,quitenaitsamainetluiparlaitàl’oreille, m’appritqu’Evelyns’étaitabsentéepourallerchercherducafé. Jecontournailelitetprisl’autremaindeCassie. —J’auraisdûluiavouermessentiments!gémitDan.Jecroisquejel’aimedepuistoujours. —Ellevas’ensortir. —Commenttupeuxlesavoir? —Disonsque… Jemedemandaiss’ilmeseraitpossibledepasserunaccordavecl’Ordre:jeleurproposeraisde rejoindreleurcamp,àconditionqueDevinguérisseCassie.Oualors… Etsij’essayaisdelaguérirmoi-même?Sijemeconcentraisassezfort,j’yarriveraispeut-être! Je fermai les yeux et me focalisai sur le puits de pouvoirs évoqué par Devin, ainsi que sur l’interrupteur que m’avait décrit Asher. C’était important ! Tellement important… Mes émotions avaientatteintleurparoxysme.Ilfallaitqueçamarche.J’avaisdéjàperdumesparentssansavoirrien pufairepoureux. Non,iln’étaitpasquestionquejelaisseCassiemourir! Le chagrin m’envahit à l’idée de ce que serait ma vie sans elle. Puis la colère monta en moi : pourquoirejoindrel’Ordrequi,selontoutevraisemblance,avaitessayéd’éliminermonamie? Jemesouvinsdel’inquiétudequ’éprouvaitAsherlorsquenousétionsdanslagrotteetqu’ilavait constaté ma blessure. Il m’avait dit qu’il ne pouvait pas m’aider. À ce moment-là, je n’avais pas relevé,maisàprésentjecomprenais:ilregrettaitdenepasposséderlesmêmespouvoirsqueDevin. Alors,ilavaitévoquélefeuquinousavaitnousréchauffésjusqu’àl’arrivéedessecours.Maislefeu neguéritpas… «SiCassiemourait…»,medis-je,sansoserallerplusloin. Plus ces mots résonnaient dans mon esprit, plus ma colère grandissait, et plus je me concentrais pourtenterdesauvermonamie. Soudain, une énorme détonation déchira l’air. J’ouvris les yeux : de la fumée s’échappait de la machinequisurveillaitlesfonctionsvitalesdeCassie. —Ohmerde!s’écriaDanenappuyantsurleboutondel’alarme. Je lâchai la main de Cassie et reculai vers un coin de la chambre en me retenant d’éclater en sanglots.J’étaisincapabledel’aider.Jen’étaisbonnequ’àprovoquerdescatastrophes.Lachaudière, le thermostat, le chauffage du car, l’avalanche, et à présent cet appareil. Et si mes pouvoirs se retournaientcontreCassieetlatuaient?… Deuxinfirmièresfirentirruptiondanslachambre. —Sortezimmédiatement!ordonnal’uned’elles. —Commentva-t-elle?voulus-jesavoir. L’unedesjeunesfemmess’occupadumoniteuretdébranchaCassietandisquel’autreluiappliquait unstéthoscopecontrelapoitrine.Dansetenaitimmobile,perdu. —Commentelleva?insistai-je. —Sortez!répétal’infirmière. CommeDanetmoinebougionspas,ellenousprittouslesdeuxparlebrasetnousescortajusqu’à laporte. —Qu’est-cequis’estpassé?s’exclamaDanunefoisqu’elleeutrefermélebattant. —J’ensaisrien,mentis-je. Auboutdequelquesminuteslesinfirmièresapparurentdanslecouloir.Ellesnousapprirentque l’étatdeCassieétaitstable,maisquel’appareilétaithorsserviceetallaitêtreremplacé. J’auraisvoulumeconvaincrequeledispositifétaitvieuxetdéfectueux,maisàquoibonsevoiler laface?Toutétaitmafaute,carjenesavaispascontrôlermespouvoirs. Unefoislanouvellemachineinstallée,onnousautorisaàrevenirauprèsdeCassie.Danmetendit lamain: —Tuviens? Jesecouailatête:jenevoulaispasrisquerdeblessermonamie. —Non,jecroisquejevaisrentrer.Jesuistrèsfatiguée. Quelleexcuseminable!Maisriendepertinentnem’étaitvenuàl’esprit. —Sielleseréveille…enfin,quandelleseréveillera,appelle-moi. —Euh,oui,d’accord,bégaya-t-il,interdit. Jeleregardaientrerdanslachambre.J’avaistellementenviedelesuivre…Impossible:jen’avais plusmaplaceici,mêmesijenesavaispasoùelleétaitàprésent. Je me dirigeai vers l’ascenseur avant de changer d’avis : vu les émotions qui bouillonnaient en moi,ilneseraitpasprudentd’utiliserunappareilélectrique.Autantprendrel’escalier,pourplusde sécurité.Heureusement,leslumièresnedisjonctèrentpassurmonpassage. Unefoissurleparking,jefussurprisedevoirqu’ilfaisaitdéjànuitetqueleslampadairesétaient allumés.J’avaisperdutoutenotiondutempsàl’intérieurdel’hôpital. Jem’apprêtaisàmonterdansmavoiturequandunevoixmefitsursauter. —Devinestdemoinsenmoinsdéterminé. Jefrissonnai:Ravensetenaitàcôtédemoi. — Je