Le logement et le sans-abrisme des migrants sans papiers

Transcription

Le logement et le sans-abrisme des migrants sans papiers
Atelier annuel PICUM (Platform for International Cooperation on Undocumented Migrants)
FEANTSA & EAPN
Le logement et le sans-abrisme des migrants sans papiers en Europe : Créer des
alliances et construire des stratégies
Bruxelles, vendredi 28 juin 2013
Intervention, Session plénière 1 : L'accès aux centres d'hébergement pour les sans-abrispour
les migrants sans papiers.
André GACHET, conseiller technique auprès du Conseil d'Administration de l'Alpil (Action pour l'insertion par
le logement) et administrateur délégué à l'Europe pour la FAPIL (Fédération des acteurs de la promotion et de
l'insertion par le logement). Représentant des réseaux français à la FEANTSA (Fédération européenne des
associations nationales travaillant avec les sans-abri). Membre du réseau Jurislogement (regroupement
pluridisciplinaire autour du droit au logement - correspondant français de Housing Rights Watch). Intervient dans le
domaine du logement avec les populations migrantes : lutte contre les marchands de sommeil, l'habitat indigne, les
bidonvilles et l'accès aux droits. Son activité s 'exerce dans le cadre d'actions en réponse à la commande publique et/ou
de démarches militantes.
A. Le droit
Dans la loi française l'accueil est inconditionnel, il doit conduire vers des formes d'hébergement ou
de logement durable. La loi française est une déclaration de principe très importante qui trouve son
origine dans le droit au logement opposable : toute personne qui éprouve des difficultés d'accès ou
de maintien dans le logement doit pouvoir trouver une aide et l'Etat garantie ce droit.
Ces règles conduisent à une situation très particulière pour l'étranger sans-papiers : non seulement il
a droit à l'hébergement, mais cet hébergement lui garantie un accès à une solution pérenne.
C'est l’article L.345-2-2 du code de l'action sociale et des familles qui garantie l’accueil
immédiat et inconditionnel :
« Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout
moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence ».
Il s'agit bien de toute personne. Il n'y a pas d'autre définition de l'urgence dans les textes et il n'y a
pas non plus de restriction du à la situation administrative.
Les missions d’urgence telles que définies à l’article L.345-2-2 s’appliquent à tout Centre
d'Hébergement d'Urgence.
Elle sont les suivantes et s'imposent à tous les lieux d'accueil :
« Cet hébergement d'urgence doit lui permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la
dignité de la personne humaine, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène,
une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure
d'hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d'être
orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par
son état, notamment un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, un hébergement de
stabilisation, une pension de famille, un logement-foyer, un établissement pour personnes âgées
dépendantes, un lit halte soins santé ou un service hospitalier. »
enfin, l'article L345-2-3 énonce le principe de continuité (Créé par LOI n°2009-323 du 25 mars
2009 - art. 73)
« Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier
d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une
orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable
ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation ».
L'application de ces principes est reconnue et renforcée par un arrêt du Conseil d'Etat du
10 février 2012 qui affirme que l’hébergement d’urgence doit être placé au rang d’une liberté
fondamentale.
Cette affirmation ouvre la voie aux recours contre le préfet qui n’aurait pas trouvé une place
d’hébergement d’urgence à une personne en situation de détresse médicale, psychique et sociale.
Dans une ordonnance du 28 mars 2012, le tribunal administratif de Lyon a condamné le
préfet du Rhône à trouver une solution d’hébergement dans un délai de 24h à plusieurs familles
(parents et grands parents) en situation irrégulière avec la présence de deux enfants (2 ans et 20
jours). Ces familles étaient contraintes de dormir dans un couloir d’immeuble depuis le 25 ou le 26
mars dernier. Les juges considèrent que « l’hébergement d’une famille fragilisée par la charge de
très jeunes enfants et l’état psychopathologique de Mme. Z, est susceptible de générer des
conséquences graves pour les intéressés et constitue ainsi, en l’espèce, une atteinte grave et
manifestement illégale à une liberté fondamentale ».
Cette décision est bien conforme aux articles que nous venons d'évoquer. L'ensemble
législatif français est conforme aux dispositions du droit européen et aux engagements pris par la
France. (Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme, Charte Sociale Révisée de
1996 et Charte des Droits Fondamentaux).
Mais la loi ne produit pas les réponses, elle ne construit pas les logements. Elle indique la
voie à suivre, les objectifs à atteindre et, en imposant une obligation de résultat, les moyens
nécessaires pour y arriver.
B. les obstacles pour l'accès
Le manque de places est bien entendu la première raison. Les textes incitent fortement à
développer les réponses car seule une véritable adéquation à la demande permet de mettre en
conformité la pratique et les textes.
Pourquoi n'y a t il pas davantage de place disponible ?
Depuis le XIXème siècle, la peur de voir s'installer une spirale sans fin, la peur de voir les
pauvres arriver en masse, conduit à contraindre les capacités de réponses. Dans le même temps et
du fait même de ces politiques le nombre d'exclus augmente. Les réajustements se font par à coups.
À partir de l'évolution législative et réglementaire, dans le respect des conventions internationales et
sur la base d'une bonne connaissance des situations.
