MEMOIRE Le travail en SESSAD considéré comme facteur d
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MEMOIRE Le travail en SESSAD considéré comme facteur d
Université de Reims Champagne Ardenne Faculté des Sciences Economiques et de Gestion Institut Régional Universitaire de Sciences Sociales Appliquées Institut Régional de Travail Social MEMOIRE Le travail en SESSAD considéré comme facteur d’innovation Recherche réalisée dans le cadre d’un SESSAD et d’un IME agréés pour accompagner des jeunes déficients intellectuels Maîtrise de Sociologie Mention développement social Session de septembre 2004 Andrée CHARPY CTR : M. Pierre DUBUS TABLE DES MATIERES SIGLES UTILISES .................................................................................................................. 1 INTRODUCTION.................................................................................................................... 2 PREMIERE PARTIE-LE SESSAD : ENJEU DE NOUVELLES PRATIQUES PROFESSIONNELLES....................................................................................................... 9 1.1. LES SESSAD DANS L’ENVIRONNEMENT MEDICO-SOCIAL AUJOURD’HUI. ................. 11 1.1.1. Présentation générale et missions du SESSAD................................................ 11 1.1.2. Les enfants déficients intellectuels accueillis par les SESSAD ....................... 12 1.1.3. Le fonctionnement des SESSAD à partir d’une étude réalisée en Lorraine . .......................................................................................................................... 15 1.2. CONSTAT 1 : LES NOUVELLES PRATIQUES PROFESSIONNELLES INDUITES PAR LA CREATION DU SESSAD « LE SOLEIL LEVANT »......................................................... 19 1.2.1. Le SESSAD « le soleil levant ». ...................................................................... 19 1.2.2. Des pratiques professionnelles renouvelées ou naissantes............................... 20 1.2.3. Les nouvelles pratiques professionnelles face aux résistances au changement .. .......................................................................................................................... 26 1.3. CONSTAT 2 : LES NOUVELLES PRATIQUES PROFESSIONNELLES A L’IME DE VILLE-ENSELVE DEPUIS L’OUVERTURE DU SESSAD. .............................................................. 32 1.3.1. L’IME de Ville-en-Selve.................................................................................. 32 1.3.2. Redéploiement de l’IME de Ville-en-Selve et ouverture du SESSAD « le soleil levant ». ............................................................................................................ 35 1.3.3. Aujourd’hui, les pratiques professionnelles à l’IME de Ville-en-Selve. ......... 37 1.4. SYNTHESE DES CONSTATS ET FORMULATION DE LA QUESTION PRINCIPALE. .............. 41 DEUXIEME PARTIE- LE SESSAD : FACTEUR D’INNOVATION POUR L’IME .... 45 2.1. CONSTRUCTION D’UNE HYPOTHESE DE RECHERCHE .................................................. 46 2.2. APPROCHE CONCEPTUELLE. ...................................................................................... 51 2.2.1. Le concept d’innovation dans les organisations............................................... 51 2.2.2. Le travail en réseau. ......................................................................................... 58 2.2.3. L’innovation, le travail en réseau et le partenariat dans le secteur sanitaire et social. ................................................................................................................ 59 2.3. CHOIX METHODOLOGIQUES POUR VERIFIER LA VALIDITE DE L’HYPOTHESE. ............. 65 TROISIEME PARTIE - LE SESSAD : ACTEUR DU TRAVAIL EN RESEAU............ 72 3.1. 3.2. 3.3. RETOUR SUR LE TERRAIN : OBSERVATIONS ET COLLECTES DES DONNEES.................. 73 RESTITUTION ET ANALYSE DES RESULTATS. .............................................................. 78 LA VALIDATION DE L’HYPOTHESE ET LES LIMITES METHODOLOGIQUES. ................... 95 CONCLUSION..................................................................................................................... 100 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 107 Annexe 1 : Présentation de l’UGECAM ........................................................................ 111 Annexe 2 : Fiche descriptive du SESSAD « le soleil levant »....................................... 113 Annexe 3 : Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 (Articles 1 à 21)....................................... 116 Annexe 4 : Décret n° 89-798 du 27 octobre 1989, Annexe XXIV ................................ 122 Annexe 5 : Le handicap en chiffres, CTNERHI ............................................................ 129 1 SIGLES UTILISES CCPE : Commission de Circonscription de l’Enseignement Préscolaire et Elémentaire CCSD : Commission de Circonscription du Second Degré CDES : Commission Départementale d’Education Spéciale CEREQ : Centre d’Etude et de Recherche sur l’Emploi et les Qualifications CIF : Classification Internationale de Fonctionnement CIH : Classification Internationale du Handicap CLIS : Classe d’Intégration Scolaire CNAF : Caisse Nationale des Allocations Familiales CNAM : Conservatoire National des Arts et Métiers CRAM : Caisse Régionale d’Assurance Maladie DDASS : Direction Départementale de l’Action Sanitaire et Sociale IME : Institut Médico Educatif INSERM : Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale. OMS : Organisation Mondiale de la Santé ONG : Organisation Non Gouvernementale RMI : Revenu Minimum d’Insertion SEGPA : Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté SESSAD : Service d’Education Spéciale et de Soins A Domicile UGECAM : Union pour la Gestion des Etablissements des Caisses d’Assurances Maladie UPI : Unité Pédagogique d’Intégration WISC : Weschler Intelligence Scale for Children 2 INTRODUCTION Dans le contexte d’une rénovation de l’action sociale et médico-sociale les organisations nécessairement évolutives produisant les services destinés aux personnes handicapées doivent s’adapter. Ce mouvement progressif parfois s’accélère par des restructurations d’établissements. Les pratiques professionnelles sont marquées par la même évolution, certains auteurs ont parlé de mutations du travail social1. A partir d’une situation professionnelle - la création d’un SESSAD par le redéploiement partiel d’un IME- et en utilisant le support de la sociologie des organisations, ce mémoire est une contribution à l’analyse de la diffusion de nouveaux modèles d’interventions sociales. Les SESSAD accompagnent les enfants handicapés pour favoriser leur épanouissement et leur intégration au sein de la société. Cet accompagnement se réalise en milieu ordinaire notamment au domicile familial et avec les établissements scolaires. Ces services tissent des relations de partenariat et de coopération avec les différents acteurs situés dans l’environnement de l’enfant. Une nouvelle culture professionnelle du travail en réseau se développe ; l’individualisation du projet de l’enfant est rendue possible par cette approche coordonnée des différents intervenants. La plupart de ces services se sont créés par un redéploiement ou une extension des établissements accueillant des enfants handicapés. Dans cette configuration ils demeurent dans la mouvance de leurs établissements géniteurs. L’investissement de locaux distincts des établissements spécialisés est motivé par une recherche de proximité géographique du domicile des usagers. Les déplacements nécessaires pour intervenir dans les lieux de vie et d’activité de l’enfant sont facilités au même titre que d’autres besoins logistiques. Cette implantation correspond également à une prise de distance avec l’image véhiculée par 1 CHOPART, Jean Noël (sous la direction de), Les mutations du travail social, Dunod, Paris, 2000. 3 l’établissement spécialisé, image marquée par la lourdeur du handicap, la médicalisation. Cette image symbolise la souffrance à travers le placement et la séparation familiale. Les SESSAD engagent l’action médico-sociale dans une logique de service visant l’intégration, ils se distinguent de l’institution dédiée à l’hébergement et à l’accueil durable. Bien que ces institutions se soient modernisées, elles renvoient à l’idée d’enfermement dont Michel FOUCAULT2 a décrit l’apparition, « On sait bien que le 17e siècle a créé de vastes maisons d’internement ; on sait mal que plus d’un habitant sur cent de la ville de Paris s’y est trouvé, en quelques mois, enfermé. » Cette logique asilaire a été conceptualisée par Erving GOFFMAN 3 qui a mis en évidence le caractère total de l’institution, « C’est une caractéristique fondamentale des sociétés modernes que l’individu dorme, se distraie et travaille en des endroits différents, avec des partenaires différents, sous des autorités différentes, sans que cette diversité d’appartenances relève d’un plan d’ensemble. Les institutions totalitaires, au contraire, brisent les frontières qui séparent ordinairement ces trois champs d’activité ; c’est même là une de leurs caractéristiques essentielles. » La création de ces SESSAD se généralise progressivement sur tout le territoire national et ces services concernent l’ensemble des typologies de handicaps après avoir été longtemps réservés à des projets spécifiques. Un nouveau paysage de l’action sociale se dessine où les services viennent compléter ou remplacer les établissements définis par les lois fondatrices des droits des personnes handicapées du 30 juin 1975. Ce mouvement, qualifié de mutation structurelle et de révolution culturelle par Jean-René LOUBAT 4 , est impulsé par les grandes associations représentatives des personnes handicapées et il est légitimé et accéléré par la loi de rénovation sociale et médico-sociale du 2 janvier 2002. En quelques années les institutions essentiellement centrées sur leur fonction d’hébergement se transforment pour apporter des réponses diversifiées aux usagers. Il y a un changement de paradigme puisqu’on passe 2 FOUCAULT, Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, 1972, p.70. GOFFMAN, Erving, Asiles, Les éditions de Minuit, 1968, p.47. 4 LOUBAT, Jean-René, Instaurer la relation de service, Dunod, Paris, 2002. 3 4 progressivement d’une logique d’accueil à une logique visant l’intégration de la personne handicapée et sa participation sociale. L’accompagnement de cette personne se substitue à sa « prise en charge ». Cette nouvelle dynamique conduit à la création de services de proximité qui développent des interventions sociales au domicile des usagers. L’organisation au sein de ces services est plus souple que dans les établissements où prévaut une organisation hiérarchisée et sectorisée. Des travailleurs sociaux formés au sein des établissements spécialisés s’impliquent dans ces nouveaux services et adaptent leurs pratiques professionnelles. Ils interviennent dans l’environnement de l’enfant handicapé pour développer ses liens sociaux au sein de la communauté. Cette intervention dans des systèmes sociaux complexes sollicite leur créativité et leur capacité d’initiatives. L’organisation leur confie des missions enrichies et de larges délégations. Après avoir élaboré des formes de travail et d’expertise qu’ils mettaient en pratique à l’intérieur de l’institution, ils confrontent leur point de vue avec ceux formulés par de multiples acteurs agissant dans l’environnement de l’enfant handicapé. Ces rencontres et ces partages correspondent à une approche individualisée et globale des besoins de l’usager. Cette évolution générale est renforcée par l’influence des normes et des modes de pensées. L’instauration d’une classification internationale des handicaps5, récemment révisée en 2001, contribue à cette affirmation ou conception renouvelée du handicap. Le poids de l’approche médicale, centrée sur la personne et ses déficiences, s’estompe pour laisser la place à un modèle soucieux du désavantage social né des situations de handicap. Ce dernier résulte de l’interaction de facteurs liés à la personne, à l’environnement et à la situation. Dans ce contexte de mutations du travail social6 et de l’évolution de la place de la personne handicapée dans la société, l’Institut Médico-Educatif de Ville-en-Selve, accueillant des enfants présentant des déficiences intellectuelles, et situé à 15 kilomètres de Reims, voit les effectifs de son internat baisser. Parallèlement à cette désaffection de l’internat, l’IME enregistre une hausse des demandes d’externat et des demandes d’intégration scolaire. Cette dernière demande est particulièrement appuyée chez les familles des jeunes enfants qui 5 En 1988, sur l’initiative de Philip WOOD, l’OMS définissait pour la première fois une classification internationale des handicaps. Elle marquait la rupture entre le phénomène du handicap et la maladie qui avait fait l’objet de nombreuses classifications. 6 CHOPART, Jean-Noël (sous la direction de), Les mutations du travail social, Dunod, Paris, 2000. 5 revendiquent ce droit à la scolarité en milieu ordinaire. L’UGECAM du Nord-Est7, organisme gestionnaire de l’IME, décide de sa restructuration. Elle redéploie les financements des places d’internat non pourvues et elle crée un SESSAD à Reims au centre de l’agglomération, à proximité du domicile des usagers. Les pouvoirs publics, notamment la Direction Départementale de l’Action Sanitaire et Sociale, poussent ce projet qui correspond aux politiques sociales nationales et territoriales. L’ouverture du SESSAD génère des réactions au sein de l’équipe de l’IME. Inquiète du changement, cette équipe exprime des interrogations sur la pertinence de la restructuration. Une partie des salariés produit un discours de valorisation des actions antérieures traduisant un certain désarroi devant le changement. D’autres salariés voient une opportunité intéressante dans la création du SESSAD : ce service offre un nouveau vecteur d’intégration pour les enfants handicapés et une alternative à l’internat spécialisé. Educatrice spécialisée exerçant à internat de cet SESSAD IME, j’ai postulé à l’ouverture du pour faire partie de la nouvelle équipe que la direction constituait. Retenue au poste de coordinatrice, j’ai initié les premières démarches pour le démarrage du service sur Reims. D’emblée, j’ai rencontré les institutions et instances administratives afin de favoriser ou poursuivre l’intégration des enfants orientés vers notre service. Ces démarches étaient inhabituelles par rapport à ma pratique en établissement ; elles devinrent vite des axes forts de mon travail de coordination. La réflexion menée avec mes collègues lors de l’élaboration du projet de service initial, confirma la nécessité pour le SESSAD de construire des partenariats avec les autres acteurs de l’environnement de l’usager. Ces nouvelles pratiques de travail se concrétisent dorénavant par la signature de conventions et la définition de mode de coopération, par exemple des participations conjointes à des séances de travail : équipes éducatives avec l’Education Nationale, synthèses avec les services de l’aide sociale à l’enfance, bilans avec les services de l’hôpital de jour. Ces mises en commun portent sur la demande de l’enfant et de sa famille, l’échange d’informations, l’analyse de la situation et l’identification des besoins, la conception et la mise en place de projet individualisé visant à donner une réponse globale aux besoins précités, le suivi et l’évaluation des actions des différents acteurs impliqués. Ces relations régulières favorisent avec les différents partenaires l’instauration d’un climat de confiance et de reconnaissance des compétences et des limites de 7 UGECAM : Union pour la Gestion des Etablissements des Caisses d’Assurances Maladie. (ANNEXE 1) 6 chacun. Des contacts informels se développent entre les différents membres des institutions et services agissant dans l’environnement de l’enfant. Il existe des initiatives et un engagement important des différents intervenants. Nous sommes en présence d’un nouveau mode de travail social, il s’exprime sous la forme d’un réseau qui mutualise ses ressources pour soutenir et accompagner l’enfant. « Le réseau est une approche globale des besoins des individus pris en charge…il suppose une approche transversale qui multiplie les points de vue et les angles d’approche d’un même phénomène… Une coordination des démarches résultant de concertations régulières…il est pluridisciplinaire, composé de partenaires très différents de part leurs statuts et compétences professionnelles, leurs appartenances institutionnelles... »8 Le SESSAD s’inscrit dans un réseau local, ce qui renforce sa proximité avec l’usager. Ce réseau se déploie à l’intérieur d’un territoire, bassin de vie et d’évolution de l’usager. Il constitue un « observatoire territorial » qui permet de percevoir les opportunités et les contraintes à l’intégration de l’enfant ; ces informations diffusées par le réseau accélèrent les ajustements du projet individualisé. A l’époque de l’ouverture du SESSAD, les modèles conceptuels de prises en charge de l’enfant déficient intellectuel qui prévalent à l’IME, privilégient l’éducation spécialisée et la rééducation en milieu institutionnel. L’enfant éloigné de son milieu habituel dont parfois il est rejeté, notamment au niveau scolaire, reçoit des soins et il est stimulé par des programmes éducatifs et pédagogiques ; cette prise en charge dure plusieurs années. Des progrès sont enregistrés chez l’enfant en terme d’acquisition de connaissances dans différents domaines ; toutefois les démarches d’insertion sociale demeurent difficiles à mettre en oeuvre en milieu spécialisé et l’intégration scolaire, sociale et professionnelle de ces jeunes en milieu ordinaire reste aléatoire. La majorité d’entre eux est orientée à la fin de leur prise en charge vers d’autres institutions spécialisées. Les professionnels de l’IME présentent leur connaissance de la déficience intellectuelle comme une spécialisation pour aider les jeunes. Dans l’établissement, il existe une croyance 8 MATHIEU Lilian, Les cahiers de l’Actif, n°324-325, Dossier Travail en réseau et territoires d’action, p.29 7 assez forte sur la pertinence des solutions proposées aux enfants accueillis ; croyance qui n’a jamais été nuancée par d’éventuelles évaluations. Le changement rapide de configuration organisationnelle avec le redéploiement de l’IME et l’ouverture d’un SESSAD n’a pas été compris de suite par la plupart des salariés. Ils ne resituaient pas cette évolution dans le cadre des nouvelles politiques sociales en faveur des personnes handicapées et des transformations traversant notre société qui modifiaient le regard porté sur le handicap, les représentations sociales. Quatre ans après l’ouverture du SESSAD, la rupture qu’il symbolisait avec le modèle de prise en charge proposée par l’IME s’est estompée. L’établissement privilégie le soutien à l’intégration scolaire en milieu ordinaire, les accueils à temps partiel, le développement des stages d’initiation professionnelle en entreprises. L’établissement sollicite des intervenants extérieurs pour actualiser son projet et définir des modalités d’évaluation du service rendu aux usagers. D’une manière générale la place, les demandes de l’enfant et de sa famille sont reconsidérées, leur laissant davantage d’influence sur leurs projets. Ces constats nous montrent que l’IME est passé d’une position de monopole dans la réponse apportée aux besoins des usagers –la seule réponse à toutes les difficultés- à un rôle d’acteur parmi d’autres dans le parcours d’intégration de l’enfant. Ce changement est perceptible depuis l’ouverture du SESSAD. Dès lors se pose la question de l’influence de ce service sur l’établissement auquel il est rattaché et nous posons la question : Les pratiques professionnelles en SESSAD sont-elles porteuses d’innovation ? De manière à explorer et approfondir ce questionnement, cette étude détaillera dans une première partie les constats initiaux réalisés à partir d’observations et d’analyse de documents. L’apparition des SESSAD sera resituée dans le cadre de l’évolution des politiques sociales qui reconnaissent les droits de l’usager et l’importance de son environnement. Nous observerons ensuite plus précisément les pratiques professionnelles induites par la création du SESSAD « le soleil levant », retenu pour notre étude. Puis nous enregistrerons et analyserons les changements survenus dans l’organisation de l’IME de Ville-en-Selve depuis l’ouverture du SESSAD. Les travaux de Michel CROZIER éclaireront les enjeux et les stratégies des différents acteurs impliqués, notamment ceux des professionnels. Cette approche conceptuelle rendra plus intelligible l’évolution des pratiques professionnelles, les résistances des acteurs. Le rapprochement de ces différents éléments, leur mise en perspective à l’aide de la sociologie des organisations, nous conduira à reformuler notre question pour interroger les 8 rapports entre la dimension innovante des SESSAD et l’évolution des pratiques professionnelles en IME. Dans une seconde partie, nous tenterons de répondre à ce questionnement. A partir de l’œuvre du sociologue Norbert ALTER, nous présenterons une définition de la notion d’innovation qui éclairera les phénomènes organisationnels repérés dans l’action médicosociale. Ce cheminement théorique nous conduira à élaborer une hypothèse de recherche. Nous la vérifierons grâce à l’utilisation de plusieurs outils méthodologiques : des entretiens, une enquête, des observations complémentaires. Dans une troisième partie, nous exploiterons les résultats collectés. Ils seront analysés et confrontés avec l’hypothèse proposée. Nos travaux nous conduirons à dresser les contours d’un nouveau panorama de l’action sociale au service des personnes handicapées : travail en réseau, partenariat, accompagnement individualisé, développement social et territorial. 9 PREMIERE PARTIE LE SESSAD : ENJEU DE NOUVELLES PRATIQUES PROFESSIONNELLES 10 Le SESSAD : Enjeu de nouvelles pratiques professionnelles En France, la prospérité générée par la croissance économique de la période dite des « trente glorieuses » (1945-1975) n’est plus qu’un lointain souvenir, à la crise économique des années quatre-vingt succède une forme de désenchantement social et une vision moins optimiste de l’avenir. Le chômage s’est installé ; il touche la jeunesse et les personnes peu qualifiées. Une population plus nombreuse est menacée d’exclusion, conséquence de la pauvreté, du difficile accès à un logement, et de l’insuffisance de formation professionnelle. Cette fragilisation du lien social mobilise de nouvelles solidarités : développement d’initiatives privées (associations, ONG) qui semblent prendre le relais de l’Etat en difficulté devant l’ampleur du besoin. A l’opposé cette insécurité suscite des réflexes de méfiance vis-àvis de l’autre, du différent, de l’étranger ; dans ce contexte les discriminations se renforcent. Les grands dispositifs de la protection sociale sont remis en cause : assurance maladie, retraite, indemnisation du chômage. Ils caractérisaient « l’Etat providence »9, expression qui illustrait le rôle protecteur d’un Etat puissant vers lequel se tournaient les citoyens pour la résolution de leurs problèmes. Ces changements s’étendent à tous les secteurs de la société notamment dans celui de l’aide aux enfants handicapés. Alors que les établissements médico-sociaux représentaient une solution unanimement reconnue, le doute sur la pertinence de leurs réponses s’immisce. Ils sont suspectés de travailler à leur préservation ; une aspiration émerge de la population en faveur de dispositifs alternatifs favorisant l’intégration des enfants handicapés. Dans cet environnement, les politiques sociales en faveur des personnes handicapées évoluent : les lois du 30 juin 1975 fondant l’aide aux personnes handicapées sont actualisées. Une première loi, celle du 2 janvier 2002, dite de rénovation sociale et médico-sociale redéfinit la mission et le fonctionnement des services et des institutions ; elle place l’usager au centre de ce dispositif et elle instaure de nouveaux outils pour faire respecter leurs droits fondamentaux. Actuellement, le parlement examine la réforme de la loi d’orientation en faveur des personnes 9 ROSANVALLON, Pierre, La nouvelle question sociale, Editions du Seuil, Paris, 1995. 11 handicapées pour améliorer leur intégration, créer un droit à compensation des dépendances et des surcoûts engendrés par le handicap10 et faciliter l’accessibilité de ces personnes à la vie sociale et professionnelle. Dans cette dynamique de nouveaux acteurs médico-sociaux s’affirment, parmi eux les services d’éducation spéciale et de soins à domicile. Ils proposent des formes renouvelées du travail social visant l’intégration des enfants handicapés ; ces pratiques génèrent des processus de changement. Ce mouvement est à la fois continuité et rupture des modalités institutionnelles. Après une présentation générale des SESSAD, de leurs missions et des publics aidés, nous examinerons leur fonctionnement à partir d’une étude réalisée en Lorraine. Nous détaillerons et analyserons les pratiques observées au SESSAD « le soleil levant ». Puis nous constaterons les effets induits par l’ouverture et le développement de ce service sur l’IME auquel il est rattaché. 1.1. Les SESSAD dans l’environnement médico-social aujourd’hui. 1.1.1. Présentation générale et missions du SESSAD Les premiers services d’éducation spéciale et de soins apparurent en 1965 sous l’impulsion du psychiatre Elisabeth ZUCMAN11. La prise de conscience qu’il faut maintenir le plus possible l’enfant en difficulté dans son milieu familial fut à l’origine de leur création. La séparation qui l’éloigne de ses proches pour une hospitalisation ou un placement peut entraîner des conséquences médicales et psychologiques graves. Longtemps ces SESSAD ont représenté sur le plan quantitatif une réponse marginale par rapport aux établissements spécialisés. Or ces dernières années leur nombre augmente significativement sur le territoire national alors qu’inversement le nombre d’établissement reste stable voire en diminution pour certains types de handicap12. 10 Projet de loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. 11 Lien Social n°465, Les SESSAD misent tout sur la famille, 3 décembre 1998. 12 Le handicap en chiffres, février 2004, synthèse réalisée par Cécile BROUARD (CTNERHI) (ANNEXE 5) 12 Le fonctionnement de ces services médico-sociaux se réfère aux annexes XXIV du décret n° 56 284 du 9 mars 1956 modifié par le décret n° 89 – 798 du 27 octobre 1989 et à la loi rénovant l’action sociale et médico-sociale du 2 janvier 2002. (ANNEXE 3 et 4) Ils ont pour mission de soutenir l’intégration scolaire des enfants et des adolescents et leur acquisition de l’autonomie. Spécialisés par handicap, les SESSAD peuvent accompagner les jeunes jusqu’à 20 ans et ils interviennent dans leurs lieux de vie et d’activités. Ils élaborent des réponses éducatives, pédagogiques et thérapeutiques en fonction des besoins, des demandes des enfants et de leurs familles. Ces prestations se traduisent dans le cadre d’un projet individualisé, conçu en collaboration avec l’enfant et sa famille. La spécificité du SESSAD est d’intervenir dans l’environnement naturel de l’enfant, de l’adolescent, de manière à favoriser son intégration à tous les niveaux, en particulier familial, scolaire, professionnel et social. Une partie de ses missions éducatives se déroule au domicile des familles. Les SESSAD peuvent être gérés de manière autonome ou rattachés aux établissements d’éducation spéciale. Ils sont constitués d’équipe pluridisciplinaire avec des qualifications telles que éducateurs spécialisés, enseignants spécialisés, orthophonistes, psychomotriciens, psychologues, médecins psychiatres, assistants sociaux. 1.1.2. Les enfants déficients intellectuels accueillis par les SESSAD Notre mémoire s’appuiera plus particulièrement sur l’exemple d’un accompagnant des enfants présentant une déficience intellectuelle. Il s’agit du SESSAD SESSAD « le soleil levant » situé à Reims dont nous examinerons le fonctionnement dans le chapitre suivant. Ces enfants déficients intellectuels sont orientés vers les SESSAD par la CDES. Dans la réalité il s’agit d’un public assez diversifié dont la définition a varié au fil du temps en fonction des approches médicales et sociales. Le souci de catégorisation a émergé au 19e siècle. Cette démarche d’inspiration scientifique a identifié des infirmités pour concevoir des traitements et des rééducations appropriées. Michèle GUIDETTI et Catherine TOURRETTE13 définissent la déficience intellectuelle ainsi : 13 GUIDETTI Michèle, TOURRETTE Catherine, Handicaps et développement psychologique de l’enfant, Armand Colin, Paris, 1999, p.101. 