Gestion de la fin de vie des équidés

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Gestion de la fin de vie des équidés
Le magazine en ligne de l’actualité technique et scientifique équine
Gestion de la fin de vie des équidés
Quelles sont les pratiques actuelles et leurs impacts
économiques ?
Par : Xavier Dornier (Ifce), Aline Decouty (Institut de l’élevage), Emilie Anguelu, et
Pascale Heydemann(Ifce)
La gestion de la fin de vie des équidés est un thème d’actualité. En effet, une directive sanitaire,
parue à l’automne 2013, exclut du circuit d’abattage une partie des équidés, entraînant ainsi une
baisse accrue des abattages. Parallèlement, l’arrêt de l’équarrissage public qui est intervenu en
2008 a induit une hausse des coûts d’enlèvement des carcasses d’équidés, et donc des charges
pour les propriétaires, particuliers comme professionnels. La combinaison de ces deux facteurs
amène la filière à s’interroger sur les pratiques et les modes de gestion des équidés en fin de vie
ainsi que sur leurs conséquences.
La présente étude porte sur la gestion de la fin de vie des équidés et les coûts inhérents.
L’objectif est de modéliser les conséquences d’un changement de pratiques dans la gestion de
la fin de vie des équidés. Depuis de nombreuses années et en particulier en 2014, le nombre
d’équidés abattus diminue sous l’effet de modifications réglementaires et des aspects sociétaux.
A partir d’une analyse des données disponibles dans la base SIRE et d’entretiens téléphoniques
auprès de particuliers et de professionnels, nous avons établi un état des lieux des pratiques et
mœurs actuelles autour de cette problématique. Cette approche à la fois chiffrée et qualitative a
permis d’apprécier le devenir des équidés et l’opinion des acteurs de la filière.
Dans un deuxième temps, nous avons créé un modèle dynamique de la population équine
française pour voir quel pourrait être l’impact économique d’une baisse d’abattage comme celle
observée en 2014.
Pratiques actuelles
Les abattages en France représentent un quart des sorties d’équidés
Les pratiques actuelles de gestion de la fin de vie dans la filière équine sont très différentes de
celles des autres filières agricoles. Le nombre de chevaux équarris est très largement supérieur
au nombre d’abattus, ce qui est l’inverse des autres filières, ruminants notamment.
A partir des données disponibles dans la base SIRE, nous avons pu créer le modèle systémique
présenté ci-dessous (fig.1) en estimant le nombre d’équidés présents aux différents stades de la
filière ainsi que les flux d’entrée et de sortie.
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Figure 1 / Schéma de la population équine et de sa dynamique
Sources :
- SIRE : Naissance-import, décès, activité en course&sport
- OER : NB chevaux présents à l’élevage/jument saillie, nb poulinière/jument saillie
Ainsi, chaque année 28 800 chevaux sont équarris, 17 100 sont exportés et 14 500 sont abattus
en France. En regardant le devenir de la production française uniquement, y.c. les chevaux de
trait exportés pour la viande et sans tenir compte des équidés importés pour la viande, on
obtient la répartition suivante : 48% sont abattus et 52% équarris (fig.2).
Figure 1 / Répartition de la destination des équidés produits en France
Source : SIRE 2013
Une tendance à la baisse des abattages
Des entretiens téléphoniques ont été menés auprès d’un panel de 10 professionnels et de 14
particuliers propriétaires d’équidés. Ces derniers ont été retenus pour l’étude car ils ont réalisé
une demande d’enlèvement de cadavre, d’un équidé âgé, via l’ATM ANGEE en 2012.
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L’objectif de ces enquêtes était de mieux connaître les pratiques des propriétaires confrontés à
la gestion d’un équidé en fin de carrière, les motivations conduisant leurs choix et les coûts que
représentait un équidé en fin de vie.
Peu de professionnels ont recours à l’abattage
Sur les 10 professionnels contactés, 3 ont recours à l’abattage pour gérer toute ou partie de
leurs réformés, et 7 n’y ont pas ou plus recours. L’image vis à vis de la clientèle est souvent un
frein à l’abattage. En effet parmi les trois professionnels qui ont recours à l’abattage, deux ont
une stratégie dissimulée en vendant leurs réformés à des marchands qui eux-même les conduisent
à l’abattoir (fig.3).
Figure 3 / Répartition de la destination des équidés produits en France
Parmi les 7 qui n’ont pas recours à l’abattage, 5 ont fait le choix de ne pas abattre pour des
raisons affectives mais deux ont, par contre, changé leurs pratiques (ils ont eu recours à l’abattage
par le passé) pour des raisons d’image vis à vis de la clientèle (fig.4).
