7 DÉTERMINATION DE LA COURBE DE FUSION DU PLOMB
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7 DÉTERMINATION DE LA COURBE DE FUSION DU PLOMB
avancées 7 28/07/08 10:37 Page 23 MATIÈRE CONDENSÉE DÉTERMINATION DE LA COURBE DE FUSION DU PLOMB SOUS PRESSION : NOUVELLES MESURES EN CELLULES À ENCLUMES DE DIAMANT, ET FIN D’UNE CONTROVERSE A. DEWAELE, P. LOUBEYRE CEA - DAM - Île-de-France La courbe de fusion est la ligne de transition T(P) entre le solide et le liquide dans le plan température (T) / pression (P). C’est une donnée essentielle pour décrire les lois de comportement d’un matériau. C’est en particulier une ligne de rupture dans sa réponse mécanique. Les méthodes de mesure ou de calcul de la fusion sous pression sont encore très discutées dans la littérature. Les points de fusion mesurés sous compression statique sont parfois très en dessous de ceux mesurés en compression dynamique. Une telle controverse existait sur le plomb. Nous avons revisité la courbe de fusion du plomb en compression statique. Nous avons chauffé un échantillon de plomb, comprimé dans une cellule à enclumes de diamant, à l’aide d’un laser infrarouge. Nous avons suivi les modifications structurales de cet échantillon par une nouvelle technique de diffraction X ayant une résolution temporelle adaptée – de l’ordre de la seconde – au synchrotron ESRF. Des améliorations de la métrologie pression-température ont également permis de réduire les barres d’erreur. Ces nouvelles mesures donnent des points de fusion plus élevés sous pression que les déterminations statiques de la littérature. Le désaccord entre les mesures statiques et dynamiques semble ainsi se résoudre dans les barres d’erreur. De récents calculs sont aussi en bon accord avec nos mesures. Cette nouvelle approche semble donc prometteuse pour déterminer d’autres courbes de fusion très discutées dans la littérature, comme celle du fer ou celle du tantale. Deux familles de techniques permettent d’étudier les diagrammes de phases des éléments ou des matériaux sous haute pression : les techniques de compression statique d’une part, comme la cellule à enclumes de diamant, et les techniques de compression dynamique d’autre part, comme les ondes de choc. Si la compression par onde de choc permet d’atteindre les pressions les plus élevées (de l’ordre du terapascal ≈ 10 millions de bars), les conditions qu’elle génère restent confinées le long de la courbe d’Hugoniot, et les hautes pressions sont associées à de hautes températures. Un seul point de fusion, lieu du croisement de la courbe de fusion et de la courbe d’Hugoniot, est donc mesurable lors d’un choc simple. La cellule à enclumes de diamant, couplée à un chauffage par laser infrarouge, permet 20 d’atteindre des pressions d’un ordre de grandeur inférieur (≈ 2 millions de bars), mais en faisant varier la température entre 300 K et 6 000 K. Des désaccords statique-dynamique sur la courbe de fusion des éléments La cellule à enclumes de diamants chauffée par laser semble donc le meilleur moyen pour déterminer l’ensemble du diagramme de phase des matériaux sous haute pression et haute température, et, plus particulièrement, pour déterminer la courbe de fusion sur un grand domaine de pression. Cependant, la difficulté de réaliser des mesures in situ fiables avancées 28/07/08 10:37 chocs avancées Page 24 SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES DE LA DIRECTION DES APPLICATIONS MILITAIRES a longtemps limité son utilisation. Par exemple, en utilisant cette technique, la fusion est traditionnellement caractérisée par des changements de propriétés optiques de la surface de l’échantillon chauffé. L’utilisation de ce diagnostic a donné, sur de nombreux systèmes, une température de fusion en statique plus basse que la température de fusion en dynamique à une même pression. La figure 1 montre le désaccord qui existait, dans le cas du plomb, avant nos mesures. Ce type de désaccord est encore plus marqué pour plusieurs éléments : fer, tantale, molybdène, plomb, xénon, etc. La dynamique des mécanismes de fusion a été invoquée pour expliquer cette différence quasisystématique sur de nombreux systèmes. La fusion en statique correspondrait à la fusion thermodynamique, alors que la limite de stabilité du solide correspondrait à la fusion en dynamique. Mais les calculs les plus récents qui correspondent à une fusion thermodynamique sont généralement en meilleur accord avec les expériences en dynamique. Un nouveau diagnostic de la fusion pour les compressions statiques Afin d’essayer d’éliminer les travers possibles d’une détermination en laboratoire de la fusion, par l’observation de changements de surface, nous avons utilisé une nouvelle approche utilisant le rayonnement synchrotron 2007 [1], [2]. Le plomb a été choisi comme système test. Son point de fusion à pression ambiante est l’un des plus bas : 325 degrés C. Mais cette température de fusion augmente rapidement avec la pression. Des mesures avec un chauffage résistif ont déterminé précisément cette évolution sous pression