MEMOIRE Le travail en SESSAD considéré comme facteur d

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MEMOIRE Le travail en SESSAD considéré comme facteur d
Université de Reims Champagne Ardenne
Faculté des Sciences Economiques et de Gestion
Institut Régional Universitaire de Sciences Sociales Appliquées
Institut Régional de Travail Social
MEMOIRE
Le travail en SESSAD
considéré comme facteur d’innovation
Recherche réalisée dans le cadre d’un SESSAD et d’un IME
agréés pour accompagner des jeunes déficients intellectuels
Maîtrise de Sociologie
Mention développement social
Session de septembre 2004
Andrée CHARPY
CTR : M. Pierre DUBUS
TABLE DES MATIERES
SIGLES UTILISES .................................................................................................................. 1
INTRODUCTION.................................................................................................................... 2
PREMIERE PARTIE-LE SESSAD : ENJEU DE NOUVELLES PRATIQUES
PROFESSIONNELLES....................................................................................................... 9
1.1.
LES SESSAD DANS L’ENVIRONNEMENT MEDICO-SOCIAL AUJOURD’HUI. ................. 11
1.1.1.
Présentation générale et missions du SESSAD................................................ 11
1.1.2.
Les enfants déficients intellectuels accueillis par les SESSAD ....................... 12
1.1.3.
Le fonctionnement des SESSAD à partir d’une étude réalisée en Lorraine .
.......................................................................................................................... 15
1.2. CONSTAT 1 : LES NOUVELLES PRATIQUES PROFESSIONNELLES INDUITES PAR LA
CREATION DU SESSAD « LE SOLEIL LEVANT »......................................................... 19
1.2.1.
Le SESSAD « le soleil levant ». ...................................................................... 19
1.2.2.
Des pratiques professionnelles renouvelées ou naissantes............................... 20
1.2.3.
Les nouvelles pratiques professionnelles face aux résistances au changement ..
.......................................................................................................................... 26
1.3.
CONSTAT 2 : LES NOUVELLES PRATIQUES PROFESSIONNELLES A L’IME DE VILLE-ENSELVE DEPUIS L’OUVERTURE DU SESSAD. .............................................................. 32
1.3.1.
L’IME de Ville-en-Selve.................................................................................. 32
1.3.2.
Redéploiement de l’IME de Ville-en-Selve et ouverture du SESSAD « le soleil
levant ». ............................................................................................................ 35
1.3.3.
Aujourd’hui, les pratiques professionnelles à l’IME de Ville-en-Selve. ......... 37
1.4.
SYNTHESE DES CONSTATS ET FORMULATION DE LA QUESTION PRINCIPALE. .............. 41
DEUXIEME PARTIE- LE SESSAD : FACTEUR D’INNOVATION POUR L’IME .... 45
2.1.
CONSTRUCTION D’UNE HYPOTHESE DE RECHERCHE .................................................. 46
2.2.
APPROCHE CONCEPTUELLE. ...................................................................................... 51
2.2.1.
Le concept d’innovation dans les organisations............................................... 51
2.2.2.
Le travail en réseau. ......................................................................................... 58
2.2.3.
L’innovation, le travail en réseau et le partenariat dans le secteur sanitaire et
social. ................................................................................................................ 59
2.3.
CHOIX METHODOLOGIQUES POUR VERIFIER LA VALIDITE DE L’HYPOTHESE. ............. 65
TROISIEME PARTIE - LE SESSAD : ACTEUR DU TRAVAIL EN RESEAU............ 72
3.1.
3.2.
3.3.