En termes
retraités :
d’hébergement
des
équidés
• plus de la moitié des professionnels qui ont
recours à l’équarrissage conserve les
équidés chez eux. Parmi eux, la moitié les
garde au pré, l’autre en système pré/boxe.
Ainsi, les coûts d’hébergement représentent
moins de 100€/mois sauf pour une structure.
• les autres ont trouvé des solutions pour
financer la fin de vie soit en cédant l’équidé
à des particuliers soit en récoltant des fonds
via une association chargée de gérer la fin
de vie des équidés.
Figure 4 / Pratiques d’hébergement
des chevaux retraités
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La quasi-totalité des particuliers ont recours à l’équarrissage
La totalité des particuliers enquêtés ont utilisé les services de l’équarrissage. 8 des 14 propriétaires
enquêtés avaient mis en pension leur équidé en retraite. Les 6 autres avaient gardé leur cheval
à domicile, majoritairement au pré, parfois en boxe+pré (2).
Sur 14 particuliers, il était intéressant de constater que 10 d’entre eux n’avaient jamais envisagé
la mort de leur équidé. Les frais liés à la fin de vie et à l’équarrissage sont souvent méconnus du
propriétaire particulier d’un équidé. Ils se retrouvent ainsi souvent démunis lorsque le cas
survient, car ils ne connaissaient pas les procédures à respecter (équarrissage, envoi du livret
au Sire…) et donc les coûts associés.
A la question «la dimension économique a-t-elle été prise en compte dans votre choix (à savoir
ici entretien du cheval+équarrissage plutôt qu’abattage) ?», les réponses sont unanimement
NON. La dimension affective et/ou idéologique ressort comme la principale motivation du choix
dans la gestion de la fin de vie.
Impact économique d’une baisse d’abattage
Dans ce contexte où les aspects sociétaux et réglementaires ont tendance à réduire la part
d’équidés abattue nous avons voulu modéliser les impacts économiques que représentent une
baisse d’abattages et une hausse des chevaux en « retraite ». En 2014, nous observons une
réduction de 17 % du nombre de chevaux abattus (soit 2 400 équidés abattus en moins).
Principe de modélisation
Nous avons modélisé les impacts économiques selon trois axes :
• la perte de produit liée au non-abattage correspondant au prix de vente d’un équidé pour la
boucherie
• les coûts générés par l’entretien des équidés jusqu’à leur mort. Il s’agit soit d’une charge
lorsque le cheval est à « domicile » (y.c. dans une structure qui en est propriétaire) soit d’une
recette dans le cas ou l’équidé est mis en pension.
• les coûts supplémentaires liés à l’équarrissage
Les hypothèses utilisées :
– non-abattage : 500€/équidé
– Estimation des coûts d’entretien
◊ durée d’entretien : à partir des courbes des abattages et des équarrissages par âge,
nous avons estimé une durée de vie avant équarrissage pour les chevaux non abattus.
Figure 5 / Durée moyenne d’entretien des équidés non abattus
Source : IFCE-SIRE
Aide de lecture : Un cheval de trait, qui n’est pas destiné à l’abattage, a une espérance de vie
de 12 ans à sa naissance. Un cheval de trait de 10 ans, a une espérance de vie d’encore 7 ans
environ (soit 7 «années d’entretien»).
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Ainsi, en tenant compte de l’age des chevaux abattus, les 2 400 chevaux non-abattus seraient
en moyenne conservés 9,3 années avant leur mort « naturelle » ce qui conduit à environ 22 500
années d’entretien.
◊ prix de pensions : l’hypothèse retenue est basse, à savoir les coûts de pension et
d’entretien ont été estimés au minimum
70% équidés entretenus à domicile : 600€/an (30€/mois d’alimentation+ 240€/an de
soins)
25% équidés mis en pension « peu chère » 1800€/an (130€/mois de pension + 240€/
an de soins)
5% équidés en pension « chère » 3600€/an (280€/mois de pension + 240€/an de
soins)
Soit un prix moyen global de 1050€ par an par cheval.
Les 240€/an de soins comprennent trois vermifuge(3x30€), un vaccin(40€), une visite
du dentiste (80€) et un parage(30€). Ces frais correspondent à des prix et des pratiques
moyennes (hors d’éventuels maladies ou accidents), ils ont tendance à augmenter avec
l’age de l’équidé.
