Adeptes d`un sport extrême, ils ont sauté du haut de la tour Incity

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Adeptes d`un sport extrême, ils ont sauté du haut de la tour Incity
LYON
Rédaction : 4 rue Montrochet, 69002 Lyon ­ 04 78 14 76 00 ­ [email protected] ; Publicité : 04 72 22 24 37 ­ [email protected]
Adeptes d’un sport extrême,
ils ont sauté du haut de la tour Incity
Lyon 3e.
Selon nos
informations, plusieurs
« base jumpers » se sont
élancés clandestinement de
l’édifice dès le 25 octobre.
D
ans la pénombre, on dis­
tingue un parachute
orange et bleu qui vient
se poser entre les arbres, au
bord du cours Lafayette : le
halo de deux lampadaires fait
luire la surface de sa voile
bombée, sur le point de se
recroqueviller.
Cette photo a été prise il y a
quelques semaines par une
retraitée du quar tier des
Halles (Lyon 3 e ). Samedi
25 octobre, vers 7 h 45, cette
lectrice du Progrès est attablée
à sa fenêtre pour prendre son
petit­déjeuner, quand elle
aperçoit un objet volant dans
le ciel, à une cent aine de
mètres de son immeuble. « Au
début », nous raconte­t­elle,
« j’ai cru que c’était une bâche
soulevée par le vent. Puis, j’ai
vu quelqu’un accroché des­
sous et j’ai hurlé. Je suis vite
allé chercher mon appareil
photo pour immortaliser la
scène, sinon, personne ne
m’aurait crue. Et pof ! Il y a eu
un deuxième parachute, puis
un troisième ! C’était des
« pros » car une fois au sol, ils
ont très vite replié leur maté­
riel dans des sacs à dos et sont
partis aussitôt à pied, en direc­
tion de la rue de Bonnel. » Ces
trois parachutistes anonymes
sont des adeptes d’un sport
extrême, le « base jump » (lire
l’interview ci­dessous). Ils se
sont élancés clandestinement
du sommet de la tour Incity, à
200 mètres de haut. Après
quelques secondes à se régaler
d’une chute libre au­dessus du
temple de la gastronomie
lyonnaise, ils ont ouvert leurs
vo i l e s p o u r s e p o s e r à u n
endroit très précis, sur une
dalle couverte d’asphalte rose,
à l’angle du cours Lafayette et
de la r ue Duguesclin. Des
pointures, forcément.
Montés par la grue
« Ils ont fait ça tôt le matin non
seulement parce que les condi­
tions aérologiques sont opti­
males, mais aussi pour ne pas
être repérés et ne pas « brûler
le spot », c’est­à­dire, pour
pouvoir recommencer », nous
précise un très bon connais­
seur du milieu. « En aucun
cas », ajoute­t­il, « il ne s’agit
pour de tels base jumpers,
hyper préparés, de se faire
mousser. Les types sont dis­
crets, se contentent souvent de
En vignette : l’un des parachutes du 25 octobre. Les base jumpers ont
atterri sur l’esplanade rose (en bas à droite). Photos DR et Philippe Juste
n
petits boulots et vivent à fond
leur passion, mais sans se dire
qu’ils sont là pour battre des
records. Et s’ils s’enregistrent
avec une caméra type Go Pro,
c’est d’abord pour revisualiser
Roch Malnuit en « wingsuit »,
une discipline dérivée du base
jump. Photo DR
n
69X
nant la pratique du base jump.
Dans les faits, les propriétaires sont
plus ou moins conciliants. Certains
portent plainte pour violation de
propriété privée, avec des amendes à la clé. En cas d’interpellations
sur-le-champ, le matériel – qui
vaut autour de 3 000 euros – est
parfois saisi et détruit par la police.
En montagne, le survol d’une
réserve naturelle peut valoir de
lourdes amendes (1 500 euros au
minimum – n.d.l.r.)
> Les base jumpers
sont-ils des casse-cou ?
Non ! Un casse-cou n’a pas une
espérance de vie très longue en
base jump. Tout est réfléchi. Les
personnes étudient notamment la
météo. En milieu urbain, les sauts
se font à l’aube, quand il n’y a pas
de vent. C’est un sport extrême qui
demande de l’expérience et une
certaine maturité. La moyenne
d’âge tourne autour de 30/40 ans.
Il n’y a pas d’école de formation. On
apprend sur le tas, auprès de
« mentors ». D’abord, on saute
d’un avion en chute libre. Après
100 à 150 sauts minimum, on peut
espérer sauter d’un pont, puis
d’une falaise.
> Le temps de réaction est très
court pour ouvrir son parachute !