savais qu’il n’était pas taillé pour cette mission, continua-t-elle. Je lui avais suggéré de demander qu’on l’en décharge, pour son propre bien, mais il n’a pas voulu m’écouter. Pour des raisonsdefierté,d’intégrité,blablabla. Ellebranditunepiècedemétaltordue. —Oh,nejouepaslesétonnées,mapetiteSkye.Tusaistrèsbiendequoiils’agit!Oui,cesontles freinsdelavoituredetacopine.Ettusaiscommentjemelessuisprocurés? Ellericana. —TuavaispeurquecesoitlafautedeDevin,pasvrai? —Espècedegarce!grondai-je. —Maisvoyons,Skye,jeteprotège,c’esttout!Etcommeilsneveulentpastedirelavérité,jele ferai,moi!Et,quisait?peut-êtrequecesrévélationsvontenfindéclenchertesprétenduspouvoirs. Elles’approchademoi,etjemecollaicontremavoiture. —Ehbien,voilà,princesse.Oh,jesais–tuaimeraistepersuaderquel’accidentdeCassieestle premier dont l’Ordre se rend coupable depuis qu’il est entré dans ta vie. Mais sache que l’Ordre s’occupedepuistoujoursdelaviedetoutlemonde,etdelatienneenparticulier,cartuesunique. Elleavaitcrachécederniermotcommesielleavaiteuhâtedes’endébarrasser. —Paroùcommencer?Lebleuesttacouleurpréférée,pasvrai?Orquelquepartdanscetteville, unpetitgarçonaimaittantcettecouleurluiaussiqu’ilsuppliaitsesparentsdeneluiacheterquedes vêtements bleus. Le jour où tu es allée pour la première fois à la maternelle, ton regard a immédiatementétéattiréverslui,ettut’esassiseàcôtédelui. —Commenttusaisça?murmurai-je. — Il s’appelle Daniel Rosenberg, et il est devenu ton meilleur ami. Et puis, quelques jours plus tard,tuasratélecarscolaire. —Quit’aracontéça?demandai-je,lesmainstremblantes. —C’esttrèsvilaind’interromprelesgens,tatantenetel’ajamaisappris?Oùenétais-je?Ahoui, tuasratélecarscolaire,etenmarchantdanslaruetuastrouvéuncahieroùétaitinscritlenomde Cassie Saunders. Tu as retrouvé la gamine, et tu lui as rendu son cahier. À cette occasion tu as remarquéqu’elleavaitdubeurredecacahuètesurlesdoigts.Etvousvousêtestouteslesdeuxrendu comptequevousadorieztartinervosbiscuitsdebeurredecacahuète.Ainsiestnéeunebelleamitié. —Comment…? —Skye,lesÉlusvoienttout.Ilsdécidentdetout,ilssaventtout.Etdois-jeexpliquerpourquoitu détestesfêtertonanniversaire? —Non… — Tes parents ne sont-ils pas morts le jour de ton sixième anniversaire dans un – quelle coïncidence!–dansunaccidentdevoiture? —Commentoses-tu?Cettejournéeachangémavie,plusrienn’ajamaisétépareildepuis.Ettout étaitmafaute!J’aisurvécu,eteuxnon!Tun’aspasledroitde… Etlà,jecompris.Unecoïncidence?Non.Sil’Ordreavaitprovoquél’accidentdevoituredeCassie, avait-ilaussi…? — L’Ordre a tué mes parents, lâchai-je d’une voix blanche. Ils ont orchestré notre accident, tout commeceluideCassie. —Bravo,quelleperspicacité!ironisaRavenenapplaudissant.Tuméritesunbonpoint! —Ilsvoulaientquejemeure,c’estça?Ilsonteupeurdecequejereprésentais,etilsvoulaient empêchermespouvoirsdesedévelopper. —Etilsavaientraison:tuesvraimenttrèsintelligente! —Pourtantjenesuispasmorte. —Non,eneffet. —Pourquoi? Pourlapremièrefoisdepuisledébutdenotreentretien,Ravensemblaperdrepied. — On l’ignore. Les Élus avaient prédit que tu mourrais avec tes parents. Or tu t’en es sortie indemne.Dujamaisvu!C’estpourquoiilsontdécidédetesurveillerdeprès,pourvoircequecela allaitdonner.Jusqu’àceque… —Quoi? —Jusqu’àcequ’ilsnepuissentplusdutoutliretadestinée. —Ça,jelesaisdéjà. — Sais-tu aussi qu’ils sont également incapables de lire celle des gens de ton entourage ? Tu brouillesladestinéedesautres. —Tiensdonc? —EttuaschangécelledeDevin.LesÉlusnelavoientplusdepuisqu’ilestentréencontactavec toi. J’avalaimasaliveavecpeine. —Ilétaitàmoi!s’exclamaRaven.Ettumel’asvolé! —Commentça?demandai-je. —DevinestunGardien,toutcommemoi.Onn’agitpasparvolonté.Nousn’avonspasledroitde fairenospropreschoix. Ellefitunepause,etjecrusdétecterunenotedetristessedanssavoix. —Toutestdécidéàl’avance.Sachequelessentimentsqu’ilcommenceàressentirpourtoivontle détruire.Jeleconnaisassezpourenêtrepersuadée. —Lessentiments?Quelssentiments? —Tul’incitesàfairedeschosesqu’iln’apasàfaire!Onluiaordonnédesaboterlesfreins,et pourtant…Heureusementquejesuispasséederrièreluipourvérifier!Sijamaisonapprendqu’ila désobéiàunordredirect…Jen’osemêmepasimaginercequ’ilsrisquentdeluifairesubir.