À l'heure actuelle, les règles sont en avance sur la pratique. Le temps de la connaissance est
venue. il lui faut encore du temps pour s'installer durablement. Pour l'heure, le secteur associatif
assure une démarche qui tend à rendre compte de l'ampleur de la demande par des tableaux de bord
et des alertes ponctuelles.
Malgré cela la connaissance reste partielle. Ainsi la FNARS peut affirmer que « la progression de la
demande est plus particulièrement le fait d'une sollicitation croissante des personnes en famille ».
« Si les hommes isolés représentent la majorité des personnes qui sollicitent le 115,
le nombre de personnes en famille augmente fortement (+42%). Ces dernières font de nombreuses
demandes au 115 (7,6 en moyenne) dans l’espoir d’obtenir une réponse.
Les phénomènes migratoires expliquent également l’augmentation des demandes. Les demandes des
personnes issues de l’Union européennes ont progressé de 19% entre les deux hivers. On constate
notamment une progression du nombre d’arrivants en provenance des pays du sud de l’Europe
(Grèce, Italie, Espagne) qui fuient la crise et celles des personnes d’Europe de l’Est. Les
sollicitations des personnes issues de pays hors Union européenne ont progressé de 58%, elles
correspondent aux demandes des personnes en demande d’asile, de personnes déboutées du droit
d’asile et encore de personnes en demande de titre de séjour ».
Il reste que ces éléments généraux d'informations en suffisent pas à donner une image
exacte de la réalité. L'exemple de l'agglomération lyonnaise (1,2 millions d'habitants) est assez
parlant de ce point de vue :
Le 115 (numéro de téléphone d'urgence) reçoit au cours des 6 derniers mois 310 000 appels,
dont 135 000 décrochés. Moins de la moitié des appels sont entendus.
Soit en moyenne chaque jour 1700 appels dont 750 décrochés. CE qui signifie que 950 appels
en moyenne restent sans écoute, auxquels il faut ajouter 400 à 530 non réponses chaque soir, aux
appels entendus. Dans cette agglomération la non réponse concerne donc 1300 à 1400 ménages,
mais combien de personnes ? d'où viennent-t-elles ? Combien de fois ont-elles appelé ? Cela
personne n'est capable de le dire. Ce qui n'empêche pas les autorités locales ou le Préfet de dire que
l'afflux massif des personnes étrangères est la cause de la saturation du système d'accueil.
Cette posture, dont le caractère scientifique mérite d'être interrogée, ne conduit pas à prendre
les bonnes mesures. Et l'on retrouve à Lyon comme dans beaucoup de villes de France et d'Europe
un discours qui souligne que cette ville ne peut accueillir toute la misère du monde qui vient se
réfugier chez elle. Le chemin à parcourir pour mettre le droit et la pratique est engagée mais il reste
encore une longue distance à parcourir, elle passe par un renforcement de la connaissance.
C. Défis majeurs des prestataires et des utilisateurs de services
C'est un des défis majeurs. Les prestataires doivent doivent participer à la démarche de
connaissance pour cela ils doivent pouvoir se dégager d'une commande publique qui ignore trop
souvent les besoins du public.
Le second défi concerne les pratiques. La fondation abbé Pierre vient utilement de rappeler
que la fin d'une pris en charge en hébergement était une expulsion locative et que les personnes
concernées devaient bénéficier des mêmes droits que tout occupant menacer de devoir quitter son
domicile.
Pour mémoire, le contrat d’hébergement est un bail au titre du Chapitre II du livre VIII du
Code Civil : « du louage des choses ». A ce titre et à d’autres, déterminés par les traités
internationaux, il ne peut exister d’expulsion sans procédure judiciaire et accord du concours de la
force publique. Même les personnes en squat on droit à un procès équitable (art.6 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme).
Dans l’histoire des dispositifs d’hébergement, la justice a eu plusieurs fois à se prononcer et
elle est claire : il n’est pas possible de forcer les personnes à partir, même lorsqu’elles ne sont plus
légitimes à demeurer dans un hébergement (c’est un peu plus sophistiqué en Cada, pour lesquels la
loi a été aménagée), il n’est pas possible de changer les serrures, de couper l’eau, même la prise en
charge trois jours à l’hôtel à la sortie d’un hébergement a été condamnée, réintégration et
dommages et intérêts.
Les personnes peuvent demander à bénéficier de la continuité de l’hébergement à travers
une procédure administrative de référé-suspension notamment. Mais les expulsions forcées, sans
procédure judiciaire peuvent être passibles de recours devant le juge judiciaire, au civil comme au
pénal. Ce ne sont dans ces hypothèses plus uniquement les personnes morales, associations et
mandataires publics, qui sont en cause, mais aussi les personnes qui accompliraient des actes que
le juge pourrait considérer comme des « voies de fait ».
Les fédérations associatives ont souvent rappelé ce risque juridique autour des sorties
conflictuelles d’hébergement. Nous vivons actuellement dans un moment de tension lié à
l’épuisement des fonds qui avaient permis l’extension des capacités d’accueil cet hiver, aboutissant
à une restriction des places. Ce contexte de tension pèse sur les pratiques, sur les relations entre
tous les acteurs : personnes hébergées, personnels associatifs, directions et conseils
d’administration des associations, fonctionnaires, élus, responsables d’administration.
Précisons ici que la notion de « fin de prise en charge » est une classification de
l’administration et du secteur associatif, mais qu’elle n’a pas de sens juridique : c’est une
expulsion.
L'heure est à la mobilisation collective et à l'ouverture du dialogue entre les acteurs. Le
droit est ce qui fait le lien entre les personnes accueillies, les acteurs de l'accueil et l'ensemble
du corps social. Nous devons prendre appui sur les règles communes.
André Gachet

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