RETOUR SUR LE TERRAIN : OBSERVATIONS ET COLLECTES DES DONNEES.................. 73
RESTITUTION ET ANALYSE DES RESULTATS. .............................................................. 78
LA VALIDATION DE L’HYPOTHESE ET LES LIMITES METHODOLOGIQUES. ................... 95
CONCLUSION..................................................................................................................... 100
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 107
Annexe 1 : Présentation de l’UGECAM ........................................................................ 111
Annexe 2 : Fiche descriptive du SESSAD « le soleil levant »....................................... 113
Annexe 3 : Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 (Articles 1 à 21)....................................... 116
Annexe 4 : Décret n° 89-798 du 27 octobre 1989, Annexe XXIV ................................ 122
Annexe 5 : Le handicap en chiffres, CTNERHI ............................................................ 129
1
SIGLES UTILISES
CCPE : Commission de Circonscription de l’Enseignement Préscolaire et Elémentaire
CCSD : Commission de Circonscription du Second Degré
CDES : Commission Départementale d’Education Spéciale
CEREQ : Centre d’Etude et de Recherche sur l’Emploi et les Qualifications
CIF : Classification Internationale de Fonctionnement
CIH : Classification Internationale du Handicap
CLIS : Classe d’Intégration Scolaire
CNAF : Caisse Nationale des Allocations Familiales
CNAM : Conservatoire National des Arts et Métiers
CRAM : Caisse Régionale d’Assurance Maladie
DDASS : Direction Départementale de l’Action Sanitaire et Sociale
IME : Institut Médico Educatif
INSERM : Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale.
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
ONG : Organisation Non Gouvernementale
RMI : Revenu Minimum d’Insertion
SEGPA : Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté
SESSAD : Service d’Education Spéciale et de Soins A Domicile
UGECAM : Union pour la Gestion des Etablissements des Caisses d’Assurances Maladie
UPI : Unité Pédagogique d’Intégration
WISC : Weschler Intelligence Scale for Children
2
INTRODUCTION
Dans le contexte d’une rénovation de l’action sociale et médico-sociale les
organisations nécessairement évolutives produisant les services destinés aux personnes
handicapées doivent s’adapter. Ce mouvement progressif parfois s’accélère par des
restructurations d’établissements. Les pratiques professionnelles sont marquées par la même
évolution, certains auteurs ont parlé de mutations du travail social1.
A partir d’une situation professionnelle - la création d’un SESSAD par le redéploiement
partiel d’un
IME-
et en utilisant le support de la sociologie des organisations, ce mémoire est
une contribution à l’analyse de la diffusion de nouveaux modèles d’interventions sociales.
Les
SESSAD
accompagnent les enfants handicapés pour favoriser leur épanouissement
et leur intégration au sein de la société. Cet accompagnement se réalise en milieu ordinaire
notamment au domicile familial et avec les établissements scolaires. Ces services tissent des
relations de partenariat et de coopération avec les différents acteurs situés dans
l’environnement de l’enfant. Une nouvelle culture professionnelle du travail en réseau se
développe ; l’individualisation du projet de l’enfant est rendue possible par cette approche
coordonnée des différents intervenants.
La plupart de ces services se sont créés par un redéploiement ou une extension des
établissements accueillant des enfants handicapés. Dans cette configuration ils demeurent
dans la mouvance de leurs établissements géniteurs. L’investissement de locaux distincts des
établissements spécialisés est motivé par une recherche de proximité géographique du
domicile des usagers. Les déplacements nécessaires pour intervenir dans les lieux de vie et
d’activité de l’enfant sont facilités au même titre que d’autres besoins logistiques. Cette
implantation correspond également à une prise de distance avec l’image véhiculée par
1
CHOPART, Jean Noël (sous la direction de), Les mutations du travail social, Dunod, Paris, 2000.
3
l’établissement spécialisé, image marquée par la lourdeur du handicap, la médicalisation.