Çane seraitpasjoliàvoir,crois-moi. —Uneminute!S’ilsnepeuventpasliresadestinée,alorscommentsavent-ilsqu’ilapourmoides sentiments? —Parcequ’ilsonteuletempsdelesvoiravantquetoutnesebrouille,lejourdetondix-septième anniversaire.Etçaaunrapportavectesyeux. Mesyeuxargentés… — C’est pourquoi ils te surveillent de si près. Tu es dangereuse, Skye Parker ! Très, très dangereuse. —Etpourquoiavoirattendumonsixièmeanniversairepourchercheràmetuer? —Oh,mapauvreSkye!Ilsavaientdéjàessayé,biensûr;envain!Deplus,cettefois-ci…ilyaeu des dégâts collatéraux. La vue des Élus est affûtée, mais il arrive que des Gardiens peu soigneux gâchenttout. —Etilsn’ontplusjamaistentédem’éliminer,depuis? — Eh bien, après ce fameux jour, ils ont compris que tu étais encore plus spéciale qu’ils ne le pensaient. —Pourquoitumeracontestoutça?voulus-jesavoir. —Parcequequelqu’undoitbienlefaire,etqu’onm’ademandédem’ycoller. —Jecroyaisquec’étaitDevin,leGardienqu’onavaitenvoyépourmeprotéger. — Et dire que je te croyais intelligente ! Non, ils ont envoyé Devin pour une tout autre raison. Réfléchisunpeu!Pourquoiest-cemoiquit’apprendslavéritéetpaslui? Moncœurbattaitàtoutrompre:etsiDevinm’avaitmenti? — Il était censé te séduire pour que tu acceptes de rejoindre l’Ordre de ton plein gré, m’assena Raven. Alors, il me manipulait depuis le début ? Mais, dans ce cas, pourquoi ne pas avoir suivi les directivesdel’OrdreensabotantlesfreinsdeCassie? —Enfin,poursuivitRaven,j’espèrequetatantevabien.Dommagequesamonitricesesoitcassé lajambe!Commentc’estarrivé,déjà?Ahoui,elleesttombéeàcaused’unmousquetondéfectueux. Quandjepensequ’encemomentJosetrouvedanslesbois,sansaucunmoyendecommunication… J’espèrequ’ilneluiarriverariendegrave. Unecolèreinouïemontaenmoi. —Situtouchesàunseuldesescheveux,jetetue,tum’entends?Onnepeutpasmelaprendre! Pasaprèsavoirprismesparents,ets’êtreattaquéàCassie. Lesolsemitàtremblersousnospieds,etlesalarmesdetouteslesvoituresgaréessurleparking sedéclenchèrentd’unseulcoup. —Waouh!C’estdoncvrai,soufflaRaven,impressionnée. —Dégage!hurlai-je.Etnet’approcheplusdesgensquej’aime! Soudain,leslumièresduparkings’évanouirent,etjemeretrouvaidansunendroitinconnu. 36 C’étaitunvastepaysageblancbalayéparunetempêtedeneige.Étais-jeàl’extérieur,àl’intérieur? Impossibleàdire.Ilnefaisaitnichaudnifroid.L’airautourdemoiétaitimmobile.Cepaysagene ressemblaitàriendefamilier. Peu à peu dans le brouillard épais apparurent des formes : une courbe ici, un angle là. Elles se mirent à bouger, mais tout restait très vague : je n’arrivais même pas à savoir s’il s’agissait de silhouetteshumaines. Labrumecommençaàtourbillonnerautourdemoi,ettoutdevintencoreplusblanc. Et,toutaussisoudainementquej’avaisatterriàcetendroit,jemetrouvaidenouveausurleparking del’hôpital,agrippéeàlapoignéedelaportièredemavoiture. —Çaalors!ditRaven,quisetrouvaittoujoursdevantmoi.Çachangetouteladonne! Etelledisparut. Une vague de panique me submergea. Tante Jo était en danger ! Raven était sans doute partie la rejoindre!Ilfallaitquejelaretrouve,coûtequecoûte. Lesdoigtstremblants,jesortismonportableetcomposailenumérodematante,maisjetombai surlamessagerie. J’appelaisonbureau:personnenedécrocha.Pourtantunemployéétaittoujourscenséêtrelà-bas, encasd’urgence.Ainsi,ilpouvaitcontacterlemoniteurenquestionpartéléphonesatellitaire.Alors, pourquoinerépondait-onpas? Je sautai dans ma voiture et démarrai en trombe tout en fouillant dans la boîte à gants, à la recherche d’une carte. Tante Jo avait dit qu’elle partait dans les Collegiates. Je n’y étais pas allée depuis des années, mais je me souvenais qu’il fallait prendre l’autoroute vers Denver. Qu’allais-je