La réforme du droit du travail espagnol

Transcription

La réforme du droit du travail espagnol
Revues
Lexbase Hebdo édition sociale n˚487 du 31 mai 2012
[Droit social européen] Textes
La réforme du droit du travail espagnol
N° Lexbase: N2141BTH
par Valérie Duez-Ruff, avocat aux barreaux de Paris et Madrid, Cabinet DR Avocats
La crise économique de la zone euro est dans tous les esprits depuis plusieurs mois. Particulièrement
impactés par la récession économique, les pays du Sud ont dû se résoudre à mettre en place des mesures
de restriction drastiques. L'Espagne, dont le taux de chômage atteint un record historique, a entrepris une
réforme de sa législation sociale afin de fluidifier le marché du travail. En effet, fin avril 2012, le taux de
chômage de l'Espagne était de 24,4 %, soit 5 639 500 chômeurs avec 365 900 nouveaux inscrits sur le seul
premier trimestre. Plus inquiétant, plus d'un jeune sur deux se trouve au chômage (52,01 %) et 1 728 400
foyers possèdent tous ses membres au chômage. Pour tenter de remédier à ce taux de chômage dont
l'augmentation constante ne semble pas en voie de s'améliorer, le candidat aux élections gouvernementales
sous l'étiquette droite du Partido Popular, Mariano Rajoy, avait promis dans son programme électoral un
"emploi sûr et flexible pour tous" par des mesures permettant de doter "le cadre social espagnol de nouvelles
règles et institutions modernes".
Elu depuis Chef du Gouvernement, il a fait voter par le Conseil des ministres du 10 février 2012 le "décretLoi n˚ 3/2012, de mesures urgentes pour la réforme du marché du travail" afin de "faciliter l'embauche, avec une
attention spéciale aux jeunes et aux chômeurs de longue durée, renforcer les contrats à durée indéterminée face
aux contrats temporaires et que le licenciement soit le dernier recours des entreprises en crise", en vue d'"en finir
avec la rigidité du marché du travail et asseoir les bases pour créer un emploi stable".
Ce décret, entré en vigueur immédiatement, prévoit un ensemble de mesures regroupées en quatre chapitres
et orientées, selon le texte, à :
"— promouvoir l'employabilité des travailleurs, réformant les aspects relatifs à l'intermédiation du travail et à la
formation professionnelle (chapitre I),
— promouvoir l'embauche à durée indéterminée et autres formes de travail, en mettant particulièrement l'accent
sur la promotion de l'embauche pour les PME et les jeunes (chapitre II),
p. 1
Lexbook - Revues
— motiver, stimuler la flexibilité interne dans l'entreprise comme moyen alternatif à la destruction de l'emploi
(chapitre III) et, enfin,
— favoriser l'efficacité du marché du travail comme élément lié à la réduction de la dualité du travail, avec des
mesures qui affectent principalement à l'extinction des contrats de travail (chapitre IV)".
Le texte législatif étant particulièrement long et détaillé, seules les mesures phares seront exposées.
I — Embauches
Il n'est plus possible d'enchaîner les contrats temporaires sur une durée égale ou supérieure à 24 mois.
Le Gouvernement souhaite le développement des contrats à temps partiel pour permettre aux salariés de mieux
concilier leur activité professionnelle avec leur vie familiale ou des études.
II — Aides à l'embauche pour les PME
Les PME justifiant de moins de cinquante salariés pourront bénéficier d'un nouveau type de contrat à durée indéterminée qui prévoit une période d'essai d'un an.
Elles pourront également bénéficier d'aides si elles embauchent des jeunes ou des chômeurs de longue durée.
Ainsi, les entreprises embauchant à durée indéterminée des jeunes âgés de 16 à 30 ans auront droit à une déduction
fiscale de 3 000 euros et une déduction fiscale de 50 % des cotisations chômage pendant un an avec la possibilité
pour le salarié de percevoir 25 % des cotisations en plus de son salaire.
L'aide se porte également sur les cotisations à la Sécurité sociale avec des réductions de près de 3 600 euros pour
l'embauche de jeunes et de près de 4 500 euros pour les chômeurs de longue durée et âgés de plus de 45 ans.
III — Conditions de travail
– Télétravail
Le télétravail fait son entrée dans la législation espagnole.
– Modification des conditions contractuelles
Grâce à la réforme, les entreprises pourront réduire le salaire de leurs travailleurs pour motif de compétitivité,
sans avoir besoin de recourir à leur accord, si elles démontrent qu'il existe des "motifs économiques, techniques,
organisationnels ou de production justifiés". Outre le salaire, l'employeur pourra également modifier la journée de
travail, l'horaire, la répartition des horaires, le système de travail ou même les fonctions du travailleur.