Cette image symbolise la souffrance à travers le placement et la séparation familiale. Les
SESSAD
engagent l’action médico-sociale dans une logique de service visant l’intégration, ils
se distinguent de l’institution dédiée à l’hébergement et à l’accueil durable. Bien que ces
institutions se soient modernisées, elles renvoient à l’idée d’enfermement dont Michel
FOUCAULT2 a décrit l’apparition,
« On sait bien que le 17e siècle a créé de vastes maisons d’internement ; on sait mal
que plus d’un habitant sur cent de la ville de Paris s’y est trouvé, en quelques mois,
enfermé. »
Cette logique asilaire a été conceptualisée par Erving GOFFMAN
3
qui a mis en évidence le
caractère total de l’institution,
« C’est une caractéristique fondamentale des sociétés modernes que l’individu dorme,
se distraie et travaille en des endroits différents, avec des partenaires différents, sous
des autorités différentes, sans que cette diversité d’appartenances relève d’un plan
d’ensemble. Les institutions totalitaires, au contraire, brisent les frontières qui
séparent ordinairement ces trois champs d’activité ; c’est même là une de leurs
caractéristiques essentielles. »
La création de ces
SESSAD
se généralise progressivement sur tout le territoire national
et ces services concernent l’ensemble des typologies de handicaps après avoir été longtemps
réservés à des projets spécifiques. Un nouveau paysage de l’action sociale se dessine où les
services viennent compléter ou remplacer les établissements définis par les lois fondatrices
des droits des personnes handicapées du 30 juin 1975. Ce mouvement, qualifié de mutation
structurelle et de révolution culturelle par Jean-René
LOUBAT
4
, est impulsé par les grandes
associations représentatives des personnes handicapées et il est légitimé et accéléré par la loi
de rénovation sociale et médico-sociale du 2 janvier 2002. En quelques années les institutions
essentiellement centrées sur leur fonction d’hébergement se transforment pour apporter des
réponses diversifiées aux usagers. Il y a un changement de paradigme puisqu’on passe
2
FOUCAULT, Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, 1972, p.70.
GOFFMAN, Erving, Asiles, Les éditions de Minuit, 1968, p.47.
4
LOUBAT, Jean-René, Instaurer la relation de service, Dunod, Paris, 2002.
3
4
progressivement d’une logique d’accueil à une logique visant l’intégration de la personne
handicapée et sa participation sociale. L’accompagnement de cette personne se substitue à sa
« prise en charge ».
Cette nouvelle dynamique conduit à la création de services de proximité qui
développent des interventions sociales au domicile des usagers. L’organisation au sein de ces
services est plus souple que dans les établissements où prévaut une organisation hiérarchisée
et sectorisée. Des travailleurs sociaux formés au sein des établissements spécialisés
s’impliquent dans ces nouveaux services et adaptent leurs pratiques professionnelles. Ils
interviennent dans l’environnement de l’enfant handicapé pour développer ses liens sociaux
au sein de la communauté. Cette intervention dans des systèmes sociaux complexes sollicite
leur créativité et leur capacité d’initiatives. L’organisation leur confie des missions enrichies
et de larges délégations. Après avoir élaboré des formes de travail et d’expertise qu’ils
mettaient en pratique à l’intérieur de l’institution, ils confrontent leur point de vue avec ceux
formulés par de multiples acteurs agissant dans l’environnement de l’enfant handicapé. Ces
rencontres et ces partages correspondent à une approche individualisée et globale des besoins
de l’usager.
Cette évolution générale est renforcée par l’influence des normes et des modes de
pensées. L’instauration d’une classification internationale des handicaps5, récemment révisée
en 2001, contribue à cette affirmation ou conception renouvelée du handicap. Le poids de
l’approche médicale, centrée sur la personne et ses déficiences, s’estompe pour laisser la place
à un modèle soucieux du désavantage social né des situations de handicap. Ce dernier résulte
de l’interaction de facteurs liés à la personne, à l’environnement et à la situation.
Dans ce contexte de mutations du travail social6 et de l’évolution de la place de la
personne handicapée dans la société, l’Institut Médico-Educatif de Ville-en-Selve, accueillant
des enfants présentant des déficiences intellectuelles, et situé à 15 kilomètres de Reims, voit
les effectifs de son internat baisser. Parallèlement à cette désaffection de l’internat, l’IME
enregistre une hausse des demandes d’externat et des demandes d’intégration scolaire. Cette
dernière demande est particulièrement appuyée chez les familles des jeunes enfants qui
5
En 1988, sur l’initiative de Philip WOOD, l’OMS définissait pour la première fois une classification
internationale des handicaps. Elle marquait la rupture entre le phénomène du handicap et la maladie qui avait fait
l’objet de nombreuses classifications.
6
CHOPART, Jean-Noël (sous la direction de), Les mutations du travail social, Dunod, Paris, 2000.