13 « …on peut dire que trois caractéristiques sont communes à tous les déficients mentaux : un fonctionnement intellectuel général significativement inférieur à la moyenne, un déficit du comportement adaptatif, et l’apparition développementale de la déficience mentale. » Ces problèmes sont repérés dans le fonctionnement cognitif, les relations sociales, la communication, le développement moteur et praxique. Au cours du 20e siècle la déficience intellectuelle a été appréhendée selon différents angles, nous pouvons repérer successivement trois approches dominantes : l’inaptitude scolaire, l’inadaptation sociale et la psychopathologie. Dorénavant la déficience intellectuelle est abordée de plus en plus à partir du concept de handicap sous l’impulsion des associations de parents qui valorisent les approches socio-éducatives. Les principaux auteurs qui ont approfondi la déficience sont : BINET (1857-1911) dont les travaux portèrent sur l’évaluation de l’intelligence, il introduisit les premiers tests. STERN proposa peu après le QI (quotient intellectuel) sensé mesurer l’intelligence. Ses travaux évaluatifs furent approfondis plus tard par WESCHLER, qui mit au point le test 14 WISC . La version III est actuellement utilisée au SESSAD. Dans les années 1950 René ZAZZO conteste la conception unitaire de la déficience mentale, il met en évidence l’hétérogénéité du développement de l’enfant déficient intellectuel (les compétences intellectuelles, sociales, psychomotrices ne sont pas homogènes). Il accorde beaucoup d’importance à la capacité d’adaptation sociale de l’enfant. Il postule que les troubles de l’enfant peuvent se majorer ou se minorer dans le temps. A partir des années 1970, MISES s’impose comme une référence théorique. Il conçoit un modèle psychopathologique de la déficience mentale, remettant en cause le déterminisme biologique de la déficience intellectuelle. Il prône une conception dynamique et évolutive où l’efficience intellectuelle va être restituée dans le fonctionnement psychologique de l’enfant. Il prend en compte les perturbations relationnelles que peuvent induire les atteintes organiques et les troubles instrumentaux éventuels dans leur dimension évolutive. Il propose 14 Weschler Intelligence Scale for Children 14 une nouvelle classification qui distingue les déficiences dysharmoniques et les déficiences harmoniques. Plusieurs classifications sont aujourd’hui utilisées dans notre pays : celle qui est utilisée par l’INSERM15, la classification américaine DSM16-IIIR (ou DSM IV dans une version plus récente), la classification proposée par l’OMS17, la classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (MISES). En résumé les facteurs de la déficience résultent de trois causes qui parfois se combinent : - la maladie - la psychopathologie - les carences socio-éducatives. Le SESSAD est un service qui se caractérise également par son soutien et son accompagnement de la famille de l’enfant handicapé. L’histoire singulière et souvent douloureuse de cette famille débute à la naissance de leur enfant et l’annonce de son handicap. La mission du SESSAD inclut une analyse des besoins globaux de cette famille, besoins qui se modifient au fil du développement de l’enfant jusqu’à l’âge adulte. Quelquefois dans les premiers mois de la vie de l’enfant le diagnostic du handicap est difficile, les signes sont peu visibles ; l’action de dépistage et d’informations des services médico-sociaux est fondamentale. La présence d’un enfant handicapé au sein d’une famille provoque parfois des difficultés et des souffrances psychiques chez les frères et sœurs, d’autant que leur désarroi peut être vécu dans la solitude. L’attention des parents est retenue par la fragilité du nouveau-né. L’annonce du handicap de leur enfant aux parents est l’une des phases clé et délicate de leur accompagnement. La formation des personnels sociaux et soignant insistent sur la nécessité de soutenir les familles. Selon Michèle GUIDETTI et Catherine TOURRETTE,18 « En fait la manière dont l’handicap va être annoncé aux parents va avoir une incidence sur leur acceptation de l’enfant et sur l’ajustement émotionnel à la situation. » 15 Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale. Manuel Diagnostic et Statistique des troubles mentaux. 17 Organisation Mondiale de la Santé 18 GUIDETTI Michèle, TOURRETTE Catherine, Handicaps et développement psychologique de l’enfant, Armand Colin, Paris, 1999, p 146 16 15 Il y a des risques que la famille se replie et diminue ses échanges sociaux. En fonction de ses possibilités financières la famille pourra alléger les contraintes liées à la présence de l’enfant handicapé : garde, aide à domicile, achat d’aides techniques, aménagement du logement. Les difficultés sont accentuées avec l’arrivée en âge scolaire de l’enfant handicapé. Son admission est délicate dans une grande partie des établissements, d’une part en raison de ses difficultés à suivre le rythme des autres enfants, d’autre part parce que l’école n’est pas suffisamment préparée et formée à l’accueil de ces enfants. Parfois la famille est confrontée à des refus du milieu scolaire qui conseille une orientation vers le milieu spécialisé. L’adolescence réactive la souffrance des familles car c’est à cette période que se cristallise la question de l’insertion sociale et professionnelle. Souvent les échecs rencontrés par les adolescents sont vécus par leurs parents comme une confirmation du handicap. Ces échecs ne prennent pas le sens d’expérience et d’apprentissage donné par d’autres familles. La vulnérabilité de l’enfant conduit les parents à s’inquiéter en permanence sur son devenir. La crainte de disparaître avant son enfant génère une inquiétude de l’avenir. Cette histoire singulière commande un ensemble d’attitudes et de conduites des parents présentes tout au long du développement de l’enfant ; elles éclaireront en partie leurs demandes et/ou réactions face à l’environnement, notamment aux professionnels. La proximité de services spécialisés, tels que les SESSAD, pourra être un facteur important pour faire bénéficier l’enfant d’un accompagnement précoce et continu qui favorisera son intégration sociale et professionnelle. 1.1.3. Le fonctionnement des SESSAD à partir d’une étude réalisée en Lorraine 19. Cette étude a été réalisée par les services de l’assurance maladie en janvier 2003, elle avait pour objectif d’apprécier le fonctionnement des SESSAD à travers leur agrément et le respect de celui-ci, décrire le service rendu, établir un relevé des éventuels dysfonctionnements, en tirer les conséquences sur l’offre de soins et proposer des solutions et contribuer à l’évaluation du dispositif. Les résultats de cette enquête ont été obtenus par des 19 Etude sur les SESSAD agréés déficience intellectuelle, Union Régionale des Caisses d’Assurance Maladie de Lorraine, janvier 2003. 16 données recueillies sur 15 jours par une équipe de la CRAM Nord Est auprès de 14 SESSAD de la région de Lorraine20. Nous utiliserons cette étude pour faire ressortir la spécificité du fonctionnement de ces SESSAD. Les résultats montrent que ces services accompagnent principalement de jeunes enfants, les moins de 9 ans représentent globalement 55% de leur activité. Il ressort que la durée moyenne des accompagnements est généralement courte comparée à celle enregistrée dans les IME. La durée de suivi des usagers est : - inférieure à un an pour 28,3% des jeunes, - inférieure à 2 ans pour 54,3%, - de plus de 5 ans pour 14,7%. Il existe un phénomène de file active avec une certaine fréquence des admissions et des sorties des services. Ce mouvement se distingue de la stabilité des prises en charge en Pour les 14 SESSAD IME. totalisant 258 places, on comptabilise en 2001 une file active de 400 jeunes. La durée de présence assez courte pour une partie des usagers explique une file active importante. L’importance de cette file active amène les équipes à travailler différemment, il est nécessaire de rechercher à s’adapter rapidement à chaque situation nouvelle, et sur des durées d’accompagnement plus courtes qu’en établissement. Cette adaptation se double d’une réactivité plus grande que les IME aux demandes d’admission, le délai moyen d’attente entre la date de notification par la CDES et l’admission est réduit à 48 jours. Par comparaison, 270 jeunes sont inscrits sur la liste d’attente IME en CDES de la Marne, ce qui correspond environ à deux ans d’attente avant l’admission. Les jeunes accompagnés par les SESSAD sont très majoritairement intégrés dans un établissement de l’Education Nationale. Cette intégration tranche sur la situation vécue par les jeunes admis en IME. Ainsi 82,4% des jeunes en SESSAD sont scolarisés dont 43,5 en classes ordinaires et 38,9% en sections spécialisés (CLIS, SEGPA, UPI…) néanmoins 14,5% ne sont pas 20 L’étude porte sur 14 sites répartis proportionnellement dans les départements de la Meurthe et Moselle, la Meuse et les Vosges soit un total de 258 places pour une population totale des moins de 20 ans égale à 320 465. Ces chiffres donnent un taux d’équipement de 0,80 pour 1000 jeunes âgés de moins de 20 ans, sur les trois départements réunis. 17 scolarisés et 2,1% sont accueillis en crèche. 1% n’est pas identifié. L’absence de scolarisation était constatée pour 42,3% des jeunes en amont de la prise en charge de l’ensemble des jeunes fréquentant les SESSAD. Ces services ont donc contribué à l’intégration scolaire des enfants conformément à leur vocation. En revanche, une enquête effectuée par la DDASS de la Marne21 en 2003 montre que 84% des jeunes admis en établissements, soit 630 usagers, ne bénéficient d’aucune intégration scolaire dans un établissement de l’Education Nationale. Seuls 10% de ces jeunes sont intégrés collectivement (CLIS, SEGPA, UPI …) et 6% individuellement. L’étude réalisée en Lorraine met en évidence que les SESSAD interviennent préférentiellement chaque fois que possible, là où résident les jeunes, ainsi que sur leurs lieux de vie. Ce constat est cohérent avec les deux missions essentielles des SESSAD : l’intégration et le maintien du jeune dans son milieu. Pour moitié les interventions se déroulent à l’école et au domicile de l’enfant (47,2%). Ces interventions sur les lieux de vie des jeunes sont inégalement réparties selon les catégories de personnel ; le personnel socio-éducatif se rend plus volontiers au domicile de l’enfant que le personnel médical et paramédical qui reçoit l’enfant et sa famille dans les locaux du SESSAD. Cette mobilité des travailleurs sociaux sur le territoire de l’usager, la proximité qui en découle va renforcer leur rôle dans l’équipe pluridisciplinaire. Récapitulatif des lieux d'interventions Domicile Ecole/crèche 12,8 7,6 2,7 29,6 29,6 17,6 SESSAD Cabinet médical lieux mixtes Autres sites 21 Enquête diffusée en 2004 lors de la campagne budgétaire des établissements et services médico-sociaux. 18 Pour la composition des équipes, les données de l’enquête mentionnent une proportion de travailleurs sociaux largement supérieure aux catégories médicale et paramédicale. Cette donnée aura son importance dans la répartition des responsabilités et des pouvoirs entre ces deux catégories professionnelles. Enfin la règle générale des SESSAD étudiés, est l’intervention individuelle auprès des jeunes. En effet elle est évaluée entre 84,1 et 100%, seuls les éducateurs animent parfois des activités collectives. Nous notons là une spécificité du travail de l’éducateur auprès des usagers déficients intellectuels en SESSAD : son action éducative devient un accompagnement individualisé alors qu’en institution les prises en charge s’effectuent sous forme d’activités de groupe. La modification des lieux d’interventions est radicale, l’éducateur travaille en grande partie hors des murs de l’institution. Il va devoir s’adapter aux différents lieux que fréquentent les usagers mais également devoir s’y repérer. «Pour les structures innovantes associatives, la définition du milieu ordinaire ou naturel de vie, la référence constante à la vie civile en société pour ces personnes « extraordinaires » que sont les personnes handicapées, induisent une nouvelle culture professionnelle avec éclatement des références propres à l’internat et à l’hébergement collectif, dans la professionnalité des intervenants sociaux travaillant à leur contact. »22 22 CHOPART, Jean-Noël (sous la direction de) Les mutations du travail social, Dunod, Paris, 2000, p.157. 19 1.2. Constat 1 : Les nouvelles pratiques professionnelles induites par la création du SESSAD « le soleil levant ». Les questionnements et les premiers constats à l’origine de notre étude proviennent des observations réalisées au SESSAD « le soleil levant ». Dans ce chapitre nous allons présenter ce SESSAD puis décrire et analyser les pratiques professionnelles dans leur originalité par rapport à celles mises en œuvre à l’IME. Nous verrons que de nouvelles logiques d’interventions apparaissent : celle de l’espace avec la question de la proximité et du territoire, du temps avec la notion de projet et de parcours individualisé, de la coordination et de la complémentarité des acteurs sociaux et médico-sociaux avec les notions de partenariat et de réseaux ; toutes ces logiques convergent vers un même objectif : la personnalisation de l’accompagnement. La relation du SESSAD avec l’usager s’établit sur une base contractuelle, les choix de ce dernier sont primordiaux. Les pratiques des établissements spécialisés parallèlement font l’objet d’une analyse critique : l’institution est parfois présentée comme un lieu clos, source potentielle de maltraitance23. Les professionnels de ces établissements se positionnent en expert vis-à-vis de leurs « bénéficiaires » et formulent des préconisations pour l’avenir de ceux-ci. Néanmoins ces innovations émergent dans un contexte où se repèrent aussi des résistances au changement ainsi qu’une certaine permanence des modèles institutionnels. Les professionnels du SESSAD formés par leur expérience en IME conservent une vision particulière du handicap. Le partage des responsabilités au sein de l’équipe est influencé par des enjeux de pouvoir, ils prolongent les tensions déjà observées entre catégories professionnelles à l’IME. 1.2.1. Le SESSAD « le soleil levant ». Le SESSAD est rattaché administrativement à l’IME de Ville-en-Selve situé en zone rurale à 15 kilomètres de Reims. Cet ensemble est géré par l’UGECAM Nord Est. Agréé pour accompagner 15 jeunes âgés de 0 à 20 ans domiciliés dans le district de Reims, le 23 Loi n°2002-2 du 2 janvier 2002, article 8, prévention des maltraitances. SESSAD 20 s’est installé en février 2000 à Reims près du centre ville. Pour son ouverture le service a bénéficié de moyens rendus disponibles par la fermeture de places d’internat de l’ IME. Ainsi son équipe pluridisciplinaire a été constituée à partir de mutations et elle est rattachée à la direction de l’ IME. Le service instaure des partenariats avec les principales institutions que fréquente l’enfant. L’Education Nationale est son premier partenaire ; cela se traduit par des interventions de l’équipe du SESSAD au sein des établissements scolaires. 1.2.2. Des pratiques professionnelles renouvelées ou naissantes. Un nouvel espace d’intervention. Par sa mission spécifique, distincte de celle des établissements, le SESSAD va à la rencontre de l’usager : le service recherche à s’adapter aux besoins de l’usager. C’est un renversement de logique car il n’est plus exigé que l’usager s’adapte à l’établissement. La diversité des lieux d’intervention est l’une des particularités marquantes du SESSAD. Ses salariés se retrouvent en situation de travail dans les différents cadres de vie de l’enfant : domicile, école, centres de loisirs. Cette ouverture vers un espace éclaté rompt avec le fonctionnement de l’établissement. Les « frontières » de l’organisation se sont déplacées au point qu’elles ne pas toujours faciles à repérer pour des observateurs extérieurs. Les interventions du SESSAD se déroulent notamment chez les parents. Cette pratique généralisée est assez nouvelle pour les membres de l’équipe formés pour la plupart au travail en institution. Ceux-ci se questionnent sur les techniques à utiliser et sur la relation à établir : quel accompagnement, quel équilibre entre proximité et distance ? La famille devient un interlocuteur privilégié, à la fois « prescripteur » de la demande de service et en partie « bénéficiaire » de ce service rendu par les SESSAD. Parmi les précurseurs de cette politique d’intégration des personnes handicapées dans leur environnement naturel, les travailleurs sociaux canadiens font autorité et l’un d’eux, Jacques PELLETIER24 décrit de la manière suivante l’approche centrée sur la famille : « L’approche centrée sur la famille réfère à une attitude qui met au défi notre façon de voir et de concevoir les services, les familles et nous-mêmes et se manifeste à travers nos politiques, nos programmes et notre modèle de dispensation de services. C’est 24 PELLETIER, Jacques, Directeur du réseau de services en déficience intellectuelle –RSDI- Québec, in SESSAD et territoires : pratiques de réseaux, 4e journées d’étude organisées par l’ANCREAI, 15, 16/11/2000, Montpellier, p.96. 21 mettre le « focus » sur toute la famille et pas seulement sur l’enfant différent. On doit répondre aux besoins de tous les membres de la famille dans le respect, la collaboration et l’engagement mutuel et ce, de façon individualisée d’une famille à l’autre et d’un individu à l’autre. Nos interventions se doivent d’être souples, les moins restrictives possibles, adaptées aux besoins et accessibles ». Au domicile les rapports parents/professionnels sont modifiés car les familles se trouvent sur leur « terrain » et leur pouvoir est renforcé. Elles déterminent l’espace où le professionnel s’entretient avec l’enfant pendant qu’elles se déplacent dans leur domicile, voire s’absentent. Cette perte de contrôle de l’espace par le professionnel est parfois déstabilisante. Les procédures de contrôle et de surveillance s’inversent par rapport à l’institution, les professionnels ne se sentent pas toujours à l’aise sous le regard des parents. L’arrivée imprévue d’un visiteur peut suspendre la séance. Parfois les professionnels découvrent de nouveaux interlocuteurs au domicile des parents, les assistantes maternelles ou des membres de la famille élargie. Après une période d’observation, ils adaptent leur accompagnement à cette nouvelle situation. Pour les familles, ces interventions au domicile peuvent être également source d’inquiétude : il leur faut admettre la présence des professionnels, leur regard, leur point de vue. Cette « entrée » du service dans l’intimité familiale peut être vécue comme une intrusion, un contrôle social. Au fil du temps une négociation structurée par le projet individualisé permet de trouver une formule satisfaisante pour chacun des interlocuteurs. Familles et travailleurs sociaux sont pris dans un système de pouvoir et de dépendance, leurs échanges seront une suite d’ajustements à la recherche d’une relation équilibrée. Parents et professionnels partagent la gestion de la situation de handicap ; cette difficulté partagée est au cœur de leur relation. Ces acteurs familiaux et professionnels participent à un système d’action concret en référence au concept défini par Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG dans leur approche sociologique des organisations. « Nous pouvons donc définir finalement un système d’action concret comme un ensemble humain structuré qui coordonne les actions et ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c’est-à-dire la 22 stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux ».25 Une nouvelle approche du temps. Dès la première année d’ouverture du SESSAD, les effectifs des enfants accompagnés ont subi des modifications en raison de nouvelles admissions et de réorientations. Ce mouvement des usagers déjà repéré dans l’étude des SESSAD de Lorraine contraste avec la durée et la stabilité des prises en charge enregistrées dans les IME. L’accompagnement du SESSAD est rythmé par la logique du projet individualisé de l’usager, cela se traduit par des révisions périodiques de sa situation tant par le service que par les instances administratives (CDES). Les accompagnements ne sont engagés que pour un an, puis éventuellement renouvelables ; à l’inverse les prises en charge en renouvelées par la CDES IME sont décidées et pour plusieurs années. La délimitation plus courte des accompagnements conduit les professionnels à l’élaboration d’objectifs médico-sociaux plus concrets et mesurables. Ce souci d’opérationnalité suscite l’affirmation d’une culture de l’évaluation et l’obligation de rendre compte plus fréquemment de ces actions. Les prises en charge en IME s’inscrivent dans la durée et elles prennent en compte l’histoire du jeune ; elles mobilisent les moyens de l’institution pour traiter toutes les difficultés rencontrées par l’enfant. Cette ambition s’inscrit dans le long terme et s’achève le plus souvent lorsque le jeune arrive à l’âge adulte. Rompant avec cette approche institutionnelle, le SESSAD prend en compte les ressources de l’environnement de l’enfant et construit un parcours d’intégration. Il ne représentera que l’une des étapes de ce parcours et ses professionnels s’emploieront à identifier les acteurs pouvant relayer et prolonger son action. Ces pratiques professionnelles se caractérisent par une recherche de continuité et la volonté de construire une trajectoire pour chaque jeune. Les durées des accompagnements sont donc plus brèves mais ouvrent à d’autres formes de liens et d’étayages sociaux. Les professionnels du SESSAD sont confrontés à un nouveau rapport au temps qui se traduit par une obligation de réactivité plus grande que dans les 25 IME. Dans l’établissement la planification et la répétition des activités des enfants et du CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, L’acteur et le système, Editions du Seuil, collection Points, 1977, p.286 23 personnel diminuent les imprévus. A l’inverse l’environnement social de l’enfant, système vivant et dynamique, laisse davantage de liberté à tous les acteurs mais génère de l’incertitude. Le personnel au contact de l’enfant recherche la maîtrise des informations pertinentes pour adapter ses actions. Cette maîtrise de l’information renforce son pouvoir au sein du SESSAD dont la vocation est de produire des interventions sociales et médico-sociales à « géométrie variable ». « Aucune organisation ne peut exister sans établir des relations avec son ou, mieux, ses environnements. Car elle en dépend … pour placer ou « vendre » son produit, qu’il s’agisse d’un bien matériel ou d’une prestation immatérielle… Les individus et les groupes… qui seront capables tout au moins en partie, cette zone d’incertitude, de la domestiquer au profit de l’organisation, disposeront tout naturellement d’un pouvoir considérable au sein de celle-ci ».26 Cette réactivité nécessaire est repérable au quotidien. Le temps vécu par le service se confronte au temps vécu par les familles des enfants. Par exemple la disponibilité des familles dépend de leurs obligations professionnelles et privées. Pour les professionnels cela entraîne un travail important de programmation des rendez-vous, avec des échanges téléphoniques et de fréquents réajustements. Le service doit gérer un certain absentéisme des enfants pendant les congés scolaires. Ces aléas organisationnels témoignent des enjeux qui se cristallisent autour des temps d’intervention du service. Lorsqu’il y a un décalage entre la demande des familles et les possibilités du service surviennent des tensions et chacune des parties manifeste une insatisfaction. Les interventions dans de multiples lieux sont rendues possibles par la mobilité du personnel. Cette capacité à se déplacer dans des délais raisonnables permet d’agir à proximité du territoire de vie de l’enfant et de sa famille. Cette mobilité est assez comparable à l’évolution générale de la société qui consacre davantage de moyens et de temps aux déplacements. Les travailleurs sociaux du SESSAD sont ainsi fréquemment sur les routes en fonction d’un planning de séances qui séquence leur journée. La programmation et la durée des interventions sont prescrites par les rythmes sociaux. L’organisation du temps demande une gestion soumise à des nombreux facteurs extérieurs. En agissant dans des endroits 26 CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, Op. Cit. pp.85.86. 24 éloignés de ses locaux, le SESSAD concourre à une forme d’aménagement du territoire. Il rompt l’isolement vécu par certaines familles. Un travail d’équipe différent, la question de la coordination des interventions. Il est possible de distinguer deux catégories d’intervention exercées par les membres du SESSAD. D’une part nous observons des interventions directes au contact de l’enfant et de sa famille, elles prennent la forme d’entretiens formels ou informels, d’activités ou de démarches menées en commun. D’autre part nous qualifierons d’intervention indirecte de nombreux échanges instaurés entre les membres du service ou avec des partenaires. Ce travail se réalise sous la forme de réunions, de rencontres, de communications téléphoniques, d’écrits. Il s’agit sans cesse de projeter des adaptations des actions du service en fonction de l’évolution des besoins de l’enfant accompagné. Ce pilotage répond à une forme d’évaluation continue de l’accompagnement à partir des informations collectées dans le milieu de vie de l’enfant ; intégrant ces nouvelles données son projet est régulièrement actualisé. Il s’agit d’exploiter les opportunités du contexte social pour développer l’autonomie de l’enfant. La pratique de l’accompagnement répond à cette aspiration à l’autonomie. A chaque projet individualisé correspond la constitution d’échanges et de partenariats entre l’équipe du et les autres acteurs agissant dans l’entourage de l’enfant : famille, voisins, SESSAD enseignants, animateurs des clubs de loisirs fréquentés par l’enfant ; cette liste se construit en fonction de la situation singulière de chaque enfant. L’accompagnement s’avère être le fruit d’un travail collectif et transversal qui dépasse l’équipe du SESSAD. Ce service médico-social ne peut proposer seul toutes les réponses dans le cadre d’un projet d’intégration ; il n’est qu’un des éléments de la réponse. Il y a une rupture par rapport à la représentation des établissements spécialisés qui sont parfois perçus par la société comme la réponse à tous les besoins de l’enfant. Ce changement modifie les rapports entre les usagers et l’institution. Ils perçoivent le SESSAD, service de proximité, avec sa réalité et ses limites alors que l’établissement restait éloigné de leur univers quotidien. Cette « distance » avec l’établissement est à l’origine de représentations oscillant de l’idéalisation au rejet. 25 Le partage de l’accompagnement de l’enfant entre l’équipe du SESSAD et les autres acteurs de l’entourage de cet enfant amène une mise en commun des approches et une explicitation des actions entreprises entre ces différents intervenants. Une nouvelle fonction émerge, celle de la coordination des actions. Les professionnels du SESSAD qui interviennent souvent seuls sur le terrain doivent reconstituer avec leurs collègues une approche cohérente et multidisciplinaire des besoins de l’enfant. A cet effort d’intégration interne s’ajoute un partage d’informations et une harmonisation des interventions avec les autres partenaires agissant dans l’environnement de l’enfant. Ainsi, sur le territoire, à proximité de l’enfant, les professionnels du SESSAD s’insèrent aux réseaux constitués par les acteurs sociaux et en fonction des projets ils nouent des partenariats. Ce décloisonnement des échanges, des projets innove par rapport à l’autosuffisance qui caractérisait certains établissements. La personnalisation des accompagnements. Toutes ces nouvelles logiques touchant le territoire d’intervention, le temps du projet, la transversalité et la coordination des interventions contribuent à la personnalisation des accompagnements. De la sorte les activités médico-éducatives menées par les professionnels du SESSAD ne concernent souvent qu’un enfant à la fois. Les enfants du service ne sont qu’occasionnellement regroupés contrairement aux pratiques des établissements qui valorisent ces activités collectives entre pairs. Cette socialisation à l’intérieur de groupes primaires s’opère directement dans le milieu de vie habituel de l’enfant avec le soutien des membres du SESSAD. Le SESSAD dispose d’une souplesse dans le choix de ses moyens d’intervention, cela facilite l’individualisation des accompagnements en fonction des besoins de chaque enfant. Cette « marge de manœuvre » par rapport aux moyens utilisés provient de la capacité du SESSAD à utiliser les ressources communautaires à proximité du domicile de l’enfant. D’autre part, ces ressources ne seront utilisées que le temps nécessaire à l’intérêt de l’enfant sans devenir un élément structurel du fonctionnement du service. 