universite paris val-de-marne faculte de medecine de creteil

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universite paris val-de-marne faculte de medecine de creteil
UNIVERSITE PARIS VAL-DE-MARNE
FACULTE DE MEDECINE DE CRETEIL
********************
ANNEE 2005
N°
THESE
POUR LE DIPLOME D’ETAT
DE
DOCTEUR EN MEDECINE
Discipline : Médecine Générale
--------------------
Présentée et soutenue publiquement le
A CRETEIL (PARIS XII)
-------------------Par Patrick GUEDJ
Né le 28 Juillet 1975 à Nogent sur Marne
--------------------
TITRE : La Médecine et ses représentants dans l’œuvre de Molière
DIRECTEUR DE THESE :
M.Le Dr P M ADELE
LE CONSERVATEUR DE LA
BIBLIOTHEQUE UNIVERSITAIRE
Signature du
Directeur de Thèse
Cachet de la bibliothèque universitaire
2
REMERCIEMENTS
3
4
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
NTRODUCTION
page 6
MOLIERE ET SON VECU DE LA MEDECINE
page 9
LA MEDECINE
MEDECIN E HISTORIQUE DU XVII ème SIECLE
page 22
Histoire de la médecine jusqu’au XVII ème siècle
page 23
Etat des lieux des connaissances médicales au XVII ème siècle
page 25
L’épidémiologie et la santé publique au XVII ème siècle
page 30
Quelques Chiffres
page 30
L’Assistance publique
page 30
La Santé publique
page 31
Les épidémies
page 32
Les maladies
page 33
Le médecin du XVII ème siècle
page 35
Les moyens thérapeutiques en présence
page 39
Les autres professionnels de santé au XVIIème siècle
page 47
LA MEDECINE MOLIERESQUE
L’homme dans la satire médicale
page 49
page 51
5
La médecine présente dans l’œuvre
page 57
La dimension philosophique de la satire
page 66
CONCLUSION
page 74
BIBLIOGRAPHIE
page 79
6
INTRODUCTION
7
La médecine tient une place de premier choix chez les personnages que font vivre
les auteurs de tous horizons.
Certes, il fut un temps où la personne ayant la qualité de médecin bénéficia d’un
respect que l’on pourrait qualifier de religieux.
En effet, la mythologie gréco-latine le faisant apparaître comme un disciple du
demi dieu Esculape (fils d’Apollon), il fait donc partie de l’essence divine.
Dès lors, il n’est donc pas plus question de lui tenir rigueur de ses échecs, qu’il
n’est reproché aux dieux de ne pas exaucer les prières des mortels.
Mais l’art médical s’humanise rapidement, et redescendu de l’Olympe, il se trauve
être la cible des critiques satellites de toute entreprise humaine.
De plus, cet art relatif au bien le plus cher ne manque pas d’être l’objet de nombre
de jugements.
Un des champs d’expression majeur de cette critique est sans doute la littérature
où il est rare de voir la médecine elle-même raillée, mais bien les hommes : le
médecin surtout à cause de son langage et son efficacité toute relative et le malade
du fait de sa peur.
D’ailleurs, les médecins eux-mêmes prennent bien la plaisanterie : ceux du XVII ème
siècle ont ri les premiers aux calembredaines des Diafoirus et Purgon.
Les humanistes du XVI ème siècle ne ménagèrent pas non plus leurs critiques à
l’égard des praticiens.
Mais, c’est au XVII ème siècle que s’épanouit la satire médicale avec Boileau, La
Fontaine et surtout Molière.
Le médecin était alors à la mode, en particulier à cause de la tradition théâtrale de
la commedia dell’arte.
L’objectif de ce travail est précisément d’étudier la position de Molière quant aux
médecins et à la médecine.
L’importance de la satire des médecins dans l’œuvre de Molière n’est plus à
démontrer.
8
Et peut être est-ce l’orgueil et la haute estime portés à cette science qui poussent
un futur médecin à s’intéresser, voir à s’élever contre de telles condamnations
visant ses confrères, notamment ceux du XVII ème siècle.
Mais, comment et surtout pourquoi un homme, ami et conseiller du roi Louis XIV,
observateur studieux de ses contemporains et de leurs attitudes a pu autant
malmener la médecine et ses représentants ?
L’état des lieux qu’on nous offre, une fois le côté caricatural mis à l’écart, est-il le
reflet objectif et soigneux d’une situation scientifique et historique ?
Pour répondre à ces interrogations, nous scinderons notre étude en trois « actes ».
Après avoir exposé la vie de Molière et notamment son vécu de la médecine, nous
étudierons la médecine historique du XVI ème siècle avant de mettre en scène la
médecine telle qu’elle apparaît dans l’œuvre de Molière.
9
MOLIERE ET SON VECU DE LA MEDECINE
10
Molière est un auteur dont l’influence sur la dramaturgie de son époque et
postérieurement est sans commune mesure avec celle de n’importe quel autre
auteur, au point que son œuvre est encore la plus représentée.
Pierre-Aimé Touchard (ancien Administrateur de la Comédie Française) est sans
doute l’homme qui a le plus vu jouer Molière.
Selon lui, on ne comprend l’œuvre de Molière que si on connaît sa vie.
Son œuvre doit se lire comme un journal.
C’est pourquoi, après avoir présenté une brève biographie de Molière, nous nous
intéresserons plus particulièrement, aux influences à la fois subjectives et
objectives qui ont pu concourir à façonner chez Molière telle ou telle prise de
position sur chacun des versants de la médecine qui l’entoure.
11
Molière est le pseudonyme de Jean-Baptiste Poquelin qui naît le 13 ou le 14
janvier 1622 à Paris, sous le règne de Louis XIII.
Il est le fils aîné d’une famille bourgeoise dont le père est Jean Poquelin,
marchand tapissier du roi (famille de tapissiers depuis trois générations) et la mère
est Marie Cressé.
Il a trois frères et deux sœurs qui naissent bien après lui.
Sa mère décède en 1632 alors qu’il n’a que dix ans.
En 1637, son père lui assure la survivance de sa charge de tapissier ordinaire du
roi.
Il fait ses études secondaires chez les jésuites au collège de Clermont (l’actuel lycée
Louis le Grand) et suit des études de droit à Orléans qui aboutissent à l’obtention
d’une licence.
Il exerce la profession d’avocat pendant cinq à six mois et met un terme à ses
activités de tapissier du roi à l’âge de vingt et un ans.
Durant l’enfance, son grand père l’emmène fréquemment au théâtre de foire.
Il se brouille assez tôt avec son père qui veut l’éloigner de ce milieu et reste froid
avec sa famille.
En 1643, il se lie avec une comédienne Madeleine Béjart avec laquelle il constitue
une troupe, L’Illustre-Théâtre (ouverture au Jeu de Paume des Métayers en
janvier 1644) dont la direction est confiée à Madeleine Béjart.
Jean-Baptiste Poquelin adopte le pseudonyme de Molière en 1644 et prend la
direction de la troupe qui s’installe dans la capitale après une tournée en province.
Après des difficultés financières et peu de succès(faillite en mai 1645), Molière et
sa troupe repartent pour la province ; c’est une période mal connue (protection du
duc d’Epernon qui prête son nom à la troupe de Molière). Ainsi, plus de dix ans
après, c’est le retour à Paris (en 1658) où la troupe devient « troupe de
Monsieur ».
12
La réussite de l’Etourdi et du Dépit amoureux suscite l’attention de Monsieur le
Frère du roi.
En 1652, la troupe attire le patronage du prince de Conti.
La première représentation des Précieuses ridicules remporte un grand succès en
1659.
En 1660, il crée le personnage de Sganarelle, qui apparaîtra souvent, toujours
interprété par lui, dans plusieurs pièces.
Il se marie en 1662, à quarante ans, avec la sœur ou la fille de Madeleine,
Armande Béjart. C’est également l’année de l’Ecole des femmes qui est couronnée
de succès.
En 1664, c’est la naissance du premier enfant de Molière dont Louis XIV est le
parrain : cet enfant mourra dans l’année. C’est aussi la naissance de Tartuffe qui
est interdite à Paris.
Malgré le succès de Dom Juan en 1665, critiqué par les dévots, il retire cette pièce
après quelques représentations.
En 1666, Molière, malade, cesse de jouer pendant plus de deux mois et loue une
maison à Auteuil. Il écrit le Misanthrope et le Médecin malgré lui (dernière pièce
où figure Sganarelle).
En 1667, il est malade au point que ses médecins lui permettent de ne boire que du
lait.
L’année 1668 est marquée par la création de Georges Dandin, l’Avare et
Amphitryon, après sa longue maladie.
La troisième version de Tartuffe, enfin autorisée, est un immense succès l’année
suivante qui est aussi marquée par la disparition du père de Molière.
Madeleine Béjart meurt en 1672. Il crée les Femmes Savantes.
En 1673, il écrit le Malade imaginaire et meurt après avoir été pris sur scène d’un
malaise lors de la quatrième représentation.
13
Grâce à l’intervention de Louis XIV, dont il n’a plus les faveurs, il échappe à la
fosse commune où sont enterrés les comédiens pour être mis en terre, sans aucune
pompe, au cimetière Saint Joseph.
Selon Pierre-Aimé Touchard, Molière occupe une place d’observateur de choix, au fait des
pires mesquineries et corruptions de toutes sortes qui n’épargnent pas la Cour : il se révèle en
effet être un observateur sagace des mœurs et des cœurs. Ne le surnommait-on pas le
« peintre » ?
C’est un homme à qui la vérité tient à cœur et qui risque sa vie, misère et détresse pour
dénoncer l’hypocrisie des hommes de son siècle.
Il s’avère être un homme de progrès, anti-conservateur forcené : cependant, l’opinion de
Molière sur la médecine est nécessairement influencée par sa propre vie et ce que l’on
pourrait appeler son vécu de la médecine.
Et, c’est précisément cette dualité de position qui rend particulièrement intéressante
l’opinion de Molière : en effet, il est à la fois « penseur », observateur de la médecine et,
« acteur » car il est aussi souffrant.
Son « vécu » de la médecine est assez riche et concerne à la fois sa propre personne, le destin
de ses proches (famille et amis) et ses connaissances non négligeables sur cette science.
D’abord ,Molière connaît la médecine en qualité de patient. En effet, de multiples problèmes
de santé émaillent sa vie. Les ennuis le tenaillent jusqu’à la mort. Il souffre d’une fluxion de
poitrine : est-ce la tuberculose ?
Dès 1660, certains critiques le disent gêné par un « hoquet ».
En 1665, une grave affection de poitrine l’immobilise et il doit suivre un régime qui
l’amaigrit ; après cette année, il restera assez gravement malade.
Molière se plaint de fatigue, de maux de tête, d’insomnie, de fièvre et de dysenterie avec
parfois des crachats de sang. En 1671, il est essoufflé en jouant les Fourberies de Scapin et
est régulièrement pris de toux convulsives.
Sur le plan neuropsychique, Molière est neurasthénique ; il souffre aussi de mélancolie
hypochondriaque qui s’apparente à notre état dépressif chronique.
14
Il meurt à cinquante trois ans dans une quinte de toux avec hémoptysie et détresse
respiratoire sub-aigüe.
L’ironie féroce, avec laquelle il dépeint les médecins dans l’exercice de leurs fonctions
,témoigne sans doute de l’amertume d’un homme qui a autant souffert de sa maladie que de
ceux qui prétendaient la guérir.
Sa famille est elle aussi en proie à des problèmes de santé assez marqués :
Ainsi, Molière perd sa mère en 1632 alors qu’il n’a que dix ans.
En 1664, c’est l’année de naissance de son fils qui va décéder sans atteindre l’âge de un an.
Madeleine Béjart meurt en 1672.
Molière devra aussi subir la disparition de ses trois frères et sœurs ainsi que celle de la
deuxième femme de son père.
Molière a des connaissances solides sur la médecine et le milieu médical. Il côtoie des
professionnels de santé et est aussi ami avec des médecins éclairés comme Armand
Mauvillain et Bernier.
Nul doute que la fréquentation de tels médecins ne soit pour beaucoup quant aux
connaissances de Molière concernant le milieu médical, son vocabulaire, les ordonnances, les
diagnostiques et les cérémonies de remise des diplômes.
Il est affecté par les problèmes que rencontre le Docteur Mauvillain qui est chassé à deux
reprises de l’Académie de Médecine, alors qu’il soigne les malades par le chant, la musique et
la danse et prône les médecines douces de l’époque.
Il prend en compte les informations de Mauvillain quand il reproche aux praticiens leur
attachement aveugle aux anciens.
Il participe d’une certaine façon aux débats médicaux d’alors et, a un avis personnel sur des
sujets précis. Malgré les liens étroits qui le lient à Mauvillain, il fait preuve d’une
« indépendance » de pensée en se montrant, par exemple ,un farouche opposant de
l’antimoine alors qu’en 1652, son ami médecin signe un manifeste pour vanter les mérites de
cette substance.
15
Molière connaît la médecine sous ses aspects les plus respectables. Il est certain que Molière
a eu plus d’une fois l’occasion d’assister à l’investiture d’un philiatre, peut être même à
Montpellier. Par exemple, la formule : Bene, bene, bene, respondere ; Dignus, dignus est
intrare ; in nostro docto corpore, du président qui officie dans le Malade imaginaire, est une
formule copiée par Molière sur le texte officiel.
Comme nous le reverrons, la parodie et la caricature sont plutôt féroces : aussi, il prend la
précaution de les faire porter sur la faculté de Montpellier.
Selon le livret primitif, plus chargé que celui de nos éditions, il y avait un sixième docteur qui
donnait au lauréat la qualité de « digne nourrisson de Montpellier » et de toute évidence,
Molière a sous les yeux le formulaire de la faculté.
La pratique en elle-même ne lui est pas inconnue : il fait parler ses médecins avec les vrais
termes médicaux et l’interrogatoire ou l’examen clinique est tout à fait conforme aux
comportements médicaux de l’époque.
Enfin, des explications plus triviales sont parfois avancées pour expliquer la rancœur
palpable chez Molière quant aux médecins de l’époque.
Jean-Louis Le Gallois publie en 1705 une « vie de Molière » à partir d’anecdotes qu’il dit
tenir de Baron (comédien de la troupe de Molière) : il suggère une explication à la rancœur de
l’auteur. Celui-ci logea un moment chez le Docteur Daquin (médecin du roi) dont l’épouse,
avare, voulut augmenter le loyer ; mais, Armande Béjart ne voulut rien entendre et les
Molière furent chassés.
