1 LA CONDITION DE L`ENFANT : EVOLUTION HISTORIQUE Michel

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1 LA CONDITION DE L`ENFANT : EVOLUTION HISTORIQUE Michel
LA CONDITION DE L’ENFANT : EVOLUTION HISTORIQUE
Michel VIDAILHET , Professeur émérite de Pédiatrie
Université H Poincaré , NANCY
Dés mes premières années d’études médicales , durant mes stages d’externat
en Pédiatrie , le fait qui m’a le plus marqué est que la première et la plus grande
injustice de la vie tienne à ce hasard qui fait naître l’enfant que nous avons été , les
enfants que nous avons eus , dans une famille attentive , chaleureuse , cultivée , ou ,
au contraire, dans une famille vivant dans une grande misère , non seulement
financière , mais aussi morale , culturelle, affective . La fréquence avec laquelle
notre maître , Mr Neimann , évoquait devant certains enfants hospitalisés la
possibilité d’une maltraitance physique et/ou affective me surprenait , me choquait
même au début , mais les évaluations clinique , familiale et sociale confirmaient
presque toujours son diagnostic et ses inquiétudes . Il faut bien dire qu’aujourd’hui la
maltraitance est certainement le domaine où nous observons le moins de progrès ,
situation aggravée même par l’apparition , ou la révélation plus fréquente, des
sévices sexuels.
Je me suis donc intéressé , à travers différents documents à essayer d’évaluer
ce qu’avait été autrefois la condition de l’enfant , sa place dans la famille , la société ,
en me limitant à notre civilisation occidentale , sans évoquer ce qu’il en a été dans
les civilisations extra-européennes .
L’ANTIQUITE GRECO-LATINE :
Pour l’antiquité grecque les informations dont on dispose concernent surtout
Athènes , à un degré beaucoup moindre d’autres cités comme Sparte ou
Lacédémone .
A Athènes la famille était une structure sociale essentielle , fondée sur le
mariage .Pour la classe favorisée , celle des citoyens , la citoyenneté était transmise
au garçon qui héritait du bien paternel et donnait une sépulture décente à ses
parents . Les filles étaient mariées à un autre citoyen de la cité . Mais , pour ne pas
morceler le patrimoine on recourait facilement à « l’exposition » , c’est à dire à
l’abandon , voire à l’infanticide . Toute une série de rites accompagnaient la
naissance de l’enfant ; le père reconnaissait publiquement et solennellement son
enfant . Ensuite celui-ci était , en règle , confié à une nourrice qui pouvait être
originaire d’une autre cité . Le code de Solon ( 640 à 541 AVJC ) était assez libéral.
Ce code permettait que jusque 7 ans l’enfant soit élevé dans sa famille . A partir de
cet âge l’enfant était confié à un esclave chargé de veiller sur lui et de le conduire
auprès d’un maître , le grammairien , chargé de lui apprendre la lecture , l’écriture , la
mythologie et le calcul . Une éducation musicale était également donnée aux filles et
aux garçons . Pour Platon , c’est pour cultiver l’âme et perfectionner en celle-ci le
courage et l’esprit philosophique que les Dieux ont fait présent aux hommes de la
musique et de la gymnastique . A l’adolescence les filles étaient rapidement
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conduites au mariage . Les garçons étaient confiés à des maîtres chargés de leur
éducation , le « pédiatribe » étant chargé de la gymnastique , le « sophiste » du
développement intellectuel . Ces derniers établissaient avec l’adolescent des
relations homosexuelles , parfaitement admises et même codifiées à Athènes . Il
semble qu’il n’en était pas de même à Sparte ou à Lacédémone où ces relations
gardaient un caractère platonique . A Sparte , les adolescents étaient éduqués à la
dure afin d’en faire des hommes robustes , de bons guerriers . A Sparte les nouveaunés malingres , mal constitués devaient être tués .
Le système éducatif romain a été très influencé par le modèle athénien
surtout après la conquête ( 146 AVJC ) . On y retrouve la même coupure vers 7 ans ,
entre « l’infans » ( 0 à 7 ans ) et le « puer » ( 7 à 16 ans ) .