5
revendiquent ce droit à la scolarité en milieu ordinaire. L’UGECAM du Nord-Est7, organisme
gestionnaire de l’IME, décide de sa restructuration. Elle redéploie les financements des places
d’internat non pourvues et elle crée un
SESSAD
à Reims au centre de l’agglomération, à
proximité du domicile des usagers. Les pouvoirs publics, notamment la Direction
Départementale de l’Action Sanitaire et Sociale, poussent ce projet qui correspond aux
politiques sociales nationales et territoriales.
L’ouverture du
SESSAD
génère des réactions au sein de l’équipe de l’IME. Inquiète du
changement, cette équipe exprime des interrogations sur la pertinence de la restructuration.
Une partie des salariés produit un discours de valorisation des actions antérieures traduisant
un certain désarroi devant le changement. D’autres salariés voient une opportunité
intéressante dans la création du
SESSAD
: ce service offre un nouveau vecteur d’intégration
pour les enfants handicapés et une alternative à l’internat spécialisé.
Educatrice spécialisée exerçant à internat de cet
SESSAD
IME,
j’ai postulé à l’ouverture du
pour faire partie de la nouvelle équipe que la direction constituait. Retenue au poste
de coordinatrice, j’ai initié les premières démarches pour le démarrage du service sur Reims.
D’emblée, j’ai rencontré les institutions et instances administratives afin de favoriser ou
poursuivre l’intégration des enfants orientés vers notre service. Ces démarches étaient
inhabituelles par rapport à ma pratique en établissement ; elles devinrent vite des axes forts de
mon travail de coordination. La réflexion menée avec mes collègues lors de l’élaboration du
projet de service initial, confirma la nécessité pour le
SESSAD
de construire des partenariats
avec les autres acteurs de l’environnement de l’usager. Ces nouvelles pratiques de travail se
concrétisent dorénavant par la signature de conventions et la définition de mode de
coopération, par exemple des participations conjointes à des séances de travail : équipes
éducatives avec l’Education Nationale, synthèses avec les services de l’aide sociale à
l’enfance, bilans avec les services de l’hôpital de jour. Ces mises en commun portent sur la
demande de l’enfant et de sa famille, l’échange d’informations, l’analyse de la situation et
l’identification des besoins, la conception et la mise en place de projet individualisé visant à
donner une réponse globale aux besoins précités, le suivi et l’évaluation des actions des
différents acteurs impliqués. Ces relations régulières favorisent avec les différents partenaires
l’instauration d’un climat de confiance et de reconnaissance des compétences et des limites de
7
UGECAM
: Union pour la Gestion des Etablissements des Caisses d’Assurances Maladie. (ANNEXE 1)
6
chacun. Des contacts informels se développent entre les différents membres des institutions et
services agissant dans l’environnement de l’enfant. Il existe des initiatives et un engagement
important des différents intervenants. Nous sommes en présence d’un nouveau mode de
travail social, il s’exprime sous la forme d’un réseau qui mutualise ses ressources pour
soutenir et accompagner l’enfant.
« Le réseau est une approche globale des besoins des individus pris en charge…il
suppose une approche transversale qui multiplie les points de vue et les angles
d’approche d’un même phénomène… Une coordination des démarches résultant de
concertations régulières…il est pluridisciplinaire, composé de partenaires très
différents de part leurs statuts et compétences professionnelles, leurs appartenances
institutionnelles... »8
Le
SESSAD
s’inscrit dans un réseau local, ce qui renforce sa proximité avec l’usager.
Ce réseau se déploie à l’intérieur d’un territoire, bassin de vie et d’évolution de l’usager. Il
constitue un « observatoire territorial » qui permet de percevoir les opportunités et les
contraintes à l’intégration de l’enfant ; ces informations diffusées par le réseau accélèrent les
ajustements du projet individualisé.
A l’époque de l’ouverture du
SESSAD,
les modèles conceptuels de prises en charge de
l’enfant déficient intellectuel qui prévalent à l’IME, privilégient l’éducation spécialisée et la
rééducation en milieu institutionnel. L’enfant éloigné de son milieu habituel dont parfois il est
rejeté, notamment au niveau scolaire, reçoit des soins et il est stimulé par des programmes
éducatifs et pédagogiques ; cette prise en charge dure plusieurs années. Des progrès sont
enregistrés chez l’enfant en terme d’acquisition de connaissances dans différents domaines ;
toutefois les démarches d’insertion sociale demeurent difficiles à mettre en oeuvre en milieu
spécialisé et l’intégration scolaire, sociale et professionnelle de ces jeunes en milieu ordinaire
reste aléatoire. La majorité d’entre eux est orientée à la fin de leur prise en charge vers
d’autres institutions spécialisées.