La loi fixe tout de même des droits pour le salarié : celui d'être informé au moins quinze jours avant les changements
et la possibilité de les refuser. Dans ce denier cas, il sera licencié et il percevra une indemnité de vingt jours par
année travaillée, plafonnée à neuf mois d'indemnité.
– Mobilité interne
Le texte législatif assouplit le régime de la classification en abandonnant celui des catégories professionnelles pour
adopter un système de groupes professionnels plus général.
Il espère ainsi permettre une meilleure mobilité des salariés vers d'autres fonctions, et développer chez eux de
nouvelles compétences tout en s'adaptant davantage aux besoins de l'entreprise.
– Formation
Le Gouvernement crée un compte de formation pour chaque travailleur qui inclut le droit à vingt heures de formation
annuelles payées par l'entreprise.
Les salariés justifiant d'au moins un an d'ancienneté auront la possibilité de s'absenter pendant ces vingt heures
avec le maintien de leur salaire pour effectuer une formation correspondant à leur poste de travail.
Le Gouvernement étend le bénéfice du contrat de formation et d'apprentissage aux moins de 30 ans (contre moins
p. 2
Lexbook - Revues
de 25 jusqu'à présent) tant que le taux de chômage ne baisse pas sous la barre des 15 %.
La formation pourra être dispensée au sein même de l'entreprise, si les installations et le personnel remplissent les
critères, et le jeune pourra bénéficier de ce dispositif, même une fois la période de formation achevée, s'il entreprend
une nouvelle formation dans une activité différente.
IV — Rupture du contrat
– Elargissement des motifs de licenciement
Le licenciement objectif -qui permet aux entreprises de licencier pour des motifs économiques, organisationnels,
techniques ou de production— maintient la même indemnisation de vingt jours par année travaillée, avec un maximum de douze mois.
Cependant, la nouvelle loi atténue les causes économiques, permettant que la diminution persistante de revenus
pendant trois trimestres consécutifs soit suffisante pour motiver le licenciement.
Elle autorise également que les organismes et entités du secteur public invoquent des motifs, organisationnels,
techniques ou de production pour réorganiser le personnel afin de réduire les structures administratives qui ont
fortement crû pendant la phase précédente de croissance économique.
– Absentéisme
Grâce à la réforme, les entreprises pourront procéder au licenciement pour absences, mêmes justifiées, mais intermittentes, dès lors qu'elles atteignent 20 % des jours travaillés sur deux mois consécutifs, ou 25 % sur quatre mois
discontinus sur une période de douze mois, sans que soit pris en considération le taux d'absentéisme du reste du
personnel, comme cela était le cas jusqu'à présent.
En outre, un meilleur contrôle de l'évaluation de l'incapacité temporaire sera effectué à travers les mutuelles d'accidents du travail.
– Encadrement des ruptures de contractuels
Dans le secteur public, les contrats du personnel non fonctionnaire pourront être rompus.
– Des licenciements moins chers
La nouvelle loi prévoit qu'en cas de rupture d'un contrat à durée indéterminée déclarée comme étant dépourvue
de cause réelle et sérieuse, l'indemnisation à laquelle peut prétendre le salarié lésé est réduite de quarante-cinq à
trente-trois jours, avec un maximum de vingt-quatre mois, au lieu de quarante-deux préalablement.
V — Négociation collective
La réforme donne la priorité à l'accord d'entreprise plutôt qu'à la convention de secteur.
La réforme met fin à "l'ultra activité" indéfinie des conventions, c'est-à-dire à sa prorogation automatique quand elle
arrive à son terme et établit que les parties devront négocier une nouvelle convention dans un délai maximum de
deux ans, date à laquelle elle cessera d'être en vigueur.
VI — Fraude et économie souterraine
Pour lutter contre les fraudes, les chômeurs qui perçoivent des allocations devront réaliser des services d'intérêt général au bénéfice de la communauté à travers des conventions de collaboration avec les administrations
publiques.
Cette réforme a provoqué de nombreuses manifestations et réactions hostiles, particulièrement sur le sujet de la
réduction du coût du licenciement et l'assouplissement des motifs de rupture.
Il est toutefois prématuré, pour l'heure, de dresser les moindres conclusions sur l'opportunité et l'efficacité de ces
mesures.
Lexbook généré le 7 juin 2012.
Lexbook - Revues
p. 3