A l’aune des appréciations actuelles on peut dire que l’éducation Spartiate ,
constituerait une maltraitance évidente . Les choses sont bien pires pour les enfants
du peuple , n’appartenant pas aux familles patriciennes , et encore pires pour les
enfants d’esclaves , esclaves eux mêmes qui étaient souvent considérés à Rome
comme des animaux , comme des objets pour jouer et qui étaient même utilisés
comme des objets sexuels , en particulier durant l’empire Romain , sous les règnes
de Caligula et de Néron . Si les abus sexuels commis sur des enfants de familles
patriciennes étaient sévèrement punis , les enfants esclaves étaient livrés au bon
vouloir de leurs maîtres . Il faut enfin rappeler que le père , aussi bien chez les grecs
que chez les romains étaient dotés de la « puissance paternelle » et avaient tout
pouvoir , y compris de vie et de mort sur leurs enfants .
LE MOYEN-ÂGE :
Le moyen âge occidental débute en 395 , au moment de la division de la
« Romania » en deux parties , l’une orientale ayant pour capitale Byzance , l’autre
occidentale qui s’effondrera en 740 sous la poussée des barbares .
Au cours de ces 1.000 années , la démographie va beaucoup varier ,
marquée par des épidémies de peste ( 6 entre 540 et 600 , peste noire de 1346 à
1353 ) , les invasions barbares ( V ème au XI éme siècle ) la guerre de 100 ans (
1337-1453 ). Le nombre de pauvres et, par conséquent, le nombre d’enfants
abandonnés , d’orphelins est en rapport étroit avec la situation économique qui a
beaucoup fluctué. Il y a eu des embellies , comme la décennie « miracle » de 1350 à
1360 avec augmentation des salaires dans toute l’Europe de 20 à 100% , suivie
d’une détérioration à partir de 1368 avec chute des salaires de 40 à 45% , sousalimentation sévère frappant particulièrement les classes populaires et les enfants.
Le haut moyen âge est une époque sinistre pour de nombreux enfants sans défense
d’autant que la puissance paternelle des romains donnant au père droit de vie et de
mort sur ses enfants reste absolue chez les Gaulois . Les abandons sont fréquents.
Dans les familles favorisées, quand les enfants grandissent, l’éducation est
différente selon le sexe. Les filles sont instruites dans les travaux féminins de couture
, de filage pour aller vers le mariage qui peut être très précoce , dés le début de
l’adolescence, ou vers le couvent. Les garçons des familles seigneuriales sont
rapidement enlevés à leurs mères et sont souvent envoyés chez un autre seigneur
pour faire leur apprentissage du métier des armes, à moins qu’ils n’aillent au
monastère lorsqu’ils sont destinés à une carrière religieuse. Dans la première
hypothèse , ceci n’est pas sans risque : en cas de conflit entre seigneurs , l’enfant
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peut devenir un otage . La cruauté peut être extrême. Orderic Vital raconte dans
« Histoire ecclésiastique » qu’en Normandie le fils de Raoul Harenc a ainsi les yeux
arrachés par Eustache de Breteuil qui le gardait. Raoul Harenc va demander justice
au roi Henri 1er. Celui-ci avait alors à sa cour ses 2 petites filles , enfants de Juliane ,
sa fille adultérine et d’Eustache de Breteuil : Henri 1er livre alors ses 2 petites filles à
Raoul Harenc qui leur fait arracher les yeux et couper l’extrémité du nez .
A l’inverse, beaucoup d ‘écrits et de tableaux montrent de combien de soins
les femmes du monde seigneurial pouvaient entourer leur progéniture : vêtements,
nourriture etc…Perceval de Gagny , dans sa chronique au début du XVème siècle
fait un tableau flatteur de Marie de Bretagne , veuve de Pierre d’Alençon, et la loue
pour le soin avec lequel elle a « gouverné » ses enfants.