26 Schéma récapitulatif des anciennes et nouvelles pratiques IME SESSAD Regroupement sur un seul site des lieux d’activités de l’usager Lieux éclatés des activités de l’usager Prises en charge de longue durée de l’usager Durée limitée des accompagnements rythmés par les projets Travail pluridisciplinaire en interne Coordination des actions avec les partenaires extérieurs Organisation éducative par groupes Individualisation des accompagnements 1.2.3. Les nouvelles pratiques résistances au changement Nos observations du SESSAD professionnelles face aux « le soleil levant » montrent l’émergence de nouvelles pratiques professionnelles dans le champ médico-social. Toutefois d’autres observations réalisées dans ce service révèlent les persistances des schémas anciens ; les innovations se heurtent à des résistances dont les formes sont multiples : le poids des représentations, la permanence des enjeux de pouvoirs entre catégories professionnelles, le décalage entre les formations initiales valorisant l’internat et les compétences requises pour accompagner l’intégration des jeunes handicapés en milieu ordinaire. Le changement s’inscrit dans une 27 dynamique générale où les anciennes et nouvelles pratiques s’entrechoquent. Philippe BERNOUX dans son ouvrage La sociologie des organisations27 nous rappelle que : « Le changement ne se décrète pas. Une loi ou un ordre peuvent accompagner ou susciter un nouveau modèle relationnel, sûrement pas le déclencher. L’innovation n’a lieu que si le groupe ou l’organisation ont déjà vécu ces nouveaux modèles, ces nouveaux modes de relations. La difficulté vient de ce que l’apprentissage de la nouvelle pratique sociale se fait à l’intérieur de l’ancienne, de ce qu’il faut inventer des relations différentes dans un système qui vit une certaine pratique. » Une vision des professionnels encore centrée sur le handicap de l’enfant. Les textes officiels28 définissant les SESSAD investissent ce service d’une mission assez globale visant l’accompagnement de l’enfant et de sa famille. La réalité n’a pas encore rejoint complètement cet objectif ; nos observations des échanges entre professionnels lors des réunions de l’équipe du SESSAD « le soleil levant » confirment la permanence des anciens modèles d’analyse. Nous constatons que l’approche de ces professionnels se focalise essentiellement sur le handicap de l’enfant pour les deux raisons suivantes : Pour ces professionnels la difficulté d’intégration de l’enfant handicapé résulte principalement de sa déficience. Cette vision demeure encore présente dans la culture professionnelle de l’équipe médico-sociale, occultant la situation singulière vécue par l’enfant et l’importance des facteurs environnementaux. La mission des professionnels pour accompagner les familles reste assez imprécise. Les ressources familiales (dynamique, entraide, connaissances de leur enfant, leurs relations) sont peu exploitées. L’analyse porte avant tout sur l’histoire de l’enfant, l’étiologie de son handicap, ses incapacités. Cette « différence » des enfants mobilise la plupart des réflexions professionnelles et des recherches. Les plans d’interventions visent à faire évoluer cette différence qui n’est pas toujours resituée dans un contexte général. Une vision de la famille comme milieu pathologique reste prégnante malgré les évolutions de ces dernières décennies. Cette attitude des professionnels est particulièrement accentuée lorsque le handicap n’est 27 BERNOUX, Philippe, La sociologie des organisations, Editions du Seuil, Paris, 4e édition revue et augmentée, collection Points, 1985, p.203. 28 Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 et Annexe XXIV (ANNEXE 3 et 4) 28 attribué à aucune cause organique connue. Cette représentation d’un dysfonctionnement de la famille empêche l’établissement d’une relation de confiance basée sur une reconnaissance mutuelle. Une tension est perceptible dans l’alternance des attitudes des professionnels entre ouverture et repli vis-à-vis des familles. Cette ambivalence est un révélateur de la confrontation entre des modèles conceptuels d’interventions sociales. Certains auteurs voient une crise d’identité dans ce questionnement des professionnels : « Le changement social rapide, évolutif et polymorphe des gros établissements, où l’effet de masse est considérable, produit une crise d’identité pour les professionnels."29 La disqualification de la famille vient renforcer la rivalité, parfois constatée, entre familles et professionnels. Cette opposition est d’autant plus exacerbée que la famille appréhende d’être dépossédée de son enfant par les services spécialisés. Pourtant Jean-René LOUBAT 30 rappelle que : « Quelle que soit la famille et même si on la juge « imbuvable », elle est, primo, incontournable au plan affectif (elle est présente dans la vie et la tête de l’enfant et de l’adolescent) et, secundo, possède des compétences et un système de valeurs qu’il faut utiliser pour faire de la famille un co-acteur éducatif. D’où, l’association de la famille au projet personnalisé est plus que souhaitable : il est indispensable. » Nous venons de voir que la conception du handicap qui s’est construite dans le temps n’évolue que lentement et elle joue un rôle de frein à l’innovation. Cette conception reste encore marquée par l’approche médicale bien que la récente classification internationale du handicap31 mette en avant la dimension sociale. Cette confrontation entre des modèles théoriques du handicap nourrit les tensions interprofessionnelles entre le secteur médical et le secteur socio-éducatif que l’on peut observer dans les établissements et services spécialisés. Cependant une évolution des rapports de pouvoir s’opère : 29 CHOPART Jean Noël (sous la direction de) Les mutations du travail social, Dunod, Paris, 2000, p.159 Parents & Professionnels, 1. Une rencontre nécessaire, difficile et souhaitée, CREAI Rhône-Alpes, 1994 (actes du séminaire régional organisé par la DRASS Rhône-Alpes et le CREAI Rhône-Alpes les 31 janvier et 1er février 1992). p.32. 31 Nouvelle Classification Internationale du Fonctionnement du handicap et de la santé (CIF) 2001 OMS. Cette classification met en avant les notions de participation sociale et d’activités réalisées par la personne en situation de handicap. 30 29 « Dans certains grands établissements d’hébergement traditionnel en restructuration, le « médecin chef » a été remplacé par un « chef de service éducatif ».…Le médecin devient consultant, intervenant ponctuel et la prise d’orientation est prise collégialement.»32 Examinons maintenant ces logiques d’acteurs dans le cadre du SESSAD. Les stratégies de pouvoirs : l’influence des experts, le poids du secteur médical, la rivalité entre les grandes institutions. L’équipe du SESSAD « le soleil levant » est constituée de travailleurs sociaux et de soignants, médecin et paramédicaux. Ces professionnels sont tous issus de l’IME auquel est rattaché le SESSAD. Nous constatons donc une continuité dans la composition de l’équipe de l’établissement et du service. Les rapports de ces salariés se sont construits à l’IME sur l’affirmation et la différenciation de leurs identités professionnelles ; ce schéma inscrit dans l’histoire de ces professions semblent perdurer. Le médecin cherche à exercer un rôle clé sur le plan technique en déterminant une part importante des activités du service par ses prescriptions. Ces dernières concernent le traitement de l’enfant dont elles visent la rééducation et les soins. Dans le fonctionnement du service, ce praticien demeure l’expert vers lequel se tourne les autres membres de l’équipe en cas de questionnement. Son influence se trouve limitée par les attributions de la direction : recrutement du personnel, admissions et orientations des enfants, rencontres des familles. La pratique nouvelle des interventions individualisées pour les éducateurs qui « prenaient en charge » des groupes en IME introduit néanmoins un rapprochement entre leurs modalités d’exercice et celles des paramédicaux. Ceux-ci avaient déjà cette pratique de « l’individuel » en IME. La petite taille de l’équipe du SESSAD et sa dispersion dans différents lieux d’interventions diminuent les risques de tensions entre ses membres. C’est à la périphérie de l’organisation que se déplacent parfois ces tensions lorsque l’action est partagée avec des acteurs de l’environnement de l’enfant. Les conflits entre les services de l’IME (médical, éducatif, scolaire) qui étaient circonscrits à l’intérieur de l’établissement sont comme « externalisés » dans le cadre du 32 SESSAD. Il est alors remarquable de repérer des frottements CHOPART Jean Noël (sous la direction de) Ibid, note 29. 30 entre le SESSAD et ses partenaires qui reproduisent celles des grandes fonctions auparavant intégrées dans l’IME : le pédagogique, l’éducatif et le thérapeutique. Dans l’environnement de l’enfant, chaque institution investit électivement à tour de rôle l’une de ces grandes fonctions maintenant l’équilibre du « système d’action concret » tel que défini par Michel CROZIER33. Certaines appropriations se font naturellement en référence à des repères communs, ainsi la fonction pédagogique est personnalisée par les services de l’Education Nationale. En fait, il existe des logiques propres à chaque acteur participant à l’accueil ou l’accompagnement de l’enfant ; la lecture de ces différentes logiques, leur mise en cohérence et compatibilité sont l’une des activités des SESSAD. La connaissance et l’analyse de l’environnement sont donc l’un des enjeux majeurs du service. Cette « zone d’incertitude » au sens de l’analyse stratégique des organisations est source de pouvoir pour les travailleurs sociaux intervenant sur le territoire. « S’il y a incertitude, les acteurs capables de la contrôler l’utiliseront dans leurs tractations avec ceux qui en dépendent. Car ce qui est incertitude du point de vue des problèmes est pouvoir du point de vue des acteurs. »34 Au cours de ces interventions, de leurs contacts avec les partenaires, les membres du SESSAD collectent des informations répondant à une stratégie visant à mieux cerner la situation complexe dans laquelle évolue l’enfant. Ils exercent un rôle clé pour l’organisation. Les formations des professionnels : des professions institutionnalisées. Les formations professionnelles initiales sont identiques pour l’exercice en établissement ou en SESSAD. Certaines de ces formations notamment celle d’éducateur spécialisé donne une place importante aux pratiques en internat ; il est même prévu l’obligation de réaliser un stage en internat durant la formation. Cette formation « de base » partagée par les équipes des établissements et des SESSAD engendre-t-elle des pratiques uniformes ? Sans doute pas mais elle est de nature à maintenir un état d’esprit, une vision qui colorent les actions entreprises. Cette professionnalisation apporte une forme de stabilisation des pratiques en donnant des repères, des règles. La prégnance de ce modèle de prise en charge en institution s’est révélée à travers un débat au sein de l’équipe du SESSAD, à savoir la mise en place d’activités en groupe dans les locaux du service. Cette perspective de 33 34 CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, Ibid. note 25. CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, Op.Cit, p.23,24. 31 fonctionnement collectif et régulier pour une majorité des enfants accompagnés par le SESSAD s’opposait à la conception de l’intégration en milieu ordinaire. Finalement ce projet ne s’est pas réalisé sous l’influence d’une partie des membres de l’équipe qui valorisèrent l’intervention au domicile de l’enfant. Une étude plus précise des expériences et des formations continues des membres de l’équipe du SESSAD indique cependant une démarche de spécialisation par le choix des formations continues, par exemple : - L’intervention sociale au domicile des familles. - L’intégration scolaire de l’enfant handicapé. - Les pratiques de partenariat. Deux facteurs sont alors identifiés dans la formation professionnelle des membres de l’équipe du SESSAD : un ancrage dans un métier facilitant l’identification à un groupe professionnel et une démarche exploratoire, souvent personnelle, faite de formations complémentaires pour adapter les compétences aux activités de ce service. 32 1.3. Constat 2 : Les nouvelles pratiques professionnelles à l’IME de Ville-en-Selve depuis l’ouverture du SESSAD. Après avoir exposé l’émergence de nouvelles pratiques au SESSAD « le soleil levant », nous examinerons dans ce chapitre leurs répercussions sur le fonctionnement de l’IME de Ville-en-Selve, établissement auquel est rattaché le service. En introduction nous décrirons les premières réactions constatées à l’IME lors de l’ouverture du SESSAD, notamment les résistances initiales qui s’exprimèrent. Dans un second temps, nous montrerons les évolutions constatées dans le fonctionnement de l’IME depuis cette ouverture du SESSAD. 1.3.1. L’IME de Ville-en-Selve En février 2000, période d’ouverture du SESSAD, l’IME de Ville-en-Selve accueille 135 garçons et filles présentant une déficience intellectuelle avec ou sans troubles associés, âgés de 6 à 20 ans et originaires de la Marne, (68 places en internat et 67 en semi internat). Jusqu’en 1999, l’établissement était agréé pour accueillir 150 jeunes dont 108 internes. Ouvert en 1977, l’IME est installé sur une propriété de plus de 6 hectares sur la commune de Ville-en-Selve dans le parc naturel régional de la montagne de Reims. L’ensemble de ses locaux totalise 8205 m² avec de nombreux équipements. Lorsque l’établissement a été conçu, l’idée est encore prégnante que les familles d’enfants déficients sont pathogènes et qu’une séparation est bénéfique. Cela peut être une des raisons du choix de l’installation de l’établissement dans ce lieu, d’accès difficile l’hiver, mais il faut également tenir compte que l’acquisition du terrain, appartenant à la commune de Ville-en-Selve, se réalisa pour un prix symbolique. L’éloignement de la zone de recrutement et l’importante infrastructure montre que les jeunes accueillis y recevaient enseignement, soins, hébergement… sans contact avec l’environnement extérieur. Une telle situation géographique ne répondait plus aux politiques d’intégration et entraînait des désavantages pour les déplacements en terme de coût et de temps. La distance ne facilitait pas le travail avec les familles qui venaient rarement hormis le jour de la rentrée et lors de rendez-vous organisés et prévus, au total en moyenne deux fois dans l’année. La conception architecturale de l’IME souhaite donner l’aspect d’un village avec ses pôles d’activités, ses lieux de vie. Séparant les services, la distribution des locaux crée un 33 cloisonnement. L’effet pervers est d’entraver la communication entre ces secteurs. Il s’agit d’une vision taylorienne de la division du travail, les cadres étant regroupés dans le même bâtiment assurant la définition conceptuelle du travail pendant que l’exécution est confiée aux agents dans les services. Cette terminologie d’agent renvoie à l’appellation statutaire en vigueur dans cet établissement géré par un organisme de la sécurité sociale. Chaque salarié est effectivement identifié par un numéro d’agent. L’équipe institutionnelle est pluridisciplinaire, composée d’un secteur pédagogique, éducatif, médical et thérapeutique. Le fonctionnement de l’IME est régi par de nombreuses règles écrites. Ce fort degré de formalisation limite les marges d’initiatives individuelles. Il y a une profusion des notes de service et d’informations diffusées et affichées. Mais comme l’indique Michel CROZIER dans son ouvrage La société bloquée ces écrits administratifs ne témoignent pas forcément d’une communication de qualité entre les différents membres de l’institution. « Ce n’est pas en effet ni au volume des circulaires et des notes de service, ni même à celui des états statistiques dépouillés par des moyens électroniques, que peut se mesurer la capacité de communication d’un système. Cette littérature est d’autant moins lue qu’elle est moins pertinente. A tous les niveaux, on s’en sert davantage pour se protéger que pour s’informer. »35 Un tel contexte évoque les systèmes bureaucratiques analysés par Michel CROZIER. Il y a bien présence de nombreuses règles impersonnelles prescrivant le travail et structurant le déroulement de carrière des salariés. Ce système génère une certaine sécurité, une égalisation des parcours ; en revanche il ne valorise pas l’initiative ni les innovations. Cette limitation des initiatives individuelles se combine avec une centralisation des décisions. Les observations des salariés sur le terrain ne remontent pas forcément vers la direction et n’influencent pas les choix. On constate même une certaine attente et passivité des membres des équipes vis-à-vis des décisions de la direction. Certes ce dispositif atténue l’arbitraire et le poids des décisions individuelles, mais freine les adaptations nécessaires dont les acteurs du terrain sont parfois les premiers à déceler la nécessité. 35 CROZIER, Michel, La société bloquée, Editions du Seuil, Collection Points Essais, édition augmentée 1994, p.106. 34 Les modes de transmission dans l’établissement s’opèrent de façon privilégiée par la voie hiérarchique, au détriment de communication transversale. Cette organisation par fonction, davantage que par projet, renforce l’identité de chaque groupe catégoriel. Dans ces équipes de pairs se développe une culture professionnelle spécifique à l’établissement ; ce fonctionnement rappelle ce que le sociologue René SAINSAULIEU a étudié dans ses recherches sur les cultures d’entreprises. « Le travail de métier est une valeur parce qu’il permet d’accéder à la conscience de soi et de bâtir un monde social sur la reconnaissance de l’originalité des individus. Parler de travail bien fait, c’est évoquer, bien plus qu’une œuvre réussie, tout un ensemble de rapports humains fondés sur la compréhension mutuelle, la discussion démocratique et le refus de l’autorité arbitraire imposée de l’extérieur. »36 Les nouveaux embauchés sont obligés d’adopter les normes de leur groupe professionnel, et de se positionner vis-à-vis des autres groupes professionnels conformément à l’attitude dominante de leur service. Dans le langage institutionnel cette identification des groupes est évidente dans l’utilisation récurrente de termes génériques : « les éducateurs », « les paramédicaux », « les hommes d’entretien », « les instits ». Ceci conduit à une stratification des différentes catégories qui communiquent peu entre elles. Le groupe devient le pôle de résistance à la pression hiérarchique. La conséquence de cette organisation bureaucratique est la difficulté d’aborder le changement, qu’il soit proposé par les acteurs internes à la structure ou qu’il résulte de contraintes externes à l’établissement. Nous observons également le développement de relations parallèles de pouvoir que nous identifions à travers l’activité des syndicats, les œuvres sociales du comité d’entreprise, la coopérative scolaire, l’organisation des transferts d’été pour les jeunes. Tous ces réseaux ont la caractéristique de décloisonner les groupes professionnels et ils offrent des canaux de communication informelle qui contrebalancent la fragmentation en équipes distinctes. 36 SAINSAULIEU, René, L’identité au travail, 3e édition, Paris, Editions Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1988, p.360. 35 1.3.2. Redéploiement de l’IME de Ville-en-Selve et ouverture du SESSAD « le soleil levant ». L’ouverture du SESSAD en février 2000 introduisit un changement notable dans la vie institutionnelle. Elle découla d’une contrainte extérieure exercée par les autorités de contrôle. Reprenant la formule de Jacques BRENOT et Louis TUVEE dans Le changement des organisations37, nous pensons que ce changement généra une véritable « crise institutionnelle ». Plus qu’une adaptation, il représente une mutation : le passage d’une prise en charge axée sur l’internat et semi internat à la campagne, à un projet d’accompagnement individualisé en zone urbaine. Cette période de changement fut propice aux jeux de pouvoir, chacun des acteurs se positionnant pour ou contre le SESSAD en fonction de ses intérêts. Il s’agissait d’une modification profonde de l’organisation et donc des relations de pouvoir. Un appel à candidature en interne fut organisé pour recruter le personnel et créa des tensions entre les membres de l’institution. Cette confrontation s’exprima au sein de l’équipe de direction. Le responsable de l’internat exprima des inquiétudes quant à l’avenir de ce mode de prise en charge, vision partagée par une majorité des membres de son service. Certains membres de l’institution exprimaient des inquiétudes quant à l’avenir de l’emploi. Cette méfiance explique la position de retrait d’une partie de l’encadrement qui ne s’investit pas dans la réalisation de ce projet. L’aboutissement du changement résulta d’un engagement conséquent du directeur, qui un an après quitta l’établissement. Durant cette période de nombreuses résistances s’exprimèrent, tant par les voies hiérarchiques que par des circuits plus informels : circulation de fausses informations, phénomène de rumeurs, dramatisation. Une grande partie des salariés de l’IME s’insurgeaient contre la fermeture et le redéploiement des places de l’internat car ils estimaient que ce mode de prise en charge correspondait aux besoins des jeunes handicapés. Pour ces salariés, la création du SESSAD devait s’opérer avec des moyens nouveaux. Ils exprimaient un certain scepticisme sur la nécessité de créer un service. 37 BRENOT, Jacques et TUVEE, Louis, Le changement dans les organisations, Que sais-je ? PUF, 1996. 36 Ces réactions appellent plusieurs réflexions ; pour certains salariés la crainte de perte d’emploi en est à l’origine, par exemple pour les agents chargés de l’entretien des bâtiments et des transports ; en revanche pour l’équipe médico sociale le redéploiement est vécu comme une remise en cause de leurs compétences ; enfin la plupart de ces salariés méconnaissent le dispositif des SESSAD encore peu répandus dans la Marne. Les incertitudes de l’avenir et la peur « d’avoir à y perdre » prennent le pas sur les gains éventuels résultant d’une nouvelle organisation. « …les salariés résistent souvent à un changement qu’ils comprennent mal. Il peut alors se développer des inadaptations et des rejets…L’introduction de nouvelles technologies dans les organisations soulève des difficultés. Elle bouscule les habitudes, les manières de travailler, de concevoir, de penser, de présenter les informations, de communiquer. Elle met à jour les capacités et les incapacités des organisations à s’adapter aux technologies, à se modifier. Elle est source de désordre… »38 Dans les premiers temps de fonctionnement du SESSAD deux types de phénomènes s’observent : ▪ Les liaisons entre l’IME et le SESSAD sont minimales ; la création du SESSAD est un peu comparable à un processus de division cellulaire. L’IME se recentre sur ses activités et projette son avenir sans intégrer les impacts nés de la création du SESSAD. Il y a une forme de négation du changement intervenu. ▪ Le second type de phénomène s’observe plus particulièrement dans l’équipe du SESSAD. Nous rappelons que ses membres arrivent de l’IME et sont volontaires pour s’investir dans ce nouveau service. Or en dépit de cette adhésion partagée pour le démarrage du service, des tensions surgissent sur le choix des modalités de travail. Une partie des membres de l’équipe, essentiellement le médecin et les paramédicaux tentent de reproduire le fonctionnement de l’IME, cherchant à créer un petit établissement dans les nouveaux locaux. Ceci se traduit notamment dans les propositions de fonctionnement : accueil des usagers dans les locaux plutôt que déplacements sur le territoire, résistances pour échanger régulièrement avec les familles, évitements de réunions impliquant des partenaires extérieurs. Les autres membres de l’équipe, notamment les travailleurs sociaux impulsent des pratiques inspirées par le 38 POTOCKI MALICET, Danielle, Eléments de sociologie du travail et de l’organisation, Editions Economica, 1997, p.57. 37 fonctionnement d’autres SESSAD ou par des formations continues : particulièrement des interventions « hors des murs », à la rencontre de la famille et de l’enfant sur leur territoire de vie. Après une certaine opposition, le médecin chef intègre la nouvelle donne liée à un environnement radicalement différent et il adapte l’organisation de son service ainsi ses collaborateurs s’engagent dans de nouveaux fonctionnements. 1.3.3. Aujourd’hui, les pratiques professionnelles à l’IME de Villeen-Selve. Quatre ans après l’ouverture du SESSAD, nous enregistrons de nombreux changements dans les pratiques développées par l’IME de Ville-en-Selve. Les prestations délivrées aux jeunes se sont élargies et diversifiées ; elles se sont individualisées. Cette modification des rapports avec l’usager concorde avec une ouverture plus marquée de l’établissement sur son environnement. Cette ouverture est active avec l’instauration de contacts informels avec les différents acteurs territoriaux mais aussi de liens formalisés par des textes, conventions, contrats. L’ouverture se constate également en terme d’accueil dans l’établissement où les familles et d’autres partenaires accèdent plus facilement. Examinons plus en détail l’évolution des prestations et la prise en compte de l’environnement par l’IME. Une évolution des prestations destinées aux usagers. La personnalisation des prises en charge s’accentue, elle s’observe dans une plus forte individualisation des emplois du temps, désormais établis par jeune et non plus par groupe. ▪ Un système de référent a été instauré de manière à coordonner toutes les informations concernant chaque jeune. Ce référent, membre de l’équipe médico sociale, est l’interlocuteur privilégié du jeune et de sa famille et il relaie leurs attentes auprès de l’équipe institutionnelle. Plus généralement la place de la famille est reconnue et son soutien s’inscrit dans le projet de l’établissement. ▪ Dans le programme conçu avec chaque jeune, la scolarité occupe toujours une place conséquente mais elle est de plus en plus dispensée en milieu ordinaire. L’intégration scolaire devient un objectif prioritaire, le nombre de jeunes en bénéficiant passe de 3% à 12% en deux ans. Parallèlement à cette intégration dans les établissements scolaires, une classe de l’IME a été supprimée. 38 ▪ L’accompagnement par l’établissement intègre davantage les différents aspects de la vie de l’enfant. Cette vision globale est alimentée par les informations transmises par les intervenants extérieurs concernés par les projets de l’enfant et de sa famille. Cette approche transversale replace le jeune comme une personne avec sa singularité et sa complexité, elle ne lui assigne plus uniquement un rôle d’élève ou de patient en fonction du service fréquenté. ▪ Une forme de tabou est tombée avec la fin de la préconisation systématique de la formule internat à temps complet. Des formules diversifiées ont remplacé cette réponse exclusive : l’accueil à temps partiel, l’alternance internat/externat, l’accueil temporaire. Un nouveau principe s’affirme, la primauté de la vie à domicile sur l’hébergement en institution ; cette solution s’avérant un recours, le plus souvent temporaire, en cas de difficultés particulières. ▪ Dans le même ordre d’idée, les temps consacrés à l’accompagnement socio éducatif des jeunes à l’extérieur de l’institution sont en augmentation. Il y a davantage d’activités en immersion dans la vie locale sous forme de stages, de sorties éducatives, de participations sociales. Les espaces d’expérimentation sont multipliés avec la possibilité de bénéficier de prestations dans les autres établissements gérés par le même organisme. ▪ Il y a un changement de modèle éducatif ; à la rééducation de l’enfant « différent » visée au sein de l’établissement spécialisé, a succédé son accompagnement dans des mises en situation sociale, instaurant une médiation entre l’environnement et le jeune handicapé dans sa confrontation à la réalité. ▪ Dans la même logique, la formation pré professionnelle s’opère à partir de supports plus concrets concernant des activités d’utilité sociale : construction de mobilier urbain, équipement sportif. ▪ L’obligation de suivi pendant trois ans à la sortie d’établissement est dorénavant précédée par une démarche d’anticipation de l’équipe institutionnelle qui cherche des relais afin d’assurer la continuité de l’accompagnement. L’individualisation des projets conduit ces professionnels à approfondir le travail d’orientation de manière à proposer le parcours le plus adéquat à l’usager. De nouveaux rapports avec l’environnement. Les nouveaux objectifs poursuivis avec les jeunes se réalisent à partir de modalités renouvelées ; elles présentent des similitudes avec celles observées au SESSAD « le soleil levant ». ▪ L’Education Nationale devient un partenaire important, une partie des activités est animée avec ses enseignants et dans ses locaux. Les rapports entre l’IME et l’Education Nationale se 39 contractualisent, des conventions précisent le rôle et les responsabilités de chacun des partenaires pour faciliter l’intégration des jeunes. Une forme de complémentarité se construit entre l’IME et l’école, l’enfant partageant son temps entre ces deux institutions. Cette volonté de travailler en réseaux et partenariat se constate auprès de nombreux acteurs de l’environnement de l’IME : les services de proximité du village, les organismes sociaux, l’hôpital, les instances administratives et judiciaires, les autres établissements et services du secteur médico social. ▪ Les échanges avec la municipalité se sont accrus, les jeunes de l’IME participent par leurs travaux à l’aménagement de la commune. Les élus leur ont confié l’agencement d’une aire de loisirs destinée aux enfants du village. L’établissement met également ses locaux à disposition d’autres partenaires, notamment de services sociaux complétant son action auprès des jeunes et de leurs familles. ▪ Ce souci de la qualité de l’accueil des visiteurs dans l’établissement retentit sur l’accueil des familles des enfants plus présentes que par le passé. Une association regroupant une partie des familles des enfants accueillis est reconnue par l’établissement. Cette volonté de nouer des liens avec l’environnement et d’ouvrir l’établissement est rendue possible par une nouvelle manière de travailler des salariés. ▪ Les dirigeants de l’IME participent à la vie locale et s’investissent dans les instances professionnelles du secteur médico social. Cette attitude volontaire les conduit à collecter des informations stratégiques, à améliorer l’image de l’IME, à communiquer son projet. Dans le même esprit d’autres catégories professionnelles s’impliquent dans des groupes de travail impulsés par les pouvoirs publics ou d’autres partenaires, par exemple au sein des commissions chargées d’élaborer le schéma départemental en faveur des personnes handicapées, à la CDES. L’IME prend l’initiative d’accueillir une partie de ces réunions inter- services. ▪ Un travail en réseau a été mis en place avec les autres établissements gérés également par l’UGECAM39 pour concevoir les outils rendus obligatoires par la loi du 2 janvier 2002 : projet d’établissement, évaluation de la qualité du service rendu. Ce travail en commun sera prochainement facilité par l’installation d’un dispositif informatique intranet permettant aux différents services de l’UGECAM de communiquer entre eux. ▪ Les membres des différentes équipes participent aux synthèses extérieures organisées par les instances partenaires accompagnant conjointement les jeunes. Lors de ces rencontres un 39 Union pour la Gestion des Etablissements des Caisses d’Assurance Maladie 40 travail de coordination entre ces travailleurs sociaux améliore la cohérence des réponses données aux jeunes. Tous ces contacts des salariés de l’IME développent leur connaissance de l’environnement et des besoins et ressources de la population locale. Ces informations sont partagées au sein de l’équipe. Il y a émergence d’une nouvelle compétence : l’observation de l’environnement. Afin de se rapprocher des familles et de sortir de son isolement, l’établissement met progressivement en place une nouvelle stratégie : à Reims il utilise les locaux du SESSAD. Il s’en sert pour organiser plus facilement ses rencontres avec les partenaires ; cela lui permet aussi de donner une image différente de celle d’un établissement isolé à la campagne. Cette nouvelle pratique de l’IME entraîne une coordination entre les salariés de l’IME et du SESSAD. Il y a un rapprochement entre les deux équipes qui travaillent ensemble comme des partenaires ayant repéré la mission de chacun. Cette coopération remplace les stratégies d’évitement mises en place par les deux équipes après l’ouverture du SESSAD. 