faire,unefoissurplace?TanteJoétaitenpleinemontagne,sansaucunmoyendecommunication. Commentl’avertir? Surlaroute,jemeremémorailejourdemessixans.Monpèrenousreconduisait,mamèreetmoi, après ma fête d’anniversaire à la kermesse de la ville voisine. Il pleuvait des cordes, mais tout le mondes’étaitbienamusé.Cassie,Danetmoiétionsmontéssurdesponeysetavionsfinilajournée toutcrottés.C’étaitlemeilleuranniversairedemavie.J’étaissiheureuse! Sur le chemin du retour, papa avait raté la sortie et s’était encastré dans une Buick. Après avoir extirpé mes parents de la carcasse de la voiture, les secours m’avaient retrouvée sur la banquette arrière;jen’avaispasuneseuleégratignure. Ilyavaitdeschariotspartout. —Maman!Papa! Jenecessaisdelesappeler.J’allaisbien;jen’avaisrien.Lesmédecinsetlesinfirmièresparlaient demiracle;moi,jevoulaisjustevoirmesparents. J’étaisassisesurmonlitd’hôpital,entraindemangerunboldegelée,quandonm’annonça: —Tuestouteseuleàprésent,Skye. Cen’étaientpeut-êtrepaslesmotsqu’ilsavaientemployés,maisc’estcommeçaquejelesavais retenus.«Tuestouteseuleàprésent.»C’étaitpeudetempsavantqueTanteJo,lameilleureamiede maman,nem’adopteetm’emmènedanssamaison. «Seule.» Quemerappelaitcemot? «J’attendaisqu’onsoitseulspourtemontrercepouvoir.» Devin. C’était ce qu’il m’avait dit le soir où il avait voulu m’apprendre à ressusciter des fleurs. Ravenavaitraison;l’Ordrevoulaitm’isoler.EtilsavaientsabotélesfreinsdeCassieafindelatuer eteffacertoutetracedecequej’auraispuluiconfier.Ilsavaientprovoquél’accidentdeJennSpratt pouréloignerTanteJodelamaisonaumomentoùtoutmonpetitmondes’écroulerait.Ainsi,ilétait plus simple de me manipuler et de m’arracher à mon existence habituelle. Quant à Devin, il s’était comportéenparfaitpionjusqu’aujouroùilavaitcessédesuivrelesordres.Etlà,Ravenavaitprisla relève. Je pensais à tout cela au moment où ma voiture roula sur une plaque de verglas et fit un tête-àqueue. Paniquée, je tournai le volant à droite, puis à gauche pour ne pas heurter un arbre. Mais impossibled’éviterl’inévitable. Mavoiturefumait,encastréedansuntronc. Jemeremémorailedernieraccidentdontj’avaisétévictime.«Skye!Resteavecmoi! », crus-je encoreentendre. Miraculeusement, là non plus, je n’étais pas blessée. J’attrapai mon sac à main et m’extirpai de l’habitacle. Je me trouvais en pleins champs ; il faisait un froid glacial. Je remontai la fermeture Éclairdemadoudounejusqu’enhaut. Jesortismonportablepourappelerlessecours;pasderéseau.Ennage,jedonnaiuncoupdepied danslaportière. — C’est un jeu d’enfant, de bloquer la réception téléphonique ! susurra une voix mielleuse dans mondos. Jepivotai:Ravensetenaitàquelquespasdemoi,emmitoufléedansunmanteaublanc. — C’est mignon, de vouloir protéger ta mère adoptive, toi qui as été incapable de sauver tes parents,poursuivit-elleenricanant. —Qu’est-cequetuattendsdemoi?hurlai-je. —Nemedispasquetunelesaispas!Allez,suis-moi! —Etpourquoidevrais-jelefaire? —Maisquandcomprendras-tuquefuirtesproblèmesnerésoudrarien?Tunepeuxpaséchapper àtadestinée! J’avalaimasaliveavecdifficulté. —Oùva-t-on? —Tulesaurasquandonseraarrivées,répondit-elleavecunsourireencoin. 37 Nous pénétrâmes dans une clairière au sol gelé, qui ressemblait à celle où je m’exerçais avec AsheretDevin.Leciel,parsemédenuages,étaitd’unbleutrèsvif.OnneseseraitpluscrusurTerre. D’ailleurs,yétions-noustoujours? Je m’arrêtai net : devant nous se tenaient deux anges. L’un avait de gigantesques ailes couleur d’ivoire,unpeujauniesparendroits,commelafourrured’unvieilourspolaire.Ilavaitl’airrobuste endépitdesonâge.Desridesentouraientsesyeuxetsabouche,etilavaitlescheveuxpoivreetsel. D’aprèscequ’AsheretDevinm’avaientditàproposduprocessusdevieillissementdesanges,celuici devait avoir plusieurs centaines d’années. L’autre avait les mêmes ailes d’encre qu’Asher. Il semblaitunpeuplusjeunequesoncompagnon,malgrésestempesgrisonnantes. DevinetAsherétaientlàaussi,chacunàcôtédesonAncien.Ilsévitaientmonregardetfixaientle