Ainsi, conséquence plus ou moins directe de ce fait divers, dans l’Amour médecin, écrit
quelques jours après la querelle des femmes, Molière se déchaîne et fait des allusions à peine
masquées aux médecins de la Cour.
Comme nous l’avons précédemment exposé, Molière est, au fil de sa vie, sujet à des problèmes
de santé qui finissent par transformer cet homme plutôt grand et bien en chair en un homme
maigre et pâle.
De ce corps décharné, Elomire hypocondre se moque sans pitié en 1670 : cette comédie
pamphlet qui présente Molière comme un malade dépressif en proie à un mal imaginaire, a
sans doute incité ce dernier à réagir.
16
De plus, le valet d’Elomire suggère à son maître d’écrire une comédie sur le thème de la
maladie imaginaire : Molière relève le défi et réplique par une satire de la médecine.
On peut penser qu’il utilise la satire médicale comme une forme de thérapie et qu’il s’agit de
l’exutoire d’un homme qui trouve, par ce biais, le moyen de mettre à distance la maladie en la
tournant en dérision et de conjurer l’angoisse de la mort.
L’autre fait majeur qu’il convient de prendre en considération quand on étudie les prises de
position de Molière quant au monde de la médecine est le suivant : Molière n’est pas un cas
isolé dans la littérature du XVIIème siècle et celle-ci confirme que son opinion est assez
répandue.
En effet, ses « collègues » de satire sont nombreux, intéressons-nous à leur avis.
Parmi les critiques les plus virulentes, on trouve celles de la Princesse Palatine (1672-1722).
Il s’agit de la veuve de Monsieur le frère de Louis XIV ;
C’est une femme de caractère marquante par ses frasques littéraires et oratoires ;
Elle qui se soigne par les plantes, voue les médecins français aux gémonies et les accuse de
tuer les malades par leurs saignées continuelles.
Elle dresse un portrait sans équivoque de Fagon (premier médecin du roi, doyen de la faculté
de médecine, membre de l’académie des sciences).
Selon elle, « Fagon est une créature de la vieille : il a vivement expédié la Reine en la
béatitude éternelle » et, elle ajoute : « Je suis persuadée que si le Roi qui n’a atteint que l’âge
de 77 ans n’avait pas été purgé par Fagon si souvent et d’une manière si inhumaine, il aurait
été beaucoup au delà de 80 ans, mais il purgeait jusqu’au sang ».
Ce dernier est également cité de nombreuses fois dans les Mémoires de Saint-Simon.
Il nous renseigne sur sa façon de pratiquer : « Il était entêté et refusa des médecins
consultants au chevet de Monseigneur le Dauphin. Il entassait remède sur remède sans en
attendre les effets » et sur sa manière de traiter notamment la goutte : « emmaillotait le roi
dans un tas d’oreillers de plumes ».
17
Précisons que ce Fagon, malgré le poste de premier médecin du roi, a à son actif un certain
nombre d’erreurs médicales qui ont mené au tombeau la quasi-totalité de la famille royale.
Boileau s’illustre aussi par ses prises de position sans appel sur les médecins.
Il ne ménage pas non plus ce fameux Fagon.
En effet, celui-ci étant épileptique, fit une crise lorsqu’il apprit que le Marquis de
Beauvilliers qu’il avait condamné, avait été guéri par un charlatan du nom d’Helvétius. Cet
épisode fait dire à Boileau : « Je viens d’embrasser un malade condamné qui se porte bien et
de voir le médecin condamnant qui se meurt ».
Boileau souffrait d’une raucité rebelle.
Il écrit à Racine : « depuis ma dernière lettre, j’ai été saigné, purgé, etc. et il ne manque plus
aucune des formalités nécessaires pour prendre des eaux. La médecine que j’ai prise
aujourd’hui m’a fait à ce qu’on dit tout le bien du monde : car elle m’a fait tomber quatre ou
cinq fois en faiblesse et m’a mis en tel état qu’à peine je me puis soutenir ».
Boileau a rédigé avec le médecin Bernier (ami de Molière) le fameux Arrêt burlesque
(composé un an avant le Malade Imaginaire) contre le médecin Morel, adversaire du
cartésianisme. Sa satire des médecins fait preuve d’une verve féroce.
Donnons le ton de son opinion avec les épigrammes suivantes qui parlent d’elles-mêmes :
Paul, ce grand médecin, l’effroi de son quartier
Qui causa plus de maux que la peste et la guerre,
Est curé maintenant, et met les gens en terre ;
Il n’a point changé de métier.
Ou encore,
Ton oncle, dis-tu l’assassin,
M’a guéri d’une maladie ;
La preuve qu ‘il ne fut jamais mon médecin,
C’est que je suis encore en vie.
18
Enfin quand Boileau fait allusion aux résultats obtenus par la thérapeutique d’alors, il
arrive à la conclusion : « L’un meurt vide de sang et l’autre plein de séné ».
La Bruyère se montre tout aussi sceptique face au corps médical.
Il ironise : « Tant que les hommes pourront mourir et qu’ils aimeront à vivre, le médecin sera
raillé et bien payé ».
Dans l’histoire de Gil Blas de Santillane, Lesage place son héros picaresque chez un médecin
appelé Sangrado aux principes plus ou moins originaux.
Ainsi l’auteur attaque divers aspects de la médecine.
On apprend que pour être médecin, les capacités intellectuelles requises et suffisantes sont de
savoir lire et écrire.
Par conséquence, un valet peut rester à ce poste ou devenir médecin très facilement : tout
dépend non pas de facultés intellectuelles mais, du bon vouloir de son maître.
L’efficacité de la médecine est sans équivoque puisque, le registre des personnes visitées
pourrait s’apparenter à un registre mortuaire étant donné le taux de mortalité proche de
100%.
La solide réputation d’un médecin est fondée sur la beauté de ses propos, à son « verbiage
spécieux » plutôt qu’à son efficacité au chevet du malade.
La principale qualité souhaitable pour être médecin est de privilégier le dogme (hérité des
Anciens) plutôt que l’expérience.
Toute la médecine tient en deux mots et, la thérapeutique à appliquer quelque soit la maladie
est la suivant : saignée et eau chaude à boire.
L’intérêt majeur de la profession est de générer des gains importants et l’on note déjà les
prémisses d’une médecine à deux vitesse qui nous fait peur de nos jours quand, le vieux
médecin se consacre aux aristocrates alors que le nouveau promu s’occupe de la populace
moins exigeante.
19
Enfin, citons La Fontaine qui attaque les médecins principalement sur deux aspects de leur
pratique, à savoir :
- leur intérêt majeur pour le gain, dans la fable Le Cerf Malade (XII,6) :
« Il en coûte à qui réclame,
Médecins du corps et de l’âme !
O temps ! ô mœurs ! j’ai beau crier,
Tout le monde se fait payer. »
- et leur manque total d’égard vis à vis de leur patient, dans la fable Les Médecins (V,
12) :
« le Médecin tant pis allait voir un malade
Que visitait aussi son confrère tant mieux
Ce denier espérait quoique son camarade
Soutint que le gisant irait voir ses aïeux,
Tous deux s’étant trouvés différents pour la cure
Leur malade paya le tribut à sa nature
Après qu’en ses conseils tant pis eut été cru
Ils triompheraient encore sur cette maladie
L’un disait : il est mort, je l’avais bien prévu
S’il meurt cru disait l’autre, il serait plein de vie »
La Fontaine nous démontre que les médecins parviennent toujours à arranger les choses en
leur faveur, quelle que soit l’issue de la maladie.
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Dès le Moyen âge, en France, les médecins sont déjà un excellent sujet comique.
Le Vilain mire (le Paysan médecin) en est un exemple fameux.
Précisons tout d’abord que ce fabliau présente dans son contenu des similitudes claires avec
le Médecin malgré lui de Molière.
On a douté que Molière ait connu le Vilain mire mais, la tradition orale des fabliaux n’a
cessé de se maintenir et Molière a pu la recueillir auprès du peuple familier de ses tréteaux.
Les différents aspects de la satire médicale auxquels s’attache ce fabliau sont les suivants :
Un médecin peut faire preuve d’une mentalité particulière sans pour autant choquer ou
étonner ses contemporains ; en effet, un médecin qui reconnaîtrait son statut uniquement
après avoir été battu est crédible et le fait de vouloir dissimuler ses connaissances pour
soigner et aider son prochain semble pouvoir se concevoir.
Il ne semble pas nécessaire d’être réellement médecin pour soigner et faire des miracles : ainsi,
toute personne douée de bon sens en réfléchissant un peu, peut proposer une thérapeutique
efficace basée sur la logique (pour soulager une femme qui a une arête coincée, il suffit de la
faire rire et le résultat est au rendez-vous).
L’apparence pour être crédible en tant que médecin est primordiale : il faut être « rasé » et
porter une « robe écarlate ».
Les moyens thérapeutiques les plus surréalistes ne choquent pas les contemporains et un
médecin qui propose de traiter les malades par l’immolation est crédible : la crédulité des
hommes faisant appel aux médecins est déjà mise au premier plan comme le fera Molière par
la suite.
Enfin, l’importance du versant hypnotique de la consultation médicale est abordée et cette
faculté des médecins semblent être leur principale arme face à la maladie : le vilain avoue que
le fait de « charmer » les patients est plus efficace que « gingembre » et « cannelle ».
21
L’ensemble des données présentées, dans cette première partie, fait preuve de la grande
complexité des facteurs concourant à façonner l’opinion de Molière face à la médecine ;
ainsi, Molière est à la fois le dépositaire d’une tradition satirique bien ancrée,
l’environnementaliste qui a connaissance de l’opinion de se collègues auteurs, de ses amis
médecins et qui subit certains traitements de la médecine en tant que patient.
C’est en intégrant l’ensemble de ces influences subjectives et objectives qu’il conviendra
d’apprécier, dans la troisième partie de notre étude, la médecine molièresque.
22
LA MEDECINE HISTORIQUE DU XVIIème SIECLE
23
Histoire de la médecine jusqu’au XVIIème siècle
La médecine a très longtemps été fidèle à des concepts directement hérités de
l’Antiquité gréco-romaine, à peine modifiés.
Au premier rang de ceux-ci, la théorie des humeurs, établie par Hippocrate, affinée
et systématisée par Galien, fut pendant des siècles un présupposé incontournable
conditionnant étiologie et thérapeutique.
Parmi les liquides du corps, Hippocrate retient quatre humeurs principales : le sang
dont la source est le cœur, le phlegme ou pituite venu du cerveau, la bile jaune
produite par le foie et la bile noire ou atrabile concentrée dans la rate. Leur mélange
en proportions harmonieuses (crase) induit l’état de santé.
La maladie apparaît lorsque, sous l’effet d’un dérèglement humoral interne ou d’une
agression externe (physique ou psychique), l’une des humeurs est altérée et devient
nocive ou « peccante », est en insuffisance ou en excès, ou s’isole et se met à fluer,
causant une double douleur, à l’endroit qu’elle quitte et à l’endroit où elle se fixe.
On pensait toutefois qu’il y avait naturellement prédominance de telle ou telle
humeur selon les âges de l’homme ou les saisons de l’année ; le sang au printemps et
dans l’enfance, le phlegme en hiver et dans la vieillesse, la bile jaune en été et dans
la jeunesse, la bile noire en automne et dans l’âge mur.
Outre les quatre saisons de la nature et de la vie, ce sont aussi les quatre qualités
élémentaires (chaud ou froid, sec ou humide), les quatre éléments et enfin les quatre
grands « tempéraments » ou caractères humains qui sont liés aux humeurs.
Cette théorie de l’humorisme s’imposa longtemps comme une vérité intangible, sans
doute grâce à l’apparente « cohérence » et à la « largeur de vue » de son exposition.
Hippocrate avait en effet une vision très globalisante de la santé et de la médecine
et ne séparait jamais l’âme du corps, le moral du physique.
La médecine hippocratique est également caractérisée par des méthodes
diagnostiques insuffisantes.
Selon les principes hippocratiques, le diagnostic s’élabore après l’interrogatoire
pointilleux du malade et de son entourage, et l’observation du faciès, de la langue,
des yeux et surtout du pouls (mais on ne compte pas les battements), des urines, des
selles et du sang du patient.
24
La médecine hippocratique émettait ensuite un pronostic avant de proposer une
quelconque thérapeutique (il vante, entre autres, les vertus bénéfiques du vin).
Cependant, même si cette conception de la médecine prévaut, presque inchangée,
jusqu’au XVIIème siècle, quelques faits saillants ont quand même jalonné le Moyenâge, le XVème et le XVIème siècle.
Au X ème siècle, à Salerne, on fonde la première école de médecine en Europe.
Au XVème siècle, l’intervention de l’’Imprimerie permet la large diffusions des
traités médicaux à travers l’Europe et, en 1478, la première dissection publique est
autorisée à Paris.
Au XVIème siècle, Ambroise Paré préconise la ligature artérielle plutôt que la
cicatrisation des plaies au fer rouge avant amputation.
25
Etat des Lieux de connaissances médicales au XVIIème siècle
Au XVII ème siècle, la France connaît une période de prospérité et de stabilité
politique propice à l’épanouissement des lettres, des arts et des sciences.
En effet, cette période se révèle être un tournant déterminant grâce aux progrès de
l’optique et de la physique avec Pascal, puis Newton.
Ces avancées scientifiques, alliées à la pensée des philosophes, amènent à une
conception plus mécaniste de l’homme.
Le XVII ème siècle est associé à un essor majeur de connaissances médicales qui n’ont
que peu évolué depuis l’Antiquité.
Le retard de la médecine sur les autres sciences s’explique par l’influence religieuse
qui s’oppose aux dissections humaines ; mais aussi, par le peu voire l’absence de
moyens techniques pour diagnostiquer et traiter les maladies.
Ainsi, jusqu’à l’époque de Molière, la théorie des humeurs prévaut et les fondements
thérapeutiques sont plus que minimalistes : il s’agit de purifier les organes et
d’éliminer les humeurs.
Intéressons nous donc, au travers d’un exposé plus ou moins exhaustif, aux faits
saillants qui jalonnent la médecine tout au long de ce siècle.
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Une des avancées majeures, de ce siècle, est la découverte de la circulation sanguine
par William Harvey.
Elle aboutit à la publication en 1628 d’un ouvrage intitulé : « Exercitatio
anatomico de motu cordis et sanguinis in animalibus » (Exercice anatomique sur le
mouvement du cœur et du sang chez les animaux).
Ce travail, entrepris en 1602, amène Harvey à rejeter la notion de « souffle vital ».