Les professionnels de l’IME présentent leur connaissance de la déficience intellectuelle
comme une spécialisation pour aider les jeunes. Dans l’établissement, il existe une croyance
8
MATHIEU Lilian, Les cahiers de l’Actif, n°324-325, Dossier Travail en réseau et territoires d’action, p.29
7
assez forte sur la pertinence des solutions proposées aux enfants accueillis ; croyance qui n’a
jamais été nuancée par d’éventuelles évaluations. Le changement rapide de configuration
organisationnelle avec le redéploiement de l’IME et l’ouverture d’un
SESSAD
n’a pas été
compris de suite par la plupart des salariés. Ils ne resituaient pas cette évolution dans le cadre
des nouvelles politiques sociales en faveur des personnes handicapées et des transformations
traversant notre société qui modifiaient le regard porté sur le handicap, les représentations
sociales. Quatre ans après l’ouverture du
SESSAD,
la rupture qu’il symbolisait avec le modèle
de prise en charge proposée par l’IME s’est estompée. L’établissement privilégie le soutien à
l’intégration scolaire en milieu ordinaire, les accueils à temps partiel, le développement des
stages d’initiation professionnelle en entreprises. L’établissement sollicite des intervenants
extérieurs pour actualiser son projet et définir des modalités d’évaluation du service rendu aux
usagers. D’une manière générale la place, les demandes de l’enfant et de sa famille sont
reconsidérées, leur laissant davantage d’influence sur leurs projets.
Ces constats nous montrent que l’IME est passé d’une position de monopole dans la
réponse apportée aux besoins des usagers –la seule réponse à toutes les difficultés- à un rôle
d’acteur parmi d’autres dans le parcours d’intégration de l’enfant. Ce changement est
perceptible depuis l’ouverture du
SESSAD.
Dès lors se pose la question de l’influence de ce
service sur l’établissement auquel il est rattaché et nous posons la question :
Les pratiques professionnelles en SESSAD sont-elles porteuses d’innovation ?
De manière à explorer et approfondir ce questionnement, cette étude détaillera dans
une première partie les constats initiaux réalisés à partir d’observations et d’analyse de
documents. L’apparition des
SESSAD
sera resituée dans le cadre de l’évolution des politiques
sociales qui reconnaissent les droits de l’usager et l’importance de son environnement. Nous
observerons ensuite plus précisément les pratiques professionnelles induites par la création du
SESSAD
« le soleil levant », retenu pour notre étude. Puis nous enregistrerons et analyserons
les changements survenus dans l’organisation de l’IME de Ville-en-Selve depuis l’ouverture
du
SESSAD.
Les travaux de Michel CROZIER éclaireront les enjeux et les stratégies des
différents acteurs impliqués, notamment ceux des professionnels. Cette approche conceptuelle
rendra plus intelligible l’évolution des pratiques professionnelles, les résistances des acteurs.
Le rapprochement de ces différents éléments, leur mise en perspective à l’aide de la
sociologie des organisations, nous conduira à reformuler notre question pour interroger les
8
rapports entre la dimension innovante des SESSAD et l’évolution des pratiques professionnelles
en IME.
Dans une seconde partie, nous tenterons de répondre à ce questionnement. A partir de
l’œuvre du sociologue Norbert ALTER, nous présenterons une définition de la notion
d’innovation qui éclairera les phénomènes organisationnels repérés dans l’action médicosociale. Ce cheminement théorique nous conduira à élaborer une hypothèse de recherche.
Nous la vérifierons grâce à l’utilisation de plusieurs outils méthodologiques : des entretiens,
une enquête, des observations complémentaires.