En fait les femmes nobles ne constituent bien sûr qu’une petite frange de la
population. Femmes de serfs, paysannes, et femmes d’artisans allaitent leurs
enfants, les gardent longtemps auprès d’elles, ou les laissent aller à leur guise. Mais,
poussées par la nécessité et autorisées par la coutume, certaines essaient de se
débarrasser du fardeau parfois trop lourd de l’enfant par des manœuvres abortives,
par l’abandon ou par l’infanticide. Les interdits solennels prononcés et réitérés par
les évêques contre l’habitude de coucher les jeunes enfants dans le lit des parents
semblent s’expliquer par la fréquence avec laquelle les bébés y étaient
« accidentellement » étouffés. Flandrin souligne l’écrasante morbidité et surtout
mortalité infantiles dues à la misère, au manque d’hygiène, aux épidémies, aux
infections digestives, respiratoires, et à la malnutrition.
Philippe Aries, dans son ouvrage fondateur, « l’enfant et la vie familiale
sous l’ancien régime » , a cherché à préciser quand, dans l’histoire de France, a
émergé le sentiment moderne de l’enfance. Il estime que la société médiévale ne
faisait pas de place spécifique à l’enfant. Il n’y avait pas de termes différents pour
désigner l’enfant et l’adolescent, l’enfant était laissé libre de ses mouvements dans la
communauté, de participer aux mêmes jeux et aux mêmes travaux que les adultes et
de développer ainsi, au hasard de ses rencontres , ses compétences. La littérature
l’ignorait, la peinture le représentait comme un adulte en miniature, portant les
mêmes habits . Dés qu’il franchit la période de forte mortalité des premières années
où il n’intéresse pratiquement pas tant sa survie est aléatoire , il se confond avec la
société des adultes et P Aries ne situe qu’au XVIIème siècle le développement d’une
vraie spécificité dévolue à l’enfance.
Beaucoup d’auteurs ont souligné le caractère excessif de cette
interprétation . Klapisch, P Riche , Leroy-Ladurie ont apporté une argumentation
documentée à cet égard. Leroy-Ladurie utilise ainsi le remarquable registre
d’inquisition de Jacques Fournier concernant le village de Montaillou en haute Ariège
et en conclut que les sentiments des parents pour les enfants n’étaient pas si
différents des nôtres. P Riche, s’appuyant sur des documents de l’époque, les traités
de pédagogie de Vincent de Beauvais, de Guillaume de Tournai, de Raymond Lulle ,
montre que, comme dans l’antiquité, la césure de l’enfance se situe à 7 ans, âge
auquel il commence à intéresser les pédagogues, en particulier les religieuses et les
clercs. Les règles monastiques précisent qu’avant 7ans l’enfant ne peut apprendre ni
à lire ni à obéir. A partir de cet âge de « raison », encore dit de « discrétion », l’enfant
est autorisé à se confesser par décision du concile de Latran en 1215. L’éducation
doit être stricte. Si les enfants pleurent, peu importe, il vaut mieux qu’ils pleurent pour
le bien plutôt que leur père ne pleure plus tard sur les fautes qu’ils auront commises.
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La sévérité du traitement est attestée par Saint-Augustin. Dans son ouvrage « La
Cité de Dieu » il écrit :
« Qui donc ne reculerait d’horreur et ne choisirait la mort si on lui offrait le
choix entre mourir et redevenir enfant [ potius mori quam repuescare ] »
Dans les « Confessions » il décrit les châtiments infligés par ses maîtres :
« Si j’étais paresseux à apprendre, on me battait. Les grandes personnes
louaient cette méthode et nombre d’enfants avant nous, en menant cette vie, avaient
frayé ces chemins accablants. Le petit enfant que j’étais te demandait, Seigneur,
avec une ferveur qui n’était pas petite, de n’être pas battu. Et quand tu n’exauçais
pas ma prière, les grandes personnes et jusqu’à mes parents, qui pourtant voulaient
qu’il ne m’arrivât aucun mal, riaient des traces de coups que je portais, mon terrible
tourment d’alors ».
Cette éducation était en fait réservée aux enfants des familles favorisées.
Si Charlemagne crée en 900 une école , elle n’est destinée qu’aux enfants des
nobles de sa cour.