41 1.4. Synthèse des constats et formulation de la question principale. Notre interrogation initiale, relative à l’innovation présente dans l’accompagnement proposé par les SESSAD et son éventuelle diffusion sur le fonctionnement des établissements spécialisés, nous a conduit à observer et analyser les pratiques professionnelles du SESSAD « le soleil levant » et de l’IME de Ville-en-Selve. Nos observations ont concerné deux périodes : l’ouverture du SESSAD créé à partir d’une transformation de l’IME, puis quatre ans plus tard, le fonctionnement du nouveau dispositif représenté par les deux structures. Au SESSAD « le soleil levant » nous avons constaté que progressivement se sont installées de nouvelles pratiques. Elles favorisent l’individualisation des accompagnements et conduisent les salariés à intervenir au domicile des enfants et de leurs familles. Cet accompagnement vise l’intégration des enfants en milieu ordinaire en coordonnant leurs actions avec celles des différents acteurs du territoire. Les rapports avec l’usager sont modifiés, laissant une place plus importante aux choix exprimés par celui-ci ; ces liens se contractualisent. L’accompagnement est rythmé par la pratique du projet et il s’inscrit dans une durée déterminée. Ces innovations rencontrent cependant des résistances. Ainsi les professionnels ont encore tendance à médicaliser et à spécialiser les réponses. Nous avons repéré les réactions des experts (médecin, psychologue, rééducateur) qui cherchent à maintenir leur position dominante dans le dispositif de l’action sanitaire et sociale tant sur le plan technique que symbolique. Cependant, le contenu des formations professionnelles des différents intervenants, notamment des travailleurs sociaux, évolue progressivement restreignant la place tenue par le modèle de prise en charge en internat des personnes handicapées. De nouveaux référentiels de formations viennent d’être officialisés, notamment pour les éducateurs spécialisés ; ils témoignent d’une évolution. Olivier LIAROUTZOS, sociologue du travail et chargé d’études au 40 CEREQ a prêté son concours à la réalisation du référentiel de la validation des acquis de l’expérience au diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé et il précise : 40 Centre d’Etude et de Recherche sur l’Emploi et les Qualifications 42 « Au travers de ces compétences, nous avons voulu privilégier une vision dynamique du métier. Les compétences touchant à la conduite de projet ou à l’analyse des pratiques relèvent ainsi d’une évolution qui semble caractériser le nouveau métier d’éducateur spécialisé. S’il n’y a pas cette ouverture sur le monde qui permet de prendre du recul, il manque quelque chose à la pratique professionnelle. »41 Nous avons noté le parcours de formation continue entrepris par les salariés du SESSAD qui cherchent à donner un éclairage théorique et du sens à leur nouvelle expérience professionnelle. Nous avons vu que l’ouverture du SESSAD « le soleil levant » a suscité des inquiétudes parmi les professionnels de l’IME de Ville-en-Selve. Les changements vécus par leur institution n’étaient pas resitués dans la perspective des politiques sociales ; un sentiment d’incompréhension dominait. Dans un premier temps, l’ IME ne semble pas concerné par le changement. Il maintient une organisation interne et des règles institutionnelles élaborées au fil des années ; ces règles fixent la division du travail entre les équipes et elles laissent peu de place à l’imprévu ; l’emploi du temps est très structuré. Les usagers doivent s’adapter à ce règlement général, leur adaptation étant un indicateur de réussite de leur prise en charge. A cette période, l’IME se détourne des activités du nouveau SESSAD, d’autant que celui-ci est installé à 15 kilomètres, en milieu urbain. La création de ce nouveau service représente davantage une menace qu’une opportunité, une remise en cause plus qu’une source de renouvellement. Quatre ans plus tard le constat diffère, les pratiques professionnelles de l’IME montrent différents signes d’évolution. L’IME investit son environnement, il a resserré les liens avec les acteurs politiques, économiques et sociaux du territoire. Ces prestations se sont diversifiées ; ceci exige davantage de souplesse dans son fonctionnement. De la sorte les accompagnements des jeunes sont plus personnalisés, l’internat n’est plus la réponse exclusive, l’intégration scolaire devient une priorité. Cette dynamique coïncide avec de nouvelles postures des salariés qui sortent de l’institution pour rencontrer les partenaires locaux. Nous constatons une plus grande marge de manœuvre de ces salariés pour aménager l’accompagnement des jeunes et prendre des initiatives. Dans l’établissement, différents groupes de travail ont été suscités par la direction pour actualiser le projet, mettre en œuvre les obligations de la loi du 2 janvier 41 LIAROUTZOS Olivier, in Formation Santé Social, n°53, décembre 2002, p. 10. 43 2002. La relation de l’établissement avec les usagers est marquée par une plus grande proximité et une plus grande participation des familles dans la mise en place et le suivi du projet de leurs enfants. Les réserves manifestées par les professionnels de l’IME lors de l’ouverture du SESSAD s’atténuent ; les rapports entre les deux entités prennent une nouvelle tournure. Les échanges entre les deux équipes sont plus fréquents et les salariés du SESSAD participent à des réunions au sein de l’IME. Inversement l’implantation du SESSAD au centre de Reims est utilisée par les salariés de l’IME pour recevoir les familles. Cette meilleure coopération est propice au partage d’idées sur les projets des jeunes et les modes d’accompagnement. Pour certains enfants une continuité d’accompagnement s’instaure entre les deux structures. Habituées avec le SESSAD à jouer un rôle important dans l’accompagnement de leur enfant, les familles reproduisent ce mode de communication avec l’IME. Après avoir repéré l’émergence de nouveaux modes d’intervention sociale au SESSAD « le soleil levant », nous avons constaté une évolution comparable dans le fonctionnement de l’IME de Ville-en-Selve. Ces constats réalisés dans un contexte spécifique orientent notre questionnement sur l’innovation que pourrait impulser le SESSAD en faveur de l’IME. Notre étude va tenter de répondre à la question suivante : En quoi le SESSAD est-il facteur d’innovation pour l’IME ? Arrivée à cette étape de notre recherche, nous allons procéder à la proposition d’une hypothèse de travail qui sera le fil conducteur nous permettant de nous orienter et sélectionner les données pertinentes. Comme l’indiquent Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT : « L’organisation d’une recherche autour d’hypothèses de travail constitue le meilleur moyen de la mener avec ordre et rigueur sans sacrifier pour autant l’esprit de découverte et de curiosité propre à tout effort intellectuel digne de ce nom ».42 Dès maintenant, nous percevons que l’approfondissement de notre questionnement nécessitera un éclairage théorique de la notion d’innovation et de sa traduction dans les 42 QUIVY, Raymond, VAN CAMPENHOUDT, Luc, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 2e édition entièrement revue et augmentée, 1995, p 117. 44 pratiques professionnelles mises en évidence au SESSAD « le soleil levant ». Ce concept appliqué au secteur social nous aidera à rendre compte de la dynamique complexe, et au premier regard peu lisible, née du redéploiement de l’IME et de l’ouverture d’un SESSAD. Notre démarche vise à donner du sens, des repères et une position d’acteur aux usagers et aux professionnels impliqués dans ce mouvement. 45 2. DEUXIEME PARTIE- LE SESSAD : FACTEUR D’INNOVATION POUR L’IME 46 « L’investigation doit favoriser l’émergence des données concrètes, et, à ce titre, doit être assez souple pour recueillir des documents bruts (notations d’événements, enregistrement de discussions, entretiens dirigés au minimum). Elle doit saisir les diverses dimensions du phénomène étudié, et faire appel à différentes voies d’approche ».43 Le SESSAD : Facteur d’innovation pour l’IME. Dans cette seconde partie, nous allons construire un modèle d’analyse pour faciliter le cheminement de notre recherche. Nous énoncerons plusieurs hypothèses de recherche et retiendrons la plus plausible. L’étude du concept d’innovation puis l’exploration de la notion de travail en réseau et partenariat serviront de support théorique à notre raisonnement. L’hypothèse retenue nous permettra d’articuler cette réflexion théorique avec les données du terrain. Enfin, nous présenterons les outils méthodologiques pour collecter les données pertinentes et vérifier la validité de l’hypothèse. 2.1. Construction d’une hypothèse de recherche Nous avons noté que les innovations avaient d’abord caractérisé le SESSAD avant d’être repérées plus tard dans le fonctionnement de l’IME de Ville-en-Selve. Ce décalage temporaire dans l’apparition de ces nouvelles pratiques professionnelles entre les deux structures médico sociales suggère une influence du fonctionnement du SESSAD sur celui de l’IME. La conscience de ce lien se relève également dans les propos des professionnels. Un cadre de l’établissement déclare ainsi lors d’une réunion institutionnelle : « le SESSAD est la locomotive de l’IME ». 43 MORIN, Edgar, Sociologie, Edition revue et augmentée par l’auteur, Paris, Edition Fayard, Seuil, Collection Points Essais, 1994, p. 217. 47 Avant de parvenir à la formulation d’une hypothèse, nous avons analysé différents facteurs pouvant donner un éclairage à la question principale. Parmi ces facteurs nous avons choisi des facteurs exogènes au dispositif institutionnel et des caractéristiques de son fonctionnement interne : Dans l’environnement de l’IME et du SESSAD, les nouvelles attitudes et positions adoptées par les usagers et leurs familles se sont modifiées ces dernières années. De manière de plus en plus explicite, les médias témoignent de leurs revendications ; ces personnes handicapées expriment une vision critique de la place qui leur est actuellement assignée par la société. Jean-Luc SIMON, président d’une association d’usagers et chargé en 2003 de la coordination de l’Année Européenne des personnes handicapées, illustre cette évolution des mentalités en déclarant : « En toute dignité et compétents pour exprimer nos besoins, nous, personnes handicapées, tissons donc des réseaux de soutien mutuel pour renforcer notre influence et améliorer les conditions d’accès à une vie digne et librement choisie. Les cadres de notre insertion sont depuis longtemps pensés par d’autres, les choix qui décident de nos cadres de vie nous isolent et la volonté d’intégration exprimée par la société n’aboutit pas, ou pas assez. »44 ↪ Une première hypothèse pourrait s’inspirer de cette posture des usagers et de leurs familles, le SESSAD serait un relais de leur parole. Les attentes de ces usagers seraient portées jusqu’à l’IME, le conduisant à innover dans ses pratiques. De par ses missions le SESSAD a développé dès son ouverture des relations fréquentes avec les services de l’Education Nationale, ceci à différents niveaux : enseignants et directeurs d’école, auxiliaires, psychologues scolaires, secrétaires CCPE inspecteurs. Cette « familiarisation » avec l’institution scolaire a permis au ou CCSD, SESSAD de communiquer des informations sur les dispositifs d’intégration à l’IME, facilitant leur utilisation. Dans cette optique le 44 SESSAD a pris l’initiative d’une réunion d’échanges où un SIMON, Jean-Luc, « Le mouvement international des personnes handicapées », Prévenir, n°39, 2000, pp.239244, In Problèmes politiques et sociaux, Personnes handicapées et situations de handicap, La Documentation Française, n°892, septembre 2003. 48 représentant de l’Education Nationale - secrétaire CCSD- présenta ces dispositifs à une équipe venue de l’IME. ↪ Une seconde hypothèse investirait le SESSAD d’une sensibilisation de l’équipe de l’IME à « l’ingénierie » de l’intégration scolaire qui renvoie à l’articulation d’informations, de stratégies et de savoir-faire. Les interventions de proximité proposées par le SESSAD à ses usagers, s’inscrivent dans une tendance « lourde » de l’évolution du travail social. Cette tendance accompagne le mouvement de décentralisation de l’organisation administrative et la mise en place de politiques sociales territorialisées. Jacques ION a montré l’ampleur de ce phénomène d’investissement du territoire ; c’est devenu un nouveau modèle d’intervention sociale : « La notion de territoire implique précisément que l’espace retenu présente des caractéristiques sociologiques qui soient constitutives de son unité. Cette définition est donc présentée comme fondatrice d’un découpage plus pertinent que ceux habituellement en vigueur, supposés inadéquats au traitement du problème considéré. En ce sens, ces territoires sont aussi des espaces d’action créés pour des interventions spécifiques. Suscités par l’Etat, contrôlés par les élus locaux, impliquant le concours de multiples institutions et professionnels sur des territoires ad hoc, tels sont en résumé les principes distinctifs de tous ces nouveaux dispositifs progressivement mis en œuvre depuis une décennie. »45 Le SESSAD installé à Reims peut être perçu comme un « poste avancé » de l’IME, dans une tentative de se rapprocher de ses usagers qui vivent sur ce territoire. Nous avons vu qu’il sert parfois de bureau d’accueil des familles pour l’équipe de l’IME. ↪ Dans cette troisième hypothèse, le SESSAD aurait permis un désenclavement de l’IME, lui permettant d’investir un nouveau territoire plus proche de l’usager. Après l’étude de ces facteurs exogènes, nous traiterons maintenant de facteurs endogènes à l’organisation SESSAD / IME : 45 ION, Jacques, Le travail social à l’épreuve du territoire, Paris, Dunod, 2000, p.41. 49 Le changement apporté par l’ouverture du SESSAD modifie les relations de travail entre les salariés. Michel CROZIER signale que la rupture de cet équilibre entraîne une transformation des relations de pouvoir. ↪ Dans une quatrième hypothèse, nous pouvons nous interroger sur une éventuelle « prise de pouvoir » de l’équipe du SESSAD qui de ce fait aurait imposé ses normes de travail à l’ IME. Une variante de l’hypothèse précédente pourrait être que l’équipe de direction décrète que les pratiques professionnelles du SESSAD sont un modèle à suivre. ↪ Dans cette cinquième hypothèse, l’adoption de ces pratiques par les membres de l’IME est encouragée par la direction. Ces hypothèses, compte tenu de l’évolution du travail social et de ses institutions, donnent une réponse acceptable à la question de recherche. Cependant chacune d’entre elles ne livre qu’une facette d’un phénomène qui paraît plus global. D’autre part, dans le contexte des changements constatés à l’IME, elles mêlent des résultats de l’innovation et des logiques d’action conduisant à ces résultats. Cette superposition de modèles heuristiques peut introduire une certaine confusion. Il reste cependant vraisemblable que les interactions des familles, de l’Education Nationale et de l’IME entretiennent, voire accélèrent un processus d’évolution où intervient également le jeu des acteurs de l’organisation. Notre recherche porte sur les processus à l’œuvre dans les rapports entre le SESSAD et l’IME. Il s’agit bien d’éclairer ce mouvement en repérant sa structure, sa dynamique. En revanche, ce n’est pas une étude du changement, au sens de la mesure du chemin parcouru entre deux états stables. Nos observations à l’IME ont particulièrement mis en évidence l’apparition du travail en réseau et l’implication croissante de partenaires multiples. Ces deux aspects de l’activité professionnelle rompent avec l’histoire des institutions sociales au fonctionnement autocentré ; institutions souvent détachées de leur environnement. Cette situation institutionnelle est particulièrement illustrée par l’IME de Ville-en-Selve, édifié il y a presque 30 ans, à l’écart de la ville, en pleine forêt. Nous avons choisi de poursuivre notre recherche en nous appuyant sur cette nouvelle pratique professionnelle repérée au SESSAD puis à l’IME : le travail en réseau et partenariat. Cet angle de travail pour appréhender le processus d’innovation impliquant le SESSAD et l’IME, nous permettra de formuler une hypothèse plus structurelle afin de rendre compte de la complexité des phénomènes observés. 50 Nous retenons donc l’hypothèse de recherche suivante : Le SESSAD est facteur d’innovation en diffusant de nouvelles pratiques, notamment le travail en réseau et partenariat. Le « démontage » de la pratique du travail en réseau et partenariat s’avère maintenant nécessaire afin de mieux comprendre la diffusion de ces pratiques et les logiques qu’elles sous-tendent. Avant nous effectuerons une approche théorique du concept d’innovation, au centre de notre questionnement. Nous tenterons de repérer les articulations possibles entre le concept d’innovation et celui de travail en réseau. Nous définirons les principales dimensions prises par ces concepts dans le champ de l’action sociale et médico sociale. Ce parcours réflexif nous conduira à la dernière étape du modèle d’analyse avec l’identification de variables permettant de vérifier l’hypothèse de recherche. 51 2.2. Approche conceptuelle. 2.2.1. Le concept d’innovation dans les organisations. Avant d’examiner la question de l’innovation dans le cadre de la sociologie des organisations, revenons sur les différentes étapes qui ont marqué la définition de ce concept. Le dictionnaire de sociologie coordonné par Raymond BOUDON46 indique que le terme innovation a pris dans la sociologie contemporaine un sens assez large. Il le définit comme une transformation qui résulte de l’initiative d’un ou plusieurs individus et qui affecte, selon les cas, l’économie, la politique, la science ou encore la culture. Il signale cinq connotations du terme « innovation » : 1) Il existe une disproportion entre la cause de l’innovation et l’effet, ce dernier prenant une ampleur imprévue. 2) L’impact de l’innovation est considéré comme globalement bénéfique et contribue à un progrès. 3) L’innovation comporte plusieurs facettes, se distinguant ainsi des expressions « inventions » et « découvertes » qui concernent essentiellement les aspects scientifiques et techniques. 4) Par son impact l’innovation se situe entre l’amélioration (changement mineur) et la mutation (changement majeur). 5) L’innovation n’existe que lorsqu’elle commence à être acceptée et imitée. Ce terme d’innovation a d’abord été utilisé à la fin du 19e siècle par les auteurs s’interrogeant sur les notions de progrès et de crises sociales. Gabriel TARDE, philosophe et sociologue dans son ouvrage « Les lois de l’imitation »47 voit l’innovation comme le produit des inventions et des imitations. Pour cet auteur l’évolution de la société résulte de cette combinaison : « Tout n’est socialement qu’inventions et imitations »48 46 BOUDON R., BESNARD P., CHERKAOUI M., LECUYER B-P., Dictionnaire de sociologie, Larousse, 2003. TARDE, Gabriel, Les lois de l’imitation, Editions du Seuil, Collection Les Empêcheurs de penser en rond, 2001. 48 TARDE, Gabriel, Op. Cit., p.63. 47 52 Les travaux de Joseph Alois SCHUMPETER49 (1883,1950), économiste du début du 20e siècle, approfondissent le concept d’innovation qu’il distingue également de celui d’invention. Cet intellectuel né en Moravie vécu les grands bouleversements touchant l’empire austrohongrois après la première guerre mondiale. Il s’est intéressé aux causes des changements économiques et il a proposé une grille de lecture du processus d’innovation. Il repère différentes sources de ce processus dans le contexte et la conduite des acteurs économiques (entrepreneurs, consommateurs). L’idée centrale de SCHUMPETER est que « l’innovation est une destruction créatrice »50, c’est-à-dire que le mouvement d’innovation repose sur le développement simultané de forces de destruction et de création. En fait l’innovation remet en cause les positions sociales de chacun, sa place, son statut, son identité professionnelle, la légitimité de ses pratiques. Elle favorise la création de nouveaux liens sociaux et fait émerger de nouveaux acteurs. L’innovation s’oppose à la stabilité et elle se caractérise par le mouvement. Elle donne une nouvelle vision du monde. En cela elle crée un sentiment d’insécurité et fait naître chez les acteurs l’incertitude des lendemains et le doute. A partir de 1980, Michel CALLON et Bruno LATOUR introduisent le concept d’innovation au centre de leur approche sociologique. S’appuyant sur l’Ecole des Mines de Paris, ils créent le Centre de sociologie de l’innovation (CSI) et développent une sociologie des sciences et des techniques. Leur approche les a progressivement conduit à un renouvellement de l’analyse des innovations. Ces auteurs montrent que le développement des organisations réside dans leur capacité à innover. Fruit de leur travail théorique, la notion de traduction rend compte des conditions de production et de circulation des innovations scientifiques et techniques. Ils montrent que les innovations s’élaborent en transgressant les frontières habituelles des organisations instituées. Michel CALLON illustre ce processus d’innovation dans l’exemple devenu classique qui traite de la domestication des coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc51. Pour enrayer la disparition de la coquille Saint-Jacques, le Centre National des océans tente de diffuser une technique japonaise d’élevage, qui peut susciter un rejet des marins-pêcheurs traditionnels. Le 49 SCHUMPETER, Joseph, Théorie de l’évolution économique Recherches sur le profit, le crédit, l’intérêt et le cycle de la conjonctureIn Sciences Humaines, août-septembre 2001, n°119 bis, p.15. 50 ALTER, Norbert, La gestion du désordre en entreprise, Editions L’Harmattan, Collection Logiques sociales, 1999, p.II 51 CALLON, Michel, LASCOUMES, Pierre, BARTHE, Yannick, Agir dans un monde incertain, Paris, Editions du Seuil, 2001, p.75 53 succès de ce programme résulta de l’association de multiples acteurs différents : les scientifiques, les marins-pêcheurs, les pouvoirs publics et également de l’adéquation de la technique d’élevage aux coquilles Saint-Jacques. La production de la connaissance des coquilles Saint-Jacques et la performance du programme de recherche sont, en réalité, liées aux capacités de mobilisation et de coopération de toutes ces catégories d’acteurs. Selon CALLON, pour mobiliser les acteurs, les chercheurs vont opérer une série de traductions. Elles consistent à déplacer les logiques d’actions initiales des acteurs et à redéfinir leur rôle. Ce déplacement est rendu possible par l’élaboration de référentiels communs qui permettent aux différents points de vue d’être compréhensibles et acceptables pour tous. Ces chaînes de traduction s’opèrent dans le cadre d’un réseau sociotechnique définit comme un ensemble de cheminement entre les acteurs humains et non humains qui se trouvent interreliés. Le concept de réseau sociotechnique indique que la production des innovations nécessite une extension considérable des relations et des associations indispensables de catégories d’acteurs aux rationalités différentes. Ce qu’il faut retenir c’est que le concept de réseau sociotechnique de CALLON et LATOUR permet de repenser la question des innovations en milieu organisationnel, en mettant fortement en évidence l’importance de l’hétérogénéité des acteurs nécessaires à la production d’innovations.52 Prenant l’exemple de l’innovation dans les politiques sociales, Jérôme MINONZIO, conseiller technique à la CNAF53, insiste sur la contribution des chercheurs en sciences sociales mais également d’une pluralité d’acteurs : «… commanditaires, responsables politiques et administratifs, militants, médias… »54 Il souligne l’importance des lieux de rencontres et d’échanges où ces différents acteurs peuvent délibérer de leurs points de vue. Ces échanges s’opèrent dans le cadre de réseaux, le plus souvent informels, qui offrent la possibilité de forums que Michel CALLON qualifie d’ « hybrides »55 en raison de l’hétérogénéité des participants engagés et des questions abordées. 52 PLANE, Jean-Michel., Théorie des organisations, Paris, Dunod, 2e édition, 2003. CNAF : Caisse nationale des allocations familiales. 54 Informations sociales, Le destin des innovations, n°116, mai 2004, Article Recherche et innovation dans les politiques sociales de Jérôme MINONZIO, p.10. 55 CALLON, Michel, LASCOUMES, Pierre, BARTHE, Yannick, Agir dans un monde incertain, Paris, Editions du Seuil, 2001, p.36. 53 54 Paru en 2000, l’ouvrage de Norbert ALTER, « L’innovation ordinaire » approfondit la question de l’innovation dans les entreprises. Pour ce sociologue, « L’innovation est toujours une histoire, celle d’un processus. Il permet de transformer une découverte, qu’elle concerne une technique, un produit ou une conception des rapports sociaux, en de nouvelles pratiques ».56 Il souligne la difficulté du passage de l’invention à l’innovation en insistant sur l’importance des facteurs contextuels, sociologiques, culturels et économiques, qui accélèrent la diffusion de l’innovation ou la freine. Avec l’innovation les acteurs trouvent un sens à l’invention et lui découvrent des usages. L’innovation se heurte aux habitudes et bouscule les rapports instaurés entre les acteurs. Elle introduit ce qu’ALTER appelle du « désordre dans l’entreprise » : « Le caractère désordonné de l’entreprise est le résultat d’un rapport de force entre les tenants de l’innovation et ceux de l’institution ».57 Il faut du temps à l’innovation pour se diffuser, elle se développe en fonction de l’intérêt qu’elle représente pour les différents acteurs. Elle est d’autant plus investie qu’elle se traduit par des pratiques concrètes adaptées à un système social, elle a une valeur d’usage. Norbert ALTER distingue différentes séquences dans le processus de l’innovation, la première étape est lancée par des pionniers qui adoptent des stratégies nouvelles. Dans un second temps, leur réussite suscite l’imitation, c’est le début de la diffusion qui bouleverse les habitudes et soulève des réactions. Enfin une stabilisation de la nouvelle situation s’opère avec l’instauration de « nouvelles règles du jeu ». En résumé à une phase d’expérimentation succède une phase d’imitation et d’essaimage, puis une phase d’institutionnalisation. D’autres auteurs ont distingué ces séquences de l’innovation de manière différente, notamment en attribuant des intentions stratégiques aux promoteurs de l’innovation. Par exemple, Michel CALLON montre que les chercheurs travaillant sur l’élevage des coquilles Saint-Jacques, cité plus haut, cherchent à rendre indispensable le traitement de leur offre par les autres acteurs puis à les intéresser aux solutions préconisées. Cependant pour Norbert 56 ALTER, Norbert, L’innovation ordinaire, Paris, Editions PUF, Collection Quadrige, 2003, p.7 ALTER, Norbert, La gestion du désordre en entreprise, Editions L’Harmattan, Collection Logiques sociales, 1999, p.79. 