7 DÉTERMINATION DE LA COURBE DE FUSION DU PLOMB

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MATIÈRE CONDENSÉE
DÉTERMINATION DE LA COURBE DE FUSION DU PLOMB SOUS PRESSION :
NOUVELLES MESURES EN CELLULES À ENCLUMES DE DIAMANT,
ET FIN D’UNE CONTROVERSE
A. DEWAELE, P. LOUBEYRE
CEA - DAM - Île-de-France
La courbe de fusion est la ligne de transition T(P) entre le solide et le liquide
dans le plan température (T) / pression (P). C’est une donnée essentielle pour décrire
les lois de comportement d’un matériau. C’est en particulier une ligne de rupture
dans sa réponse mécanique. Les méthodes de mesure ou de calcul de la fusion sous pression
sont encore très discutées dans la littérature. Les points de fusion mesurés sous compression
statique sont parfois très en dessous de ceux mesurés en compression dynamique. Une telle
controverse existait sur le plomb. Nous avons revisité la courbe de fusion du plomb en compression
statique. Nous avons chauffé un échantillon de plomb, comprimé dans une cellule à enclumes de diamant,
à l’aide d’un laser infrarouge. Nous avons suivi les modifications structurales de cet échantillon par
une nouvelle technique de diffraction X ayant une résolution temporelle adaptée – de l’ordre de la seconde –
au synchrotron ESRF. Des améliorations de la métrologie pression-température ont également permis
de réduire les barres d’erreur. Ces nouvelles mesures donnent des points de fusion plus élevés sous pression
que les déterminations statiques de la littérature. Le désaccord entre les mesures statiques et dynamiques
semble ainsi se résoudre dans les barres d’erreur. De récents calculs sont aussi en bon accord avec
nos mesures. Cette nouvelle approche semble donc prometteuse pour déterminer d’autres courbes
de fusion très discutées dans la littérature, comme celle du fer ou celle du tantale.
Deux familles de techniques permettent d’étudier
les diagrammes de phases des éléments ou des matériaux
sous haute pression : les techniques de compression
statique d’une part, comme la cellule à enclumes de
diamant, et les techniques de compression dynamique
d’autre part, comme les ondes de choc. Si la compression
par onde de choc permet d’atteindre les pressions les plus
élevées (de l’ordre du terapascal ≈ 10 millions de bars),
les conditions qu’elle génère restent confinées le long
de la courbe d’Hugoniot, et les hautes pressions sont associées à de hautes températures. Un seul point
de fusion, lieu du croisement de la courbe de fusion
et de la courbe d’Hugoniot, est donc mesurable lors
d’un choc simple. La cellule à enclumes de diamant,
couplée à un chauffage par laser infrarouge, permet
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d’atteindre des pressions d’un ordre de grandeur inférieur
(≈ 2 millions de bars), mais en faisant varier la température
entre 300 K et 6 000 K.
Des désaccords statique-dynamique
sur la courbe de fusion des éléments
La cellule à enclumes de diamants chauffée par laser
semble donc le meilleur moyen pour déterminer
l’ensemble du diagramme de phase des matériaux
sous haute pression et haute température, et, plus
particulièrement, pour déterminer la courbe de fusion
sur un grand domaine de pression. Cependant,
la difficulté de réaliser des mesures in situ fiables
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SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES DE LA DIRECTION DES APPLICATIONS MILITAIRES
a longtemps limité son utilisation. Par exemple,
en utilisant cette technique, la fusion est traditionnellement caractérisée par des changements de propriétés
optiques de la surface de l’échantillon chauffé.
L’utilisation de ce diagnostic a donné, sur de nombreux
systèmes, une température de fusion en statique
plus basse que la température de fusion en dynamique
à une même pression. La figure 1 montre le désaccord
qui existait, dans le cas du plomb, avant nos mesures.
Ce type de désaccord est encore plus marqué pour
plusieurs éléments : fer, tantale, molybdène, plomb,
xénon, etc. La dynamique des mécanismes de fusion
a été invoquée pour expliquer cette différence quasisystématique sur de nombreux systèmes. La fusion en
statique correspondrait à la fusion thermodynamique,
alors que la limite de stabilité du solide correspondrait
à la fusion en dynamique. Mais les calculs les plus récents
qui correspondent à une fusion thermodynamique
sont généralement en meilleur accord avec les expériences
en dynamique.
Un nouveau diagnostic de la fusion
pour les compressions statiques
Afin d’essayer d’éliminer les travers possibles d’une
détermination en laboratoire de la fusion, par l’observation
de changements de surface, nous avons utilisé une
nouvelle approche utilisant le rayonnement synchrotron
2007
[1], [2]. Le plomb a été choisi comme système test.