Ses principales conclusions sont les suivantes :
- le cœur est le moteur de la circulation (et non le foie)
- le pouls est indépendant de la respiration(contre la pensée de Galien)
- les ventricules droit et gauche sont séparés
- la circulation fonctionne comme suit : le sang passe du ventricule droit dans
les poumons où, par des veines pulmonaires, il se jette dans l’oreillette gauche
pour atteindre ensuite le ventricule gauche.
Par un système de ligature, il peut obtenir le sens du courant sanguin dans les
artères et les veines.
Mais, cette théorie du « circulateur » Harvey n’est pas soutenue de manière
unanime. Elle est contestée en Grande-Bretagne et en France notamment par Riolan
et Patin. C’est Louis XIV, lui-même, qui prend parti en 1672 et décide de conférer à
Dionis (1650-1718) la charge d’enseigner la théorie d’Harvey.
Malpighi complète la découverte d’Harvey en 1661, en mettant en évidence les
capillaires pulmonaires de même que Power qui décrit les capillaires entre artères et
veines en 1649.
Une avancée de plus est faite par Pecquet, dans ce registre, en montrant la
circulation de la lymphe en 1651.
La circulation est double : sanguine et lymphatique.
C’est la ruine de la théorie des humeurs établie par Hippocrate.
27
La découverte de la circulation associée à la théorie de Mayow qui compare la
respiration à une combustion (où l’oxygène serait une flamme de vie) signent une
meilleure compréhension du fonctionnement du corps humain.
Un des faits marquants de ce siècle est la contribution des loupes et du premier
microscope dans le domaine médical.
Malgré tout, la loupe reste privilégiée car l’optique du microscope est défectueuse.
Cependant, des connaissance importantes vont découler de l’observation rendue
ainsi possible.
- Hooke (1635-1703) mentionne dans sa « Micrographie » en 1665, la notion de
cellule.
- L’embryologie et les idées sur la conception des humains se précisent.
Acquapendente (1533-1619), le premier à faire des observations détaillées de l’œuf
de poule, émet la théorie de « préformation » autrement dit, le poulet préexiste en
petit dans l’œuf. Cette version est soutenue par Malpighi qui pense que l’embryon
de poulet préexiste dans l’œuf (son avis pour les mammifères n’est pas publié).
Il existe une autre théorie, émise par Harvey, qui consiste à dire que le poulet ne
préexiste pas dans l’œuf, il se constitue organe par organe par un développement
graduel de l’embryon : c’est l’épigénèse. Ce dernier a étendu ses études du poulet aux
mammifères et dont, l’homme comme tout autre animal est conçu à partir d’un œuf
(« Ex ovo amina »).
En 1670, le débat entre les premiers embryologistes oppose alors les partisans de
l’épigénèse aux adeptes de la « préformation ».
De Graaf découvre les follicules ovariens en 1672 et parvient à décrire l’ovulation :
les testicules de la femme sont nommés les ovaires (ovarium signifiant fabrique
l’œuf). Ces ovaires renferment de petites vessies inégales dont la liqueur se vide à
maturité : c’est l’ovulation.
Ce champs de recherche à savoir la conception des humains, va être fertile en
découvertes et ce jusqu’à la fin du XVIème siècle (théorie de l’ovisme de Kerckring, la
découverte des « animaux spermatiques » de Leeuwenhoek et Ham, Rédi discrédite
l’idée de « génération spontanée » alors encore fortement ancrée dans les esprits).
28
Mais Molière, décédant en 1673, ces découvertes n’ont pu influencer son jugement
et sortent donc du cadre de notre étude.
Enfin l’autre domaine sujet à évolution notable est l’obstétrique.
Un des personnages marquants est Louise Bourgeois (1563-1644) qui a, entre
autres, accouché comme sage-femme Marie de Médicis (six fois) et a mis au monde
Louis XIII.
Malgré sa propension à se tourner vers l’avenir en conseillant, notamment, à ses
collègues d’assister aux dissections pour apprécier l’anatomie féminine et, sa volonté
de mettre en place un enseignement méthodique pour les sages-femmes, elle reste
attachée à de vieux dogmes (la théorie des humeurs prévaut encore, la colère est la
cause la plus fréquente des fausses couches, le sang menstruel se transforme en lait
chez l’accouchée).
Ainsi, elle est mise à l’écart en 1627, ce qui coïncide avec une changement profond :
l‘obstétrique devient une science médicale.
Le terme d’accoucheur est créé et Louis XIV impose un médecin pour accoucher
Mme de La Vallière en 1663. Une des figures marquantes de l’obstétrique est alors
Mauriceau (1637-1709), chirurgien accoucheur qui est contre l’idée qu’une femme
puisse engendrer sans homme.
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Il apparaît donc, qu’au travers de ce siècle, l’essor de la physique façonne la pensée
des savants et que ces derniers semblent vouloir se tourner vers le rationnel en
s’éloignant de manière significative de l’empirisme qui prévaut jusqu’ici : c’est
l’avènement de la raison.
Ainsi, dans le domaine médical, allant totalement à l’encontre des dogmes en
vigueur alors et, uniquement fondés sur la fidélité aveugle au passé, les trois
avancées majeures de ce siècle que sont le microscope, la circulation sanguine et la
fécondation marquent clairement la volonté de certains de travailler avec des
données établies sur le raisonnement et l’expérimentation.
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L’épidémiologie et la santé publique du XVIIème siècle
Quelques chiffres :
A l’époque de Molière, la population française s’élève à dix-huit millions
d’habitants.
Les parisiens représentent un demi million de personnes.
En Europe, le taux de natalité est compris entre 45 et 50% alors que le taux de
mortalité oscille entre 35 et 45% (celui-ci étant principalement dû aux épidémies).
La mortalité infantile est très importante puisqu’elle concerne une naissance sur
quatre en France et ce jusqu’à la fin du XVIIIème siècle.
En effet, des épidémies de même que des famines peuvent emporter jusqu’aux trois
quarts des enfants de moins de un an.
L’Assistance publique :
Au XVIII ème siècle, les hôpitaux ne sont pas nombreux.
L’Hôtel Dieu constitue le principal établissement : c’est le centre même de
L’Assistance publique. Pour cette raison, il se développe et s’agrandit régulièrement
et ce, de façon à accueillir des malades toujours plus nombreux.
La vie du malade dans cet établissement est toutefois encore déplorable : ainsi, on
trouve plusieurs d’entre eux tête bêche dans un même lit où parfois, se côtoient
morts et vivants.
De plus, cette promiscuité ne se préoccupe guère d’isoler les porteurs d’affections
potentiellement contagieuses.
On reconnaît que la gale sévit constamment à l’Hôtel Dieu, qui est par conséquence
une source inépuisable, contaminant tout Paris.
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L’hôpital de la Charité semble offrir des conditions de vie plus humaines.
On y trouve un malade par lit et , fait objectif pour appuyer cette constatation, la
mortalité hospitalière y est nettement plus faible qu’à l’Hôtel Dieu (taux de
mortalité à l’Hôtel Dieu : un malade sur quatre alors que le taux de mortalité à la
Charité est de un malade sur sept).
Le misère est une caractéristique marquante de la société française de l’époque. Il
s’agit donc, non seulement de la combattre, mais aussi de l’endiguer dans des
structures adaptées et les deux établissements sus décrits se révèlent dépassés et
inadaptés.
On estime à environ soixante mille le nombre de mendiants dans les rues de Paris.
En 1657, on met en place l’hôpital général afin de prendre en charge les mendiants
parisiens et des faubourgs.
Ce dernier est formé de trois structures : Bicêtre, La Pitié et la Salpétrière.
Notons enfin, que les hôpitaux ont leurs services de pharmacie et de chirurgie soit
dit en passant fort bien organisés (pour ce qui est de l’Hôtel Dieu).
La Santé publique
C’est un sujet qui préoccupe.
Ainsi, tous les mois, une commission, formée de médecins, se concerte pour améliorer
l’état sanitaire, fort précaire, des parisiens.
Au niveau collectif, la capitale fait preuve d’une insalubrité majeure. L’odeur des
rues est insupportable de même que la chaleur qui y règne.
Le réseau d’égouts est défectueux, et les rues s’apparentent à de véritables dépotoirs
où se mêlent excréments et ordures ménagères.
Au niveau individuel, l’hygiène personnelle est quasi-inexistante. Dans les
habitations, les toilettes sont loin d’être systématiques. Le bain est rarissime.
L’hygiène et le régime alimentaire méritent qu’on s’y attarde un peu. En effet, la
diététique pratiquée est peu encline à entretenir une santé optimale.
32
La préparation et la production alimentaire ne sont soumises à aucune règle
d’hygiène (on peut sans contrôle manger de la viande venant de bêtes malades).
Le gibier est très prisé de même que les huitres.
On apprécie peu les légumes.
La cuisine fait la part belle à des plats composés d’ingrédients très riches que l’on
mange en grande quantité.
On boit beaucoup de vin et plutôt ceux de Bourgogne.
La consommation d’alcool est aisée par la disponibilité de ces boissons vendues
librement, dans les rues.
L’eau potable est d’approvisionnement difficile et, on doit souvent se contenter de
boire l’eau de la Seine très polluée.
Cependant, trois nouvelles boissons font leur apparition en France :
- le thé apparaît en 1636 à Paris. La médecine s’y intéresse et le prend pendant
un temps pour un remède à tous les maux et des sirops à base de thé voient le
jour.
- Le café est la boisson chaude la plus prisée en France. C’est une boisson qui
se démocratise rapidement, et à qui l’on reconnaît des vertus stimulantes,
laxatives, diurétiques ou encore digestives.
- Le chocolat est responsable d’opinions contradictoires.
Les épidémies
Dans ces conditions sanitaires particulières, il n’est pas étonnant, qu’à cette
époque, les épidémies sévissent.
La grande épidémie reste celle de peste. Ses origines sont mystérieuses pour les
médecins même si on reconnaît, à la Faculté, que l’insalubrité ambiante y prend une
part non négligeable.
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Avec le XVIIème siècle, les retours de l’épidémie s’espacent mais, cette affection
apeure toujours les praticiens.
Des mesures plus ou moins spécifiques sont prises : éviction des chats et des chiens
dans les villes, recours aux quarantaines, les vagabonds sont refoulés.
Les médecins qui assistent les pestiférés portent une longue robe avec un masque
cartonné.
La peste subit une évolution endémique jusqu’en 1638 et disparaît quasi-totalement
de Paris par la suite.
La lèpre est en très rapide et générale régression, dès la fin du XVIème siècle, elle a
presque totalement disparu et les maladreries se vident.
La variole reste dans toute l’Europe jusqu’à la seconde moitié du XVIII ème siècle, la
grande maladie infantile.
La coqueluche sévit de façon épidémique surtout aux XVI ème et XVIIème siècles.
Les maladies
Principe Hippocratique :
Elles sont dues à des manques (cacochymie) ou à des excès (pléthore) de telle ou telle
humeur. Les humeurs de mauvaises qualités sont les humeurs peccantes qu’il
convient d’évacuer.
La fiève
Elle est apparentée à une maladie plutôt qu’à un symptôme. On en décrit de
nombreuses entités :
- la fièvre simple, sans frisson, momentanée
- la fièvre synoque dure près de trois jours, sans infection patente
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- la fièvre hectique, avec altération de l’état général
- la fièvre putride avec frissons et déjà plus sérieuse
- la fièvre maligne, satellite, entre autres, de la rougeole, de la scarlatine ou de
la peste.
En neurologie, on décrit plusieurs affections :
- le rhume de cerveau est une maladie cérébrale par excès de chaud ou de froid
- la migraine, également affection cérébrale, est traitée avec de la bruyère
- l’épilepsie, d’étiologie inconnue, est traitée avec de la valériane pour ses
propriétés antispasmodiques
- la mélancolie hypocondriaque est l’équivalent de notre neurasthénie.
On change d’idées sur certaines maladies ; ainsi, l’hystérie devient une affection
cérébrale sans rapport avec l’utérus.
En pneumologie, on soigne des pleurésies en saignant du côté atteint et les
bronchites font appel à des loochs et des juleps.
Au niveau cardiaque, les médecins sont démunis malgré la découverte de la
circulation ; le fonctionnement du cœur est mal connu et aucun traitement
sérieux à visée cardiaque n’est connu.
On identifie néanmoins la syncope qui correspond à une cessation des
battements cardiaques.
En gastro-entérologie, les notions sont déjà consistantes.
Rappelons que la digestion est assimilée à une coction, c’est à dire une
cuisson des aliments.
On décrit :
- les ulcères avec hématémèse dont la douleur est calmée avec de l’opium
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- l’hydropisie est fréquente et se manifeste sous trois formes : l’anasarque qui
s’étend à l’ensemble du corps, l’ascite et la tympanite due aux flatulences
- les coliques hépatiques font appel au mercure doux.
Au niveau hépatique, on connaît les cirrhoses et les cancers (appelés squirres).
Le diabète est assimilé à une maladie urinaire.
Sydendham décrit les signes de la goutte , très fréquente à l’époque.
Le médecin du XVIIème siècle
La cursus de formation
A cette époque, les études de médecine sont déjà très longues.
La langue de la profession est le latin. Il faut donc, pour intégrer la Faculté de
Médecine de Paris, avoir accompli un cycle complet de scolarité qui débouche vers
l’âge de vingt ans au diplôme de Maître es arts.
Une fois admis au sein de la Faculté, l’étudiant va préparer le diplôme de bachelier
en médecine.
Les deux premières années de cours portent sur l’anatomie, la physiologie, l’hygiène,
la diététique, la pathologie et la thérapeutique.
Les cours se déroulent tôt le matin et revêtent une austérité quasi religieuse.
Du point de vue pédagogique, il faut noter que l’étudiant n’a pas de manuel à sa
disposition et l’enseignement ne comprend presque pas de travaux d’ordre pratiques,
sauf quand il s’agit de botanique.
Au terme de cet enseignement, à sa vingt cinquième année révolue, l’étudiant est
admis à subir les épreuves du baccalauréat qui se déroulent en plusieurs étapes :
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- d’abord, durant une semaine, le candidat répond aux interrogations sur le
programme des deux années écoulées et doit faire le commentaire d’un
aphorisme d’Hippocrate.
Cette épreuve finie, l’étudiant prononce le serment qui l’introduit dans la
grande famille médicale.
- ensuite, le trimestre suivant, au printemps, il doit faire montre de ses
compétences en matière de botanique.