POUR PHILIPPE ARIES, L’ATTRIBUTION A L’ENFANCE D’UN STATUT
PARTICULIER N’APPARAIT QU’AU XVII ème SIECLE
Il note cette évolution sur l’habillement qui devient spécifique, sur la mise
à l’écart de jeux grivois et grossiers des adultes, dans la littérature, la peinture. Dans
les « Annales de l’Hospice des enfants trouvés » de cette époque on trouve ces
phrases attribuées à Saint-Vincent de Paul ( 1581-1660 ) :
« Peut-être est-il beaucoup plus difficile de suppléer aux soins de la mère
et de la nourrice qu’à leur état. On est assez avancé dans les connaissances pour
composer une boisson qui ait la qualité du lait de femme. Mais ces tendres soins
d’une femme pour son enfant auquel elle donne une partie de sa substance, cette
gestation entre ses bras, ces embrassements continus, ces baisers fréquents, en un
mot cette espèce d’incubation qui doit suivre la sortie du sein de la mère, voilà ce
qu’on obtient ni avec des combinaisons chimiques, ni avec des règlements, ni avec
des gages. »
Pour l’enfant plus âgé, l’attachement ne doit plus se manifester par
l’amusement, le mignotage, mais, sous l’influence des gens d’église, des moralistes,
des pédagogues, par le souci de le former, de l’éduquer. Ceci amène, à partir de la
fin du XVII ème siècle à substituer l’école à l’apprentissage comme moyen
d’éducation. L’enfant cesse d’être mêlé aux adultes pour apprendre la vie à leur
contact. Il est désormais maintenu à part, dans une sorte de quarantaine : cette
quarantaine , qui ne cessera pas de s’étendre jusqu’à aujourd’hui, c’est la
scolarisation.
Mais, alors que ce XVII ème siècle est marqué par une grande misère,
un recul démographique dû aux guerres, à des famines et des épidémies, le XVIII
ème siècle sera marqué par une embellie avec recul de la peste, des guerres et des
famines. La population passe de 21,5 millions en 1709 à 28 millions en 1790 ; On
observe à ce moment une « transition démographique », c’est à dire une baisse
simultanée de la mortalité et de la natalité.
La Révolution va prendre une position très nette et généreuse sur tous
les problèmes de l’enfance . L’Etat doit prendre en charge le secours dû aux
malheureux, dont les enfants abandonnés. La loi du 28 juin 1793 déclare les enfants
abandonnés enfants de la patrie. Des bureaux de bienfaisance sont créés. C’est en
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grande partie l’œuvre du duc de La Rochefoucault-Liancourt. En associant les deux
concepts d’enfance et d’assistance , La Rochefoucault-Liancourt se présente comme
un véritable précurseur en ce qui concerne la sécurité et les droits de l’enfant
abandonné. La révolution confie les enfants abandonnés à des familles paysannes
pour leur donner des meilleures chances d’intégration sociale. Cependant la
Révolution , en reconnaissant la dette de l’Etat envers l’enfance abandonnée, retire à
l’église sa fonction charitable , lui enlève ses moyens financiers ; ceux-ci ne sont pas
toujours transférés vers les hospices. Les enfants abandonnés restent très
nombreux. Le grand mouvement de générosité s’étiole. En pratique la révolution
n’aura pas été à la hauteur de ses ambitions et de la mise en pratique de ses idées
généreuses.
AU XIX ème SIECLE AVEC LA REVOLUTION INDUSTRIELLE
On assiste à un urbanisation accélérée, dans des conditions matérielles
catastrophiques. A côté de la partie de la ville aristocratique et bourgeoise, il règne
dans les quartiers populaires un entassement de plus en plus important, caractérisé
par l’étroitesse des rues, la hauteur des maisons, les dépôts d’immondices. Dans
toute l’Europe, à Paris comme à Vienne,Varsovie, Lyon etc…on observe une
véritable explosion du rachitisme carentiel, des pathologies infectieuses, de la
tuberculose, avec une surmortalité urbaine, l’espérance de vie étant moitié moindre
en ville qu’à la campagne.
Les archives judiciaires montrent la fréquence des infanticides, les
témoignages des confesseurs soulignent leur fréquence à la campagne. A Lyon un
rapport officiel de 1828 précise que l’infanticide est de pratique courante et la
mortalité dans les asiles pour enfants trouvés considérable. Elle est considérable
aussi chez les enfants placés en nourrice, d’autant que la nourrice allaite souvent
plusieurs enfants simultanément pour augmenter ses revenus. La mortalité infantile,
c’est à dire la mortalité des enfants durant la première année de vie, est de 250 pour
mille au début du XIX ème siècle, et reste encore de 200 pour mille à la fin de ce
siècle ( elle chutera plus rapidement ensuite , mais sera encore de 40 pour mille en
1940 , alors qu’elle n’est plus que de 3,8 pour mille aujourd’hui ).
