De Gaulle, Mitterand, Juppé et Chirac

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De Gaulle, Mitterand, Juppé et Chirac
De Gaulle, Mitterand, Juppé et Chirac
ont plaidé pour l’intégration de la Turquie
CLAIRE TRÉAN
IN LE MONDE, 07/10/2004
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A
près qu’Alain Juppé se fut prononcé
en avril, au nom de l’UMP, contre
une adhésion de la Turquie à l’Union
européenne, Jacques Chirac a annoncé, le
1er octobre, à Strasbourg, que les Français
seraient consultés par référendum, le moment
venu, sur une telle adhésion. Un amendement
constitutionnel doit être introduit pour obliger
à l’avenir à organiser une consultation pour
tout nouvel élargissement.
Assumant les réticences de son parti, M.
Juppé avait annoncé le revirement de l’UMP
au début de la campagne des élections
européennes de juin, indiquant avoir changé
d’avis lui-même quant à la vocation
européenne de la Turquie. Comme l’Union
chrétienne-démocrate allemande, la principale
formation de la majorité défend désormais
un « partenariat privilégié » avec la Turquie.
Le Président de la République reste
personnellement favorable à l’intégration de
ce pays et se dit convaincu qu’elle se fera.
Il l’a redit à Strasbourg. Mais l’idée de faire
inscrire dans la Constitution française le
principe de l’approbation par référendum des
futurs élargissements de l’Union n’en est
pas moins une reculade par rapport à la
position qui était jusque-là celle de M. Chirac.
Il répétait depuis plusieurs années que seuls
permettraient de statuer sur la candidature
turque les critères définis en 1993 par l’Union
pour tous les pays candidats et aucun autre
- ni géographique, ni historique, ni religieux.
Une évaluation technique en quelque sorte,
qui ne rouvrirait pas le débat de fond sur
l’appartenance de la Turquie à l’Europe,
lequel selon lui était clos.
Le Général De Gaulle est à l’origine de
la promesse faite par l’Europe à Ankara en
1963. L’accord d’association conclu alors
stipulait que l’objectif était l’adhésion ; c’est
cette promesse qui fait de la Turquie un
cas particulier parmi tous les voisins de
l’Union potentiellement désireux d’y entrer.
De longues vicissitudes ponctuées de coups
d’Etat épargnèrent ensuite pendant plusieurs
décennies à l’Europe d’avoir à se poser la
question turque. Une fois rétabli un régime
civil à Ankara, François Mitterrand avait
relancé les relations bilatérales et levé les
ambiguïtés : « la Turquie relève de l’espace
européen », « l’Europe ne saurait être limitée
par des conceptions géographiques ou par
des préjugés culturels », avait-il déclaré lors
d’une visite à Ankara en 1992.
Mais c’est Alain Juppé puis Jacques
Chirac qui, quelques années plus tard, ont
transformé cette philosophie en un axe
de l’action diplomatique de la France et
sont devenus les principaux avocats de la
cause turque en Europe. M. Juppé lorsqu’il
était ministre des affaires étrangères du
gouvernement Balladur, fut l’artisan du
traité d’union douanière signé début 1995
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entre l’Europe et la Turquie, qu’il imposa
contre la Grèce, contre une partie des
députés européens et des socialistes
français. La cause était difficile. La Turquie
n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui. Elle
mobilisait contre elle les militants des droits
de l’homme ; son nationalisme se heurtait
encore au nationalisme d’Athènes.
Mais M. Juppé croyait en la dynamique qui
pouvait naître en Turquie d’un rapprochement
avec l’Europe, il faisait valoir l’intérêt
stratégique majeur qu’il aurait pour la
communauté européenne.
En décembre 1997, au sommet de
Luxembourg, les Quinze de l’époque ouvrent
la porte aux pays de l’Est et opposent une
fin de non-recevoir à la candidature turque.
Jacques Chirac est ce jour-là parmi ceux qui,
contre tous les usages européens, regrettent
publiquement cette décision, à peine le
sommet achevé.
Deux ans plus tard, alors que la Turquie
frappe de nouveau à la porte, le président
charge le socialiste Pierre Moscovici, ministre
aux affaires européennes, d’aller expliquer à
Athènes la position qu’il s’apprête à défendre
au sommet d’Helsinki et qu’il va imposer.
Le 13 décembre 1999, le Conseil européen
reconnaît que «la Turquie est un Etat candidat
qui a vocation à rejoindre l’Union européenne
sur la base des mêmes critères que ceux
qui s’appliquent aux autres candidats». Tout
débat sur la légitimité de ce pays à vouloir
intégrer l’Union est ce jour-là bel et bien
clos.
A la veille des élections européennes
de juin dernier, la peur s’empare de l’UMP,
comme si soudain le fait de prôner le
rapprochement avec un pays musulman
devait conduire au désastre électoral. Il ne
s’est pas trouvé à l’UMP une voix qui eût
donné de la chair à la ligne établie depuis
toujours par les gouvernants successifs, de
tous bords politiques ; qui eût pris la défense
de la Turquie, de ses vieilles parentés avec la
France laïque, de la révolution qu’elle connaît
aujourd’hui ; pas une voix suffisamment
forte en tout cas pour désarmer les craintes
agitées par les adversaires de l’adhésion
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turque.
Les stratèges du parti majoritaire
craignaient avant les européennes que
l’entrée de la Turquie dans l’Union offre
un thème en or aux souverainistes, mais
aussi à l’UDF de François Bayrou, qui
estime qu’une adhésion turque empêchera le
développement du projet politique européen.
Aujourd’hui, la majorité redoute surtout que le
cas turc ne rende plus difficile l’adoption de la
Constitution européenne lors du référendum
prévu fin 2005. C’est à cette crainte que vient
de faire droit à son tour Jacques Chirac. q