sol,lesmainsderrièreledos,dansuneposturedesoumission. —Elleestvenue,ditl’angeauxailesblanchesd’unevoixgrave. Mesdeuxmessagersrelevèrentlatête.Ashersemblaitbouillonnerderage.Devin,lui,avaitl’air effrayé.Sefaisait-ildusoucipourmoi,oupourlui? — Je m’appelle Astaroth, poursuivit l’ange. Je suis l’un des Élus de l’Ordre. Et voici Oriax, un AncienducampdesRebelles. J’avalaibruyammentmasalive.Astarothlevaunsourcilgris. —Ondiraitquenousavonsun…problème,dit-il,leregardbraquéderrièremoi. Jetournailatêtevivement. Raven!Ellesetenaitavecfierté,sesailesblanchesdéployéesetlesmainsdansledos.Uneterreur glacialem’étreignitquandjecroisaisonregard. Jemesouvinsdecequ’elleavaitditàDevin:«Situnet’enoccupespas,jeleferaimoi-même.» J’avaisl’impressiondevivreuncauchemar,deceuxoùonvouspoussesurscènepourvousfaire interpréterunrôledontvousneconnaissezaucuneréplique. Jeserrailespoings:commentjefaisaispourprovoquerceschosesétranges?«Réfléchissons! Ellesarriventquandjeressensdevivesémotions,quandjesuisexposéeauxéléments,ouprèsd’une sourced’électricité…» Je fermai les yeux et me concentrai sur toute source d’émotion que j’avais à ma disposition : le ventquisoufflaitautourdemoi,lepépiementd’unoiseau,leparfumépicéd’Asherquiparvenaità mes narines, la sensation de chaleur et de sécurité qu’il me procurait, même Devin, que je ne comprendraisdécidémentjamais. —Tespouvoirssesontéveillés,résonnalavoixd’Oriaxderrièremespaupièrescloses.Etilssont plusimpressionnantsquenousl’avionscru. J’ouvrislesyeuxetsurprisAsheretDevinentraind’échangerunregardgêné. — La Lumière et les Ténèbres dans toute leur splendeur ! intervint Astaroth. Complémentaires, maisparfoisdangereux.Pourtous! —Dangereuxpourcertains,rectifiaOriaxavecunepointed’excitationdanslavoix.Quantàton autrecapacité,cellequinousapoussésàenvoyerdesmessagerspourtesurveiller… Quoi?Quelleautrecapacité?AsheretDevinn’étaient-ilspascensésdécouvrirlanaturedemes pouvoirs ? Encore une fois, ils détournèrent leur regard. Je savais qu’ils m’avaient caché quelque chose!Leursexplicationsconcernantcettemissionavaientétésivagues… — Oui, ta… capacité, fit Astaroth avec calme. Ta capacité de bloquer la seule chose que nous tenonspoursupérieureauxautres.Quefaired’unefilleaussidangereuse? —Maisdequellecapacitévousparlez?hurlai-jeenmetournantversRaven. —Skye!ditAsherenfaisantunpasversmoi. —Silence!ordonnaAstaroth.TunecontrôlesdoncpastesRebelles,Oriax? Asherrecula,têtebaissée.C’étaitdéstabilisantdelevoiraussisoumis. —Tusaiscequit’attendàprésent,Skye?demandaOriax,l’airnerveux. —Jecroisqu’avanttoutechose,tonnaAstaroth,nousdevonslaforceràchoisir.Tudoisdonner tonpouvoiràunseuldenoscamps. Ravenesquissaunpetitsouriresatisfait. C’étaitellequileuravaitdemandéd’intervenir,aprèsmavisionsurleparkingdel’hôpital.Mais pourquoi?Pourquoicettevisionmerendait-elledangereuse? «Àunseuldenoscamps.» «Seul»…Pourquoicemotmefaisait-ilautantd’effet? —Tupeuxrejoindrel’Ordreàprésent,Raven,ordonnaAstaroth.Tamissionestterminée. —Mais… Astarothluilançaunregardquin’admettaitaucuneréplique. Ellefitunerévérence. —Bien,monsieur. En la regardant s’élever au-dessus de la cime des arbres, je ne pus m’empêcher de penser que, parfois,labeautépeutdissimulerlapiredesâmes. —Ehbien,Skye?fitOriax,interrompantlefluxdemespensées.Quichoisis-tu?Penches-tupour ceuxquicroientaulibrearbitre?Ou–ilfitungesteendirectiond’AstarothetdeDevin–pourceux quimanipulentleshumains? — Nous maintenons le monde en harmonie, rectifia Astaroth. Sans nous, la Rébellion détruirait l’humanitéparlechaos.Jesuissûrquetusaisquelcampchoisir,Skye.Alors,exécute-toi. J’étais révoltée : l’Ordre s’était mêlé de ma vie pour m’amener à rejoindre leur camp. Mais pourquoilaRébellionn’avait-ellepasessayédelesenempêcher?Jepassaienrevuechacundemes