– coûts équarrissage : 280€ par équidé (100€ de frais d’euthanasie + 180€ d’équarrissage)
obtenu en prenant la moyenne des tarifs régionaux de l’ATM par type d’équidés.
Environ 325M€ d’impacts répartis sur les 40 prochaines années
Impacts quantitatifs
La baisse des abattages observée en 2014 a entraîné un impact économique pour les décennies
à venir de l’ordre de 29 M€ réparti comme suit :
• 1,2M€ résultant de la perte des revenus lié à l’abattage (en première année)
• 1,6M€ liés aux frais d’euthanasie et d’équarrissage répartis dans le temps en fonction de la
durée de vie des chevaux équarris
• 26,7M€ liés à l’entretien des 2 400 chevaux jusqu’à leur mort. Ce dernier poste représente
environ 22 500 années d’entretien-cheval à 1 050€ en moyenne et est dégressif, le cheptel
se réduisant progressivement. Cet impact serait cumulé avec l’impact des chevaux nonabattus sur les années suivantes.
Cet impact se cumulerait d’une année sur l’autre, le temps que la production s’adapte. L’age
moyen d’abattage des chevaux est d’environ 10,8 ans, ainsi en moyenne les chevaux devant
être abattus pour les 11 prochaines années sont déjà produits. Par conséquent, l’impact global
d’une réduction de 17% d’abattage serait d’environ 325M€.
Ainsi, l’impact d’une réduction ponctuelle aurait un impact financier dégressif sur les 4 prochaines
décennies.
Figure 5 / Impacts économiques cumulés d’une baisse de 15%
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Cependant parmi cet impact financier de 325 M€ sur 40 ans, on peut estimer qu’environ 176M€
seraient à la charge de propriétaires particuliers et au profit de structures prenant les chevaux
en pension retraite. Les 149 M€ restants étant à la charge des entreprises de la filière ou de
particuliers détenteurs de leurs « vieux » chevaux.
Impacts qualitatifs
Cette évolution de l’abattage aurait également des impacts sur le fonctionnement de la filière,
qu’il est difficile de chiffrer. La production serait impactée pour s’adapter au marché. Nous
estimons qu’une baisse de 15% d’abattage entraînerait l’augmentation de la population de 19
000 chevaux soit 2% de la taille du cheptel présent en France. Ainsi, il est probable que, sous
l’hypothèse d’une demande stable, la production se réduise d’environ 2% soit 1500 poulains par
an. En cas d’interdiction de l’abattage, l’impact serait de 190 000 chevaux supplémentaires soit
près de 20% du cheptel soit 15000 poulains en moins par an. C’est l’équivalent de 93% de la
production sport-loisir... Les différentes productions ne subiraient peut être pas cette réduction
de la même manière. En effet, il est probable que l’activité de course et donc la production de
chevaux de course se maintiennent avec par la suite une augmentation des réformes vers le
loisir du fait de la réduction d’abattage. On peut estimer en 2013, qu’il y a eu environ 6000
Trotteurs Français et 1500 Pur Sang abattus sur l’année. Une baisse de cet effectif entraînerait
leur ré-orientation vers le marché du sport-loisir déjà très fourni en chevaux de races de course.
L’impact serait donc très important sur la production d’équidés de sport-loisir certes moins
abattus mais faisant face à une concurrence accrue des chevaux de course sur le marché des
chevaux de sport-loisir.
D’autre part, le marché du cheval serait également impacté par une baisse des prix des équidés
de loisir du fait d’une offre importante de chevaux « déclassés » par leur propriétaire. Parallèlement,
les propriétaires particuliers, qui seront en mesure de conserver leur équidé en retraite, ne réinvestiraient peut-être pas aussi régulièrement dans un nouveau cheval. Les reprises d’anciens
chevaux lors d’achat auprès de marchands étant désormais plus difficiles puisque ces chevaux
demeureront une charge pour le marchand.
Les évolutions actuelles dans la gestion de la fin de vie des équidés génèrent, comme nous
l’avons vu, des flux financiers très important. La tendance actuelle est propice au développement
de prestations de type « pension retraite » voire de structures spécialisées dans l’hébergement
de chevaux agés. Ainsi, l’observatoire économique et social du cheval de l’Ifce va s’interroger sur
ce secteur de marché en 2015 pour analyser les opportunités et les risques liés à ces activités.
L’organisation du travail, les soins spécifiques, la proximité entre le propriétaire et l’écurie de
pension seront abordés tout comme les risques d’abandons et les difficultés de paiement associés.
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