Parallèlement les enfants plus âgés sont soumis au travail dans les mines,
les fonderies, les filatures, dés l’âge de 8 ans ! Leur petite taille les rend utiles pour
toute une série de travaux , avec un salaire 4 fois inférieur à celui de l’adulte. Ainsi
dans les mines de charbon ils sont utilisés pour pousser les chariots dans les boyaux
étroits. Dans le textile ils se glissent sous les métiers en fonctionnement pour
rattacher les fils cassés, nettoyer les bobines, ramasser les déchets de coton.
Pour la plupart nous avons lu, parfois appris par cœur, certaines poésies
de Victor Hugo qui s’est beaucoup investi dans la protection de l’enfance :
Où vont tous ces enfants ?
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit,
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement
Accroupis sous les dents d’une machine sombre,
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Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d’airain, tout est de fer.
Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes !
O servitude infâme imposée à l’enfant
Rachitisme ! Travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu’a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait- c’est là son fruit le plus certain !
D’Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l’âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d’un enfant ainsi que d’un outil !
Progrès dont on demande :Où va-t-il ? Que veut-il ?
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l’homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l’on s’abâtardit,
Maudit comme l’opprobre et comme le blasphème !
O Dieu ! qu’il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l’homme heureux !
En juin 1849, Hugo adressa deux déclarations à l’Assemblée législative pour
appuyer la proposition Melun d’une enquête sur la misère et contre la loi sur
l’enseignement du ministre Falloux qui visait à accroître l’influence du clergé sur
l’enseignement public. Lors de son exil dans les îles Anglo-Normandes, il contribua à
la création de la première cantine scolaire .
Son aîné et rival, Lamartine, contribua aussi à ce combat . A la Chambre,
le 30 avril 1838, il lance un vibrant appel qui reste malheureusement d’actualitécontre l’arrachement des enfants abandonnés à leur famille nourricière :
« …Quand ils ont grandi comme de véritables enfants
adoptifs…lorsqu’ils ont partagé 2 ans, 3 ans, 6 ans, 10 ans, le lait de la mère, le pain
du père…quand ils appellent ces femmes leur mère, ces hommes leur père…
arracher tout à coup ces enfants à ces familles, les séparer violemment comme on
ne séparerait pas deux bœufs accoutumés au même joug, les jeter à 100 lieues les
uns des autres, dans de nouvelles familles auxquelles ils sont inconnus, odieux, et
qui les reçoivent avec répugnance parce qu’ils viennent y prendre la place encore
chaude de l’enfant qu’on leur enlève pour le transporter ailleurs…envoyer des
gendarmes quand ces enfants résistent à cette séparation ; c’est contre le
déplacement surtout que je conjure la chambre de se prononcer »
Des textes législatifs vont s’efforcer de lutter contre l’exploitation des
enfants. Le premier, du 28 mars 1849, interdit le travail aux enfants de moins de 8
ans , limite à 8 heures par jour celui des enfants âgés de 8 à 12 ans et à 12 heures
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celui des adolescents de 12 à 18 ans. En 1874 une nouvelle loi remonte de 8 à 12
ans l’âge minimum et la durée de travail à 6 heures par jour.
Un tournant majeur est surtout marqué par les lois de Jules Ferry, dites
lois Ferry-Goblet,, de 1881 à 1886, qui rendent l’école primaire gratuite et obligatoire.
Elles marquent un tournant radical dans la scolarisation et l’éducation, mais avec une
portée plus large car, à travers elles, sont diffusées les nouvelles règles d’hygiène et
de santé publique. Cette fin du 19ème et le début du 20ème siècle sont en effet
marqués par la progression foudroyante des connaissances en bactériologie , la
révolution Pastorienne, la pasteurisation et la stérilisation dont Budin montra tout
l’intérêt pour rendre possible l’utilisation du lait de vache et des préparations lactées
qui en dérivent chez les nourrissons ne pouvant bénéficier de l’allaitement maternel .