souvenirs,chaquebribedephrase. Pasuneseuleégratignure. Deschariotspartout. Allez,Skye,resteavecmoi. L’OrdreavaitsabotélavoituredeCassiesansaucunscrupule. Ellebrouilletadestinée. Etilavaitprovoquélamortdemesparents. «Maman!Papa!» «Tuestouteseule,àprésent,Skye.» Etilsavaientvoulumetueraussi.Qu’est-cequ’ilsattendaientdemoi?Pourquoileuraccorderaisjemaconfiance? Ravenestdangereuse.Elledoitmijoterquelquechose. Pouvais-jeaccordermaconfianceàquiquecesoit?PourquellesraisonslaRébellionmevoulaitelle?Quem’avaitditRavendevantl’hôpitaldéjà? Tuesdangereuse!Ilsavaientraison! Si j’étais encore en vie, c’était grâce à l’intervention de la Rébellion et d’Asher. Seulement, ils voulaientmesauverpourpouvoirutilisermespouvoirs…Lacapacitédontilsparlaient,c’étaitcelle de brouiller les destinées ! Mais alors, en quoi ma vision sur le parking de l’hôpital justifiait-elle l’interventionmuscléedeRaven? L’Ordre me voulait pour préserver et contrôler mon pouvoir. Sans cela, ce serait le chaos. Un chaosdontlaRébellionseréjouirait. La vérité me frappa de plein fouet : Asher se fichait de me sauver de l’Ordre ! J’étais censée devenirunearmepourlecombattre. —Jenechoisispersonne!hurlai-je.Vousaveztuémesparents! JepointaiAstarothdudoigtetlançaiunregardàDevin.Iltressaillit.PuisjemetournaiversAsher. —Etvous,vousvousfichezbiendemoi!Tut’esservidemoi,ettumemensdepuisledébut! Ashervacillacommes’ilavaitreçuuneclaqueenpleinefigure.Jem’enmoquais. —Jeneveuxavoiraffaireàaucundevous! —C’estimpossible,intervintl’Élu.Siturefusesdechoisir…nousleferonsàtaplace. Jereculai. —Attrape-la!hurlaOriaxàAsher. —Nemetouchepas!criai-je. —Ilaunemission,grondal’Ancienenavançantversmoi.Etildoitl’accomplir. Asherfitunpasenavantets’interposaentrenousdeux,unemainsurmonbras.Jemedégageai. —Ettonsoi-disantlibrearbitre?persiflai-je.Tunel’utilisesquequandçat’arrange! —Ilyatantdechosesquetunecomprendspas,Skye… —Ohsi,jecomprends!dis-je,dansuneragenoire.Alors,c’esttoutcequejesuispourtoi?Une mission?Unmoyend’obtenirdesbonspointsauprèsdelaRébellion? —Skye!Noooon! Ashers’enétaitrenducompteavantmoi:laterretremblaitsousnospieds.Unevagueincroyable depuissancemetraversa. —Contrôletonpouvoir! Les forces que je contenais depuis le début de ces événements éclatèrent enfin. Une onde d’électricitésurgitdemesyeuxaumomentoùlaterrecommençaàtrembler. Astarothmedévisageait,estomaqué,alorsquelesarbressebrisaientautourdenousdansunfracas assourdissant. Jen’auraispufairecessercecataclysmemêmesijel’avaisdésiré.Monpouvoirsedéversad’un seulcoup.J’étaisencolère:onavaitdétruittoutemonexistence,onm’avaitforcéeàabandonnermes amis,mamaison.J’étaisencolèred’avoireudessentimentspourDevinetAsher,quinefaisaientque se servir de moi. J’étais en colère d’avoir été propulsée dans l’inconnu, sans savoir ce qui allait m’arriver,etden’avoirrienvuvenir. Desnuagess’amassèrentsoudaindansleciel,nousplongeantdansl’obscurité.Unepluieviolente s’abattitsurlaclairière. Jecomprisalorsdequoij’étaiscapable.L’Ordrepouvaitcontrôlerlesesprits;laRébellionavait apprisàcontrôlerleséléments.Etmoi?Ehbien,jepouvaisanéantirl’unetl’autre.J’étaissansdoute capabledebienplus,mêmesijenesavaispasencorecequec’était. L’Ordre et la Rébellion m’avaient toujours surveillée, et manipulée ! Ils avaient façonné mon existencepourentirercedontilsavaientbesoin.Manaissance,lamortdemesparents,mavieavec TanteJo,monamitiéavecCassieetDan,etmêmemessentimentsamoureux. Toutcequejecroyaisêtremonessencemêmen’étaitquemensonge.Lesdeuxcampsmevoulaient, maislesdeuxétaientfautifs:l’OrdremesurveillaitpourempêcherlaRébelliondes’emparerdemoi, etlaRébellionvoulaitm’utiliserpourcombattrel’Ordre. C’étaitpourcetteraisonquepersonnenem’avaitrienexpliqué.