- enfin, l’hiver venu, on assiste à la soutenance de ce qui est nommé la thèse
quodlibétaire car, on peut au choix, la résoudre par l’affirmative ou par la
négative.
Les sujets de ces thèses sont le plus souvent originaux : l’éternuement est-il
naturel ? ou encore, le libertinage est-il cause de calvitie ? Elle sont rédigées en
latin, parfois imprimées sur papier de luxe avec sur la première page une gravure
d’un scène allégorique inspirée de l’Antiquité.
Le baccalauréat ne donne pas le droit d’exercer la médecine. Il faut pour cela avoir
obtenu sa licence qui confère le droit d’examiner, de pratiquer et d’exercer tous les
actes magistraux. La licence est obtenue après d’être soumis à « l’examen
particulier » : l’élève se rend seul au domicile des docteurs qui lui posent des
questions pratiques avec parfois présence d’un malade.
Au terme de ces interrogations, la Faculté, sur scrutin secret, décide si le candidat
est apte à recevoir cette quasi-ordination qu’est la licence.
Celui qui souhaite avoir une place de premier ordre au sein de la Faculté doit
briguer le grade de docteur en soutenant une thèse finale appelée Vespérie.
Modes d’exercice
Comme de nos jours, le médecin peut exercer son savoir, soit de manière libérale, soit
au sein d’un établissement de soins ou encore combiner les deux.
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Celui qui suit le mode libéral se doit de mettre en place l’ancêtre de nos cabinets qui
est alors nommé une étude : le nouveau praticien, pour son installation, a souvent
recours à un emprunt financier.
L’étude demande au moins l’acquisition d’un appartement qui, pour son bon
fonctionnement, réclame une servante, un valet, une bête et un garçon d’écurie.
Dans l’étude, on trouve du point de vue du matériel, des seringues à clystères, des
fioles et des spatules pour l’examen de la gorge.
La tenue de travail du médecin est une robe noire avec sur l’épaule gauche,
l’épitoge. L’apparence de disciple d’Hippocrate est importante : c’est pourquoi, ce
dernier recommande de faire preuve d’une propreté sans faille.
En principe, notre médecin arbore la barbe qui est signe de sérieux.
Le déplacement du médecin ne peut se faire à pieds en raison de l’insalubrité des
rues parisiennes.
Son moyen de locomotion est en général une mule.
La médecine hospitalière en est, en revanche, à ses débuts et le médecin qui opte
pour ce type d’exercice est choisi parmi les docteurs qui ont derrière eux au moins
dix ans de pratique. Ils sont peu nombreux.
Ainsi, le nombre de médecins travaillant à l’Hôtel Dieu est de trois en 1640 et de
six, en 1684.
Ils s’occupent donc d’un nombre considérable de malades et s’organisent déjà selon
un système de visites quotidiennes.
Courants de pensée
Les médecins se divisent en iatro-physiciens qui étudient le corps uniquement en
fonction des règles de la physique et réduisent le corps humain à ses éléments
« solides » et tendent, à expliquer la vie par un ensemble d’actions mécaniques bien
réglées ; et, en iatro-chimistes qui assimilent les transformations de l’organisme à
des opérations chimiques connues et attribuent une part prépondérante sinon
exclusive aux humeurs et à des phénomènes chimiques plus ou moins complexes.
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Les honoraires
Le médecin libéral reçoit un écu pour une visite et un louis pour la consultation.
Le médecin hospitalier perçoit une somme de six cent livres mensuelle. Mais, ce type
d’activité est surtout une activité annexe.
D’une manière générale, le médecin gagne bien sa vie.
Mais ils n’exploitent pas les malades. La Bruyère constate qu’ »ils ne reçoivent pour
leurs visites ce qu’on leur donne » et que « quelques-uns se contentent d’un
remerciement ».
Aussi, le salaire perçu par les hospitaliers sert souvent à faire des dons aux
hôpitaux.
La consultation médicale
Au cours de la consultation, le médecin se livre à un interrogatoire pointilleux au
long duquel, il fait préciser, auprès du malade et de son entourage, les signes de la
maladie et s’enquiert aussi du régime alimentaire du patient.
Il fait ensuite un examen clinique comprenant l’observation du faciès, de la langue,
des yeux et de la couleur de la peau.
L’acte primordial de la consultation est la prise de pouls. En effet, on distingue de
très nombreuses sortes de pouls. On décrit notamment les pouls : redoublé,
capricieux, ondoyant, vermiculant, entrecoupé, fourmillant, élancé, convulsif ou
encore désordonné.
Suivant le pouls, on suspecte ,telle ou telle affection et, l’expérience et la subtilité
du médecin font toute la différence d’un praticien à l’autre.
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L’examen des urines au XVIème et XVII ème siècles, est le plus souvent pratiqué :
n’appelait-on pas les médecins, souvent représentés scrutant un flacon tenu à bout
de bras, les « maîtres-mires » ?
Après avoir versé le liquide dans un bocal spécifique (urinal ou matula), le praticien
en observait à la lumière du soleil, immédiatement et après deux heures, la couleur,
l’odeur, la fluidité, la limpidité (présence de dépôts : hypostase), la texture et même
le goût. L’ensemble de ces critères est mis à profit pour déterminer la maladie.
L’examen des selles, fait partie de la consultation d’alors.
On apprécie leur couleur, leur consistance par l’interrogatoire et on flaire l’odeur
avant de donner une orientation diagnostique.
Une fois l’ensemble des données recueillies, le médecin émet une hypothèse
diagnostique et explique de façon très détaillée l’origine de la maladie.
Il prescrit ensuite un remède et perçoit les honoraires.
Les moyens thérapeutiques en présence
En fait, aussi paradoxale que cela puisse paraître, les vrais responsables de la
situation archaïque dans laquelle se trouve la médecine sont les médecins euxmêmes.
En effet, malgré les avancées majeures qui ont lieu de manière effective, comme on a
pu s’en apercevoir dans le précédent exposé, la majorité des médecins
(principalement ceux de la Faculté de médecine) restent hostiles à tout progrès
scientifique.
Comme la médecine du XVIIème siècle repose entièrement sur la théorie des humeurs
d’Hippocrate et Galien, on pense que la maladie se déclare quand l’équilibre humoral
est altéré.
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Ainsi, évacuer les humeurs trop abondantes ou de mauvaise qualité est donc
l’objectif principal des médecins ce qui se traduit par un arsenal thérapeutique
particulier.
Hippocrate a une grande confiance en la Nature : en cas de dérèglement humoral, il
pense, qu’à des jours déterminés, se déclenche une crise, équivalent de nettoyage de
l’organisme, qui peut se manifester par exemple par des vomissements.
En matière de thérapeutique, le principe de non interventionnisme est la règle.
Il vaut mieux attendre sans rien faire car, la règle de base du médecin est de ne pas
nuire : primum non ocere.
La thérapeutique est donc minimaliste ; à savoir, rien de mieux qu’une diététique
quotidienne pour assurer l’équilibre des humeurs (régîmes, exercices et modération en
toute chose).
Cependant, quand la nature et la discipline individuelle ne suffisent pas, on
applique le principe de contraria contrariis curantur, fondement même de
l’allopathie : ainsi, une surabondance de pituite est réduite par l’administration
d’un médicament réputé chaud, et un excès de bile par celle d’un médicament réputé
sec.
En revanche, nul remède n’est connu pour la suppression du sang corrompu ou
superflu.
On fait alors appel à un chirurgien qui pratique sans beaucoup de discernement la
« très bonne , très sainte et très divine saignée » et parfois plusieurs fois par jours.
Pour contrer une altération humorale, on emploie des purgatifs (comme le célèbre
séné) ou des clystères pour libérer les parties intérieures des substances viciées.
On sait combien les hommes du XVIIème siècle sont tristement ironiques devant les
excès de la triade : saignare, purgare, clysterum donare.
En effet, pour purifier les organes et éliminer les humeurs, on fait des lavements au
clystère, des saignées, des purges et on fait transpirer et saliver en abondance.
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Les médecins comme Fagon imposent un grand nombre de lavements au roi Louis
XIV. De même que Louis XIII a été saigné quarante sept fois en une année par son
médecin Bouvard (successeur d’Héroard).
La saignée ou phlébotomie est prescrite de façon extrêmement fréquente.
Elle serait efficace contre tous les maux et en plus de son indication curative, on en
fait aussi à visée préventive : c’est la saignée périodique.
Contrairement à l’idée qu’on s’en fait, il s’agit d’une technique pour le moins
complexe. Ainsi, on dénombre quarante sept veines propres à la saignée. Chacune
d’entre elles s’impose selon telle ou telle maladie.
Le grand principe à suivre est le suivant : il faut enlever le sang en regard et aux
alentours du territoire atteint par l’affection. Ce geste est à la charge du chirurgien.
La « cérémonie » proprement dite se déroule dans une atmosphère plus grave que lors
du lavement ou de la purge. Le malade reste alité et, trois acteurs s’affairent
autour, à son chevet :
- le médecin éclaire à l’aide d’une bougie
- l’apothicaire présente la palette
- et le chirurgien incise avec une lancette
Les médicaments utilisent les vertus curatives des végétaux : mais, aussi de quelques
venins ou sécrétions animales et de certaines substances minérales (composants
soigneusement décrits par le grec Prédanius Dioscoride, médecine de Néron, dans
une célèbre encyclopédie pharmaceutique) qui fut universellement publiée et
consultée pendant plus de quinze siècles.
Après cueillette, les plantes sont préparées selon des procédés complexes. Les
multiples poudres, tisanes, décoctions, potions, emplâtres, cataplasmes, baumes ou
pilules ainsi obtenus sont proposés aux clients dans les boutiques des apothicaires.
On absorbe ainsi de nombreuses préparations :
- le julep sporatif (potion adoucissante servant à faire dormir)
- la potion anodine (qui agit sans violence pour calmer la douleur)
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- la potion astringente qui a la propriété de provoquer une contraction des
tissus
- la potion cordiale et préservative (fortifiant faisant office de prévention des
maladies) composée de grains de bézoard (pierre médicale d’origine animale
servant de contrepoison) de sirop et de grenade.
- Une médecine(médicament) purgative et corroborative (fortifiante) à base de
casse (fruits des Indes aux propriétés purgatives) et de séné (pulpe de gousse
de casse).
Les clystères (lavements) viennent compléter ces traitements :
- clystères insinuatifs, préparatifs et rémollients (pour décontracter et adoucir
les tissus intestinaux enflammés)
- clystères détersifs [qui nettoient, contenant du catholicon double (remède
universel destiné à purger les humeurs), de la rhubarbe et du miel rosat
(mélangé à une infusion de fruits rouges) ]
- clystères carminatifs (qui chassent les gaz digestifs).
Au XVII ème siècle, les végétaux occupent la première place en pharmacopée.
Ces plantes sont indexées dans des codex et des antidotaires (espèces de gros
ouvrages volumineux dont les auteurs se veulent exhaustifs).
Les plantes en provenance de nos régions sont bien connues mais, celles venant de
l’étranger, semblent douées de pouvoirs encore plus grands.
Tentons donc de décrire les principaux végétaux présents de manière quasi constante
dans les prescriptions d’alors.
En premier lieu, il faut citer la rhubarbe. Il en existe de nombreuses variétés. La
rhubarbe présente dans les officines est nommée rhubarbe du levant et nous vient de
Chine. ; elle est de prescription très courante. De plus, elle agirait sans générer
d’effet indésirable.
Aussi utilisé que cette plante, on trouve le séné qui a aussi une provenance exotique.
C’est une espèce de casse de la famille des césalpiniacées aux propriétés laxatives
avérées.
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Dans le même registre, on utilise très régulièrement la casse (longue gousse
contenant une pulpe laxative) ; elle provient des Iles et du Levant.
Ces trois végétaux en raison de leur administration généreuse, constituent ce que
l’on appelle le « trépied thérapeutique ».
A propos de l’importance des végétaux, dans la pharmacopée d’alors, mentionnons
la thériaque (composition recensée au livre V de son Canon par Avicenne).
Sa composition originale considérée comme la meilleure est celle d’Andromaque.
Celle de Galien présente toutefois des modifications par rapport à celle
d’Andromaque. Pour la thériaque, Avicenne ne mentionne pas moins de quatre vingt
quatre prescriptions. Elle serait efficace contre les morsures de serpents, les
morsures de chiens, les empoisonnements, les maladies bilieuses, les fièvres,
l’apoplexie, les syncopes, l’épilepsie, les paralysies faciales, la folie, la lèpre, les
maladies du cœur, les palpitations, la diminution du désir sexuel, la baisse de
l’appétit, les problèmes de respiration, les hémorragies. Elle aurait des vertus
diurétiques et préviendrait les ulcères.
En prise régulière, en bonne santé, on lui attribue un effet préventif sur
l’apparition des maladies et des épidémies.
Elle ne compte pas moins de cinquante six ingrédients principalement des végétaux
ayant des vertus antiseptique, tonique, émétique, purgative, antispasmodique,
diurétique, fébrifuge, antirhumatismal, astringent, anti-asthmatique, carminative,
aphrodisiaque, sédative, laxative et narcotique.
La thériaque comprend deux ingrédients de base indispensables : la vipère et
l’opium.
Dans la pratique quotidienne, il en circule plusieurs formules dont l’une est appelée
la thériaque des pauvres en raison de son faible prix.
Citons également l’orviétan, drogue inventée par Ferrante d’Orviéto qui est
largement utilisée au XVIIème siècle. Il s’agit d’une poudre médicinale miracle
(composée de cinquante quatre drogues) vendue notamment par Christophe Contugi
sur le Pont Neuf (sous la forme d’un électuaire) qui est censé guérir tous les maux
comme par exemple la gale, la teigne, la goutte, la vérole, la rougeole ou encore la
hernie.
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Cependant, jusqu’au XIX ème siècle, fort peu de nouvelles plantes médicinales entrent
dans les pharmacopées.
Venus d’Amérique du Sud ou d’Asie, le XVIIème siècle voit l’arrivée du quinquina,
de l’ipéca mais aussi du thé et du café.
La quinquina est une écorce fébrifuge, tonique et astringente, au goût amer fournie
par de nombreux arbres du genre Cinchona.
Ses propriétés antimalariques furent remarquées par les Indiens de Pérou et connus
des Européens vers 1640.
En France, son usage se répand rapidement sans rencontrer d’opposition.
Ses effets contre les fièvres sont spectaculaires et à la Cour comme auprès des
médecins les plus influents, ce remède bénéficie d’une opinion très favorable et son
utilisation dépasse bientôt le champs de la thérapeutique pour être consommé au
cours des repas de façon conviviale.