jusqu’aux environs de 5 GPa. Nous avons couplé la technique de la cellule à enclumes de diamant chauffée par laser, avec un diagnostic du changement structurel de l’échantillon par diffraction de rayons X, pour atteindre un plus large domaine de pression et de température. Le flux élevé de photons disponibles sur une ligne dédiée à la haute pression (ID27) de l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF), à Grenoble, permet une caractérisation in situ précise de l’échantillon en seulement 1 seconde. Nous avons mesuré la courbe de fusion du plomb jusqu’à 80 GPa et 3 700 K, en nous basant sur un critère objectif : l’observation du signal de diffusion des rayons X par le plomb liquide, aisément différenciable du signal de diffraction par le solide. Sur la figure 2, nous voyons que les pics de diffraction de la phase solide sont remplacés par des anneaux de diffusion, signature du facteur de structure du liquide. Nous avons constaté que ce signal caractérisant le liquide ne s’observait parfois que durant quelques secondes, à cause de l’instabilité de l’échantillon chauffé par laser. Ceci explique pourquoi ce diagnostic de fusion par diffraction de rayons X a été si difficile à mettre en place : en géné- Température (K) Pb liquide 4000 Fusion par choc Fusion en CED 2000 Courbe d’Hugoniot 0 50 Pb solide 100 150 Pression (GPa) Figure 1 Diagramme de phase du plomb disponible dans la littérature. La courbe de fusion mesurée en cellule à enclumes de diamant (CED), en détectant la fusion optiquement, est en rouge. Les points de fusion par choc sont en bleu. Figure 2 Spectres de diffraction de rayons X enregistrés au cours du chauffage progressif d’un échantillon de plomb à la pression de 65 GPa. Le plomb, initialement dans sous la forme hexagonale compacte (hc), se transforme d’abord pour prendre une structure cristalline cubique centrée (cc), puis fond (signal diffus “liq”). Le liquide est en équilibre avec le solide (cc) à une température d’environ 3 300 K. Le signal de diffraction du milieu transmetteur de pression (du NaCl qui reste solide tout au long du chauffage) est facilement distinguable de celui du plomb. 21 avancées 28/07/08 10:37 Page 25 MATIÈRE CONDENSÉE ral, l’enregistrement d’un spectre de diffraction de rayons X nécessite au moins 30 s. La température a été mesurée par pyrométrie, en sélectionnant le petit domaine au centre du spot de chauffage (30 µm de diamètre) qui est analysé par le faisceau de diffraction X (4 µm de diamètre). Les incertitudes de la mesure de température de corps noir, dues au gradient de température dans l’échantillon ou à la dépendance en longueur d’onde de la réflectivité, sont estimées par une analyse du spectre d’émission de l’échantillon [3]. Enfin, la pression sous chauffage est estimée à l’aide de la mesure par diffraction X du volume du milieu transmetteur de pression, ici NaCl, en contact avec le plomb. Cette technique a permis de réduire très significativement les barres d’erreur sur les mesures P-T. Le plomb : un diagramme de phase plus précis Sur la figure 3, il est clair que la courbe de fusion du plomb, obtenue par cette méthode, se situe au-dessus de la courbe de fusion mesurée précédemment, en se basant sur les changements des propriétés optiques de la surface de l’échantillon chauffé. Elle est maintenant en accord correct avec les points de fusion obtenus par compression dynamique [4]. Elle est également en très bon accord avec la courbe de fusion prédite, très récemment, par dynamique moléculaire ab initio. Mais l’étude structurale à haute température apporte plus. Nous avons déterminé les domaines de stabilité de deux différentes phases Température (K) 4000 CED, cette étude Liquide Fusion par choc 3000 CED, étude précédente cc 2000 hc 1000 cfc 0 50 100 Pression (GPa) Figure 3 Diagramme de phase du plomb obtenu lors de notre étude. Les différentes phases cristallines observées sont cubique à faces centrées (cfc), hexagonale compacte (hc), et cubique centrée (cc). 22 solides du plomb : une phase de structure cristalline “hexagonale compacte”, et une phase “cubique centrée”. Le changement de structure solide n’a, dans le cas du plomb, aucune conséquence sur la courbe de fusion. Rapide et précise, la technique utilisée ici ouvre une nouvelle voie pour l’étude des diagrammes de phase des matériaux sous haute pression et haute température. Références [1] A. DEWAELE, M. MEZOUAR, N. GUIGNOT, P. LOUBEYRE, “Melting of lead under high pressure studied using second-scale time-resolved x-ray diffraction”, Phys. Rev. B, 73, p. 144106-1, -5 (2007). [2] A. DEWAELE, M. MEZOUAR, N. GUIGNOT, P. LOUBEYRE, ESRF Highlights 2007, p. 30-31 (2008). [3] L. R. BENEDETTI, P. LOUBEYRE, “Temperature gradients, wavelength-dependent emissivity, and accuracy of high and very high temperature measured in the laserheated diamond cell”, High Pressure Research, 24, p. 423-445 (2004). [4] D. PARTOUCHE-SEBBAN et Al., “Measurement of the shock-heated melt curve of lead using pyrometry and reflectometry”, J. Appl. Phys., 97, p. 043521-1, -11 (2005).