Dans une troisième partie, nous exploiterons les résultats collectés. Ils seront analysés
et confrontés avec l’hypothèse proposée. Nos travaux nous conduirons à dresser les contours
d’un nouveau panorama de l’action sociale au service des personnes handicapées : travail en
réseau, partenariat, accompagnement individualisé, développement social et territorial.
9
PREMIERE PARTIE
LE SESSAD :
ENJEU DE NOUVELLES PRATIQUES PROFESSIONNELLES
10
Le SESSAD :
Enjeu de nouvelles pratiques professionnelles
En France, la prospérité générée par la croissance économique de la période dite des
« trente glorieuses » (1945-1975) n’est plus qu’un lointain souvenir, à la crise économique
des années quatre-vingt succède une forme de désenchantement social et une vision moins
optimiste de l’avenir. Le chômage s’est installé ; il touche la jeunesse et les personnes peu
qualifiées. Une population plus nombreuse est menacée d’exclusion, conséquence de la
pauvreté, du difficile accès à un logement, et de l’insuffisance de formation professionnelle.
Cette fragilisation du lien social mobilise de nouvelles solidarités : développement
d’initiatives privées (associations,
ONG)
qui semblent prendre le relais de l’Etat en difficulté
devant l’ampleur du besoin. A l’opposé cette insécurité suscite des réflexes de méfiance vis-àvis de l’autre, du différent, de l’étranger ; dans ce contexte les discriminations se renforcent.
Les grands dispositifs de la protection sociale sont remis en cause : assurance maladie,
retraite, indemnisation du chômage. Ils caractérisaient « l’Etat providence »9, expression qui
illustrait le rôle protecteur d’un Etat puissant vers lequel se tournaient les citoyens pour la
résolution de leurs problèmes.
Ces changements s’étendent à tous les secteurs de la société notamment dans celui de
l’aide aux enfants handicapés. Alors que les établissements médico-sociaux représentaient
une solution unanimement reconnue, le doute sur la pertinence de leurs réponses s’immisce.
Ils sont suspectés de travailler à leur préservation ; une aspiration émerge de la population en
faveur de dispositifs alternatifs favorisant l’intégration des enfants handicapés. Dans cet
environnement, les politiques sociales en faveur des personnes handicapées évoluent : les lois
du 30 juin 1975 fondant l’aide aux personnes handicapées sont actualisées. Une première loi,
celle du 2 janvier 2002, dite de rénovation sociale et médico-sociale redéfinit la mission et le
fonctionnement des services et des institutions ; elle place l’usager au centre de ce dispositif
et elle instaure de nouveaux outils pour faire respecter leurs droits fondamentaux.
Actuellement, le parlement examine la réforme de la loi d’orientation en faveur des personnes
9
ROSANVALLON, Pierre, La nouvelle question sociale, Editions du Seuil, Paris, 1995.
11
handicapées pour améliorer leur intégration, créer un droit à compensation des dépendances et
des surcoûts engendrés par le handicap10 et faciliter l’accessibilité de ces personnes à la vie
sociale et professionnelle.
Dans cette dynamique de nouveaux acteurs médico-sociaux s’affirment, parmi eux les
services d’éducation spéciale et de soins à domicile. Ils proposent des formes renouvelées du
travail social visant l’intégration des enfants handicapés ; ces pratiques génèrent des processus
de changement. Ce mouvement est à la fois continuité et rupture des modalités
institutionnelles.
Après une présentation générale des SESSAD, de leurs missions et des publics aidés, nous
examinerons leur fonctionnement à partir d’une étude réalisée en Lorraine. Nous détaillerons
et analyserons les pratiques observées au
SESSAD
« le soleil levant ». Puis nous constaterons
les effets induits par l’ouverture et le développement de ce service sur l’IME auquel il est
rattaché.
1.1. Les SESSAD dans l’environnement médico-social aujourd’hui.
1.1.1. Présentation générale et missions du SESSAD
Les premiers services d’éducation spéciale et de soins apparurent en 1965 sous
l’impulsion du psychiatre Elisabeth ZUCMAN11. La prise de conscience qu’il faut maintenir le
plus possible l’enfant en difficulté dans son milieu familial fut à l’origine de leur création. La
séparation qui l’éloigne de ses proches pour une hospitalisation ou un placement peut
entraîner des conséquences médicales et psychologiques graves.