Un autre progrès, pour la prise en charge des enfants dont les mères
doivent travailler, a été la création des crèches dont la première fut proposée par
Firmin Mirbeau, adjoint au maire de Paris, en 1846, le nom de crèche ayant été
retenu par référence à la crèche de Bethléem. Au départ et pendant longtemps elles
étaient réservées aux mères nécessiteuses, la fondation charitable qui s’en occupait
indiquant : « qu’elles avaient pour but de soigner en commun pendant le cours de la
journée de travail, les petits enfants âgés de moins de 2 ans dont les mères pauvres,
honnêtes et laborieuses sont obligées, pour vivre, d’aller travailler hors de leurs
habitations ». Ces crèches connurent très vite un grand succès et essaimèrent
rapidement dans d’autres villes de France, mais aussi à l’étranger, comme à
Londres,Vienne etc…En 1862 , pour une somme de 20 centimes par jour, soit le
cinquième du salaire journalier de l’ouvrière, la mère pouvait y amener son bébé de
5h30 le matin à 20h30 le soir, à condition de venir l’allaiter dans la journée. Un
médecin y passait une fois par jour pour contrôler l’état des enfants et le respect des
règles d’hygiène.
A côté du progrès amené par les crèches on doit souligner les efforts qui
ont débuté à la fin du 19ème siècle pour lutter contre la maltraitance. Une loi votée en
1889 permet de déchoir les pères de leur autorité parentale en cas d’inconduite
notoire, de comportement scandaleux, d’ivrognerie. En 1898 une nouvelle loi réprime
tous les actes de violence, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis à
l’encontre des enfants. Elle condamne les mauvais traitements paternels quand ils
excèdent le « juste droit de correction ».
AUJOURD’HUI
Je ne ferai pas le bilan de tous les progrès réalisés dans le courant du
XX ème siècle : ils sont considérables ; je ne ferai pas l’énumération des textes
officiels visant à toujours améliorer le statut social et familial de l’enfant : ils sont
nombreux. Malgré tous ces progrès, malgré la convention relative aux Droits de
l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 ,
la situation de l’enfant, dans les faits, reste précaire . Au niveau mondial force est de
constater qu’aux « enfants-ouvriers » de notre 19ème siècle ont succédé aujourd’hui
les « enfants-soldats » des conflits Africains. Au niveau national, on doit bien
constater que la maltraitance reste une constante et combien tous les acteurs des
métiers de l’enfance doivent être vigilants . Un aspect de cette maltraitance, autrefois
marginal, au moins en apparence, a littéralement explosé durant ces 20 dernières
années, c’est celui de la pédophilie .
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Nous avons vu qu’elle existait dans la Grèce antique, à Athènes, où les
adolescents étaient soumis à la pédérastie, et que, durant l’empire Romain, les
enfants d’esclaves étaient soumis sans limite aux jeux sexuels des citoyens romains,
en particulier sous Tibère, Caligula et Néron. En France ce n’est qu’en 1832 que le
code pénal sanctionne officiellement toute relation sexuelle entre adulte et enfant ;
l’âge minimum, initialement fixé à 11 ans, est relevé à 13 ans en 1863 et à 15 ans en
1945.
Comme le montre très bien Anne Claude Ambroise Rendu dans un
excellent article, de juillet 2006, de la revue « Les collections de l’Histoire », les abus
sexuels ont longtemps été camouflés, banalisés, passés sous silence. Si Gide et
Montherlant, bravant la loi et les convenances, ont vécu leur pédophilie, à mots
couverts pour le premier et en silence pour le second, durant la décennie 70, qui
suivit la révolution contre l’ordre moral de 1968, on a observé une revendication
ouverte, par les pédophiles, de leurs goûts et de leurs actes. Le « FLIP », front de
libération des pédophiles, voit le jour très ouvertement. Gabriel MATZNEFF publie en
1974 son livre « Les moins de 16 ans » dans lequel il fait un plaidoyer pour les
amours pédophiles exemptes de violence et dans lequel il considère l’extrême
jeunesse, celle qui s’étend de 10 à 16 ans, comme un véritable troisième sexe. Tony
Duvert, Guy Hocquenghem, adoptent des positions similaires et des interviews allant
dans ce sens sont publiées dans des journaux comme Le Monde ou Libération. Tony
Duvert estime que la pédophilie constitue une culture qui « cherche à briser la
tyrannie bourgeoise qui fait de l’amoureux des enfants un monstre de légende ».
