Gais, gays... Les 2 G, artistes de music

Transcription

Gais, gays... Les 2 G, artistes de music
Gais, gays... Les 2 G, artistes de music-hall... pétillants et déjantés
C'est salé, c'est épicé, un cocktail d'humour osé, croustillant - mais sans aucune vulgarité -, d'une grande
fraîcheur et bourré d’autodérision, c'est du cabaret... celui de la grande époque du Music-Hall, mené par
deux compères aux talents pétillants, effervescents comme des rires spontanés et salvateurs. C'est
frondeur et iconoclaste, sans barrière, sans préjugés et diablement salutaire à l'heure où la raison se bat
pour donner à tous les mêmes droits !
Ah ! Le bon temps du Music-Hall, celui de papa, celui de Mistinguett, des Cinglés de JeanChristophe Averty, de Fréhel, Dranem, Suzy Solidor, insouciant, jovial et heureux qui rendait les
gens joyeux. Chansons de chansonniers, chansons d'amour, caricatures ou grivoiseries bon
enfant, numéros de cirque ou de magie virtuoses ou improbables, tel était le cocktail de ces
grandes années où le "rire ensemble" était encore le remède inoffensif mais efficace prisé par le
peuple de l'entre-deux-guerres.
C'est tout cela que rassemblent et nous offrent Jean-Luc Revol et Denis D'Arcangelo dans leur
nouveau spectacle "Les 2 G". Nos deux artistes de music-hall - complices de longue date* -,
fidèles à leur univers artistique, se donnent la réplique et la chansonnette en y ajoutant les épices propres au versant gay de la
belle époque... le faisant jaillir en un feu d'artifice... régénérateur, tant pour le spectateur que pour eux-mêmes à en voir le
plaisir évident voire jubilatoire qu'ils mettent à leur ouvrage.
En mettant sous les feux de la rampe - scintillant sur les indispensables rideaux pailletés - le retour sur scène d'un vieux couple
d'artistes en queue-de-pie, Georges et Gaétan, gais duettistes gays, fort de plus de quarante ans de carrière et sans aucun doute
"docteurs ès music-hall", Jean-Luc Revol (Gaétan) et Denis D'Arcangelo (Georges) parcourent à leur manière l'histoire du MusicHall et en ressuscitent une certaine idée - qui n'aurait pas déplu à l'androgyne Charpini et son compère pianiste Brancato - faite
d'impertinence, d'humour ravageur et décomplexé, sans préjugés et sans (trop de !) pudeur.
Pour cela, ils ont bien sûr fait appel aux chansons écrites et créées avant ou pendant la Grande Guerre comme notamment le
poivré "En revenant du Maroc" interprétée à l'origine par Dranem (1869-1935) ou le délirant "Petit loulou de Poméranie",
chanson créée par Gaston Gabaroche (1884-1961) aux Deux Ânes. Mais, souhaitant respecter la grande tradition du cabaret, ils
ont demandé à des auteurs contemporains de leur écrire de nouveaux duos. Le premier d'ailleurs qui s'y colla fut sans doute
Jean-Luc Revol lui-même avec sa "Chanson introductive" qui ouvre le spectacle.
Se suivent, dans le désordre, de véritables petits bijoux originaux respectant les lois du genre : "Yvonne et Pierre" (ou "Georges
et Gaétan") de François Morel, "Ces chanteurs qui n'aiment pas les femmes" de Pierre Philippe, "Le sort des hommes..." de
Pierre Notte, "Hymne à Tintin" de Pascal Mary, "Il était intimidé" de Vincent Telly, etc. Et, comme il se doit, ils sont accompagnés
sur scène au piano par le talentueux Patrick Laviosa, spécialiste du théâtre musical (notamment au côté de Roger Louret ou au
sein du groupe vocal Cinq de Cœur) et, à l'accordéon, par Sébastien Mesnil, dit le "Zèbre", compagnon de route depuis plusieurs
années des spectacles de Denis D'Arcangelo.
Fidèle à la structure d'un show de music-hall, l'ensemble est ponctué de fantaisies burlesques, souvent délirantes, parfois plus
ou moins maîtrisées, faites avec rien ou pas grand chose (fidèle en cela aux petits budgets attribués à l'époque à ce type de
numéros) mais toujours d'un comique irrésistible comme le mémorable numéro de ventriloquie réversible, l'improbable
tentative de sculpture de ballons, la joyeuse et décalée imitation de Pierre et Marie Curie découvrant le radium ou l'audacieux
numéro de funambule de Brutus, le poux pubien !
Ce superbe répertoire, admirablement chorégraphié par Caroline Roelands, et entrecoupé des intermezzos précédemment
cités, prend aussi toute sa dimension grâce à l'intelligente et précise mise en scène d'Agnès Boury. La chorégraphie et la mise en
espace donne une réelle cohésion à l'ensemble, dont l'ingénieuse sobriété rend invisible aux yeux des spectateurs la grande
rigueur professionnel du spectacle (obligatoirement structuré au millimètre quand il s'agit de cabaret ou de music-hall).
En complément de l'évident aspect hilarant et jouissif de la création de Jean-Luc Revol et Denis D'Arcangelo, se dessine une
attitude plus politique, plus "engagée", visant, sans contraintes, à proposer un regard différent sur l'homosexualité, sur la notion
de "virilité", sur l’hétéro-normativité et sur tous les clichés d'une manière générale existants sur le sujet. Et la période choisie
reflète celle où Suzy Solidor devenait un symbole de la garçonne des "Années folles", contribuant à populariser auprès du grand
public le milieu homosexuel parisien en célébrant notamment dans ses chansons les amours lesbiennes.
Alors quoi de plus heureux que de lier aujourd'hui le plaisir immense d'assister à un vrai spectacle de Music-Hall et d'aborder de
manière sous-jacente une réflexion qui bouleverse à tort - car quoi de plus "naturel" que de donner les mêmes droits à tous notre société sur le mariage gay et la PMA. "Les 2 G" est de ce point de vue une vraie réussite que l'on doit à deux artistes qui,
s'ils ont déjà démontré leurs talents depuis de nombreuses années, prouvent ici que le Music-Hall était un art de la diversité, de
la différence et de la tolérance, et qu'ils en sont les parfaits représentants.
* Nos deux artistes ont, entre autres, travaillé dans "La Nuit d'Elliot Fall" et "Le Cabaret des hommes perdus" (Molière 2007),
Jean-Luc Revol à la mise en scène et Denis D'Arcangelo comédien chanteur dans des rôles inoubliables.
Gil Chauveau