57 55 ALTER, ce découpage en séquence de la diffusion de l’innovation est surtout intéressant en ce qu’il se caractérise par un phénomène collectif qui doit être analysé sociologiquement pour être compris. Pour cet auteur : « Les individus ne disposent pas en effet de la même liberté pour « choisir » d’adopter ou de refuser l’innovation au début et à la fin du déroulement du processus. Car les effets de normes contraignent progressivement toujours plus ceux qui au départ, refusaient la nouveauté. »58 La diffusion de l’innovation repose également sous une forme de relation sociale spécifique : les réseaux. L’adoption d’une innovation par un acteur est liée à son degré d’appartenance aux réseaux sociaux où circule cette innovation. A l’intérieur de ces réseaux sociaux, certains individus « pionniers » accélèrent la propagation des innovations. Ces pionniers ou innovateurs n’hésitent pas à contrevenir aux normes dominantes pour prôner l’innovation. L’innovation présente donc un aspect conflictuel avec l’ordre établi, mais les acteurs de l’innovation ont la particularité de composer avec les institutions. Ainsi ils surmontent différents types de résistances et de difficultés, par exemple le manque de modèles connus pour se repérer ou les oppositions des autres membres de l’organisation. En fait les innovateurs ne sont pas forcément en opposition radicale avec le système social avec lequel ils évoluent mais ils ont une position critique et assurent sa transformation. « L’innovation contient toujours une part de rupture avec le passé et les traditions. Elle ne s’inscrit pas de manière linéaire dans le temps, elle le bouscule avant de s’en emparer. Elle représente la destruction des formes antérieures de la vie sociale et la création de nouvelles ».59 Néanmoins il existe une dialectique constante entre innovation et institution, dans un premier temps l’innovation est toujours une transgression des règles. L’innovateur se trouve provisoirement dans une position de déviance et prend des risques sociaux. La volonté des entreprises de maîtriser les incertitudes de leur environnement les conduit à investir dans des politiques d’innovation. Ces innovations sont censées introduire de nouveaux regards, de nouvelles logiques pour appréhender la réalité. La notion d’innovation est aussi investie 58 59 ALTER, Norbert, L’innovation ordinaire, Paris, Editions PUF, Collection Quadrige, 2003, p.17, 18. ALTER, Norbert, Op. cit. p 39 56 comme une croyance. Selon Norbert ALTER « L’innovation suppose ainsi de croire ».60 Relevant à la fois de la croyance et de la transgression des règles et des normes, l’innovation s’oppose par ces deux aspects à l’organisation et la rationalisation du travail. Ce sociologue distingue l’« innovation ordinaire » de celle instituée dans les services de recherche et de développement des grandes entreprises. Ces services spécialisés ne font que prolonger les logiques inhérentes à l’entreprise. En fait l’innovation peut résulter de n’importe quel salarié de l’entreprise. Pour résumer le développement de l’innovation, Norbert ALTER propose les six dimensions suivantes : 1) L’innovation est un processus et s’inscrit dans la durée. 2) Ce processus d’innovation comprend plusieurs séquences. 3) L’innovation remet en cause l’ordre établi, et crée du désordre. 4) L’activité d’innovation ne se décrète pas, et l’innovateur peut être n’importe quel agent de l’entreprise. 5) L’action innovatrice suppose des « croyances » et une volonté de reconnaissance sociale. 6) La diffusion de l’innovation est une démarche collective, étayée par des « croyances partagées ». Selon cet auteur le processus d’innovation se traduit au quotidien dans la créativité dont font preuve les salariés pour résoudre les problèmes multiples que leur posent les incertitudes inhérentes au processus de travail et à l’organisation. Ces incertitudes sont amplifiées par un environnement social traversé par des changements rapides. Cette capacité à innover s’observe dans les organisations où les échanges informels sont nombreux ; l’échange social devient une compétence. Les innovations se développent dans le travail « réel » des salariés car le travail « prescrit » par les procédures ne parvient pas à résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés. En fait l’innovation se heurte à l’ordre organisationnel pour le transformer. Les « innovateurs » s’opposent au pouvoir en place et développent différentes stratégies, par exemple ils rendent plus ou moins visibles cette utilisation de l’innovation. 60 ALTER, Norbert, Op. cit. p.35 57 Après avoir agi dans la discrétion, ils communiquent leurs pratiques innovantes lorsqu’elles se révèlent des initiatives réussies. Ils font preuve de déviance en transgressant les normes. Le plus souvent l’innovation surgit lorsque les réponses existantes sont inefficaces pour répondre aux besoins. C’est le moment choisi par des acteurs pour introduire une nouvelle solution plus pertinente. Pour cela ils s’appuient sur un réseau d’alliés qui partagent la même conviction et défendent les mêmes intérêts. Cette minorité agissante tente de légitimer cette innovation après l’avoir répandu et promu dans l’entreprise. Pour Norbert ALTER le rôle des dirigeants de l’entreprise est d’arbitrer, en fonction des besoins et des enjeux, entre la logique de l’innovation et celle des règles de l’organisation. Tour à tour les dirigeants peuvent inciter à l’innovation, laisser faire sa diffusion pour faciliter l’appropriation par les salariés, puis intégrer cette innovation dans les nouvelles règles de fonctionnement de l’entreprise. Les dirigeants jouent parfois de la concurrence qui existe entre les partisans de la règle et ceux de l’innovation. Il existe donc deux logiques qui se confrontent, celles de l’instituant et de l’institué. L’entreprise est toujours en mouvement et n’a pas d’organisation stable, elle s’ajuste en fonction des régulations adaptées aux situations. La phase d’institutionnalisation qui correspond à la reconnaissance de l’innovation représente « une activité de reprise en main des dirigeants par rapport aux zones d’autonomie et d’influence conquises par les acteurs de l’innovation»61. Cette institutionnalisation valide un apprentissage collectif et instaure des règles et ainsi une forme de sécurité. En effet la logique de l’innovation, en remettant les règles en cause, produit une forme d’anxiété dans l’entreprise. Les tenants de l’innovation risquent des sanctions et des réprobations sociales, les autres salariés en position de « suiveurs », hésitent à s’engager. Norbert ALTER distingue enfin l’innovation de ce qu’il appelle « les inventions dogmatiques ». Ces dernières sont des changements imposés par le « haut ». Venus de l’extérieur, des règles, « des dogmes » sont introduits par les dirigeants dans l’entreprise ; ils produisent une rupture qui remet en cause le fonctionnement habituel. A la différence de l’innovation dont ils sont les auteurs, les salariés n’investissent pas spontanément ces inventions dogmatiques, et parfois ils cherchent à les contourner. 61 ALTER, Norbert, Op. cit. p. 79. 58 Cette approche théorique du concept d’innovation donne un relief particulier à la notion de réseau et à la mobilisation des acteurs. C’est à partir de cet angle de vue que nous allons nous focaliser sur la définition du travail en réseau. 2.2.2. Le travail en réseau. La connotation positive du terme réseau ne date que d’une époque récente, jadis il était prioritairement utilisé pour qualifier des groupements clandestins qui agissaient à la marge des règles, par exemple la mafia. Puis on a parlé du réseau familial en évoquant l’individu, sa famille et ses amis, ses relations personnalisées. Cela a débouché sur les études de sociabilité. Comme nous l’avons vu en traitant le concept d’innovation, ce sont les travaux de Michel CALLON et Bruno LATOUR qui firent évoluer la signification sociologique de cette notion de réseau. Pour certains auteurs contemporains, notre société est devenue une société en réseaux. De la sorte, Manuel CASTELLS62, opérant des analogies entre les réseaux informatiques et les réseaux sociaux, explique que ces réseaux constituent désormais le principe fondamental d’organisation de la vie sociale et notamment des rapports de pouvoir et de domination. Le réseau peut être présenté comme un espace de collaboration entre des acteurs hétérogènes. Il se caractérise par la labilité des relations entre ces différents acteurs. Il y a disparition du réseau si les liens ne sont pas entretenus et activés, de fait il est fondé sur la confiance et la régularité des contacts. Il a une durée limitée, celle induite par le projet partagé par les acteurs. Dans un réseau, les relations qu’entretiennent les différents membres ont un caractère égalitaire et non hiérarchique. Il y a rejet des modes d’organisation centralisée et valorisation du changement permanent. La coordination des acteurs, impliqués dans un projet complexe, est permise par le travail en réseau qui peut prendre des formes très souples. Il permet de mobiliser des acteurs très nombreux et différents autour d’un même objectif. Le travail en réseau requiert des compétences spécifiques chez ses membres, notamment la capacité de susciter la confiance propice à la communication. Luc BOLTANSKI et Eve CHIAPELLO cités par Lilian MATHIEU, montrent que la figure du manager, mobile et créatif, remplace celle du cadre traditionnellement référencé à la hiérarchie. 62 CASTELLS, Manuel, « La société en réseau », Paris, Editions Fayard, 1998. 59 « Le manager est l’homme des réseaux. Il a pour qualité première sa mobilité, sa capacité à se déplacer sans se laisser arrêter par les frontières –qu’elles soient géographiques ou qu’elles dérivent des appartenances professionnelles ou culturelles-, par les écarts hiérarchiques, par les différences de statut, de rôle, d’origine, de groupe, et à établir un contact personnel avec d’autres acteurs, souvent très éloignés socialement ou spatialement ».63 Au total il y a une proximité entre les concepts de réseau et de flexibilité, d’autonomie, de créativité et de mobilité. En alliant des acteurs multiples, le travail en réseau permet d’enrichir l’analyse des situations car il y a alternance entre une vision globale et une implication de proximité ; il suscite des points de vue diversifiés sur un même sujet, les confronte dans le cadre d’échanges et fait naître de nouvelles interprétations, solutions. Le réseau permet de décloisonner les frontières habituelles des institutions et modifie les rapports au temps et à l’espace. 2.2.3. L’innovation, le travail en réseau et le partenariat dans le secteur sanitaire et social. En mars 2000, à Poitiers, la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) et l’Association nationale des assistants de service social (ANAS) organisent un forum « Les défis de l’innovation sociale », cette initiative illustre l’intérêt grandissant des acteurs du service social, pour cette notion d’innovation. Ces associations ont confié à Dominique LALLEMAND64, journaliste spécialisée, la mission de développer dans un ouvrage les différents points de vue exprimés lors du forum par des intervenants venant d’horizons très divers. Les participants du forum ont d’abord rappelé que l’innovation relève d’une construction sociale et pour le sociologue François ABALLEA65 : « Définir quelque chose comme innovant, c’est toujours porter un jugement ; c’est donc une activité partiellement subjective ». 63 BOLTANSKI, Luc, CHIAPELLO, Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999,p. 123, In Les Cahiers de l’Actif, dossier Travail en réseau et territoires d’action, mai, juin 2003, n°324/325, 64 ANAS-FNARS en collaboration avec D. LALLEMAND, Les défis de l’innovation sociale, Collection Actions sociales/Société, ESF éditeur, 2001. 65 ANAS-FNARS en collaboration avec D. LALLEMAND, Op. cit. p.24. 60 La question de la mise en sens de l’innovation est donc centrale. Dans le secteur social, le sens de cette innovation s’inscrit dans un contexte et un territoire. Nous verrons par la suite que les réseaux d’intervention sociale sont également associés à ce territoire. Le point de départ de l’innovation sociale est souvent un manque, un dysfonctionnement, un besoin non satisfait qui suscite une volonté de réponse. Ce qui a caractérisé l’innovation sociale ces dernières années, c’est le souci de placer l’usager au cœur de l’action. Les politiques sociales ont alimenté cette aspiration, elles cherchent à engager les usagers dans une appropriation du pouvoir (l’empowerment) et les encouragent à prendre « leur destin en mains » ; c’était la volonté affichée par la loi sur le RMI66, celle sur la lutte contre les exclusions, plus récemment celle concernant la rénovation de l’action sociale. Ces législations valorisent les droits de l’usager en rappelant leur citoyenneté. L’innovation sociale est impulsée par un collectif d’acteurs, car celle-ci ne peut pas s’imposer à partir d’une initiative isolée, Dominique LALLEMAND rappelle que « la plupart du temps les porteurs de projets travaillent en réseaux et font appel à des partenaires diversifiés »67. En fonction des projets, ces partenariats sont plus ou moins stables et de nouveaux acteurs s’impliquent. Les innovateurs, pris dans une dynamique collective, présentent la particularité d’être habités par des convictions fortes et un désir d’engagement. Sans cette croyance dans le bienfait de l’innovation, les acteurs ne s’investiraient pas suffisamment et ne prendraient pas le risque qu’exige le lancement du processus. Ces « pionniers » sont persévérants car la diffusion d’une innovation s’inscrit dans la durée. Des formes de résistance freinent les efforts des innovateurs et parfois ceux-ci risquent de perdre leurs crédibilités professionnelles. Pour s’engager dans cette démarche d’innovation sociale, les acteurs passent par une critique de l’existant y compris de leurs habitudes. C’est en se décentrant de leurs pratiques habituelles et en rencontrant des partenaires nouveaux qu’ils s’engagent dans une logique d’innovation. Le secteur social et médico social présente une particularité qui pourrait être propice à l’innovation : la place importante prise par le secteur associatif. La souplesse de l’organisation « association », ses luttes, en font un espace d’expérimentation idéal. L’innovation sociale a 66 67 RMI: Revenu minimum d’insertion ANAS-FNARS en collaboration avec D. LALLEMAND, Ibid. note 65, p.47 61 été évoquée dans le secteur social comme une tentative de décloisonner des secteurs spécialisés, et de mieux coordonner les actions au service des usagers. En introduisant de la transversalité, cette démarche a permis une approche plus globale des besoins de l’usager ; parmi les nouveaux dispositifs, le travail en réseau s’est développé. Examinons plus précisément ce dispositif dans le secteur social et médico social. Dans l’usage professionnel on distingue la notion de réseau primaire de celle de réseau secondaire, le premier correspond à la sphère familiale, le second aux liens entre les intervenants sociaux : Schéma selon Yann ROLLIER, directeur du CREAI de Bretagne68 Distinction entre Le réseau primaire sphère familiale, amicale cela concerne : définitions : Le réseau secondaire intervention sociale Les parents, amis, relations de travail, relations de loisirs… L’ensemble des professionnels concernés par une même intervention autour d’une personne catégorie : réseau catégorie : réseau de référence, d’appartenance de communication Le réseau primaire est un Le réseau secondaire est un système de liens relationnels système de liens professionnels… à propos et autour d’une ou à propos et autour d’une ou plusieurs personnes. plusieurs personnes. Dans le secteur social, Philippe DUMOULIN69 distingue cinq utilisations différentes du réseau : ↪ Le plus courant qu’il dénomme le pairage ; par la technique du relais, de la médiation, le travailleur social oriente l’usager vers une ressource adéquate à ses besoins. 68 69 Les Cahiers de l’Actif, dossier Travail en réseau et territoires d’action, mai, juin 2003, n°324/325, p.35. DUMOULIN P, DUMONT R, BROSS N, MASCLET G, Travailler en réseau, Paris, Dunod, 2003. 62 ↪ L’intervention de réseau correspond à une autre dimension, elle vise à développer l’autonomie des personnes confrontées à un problème particulier et soutient son réseau primaire -la famille, les proches- de cette manière elle rend possible la prise en charge du problème par la personne concernée et son entourage. ↪ La mise en réseau de groupes d’aide réciproque représente un troisième niveau. Il s’agit d’instaurer du partage et de la réciprocité dans un collectif. Ce développement du lien social permet davantage de solidarité entre les personnes. ↪ L’organisation en réseau évoque de nouveaux modes de coopération au sein des services et établissements médico-sociaux. Le but recherché est de créer des synergies nouvelles et de mobiliser les équipes sur des projets ciblés, au-delà des structures hiérarchiques. Ces formes d’organisations transversales prennent des intitulés variés tels que : groupe à projets, structure matricielle. ↪ D’apparition plus récente, une utilisation en expansion correspond au réseau de professionnels ou d’institutions. Le travail consiste à créer un réseau secondaire -entre professionnels- pour résoudre ensemble un problème commun posé par/à l’usager. Ce dispositif est recommandé par la loi de rénovation sociale du 2 janvier 2002. Le même auteur met toutefois en garde contre plusieurs dérives possibles du travail en réseau. ↪ Le risque d’un contrôle social abusif sur l’usager résultant d’une diffusion mal maîtrisée des informations le concernant. ↪ Le second risque est celui de la sélectivité au sein même du réseau, qui par souci identitaire trop marqué se ferme à l’apport de nouveaux membres. ↪ Le troisième risque découle du précédent : celui de la personnalisation. Le fonctionnement s’appuie en vase clos entre les membres du réseau. Le départ d’un ou de plusieurs membres met fin au réseau. ↪ Le quatrième risque est constitué par la stratégie de colonisation du réseau que peut mettre en œuvre, soit une institution ou l’un de ses membres, en aboutissant à sa confiscation. Le réseau est instrumenté en fonction des intérêts de cette institution. ↪ Le dernier risque résulterait d’une conflictualité entre le réseau primaire et le réseau instauré par les professionnels, se traduisant paradoxalement par l’affaiblissement du premier. 63 Globalement ce travail en réseau s’oppose à la spécialisation. Le contexte local influence beaucoup la structuration du réseau dans le secteur sanitaire et social, il se réfère toujours à un territoire d’action. Sur ce territoire, il introduit de la transversalité entre les différents acteurs sociaux et il rompt leur isolement professionnel. Il permet à des approches différentes d’être complémentaires pour atteindre un objectif commun, ceci en ouvrant un espace de coopération. De cette manière il a permis de décloisonner le secteur sanitaire et social et il a favorisé une approche globale des besoins de l’usager. Il est particulièrement bien adapté aux nouveaux problèmes surgissant dans notre société ; c’est ainsi qu’ont été créés les premiers réseaux Ville-hôpital pour soutenir plus efficacement les malades infectés par le 70 VIH . Ce type de réseau a fait l’objet d’une reconnaissance ministérielle, circulaire du Ministère de la Santé, de juin 1991. Deux attributs du réseau méritent d’être évoqués. Citons d’abord le « maillage » instauré sur le territoire qui unit les composants des réseaux, le rendant réactif aux situations qui surgissent. Evoquons ensuite le rôle clé joué par certains membres du réseau, qui facilitent la circulation de l’information. Ils coordonnent et restituent également les différentes contributions et activités des acteurs du réseau. Ces animateurs, à la fonction de « tête de réseau »71 inventent un nouveau métier selon le sociologue Marcel JAEGER. Comme nous l’avons vu dans le concept plus global de l’innovation, le réseau peut avoir tendance à s’institutionnaliser mais il semble que dans ce passage il change de nature en réduisant la créativité qu’il véhiculait. Cette formalisation renvoie plutôt à la notion de partenariat où les rapports sont plus institutionnalisés que dans les réseaux qui correspondent plutôt à des échanges personnalisés. Les pratiques de partenariat ont précédé celles de travail en réseau dans le secteur social. Elles sont arrivées massivement dans les années 1980, notamment pour la mise en place du dispositif RMI, puis pour mettre en œuvre les grandes politiques transversales : la prévention de la délinquance, l’insertion des jeunes, la politique de la ville par exemple le développement social des quartiers. Le partenariat fut défini comme une relation contractuelle entre deux ou plusieurs personnes physiques ou morales, concourrant à la réalisation d’un projet par la mise en commun de moyens matériels, humains et financiers72. En fait le partenariat traduit une 70 71 72 VIH : Virus Immunodéficience Humaine JAEGER, Marcel, « Tête de réseau » : un AFNOR norme ISO-750. métier à inventer », in Formation Santé Social, n°58, mars 2004, p. 7. 64 vision consensuelle de la société, les acteurs peuvent s’entendre sur les bases d’une négociation contractuelle. Cette idéologie apparaît dans une période de montée des droits des personnes qui veulent être associées aux décisions. Enfin les différents partenariats institutionnels visaient l’efficacité alors que les dispositions habituelles échouaient face à l’augmentation des exclusions. Ces partenariats ont fait l’objet de critiques car ils reproduisaient un certain fonctionnement bureaucratique qui mobilisait beaucoup de moyens au détriment de la réalisation d’actions concrètes. Les partenariats peuvent se classer en typologies, en fonction des partenaires impliqués et de leur nature, ainsi il est possible de distinguer73 : - des partenariats interinstitutionnels, incités par l’Etat, ils visent à décloisonner différentes institutions pour mettre en œuvre les politiques sociales transversales. - des partenariats de projets, à l’initiative des partenaires ou incités par les institutions, qui recherchent une plus grande efficacité des actions impulsées, par exemple pour l’insertion professionnelle des jeunes. - des partenariats avec des populations, résultant d’une volonté partagée en l’absence de tout dispositif, dont la fonction est de promouvoir des populations et l’émergence de projet. Dans le secteur social, la tendance nouvelle à institutionnaliser le travail en réseau conduit parfois à superposer cette pratique avec celle du partenariat. Marcel JAEGER rapproche les deux notions en déclarant que « le réseau est une somme de partenariats dont la logique de fonctionnement est commune aux acteurs. »74 D’autres auteurs75 évoquent la sortie de la clandestinité des réseaux, dorénavant revendiqués par les acteurs comme un mode formel d’organisation. Cette instrumentalisation ne supprime pas la constitution de réseaux plus informels, évoluant sans cesse, alternant des pauses et des réactivations, vivant au rythme des logiques d’acteurs. Cette dynamique a secrété une véritable culture du réseau. 73 FOURDRIGNIER Marc, Partenariat et droits des usagers, in Ministère de l’Education Nationale, D.L.C., MAFPEN Créteil, Paris, Versailles, CNRSMS. Actes du colloque Précarité et action sociale. Paris, janvier 1996. Juin 1996, pp 71-76. 74 Formation Santé Social, n°58, mars 2004, JAEGER Marcel, « Tête de réseau » : un métier à inventer ».p.7 75 FRAISSE Laurent, in HAERINGER Joseph, TRAVERSAZ Fabrice, (sous la direction de) « Conduire le changement dans les associations » d’action sociale et médico-sociale », Dunod, Paris, 2002. p.118 65 2.3. Choix méthodologiques pour vérifier la validité de l’hypothèse. Arrivé à ce stade de notre raisonnement étayé par l’approche conceptuelle, revenons sur l’hypothèse : Le SESSAD est facteur d’innovation en diffusant de nouvelles pratiques, notamment le travail en réseau et partenariat. Afin d’établir la validité de cette hypothèse, nous allons concevoir un dispositif méthodologique de vérification. Cette démarche nous conduira à de nouvelles observations et collectes de données sur le terrain. L’approche conceptuelle de l’innovation et du travail en réseau et partenariat nous permet d’objectiver l’hypothèse et de lister des critères pour la valider. Nous pourrons dire qu’il y a un processus d’innovation favorisé par le SESSAD si nous identifions dans la démarche de vérification les points suivants : L’identification de trois séquences : une phase initiale d’apparition du travail en réseau au SESSAD générant du désordre à l’IME et perçu comme transgression des règles de l’IME ; une autre phase caractérisée par la diffusion du travail en réseau à l’IME, une majorité de membres de l’IME imitant les pratiques amorcées par le SESSAD ; une dernière phase reflète l’adoption et l’institutionnalisation par l’établissement du travail en réseau. Le SESSAD en position d’interface entre l’IME et l’environnement joue un rôle de relais et favorise l’instauration de nouveaux partenariats entre l’IME et les acteurs du territoire. On constate une pluralité d’acteurs nécessaire à l’établissement d’un réseau. Le repérage de projets initiés par le SESSAD puis partagés avec l’IME et des partenaires du territoire. La mutualisation des ressources pour atteindre un objectif est typique du travail en réseau, la notion de projets communs est le catalyseur du réseau. 66 Il y a un lien entre l’engagement des salariés du SESSAD dans de nouvelles pratiques et la mobilisation des salariés de l’IME pour travailler en réseau. La mobilisation des différents acteurs et leur participation sont requises dans le travail en réseau. Ce critère se traduira aussi dans les changements organisationnels qui favoriseraient les initiatives des salariés. Dans ce registre organisationnel le repérage de nouvelles instances de coordination sera un indice du développement du travail en réseau. La participation des usagers en tant qu’acteurs du réseau est également à évaluer. Résumons par un tableau l’ensemble de ces critères qui seront traduits en indicateurs dans les différents instruments de collectes de données utilisées. Critères de validation de l’hypothèse 1 Identification de trois séquences : désordre, imitation, SESSAD institutionnalisation. 2 Le SESSAD : interface entre l’IME et une pluralité d’acteurs. 3 Projet initié par le SESSAD puis partagé avec l’IME et des acteurs du territoire. 4 L’engagement des salariés du SESSAD mobilise les salariés de l’IME 5 La participation de l’usager et de sa famille au SESSAD fait évoluer les pratiques de l’IME dans ce domaine. IME Nous allons donc procéder à un travail d’investigation pour vérifier la présence éventuelle de ces critères dans le système organisationnel composé par le SESSAD « le soleil levant » et l’IME de Ville-en-Selve. Toutefois une nécessité méthodologique s’impose également pour renforcer la validité de notre hypothèse : sa confrontation à d’autres situations professionnelles reproduisant le « couple » organisationnel SESSAD/ IME. Cette confrontation ne vise pas la généralisation de la validité de l’hypothèse, elle pondèrera néanmoins l’aspect anecdotique et singulier que risquerait de prendre la recherche alors qu’elle pourrait rendre plus lisible la configuration institutionnelle SESSAD/ IME qui essaime sur tout le territoire. Nous testerons également la validité de notre hypothèse, quitte à la réfuter, en interrogeant des établissements auxquels aucun SESSAD n’est rattaché. 67 Afin de collecter des données pertinentes, nous utiliserons plusieurs méthodes que nous avons choisies en fonction du terrain d’investigation. La combinaison des résultats obtenus par ces différentes techniques de collectes nous permettra d’appréhender la complexité de notre objet d’étude. Il s’agit : D’entretiens semi-directifs : au SESSAD « Le soleil levant »/ IME Ville en Selve et dans les autres SESSAD / IME, ils pourront servir à identifier l’éventuelle présence des quatre critères. D’une enquête : au SESSAD « Le soleil levant »/ IME Ville en Selve et dans les autres SESSAD / IME, elle sera essentiellement ciblée sur la mobilisation des usagers. D’une observation in situ : au SESSAD « Le soleil levant »/ IME Ville en Selve, dispositif organisationnel dans lequel nous sommes impliqués, elle cherchera à identifier les logiques d’acteurs susceptibles de relever d’un processus d’innovation. Elle se focalisera sur l’une des facettes du travail en réseau développée par le SESSAD: la fonction de référent de projet individualisé. La mise en œuvre de ces différentes méthodes requière l’utilisation d’outils spécifiques, voici leur présentation : ⋄ Pour la réalisation des entretiens semi-directifs, nous nous sommes appuyés sur un guide d’entretien que nous avons élaboré. Comme l’indique Jean-Claude COMBESSIE76 : « Le guide d’entretien est un mémento (un pense-bête). Il est rédigé avant l’entretien et comporte la liste des thèmes ou des aspects du thème qui devront avoir été abordés avant la fin de l’entretien ». Dans la rédaction de ce guide, comme dans la conduite de l’entretien nous nous sommes fixés comme règle préalable de ne pas induire à priori un lien de causalité entre l’apparition d’innovation dans un IME et les activités du SESSAD qui lui est, le cas échéant, rattaché. Il nous appartiendra au cours de l’entretien de repérer les articulations et les dynamiques existant entre le SESSAD et l’ IME. Par ailleurs dans l’élaboration du guide, nous avons pu traduire notre questionnement concernant l’identification des partenaires et la possibilité de prise d’initiative par les salariés, la participation des usagers. Ci-après, le guide dans son intégralité, utilisé lors de 8 entretiens. 76 COMBESSIE, Jean-Claude, La méthode en sociologie », Editions La Découverte, Paris, « 3e édition 2001, p.25. 68 Guide d’entretien 1- Identification de l’institution : Etablissement médico social accueillant des jeunes internat ou demi-internat SESSAD ↪ rattaché à un IME installé dans les locaux de l’IME ? possède ses propres locaux (quelle distance de l’IME ?