Çafaisaitpartiedeleurplan! Lesélémentssedéchaînaientautourdenous.Lesarbrestombaientlesunsaprèslesautressousles secousses du sol. L’un d’eux s’écrasa à quelques mètres de moi, faisant s’envoler une nuée de corbeaux.Leurscroassementsaffolésrésonnèrentau-dessusdenouslongtempsaprèsleurdépart. —Skye?fitDevind’untonhésitantenapprochantlesbrastendusversmoialorsqu’unautrearbre vacillaitviolemment. —Skye! Il avait les yeux d’un bleu plus limpide que jamais. Clouée au sol, j’essayais d’identifier leur expression.Puisl’arbreseprécipitasurnous. En un clin d’œil, Devin attrapa ma main. Oriax déploya ses ailes noires et s’éleva juste à temps pouréviterunrocherquidéboulaitsurlui.Astarothmefixaitavecintensitédepuisl’autreboutdela clairière. Toutàcoup,desbraspuissantss’enroulèrentautourdemoi,mecoupantlarespiration.Desplumes noires m’éraflèrent les joues et battirent contre mes cheveux. L’effluve épicé que je connaissais si bien m’enveloppa de sa chaleur. Je fus soulevée de terre au moment où l’arbre se fracassait. Le vacarmedesachuteserépercutadanslesmontagnes. Nousnousposâmesaufonddelaclairière,prèsdel’Élu. Ashermepressaitcontrelui. —Chut,çavaaller,chuchota-t-il. Les secousses se calmèrent, et le silence s’installa de nouveau sur la clairière. Je regardai Asher danslesyeuxetfrissonnaipendantqu’ilrepoussaitunemèchedemescheveuxetlaissaitsesdoigts s’attarderdansmoncou. —Jet’avaisditquejeteprotégeraisquoiqu’ilarrive.J’aitenumapromesse. Devinnousobservaitavecuneexpressionindéfinissable. Astarothlissasatoge. —C’estdoncvrai,lâcha-t-ild’untongrave.Tespouvoirssontincontrôlables.Tonrefusdenous rejoindrelesrenddangereux,passeulementpournous,maisaussipourl’humanitétoutentière. —Oui,acquiesçaOriax. Desoussatoge,Astarothtiraunelonguelameaffutée.Illabrandit,etlesrayonsdusoleilquinous parvenaient à travers les nuages firent briller le métal poli d’une lumière aveuglante. Je n’avais jamaisrienvudetelsurTerre.C’étaitirréel. L’Élunelaissaittransparaîtreaucuneémotion.D’ungesterapideetfluide,illeval’épéeau-dessus de sa tête et la planta dans le cœur du Rebelle. Les yeux d’Oriax s’emplirent de terreur et de confusion.Puisils’évaporasouslapluiebattante. AshermelâchaetbonditversAstaroth. —Qu’est-cequevousavezfait?hurla-t-il.Onétaitconvenusd’unetrêve!Vousavezrompunotre accord! D’uncalmeolympien,AstarothsetournaversDevin. —Tuconnaislesordres. —Non,ditDevin,trèspâle.Jemeretire,j’aichangéd’avis! —Situnelefaispas,tusaiscequiarrivera. —Jeneferairien! Astarothseredressadetoutesahauteur,noussurplombanttous. —Tun’aspaslechoix! Chaqueparcelledesonêtreirradiaitd’unelueurterrifiante. Ashernousobservaittouràtour,leregardfou.LamaindeDevinseposalentementsurlapoignée del’épéequ’ilportaitàsaceinture. —Sauve-toiavecelle!cria-t-ilàAsher. Asherseruaversmoi.Devintombaàgenoux,accablé. —Devin!soufflai-je.Qu’est-cequisepasse? Jen’arrivaisplusàréfléchir,jenecomprenaispascequiétaitentraind’arriver.Devinsetordaitde douleur. Et même si je le haïssais et qu’il m’avait trahie, je ne supportais pas l’idée de le laisser mourir.Illevalesyeux,etj’ylusledilemmequiledéchirait.Ashermepoussaenarrière. —Nel’approchesurtoutpas! —Lâche-moi!criai-je. —Skye!Arrête!hurlaitAsherenmeretenantdetoutessesforces. MaisjeréussisàmedéfairedesonétreinteetcourusversDevin. Enunbattementd’ailes,AstarothfutsurAsher,qu’ilattrapaparlecou. —Skye,gémitDevin,quitremblaitviolemment.Jenepeuxpas… Ilmetenditlamain. —Non,Skye!ditAsherderrièremoi.Neluifaispasconfiance! JerestaiimmobileentreAsher,quisedébattaitavecAstaroth,etDevinqui,àgenoux,mesuppliait. —Çasuffit!lançai-jeenfaisantvacillerlesarbres. Commentmoncœurfaisait-ilpournepaséclater? —Skye!fitDevin.Jedoisteprévenir. —Meprévenir?répétai-je,incapabledebouger.Àproposdequoi? —Àproposdecequivasepasser,chuchota-t-il. Puisildisparut. —Devin!criai-je. Ilréapparuttoutàcôtédemoi. —Tues…,commençai-je. Maisjenepusachevermaphrase:unelamefroideettranchantemepénétradansleventre. Je ne sentis aucune douleur, seulement cette impression de chute que j’éprouvais chaque matin depuislamortdemesparents.Lemondetangua,puisjem’écrasaiausol. JelevailesyeuxversDevin. Voilàcequ’ilétaitcenséaccomplir!Iln’étaitpaslàpourmeprotéger.Nim’étudier,nicontrôler mespouvoirs. Ilétaitlàpourmetuer.Etilavaittentédes’ysoustraire. —Jesuissincèrementdésolé,jen’avaispaslechoix,fit-il,ému.Etjen’aipaspum’empêcherde tomberamoureuxdetoi,nonplus. Ilretiralalamedemonventre,etladouleurmefoudroya. Jeflottais.Desplumesfroidesmefrôlaientlesjouesetlescheveux.Lesyeuxfermés,jesentaisle