sémiotique de l`outrage
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sémiotique de l`outrage
A10 625 Fabrizio Impellizzeri SÉMIOTIQUE DE L’OUTRAGE INFRACTIONS POLITIQUES DU LANGAGE, SOCIOLECTES ET CINÉLANGUES CHEZ JEAN GENET ET PIER PAOLO PASOLINI Copyright © MMX ARACNE editrice S.r.l. www.aracneeditrice.it [email protected] via Raffaele Garofalo, 133/A–B 00173 Roma (06) 93781065 ISBN 978–88–548–3263–3 Tous droits réservés. Ière édition: mai 2010 À Elena et Salvo L’important c’est que le mot soit dans sa bouche : interdites, lointaines, fluentes, les choses sont les apparences dont les mots sont la réalité [...]. Dans ce monde truqué, le langage est utilisé à rebours : destiné à unir il sépare, à révéler il cache, à accorder il désaccorde ; ensemble de signes qui doit se proposer à l’intelligence des personnes, de l’un des interlocuteurs il fait l’instrument inconscient de l’autre. Jean Paul Sartre, Saint Genet, comédien et martyr. […] grazie alla primitività di un linguaggio originario, contro le parole consumate dall’uso (abitudine e convenzione), è possibile ritrovare quel momento in cui ogni parola è poesia perché ogni parola lavora a rinnovare l’iniziale relazione tra essere, percepire ed esprimere. Francesco Ferri, Linguaggio, passione e ideologia. Pier Paolo Pasolini tra Gramsci, Gadda e Contini. Table des matières 13 Préface de Nadia Minerva 17 Introduction Quand deux écrivains « parlent la même langue » 25 Chapitre I Le voyage de Jean Genet dans l’Italie de Pier Paolo Pasolini 1.1. L’errance italienne, 26 – 1.2. Jean Genet et les « Ragazzi di vita », 33 43 Chapitre II La souveraineté politique du langage, l’« acte impur » 2.1. La subversion genétienne par le langage, 44 – 2.2. L’effraction politico-linguistique de Pasolini : l’acte impur, 53 71 Chapitre III Genet et Pasolini vers l’Eden du langage primitif 3.1. Du corps au langage du corps : le discours primitif, 75 – 3.2. La politique transgressive du langage à travers l’érotisme, 79 9 10 87 Table des matières Chapitre IV L’argot genétien ou le discours érotique 4.1. L’« érection » du langage, 88 – 4.2. Phonétique du désir, 93 105 Chapitre V Le dialecte pasolinien : une « macrolangue » socio-affective 5.1. Le frioulan : l’idylle naturaliste et maternelle de la langue, 110 – 5.2. L’essence charnelle et populaire du « romanesco », 119 129 Chapitre VI La « cinélangue » de Pasolini ou le langage de la réalité 6.1. L’image comme dépassement de la vérité du langage, 131 139 Chapitre VII Le cinéma comme métaphore linguistique de l’outrage 7.1. Le thème de la séquestration et la critique du discours dominant : érotisme, voyeurisme et violence, 141 155 Bibliographie 11 12 Préface Genet et Pasolini : deux idées de l’engagement, de l’écriture et de la langue en regard ; voilà le parcours auquel nous convie Fabrizio Impellizzeri. L’engagement travaille la langue de l’infraction, à la fois expression du « grand refus » et outil d’une réécriture du monde qui se veut totalisante et contestataire, déconstructive et déformante. Ce défi amène chez Genet et Pasolini à une langue / révélation, pour se connaître, pour dire l’indicible et affirmer la sacralité d’un « moi » intime constamment opposé au « vous » social et institutionnel. Chez Genet, c’est ce « vous » – dans lequel le Français personnifie la bienséance – qui est miné au profit d’un moi secret qui résiste aux attaques de la société bourgeoise (de la société capitaliste uniformisante pour Pasolini) dont les règles castrantes voudraient réduire au silence toute rébellion, refouler toute différence. Par une langue libérée et révélatrice d’une sincérité, les deux écrivains démasquent la langue fausse et inflexible du pouvoir. Leur langue se veut « vériste », déshabillée de tous les truquages, de tous les artifices, de tous les déguisements ; de fait, une langue qui donne la voix à leurs fantasmes. Pour Genet et Pasolini, la puissance de la langue réhabilite les exclus, et la valeur du nom qui glorifie les réalités triviales, gestes et individus abjects : une écriture / salut, résurrection pour les humbles de la terre. Chez Genet, la transgression veut aussi faire comprendre l’arbitraire du signe, notamment des noms, par une stratégie qu’on pourrait qualifier de « révolution cratyliste », un renversement où l’essence des choses ne réside13 14 Préface rait plus dans le nom en tant que reflet parfait de la chose, mais dans ses épithètes : révolution oximonorique par laquelle les contraires parviennent à s’allier. Genet avoue qu’il subvertit l’organisation syntaxique de la langue standard pour la plier à son sentir « pervers », à la puissance primitive et pure de sa naturalité. C’est le détournement du code linguistique et de la norme qui lui permet de déconstruire l’échafaudage de mensonges et de tabous qui emprisonne l’homme et étrangle son imaginaire. Sa quête de la vérité le pousse loin sur les sentiers des misères humaines. Choix courageux de Fabrizio Impellizzeri qui assume le défi genétien, l’anatomise, le dévoile par le biais d’une psychocritique des profondeurs, pour le recomposer enfin dans un macrodiscours sur l’être et le monde, dans un parcours de va et vient de l’existence à l’essence, comme le dirait