…………) gestion autonome Autre, préciser : Territoire d’intervention de l’institution : Rural ou Urbain Type de handicap des jeunes accompagnés : Zone de recrutement des enfants : 2- L’activité de l’établissement ou du service avec l’environnement. Est-ce que le projet d’établissement ou de service fixe des objectifs en matière de travail ou d’action avec l’environnement ? Si oui lesquels : Existe-t-il des relations formalisées avec des organismes extérieurs, notamment les services sociaux et médico-sociaux ? Si oui, avec quels partenaires et pour quels projets ? Existe-t-il un projet qui met en œuvre un multi partenariat (au moins 3 partenaires) ? Décrivez-le. Avez-vous des contacts et un travail en commun avec d’autres administrations et des agents de la vie économique et sociale (entreprises, clubs, associations…) ? Si oui veuillez les préciser, les décrire : Est-ce que des membres de votre équipe participent à des réseaux professionnels ? Si oui, est-ce que ces réseaux présentent de l’intérêt pour l’institution ? pourquoi ? Est-ce que des partenaires participent à des activités dans l’institution ? non, pourquoi ? oui, Dans quels buts ? 3- Organisation de l’action collective au sein de l’institution. Organisation des services : Par grandes fonctions, ou par projets ? existence de services mutualisés avec d’autres institutions. existence de sous-traitants autres, préciser : Organisation des réunions : par services uniquement en inter services uniquement alternance de réunions par services et inter services réunions ouvertes à des participants extérieurs à l’institution autres. Y a-t-il des activités animées par des équipes pluridisciplinaires ? non, pourquoi ? oui. Si oui, est-ce fréquent ? non oui Décrivez une action remarquable par son impact institutionnel : Est-ce que les salariés de l’institution réalisent des activités dans l’environnement ? non, pourquoi oui Si oui, est-ce que ces activités impliquent fréquemment des partenaires oui non Décrivez une action remarquable sur la valorisation des partenariats. 4- Modalités de rencontre et de travail avec les familles des enfants. Parmi les membres de l’équipe institutionnelle, qui rencontre les familles, dans le cadre de quelles missions ? Menez-vous des actions ou activités conjointes avec les familles ? Lesquelles ? Est-ce que des modalités de travail de l’institution ont été instaurées à partir de suggestions des familles ? Lesquelles ? Le cas échéant, décrivez des exemples de coopération avec les familles qui ont influencé et amélioré le fonctionnement de la structure : création de nouvelles prestations, instauration de procédures, augmentation des ressources du service (bénévolat)… ? Le cas échéant, décrivez des exemples de différences de point de vue avec les familles qui ont influencé et pesé sur le fonctionnement de la structure : diminution de prestations, remise en cause des procédures, grande mobilisation des ressources du service ? 69 ⋄ Pour l’enquête, nous avons élaboré un questionnaire centré sur la participation des usagers. Pour ce faire nous avons saisi l’opportunité des nouvelles obligations prescrites par la loi du 2 janvier 2002 en mesurant leur degré d’application dans les instituts médico-éducatif. Nous avons comparé la mise en œuvre de cette nouvelle législation dans les IME associés à un SESSAD à celle constatée dans les IME sans SESSAD rattachés. S’il existe un écart dans l’application du droit des usagers entre ces deux catégories institutionnelles – IME/ SESSAD et IME- il pourrait découler de l’existence d’un SESSAD. Ce questionnaire a été adressé à 21 IME dont 15 sont associés à un SESSAD. Questionnaire Catégorie : IME IME associé à un SESSAD Internat ½ internat Type de handicap : 1- Connaissance des droits des usagers. 1.1 Dans son projet social et/ou médico-social, à quels textes législatifs votre institution ou service fait référence pour les droits des usagers ? 1.2 Selon vous, est-ce que les usagers ou leurs représentants ont une bonne connaissance de leurs droits ? Oui Non Autre,précisez 1.3 Mettez-vous en place des actions d’information pour informer les usagers ou leurs représentants de leurs droits ? Oui Non Si oui, lesquelles : 1.4 Pensez-vous que le personnel a une bonne connaissance des droits des usagers ? Oui Non Autre, précisez Est-ce qu’une formation du personnel dans ce domaine serait nécessaire ? Oui Non Si oui, quels aspects particuliers ? 2- Outils, moyens et dispositifs pour mettre en place le droit des usagers. 2.1 Votre établissement a-t-il déjà conçu et diffusé auprès des usagers et leurs représentants : Le livret d’accueil : Oui Non en cours de réalisation Si oui, est-ce que selon vous cette diffusion a eu un impact sur les comportements, demandes des usagers et de leurs représentants ? Oui Non Si oui, précisez : Non en cours de réalisation La charte nationale des droits des libertés : Oui Si oui, est-ce que selon vous cette diffusion a eu un impact sur les comportements, demandes des usagers et de leurs représentants ? Oui Non Si oui, précisez : Oui Non en cours de réalisation Le règlement de fonctionnement : Si oui, est-ce que selon vous cette diffusion a eu un impact sur les comportements, demandes des usagers et de leurs représentants ? Oui Non Si oui, précisez : Le contrat de séjour : Oui Non en cours de réalisation Si oui, est-ce que selon vous cette diffusion a eu un impact sur les comportements, demandes des usagers et de leurs représentants ? Oui Non Si oui, précisez : 3– Des réponses institutionnelles aux demandes/questions des usagers. 2.2 Les familles vous posent-elles des questions sur la loi 2002-2 du 2 janvier 2002 ? Souvent parfois rarement jamais aucun élément pour se prononcer 2.2.1 Précisez le type de question. relative à une information générale sur la loi au projet d’établissement à la charte des droits et des libertés au contrat de séjour au contrat de séjour au règlement de fonctionnement aux recours possibles à des personnes qualifiées au conseil de vie sociale autre, précisez : 2.3 Avez-vous mis en place des dispositions pour répertorier les demandes et/ou questions des usagers et de leurs représentants ? Oui Non Si oui lesquelles ? 2.4 Est-ce qu’un membre de votre équipe a des fonctions particulières pour le traitement des questions ou réclamations des usagers et de leurs représentants ? Oui Non 2.5 En cas de différent avec un usager ou son représentant, avez-vous prévu un dispositif de médiation ? Oui Non Si oui lequel ? 70 ⋄ Pour l’observation in situ, qui ne concerne que le SESSAD « le soleil levant » et l’IME de Ville-en-Selve, nous avons fait le choix méthodologique de cibler l’observation sur la diffusion d’une nouvelle pratique emblématique du travail en réseau. Il s’agit du dispositif de référent de projet individualisé qui permet d’accompagner l’usager, de coordonner les différentes interventions au-delà des « frontières » habituellement dessinées par l’organisation. Nous avons établi une grille, elle oriente nos observations vers le repérage des trois séquences inhérentes au processus d’innovation : Grille d’observation Référent de projet individualisé Désordre provoqué par une innovation Imitation de l’innovation Institutionnalisation de l’innovation Dans cette seconde partie, après avoir approfondi les concepts d’innovation et de réseau, nous avons poursuivi notre recherche afin de comprendre en quoi le SESSAD est-il facteur d’innovation pour l’IME. Pour progresser dans cette démarche, nous avons posé l’hypothèse que le SESSAD est facteur d’innovation en diffusant de nouvelles pratiques, notamment le travail en réseau et partenariat. Puis, nous avons élaboré une méthodologie pour vérifier l’intérêt de cette hypothèse. Ce travail méthodologique visait également à clarifier la configuration organisationnelle complexe que nous étudions. Avec notre « boîte à outils » - guide d’entretien, questionnaire, grille d’observation nous allons dans une dernière partie procéder à la collecte de données et à leur analyse. 71 Récapitulons notre plan de vérification : Critères 1 2 3 4 5 Identification de trois séquences : désordre, imitation, institutionnalisation. Le SESSAD : interface entre l’IME et une pluralité d’acteurs. Projet initié par le SESSAD puis partagé avec l’IME et des acteurs du territoire. L’engagement des salariés du SESSAD mobilisent les salariés de l’IME . La participation de l’usager et de sa famille au SESSAD fait évoluer les pratiques de l’ IME dans ce domaine. Méthodes utilisées Terrain d’investigation Observations et SESSAD « le soleil levant » et logiques d’acteurs à IME de Ville-en-Selve partir du dispositif « référent de projet » et SESSAD de Entretiens et étude IME Champagne Ardenne. comparative. Entretiens et comparative. étude IME et SESSAD Champagne Ardenne. de Entretiens et comparative. étude IME et SESSAD Champagne Ardenne. de Questionnaire et étude IME et SESSAD comparative. Champagne Ardenne. de 72 3. TROISIEME PARTIE - LE SESSAD : ACTEUR DU TRAVAIL EN RESEAU 73 Le SESSAD : acteur du travail en réseau. Dans cette dernière partie nous procédons à la vérification de l’hypothèse de recherche en la confrontant aux observations et aux informations recueillies. Lors d’une première étape, nous exposerons la manière dont s’est déroulée la collecte de données. Cette phase a donné l’opportunité de rencontrer des acteurs de l’organisation SESSAD/IME précédemment étudiée et des membres d’autres organisations comparables. L’activation de la recherche a également soulevé des questionnements sur notre implication dans les situations observées. Après avoir restitué les résultats de notre investigation, nous les analyserons avec l’intention de mettre « à l’épreuve » notre hypothèse de recherche et de mesurer son degré de validité. Pour terminer nous commenterons les apports de l’ensemble de cette démarche de recherche et nous porterons un regard prospectif sur l’évolution du secteur médico social et son action en faveur des personnes handicapées. 3.1. Retour sur le terrain : observations et collectes des données. Les entretiens semi-directifs. Nous avons vu qu’ils étaient réalisés à partir d’un guide préalablement établi. Ils ont concerné : ↪ l’IME de Ville en Selve et le SESSAD « Le soleil levant », ↪ 5 autres configurations institutionnelles comparables -IME / SESSAD↪ et 2 IME sans SESSAD rattachés. L’ensemble des interlocuteurs a été contacté par téléphone. Il s’agit d’institutions médico sociales de la région Champagne-Ardenne. Nous avons sollicité des cadres de direction de ces établissements –1 directeur, 1 directeur-adjoint, 6 chefs de service- ils ont donné une réponse favorable à cette démarche. Nous avons convenu de trois rendez-vous téléphoniques, les cinq autres entretiens se sont déroulés dans l’établissement ou le service de la personne interrogée. 74 Les échanges ont été facilités par des liens déjà instaurés dans le cadre de réseaux professionnels. Ils se sont déroulés de manière détendue. Nous nous sommes référée au guide pour ne pas nous éloigner des objectifs de la recherche et nous avons encouragé l’interlocuteur à s’exprimer librement. A l’issue de l’entretien, nous avons rédigé immédiatement un compte-rendu à partir des notes prises pendant l’entretien, en distinguant ce qui avait été explicitement exprimé par l’interlocuteur des informations déduites par recoupements ou perçues implicitement. D’une manière générale, nous avons notée la grande implication de tous les interlocuteurs, la richesse des informations. Certains de ces interlocuteurs exerçaient des responsabilités à la fois dans l’ IME et au SESSAD qui lui était rattaché. Ces cadres ont distingué leurs réponses en fonction du secteur concerné – IME ou SESSAD -. Cette réaction, partiellement induite par le guide d’entretien, renseigne sur le niveau d’identification des deux entités et leur degré d’indépendance. Devant cette situation, nous avons pris le parti de reproduire cette distinction entre les IME et les SESSAD rattachés dans la présentation et l’interprétation des résultats. Cette quantité de données induit des difficultés en terme de sélection et de classement. Une certaine connivence s’est installée au cours de l’entretien en raison du partage d’une identité professionnelle, d’une culture de métier indépendante des institutions d’appartenance. Membre de l’équipe UGECAM -SESSAD « le soleil levant »/ IME de Ville-en-Selve- nous avons été particulièrement vigilante lors de la passation de l’entretien concernant cette organisation afin de limiter une interprétation trop subjective des réponses ; pour cela nous avons cherché à collecter des informations concrètes et précises. Ces entretiens furent plus longs que prévus, certains ont débouché sur une visite de l’établissement ou du service et sur la remise de documents institutionnels. Toute proportion gardée, la même implication s’est confirmée pour les entretiens téléphoniques. Nous attribuons, pour partie, les réactions positives de ces cadres à leur intérêt pour les thèmes de la recherche : innovation et travail en réseau ; plusieurs de ces cadres ont souhaité obtenir un retour de cette étude. Nous analysons également leur attitude participante comme un acte de communication institutionnelle qui s’inscrit dans ces pratiques de travail en réseau et partenariat. 75 Envoi du questionnaire écrit. Ce questionnaire adressé aux directeurs d’établissements est destiné à mesurer la mobilisation, la participation des usagers. Nous avons retenu cette participation des usagers parmi les critères du développement du travail en réseau. Historiquement l’usager et sa famille étaient considérés comme des objets de soins. Ainsi que nous l’avons déjà vu, ces usagers revendiquent dorénavant d’être reconnus en tant qu’acteurs décidant de leurs projets. La relation de service et la proximité apportées par le SESSAD, favorisent la participation des usagers. Est-ce que ce nouveau type de rapport entre l’institution sociale et l’usager essaime du SESSAD vers l’ IME ? Pour répondre à cette interrogation, nous avons recentré nos questions sur la thématique du droit des usagers et comparé la mise en place des outils obligatoires prévus par la loi de rénovation sociale77 dans les IME – IME seuls et IME associés à un SESSAD La technique du questionnaire exige en effet de délimiter le champ d’investigation et d’être précis dans les libellés. Madeleine GRAWITZ78 nous conseille : « …de réserver le questionnaire écrit à des domaines circonscrits, concernant des faits. » Le retour des questionnaires 3 9 IME/SESSAD IME Sur les 21 questionnaires adressés aux directeurs d’institutions de Champagne Ardenne, nous avons un retour de 12 questionnaires, soit 57 %. Ce taux significatif témoigne que l’application de la loi 2002.2 est un sujet d’actualité pour les professionnels de l’action sociale et médico-sociale. Toutefois parmi les non retour, les IME sans SESSAD associés sont sur représentés, en effet 50% d’entre eux n’ont pas répondu. Cet élément est déjà un premier indice du décalage recherché. 77 Le projet d’établissement, la charte des droits et des liberté, le contrat de séjour, le règlement de fonctionnement, le recours possible à des personnes qualifiées, le conseil de vie sociale. 78 GRAWITZ, Madeleine, Méthodes des sciences sociales, Paris, Editions Dalloz, 1996, p.611. 76 Type d’établissement 4 Internat 8 1/2 internat Nous enregistrons également que de la majorité ces IME conserve une section internat significative, cette section existe dans 8 établissements sur 12. La structure IME est encore fortement marquée par sa mission d’origine consacrée à l’hébergement. Parmi les 9 institutions n’ayant pas retourné le questionnaire, 8 d’entre elles gèrent un internat. Typologie des handicaps Déficience intellectuelle TCC 1 1 1 Handicap moteur 2 9 2 Polyhandicap Autisme Déficiences sensorielles Nous avons examiné la typologie des handicaps représentés dans le panel d’établissements ayant répondu au questionnaire. Plusieurs établissements accueillent deux types de handicap, par exemple déficience intellectuelle et autisme ou handicap moteur et polyhandicap. Ce constat témoigne d’une certaine évolution des établissements qui diversifient leurs modalités d’accompagnement. Néanmoins la catégorie de la déficience intellectuelle est la plus représentée. Cette situation nous permet d’opérer plus facilement une comparaison entre les ime de la région et celui de l’ime /sessad de Ville-en-Selve qui accueille également des jeunes déficients intellectuels. 77 L’observation directe au SESSAD « le soleil levant »/ IME de Ville-en-Selve. Nous avons focalisé notre observation sur le dispositif des référents de projet individualisé représentatif du travail en réseau. Nous avons mené particulièrement nos observations sur les séquences de travail suivantes : les réunions conjointes au SESSAD/IME, les temps de coordination SESSAD/IME relatifs aux projets des enfants accompagnés, les écrits institutionnels. Lors de l’observation de ces séquences ou de l’étude des documents écrits, nous avons été attentive aux logiques des acteurs en vérifiant leurs inscriptions dans un processus d’innovation caractérisé par les phases de remise en cause, désordre, imitation, institutionnalisation. Nous avons confronté ces observations et nos premières analyses d’une part aux réactions de collègues qui en profitèrent pour donner leur point de vue. Ces échanges avaient pour but de nuancer mes premières impressions et de faire émerger de nouvelles informations. Pour prendre du recul, nous avons évoqué ces observations à des « points de vue extérieurs » lors des travaux universitaires. Comme le recommande Anne-Marie ARBORIO et Pierre FOURNIER79 : « …l’analyse exige de rompre avec cette proximité, avec le sentiment que la pratique va de soi, donc de rompre avec les systèmes de références des acteurs qu’on a dû pénétrer pour en rendre compte. » Cependant, membre de l’organisation observée, nous sommes consciente d’être engagée dans la situation observée et que notre souci de neutralité ne pourra être que relatif. 79 ARBORIO, Anne-Marie et FOURNIER, Pierre, L’enquête et ses méthodes : l’observation directe, Paris, Nathan Université, 1999, p. 69. 78 3.2. Restitution et analyse des résultats. Nous allons exposer puis analyser les données collectées avec chacune de nos trois stratégies d’investigation. Nous examinerons d’abord le contenu des entretiens que nous exposerons sous forme de tableaux. Puis, nous traiterons les réponses au questionnaire. Enfin nous retracerons et analyserons les observations réalisées autour du dispositif de référent de projet individualisé au sein de l’organisation IME de Ville-en-Selve et du SESSAD « le soleil levant ». Résultat des entretiens semi-directifs. Nos intentions sont de vérifier que : ↪ Le SESSAD est une interface entre l’IME et une pluralité d’acteurs, ↪ Il existe des projets initiés par le SESSAD puis partagés avec l’IME et des acteurs du territoire. ↪ L’engagement des salariés du SESSAD mobilisent les salariés de l’IME. Nous rappelons que pour les structures recoupant un IME et un SESSAD, les entretiens ont concerné des cadres exerçant des compétences dans les deux secteurs. Ces attributions transversales sont un premier indicateur sur le réseau, les transferts d’informations et de compétences qui peuvent s’opérer entre le SESSAD et l’IME. Nous l’avons indiqué, une partie des interviewés ont distingué leurs réponses en fonction du secteur d’intervention, d’autres cadres se situant de manière plus globale dans leurs réponses. Nous avons là un révélateur de deux visions de la configuration organisationnelle IME/SESSAD. L’une souligne les différences de missions et de structuration des deux entités, la seconde vision présente l’organisation comme une continuité, un réseau, un parcours où peut évoluer l’usager. Compte tenu de la grande quantité des données collectées lors des entretiens, nous avons opéré un tri et une synthèse ; cette démarche représente une première mise en sens des informations. Ces résultats sont présentés ci-après sous la forme des tableaux de recueil de données. 79 80 81 82 83 Nous allons maintenant commenter ces tableaux. Notre méthode d’analyse comportera deux comparaisons : La première comparera la situation des IME sans SESSAD avec les IME associés à un SESSAD. La seconde examinera les écarts entre la situation des IME associés à un SESSAD et celle des SESSAD. Par convention, nous appellerons au cours des commentaires : Les IME sans SESSAD : « IME », Les IME associés à un SESSAD : « IME associés» Analyse du tableau 2 : « Activité de l’établissement ou du service avec l’environnement ». Projet/environnement : Les deux IME évoquent une insuffisance de leur projet d’établissement, la nécessité d’une actualisation. L’environnement n’est pas une dimension valorisée dans ces projets qui datent. Ils manifestent l’intention de s’investir dans l’environnement, s’inscrivant dans une démarche de normalisation. A l’inverse les « IME associés » annoncent des projets volontaristes en direction de l’environnement, défini comme un champ d’action à investir. Il existe toujours deux projets, un d’établissement – « IME associé »- et un projet de service – SESSAD -. La dimension territoriale est présente dans l’ensemble de ces projets. Il y a une certaine homogénéité. Relations/formalisation : Les deux « IME » ont conclu des conventions avec l’Education Nationale et des partenaires institutionnels. Les « IME associés» développent le même type de convention. Un phénomène identique de contractualisation des rapports s’observe dans les SESSAD. Le nombre de conventions conclu par ces services est relativement plus élevé que dans toutes les catégories d’IME . 84 Projets partagés : Nous avons classé ces projets ou leur absence en trois rubriques : Pas de projet partagé. Projet partagé de nature institutionnelle, il concerne des relations où prime le rapport d’institution à institution. Projet partagé pour les projets individualisés des usagers. Les deux « IME » développent des projets partagés de nature institutionnelle essentiellement avec d’autres établissements et services spécialisés. La situation des « IME associés » est contrastée. Ils mettent en place des projets plutôt institutionnels qui s’articulent avec le milieu ordinaire ou spécialisé. Certains s’engagent aussi dans des partenariats pour les projets individualisés de leurs usagers. Les SESSAD mixent aussi ces projets partagés «institutionnels » ou «individualisés » mais la proportion de partenariats en faveur des projets individualisés est plus grande que dans les « IME associés ». Partenaires : Nous avons distingué deux catégories de partenaires : Les partenaires du milieu spécialisé (spécialisé dans l’action en faveur des personnes handicapées ou malades) Les partenaires du milieu ordinaire (ouvert à tous les publics). Les deux IME ont essentiellement des partenaires en milieu spécialisé. L’un d’entre eux a d’ailleurs peu développé cette modalité de travail. Les « IME associés » ont des partenariats tant avec le milieu ordinaire qu’avec le milieu spécialisé. Pourtant, il existe des différences entre ces « IME associés » ; une partie nourrit plus de partenariat avec le milieu ordinaire alors que l’autre partie reste proche du milieu spécialisé. Cet investissement par les « IME associés » de partenaires du milieu ordinaire coïncide avec le niveau d’investissement de cette catégorie de partenaires par « leur » SESSAD. Ce parallélisme dans l’activité partenariale entre les « IME associés » et leurs SESSAD est à retenir. Réseaux professionnels : Les deux IME peinent à désigner les acteurs engagés dans des réseaux professionnels. Cette pratique n’a encore qu’une signification abstraite. Lorsqu’ils envisagent une action réticulaire, il s’agit de l’engagement de « l’institution ». Deux explications sont données par les IME au 85 sous-investissement du travail en réseau : le manque de motivation du personnel ou à l’inverse la recherche de relation trop personnalisées. En revanche, les « IME associés » détachent régulièrement des personnels dans des réseaux professionnels. Le personnel d’encadrement, sans en avoir l’exclusivité, occupe néanmoins une place prépondérante dans ces activités. Les SESSAD revendiquent l’investissement de réseaux professionnels. A la différence des « IME associés », tous les salariés participent à ce travail en réseau. Cet écart est à moduler lorsqu’on examine l’investissement par rapport aux qualifications des salariés. Dans les « IME associés » le personnel exclu du travail en réseau se repère parmi les salariés moins diplômés. Ces catégories de personnel- niveau 4 et 5 – sont peu représentées dans les SESSAD. Les avantages du réseau : L’un de deux IME ne perçoit pas les avantages du travail en réseau, le second pense qu’il permet une ouverture de l’établissement. Pour les « IME associés » les réponses sont variées : développer des projets, mutualiser des savoirs, connaître et communiquer avec l’environnement. Les réponses des SESSAD sont comparables à celles des « IME associés ». Elles favorisent la collecte d’informations auprès des partenaires. Cette fonction est stratégique car elle améliore le positionnement des établissements et des services dans l’environnement. Accueil de partenaires : L’un des deux IME ne répond pas à cette question, laissant entendre que ce n’est pas une occurrence fréquente ; l’autre IME accueille des associations locales pour les activités de ses usagers. Cette question a suscité des réponses assez variées de la part des « IME associés ». Elles correspondent à une gamme étendue de pratiques, évolutives et changeantes dans le temps. Cette « mobilité » des pratiques évoque l’un des aspect du travail en réseau. Les SESSAD prennent une distance par rapport au terme « accueil » de partenaires ; ils rappellent qu’ils interviennent surtout sur le territoire de vie et d’activité de l’enfant. Ce préalable précisé, nous constatons aussi une diversité de partenariat comme pour les « IME associés ». Nous avons noté un élément commun à tous ces établissement et services : la règle d’un partenariat « programmé » avec les autres entités de l’organisme gestionnaire lorsqu’il en 86 existe. Cette observation s’applique aussi aux relations entre l’ IME et le SESSAD lorsqu’ils sont associés ; il y a une collaboration prescrite par l’organisme gestionnaire. Analyse du tableau 3 : « Organisation de l’action collective au sein de l’institution ». Organisation des services : Les deux IME présentent une organisation classique par fonction. Trois services structurent cette organisation : le service éducatif, paramédical et médical, le service pédagogique. Les niveaux hiérarchiques sont marqués, le rapport à l’autorité n’est pas sans rappeler le respect de la tradition décrit par Max WEBER80. L’organisation des « IME associés » est plus complexe. Il y a une cohabitation d’une organisation fonctionnelle et d’une organisation par projet. La première concerne nettement les services destinés à la logistique –services généraux, administratifs- la seconde se retrouve plus fréquemment pour les services chargés de mettre en œuvre les projets des usagers. Ce recours à une organisation matricielle où le salarié dépend d’un service fonctionnel tout en s’investissant dans des projets transversaux n’est pas toujours facile à mettre en œuvre pour ces IME. Les cadres intermédiaires sont les chevilles ouvrières de cette organisation et doivent faire preuve d’une certaine flexibilité pour s’inscrire dans des rapports verticaux puis horizontaux, hiérarchique puis d’alter ego. Dans cette configuration, la direction voit sa fonction d’animation s’amplifier au détriment de sa fonction de « chef ». Les SESSAD sont exclusivement organisés en groupe projet, dans les faits les rapports hiérarchiques sont peu marqués. Leurs rapports s’organisent plus autour de leurs compétences que de leurs qualifications. Organisation des réunions : Pour tous les établissements et les services, la définition des réunions correspond à l’organisation précédemment décrite. C’est-à-dire entre les membres du service lorsque l’organisation est fonctionnelle, voire entre les membres de deux services qui doivent se coordonner et entre tous les membres de l’équipe concernée lorsqu’il s’agit d’une organisation projet. 80 In Sciences Humaines, Autorité, de la hiérarchie à la négociation, juin 2001, n°117, p.29. 87 La participation de partenaires extérieurs est évoquée par tous les établissements et services ; elle est cependant plus fréquente dans les SESSAD et la plus rare dans les deux IME. Activités animées par une équipe pluridisciplinaire : L’un des deux IME ne travaille pratiquement pas sous la forme pluridisciplinaire ; les services éducatif, pédagogique et thérapeutique proposant chacun des activités distinctes. L’autre IME signale le développement d’activités transversales aux services. Pour les «IME associés » les interventions en équipe pluridisciplinaire sont courantes et diversifiées, pourtant dans certains de ces « IME associés » cette activité conjointe ne s’étend pas au service médical et paramédical. La situation des SESSAD est distincte dans la mesure où la pluridisciplinarité est quotidienne mais pratiquée avec des partenaires extérieurs : Education Nationale, services de santé, services sociaux, organismes privés. Activités réalisées dans l’environnement : Le sport et la culture sont les deux vecteurs les plus utilisés par tous les établissements et les SESSAD. L’accompagnement de groupes caractérise cependant tous les types d’IME, alors que l’accompagnement individualisé se retrouve dans les SESSAD. Lors des entretiens les représentants des « IME associés » ont indiqué qu’ils réduisaient le nombre d’usagers dans les groupes lors des sorties éducatives. Le discours de ces cadres légitime ce qui ne demeura longtemps qu’une revendication d’une partie du personnel. Environnement et implication des partenaires : Les deux IME coopèrent occasionnellement à l’extérieur avec des familles et des bénévoles. Pour les « IME associés » et les SESSAD ces actions communes s’étendent également à une grande variété de professionnels du milieu spécialisé et milieu ordinaire. Les résultats entre les « IME associés » et les SESSAD sont équivalents. 