Oui. Le minimum pour ouvrir sa
voile, c’est de sauter à 60 mètres
de haut. Si la tour lyonnaise en
question fait 200 mètres, ils ont dû
chuter environ 3 secondes avant
d’ouvrir leur parachute, à une
cinquantaine de mètres du sol.
> Le saut en milieu urbain
est-il fréquent ?
C’est une pratique très marginale :
à peine 10 % des quelque
200 base jumpers membres des
deux associations françaises, font
du base jump en ville. Les autres
préfèrent la montagne. C’est mon
cas. Je suis installé à Chamonix.
> Où avez-vous attrapé le virus ?
Dans ma famille. Mon père, Jacques Malnuit, Lyonnais comme
moi, et parachutiste, a été l’un des
pionniers de l’introduction de
matériel américain de base jump
en France dans les années 1990.
> Quel plaisir y trouvez-vous ?
L’adrénaline apporte un bien-être.
C’est une drogue mais nous ne
sommes pas des drogués ! (rires)
On se prouve à soi-même que l’on
Nicolas Ballet
Le « b.a.­ba » du base jump
« Nous sommes tout, sauf des casse­cou ! »
Roch Malnuit, base jumper lyonnais installé à Chamonix. Responsable d’une association animant un
site web spécialisé.
> Étiez-vous au courant de ces
sauts du haut de la tour Incity ?
Honnêtement, non !
> Vous en dites quoi ?
Le fait est là… D’un côté, ce type de
saut est interdit car il a eu lieu
depuis une propriété privée. De
l’autre, il ne fait courir de risques
qu’à la personne qui le pratique : ce
n’est pas comme rouler à fond sur
l’autoroute. Chacun se fera son
opinion ! En France, il existe pour
l’instant un flou juridique concer-
entre eux le déroulement des
opérations et améliorer leur
technique lors de prochaines
sorties. » À ce jour, aucune
vidéo des sauts de la tour
Incity ne semble avoir été mise
en ligne sur Internet. « Cela
prouve bien que les gars n’ont
pas fait ça pour épater la gale­
rie, et c’est l’esprit de notre dis­
cipline », se réjouit un adepte.
Sans doute, ces sportifs ont­ils
voulu éviter aussi de laisser
trop de traces derrière eux…
L’accès au site, privé, est bien
sûr interdit. Une équipe a
remis le couver t samedi
8 novembre. Les individus ont
rejoint le sommet d’Incity par
les escaliers de la grue, en
l’absence probable de person­
nel sur le chantier. Des vigiles
se trouvaient­ils dans les para­
ges ? On l’ignore. Selon nos
informations, plusieurs autres
sauts ont eu lieu en sus des
dates mentionnées. Des poli­
ciers se sont déplacés au
moins une fois. La société GFC
construction, coordonnatrice
des travaux, ne fait aucun
commentaire. Même silence
du côté de la Caisse d’Epargne
Rhône­Alpes, propriétaire de
la tour Incity, qui refuse de
dire si elle a porté plainte
contre X. n
n
Roch Malnuit.
Photo Steven Wassenaar
est capable de faire quelque chose
de dangereux de manière réfléchie,
en atteignant un niveau exceptionnel. Il y aussi le plaisir d’être dans la
nature, en plein air, et de partager
cette activité en groupe.
> Vous est-il arrivé de vous faire
peur ?
Oui. Une fois. Ma voile s’est ouverte avec un demi-tour et je me suis
retrouvé face à la falaise. J’ai eu
deux doigts tordus : rien de grave.
Il y a parfois des accidents mortels
(29 dénombrés en France depuis
1998 – n.d.l.r.). Dans 98 % des cas,
ils sont causés par des erreurs
humaines.
Recueilli par Nicolas Ballet
www.base-jump.com (le site de
l’association française de base
jump de Roch Malnuit)
D’où vient ce sport ?
Le B.A.S.E. jump est un sport
extrême apparu dans la seconde
moitié du XXe siècle, entre les
fjords de Norvège et les EtatsUnis. Il consiste à sauter en
parachute monovoile (après un
temps de chute libre) depuis un
point fixe : B.A.S.E est l’acronyme
de Buildings, Antennas, Spans et
Earth (immeubles, antennes,
« ponts », « falaises »).
Sa pratique est-elle légale ?
« Il n’existe pas de réglementation spécifique (au base jump) »,
nous confirme la direction de la
sécurité et de la protection civile
à la préfecture du Rhône. Certains sites sont interdits d’accès
(propriétés privées, monuments
publics, réserves naturelles) et
des sanctions sont alors possibles (amendes). Basée à Chamonix, l’association de paralpinisme,
affiliée à la Fédération française
des clubs alpins, fournit des
informations pointues sur la
pratique de ce sport (www.paralpinisme.fr)
VENDREDI 12 DÉCEMBRE 2014 - LE PROGRES
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