Enfin, à la fin du siècle, la pharmacopée se trouve étoffée de l’ipéca qui appartient
à la famille des rubiacées, uragoga Ipécacuanha.
Ce végétal contient de l’émétine, de la psychotrine et de la céphéline qui sont des
alcaloïdes à propriétés vomitives et antidysentériques.
Il convient cependant de préciser que les remèdes constituant la pharmacopée d’alors
proviennent également dans une certaine mesure, des minéraux et des animaux.
Ainsi, parmi les médicaments d’origine animale, si certains se rattachent à la magie,
d’autres paraissent plus sérieux et, sont en vogue entre le XVII ème siècle et le
XVIII ème siècle. L’apothicaire utilise la chair, l’os et le sang de certains animaux.
Il se sert en premier de la vipère, ingrédient majeur de la fameuse thériaque, mais
aussi de l’huile de foie de morue, d’araignées, blattes, scorpions, escargots, vers de
terre et autres sangsues.
Il faut également noter l’importance du miel, longtemps utilisé comme excipient.
Même du corps humain, on tire des ressources pharmaceutiques. Par exemple, les
ongles sont des vomitifs et le cérumen est efficace contre les panaris.
Les pierres précieuses sont encore très utilisées au XVII ème siècle.
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Chacune a son champ d’action thérapeutique. Dans le même registre, on se sert des
perles et du corail. Ces pierres sont surtout employées par contact quoiqu’elles
entrent parfois dans la formule de diverses préparations.
Certains métaux s’introduisent dans la pharmacopée : la iatrochimie commence à
peser un peu plus. L’or est bien entendu le métal jouissant de la réputation optimale
et présent dans les poudres et pilules.
N’oublions pas dans cette catégorie, l’exemple de l’antimoine.
C’est un métal connu depuis l’antiquité. Hippocrate lui attribue des vertus
purgatives. Au XVIIème siècle, on lui reconnaît des actions laxatives et vomitives.
Mais, son acceptation en tant que remède est longtemps sujette à polémique.
En effet, La Faculté demeure pendant des décennies convaincue qu’il s’agit d’un
poison et, des médecins dissidents de plus en plus nombreux vont tenter de prouver
ses potentialités thérapeutiques.
Finalement, ces derniers parviennent à leur fin et on l’administre en purge sous
forme de pilules nommées « pilules perpétuelles » (le patient les loue chez
l’apothicaire et les lui rend après usage).
Il entre dans la formule de ce que l’on appelle le vin émétique.
L’antimoine ne peut être donné à un malade par l’apothicaire uniquement avec
l’aval d’un médecin.
A côté de toutes ces substances, l’eau est une autre ressource naturelle qu’utilise
largement la médecine : à partir du XVIème siècle, le thermalisme connaît une grande
vogue dans toute l’Europe et de nets progrès sont faits par rapport aux notions
héritées des Romains.
On en dénombre pas moins de trois cent cinquante sept sortes.
Le traitement est administré sous plusieurs formes : boissons, bains, séances de
vapeur et applications de boue.
Citons pour mémoire l’une d’entre elles : il s’agit de l’eau de mille fleurs
correspondant à l’urine de vache à l’état brut; son indication est la crise de goutte.
La posologie est de deux verres par jour.
46
L’ensemble de ces substances et, quelque soit leur origine, sont présentées sous
différentes formes pharmaceutiques dont certaines sont connues depuis l’antiquité.
Citons quelques exemples de médicaments à usage externe :
- les pommades, à base de pulpe de pommes malaxées, utilisées pour un grand
nombre d’affections. Elles sont connues depuis l’Antiquité.
- Les onguents, à base de produits résineux, s’appliquent sur les brûlures
- Les cataplasmes, à base d’huile de lin ou de graines de moutarde, soulagent
les inflammations.
Citons quelques exemples de médicaments à usage interne :
- les sirops, à base de sucre de canne et de différentes plantes
- les pilules, qui existaient déjà chez les Romains. Ce sont de petites sphères
contenant des plantes médicamenteuses sous forme de poudre.
- Les électuaires, pâtes molles à base d’épices, de plantes, d’animaux et de
minéraux malaxés. Les ingrédients finement broyés en poudre sont mêlés à du
miel ou à du sirop épais.
Le plus connu des électuaires est la thériaque.
47
Les autres professions de santé au XVII ème siècle
L’apothicaire
Ses fonctions principales sont de préparer et de vendre les médicaments dans une
boutique.
Jusqu’au XVIII ème siècle, les médecins sont les seuls à pouvoir donner les
médicaments car, les apothicaires appartiennent toujours à la corporation des
épiciers.
Ce n’est pas une profession libérale, elle est organisée en corporations.
Le cursus de formation est organisé en trois périodes.
La période d’apprentissage, d’une durée de quatre ans durant laquelle l’étudiant
fait l’acquisition de connaissance basiques en latin.
Puis, suit une période de compagnonnage pendant laquelle il commence à préparer
quelques médicaments parmi les moins compliqués et qui dure jusqu’à ce que l’élève
ait atteint sa vingt cinquième année.
Enfin, il doit ensuite satisfaire aux redoutables épreuves de la maîtrise au cours de
laquelle ses connaissances tant pratiques que théoriques sont mises à l’épreuve.
Il existe deux modes d’exercice.
L’Hôtel Dieu se médicalise au XVIème siècle et c’est à cette époque qu’est engagé son
premier apothicaire permanent.
Il assiste tous les jours à la visite des malades de l’hôpital, prépare les médicaments,
les fait prendre aux patients et observe les résultats obtenus : il s’agit du mode
d’exercice de l’apothicaire hospitalier.
Hors du contexte hospitalier, il a une boutique, élabore et vend des préparations
simples ou complexes. Son apothicairerie change de nom au XVIIème siècle et
s’appelle désormais pharmacie.
Au XVII ème siècle, l’apothicaire en visite est vêtu de noir ou de violet foncé. Il porte
une culotte courte, des souliers à boucle, une perruque, un chapeau rond et tient une
mallette à médicaments lorsqu’il se rend chez son patient.
Il est reconnu que ce métier génère des gains importants mais, il existe par ailleurs
des pertes car les produits coûtent chers et les moyens de les conserver sont
précaires.
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Le Chirurgien
La chirurgie, condamnée par l’église, est ramenée au rôle de pratique barbare jusqu’à
la Renaissance.
Les chirurgiens du XVIème siècle sont surtout appelés à exercer leur art aux armées.
Le plus connu d’entre eux est Ambroise Paré. C’est le premier à abandonner la
cautérisation des plaies.
Au XVII ème siècle, seuls les barbiers-chirurgiens pratiquent.
Ils agissent sous les ordres et le contrôle des médecins et n’opèrent que si la
médecine se montre inefficace. Ce ne sont que de vulgaires manœuvres selon les
médecins qui, de part leur sacro-saint statut, ne sont pas autorisés à toucher le
scalpel.
Les barbiers se consacrent à la petite chirurgie courante que la vie quotidienne rend
toujours nécessaire (les hommes portent une arme en permanence) ; et les chirurgiens
gèrent les opérations plus conséquentes.
Les actes sont les suivants : ils rasent et coupent les cheveux, ouvrent les abcès
superficiels, font saigner, mettent des ventouses et appliquent des cautères.
Ils soignent les fractures et autres luxations par réduction.
Le manque d’instruments se fait sentir et la chirurgie ne connaît pas encore
l’asepsie, ni l’antisepsie.
Elle ignore aussi l’anesthésie par l’éther ou le chloroforme.
Une des caractéristiques marquantes de cette époque est le fait que la situation
sociale des chirurgiens est inférieure à celle des médecins : ce sont en quelque sorte
les domestiques des médecins qui leur délèguent certaines tâches manuelles.
Leurs revenus sont moins élevés que ceux des médecins.
D’un point de vue général, les progrès majeurs de la chirurgie du XVIIème siècle sont
les progrès de l’obstétrique avec la mise au point des forceps par Chamberlain et le
traitement de la cataracte par refoulement du cristallin dans la chambre antérieure
de l’œil.
Et, dans la pratique quotidienne, un grand nombre d’interventions sont pratiquées :
on utilise la suture sur l’intestin ou sur l’estomac, les réductions des hernies
ombilicales, les ablations de kystes et de tumeurs et, le traitement des varices et des
dents avec notamment pose de dents artificielles.
Ils utilisent les ponctions, la paracentèse, la cautérisation ou encore la ligature.
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LA MEDECINE MOLIERESQUE
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Dans l’œuvre de Molière, la médecine est présente de manière récurrente. L’action
de plusieurs pièces s’articule autour de ce thème.
Ainsi, qu’il s’agisse de farces, de comédies ou encore de comédies-ballets, on nous
propose une médecine disséquée dans tous ses états.
Ces pièces, et non des moindres, sont :
La jalousie du Barbouillé
Le médecin volant
Dom Juan(1665)
L’Amour Médecin (1665)
Le Médecin malgré lui (1666)
Monsieur de Pourceaugnac (1669)
Le Malade Imaginaire (1673)
Comme nous l’avons vu, dans la première partie de notre étude, la position de
Molière quant à la médecine suscite de l’intérêt pour deux raisons :
Il s’agit non seulement d’une critique émanant d’un homme éclairé, notamment sur
le sujet, et dont les prises de position bénéficient d’un promontoire sans précédent.
Cette critique de la médecine est très riche ; elle s’attache à toutes ses facettes de
manière quasi-exhaustive sous la forme d’une nébuleuse de situations où s’agitent
malades et médecins, vrais ou feints, ornés de multiples travers, évoluant dans une
médecine aux pratiques, résultats et méthodes plus ou moins raisonnés, elle-même,
souvent mêlée à des stratagèmes extra médicaux aux cours desquels on en profite
pour distiller sereinement une philosophie quant à cette science et ses prétentions.
L’exposé et l’analyse des données se feront selon trois axes principaux.
D’abord, nous étudierons la place de l’homme dans la satire médicale : les critiques
visent autant l’homme praticien que l’homme malade.
Ensuite, nous mettrons en scène la médecine existante et agissante à travers la
formation des praticiens et la pratique quotidienne.
Enfin, il conviendra d’exposer la dimension philosophique dans laquelle s’inscrit la
satire médicale.
51
L’œuvre de Molière réserve à l’homme une place de choix dans la satire médicale.
En effet, il faut reconnaître que la description habile des travers humains se prête
volontiers au ton de la caricature nécessaire au relief théâtral et tremplin au
combien judicieux pour distiller de manière efficace des propos ciblés.
Cette description s’attaque au praticien comme au patient.
Ainsi, c’est avec virtuosité que l’auteur se délecte à dépeindre, en guise de médecin,
une sorte de concentré de tares et de malfaçons aussi détestable que sa robe est
chatoyante.
Avant de nous intéresser à la personnalité de notre médecin-type, arrêtons-nous sur
un détail que Molière prend soin de mettre en exergue : l’apparence du praticien.
En effet, ce qui distingue, de prime abord , le médecin du commun des mortels, c’est
sans conteste son habit et son apparence physique.
A ce sujet, Molière nous régale de détails et tous les faux médecins qu’il recrute au
gré des quipropos s’évertuent à se déguiser au mieux car, leur crédibilité semble
étroitement corrélée à leur accoutrement.
Molière cherche, à ce sujet, à contredire le fameux dicton et affirme, en substance,
que l’habit fait le moine ou plutôt que la robe fait le médecin.
L’esthétisme du praticien repose sur deux piliers, à savoir, l’aspect physique et la
tenue vestimentaire.
Pour ce qui est du physique proprement dit, un détail est récurrent ; il s’agit du port
de la barbe, fait présenté comme gage de sérieux et d’érudition : un médecin sans
barbe est moins savant qu’un médecin barbu.
Dans le Malade Imaginaire, Toinette ironise : « Tenez, monsieur, quand il n’y
aurait que votre barbe, c’est déjà beaucoup, et la barbe fait plus de la moitié d’un
médecin. » (acte 3, scène 14).
Sans doute est-ce la raison pour laquelle s’inquiète Sganarelle en apercevant
Clitandre en praticien : « voilà un médecin qui a la barbe bien jeune »
52
Heureusement, la servant Lisette est là pour servir l’opinion de Molière, adepte du
bon sens et de la raison : « la science ne se mesure pas à la barbe, et ce n’est pas par
le menton qu’il est habile ». (Acte 3, scène 5)
Quant à la tenue vestimentaire, Molière habille ses médecins comme les praticiens
d’alors. Ils arborent donc robes et bonnets.
Toutefois, il se permet quelques excentricités pour nourrir la caricature. Quand
Sganarelle (du Médecin malgré lui) s’improvise médecin, l’auteur précise qu’il
apparaît en robe de médecin, avec un chapeau des plus pointus. Or, si Molière se
permet de parachever les costumes de base par cet attribut, en le soulignant de la
sorte, c’est sans doute pour le différencier de la tenue de base.
Devons nous y voir une allusion au caractère affûté des seringues à clystère si
fréquentes ?
Cette tenue, tant mise à l’honneur, est primordiale chez Molière : car, elle n’est pas
le simple symbole de la profession, elle est la profession : autrement dit, quiconque
revêt la robe est, de ce fait , médecin à part entière.
Ainsi la robe donne au propos émis leur caractère savant et inspire le respect
d’autrui.
Béralde nous l’enseigne (Le Malade Imaginaire, acte 3, scène 14) : « En recevant la
robe et le bonnet de médecin, vous apprendrez tout cela, et vous serez après plus
habile que vous ne voudrez » ; « l’on n’a qu’à parler ; avec une robe et un bonnet,
tout galimatias devient savant, et toute sottise devient raison. »
Sganarelle, de Dom Juan (Acte 3, scène 1) a déjà remarqué le succès de son
déguisement : “Mais savez-vous, Monsieur, que cet habit me met déjà en
considération, que je suis salué des gens que je rencontre, et que l’on me vient
consulter ainsi qu’un habile homme?
Seulement, si la tenue est plutôt rassurante, le praticien (feint ou réel) qu’elle abrite
est souvent effrayant de par ses nombreux défauts et, parfois, même émouvant à
cause de sa faiblesse d’esprit patente.
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En fait, si comme nous aurons l’occasion de la voir, tous les malades qu’il côtoie
sont saints, on peut dire qu’en revanche, le médecin de Molière présente une
personnalité que nos psychiatres qualifieraient sans mal de « borderline ».
Un des moteurs, sinon l’unique, du professionnel de santé est son intérêt avéré pour
l’argent : il est vénal.