88 Analyse du tableau 4 : « Modalités de rencontre et de travail avec les familles des usagers. Personnel chargé des relations avec les familles : Dans les deux IME, le personnel d’encadrement assume à plupart des relations significatives avec les familles des usagers. Il nous est signalé que cette situation évolue avec une contribution accrue des autres professionnels. Les « IME associés » et les SESSAD décrivent des pratiques très proches, caractérisées par l’intervention de nombreux personnels auprès des familles. Les qualifications de ces salariés sont diversifiées. Dans les « IME associés » la désignation du professionnel chargé d’une relation avec la famille ne fait pas toujours l’objet d’une procédure institutionnelle. Le processus de décision conduisant à une initiative de contact avec les familles relève d’ajustements au cas par cas. Dans les SESSAD, ces responsabilités sont mieux identifiées car un salarié est chargé nominativement de l’accompagnement du projet de l’usager. La notion de référent qui recouvre pour partie cette responsabilité d’accompagnement se généralise dans les SESSAD et gagne les « IME associés ». Tous les interlocuteurs ont abondamment traité cette relation avec les familles, cet intérêt traduit que cet axe de travail est devenu incontournable dans ce secteur professionnel. Activités conjointes avec les familles : Dans les deux IME les familles participent rarement à des activités sauf pour des événements, les fêtes d’établissement. Dans les « IME associés », cette participation, plus importante que dans les IME, reste cependant modeste. Il s’agit de participer à des événements institutionnels ou de contribuer à des activités collectives. La participation des familles avec les équipes des SESSAD est fréquente. Les membres de ces équipes ont eu des difficultés pour interpréter la notion « d’activités », certains services distinguant cette activité des rencontres et entretiens réguliers. L’originalité pour les SESSAD se situe au niveau de l’individualisation, il peut s’agir par exemple de l’accompagnement d’un enfant et de sa mère à la bibliothèque ou d’une activité cuisine à domicile avec l’aide d’un parent. Ces activités se classer sous les rubriques « guidance familiale et médiation ». 89 Organisation de l’établissement/service et influence des familles : Les deux IME soulignent leur écoute des remarques des familles mais il n’est pas rapporté que ces remarques furent suivies de modifications organisationnelles. Pour les « IME associés » plusieurs exemples concrets traduisent une prise en compte des demandes des parents dans le fonctionnement de l’établissement, les mesures les plus fréquentes concernent la transmission des informations aux parents. Dans les SESSAD, la définition et le contenu des projets individualisés sont particulièrement investis et influencés par les familles. Il semble qu’il y ait une négociation permanente à propos de ce projet individualisé entre la famille et l’équipe du service. Coopération familles/institution : Cet item prolonge le précédent, son intention est de sonder la place donnée ou visée par le projet d’établissement/service à la famille. Pour les deux IME cette réflexion est en cours dans le cadre de l’actualisation de leur projet. Pour les « IME associés » les points de vue exprimés sont hétérogènes même si globalement la participation des familles est recherchée. Certaines institutions attendent un rôle de premier plan de la famille considérée comme co-auteur de l’action médico-sociale. C’est dans cette dernière direction que les SESSAD disent travailler ; l’objectif est de favoriser l’autonomie de l’usager et de sa famille. Ainsi il lui est laissé une partie importante des démarches et des actions à réaliser. Les membres du SESSAD utilisent le terme de « relais ». Cette capacité à transmettre, à « lâcher prise » marque également leur rapport avec les autres organismes sociaux et avec les IME auxquels ils sont associés. Différence de point de vue familles/institution : Les deux IME relatent quelques désaccords avec les familles qui ont été traités par la direction ou le médecin. Ces réclamations concernaient la restauration et l’insuffisance du temps consacré à la scolarité. Ces IME ont fait évoluer leur fonctionnement à la suite de ces événements. Pour les « IME associés » et les SESSAD, nos interlocuteurs ont eu des difficultés à évoquer des litiges entre l’institution ou le service et les familles. Cette notion de litige avec l’institution n’est pas « parlante » car les différences de point de vue portent surtout sur le contenu et la réalisation des projets individualisés. 90 Les SESSAD se distinguent par leur approche positive des critiques exprimées par les familles. Dynamisant la réflexion, ces critiques sont considérées comme des remises en cause conduisant à l’amélioration du fonctionnement du service. Résultat du questionnaire. Notre intention est de vérifier que : La mobilisation de la participation des usagers est un critère d’innovation et fait évoluer les pratiques de l’ IME. Cette mobilisation et participation est l’un des éléments révélateur du travail en réseau. Notre vérification prend pour entrée l’application des droits des usagers et des dispositions prévues par la loi de rénovation sociale. Une synthèse des résultats sont présentés dans le tableau ci-après : 91 Tableau 5 Synthèse des réponses au questionnaire « droit des usagers » Questions IME Q1- Est-ce que les usagers ou leurs représentants ont une Oui : 0 bonne connaissance de leurs droits ? Non : 1 Autre : 2 Q2- Mettez-vous en place des actions d’informations pour Oui : 2 informer les usagers, leurs représentants de leurs droits ? Non :1 Q3- Pensez-vous que le personnel a une bonne Oui : 0 connaissance des droits des usagers ? Non : 1 Autre : 2 Q4- Est-ce qu’une information du personnel dans ce Oui : 3 domaine serait nécessaire ? Non : 0 Q5- Votre établissement a-t-il conçu et diffusé auprès des Oui : 0 usagers/représentants le livret d’accueil Non : 1 En cours : 2 Q6- Est-ce que cette diffusion a eu un impact sur le Oui : 0 comportement, les demandes des usagers/représentants ? Non : 0 Q7- Votre établissement a-t-il conçu et diffusé auprès des Oui : 0 usagers/représentants la charte nationale des droits et des Non : 2 libertés ? En cours : 0 Q8- Votre établissement a-t-il conçu et diffusé auprès des Oui : 1 usagers/représentants le règlement de fonctionnement ? En cours : 2 Autre : 0 Q9- Est-ce que cette diffusion a eu un impact sur le Oui : 1 comportement, les demandes des usagers/représentants ? Non : 0 Q10- Votre établissement a-t-il conçu et diffusé auprès des Oui : 1 usagers/représentants le contrat de séjour ? Non : 2 En cours : 0 Q11- Est-ce que cette diffusion a eu un impact sur le Oui : 1 comportement, les demandes des usagers/représentants ? Non : 0 Q12- Les familles vous posent-elles des questions sur la loi Parfois : 1 2002-2 du 2 janvier 2002 ? Rarement : 2 Q13- Avez-vous mis en place des dispositions pour répertorier les demandes/questions des usagers/représentants ? Q14- Est-ce qu’un membre de votre équipe a des fonctions particulières pour le traitement des questions/réclamations des usagers et de leurs représentants ? Q15- En cas de différent avec un usager/son représentant, avez-vous un dispositif de médiation ? IME associés Oui : 1 Non : 2 Oui : 1 Non : 6 Autre : 2 Oui : 7 Non : 2 Oui : 6 Non : 1 Autre : 2 Oui : 8 Non : 1 Oui : 4 Non : 0 En cours : 5 Oui : 1 Non : 3 Oui : 1 Non : 3 En cours : 2 Oui : 4 En cours : 4 Autre : 1 Oui : 2 Non : 1 Oui : 3 Non : 2 En cours : 4 Oui : 0 Non : 0 Parfois : 2 Rarement : 4 Jamais : 3 Oui : 5 Non : 3 Oui : 0 Oui : 3 Non : 3 Non : 4 Oui : 1 Non : 1 Oui : 4 Non : 5 Analyse des résultats Dans ce travail sur le questionnaire nous nommerons encore « IME associés » les IME auxquels sont rattachés des SESSAD et simplement « IME » les établissements sans SESSAD rattachés. 92 Par leurs réponses l’ensemble des IME et « IME associés » ont montré leur connaissance des textes régissant le droit des usagers. Leur niveau d’informations semble équivalent sur ce point. Ces deux catégories d’établissements s’accordent à dire que les usagers et leurs familles connaissent mal leurs droits (Q1) et qu’ils posent peu de questions directes sur ce thème (Q12). Un écart entre les deux types établissements s’observe au niveau de l’idée qu’ils se font de leur personnel en matière de connaissance du droit des usagers (Q3). Les « IME associés » perçoivent la compétence de leur personnel, à l’inverse les IME notent une insuffisance de connaissance de leurs collaborateurs. Ces représentations différentes suggèrent que les points de vue des professionnels, pour appliquer le droit des usagers, seront davantage pris en compte par leur direction dans les « IME associés » que dans les IME. Un second écart s’enregistre au niveau de la mise en place des outils rendus obligatoire par la loi de rénovation sociale pour rendre opérationnel le droit des usagers. C’est surtout au niveau de la réalisation du livret d’accueil que le décalage se remarque. Aucun IME ne dispose de ce document contrairement à la plupart des « IME associés » (Q5). Ce décalage est un peu moins marqué pour la diffusion de la charte nationale des droits et des libertés et du règlement de fonctionnement (Q7 et Q8). Pour ces deux derniers outils, les résultats sont à relativiser en raison de la non parution des décrets d’application à la date de l’enquête. Nous relevons que des « IME associés » ont mis en place des dispositions pour répertorier les demandes/réclamations des usagers. Des membres de leurs équipes sont chargés de traiter ces demandes et réclamations. Cette organisation favorise la participation des familles. A l’opposé les IME n’ont pas engagé d’initiative dans ce dialogue avec la famille. L’observation directe au SESSAD « le soleil levant »/ IME de Ville-en-Selve : le système des référents. Notre intention est de vérifier que : ↪ Il existe un processus d’innovation qui traverse le SESSAD puis l’IME en identifiant trois séquences types : initiative et désordre, imitation, institutionnalisation. Le système des référents individualisés mis en place d’abord au puis à IME SESSAD « le soleil levant » de Ville-en-Selve, nous a semblé une illustration de la diffusion du travail en réseau. Nous avons souhaité vérifier l’effectivité de ce processus le retracer et l’analyser. 93 Nous traiterons successivement de l’apparition de cette nouvelle pratique de travail, les différentes phases de sa diffusion, la logique des acteurs impliqués dans ce processus. A l’ouverture du SESSAD, fonctionnement. Ce travail en l’équipe et la direction ont élaboré un mode de SESSAD était nouveau pour les salariés ; des rencontres furent organisées avec d’autres services de la région. A la suite de ces échanges, la notion de référent de projet individualisé fut introduite dans le projet du SESSAD. Cette pratique de la référence, pour laquelle l’équipe n’avait pas trop de repères, s’ajusta au fur et à mesure de son utilisation. La coordination du projet individualisé de chaque usager est confiée à un membre de l’équipe. Ce dispositif rencontra rapidement l’unanimité de tous les membres de l’équipe dont il valorisait les initiatives et l’autonomie. Les usagers et de leurs familles manifestèrent leur satisfaction, ils identifiaient aisément leur interlocuteur dans le service. La fonction de référent était décrite d’une manière assez générale dans le projet, laissant une marge d’interprétation à chaque salarié. Cette liberté des acteurs leur permettait d’expérimenter et d’adapter cette pratique de coordination aux besoins de chaque usager. Cette pratique professionnelle se développait à l’écart de l’IME et sans que l’équipe de celui-ci lui porte de l’intérêt. Au fil des mois ce travail de référent prenait place dans l’activité professionnelle des salariés du SESSAD ; progressivement les pratiques de ce service se distinguaient de celles de l’IME. La direction encouragea la diffusion du système de référent à l’IME. Les salariés du SESSAD proposèrent de relater leur expérience. Une réunion de présentation du projet et du fonctionnement du SESSAD fut organisée à l’IME. Les réactions des salariés de l’IME étaient courtoises mais prudentes, la direction cherchait à les mobiliser. Une seconde occasion d’approcher le rôle de référent plus concrètement, furent les réunions qui concernèrent à la même époque des usagers. Il s’agissait d’effectuer des relais pour l’accompagnement des jeunes entre le SESSAD et l’IME. Les salariés de l’IME furent intéressés par le rôle du référent, sa fonction de coordination, son compte-rendu. Ce travail de référent, qui témoignait d’une certaine compétence, était valorisé car les familles des usagers exprimaient de la reconnaissance. La pratique de référent quitta la « clandestinité » pour être connue de tous. La direction reprit des initiatives pour contribuer à son introduction à l’IME. La question fut traitée lors des réunions institutionnelles et provoqua un certain désordre. Alors qu’initialement aucun salarié n’avait manifesté son intérêt lors de la première présentation, 94 maintenant la plupart des membres de l’équipe souhaitait investir ce rôle. Ces acteurs avaient perçu qu’il y avait une zone d’autonomie à conforter avec cette nouvelle fonction et d’un point de vue de l’analyse stratégique81 une possibilité de renforcer leur pouvoir. Ce désordre se matérialisa lors d’un conflit entre les éducateurs et les éducateurs techniques, les premiers finissant par être désignés comme « référents » des usagers. Les éducateurs techniques restant en retrait par crainte de perdre leur spécificité professionnelle et d’être assimilés au groupe général des éducateurs. Ils craignent qu’une partie du travail des éducateurs spécialisés se reporte sur eux. Ce désordre engendré est assez caractéristique du phénomène d’innovation. La direction arbitra ces divergences et fixa dans le projet institutionnel les règles applicables au dispositif de référent de projet individualisé. Nous avons donc vu que l’équipe du SESSAD « le soleil levant » a eu un rôle pionnier dans l’introduction de la pratique de référent. Elle s’était inspirée de pratiques développées par d’autres SESSAD rencontrés dans le cadre de réseaux informels. L’IME de Ville-en-Selve, sous l’impulsion de sa direction, a repris à son compte cette nouvelle pratique. Son introduction fut l’objet de conflits entre les salariés dont les intérêts divergeaient. A cette phase de désordre succéda une phase d’institutionnalisation de nouvelles règles. Comme le relève Norbert ALTER dans un article82 nous pouvons dans cette dynamique identifier trois positions : - Celle des tenants de l’innovation qui profitent de leur contribution pour améliorer leur reconnaissance sociale dans l’entreprise, dans notre exemple les salariés du SESSAD. - Celle des salariés installés en position sociale avantageuse, devenus tenants de la règle et qui s’opposent au jeu des innovateurs, dans notre exemple les éducateurs techniques. - Celle de la direction qui arbitre les rapports de force entre les deux groupes précédents. Elle fait évoluer les règles lorsqu’elle veut favoriser l’innovation. Elle est garante de ces règles lorsqu’elle veut privilégier l’ordre et la cohérence sur les turbulences de l’innovation. 81 82 CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, L’acteur et le système, Editions du Seuil, collection Points, 1977 In Sciences Humaines, Article de N. ALTER, Une gestion du désordre, avril 1991, dossier n°5, p.24. 95 3.3. La validation méthodologiques. de l’hypothèse et les limites Nous nous sommes posée la question : « En quoi le SESSAD est-il facteur d’innovation pour l’IME ? », notre recherche nous a conduit à proposer l’hypothèse suivante : « Le SESSAD est facteur d’innovation en diffusant de nouvelles pratiques, notamment le travail en réseau et partenariat. » Pour vérifier cette hypothèse de travail nous avons construit un modèle d’analyse en articulant les concepts d’innovation et de réseau et en les définissant à l’aide des cinq critères suivants : Identification de trois séquences : désordre, imitation, institutionnalisation en référence au travail de Norbert ALTER. Le SESSAD : interface entre l’IME et une pluralité d’acteurs. Projets initiés par le SESSAD puis partagés avec l’IME et des acteurs du territoire. L’engagement des salariés du SESSAD mobilise les salariés de l’IME . La participation de l’usager et de sa famille au SESSAD fait évoluer les pratiques de l’IME dans ce domaine. Voyons pour chacun des cinq critères l’éclairage que nous a apporté l’activation de notre enquête de vérification composée d’entretiens, de traitement d’un questionnaire et d’observations directes. Identification de trois séquences : désordre, imitation, institutionnalisation en référence au travail de Norbert ALTER. Cette observation au SESSAD « le soleil levant » et à l’ IME de Ville-en-Selve, nous a permis de confirmer les phases successives caractéristiques du processus d’innovation. Une étude attentive du contenu des entretiens nous montre qu’un phénomène d’imitation se passe entre les pratiques du SESSAD et des « IME associés ». Cette transmission de pratiques se traduit pour les « IME associés » par une augmentation du nombre de partenaires provenant du milieu ordinaire. D’autre part la plupart des projets d’établissements des « IME associés » intègrent des nouvelles pratiques : prise en compte de l’environnement et politique partenariale, participation des usagers, flexibilité de l’organisation. 96 En revanche les IME sans SESSAD n’ont pas actualisé leur projet. Cependant des tensions existent dans ces établissements, elles ont été exprimées durant les entretiens. Ces tensions – désordres - résultent d’une divergence entre salariés, les « modernes » et les « anciens » ; les premiers épaulés par la direction souhaitent rejoindre le modèle de fonctionnement des institutions du secteur, les seconds veulent maintenir le fonctionnement actuel. Les arguments de ces « anciens » sont pour chacun de ces deux IME: - « Travailler avec les familles n’est pas possible car elles sont pathogènes ! » - « Nous ne voulons pas sortir de l’IME, ce n’est pas notre travail ! » Le SESSAD : interface entre l’IME et une pluralité d’acteurs. Les entretiens nous ont permis de constater que les « IME associés » avaient un nombre de partenaires plus élevé que les IME sans SESSAD. Néanmoins nous n’avons pas pu établir une relation directe entre les liens constitués par le SESSAD avec l’environnement et leur reproduction avec l’IME. Dans ce domaine il semble que le rôle de la direction et des cadres qui exercent des fonctions transversales à l’IME et au SESSAD soit déterminant. Ces acteurs semblent capitaliser leurs « contacts » et agrandir les réseaux, créant une synergie entre le SESSAD et l’IME. Il resterait également à mettre à jour un ensemble de relations personnelles et informelles engagées par les professionnels du SESSAD dans leur activité et en marge de leur activité qui sont une forme de « présentation » de l’IME à l’extérieur. Projets initiés par le SESSAD puis partagés avec l’IME et des acteurs du territoire. Nous n’avons pas mis en évidence un nombre significatif de projets initiés par le SESSAD puis partagés par l’IME et d’autres acteurs du territoire. Cependant les entretiens montrent une similitude entre le type de projets développés au SESSAD avec ses partenaires et les projets où s’implique l’IME dans son environnement. L’originalité de ces projets est d’associer un nombre croissant de partenaires et leur action vise des objectifs touchant de plus en plus l’ensemble de la population locale. Cette évolution s’inscrit dans une démarche de développement social territorial. Pour Jean-François BERNOUX83 « …le partenariat devient … un objectif stratégique pour faire face à l’étendue des problèmes sociaux que l’économique en crise n’absorbe plus.…Aux logiques spécialisées et cloisonnées qui ont présidé au déploiement du travail social depuis ses 83 BERNOUX, Jean-François, Mettre en œuvre le développement social territorial, Paris, Dunod, 2002, p.2 97 origines succèdent l’interchangeabilité des compétences et la permutabilité des métiers. » Il y a cependant une catégorie de projets partagés, ceux qui concernent le parcours d’un usager dont l’accompagnement fait appel successivement ou simultanément au SESSAD, à l’IME et à d’autres partenaires. Dans cette situation précise, le SESSAD est un espace de connexion entre l’IME et les réseaux déjà engagés avec, et autour de l’usager. L’engagement des salariés du SESSAD mobilise les salariés de l’IME. L’observation relative au système des référents de projet individualisé fait ressortir le rôle mobilisateur des salariés du SESSAD dans ce domaine. Après la découverte d’une nouvelle pratique ils se sont mués en promoteurs/formateurs de ce savoir-faire auprès de leurs collègues de l’IME. Dans cette démarche de transmission, ils manifestaient une véritable motivation générée par leur désir d’être reconnus par leurs collègues et l’institution. Le comportement des salariés/acteurs de l’IME se complète d’une redéfinition de l’organisation. Les entretiens ont pointé le recul de l’organisation par fonction, l’évolution du rôle des cadres et le développement du travail transversal soit par équipe projet, soit par implication dans des réseaux externes à l’organisation. Ainsi la contribution de participants extérieurs à l’organisation est citée fréquemment. Le questionnaire traduit également une représentation positive des compétences des personnels par les cadres des « IME associés ». A la fois ces établissements sont organisés pour que les salariés puissent prendre des initiatives et la direction les trouve plus compétents. Cet investissement sur les ressources des acteurs ne se retrouve pas dans les IME sans SESSAD où il semble que se pratique une gestion du personnel plus taylorienne84 ; les logiques dominantes sont la rationalisation de l’organisation et la spécialisation des tâches. Dans cette vision leurs salariés, face aux changements, sont perçus par l’encadrement comme passifs voire opposants. 84 Taylorisme : expression issue des travaux de Frederic TAYLOR (1856-1915), ingénieur américain qui, afin d’accroître la productivité du travail, a prôné une organisation du travail, qu’il a qualifié de « scientifique », (Organisation Scientifique du Travail –OST-). 98 La participation de l’usager et de sa famille au SESSAD fait évoluer les pratiques de l’IME dans ce domaine. Pour vérifier ce critère nous avons comparé l’application par les IME des nouvelles dispositions rendues obligatoires par la loi de rénovation de l’action sociale. Lors de cette comparaison nous avons distingué deux groupes d’IME, ceux qui sont associés à un SESSAD et les sans IME SESSAD. associés à un Cette comparaison s’est réalisée à l’aide d’un questionnaire. Les SESSAD, plus réactifs que les autres IME, ont IME pris des mesures dès la promulgation de la nouvelle législation. Ils manifestent une réelle volonté d’échange avec l’usager en concevant des dispositions d’écoute et en développant une fonction de traitement des demandes et des réclamations. Dans ces « IME associés », il existe donc des pré-requis d’une participation des usagers et des familles. Cette comparaison suggère donc une corrélation entre la participation des usagers dans les IME et la présence d’un SESSAD associé à cet IME. SESSAD Néanmoins elle n’établit pas un lien direct entre la participation des usagers au et l’amélioration de la participation des usagers à l’IME. Les entretiens confirment cette plus grande participation des familles dans les associés à un SESSAD. IME Pourtant, la formulation de ce dernier critère serait à affiner en tenant compte d’éléments plus diffus recueillis lors des entretiens : Le cadre d’un IME affirme que les familles d’usagers accompagnés antérieurement par un SESSAD sont plus actives et qu’elles prennent plus souvent la parole. Plusieurs de nos interlocuteurs ont évoqué l’influence des collectifs d’usagers dans les instances représentatives ou des associations gestionnaires regroupant des parents. La focalisation sur l’action de ces groupes de parents laisse cependant dans l’ombre la place prise par chaque famille dans les accompagnements individualisés. Le résultat de toutes ces investigations confirme que le SESSAD est bien un facteur d’innovation en diffusant de nouvelles pratiques, notamment le travail en réseau et partenariat. Il s’agit là d’un point de départ à de nouveaux approfondissements. Nous tenons toutefois à indiquer certaines limites méthodologiques de notre recherche. Une des difficultés est d’élaborer une méthodologie qui rende compte des systèmes complexes que nous analysons et des logiques d’acteurs. Les limites à l’utilisation de l’observation directe ont été notre appartenance à l’équipe observée et le risque d’introduire, par ce fait, un biais trop subjectif. Le questionnaire restreint considérablement l’espace d’analyse de la participation des usagers en le circonscrivant aux dispositions légales. Enfin, il aurait été souhaitable d’augmenter le nombre d’entretiens concernant les IME sans SESSAD, bien qu’il faille noter 99 que cette catégorie d’établissements se réduit. Nous aurions pu également intégrer une étude temporelle qui aurait fait apparaître l’impact des SESSAD en fonction de leur ancienneté de fonctionnement. Cette recherche sur l’innovation et le travail en réseau a été le support d’échanges avec de multiples interlocuteurs avec lesquels nous avons confronté nos points de vue. Dans cet esprit, nous avons sollicité l’avis de nos collègues du SESSAD. Notre attention s’est portée également sur la participation des usagers, leurs attentes vis-à-vis du service. Dans ces deux situations nous aurions pu formaliser plus scientifiquement les contributions des uns et des autres. Nous avons étudié un mouvement, celui de l’innovation. Nous avons cherché à le comprendre à partir d’une hypothèse, cependant nous avons bien conscience et nous espérons l’avoir illustré, qu’il s’agit d’un phénomène qui inter-réagit à des causes multiples. Nous rejoindrons en cela les propos d’Edgar MORIN85 : « L’ordre humain comporte le désordre. Dès lors, il s’agit de se demander si les progrès de la complexité, de l’invention, de l’intelligence, de la société, se sont faits malgré, avec ou à cause du désordre de l’erreur, du fantasme. Et nous répondons à cause de, avec et malgré, la bonne réponse ne pouvant être que complexe et contradictoire. » Le travail en réseau favorisé par les SESSAD contribue à une ouverture des IME et à leur désenclavement. Ainsi, ils sont parvenus à établir de nombreux contacts avec des acteurs de la cité, ils investissent le territoire, se rapprochent des usagers et conçoivent des projets partenariaux. Les SESSAD créent une dynamique de « dé-spécialisation » du secteur handicap en donnant une place de premier rang au milieu ordinaire et en privilégiant une approche transversale avec les acteurs territoriaux. Cette pratique modifie profondément les représentations sociales de la personne handicapée qui n’est plus une « personne à part ». Ce changement de perspective impulsé par les SESSAD amène les IME à mettre en œuvre des stratégies pour faire partie de la communauté. 85 MORIN Edgar, Le paradigme perdu : la nature humaine, Editions du Seuil, Paris, 1979, p.127. 100 CONCLUSION Nous avons été interpellée par les changements rapides de notre environnement professionnel : un IME redéployé partiellement en SESSAD. Cette situation singulière s’inscrit dans un contexte d’évolution, celui de l’action sociale et médico-sociale et plus largement dans les mouvements qui traversent notre société. Nous avons étudié particulièrement les logiques à l’œuvre dans le secteur médico-social en faveur des enfants handicapés. De nouvelles prestations d’accompagnement délivrées par des services de proximité émergent et visent le maintien en milieu ordinaire, l’intégration sociale et professionnelle de ces enfants. En contre-partie, le fonctionnement des institutions traditionnelles, orienté vers des prises en charge spécialisées intra-muros, est interrogé voire remis en cause par les usagers et les politiques sociales. Beaucoup de ces établissements s’adaptent à ces nouvelles attentes et la frontière entre les établissements et les services de milieu ouvert devient de plus en plus floue. Les usagers peuvent bénéficier de parcours d’accompagnement où se coordonnent et se mutualisent les ressources des établissements et des services. Il ne s’agit donc pas d’opposer entre elles ces structures ; elles forment un panel diversifié répondant à la multiplicité des besoins des usagers. Pierre GAUTHIER86, à la tête de la Direction de l’Action Sociale, insista sur l’intérêt de cette complémentarité entre établissements et services : « Petit à petit, les établissements deviennent de plus en plus des centres de ressources qui aideront au maintien ou au retour au domicile et il importe aujourd’hui de reconnaître comme point fort la complémentarité et non l’antagonisme entre établissement et le milieu ouvert. » 86 Les Actes du séminaire: Innover dans nos pratiques et accompagner le projet de vie, 26 mai 2000, Nancy, Alagh- p.25. 