ventchargédesenteurshivernales.Quandj’ouvrislespaupières,c’étaitcommesijevoyaislemonde pour la première fois. Je regardai en bas : dans la clairière, un mur de feu s’élevait à l’endroit où j’étais tombée près de Devin, mais ni le Gardien ni l’Élu n’étaient plus là. Un tourbillon de fumée noires’élevaitversleciel.L’odeurâcredessapinsetdelasèveentraindebrûlerparvenaitàmes narines. Jem’éloignaidelascène,sanscomprendresic’étaitmoiquimontaisoulepaysagequidescendait. Soudain,quelqu’unprononçamonprénom. Asher. —Resteavecmoi,Skye,implora-t-il,lavoixcassée. Il se propulsa dans les airs en me tenant fermement d’un bras, l’autre main appuyée contre ma blessure. —Nemeurspas,jet’ensupplie! J’étaisincapabledeluirépondre.Jemetrouvaisdéjàailleurs,dansuneautredimension. —Jenepeuxpasteguérir,poursuivitAsher.Maisjevaistrouverquelqu’unquitesoignera,jetele promets,peuimporteleprixàpayer. En contrebas, tout devint flou, puis disparut. Je n’entendais plus que la respiration d’Asher et les battementsdemoncœur. Nousplanionsau-dessusdesnuages,verslesténèbresmagnifiques. REMERCIEMENTS Jetiensàremerciertoutparticulièrementlespersonnessuivantes: MonamieettalentueuseéditriceMariaGomez.Mercid’avoircruenceprojet(etenmoi)dudébut jusqu’àlafin.Merciduplusprofondducœurpourtoutcequetuasfaitpourcelivre. BarbaraLalicki,poursesconseilsetsesidées,etpouravoirsuquandetquoicorriger. L’équipedeHarper,ettoutparticulièrementEliseHowardpourlamotivationetlafoiqu’ellem’a apportées;SusanKatzetKateJacksonpourleursoutien;lesservicesmarketing,presseetdroits; ErinFitzsimmonspoursasuperbecouverture.AinsiqueRayShappellpouravoirpasséunejournée entièreavecmoiàattendredetrouverlaluminositéparfaite. Mes familles éditoriales HarperCollins et Penguin. Merci de m’avoir motivée, écoutée, encouragée,comprise,plainteetd’avoirpartagémonbonheurauquotidien. RachelAbrams,pouravoirdiscutédecelivreavecmoiplusquederaison. Mesformidables(sansoublierspirituelsetadorables)amisauteursnewyorkaisquim’ontétéd’un grandsoutien. Les Elevensies, ainsi que tous mes nouveaux amis virtuels, pour m’avoir suivie dans cette belle aventure. MicolOstowpouravoirétélepremieràmefairecomprendrequejepouvaisêtrepubliée. JessicaRegelpouravoircruenmoietpouravoirfaitpreuved’unegrande,grandepatience. KariSutherlandetShelbyTrenkelbachpourvotrecréativité,votreimaginationetvosséancesde brainstorming(pourlesquellesjenevousremercieraijamaisassez!). Mesamispourm’avoircajolée,nourrie,accompagnéeenbus,amusée,faitdégusterdubonvin, distraitequandj’enavaisbesoin,pourm’avoirfaitdanser,rire.PourlesLlovesavecdeuxL:vous êteslesêtreslesplusmerveilleuxdecemonde. Masœur,ShelbyDavies,pourtoutuntasdechosesquejenem’aventureraipasàlisteretqueje gardesouslecoudepourlelivrequ’oncoécrira. Mesparents,JodyetLeeDavies.Avectoutmonamouretmagratitude,ettoutcequedesimples motsnesauraientexprimer. L’auteur Après des études d’anglais et de théâtre au Bates College dans le Maine, Jocelyn Davies a été successivementinstitutricelejouretactriceàBrodwaylanuit,toutenécrivantdespiècesdethéâtre pourenfants,avantdedeveniréditricederomansJeunesAdultesàNewYork.BeautifulDarkestson premierroman. www.jocelyndavies.com TousleslivresdePocketJeunessesur www.pocketjeunesse.fr Titreoriginal: ABeautifulDark Publiépourlapremièrefoisen2011parHarperCollins,États-Unis ©2011,byHarperCollinsPublishers © 2013, éditions Pocket Jeunesse, département d’Univers Poche, pour la traduction françaiseetlaprésenteédition. Couverture:Photo©ColinAnderson,2012. ISBN:978-2-266-22486-4 Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,detout oupartiedecetteœuvre,eststrictementinterditeetconstitueunecontrefaçonprévueparles articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictionscivilesoupénales Contribution : Malina Stachurska Loi no 49 956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinéesàlajeunesse:juin2013.