Sartre. Genet s’insurge contre la bienséance de la langue qui « nomme » de manière péremptoire et sans appel devant le tribunal de l’éthique. Le nom genétien se soustrait à toute définition, la démarche définitoire étant ce qui fige, donc ce qui tue la liberté de transmutation des êtres et des choses. L’ordre vertical, rassurant du répertoire lexicographique est ainsi perturbé par un mouvement en spirale où les mots semblent se rebeller à tout ordre et à une logique linguistique cartésienne à laquelle Genet ne saurait souscrire. On est proche de ce qu’on appellera bien plus tard la linguistique fantastique qui n’est sujette à aucun ordre canonique mais qui fonctionne à l’intérieur d’un ordre qui n’est que le sien. Le parti pris est celui de la trahison du sens d’usage des mots pour en créer un tout à fait nouveau. Cette conception du mot refuse sa valeur dénotative et bafoue la fonction référentielle du langage et sa fonction communicative pour le réduire à un pur acte connotatif. La langue se refuse ainsi à tout acte communicatif pur et innocent pour devenir le creuset où se fondent valeurs niées et impératifs sociaux abhorrés avec de nouvelles vérités proclamées pour satisfaire un être qui se fait et se refait sans cesse. Les savoirs, les notions, les valeurs solides fixées à jamais sont ainsi bannis. Chez Genet le moi et la langue s’affirment contre. Chapitre I Le voyage de Jean Genet dans l’Italie de Pier Paolo Pasolini Pour Jean Genet, le voyage à travers l’Europe est, dans un premier temps, la conséquence directe d’une fuite des autorités françaises qui le poursuivent pour différents petits crimes comme le vol et la désertion. L’évasion de la France est dictée, en ce sens, par une exigence de liberté, par une envie de transgresser les lois… Partir est un acte d’outrage aux règles qu’on lui a toujours imposées. La recherche d’une identité perdue est sans doute la vraie raison de son errance sans aucune destination bien précise. Il vaguait, ici et là, dans un monde qui n’a presque pas de géographie territoriale mais plutôt une géographie humaine où règne l’abjection, un univers d’hommes seuls et abandonnés, comme il l’était lui-même. Sans famille et sans patrie, Genet fera du voyage le symbole même d’une quête identitaire où l’égarement dû à l’abandon familial se nouera au destin d’autres êtres humains sans terres, sans liens, sans espoirs. La rencontre avec le monde des abjects, avec les petits délinquants, avec les « ragazzi di vita », lui permettra de retrouver cet autre, son double, c'est-à-dire soi-même, sa propre condition, ses propres racines. Dans les deux cas, voyager est une condition essentielle à la vie, et aller à l’étranger ne voudra jamais dire échapper à son destin mais plutôt avoir la possibilité de le retrouver. 25 26 Chapitre I 1.1. L’errance italienne Le voyage de Jean Genet en Italie, doit être considéré comme une exploration de son monde intérieur, partagé entre le vagabondage de l’homme sans racines, la fuite d’un monde qui le nie depuis sa naissance et la recherche d’un amour impossible. Cette essence typique du voyage genétien est largement décrite dans son Journal du voleur qui reconstruit, entre passé et présent, les différentes étapes de ses déplacements et rencontres. Ces scènes sont toutes entrecoupées par des flash-back dictés par une mémoire qui est sans cesse partagée entre vérité et désir, entre réalité et fantasme d’une vie différente, réinventée, souhaitée. Felice Dessì, qui recensait les ouvrages pour la maison d’édition italienne des œuvres de Genet, Mondadori, trace en ces quelques lignes l’essence du voyage de Genet : Il « Diario del ladro » è un’opera autobiografica, dichiaratamente tale, in cui l’autore racconta senza trama, ma per sopravvenire di reminiscenza, in una nebulosa atmosfera surrealista, di sogno, la sua vita di vagabondo, mendicante, ladro, pederasta prostituto, attraverso vari paesi europei. / Notevolissima la descrizione ambientale della malavita spagnola dei mendicanti, degna delle più picaresche rievocazioni. Nel peregrinare di mendicante, nel furto e poi anche nella prostituzione, l’autore vede una sua santità ed elevazione, per annullamento, ed il crearsi di una nuova morale di cui è il, non convenzionale, predicatore. / Il libro estremamente scabroso per il materiale e l’ambiente, crudo di linguaggio e crudele, di una crudeltà da scheletro surrealista, fiorito di violette, è una notevole e meravigliosa descrizione della malavita oltrecché in Ispagna, in tutti i paesi d’Europa: Italia, Grecia, Jugoslavia, Polonia, Cecoslovacchia, Albania e soprattutto nella Francia, durante l’occupazione tedesca e la liberazione. / Nessun interesse hanno per l’autore i fatti o gli avvenimenti politici, che sono fuori del suo mondo, ma l’interferirsi di questi con il mondo della teppa dandogli particolari aspetti illumina il quadro di particolari bagliori, e ambienta, nel tempo e nella società, un’opera che per la sua stessa unicità apparirebbe fuori dal tempo.1 1 Archive de la Fondation Arnoldo et Alberto Mondadori, Milan, Archive historique Arnoldo Mondadori Éditeur, Segreteria editoriale estera, fascicule Jean Genet, Felice Dessì à Arnoldo Mondadori, Milan 1954, dactylographiée.