101 La logique du partenariat concerne dorénavant tous les acteurs du secteur social et médico-social. Ce décloisonnement des réponses s’opère avec la remise en cause de certitudes, celles distinguant les personnes handicapées : - des personnes dites « valides », - des personnes âgées, - des malades. Nous avons voulu savoir comment s’opérait ce rapprochement et cette conjugaison entre les établissements et les services. Pour cela, nous avons examiné la situation du SESSAD « le soleil levant » et de l’IME de Ville-en-Selve. Notre réflexion s’est intéressée aux nouvelles pratiques professionnelles du SESSAD et à leur diffusion. Au cœur de ce processus d’innovation, l’inscription dans un travail en réseau du SESSAD est particulièrement féconde, elle mobilise l’IME et accélère son « ouverture ». Si nous avons montré les dynamiques et les logiques d’acteur au cœur de ce processus d’innovation, nous avons souligné également la place centrale qu’occupe le sens donné à l’innovation. C’est bien au nom d’une amélioration de la condition des jeunes en situation de handicap que les différents acteurs s’engagent dans l’innovation. Cette question du sens et de l’intérêt de l’innovation ne va pas de soi. Dans le travail social, quels sont les repères nous permettant de qualifier d’innovation de nouvelles pratiques professionnelles et dans quelles conditions apparaissent-elles ? Ces dernières années les questions touchant le sens du travail social, son éthique et sa déontologie ont fait l’objet de nombreux travaux et de débats. Brigitte BOUQUET, titulaire de la chaire d’Action Sociale au CNAM87, souligne, dans un ouvrage88 récent, la nécessité d’éclairer le sens et la finalité du travail social dans une société traversée par de profonds bouleversements. Ce questionnement touche particulièrement l’apparition de nouvelles pratiques professionnelles. Dans la sociologie de Norbert ALTER, nous avons vu que l’innovation ne se décrétait pas. Elle doit correspondre à un contexte et à l’attente des acteurs. L’amélioration des réponses apportées aux usagers est l’un des moteurs de l’innovation dans le secteur social. Il 87 88 Conservatoire National des Arts et Métiers BOUQUET Brigitte, Ethique et travail social, une recherche de sens, Dunod, Paris, 2004. 102 est souhaitable que cette innovation implique les usagers. L’idée qu’ils se font de leurs besoins et les demandes qu’ils expriment permettront de construire les réponses les plus adéquates. L’action sociale doit être partagée et se délibérer entre les acteurs qui font alors preuve d’une intelligence collective89. Cette connaissance des usagers acquise par l’expérience de leur situation, que les sociologues Michel CALLON et Bruno LATOUR90 appellent « des savoirs profanes » s’opposent à l’autorité des experts. Dans cette optique, le respect des droits des usagers est primordial et leur participation est à encourager. Cette ambition favorise la citoyenneté des usagers par le développement social et territorial. Une nouvelle pratique, le travail en réseau, correspond à cette approche, il prend en compte la complexité de la vie sociale. L’enjeu est de renforcer la cohésion sociale mise à mal par la poussée des individualistes et le consumérisme. Michel GODET, examinant l’évolution de la société française, s’inquiète de ce délitement du lien social : « Il ne s’agit pas de revenir à une économie stationnaire mais de prendre conscience que nous consommons beaucoup de biens comme ersatz des liens qui nous manquent. »91 L’innovation illusoire est celle qui transforme les prestations en marchandises, les usagers en clients en excluant les personnes les plus vulnérables d’un marché. Ces exclusions touchent « les cas » les plus difficiles, ceux dont les problématiques sont complexes et qui ne sont pas solvables. Or, le bien-fondé de l’innovation dans le travail social se situe dans cette tentative d’améliorer ces situations « ingérables ». En favorisant la créativité des travailleurs sociaux et des usagers et en mutualisant les ressources des institutions, le travail en réseau est l’un des moyens qui répond le mieux à ces besoins singuliers. Là encore, il y a une dérive à éviter, celle qui nie au nom de l’efficacité la temporalité nécessaire à l’instauration de liens sociaux. Ainsi des projets peuvent se succéder, des équipes être constituées, réorganisées et remaniées à partir d’évaluations superficielles, « oublieuses » de la durée nécessaire à l’édification de liens solides entre les différents acteurs. Finalement les relations deviennent plus nombreuses mais parfois de courtes durées et peu approfondies, 89 GOUX-BAUDIMENT F., HEURGON E., et LANDRIEU J., Prospective, vol. II, Expertise, débat public : vers une intelligence collective, L’Aube/Cerisy, 2001. 90 Sciences Humaines, Hors série n°44, Mars-avril-mai 2004, Décider, gérer, réformer, les voies de la gouvernance, p.51. 91 GODET Michel, Le choc de 2006, démographie, croissance, emploi, pour une société de projets, Editions Odile Jacob, Paris, 2003, p.139. 103 elles se renouvellent fréquemment avec l’arrivée d’autres interlocuteurs. Cette instabilité nourrit ou entretient une forme d’insécurité tant chez les travailleurs sociaux que chez les usagers. Le sociologue Richard SENNETT l’a bien perçu en stigmatisant les inconvénients de la flexibilité liée au travail en réseau : « Si une organisation, nouvelle ou ancienne, opère comme une structure en réseau flexible et lâche, plutôt que de manière autoritaire et hiérarchique, le réseau peut aussi affaiblir les liens sociaux.… …Le cadre temporel restreint des institutions modernes empêche la confiance informelle de mûrir.92 Au nom de l’innovation, l’engagement total des salariés est parfois recherché et pour cela des pratiques managériales s’ingèrent dans leur intimité et leur identité. Selon Eugène ENRIQUEZ, cette dérive est perçue par les salariés ; ils ne sont pas dupes de ces stratégies destinées à « mettre les individus au travail, les contrôler, les prendre au piège de leurs propres désirs, les manipuler, les séduire »93. Il ressort de cette analyse que le bien-fondé de l’innovation n’est pas donné à priori. Les acteurs concernés, notamment les usagers, ont donc à s’approprier ce processus, à le soumettre à leurs critiques et à le faire progresser dans le cadre d’une co-construction. Après avoir rappelé l’importance du sens de l’innovation, revenons sur le contexte organisationnel qui le caractérise. Le processus d’innovation étudié à la suite de l’ouverture du SESSAD « le soleil levant » a eu pour effet de créer une nouvelle situation institutionnelle et de modifier les pratiques professionnelles dans trois dimensions structurelles : les compétences déployées par les travailleurs sociaux, l’organisation du travail et le mode de management. Il en résulte une nouvelle manière de travailler qui conditionne l’émergence d’autres innovations. La première dimension concerne l’évolution des compétences des salariés du SESSAD puis de l’IME. Il y a un développement progressif des compétences individuelles et collectives. 92 SENNETT Richard, Le travail sans qualités, Editions Albin Michel, Collection 10/18, 2000, p.p 27, 28. ENRIQUEZ Eugène, cité par Stéphane HAEFLIGER, sociologue, chargé de cours à l’université de Lausanne, in La tentation du « loft management » , Le Monde Diplomatique, n°602, mai 2004. 93 104 Les pratiques professionnelles étaient précédemment marquées par un exercice dans le cadre d’une organisation taylorienne, il s’agissait surtout pour les salariés d’exécuter des opérations prescrites par l’encadrement conformément aux règles institutionnelles. Les situations traitées se répétaient de manière routinière. L’ouverture du SESSAD a plongé les travailleurs sociaux dans un cadre nouveau : la découverte d’un territoire, des rencontres et partenariats avec des acteurs locaux, les interventions sociales au domicile de l’usager, l’individualisation de l’accompagnement et sa contractualisation. L’équipe n’est plus regroupée en permanence, les interventions se déroulent souvent en individuel ; en contre-partie apparaît un travail plus élaboré de coordination et de mise en cohérence des interventions. Dans cette organisation plus ouverte qui gère des situations complexes, les salariés doivent mobiliser des qualités relationnelles et actualiser en permanence leurs connaissances. Ils ont à faire face à des événements imprévus et à coopérer avec des partenaires qui se renouvellent. Cette expérience de travail enrichit les compétences des salariés, et les amènent à voir autrement les situations complexes qu’ils accompagnent. Le sociologue Guy LE BOTERF 94 décrit ce nouveau type de compétences : « … être compétent signifie aussi savoir improviser. C’est le savoir agir et réagir face à l’événement, à l’imprévu, à l’inédit. C’est ce qui est de plus en plus demandé au professionnel. Il doit savoir non plus seulement exécuter le prescrit mais aller au-delà du prescrit.…A la différence du débutant, l’expert sait improviser grâce à l’intelligence des situations qu’il a acquise au cours des expériences variées et fortement contextualisées de sa vie professionnelle. » Cette évolution des compétences stimule la réflexion en matière de formation professionnelle et donne une place particulière aux dispositifs privilégiant l’alternance. Le « dialogue » entre les cours théoriques et la réalité de terrain nourrit le processus d’apprentissage. La seconde dimension se situe au niveau organisationnel où les compétences individuelles se combinent pour devenir des compétences collectives, le SESSAD est une organisation qui s’adapte à son environnement, en cela elle est devenue une organisation « apprenante ». Elle ajuste son organisation, voire s’auto-organise, par exemple le programme 94 BOTERF Guy, Construire les compétences individuelles et collectives, Paris, Editions d’Organisation 3e édition, 2004, p. 92. LE 105 de travail des salariés du SESSAD varie fréquemment en fonction des projets des usagers et des contraintes externes. Cette souplesse organisationnelle est possible par la mise en réseau de tous ces membres, évitant les rigidités liées au cloisonnement inter-services. Ce fonctionnement transversal est caractérisé par l’engagement des salariés, leur responsabilisation. Afin de maintenir la cohérence du service, un projet fédère les salariés et donne un sens partagé à leur action. Cette notion d’organisation apprenante a notamment été abordée par Chris ARGYRIS95 qui définit ainsi l’apprentissage organisationnel : « On peut considérer qu’une organisation apprend lorsqu’elle parvient à détecter et à corriger une erreur, étant entendu qu’il y a erreur quand un écart apparaît entre une intention et ses conséquences effectives, entre un projet et ses retombées. » L’évaluation de la qualité des services, que le SESSAD et l’IME cherchent à construire aujourd’hui, est en correspondance avec cette volonté de faire progresser l’organisation. Cette tentative ne peut se concrétiser qu’en acceptant la confrontation des points de vue dans l’organisation et à l’extérieur de l’organisation ; c’est l’enjeu d’une réelle politique de communication respectueuse de toutes les parties. Ces échanges seront d’autant plus créatifs que l’organisation réunit des membres aux qualifications et aux expériences diversifiées. Le facteur hiérarchique est devenu moins prégnant au quotidien, il empêche cependant la confusion et l’insécurité qui pourrait résulter de multiples initiatives individuelles. Hervé SERIEYX96 explique que les organisations allient maintenant la pyramide, emblématique de la hiérarchie, et le réseau propice à la coopération : « Au sein de l’organisation dans laquelle je joue un rôle majeur, reconnaît-on que le réseau qui donne de la vie et la pyramide qui donne de l’ordre sont également nécessaires ? Accepte-t-on que cela produise une organisation plus vivante que claire, qui peut engendrer des conflits –de pouvoirs, d’intérêts, de priorités-, conflits qui peuvent être porteurs d’une dynamique de progrès et qu’il faut vivre avec sérénité ? » La troisième dimension de cette nouvelle culture de travail est celle du management. Pour Norbert ALTER, l’enjeu des dirigeants est de transformer en ressources les incertitudes, 95 CABIN Philippe, (coordonné par) Les organisations, Etat des savoirs, Editions Sciences Humaines, 2002, p.193 96 SERIEYX Hervé, Boussoles pour temps de brume, Paris, Pearson Education France, 2003. p.137 106 le désordre et la déviance à l’œuvre dans l’entreprise. Pour cela, il faut tirer parti du potentiel trop souvent inexploité des membres de l’équipe. Ils veulent s’investir mais n’y parviennent pas dans un cadre organisationnel trop rigide. Les questions de l’accès des salariés à la formation et aux systèmes d’informations sont essentiels. Dans cet esprit les pratiques actuelles de management valorisent la gestion des compétences et des connaissances97. L’utilisation des nouvelles technologies crée également des espaces d’apprentissages : Internet, E-learning. Au SESSAD « le soleil levant » des équipes de différentes structures viennent présenter leurs projets et modalités de travail. Au cours de ces rencontres s’opèrent des échanges de savoirs. Cependant, la coordination des différentes interventions et l’intégration des points de vue dans les processus de décision représentent une part importante de la gestion du service. Une autre facette du travail des cadres consiste à situer leur service ou établissement dans un contexte territorial. Cette prise en compte de l’environnement permet de réduire l’incertitude qu’il représente et de se donner la possibilité d’agir, de prendre contact avec de nouveaux acteurs, de nouer des réseaux, des partenariats. Ce voyage que nous avons engagé sur les voies et « réseaux » de l’innovation, a tenté de donner un éclairage et un sens au « désordre » qui a émergé depuis la création du SESSAD « le soleil levant ». L’ouverture de ce service, impulsée par les pouvoirs publics et demandée par les usagers, est venue rompre le fonctionnement bien rôdé d’un IME. Le SESSAD s’installa à Reims dans les locaux libérés par un laboratoire (est-ce « un clin d’œil » à la sociologie de l’innovation ? 98) et son équipe commença à tisser de nouveaux liens. 97 BEYOU Claire, Manager les connaissances, Editions Liaisons, 2003. LATOUR Bruno, WOOLGAR Steve, La vie de laboratoire, la production des faits scientifiques, Paris, Editions La Découverte/Poche, 1996. 98 107 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages : ALTER Norbert, La gestion du désordre en entreprise, Paris, Editions L’Harmattan, Collection Logiques sociales, 1999, 207 pages. ALTER Norbert, L’innovation ordinaire, Paris, Editions PUF, Collection Quadrige, 2003, 278 pages. BALLE Catherine, Sociologie des organisations, Paris, PUF, Collection Que Sais-je ?, 6e édition janvier 2002, 127 pages. BAUDURET Jean-François, JAEGER Marcel, Rénover l’action sociale et médico-sociale, Histoires d’une refondation, Paris, Dunod, 2002, 322 pages. 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Int+ ½ Int. ½ Int 1) IME¾ Int + ½ Int. & SESSAD¾ SESSAD installé dans un établis.t non SESSAD Implantation des dans ses locaux : propres Rural/Urbain locaux Milieu urbain Milieu urbain oui 2)IME¾ Int + ½ Int. & 4)IME¾ & SESSAD¾ SESSAD¾ Milieu rural Milieu urbain D.I D.I Département Local Milieu urbain non Milieu rural non oui Milieu rural Milieu rural Milieu rural D I+ TCC Sur terrain IME Milieu urbain Milieu urbain non Local + 25km autour Rural, Semi-rural D I+ TCC 6)IME¾ Int + ½ Int. & SESSAD¾ Département, région. Département, région. Milieu rural Int + ½ Int. 5) IME¾ Int + ½ Int. & D.I D.I oui non 3) IME¾ Int+ ½ Int. & SESSAD¾ Zone de recrutement des enfants ou d’intervention Sensoriel, TSL Local, département,région. Sensoriel, Local et département TSL Handicap Local + 30km moteur Handicap ½ départ. Ardennes moteur D.I Local + 30km D.I oui SESSAD¾ Type de handicap oui Urbain Handicap moteur Handicap moteur ½ nord du départ.t Urbain + 35 km DI : Déficience intellectuelle TCC : Troubles de la conduite et du comportement TSL : Troubles sévères du langage. Lors de l’identification des institutions, nous avons relevé que les 2 IME sans SESSAD rattachés étaient installés en milieu urbain ; leur implantation à proximité des usagers a répondu à leurs attentes et ainsi différé l’ouverture d’un SESSAD. Toutefois, ces deux IME nous ont informé de leurs réflexions institutionnelles sur un projet d’ouverture d’un SESSAD. Il semble que ces organisations soient contraintes par les politiques sociales, les normes professionnelles et la demande d’intégration des usagers pour promouvoir un SESSAD. Là, nous avons pointé la phase du processus d’innovation où les acteurs n’ont d’autres choix que d’adopter cette innovation. Nous remarquons également que les gestionnaires d’IME situés à la campagne ont procédé à l’ouverture de SESSAD en milieu urbain. La création d’un SESSAD pour ces établissements ruraux est l’occasion d’un rapprochement du domicile de leurs usagers. L’ouverture du SESSAD apparaît dans ce mouvement d’urbanisation comme l’instauration d’un nouveau lien avec l’usager. Là encore la conjoncture socio-politique, la géographie humaine a imposé l’ouverture du SESSAD à l’IME. Parallèlement au rapprochement vers l’usager, la création du SESSAD opère un rapprochement spatial de l’organisation vers les principaux acteurs de la vie sociale : organismes d’enseignement et de formation, lieux d’activités et de loisirs, les structures sanitaires et sociales, les entreprises. Cette implantation des SESSAD est propice à l’instauration de contacts avec ces partenaires potentiels. Tableau 2 : Activité de l’établissement ou du service avec l’environnement Projet/ Relations/formalisation environnement Non Conventions d’intégration Il va être réactualisé Oui, mais à Conventions d’intégration développer. 1) IME 2) IME Projets partagés ? Partenaires ? Institutionnels avec le milieu spécialisé Institutionnel en milieu spécialisé Milieu spécialisé et milieu ordinaire Milieu spécialisé Milieu spécialisé et milieu ordinaire Milieu spécialisé et milieu ordinaire Réseaux professionnels Institutionnels Le + des réseaux Accueil des partenaires Non réponse Institutionnels et assoc.- gestionnaire Attente de plus d’ouverture de l’IME Associations pour des activités et de l’information. Non réponse Oui, direction, assistante sociale Oui, direction, assistante sociale Pour développer des projets. Facilite les projets. Informations. Professionnels et usagers de l’organisme gestionnaire. Coordination pour les projets individualisés. Oui (projet récent) volontariste. Oui (projet récent) volontariste. Conventions d’intégration et de soins. Conventions d’intégration Institutionnel en milieu spécialisé Projets individualisés des jeunes. Oui avec priorité à l’intégration. & Oui, avec priorité à SESSAD ¾ l’intégration. Conventions d’intégration et de soins. Conventions d’intégration et de soins. Projets individualisés des Milieu ordinaire jeunes. Non réponse Milieu ordinaire Professionnels et diversifiés Professionnels et diversifiés Facilite les projets, l’intégrat° scolaire Facilite les projets, l’intégrat° scolaire Activités culturelles. Oui priorité intégration scolaire & Oui, délimitation SESSAD ¾ d’un territoire d’intervent°. 4) Oui intégrat° IME IME ¾ dans le territoire & Oui, intégrat° de SESSAD ¾ l’enf.t dans le territoire Convent° de soins, administratives, d’intégrat° Conventions avec Educat° Nale, établis.ts spécialisés Institutionnel Milieu spécialisé et milieu ordinaire Milieu spécialisé et milieu ordinaire Institutionnels et assoc.- gestionnaire Institutionnels et assoc.- gestionnaire Mutualisation échange des savoirs. Mutualisation échange des savoirs. Oui, échanges de services (kiné, instit. spécialisé) Oui, échanges de services (kiné, instit. spécialisé) Conventions avec Educat° Nale, soins. Convent° selon le projet d’intégrat° de l’enfant Institutionnel Milieu spécialisé et milieu ordinaire Milieu spécialisé et milieu ordinaire Oui, direction, médecin Oui, direction, service médical Non réponse Non réponse Faire connaître le SESSAD. Non, les prof. du SESSAD qui se déplacent. Oui, ciblage d’une zone d’intervention & Oui, travail en SESSAD ¾ réseau. Convent° intégrat° scolaire et soins. Conventions Educat° Nale et services spécialisés Institutionnel Milieu spécialisé et milieu ordinaire Projets individualisés des Milieu ordinaire jeunes. Professionnels et diversifiés Professionnels et diversifiés Connaissance de l’environnement Echange des pratiques et réactivité. Activités conjointes avec d’autres établissements Activités conjointes avec d’autres établissements Oui, construct° de partenariats & Oui, SESSAD ¾ l’environnement est le champ d’action Conventions de soins Institutionnel Conventions d’intégration et de soins Projets individualisés des Milieu spécialisé et jeunes. milieu ordinaire Direction, service médical et A.S. Oui, psychomotricienne Communiquer le projet d’établissement Non Professionnels et bénéboles de l’associat° gestionnaire Non 1) IME ¾ & SESSAD ¾ 2) ¾ IME 3) ¾ IME 5) ¾ IME 6) IME ¾ Institutionnel Institutionnel et projet individualisé des jeunes Milieu spécialisé Bénévoles Tableau 3 : Organisation de l’action collective au sein de l’institution 1) IME Organisation des réunions Activités animées par équipe pluridisciplinaire Activités réalisées dans l’environnement ? Par fonction : (éducative, thérapeutique, pédagogique) Services, inter services, Et participants extérieurs Instit. + prof EPS ext. + paramédical+ éduc. Oui, sport, culture Essentiellement par service sauf exception Oui, sport Familles et bénévoles Instit. + éduc, 1 fois par semaine Occasionnel Chantiers initiation professionnelle Selon les projets individualisés et domicile Oui, sport, culture Non réponse Par fonction : (éducative, Par service, synthèse thérapeutique, pédagogique) pluridisciplinaire. 2) IME Par fonction : (éducatif, thérapeutique, pédagogique) Par projets (projets individualisé et de service) Par fonction, par projet, ¾ existence de sous-traitants Par projets Par projets : internat, ½ internat. Par projets Par services et groupes projets, synthèses pluridisciplinaires Réunions pluridisciplinaires, et participants extérieurs Services, inter services, Et participants extérieurs Réunions pluridisciplinaires, et participants extérieurs En fonction des demandes et des projets Participation extérieure, par projet Fréquentes, activités ouvertes à tous les jeunes Non réponse Oui, sport et équithérapie Centre équestre Par fonction et par projets Par services et groupes projets Oui Sport et culture Par projets (projets individualisé et de service) Par fonction, par projets Réunions pluridisciplinaires, et participants extérieurs Par services et groupes projets, synthèses pluridisciplinaires Pluridisciplinaires avec participants extérieurs Activités en groupe et équipes pluri. suivant la population Oui, instit+ éduc + paramédicaux Occasionnellement pendant les vacances scolaires Etablissements scolaires et domicile Oui, éveil, sport, accompagnement orientat° Oui, environnement espace d’expérimentat° et domicile Bénévoles des associations, clubs Non en raison du milieu rural Par services et groupes projets, synthèses pluridisciplinaires Pluridisciplinaires avec participants extérieurs Oui, instit+ éduc+ éduc technique ou prof. sport Oui, éduc+ psychologue+ AMP et kiné+ psychomotric. Oui, sport, culture 1) IME ¾ & SESSAD ¾ 2) IME & SESSAD ¾ 3) IME ¾ & SESSAD ¾ 4) IME ¾ & SESSAD ¾ 5) IME ¾ & SESSAD ¾ 6) IME ¾ & SESSAD ¾ Environnement et implication des partenaires La famille prend le relais des activités intégrées Organisation des services Flexibilité de l’organisation Par fonction, par projets Par projets Oui fréquemment, activités éduc. soins, sociales Occasionnel Professionnels du milieu ordinaire, relais du SESSAD Oui les animateurs des centres sociaux Oui, sport, culture, scolarité Les professionnels des lieux d’intégration et les familles Oui, sport Centre équestre Ecoles, piscine, domicile Travail en réseau avec établissements spécialisés Oui, en fonction des projets individualisés Education Nationale, hôpital, CAMSP Non réponse Tableau 4 : Modalités de rencontre et de travail avec les familles des usagers. 1) IME 2) IME 1) IME ¾ & SESSAD ¾ 2) IME ¾ & SESSAD ¾ 3) IME ¾ & SESSAD ¾ 4) IME ¾ & SESSAD ¾ 5) IME ¾ & SESSAD ¾ 6) IME ¾ & SESSAD ¾ Personnel chargé des relations avec la famille La direction et professionnels en fonction des projets Directeur, chef de service, éducateurs Non sauf lors de la kermesse Educ référent, la direction, l’A.S., psychologue, psychiatre Educ référent, chef de service, médecin Les enseignants, possible pour tous les professionnels Educ référent, chef de service, rééducateurs Possibilité pour tous les professionnels Les professionnels référents Ponctuellement, lors d’événements institutionnels Activités d’étayage et guidance familiale Les rééducations, recherches de stage, organisat° des vacances Implication des familles dans les démarches pour leur enfant Non car les familles ont besoin d’aide Non Organisat° des transports, prévent° de la violence Planning de travail, lieux d’intervent° et contenu Intégration des enfants non voyants Intégration des enfants non voyants Oui : projet individualisé, Non : projet collectif Oui : projet individualisé Educateurs, la direction, l’A.S., psychologue, psychiatre Chef de service, éducateur référent Professionnels référents, cadres, paramédicaux Occasionnellement Liaisons institution/familles Occasionnellement au domicile des familles Pour événements institutionnels Chaque membre de l’équipe Oui, activités de médiation suivant le projet de l’enfant. Mise en place d’une activité Internet Modalités de liaison avec la famille Oui, organisation de temps de rencontre entre les familles Cadre référent et représentant du service concerné Chef de service, éducateur, psychologue Développement d’une fonction de conseil en aide technique Prescriptions médicales : rééducations Activités conjointes avec les familles Occasionnellement Accompagnement de sorties éducatives Guidance familiale et médiation Organisation et influence des familles Ecoute des familles lors du conseil d’établis.t, synthèses Influence de l’association de parents Coopération familles/institution Non Réflexion au niveau du projet d’établissement Différence de point de vue familles/institution Désaccord sur l’alimentation et le temps de scolarisation Désaccord traité par la direction Pour réaliser un projet d’intégration Non réponse Prise en compte de l’évaluation de la famille Intégrat° scolaire et souplesse de la prise en charge Suivi en crèche et souplesse de la prise en charge Une des priorité du projet d’établisssement Une des priorité du projet de service Prise en compte des demandes des familles lors des synthèses Modificat° du contrat d’accueil et du règlement financier Passivité des familles Le service doit s’adapter à l’organisation familiale Non réponse Non réponse Suivi scolaire de l’enfant Non réponse Participation active des familles à une enquête de satisfaction Participation des familles au programme de rééducation Oui, rééquilibrage entre le scolaire et le soin. Non réponse Les familles revendiquent davantage d’intégration pour leur enfant Non réponse Non réponse Non réponse Non réponse NOM : CHARPY Prénom : Andrée Date du JURY : 3 février 2005 FORMATION : Diplôme Supérieur en Travail Social TITRE : Le travail en SESSAD considéré comme facteur d’innovation. Recherche réalisée dans le cadre d’un SESSAD et d’un IME agréés pour accompagner des jeunes déficients intellectuels. Résumé : Dans le contexte de la loi du 2 janvier 2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale, les dispositifs destinés aux personnes en situation de handicap se transforment. Ainsi les réponses institutionnelles se diversifient : les services de proximité se développent, les établissements s’ouvrent sur leur environnement et ils engagent des partenariats avec les autres acteurs territoriaux. Les travailleurs sociaux recherchent des solutions innovantes prenant en compte la complexité des situations de handicap. Cet accompagnement personnalisé se caractérise par une approche globale des besoins de l’usager. Dans ce mémoire, l’étude du redéploiement d’un IME et de la création d’un SESSAD décrit ces évolutions. Nous constatons que les nouvelles pratiques professionnelles élaborées par ce SESSAD se diffusent progressivement vers l’établissement. Le SESSAD introduit une dynamique de changement dans le fonctionnement de l’IME structuré jusqu’alors par sa mission d’hébergement. Après avoir caractérisé ces nouvelles pratiques professionnelles, nous nous sommes posés la question : « En quoi le SESSAD est-il facteur d’innovation pour l’IME ? » Notre réflexion nous conduit à formuler l’hypothèse que le SESSAD est facteur d’innovation en diffusant de nouvelles pratiques, notamment le travail en réseau et le partenariat. La formulation de cette hypothèse s’appuie sur les concepts d’innovation, de travail en réseau et de partenariat étudiés avec l’éclairage théorique de la sociologie des organisations et de l’innovation. Pour la vérifier, nous avons construit un modèle d’analyse et recueilli des données à l’aide d’entretiens, d’observations et d’un questionnaire. L’exploitation des résultats confirme que le travail en réseau favorisé par les SESSAD contribue au désenclavement des IME . Ces derniers établissent de nouveaux liens avec les usagers, des liens plus proches, personnalisés et moins exclusifs. Cette réflexion sur l’innovation met au premier rang l’implication des différents acteurs, leurs logiques ; elle débouche sur la notion d’organisation apprenante. Elle souligne également la nécessité d’examiner la pertinence des innovations en se référant au sens et à la finalité du travail social. Nombre de pages : 106 Volume annexe : 0 CENTRE DE FORMATION : Institut Régional du Travail Social de Champagne-Ardenne 8, rue Joliot Curie 51100 REIMS