Par suite, il en ressort deux constantes : le médecin est riche et la raison d’être de la
profession est de générer des gains conséquents.
Et, lorsqu’il s’agit de servir les intérêts de quelque stratagème, même extra médical,
tous les médecins, en présence, manifeste un attrait majeur pour le gain.
Les différentes pièces multiplient les exemples :
Léandre (du Médecin malgré lui), pensant qu’il s’agit d’un professionnel, n’hésite
pas à proposer à Sganarelle de lui rendre service contre de l’argent : « vous aurez
contentement avec vous et vous gagnerez ce que vous voudrez, en vous laissant
conduire où nous prétendons vous mener. » (Acte 1, scène 5).
Sganarelle, au vue de tant de promesses, mesure le confort de ce métier : « je trouve
que c’est le métier le meilleur de tous ; car qu’on fasse bien, ou soit qu’on fasse mal,
on est toujours payé de même sorte » (Acte 3, scène 1).
Toinette, du Malade imaginaire, s’exclame lorsqu’elle apprend le niveau de richesse
de Purgon : « il faut qu’il ait tué bien des gens pour s’être fait si riche ».
On suggère, ici, la corrélation étroite entre les revenus du praticien et le nombre
d’actes effectués.
Le Docteur qui officie dans la Jalousie du Barbouillé fait preuve d’un intérêt
majeur pour l’argent et le Barbouillé qui veut le résoudre à l’aider s’explique : « à
cause qu’il est vêtu comme un médecin, j’ai cru qu’il lui fallait parler d’argent »
(scène 2).
Contre de l’argent, Sganarelle (médecin improvisé) du Médecin volant, est prêt à
servir les intérêts d’un plan sans rapport avec la médecine.
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Enfin, le plaidoyer de Mr Filerin, réel médecin, qui officie dans l’Amour médecin,
est éloquent et le versant commercial de la médecine est flagrant : « ‘N’allons point,
dis-je détruire sottement les heureuses préventions d’une erreur qui donne du pain à
tant de personnes et de l’argent de ceux que nous mettons en terre, nous font élever
de si beaux héritages ».
Le second trait de personnalité du médecin qui frise la névrose obsessionnelle est son
dévouement pathologique à appliquer à la lettre l’enseignement qu’il a reçu de ses
aînés.
En fait, l’objectif de la médecine pour ce type de patricien n’est pas la guérison mais
uniquement la répétition systématique et sans discernement des règles établies par la
Faculté.
Et Molière nous régale de phrases assassines :
- Sganarelle (feint médecin du Médecin volant) : « il ne faut pas qu’elle
s’amuse à se laisser mourir sans l’ordonnance du médecin (scène 4)
- Sganarelle (faux médecin du Médecin malgré lui) : « il ne faut pas qu’elle
meure sans l’ordonnance du médecin » (scène 4)
- Mr Tomes (vrai praticien de l’Amour médecin) : « un homme mort n’est qu’un
homme mort, et ne fait point de conséquence ; mais une formalité négligée
porte un notable préjudice à tout le corps des médecins. » (Acte 2, scène 3)
- Mr Bahys (réel médecin de l’Amour médecin) : « il vaut mieux mourir selon
les règles, que de réchapper contre les règles » (Acte 2, scène 5).
Le Médecin de Molière ne fait preuve d’aucune forme de psychologie à l’encontre de
son patient : il apparaît comme dénué d’humanité et n’a pas l’air en mesure de
ressentir le moindre sentiment de compassion envers la souffrance et la détresse des
personnes qu’il est amené à côtoyer dans l’exercice de sa profession.
Il est aussi mégalomane et s’improvise dépositaire d’un pouvoir quasi divin de vie
ou de mort vis à vis du malade : ainsi, Mr Purgon (acte 3, scène 6) prévient son
malade qu’il juge peu compliant aux traitements : « et je veux, qu’avant qu’il soit
quatre jours vous deveniez dans un état incurable » et, de la même façon,
Sganarelle, du Médecin malgré lui, menace : « Je te donnerai la fièvre » (acte 2,
scène 3
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Par un procédé incidieux, Molière laisse penser que le niveau intellectuel des
praticiens n’est pas très élevé. Ce procédé est simple : lorsque la situation requiert
un médecin feint, il fait systématiquement interpréter ce rôle par un valet ou une
servante avec semble-t-il beaucoup de crédibilité auprès des autres protagonistes.
En fait, on peut raisonnablement penser que toutes ces personnalités pathologiques
sont bien entendues exagérées par rapport à la réalité et que ce portrait corrosif sert
la caricature ; cependant, c’est lorsque Molière n’est pas impitoyable dans la forme
que la critique prend tout son sens et que la proximité avec la réalité est la grande.
En fait, le médecin est un être faible qui n’a pas vraiment pour seule motivation de
faire illusion avec une logorrhée verbale : il croit sincèrement en son art.
Ce qu’on peut lui reprocher, d’après l’auteur, c’est qu’en plus d’être faible et crédule
comme tout le monde vis à vis de cette science et de ses prérogatives, ce dernier
manifeste la prétention de vouloir en faire profiter les autres et les siens : en fait, le
médecin n’est pas mal intentionné.
Et Béralde de faire le « plaidoyer » de ces faibles d’esprit que sont les médecins :
« Il y en a parmi eux, qui sont eux-mêmes dans l’erreur populaire… il ne lui faut
point vouloir mal de tout ce qu’il pourra vous faire ; c’est de la meilleur foi du
monde qu’il vous expédiera, et il ne fera, en vous tuant, que ce qu’il fait à sa femme
et à ses enfants, et ce qu’en un besoin il ferait à lui même »
Il s’agît là, comme on le verra, de l’imposture scientifique de la médecine qui selon
la philosophie de Molière n’aurait pas d’existence légitime.
La critique de l’humain dans cette satire s’applique également à l’homme patient.
Molière attaque les gens qui font appel aux services de la médecine.
Et il apparaît comme une faiblesse de recourir systématiquement et sans
discernement aux services de ce type de professionnel et surtout de placer en eux,
une confiance exacerbée.
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Le patient en présence est naïf et hypnotisé par des propos savants qui n’on qu’un
seul but, le distraire : toute parole émise de la part d’un homme ayant l’apparence
d’un médecin a une emprise, semble-t-il, injustifiée sur ses contemporains.
Molière ne ménage pas ses flèches contre les hommes avides de conseils médicaux :
ceux-ci apparaissent affublés d’une crédulité sans borne et, comme on le note dans le
Médecin volant, un médecin qui ne saurait pas lire reste crédible.
Le patient apparaît comme une sorte d’enfant ou d’élève qui serait soumis à
l’autorité d’une grande personne : ainsi, il se laisse volontiers commander ses
actions par un professionnel, présomptueux, qui installe insidieusement une
véritable hiérarchie militaire.
Le premier médecin, dans Monsieur de Pourceaugnac, redéfinit ce rapport de force :
« Il est lié et engagé à mes remèdes, et je veux le faire saisir où je le trouverai,
comme déserteur de la médecine, et infracteur de mes ordonnances ». (Acte 2, scène1)
En fait, le plus grand travers de l’homme malade, ou se considérant comme tel, reste
son amour pour la vie d’où les efforts que ce dernier est prêt à consentir pour la
conserver : ainsi, Molière, dans l’Amour médecin, édulcore sa critique des patients
en expliquant que le réel faible de l’homme est sa peur de la mort : c’est précisément
ce talon d’Achille qui explique son comportement et, par la même occasion,
l’existence de la, médecine et non des les résultats obtenus par cette science.
Mr Filerin, de l’Amour médecin, définit cette notion : « le plus grand faible des
hommes, c’est l’amour qu’ils ont pour la vie… ;conservons nous donc dans le degré
d’estime où leur faiblesse nous a mis. » (Acte 3, scène 1)
En fait, Molière reproche aux patients potentiels de n’être pas assez lucides pour se
rendre compte que bien souvent le recours à la médecine n’est pas justifié et que
dans les cas où celui s’avère nécessaire la confiance accordée doit l’être avec recul et
parcimonie.
Comme nous venons de le constater, Molière blâme les médecins au travers de ce que
l’on peut appeler l’imposture humaine : il raille l’homme qui s’abrite sous la robe
noire.
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Mais, Molière ne se contente pas d’égratigner les hommes exerçant la médecine, il
attaque la médecine en elle-même, celle qui est pratiquée à son époque.
Dans un souci de clarté et d’exhaustivité, nous étudierons la médecine mise en scène
par l’auteur, selon le plan traditionnel de l’observation médicale.
L’interrogatoire du patient est une étape importante de la consultation : cet
interrogatoire, en raison de l’héritage hippocratique et de la faiblesse des
explorations cliniques et para cliniques, revêt une importance accrue à cette époque.
Molière y prend garde et « ses médecins », réels ou feints, ne négligent pas cette
phase de l’observation médicale.
Comme cela se produit dans la pratique médicale d’alors, le médecin fait subir au
patient un interrogatoire, quasi policier, le plus souvent composé de questions
fermées auxquelles on est censé répondre de façon laconique pour satisfaire à la
question suivante qui s’enchaîne rapidement.
L’interrogatoire vise à la fois le malade et son entourage.
On s’enquiert des signes fonctionnels, du mode de vie et du régime alimentaire.
A l’instar de Toinette (faux médecin), dans le Malade Imaginaire (acte 3, scène 10),
on demande : « que sentez-vous ? vous avez appétit à ce que vous mangez ? vous
aimez boire un peu de vin ? Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous
êtes bien aise de dormir ? Que vous ordonne votre médecin pour votre nourriture ? »
Sganarelle (faux médecin) dans le Médecin volant (scène 5) dépiste la présence de
signes fonctionnels comme les céphalées : « Sentez vous de grandes douleurs à la
tête, aux reins ? »
Et le premier médecin (vrai médecin) qui officie dans Monsieur de Pourceaugnac
(acte 1, scène 8) se montre aussi très avide de renseignements concernant l’habitude
du malade : « Mangez-vous bien Monsieur ? Dormez-vous fort ? Faites vous des
songes ? de quelle nature sont ils ?, vos déjections, comment sont elles ? »
Cependant, si les médecins de Molière criblent leurs patients de questions, il est
intéressant de relever que seul un faux médecin, comme Sganarelle, dans le Médecin
volant (scène 5) pense à demander à la personne qu’il consulte si elle est bien
malade : « hé bien ! Mademoiselle, vous êtes malade ? »
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Il est vrai qu’au lieu de s’investir dans des raisonnements le plus souvent complexes,
les vrais médecins ne s’imaginent pas que le consulté puisse être sain et ne prennent
pas la peine de le vérifier par une question, peu savante, il va s’en dire.
Cet interrogatoire, bien rodé, semble se moquer des réponses qu’il suscite et ne laisse
pas au patient la possibilité de s’exprimer en détails.
Une fois encore, c’est Sganarelle, le médecin feint, qui se permet de poser des
questions plus ouvertes poussant le patient à parler : « Eh bien ! de quoi est-il
question ? Qu’avez vous ?, Quel est le mal que vous sentez ? »
De cette manière, Molière met clairement en balance les questions que trimbalent, en
quantité et sans discernement, les vrais praticiens et les questions que le bon sens
nous incite à poser, émanant de personnes aussi étrangères à la pratique médicale
que les valets qu’il met en scène.
Un fois l’interrogatoire terminé, le médecin, mis en scène, fait l’examen clinique de
son patient.
Parfois, certains praticiens se permettent de faire l’anamnèse du malade tout en
l’examinant. C’est le cas de vrais praticiens qui s’ « occupent » de Monsieur de
Pourceaugnac et qui le harcèlent de questions tout en lui tâtant le pouls.
Dans la pratique médicale de l’époque, l’examen clinique comprend une phase
d’inspection du patient au cours de laquelle on observe, entre autres, la langue, le
faciès ou encore les yeux et une phase d’examen proprement dite qui se résume, en
pratique, à la prise du pouls.
Les investigations para cliniques s’attachent à l’étude des selles et des urines.
Ces différents versants de l’examen clinique apparaissent dans le théâtre de Molière
même si, comme nous le verrons, la prise du pouls est franchement mise en exergue.
59
Molière illustre la place de l’observation du malade avec le comportement du
Premier médecin (vrai médecin) de Monsieur de Pourceaugnac (acte 1, scène 8) qui
fonde son diagnostic entièrement sur les informations que lui apportent l’allure et le
comportement du patient qu’on lui soumet :
« Qu’ainsi ne soit, pour diagnostiquer incontestable de ce que je dis, vous n’avez
qu’à considérer ce grand sérieux que vous voyez ; cette tristesse accompagnée de
crainte et de défiance, signes pathognomoniques et individuels de cette maladie, si
bien marquée chez le divin Hippocrate ; cette physionomie, ces yeux rouges et
hagards, cette grande barbe, cette habitude du corps, menue, grêle, noire et velue,
lesquels signes le dénotent très affecté de cette maladie ».
Dans le théâtre de Molière, les faux médecins se montrent les plus « complets » dans
leurs investigations ; puisque, seuls ces derniers se livrent à l’examen des urines qui
est pratique courante en réalité.
Sganarelle (faux médecin), dans le Médecin volant (scène 4) mire les urines de la
malade Lucile pour mettre une orientation diagnostique : « voilà de l’urine qui
marque une grande chaleur, grande inflammation dans les intestins : elle n’est pas
tant mauvaise pourtant » et, les goûte ensuite pour étayer son jugement et mieux
apprécier l’évolutivité de l’affection : « les médecins d’ordinaire, se contentent de la
regarder ; mais moi, je l’avale, parce qu’avec le goût je discerne bien mieux la cause
et les suites de la maladie ».
Rappelons que l’examen des urines d’alors comprend effectivement une
interprétation visuelle et gustative.
Mais, revenons au point crucial de l’examen clinique à savoir, la prise du pouls.
Cette pratique donne lieu à un véritable cérémonial que Molière prend plaisir à nous
offrir.
Dans le Malade imaginaire, on peut successivement comparer la prise du pouls par
deux praticiens distincts : d’abord, on voit à l’œuvre Thomas Diafoirus, jeune
médecin, prototype même du médecin que s’applique à former la Faculté ; puis, on
assiste à la manière de procéder plus « terre à terre » de Toinette, promue médecin
pour l’occasion.
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Cette quasi simultanéité des deux pratiques n’est pas anodine et autorise, une fois
de plus, Molière à démontrer l’efficacité qu’a le bon sens sur la répétition d’actes
menés sans discernement ni recul.