Utilisant, en les déformant, les propos de Freud sur la sexualité de l’enfant, ils
soutiennent que l’enfant doit pouvoir développer et vivre ses désirs sexuels et qu’il
doit être respecté comme « un être conscient, autonome et désirant ».
Ils prétendaient parler pour les enfants, mais le retournement sera
brutal à la fin des années 80 avec les témoignages de plus en plus nombreux de
personnes ayant subi cette pédophilie, avec ou sans inceste, en particulier avec le
livre d’Eve Thomas « Le viol du silence » et l’émission télévisée de Mireille Thomas
en 1995, « Bas les masques », où viennent témoigner des adolescents, des adultes
qui disent ce qu’a été et ce que demeure leur souffrance, leur incapacité à oublier, à
établir des relations affectives normales, à construire une vie d’adulte équilibrée. Le
nombre de condamnations pour viols intra-familiaux passe de 54 en 1984 à 273 en
1993.
Mais malheureusement cette évolution va aussi connaître ses excès et
conduire à une nouvelle forme d’abus à l’égard des enfants, souvent de très jeunes
enfants de 3, 4 ou 5ans, celle des allégations mensongères en cas de conflit
parental, les parents n’hésitant pas alors à utiliser l’enfant, à lui apprendre à réciter
sa leçon . Il s’agit souvent d’allégations de mères envers leur ancien mari ou
compagnon pour les faire exclure de la vie de l’enfant, les faire déchoir de leurs
droits parentaux, mais ces accusations peuvent être faites par le père à l’encontre du
nouveau compagnon de la mère.
Ceci m’amène aux modifications que l’on observe aujourd’hui dans
notre exercice pédiatrique. Alors que le divorce était rare au début de ma vie
professionnelle, il est devenu habituel et concerne une famille sur deux. Les enfants
en souffrent, surtout lorsque les séparations sont conflictuelles, ce qui est fréquent.
Des mères m’ont souvent demandé des certificats attestant que le père n’assurait
pas correctement le traitement et/ou le régime nécessaire. J’ai toujours mis en garde
les parents à l’égard de ces comportements, en soulignant que pour l’enfant ses
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liens de filiation étaient ineffaçables quels qu’aient été les torts respectifs des parents
au moment de la séparation.
Un autre phénomène qui a toujours existé, mais qui est devenu
préoccupant par sa fréquence, est le passage de « l’enfant-roi » à « l’enfant-tyran » ;
celui-ci n’est en fait que la victime des carences éducatives dont il est l’objet, de
l’incapacité de ses parents à lui montrer clairement les limites, à ne pas s’adresser à
lui comme s’il s’agissait d’un adulte en miniature, à savoir lui marquer sans
agressivité, sans colère, mais fermement, les interdits avant l’âge où il sera capable
de les comprendre et de les partager, à lui montrer les directions à suivre, en étant
attentif à l’exemple qu’ils lui donnent, à lui, qui les voit vivre et observe leurs
comportements.
Il est certain que les enfants diffèrent entre eux, que des enfants sont
plus « faciles » que d’autres, mais ce qui fait le changement d’une période à l’autre
de notre histoire , ce sont les modifications familiales, sociales et économiques dont
certaines pèsent lourdement sur eux. Les enfants sont faibles, dépendants, fragiles
et peuvent être victimes de tous les excès ; ils peuvent être meurtris, abandonnés et
même tués dans les pires circonstances. Ils peuvent être à l’inverse victimes d’un
laisser aller anormal, de tolérances excessives, du manque de la fermeté éducative
minimale indispensable.
Pour terminer je reprendrai le texte d’un clerc anglais du XV ème
siécle qui dénonçait déjà :
« …ces riches qui n’ont que trop peu d’enfants, qui les embrassent,
les couvrent de vêtements. Si l’enfant veut se battre, ils s’en félicitent, s’il profère des
jurons ou s’il use de subterfuges pour tromper, ils disent qu’on peut être certain qu’il
deviendra un homme »
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