Son point de fusion à pression ambiante est l’un des plus
bas : 325 degrés C. Mais cette température de fusion
augmente rapidement avec la pression. Des mesures
avec un chauffage résistif ont déterminé précisément
cette évolution sous pression jusqu’aux environs de
5 GPa. Nous avons couplé la technique de la cellule
à enclumes de diamant chauffée par laser, avec un diagnostic du changement structurel de l’échantillon par diffraction de rayons X, pour atteindre un plus large domaine de pression et de température. Le flux élevé de photons disponibles sur une ligne dédiée à la haute pression
(ID27) de l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF),
à Grenoble, permet une caractérisation in situ précise
de l’échantillon en seulement 1 seconde. Nous avons
mesuré la courbe de fusion du plomb jusqu’à 80 GPa
et 3 700 K, en nous basant sur un critère objectif :
l’observation du signal de diffusion des rayons X
par le plomb liquide, aisément différenciable du signal
de diffraction par le solide.
Sur la figure 2, nous voyons que les pics de diffraction de
la phase solide sont remplacés par des anneaux de diffusion, signature du facteur de structure du liquide. Nous
avons constaté que ce signal caractérisant le liquide ne
s’observait parfois que durant quelques secondes, à cause
de l’instabilité de l’échantillon chauffé par laser. Ceci
explique pourquoi ce diagnostic de fusion par diffraction
de rayons X a été si difficile à mettre en place : en géné-
Température (K)
Pb liquide
4000
Fusion
par choc
Fusion en CED
2000
Courbe
d’Hugoniot
0
50
Pb solide
100
150
Pression (GPa)
Figure 1
Diagramme de phase du plomb disponible dans la littérature. La
courbe de fusion mesurée en cellule à enclumes de diamant (CED),
en détectant la fusion optiquement, est en rouge. Les points de
fusion par choc sont en bleu.
Figure 2
Spectres de diffraction de rayons X enregistrés au cours du chauffage
progressif d’un échantillon de plomb à la pression de 65 GPa.
Le plomb, initialement dans sous la forme hexagonale compacte
(hc), se transforme d’abord pour prendre une structure cristalline
cubique centrée (cc), puis fond (signal diffus “liq”). Le liquide est en
équilibre avec le solide (cc) à une température d’environ 3 300 K.
Le signal de diffraction du milieu transmetteur de pression (du NaCl
qui reste solide tout au long du chauffage) est facilement distinguable
de celui du plomb.
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ral, l’enregistrement d’un spectre de diffraction de rayons
X nécessite au moins 30 s. La température a été mesurée
par pyrométrie, en sélectionnant le petit domaine au
centre du spot de chauffage (30 µm de diamètre) qui est
analysé par le faisceau de diffraction X (4 µm de diamètre).
Les incertitudes de la mesure de température de corps
noir, dues au gradient de température dans l’échantillon
ou à la dépendance en longueur d’onde de la réflectivité,
sont estimées par une analyse du spectre d’émission
de l’échantillon [3]. Enfin, la pression sous chauffage est
estimée à l’aide de la mesure par diffraction X du volume
du milieu transmetteur de pression, ici NaCl, en contact
avec le plomb. Cette technique a permis de réduire très
significativement les barres d’erreur sur les mesures P-T.
Le plomb :
un diagramme de phase plus précis
Sur la figure 3, il est clair que la courbe de fusion du
plomb, obtenue par cette méthode, se situe au-dessus de
la courbe de fusion mesurée précédemment, en se basant
sur les changements des propriétés optiques de la surface de l’échantillon chauffé. Elle est maintenant en accord
correct avec les points de fusion obtenus par compression
dynamique [4]. Elle est également en très bon accord
avec la courbe de fusion prédite, très récemment, par
dynamique moléculaire ab initio. Mais l’étude structurale
à haute température apporte plus. Nous avons déterminé
les domaines de stabilité de deux différentes phases
Température (K)
4000
CED,
cette étude
Liquide
Fusion
par choc
3000
CED,
étude précédente
cc
2000
hc
1000
cfc
0
50
100
Pression (GPa)
Figure 3
Diagramme de phase du plomb obtenu lors de notre étude.
Les différentes phases cristallines observées sont cubique
à faces centrées (cfc), hexagonale compacte (hc),
et cubique centrée (cc).
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solides du plomb : une phase de structure cristalline
“hexagonale compacte”, et une phase “cubique centrée”. Le changement de structure solide n’a, dans le cas
du plomb, aucune conséquence sur la courbe de fusion.
Rapide et précise, la technique utilisée ici ouvre une nouvelle voie pour l’étude des diagrammes de phase des
matériaux sous haute pression et haute température.
Références
[1] A. DEWAELE, M. MEZOUAR, N. GUIGNOT,
P. LOUBEYRE, “Melting of lead under high pressure
studied using second-scale time-resolved x-ray
diffraction”, Phys. Rev. B, 73, p. 144106-1, -5 (2007).
[2] A. DEWAELE, M. MEZOUAR, N. GUIGNOT,
P. LOUBEYRE, ESRF Highlights 2007, p. 30-31 (2008).
[3] L. R. BENEDETTI, P. LOUBEYRE, “Temperature
gradients, wavelength-dependent emissivity, and accuracy
of high and very high temperature measured in the laserheated diamond cell”, High Pressure Research, 24,
p. 423-445 (2004).
[4] D. PARTOUCHE-SEBBAN et Al., “Measurement
of the shock-heated melt curve of lead using pyrometry
and reflectometry”, J. Appl. Phys., 97, p. 043521-1, -11
(2005).

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