La scène où Thomas Diafoirus prend le pouls d’Argan (acte 2, scène 6) équivaut à
une véritable dissertation sur le dit pouls avec, pour sa description, pas moins de
quatre qualificatifs eux-mêmes enrobés de latin.
Certes Molière force un peu le style du jeune disciple d’Hippocrate mais, c’est
évidemment ainsi que le philiatre apprend à s’exprimer, à la Faculté, avec
redondance, reprise oratoires et mots savants.
Bien qu’érudite et respectable, cette « logorrhée » sémiologique aboutit à la
formulation d’une hypothèse diagnostique bien vague et peu informative pour le
patient.
Thomas Diafoirus tâtant le pouls d’Argan :
« Dico que le pouls de monsieur est le pouls d’un homme qui ne se porte pas bien ;
qu’il est diuruscule, pour ne pas dire dur ; repoussant ; et même un peu caprisant ».
En revanche, lorsque Toinette (faux médecin) prend le pouls d’Argan, elle ne
s’encombre pas de discours alambiqués pour se lancer et avancer une hypothèse
expliquant ce qu’elle trouve. Ainsi cette servante, improvisée à la hâte, exprime avec
des mots simples ce que la raison et la claivoyance lui dictent.
Que dit-elle ? : « donnez-moi votre pouls. Ouais ! ce pouls là fait l’impertinent ; je
vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui est votre médecin ? »
Molière, par la voix de Toinette, nous fait la démonstration criante de l’efficacité
du raisonnement fondé sur la logique et l’observation ; et, nous rappelle la stérilité
des propos savants du vrai praticien ayant officié un peu plus haut.
Ainsi, du haut de nos connaissances actuelles, on est impressionné de voir que deux
notions majeures sont introduites par Toinette en l’espace de quelques lignes :
d’abord, lorsqu’elle prend le pouls, elle retrouve un signe fonctionnel objectif que
l’on peut imaginer être une tachycardie et n’use que d’un unique terme pour le
définir (« impertinent » ; ensuite, toujours guidée par sa seule logique, elle attribut,
à juste titre, cette tachycardie au fait qu’il s’agît d’une première consultation
(soumettant le patient à un stress inhabituel) :
61
Molière met en scène, en 1673, notre très contemporain effet « blouse blanche ».
Une fois, interrogatoire et examen clinique, menés à bien, il est temps d’avancer des
hypothèses étiologiques et si possible diagnostiques.
Or, pour un médecin (de fortune, comme Toinette) qui émet une explication pour le
moins crédible, il y a, dans le théâtre de Molière, quantité de médecins (réels de
surcroît) qui se lancent dans des explications interminables, incompréhensibles et
surtout surréalistes.
Pour révéler, au grand jour, l’inexistence des capacités de diagnostic qu’il reproche
aux médecins, Molière met sur pied un protocole discret mais, au combien parlant :
preuve suprême de l’inefficacité des praticiens, tous les malades de Molière sont
sains.
Cependant, même si les malades qu’ils côtoient sont en parfaite santé, les médecins,
très imaginatifs, ne tarissent pas d’étiologies, plus ou moins complexes et
intelligibles, pour expliquer, les maladies virtuelles.
Aucun des médecins de Molière ne se rend compte que son malade est sain. Ces
médecins nous livrent des diagnostics farfelus eux-mêmes motivés par des arguments
inconsistants toujours ornés de subtilités de langage.
Une seule fois, un médecin conclut son examen par un diagnostic précis et énonce
une entité pathologique bien étiquetée. Il s’agit du Premier médecin de Monsieur de
Pourceaugnac (acte 1, scène 8) qui annonce sans détour que le malade potentiel est
atteint de « mélancolie hypocondriaque »
Mais, si on peut rendre hommage à cette prise de position nette, on est déçu
d’apprendre qu’en guise d’étiologie, nous est offerte une nébuleuse de facteurs où se
mêlent « pléthore obturante » et « cacochymie luxuriante par tout le corps »
Dans les autres « cas cliniques » que l’on aborde, les professionnels se retranchent
derrière des mécanismes étiologiques peu convaincant et ne donnent pas vraiment de
diagnostic.
62
On ne s’étonne pas d’apprendre que si Lucinde du Médecin malgré lui (acte 2, scène
4) est muette, c’est parce « qu’elle a perdu la parole » et que ce déficit est dû à
« l’empêchement de l’action de la langue ».
Molière accentue le trait de la critique quand il met en scène de vrais médecins qui
plaident, au moment du diagnostic, pour des conclusions très éloignées.
Dans le Malade imaginaire (acte 2, scène 6), Thomas Diafoirus pense qu’Argan est
atteint d’une « intempérie dans le parenchyme splénique » ce qui inquiète ce dernier
car, son médecin traitant opte pour une hépatopathie.
La comédie l’Amour médecin, quant à elle, met en scène cinq vrais médecins qui,
l’heure du diagnostic venue (acte 2, scène4 ) s’empoignent violemment, l’un
incriminant « une grande chaleur de sang », l’autre défendant la « pourriture
d’humeurs, causée par une trop grande réplétion ».
Une fois le diagnostic établi, il est temps de proposer une thérapeutique. Ce thème
central, chez Molière, est un puits de critiques féroces.
Quand Molière s’intéresse aux traitements médicaux, il met l’accent sur deux
problèmes : premièrement, on insiste sur la notion que l’arsenal thérapeutique est à
l’état embryonnaire ; en second lieu, on s’aperçoit que cette pénurie de moyens
thérapeutiques semble être un faux problème puisque, selon l’auteur, l’ambition de
la médecine présentée n’est pas la guérison mais, l’application fidèle et sans
discernement des règles établies.
Dans une correspondance écrite avec Rénate Krieger ( de Sao Paulo, Brésil), Molière
illustre ce concept : « Pour ce genre de médecin, il est plus important de suivre les
conseils de Galien et de nier la circulation du sang que de guérir le malade ».
La cérémonie de remise des diplôme, clôturant le Malade imaginaire, résume l’art
médical sous l’angle de quatre thérapies que sont le lavement, la purge, la saignée et
l’émétique.
C’est dans cet étroit spectre thérapeutique que les médecins de Molière puisent leurs
moyens d’agir.
63
Dans l’Amour médecin (acte 2, scène 4), Mr Tomès conclut à la saignée alors que Mr
Fonandres opte pour la prescription d’émétiques.
Dans Monsieur de Pourceaugnac (acte 1, scène 8), du numéro de duettiste, des deux
médecins, se dégage un consensus thérapeutique fondé sur le recours à la
phlébotomie et aux purgatifs.
Quant on étudie les moyens thérapeutiques des praticiens du XVII ème siècle, force
est de constater que la réalité n’est guère plus étoffée et que purges, saignées et
lavements sont bel et bien les rares armes à portée de mains.
Toutefois, Molière, fervent défenseur du bons sens et des médecines moins
interventionnistes, mets entre les mains de ses faux médecins, les traitements qu’il
rêverait de voir adopter par la Faculté.
C’est ainsi que Sganarelle, du Médecin volant (scène 5), s’exprime en ces termes :
« Je crois qu’il serait nécessaire que votre fille prit un peu l’air, qu’elle se divertit à
la campagne ».
Dans le même état d’esprit, Clitandre (praticien feint dans l’Amour médecin (acte 3,
scène 6), est partisan des médecines douces qui se font effectivement jour au XVIIème
siècle et que Molière défend et apprécie, notamment grâce à la fréquentation du
Docteur Mauvillain : « mes remèdes sont différents de ceux des autres ; ils ont
l’émétique, les saignées, les médecines et les lavements ; mais moi, je guéris par des
paroles, par des sons, par des lettres, par des talismans, et par des anneaux
constellés ».
De plus, le débat lancé dans les différentes pièces se situe à un autre niveau. Il
s’attache surtout à mettre en lumière les règles de prescription.
Molière s’insurge davantage contre la manière d’user des traitements que contre les
thérapies proprement dites.
Le problème majeur que rend compte l’auteur, quand il étudie la thérapeutique, est
l’absence manifeste de discernement dans la prescription médicale.
Le bachelier qui devient médecin, au cours du troisième intermède du Malade
imaginaire, répond de la même façon, à toutes les situations cliniques sur lesquelles
il est censé statuer au cas par cas.
64
Et il se propose de traiter toutes les maladies selon le protocole immuable suivant :
« Clystère donner, puis saigner, ensuite purger » ce qui semble satisfaire à chaque
reprise les membres du jury.
Pour mettre d’accord les praticiens Tomès et Fonandres, le Docteur Filerin accepte
la solution, au combien effrayante, émise par Mr Fonandres qui consiste à prescrire
tel ou tel traitement avec, pour critère de décision, le respect des susceptibilités de
chacun des praticiens en conflit et non pas la pathologie en présence.
Le terrain d’entente accepté de tous est résumé dans la réplique : « Qu’il me passe
mon émétique pour la malade dont il s’agit, et je lui passerai tout ce qu’il voudra
pour le premier malade dont il sera question » (l’Amour médecin, acte 3, scène 1)
Molière met donc, sur le devant de la scène, le principe de prescription quasiautomatique de traitements très académiques sans spécificité d’affection.
A ce stade de l’observation médicale, nous devons nous enquérir des résultats
obtenus par la démarche thérapeutique sus exposée.
C’est à propos des résultats obtenus par ces thérapeutiques que Molière se montre le
plus virulent dans les déclarations qu’il tient à la scène comme à la ville.
La critique de la thérapeutique est double : en effet, celle-ci est non seulement nulle
mais, pire encore, elle serait franchement délétère.
Et Molière développe déjà très clairement la notion de iatrogénie.
Molière ne nous présente pas de malade dont l’effet serait tout juste stabilisé par les
protocoles médicaux d’alors ; mais, il s’acharne à décrire des patients dont l’état
empire à mesure que les remèdes font « effet ».
Ainsi, l’inefficacité médicale est de notoriété publique et chacun peut le constater :
Martine, protagoniste du Médecin malgré lui, illustre cette situation en exposant
l’impasse dans laquelle se trouve Lucinde : « plusieurs médecins ont déjà épuisé
toute leur science après elle » (acte premier, scène 4).
65
Cette médecine n’est pas qu’inefficace, elle est dangereuse. Et, si l’on s’en tient à ce
que soutient l’auteur, celle-ci est souvent soldée par un état de santé dégradé, voire
la mort.
Sganarelle, médecin feint du Médecin volant, se sent capable de s’improviser
médecin puisque la mort nous est présentée comme l’issue quasi inévitable de toute
affection traitée :
« Je vous réponds que je ferai aussi bien mourir une personne qu’aucun médecin qui
soit dans la ville ». (scène 2)
Et Lisette, de l’Amour médecin, de surenchérir : « Que voulez-vous donc faire
Monsieur, de quatre médecins ? N’est-ce pas assez d’un pour tuer une personne ? »
(acte 2, scène première) : dans la foulée, elle résume l’art médical à ses retentissants
résultats : « Il ne faut pas dire : une telle personne est morte d’une fièvre et d’une
fluxion sur la poitrine mais, elle est morte de quatre médecins et de deux
apothicaires » (Acte 2, scène première)
Ce qui est très présent dans le discours de Molière, c’est le caractère iatrogène de la
médecine en place. Cette notion est une constante solide à la fois dans la bouche de
l’auteur lorsqu’il s’entretient avec ses contemporains et dans les propos tenus par
ses personnages sur scène.
Les propos qu’il tient, dans sa correspondance, avec Renate Krieger (de Sao Paulo,
Brésil) sont éloquents : « Qu’est-ce qui n’a pas constaté que tous les malades qui
meurent ont bénéficié de la présence d’un médecin ? Il suffit que celui-ci arrive pour
que le malade ne le soit plus : il est mort. Même avant ma dernière visite médicale
en 1673 ? J’ai vu de près les actions de ces charlatans : en 1644, mon ami François
de la Mothe le Vayer fut tué par un émétique. »
Un échange, entre Molière et le roi, témoigne bien de cet état d’esprit :
« Vous avez un médecin » dit le roi à Molière, « que fait-il. ? »
« Sire » répond Molière, « Nous causons ensemble ; il m’ordonne des remèdes, je ne
les faits point et je guéris ».
66
Dans le Malade imaginaire, Béralde se fait l’écho explicite de Molière et soutient
que ce denier se passe des remèdes qui lui sont prescrits, car il ne peut supporter à la
fois sa maladie et les remèdes associés : « il a ses raisons pour n’en point vouloir, et
il soutient que cela n’est permis qu’aux gens vigoureux et robustes et qui ont des
forces de reste pour porter les remèdes avec la maladie ; mais que, pour lui, il n’a
justement de la force que pour porter son mal ».
On peut noter une certaine « lourdeur » quant au style de cette réplique : sans
doute, Molière aura privilégié la teneur des propos plutôt que la forme et fait
l’impasse (une fois n’est pas coutume) sur une criante redondance pour mieux
marteler son message.
Mais, à regarder de plus près, la satire de Molière possède une dimension
philosophique et de la même manière qu’il décortique les traitements, l’auteur prend
part aux débats philosophiques et met en scène les principaux courants de pensée
alors en vigueur.
Le versant philosophique de la critique médicale est double :
Il s’attache à la notion de validation et d’élaboration des connaissances et pose le
problème de la légitimité de l’existence d’une telle science.
Loin devant l’efficacité médiocre des traitements, les déficits majeurs de la
médecine, qui tiennent à cœur à Molière, sont le problème de la véracité des
connaissances que cette science véhicule et la méthodologie à adopter afin de valider
celles-ci.
Le médecin de Molière est un empiriste ayant reçu un enseignement scolastique où le
syllogisme représente la ligne de conduite principale.
En effet, au siècle de Molière, l’héritage de la philosophie aristotélicienne prévaut
encore fortement et les enseignements philosophiques et théologiques dispensés entre
le IX ème siècle et le XVIIème siècle, en Europe, sont inspirés de la philosophie
d’Aristote faisant la part belle à la méthode de logique formelle et au syllogisme.
67
Dans cet enseignement, on subordonne la philosophie à la théologie et la raison à la
foi ; autrement dit, pour comprendre, il faut avoir la foi.
Le syllogisme est une forme de raisonnement mis en place par Aristote : « le
syllogisme est un discours dans lequel, certaines choses étant posées, quelques chose
d’autre que ces données en découlent nécessairement par le seul fait de ces données »
(Topiques et Premiers Analytiques).
Un syllogisme comprend un point de départ, les prémisses, et une conclusion. Afin
d’assurer le caractère fécond du syllogisme, la conclusion se doit d’être nouvelle par
rapport aux prémisses.
La rigueur de ce type de raisonnement tient au fait que la conclusion émise découle
uniquement et seulement des prémisses.
Aristote distingue deux sortes de syllogismes : le syllogisme dialectique (avec
prémisses probables) et le syllogisme apodictique ou démonstratif (avec prémisses
nécessaires), la rigueur étant identique dans les deux cas de figure.
Ainsi Aristote ne tient pas compte de cette différence dans sa théorie générale du
syllogisme que son œuvre, premiers analytiques, consacre.
Du point de vue historique, le XIV ème siècle entame la période de décadence de la
scolastique et la renaissance entérine son autorité dont le vocabulaire se prolonge
par l’enseignement.
Et si, parmi les adversaires les plus résolus de la scolastique, certains se font jour au
XVII ème siècle, Molière fait de ses médecins des partisans encore très épris de cette
doctrine et du vocabulaire qui en est satellite.
Le médecin de Molière a la manie du syllogisme ; et chacune des consultations
auxquelles on assiste est une illustration parfaite de la logique scolastique avec la
triade : prémisses(raisonnement (avec logorrhée verbale)-conclusion.
En effet, on part de l’hypothèse de l’existence d’une maladie (syllogisme
apodictique : prémisses nécessaires à la consultation et par voie de conséquence
justifiant le recours à la médecine), puis, on met en place un raisonnement qui
découle de la supposée maladie avec foisonnement de mots et d’explications diverses
avant d’émettre une conclusion sous les apparences d’une hypothèse diagnostique.
68
La seconde doctrine philosophique dans laquelle est empêtré le médecin de Molière
est l’empirisme : il s’agit là de l’une des plus constantes et dangereuses
caractéristiques du praticien.
Le médecin se félicite et s’applique à surestimer la part de l’expérience dans sa
pratique en suivant à la lettre les connaissances héritées des aînés sans l’ombre d’un
recul ni quelque sorte de critique : le dogmatisme et le conservatisme bornés font le
médecin.
L’empirisme est une doctrine philosophique qui souligne le rôle de l’expérience dans
la connaissance humaine en négligeant la part de la raison.
Cette philosophie s’oppose au rationalisme qui commence avec Descartes comme
initiateur. Dans la philosophie empiriste, la théorie de la signification qui est
présentée comme une explication de’ la genèse de nos idées et concepts met l’accent
sur l’importance des sens.
La thèse de John Locke, « Essai sur l’entendement humain » (1690) résume ce
concept en affirmant que ce qui se trouve dans l’intellect à forcément été soumis, de
façon antérieure, aux sensations.
L’esprit, vierge au départ, acquiert progressivement des idées qui ne découlent que
de l’expérience.
Mr Diafoirus, du Malade imaginaire, félicite son fils d’être comme lui un fervent
adepte de l’empirisme : « Ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c’est
qu’il s’attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n’a voulu
comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendus découvertes de
notre siècle » (Acte2, scène 5).
Ceci nous amène au délicat débat sur la validation des connaissances scientifiques,
en particulier médicales.
En effet, si la médecine officielle consiste à perpétuer sans discernement l’héritage
des Anciens en restant hermétique à toute forme d’avancée tant pratique que
théorique, certains théoriciens s’intéressent aux méthodes susceptibles d’atteindre de
nouvelles connaissances avec pour préoccupation première les moyens de valider
celles-ci.
Parmi eux, on trouve notamment Descartes et Bacon.
69
Par opposition au mode de pensée empirique, le courant rationaliste se fait jour et
met l’accent sur le fait qu’il existe chez l’homme un pouvoir indépendant de
l’expérience qui est la raison.
La raison repose sur des principes, à priori, irrécusables sur lesquels s’assied toute
connaissance certaine ; et, les sens, pour leur part, ne fournissent que des
informations particulières et satellites.
Pour un rationaliste, la connaissance empirique n’offre, en fait, qu’une idée confuse
de la vérité.
Ainsi, la philosophie de Bacon représente une des grandes ruptures avec la logique
scolastique.
Il cherche à dégager la connaissance humaine de l’autorité accordée à Aristote
jusqu’alors en s’éloignant aussi du scepticisme qui représente, à l’époque, une
alternative à la pensée aristotélicienne.
La philosophie de Bacon est un réalisme expérimental : les choses de la nature sont
caractérisées par le fait qu’elles soient elles-mêmes ; mais, elles ne sont pas connues
directement, au contraire. L’esprit humain est un reflet inégal et infidèle : sa
connexion avec la nature est de l’ordre de la méconnaissance.
D’où la nécessité de mettre en place une technique d’investigation de la nature qui
soit à l’esprit ce que les outils sont à la main ;
Il met l’accent sur les lacunes de la logique formelle et souligne la nécessité de
recourir à l’expérience pour mettre à jour la vérité : il s’agit là du premier théoricien
de la méthode expérimentale.
Bacon propose des protocoles d’exploration rigoureux avec une induction qui
procède par exclusions et rejets, afin de dégager, par la négative, la forme exacte de
la chose.
Le syllogisme ne peut être efficace que si les bases sur lesquelles il repose sont
réelles ; sinon, on ne peut en tirer aucune fiabilité.
L’entendement ne doit pas brûler les étapes de l’expérimentation en utilisant des
axiomes éloignés de la réalité auxquels on attribue une vérité immuable. L’esprit ne
doit pas vagabonder avec pour bases des axiomes dont la véracité est seulement
créditée par la légèreté des esprits pétris de démonstrations syllogistiques.
L’entendement doit être ancré, ralenti, dans sa course vers la vérité, par la réalité et
des axiomes solides (axiomes moyens) en s’efforçant de combattre les « axiomes
généralissimes ».
70
D’après Bacon, « la subtilité des opérations de la nature surpasse infiniment celle
des sens et de l’entendement » (Novum Organum, 1).
L’avènement du rôle de la raison dans l’élaboration des connaissance se fait avec
Descartes.
Ses travaux portent sur la philosophie, la métaphysique, la physique, la biologie et
la morale.
La méthode est unique : elle se fonde sur le doute qui doit permettre d’atteindre la
vérité.
Pour Descartes, les idées sont le réel objet de la connaissance philosophique.
L’esprit connaît les choses par les idées ; mais elles représentent les choses qui sont
hors de l’esprit. Son ambition première est de découvrir des vérités nouvelles.
Selon lui, « le bon sens est la chose la mieux partagée » (Discours de la méthode) :
pour parvenir à la vérité, il faut utiliser le bon sens ou la raison qui différencie
l’homme de l’animal/
La raison comprend deux facultés : l’intuition qui saisit l’objet et la déduction qui
comprend les choses conséquentes d’autres.
Les mathématiques illustrent ces notions : par intuition, on perçoit qu’un globe
n’ait qu’une face et par déduction, on parvient à déterminer la nature d’une chose
inconnue au moyen de ses relations avec les chose connues comme cela se produit
dans le calcul d’une équation.
Ainsi, à l’autorité d’Aristote, Descartes substitue celle de la raison et si intuition et
déduction ne s’apprennent pas, Descartes prescrit de n’employer qu’elles.
Dans son ensemble, la méthodologie cartésienne est une méthode de raisonnement
pur, dont le modèle est fourni par la « déduction mathématique ». Il existe toutefois
une nuance d’application pour la physique qui nécessite l’expérience.
Descartes pressent la méthode expérimentale en insistant sur le va et vient entre
l’idée et le fait et sur leur action réciproque.
Enfin, pour apprécier le monde matériel, il faut connaître les réalités immatérielles
que sont l’âme et Dieu et ceci est à notre portée dès lors que nous ne confondons
l’intelligible et l’imaginable.
71
Pour Descartes, la scolastique fait l’erreur de dire qu’il n’y a rien dans
l’entendement qui n’ait été antérieurement au niveau des sens.
Si, quant à la fertilité du bon sens dans l’élaboration des connaissances, notamment
médicales, on peut voir en Molière un partisan de Descartes, il existe un autre volet
de réflexion quant à l’action supposée de l’homme sur la nature sur lequel on note de
sérieuses divergences avec le cartésianisme.
En effet Molière ne se contente pas de critiquer la méthode appliquée par les
médecins pour élaborer leurs connaissances, il va plus loin en traitant la médecine
de science frivole et remet franchement en cause la légitimité de l’existence d’une
telle science en conférant, à la nature, des pouvoirs auxquels l’homme ne comprend
pas grand choses et où celui-ci n’a vraisemblablement pas sa place en tant
qu’intervenant direct.
D’une part, Descartes réserve une place importante à la médecine, dans sa
philosophie : « Toute la philosophie est comme un arbre dont les racines sont la
métaphysique, le tronc est la physique, et les trois branches principales : la
médecine, la mécanique et la morale » (Préface aux Principes de la Philosophie).
L’ambition de Descartes est de remplacer la philosophie « spéculative » par une
philosophie « pratique » qui nous permettra d’avoir une action directe sur la nature
en la « maîtrisant » : les hommes pourraient profiter des fruits de la terre, conserver
la santé voire alléger l’effet de la vieillesse.
Ainsi, en se consacrant à l’étude de notre organisme en tant que machine régie par
les lois de la physique, on peut certainement apprivoiser la nature et tirer de la
médecine des bienfaits afin de faciliter la qualité de la vie : « s’il est possible de
trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles
qu’ils n’ont été jusqu’ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher. »
(discours de la Méthode, sixième partie).
D’autre part, Molière ne croit pas du tout en l’existence d’une quelconque utilité de
la médecine qui représente pour lui un stéréotype de fausse science.
Il existe deux niveaux de lecture dans cette pensée.
72
En premier lieu, Molière pose, pour principe qu’il est impensable qu’un homme ait la
prétention de croire qu’il puisse en guérir un autre et prend la voix de Béralde pour
distiller sa philosophie quant à la médecine : « Bien loin de la ternir véritable, je la
trouve, entre nous, une des plus grandes folies qui soit parmi les hommes, et, à
regarder les choses en philosophie, je ne vois point de plus plaisante momerie ; je ne
vois rien de plus ridicule qu’un homme qui se veut mêler d’en guérir un autre » (Acte
3, scène 3 du Malade imaginaire)
Le concept de la guérison apporté par un homme à un autre homme lui paraît donc,
par essence, sans fondement.
En second lieu, Molière fait preuve d’une sagesse gassendiste lorsqu’il fait référence
à notre incapacité à entrevoir distinctement la complexité de la nature et met
l’accent, comme Gassendi, sur le fait que nous ne connaissons les choses de la nature
qu’au travers d’apparences seulement.
La philosophie de Molière quant au rôle et à l’importance de la nature est, en effet,
influencée par la philosophie de Gassendi (1592-1655) qui se veut être un critique
d’Aristote qui prétend avoir trouvé un savoir nécessaire et indubitable de la nature
réelle des choses.
Son objectif est la recherche d’une voie moyenne entre les sceptiques (qui par leurs
« tropes », soutiennent qu’on doit suspendre tout jugement, Gassendi y voir une
surestimation des obstacles au savoir) et les dogmatiques (qui prennent un point de
départ, sans le prouver auquel ils jugent digne de donner leur assentiment absolu et
sans démonstration, Gassendi y voit une surestimation de l’esprit humain).
Cependant, si nous ne connaissons que les apparences des choses, du moins pouvonsnous élaborer un savoir utile de ces apparences semble dire Gassendi qui veut
également se démarquer de Descartes.
Par rapport à la médecine, il prône un rôle prépondérant de la nature dans la
guérison et énonce quelques concepts dans lesquels Molière se retrouve assez : il
convient de ne pas chercher à corriger la nature qui apparaît comme une sorte de
thérapie universelle et de ne pas négliger notre incapacité à connaître les mystères de
notre organisme.
73
Béralde énonçant sa conception de la thérapeutique affirme : « la nature, d’ellemême, quand nous la laissons faire, se tire doucement du désordre où elle est tombée.
C’est notre inquiétude, c’est notre impatience qui gâte tout, et presque tous les
hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies ». (Le Malade
imaginaire, acte 3 , scène 3)
En fait, Molière partage la thèse mécaniste de Descartes et le versant sceptique de
la pensée gassendiste ; la voix de Béralde résume sa pensée : « les ressorts de notre
machine sont des mystères, jusqu’ici où les hommes ne voient goutte, et que la
nature nous a mis au devant des yeux des voiles trop épais pour y connaître quelque
chose ». (le Malade imaginaire, acte 3, scène 3).
74
CONCLUSION
75
O
rné d’une mère type « Sarfati »
Pour moi, les planches étaient bannies.
Et pour réussir dans la vie,
Son maître mot c’est : étudie !
P
armi les champs de connaissances,
« Notre » choix, opte pour les sciences
Et très vite, comme une évidence
Médecine rime avec quintessence.
M
ais aurais-je été aussi fier,
De m’engager dans cette filière
Où cet art a pour corollaires
Des critiques pour le moins sévères
76
A
insi ce « peintre » tant éclairé
Fameux pour avoir sans pitié
Mis la médecine au rang dernier
Est le thème de notre exposé.
C
ertes, Molière n’est pas le premier
A faire part de ses démêlés
Avec le monde de la santé.
Mais il use d’une sévérité
Et d’une originalité
Que nul autre ne va égaler.
L
es médecins nous sont présentés
Comme étant plein de vanité,
D’ignorance, de cupidité.
Le conservatisme borné.
77
C
es sots savants endimanchés,
Ruinant la confraternité
Sont dotés d’inhumanité
Elle-même doublée d’impunité.
L
es traitements sont décriés
On sait uniquement purger,
Saigner et gaver de séné.
On nous les décrit limités,
Toujours soldés par l’insuccès :
La médecine est l’art de tuer.
U
n second niveau de lecture,
Par delà la caricature,
S’exprime aussi de façon mûre :
La médecine est une imposture.
Molière ne croit qu’en la Nature
D’où la santé doit son allure.
78
L
a réalité historique,
Toutefois moins catégorique
Présente des caractéristiques
Communes avec la critique.
M
ais à regarder de plus près,
Les médecins sont partagés.
Or, si certains demeurent bornés,
Et continuent de réciter
Par cœur leur Galien désuet,
D‘autres sont épris de nouveautés
Et vers la recherche sont tournés.
F
inalement, on peut penser
Que d’un homme aussi avisé,
L’ambition n’est pas de ruiner
La médecine par des préjugés.
Mais que l’objectif affiché
Serait sans doute de condamner
Les hommes aussi déterminés
A laisser cette science sombrer
Dans des principes tant avariés.
79
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