Longtemps ces
SESSAD
ont représenté sur le plan quantitatif une réponse marginale par
rapport aux établissements spécialisés. Or ces dernières années leur nombre augmente
significativement sur le territoire national alors qu’inversement le nombre d’établissement
reste stable voire en diminution pour certains types de handicap12.
10
Projet de loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées.
11
Lien Social n°465, Les SESSAD misent tout sur la famille, 3 décembre 1998.
12
Le handicap en chiffres, février 2004, synthèse réalisée par Cécile BROUARD (CTNERHI) (ANNEXE 5)
12
Le fonctionnement de ces services médico-sociaux se réfère aux annexes XXIV du décret
n° 56 284 du 9 mars 1956 modifié par le décret n° 89 – 798 du 27 octobre 1989 et à la loi
rénovant l’action sociale et médico-sociale du 2 janvier 2002. (ANNEXE 3 et 4)
Ils ont pour mission de soutenir l’intégration scolaire des enfants et des adolescents et leur
acquisition de l’autonomie. Spécialisés par handicap, les
SESSAD
peuvent accompagner les
jeunes jusqu’à 20 ans et ils interviennent dans leurs lieux de vie et d’activités. Ils élaborent
des réponses éducatives, pédagogiques et thérapeutiques en fonction des besoins, des
demandes des enfants et de leurs familles. Ces prestations se traduisent dans le cadre d’un
projet individualisé, conçu en collaboration avec l’enfant et sa famille. La spécificité du
SESSAD
est d’intervenir dans l’environnement naturel de l’enfant, de l’adolescent, de manière
à favoriser son intégration à tous les niveaux, en particulier familial, scolaire, professionnel et
social. Une partie de ses missions éducatives se déroule au domicile des familles.
Les
SESSAD
peuvent être gérés de manière autonome ou rattachés aux établissements
d’éducation spéciale. Ils sont constitués d’équipe pluridisciplinaire avec des qualifications
telles que éducateurs spécialisés, enseignants spécialisés, orthophonistes, psychomotriciens,
psychologues, médecins psychiatres, assistants sociaux.
1.1.2. Les enfants déficients intellectuels accueillis par les SESSAD
Notre mémoire s’appuiera plus particulièrement sur l’exemple d’un
accompagnant des enfants présentant une déficience intellectuelle. Il s’agit du
SESSAD
SESSAD
« le
soleil levant » situé à Reims dont nous examinerons le fonctionnement dans le chapitre
suivant. Ces enfants déficients intellectuels sont orientés vers les SESSAD par la CDES. Dans la
réalité il s’agit d’un public assez diversifié dont la définition a varié au fil du temps en
fonction des approches médicales et sociales. Le souci de catégorisation a émergé au 19e
siècle. Cette démarche d’inspiration scientifique a identifié des infirmités pour concevoir des
traitements et des rééducations appropriées. Michèle GUIDETTI et Catherine TOURRETTE13
définissent la déficience intellectuelle ainsi :
13
GUIDETTI Michèle, TOURRETTE Catherine, Handicaps et développement psychologique de l’enfant, Armand
Colin, Paris, 1999, p.101.
13
« …on peut dire que trois caractéristiques sont communes à tous les déficients
mentaux : un fonctionnement intellectuel général significativement inférieur à la
moyenne, un déficit du comportement adaptatif, et l’apparition développementale de
la déficience mentale. »
Ces problèmes sont repérés dans le fonctionnement cognitif, les relations sociales, la
communication, le développement moteur et praxique.
Au cours du 20e siècle la déficience intellectuelle a été appréhendée selon différents
angles, nous pouvons repérer successivement trois approches dominantes : l’inaptitude
scolaire, l’inadaptation sociale et la psychopathologie. Dorénavant la déficience intellectuelle
est abordée de plus en plus à partir du concept de handicap sous l’impulsion des associations
de parents qui valorisent les approches socio-éducatives. Les principaux auteurs qui ont
approfondi la déficience sont :
BINET (1857-1911) dont les travaux portèrent sur l’évaluation de l’intelligence, il
introduisit les premiers tests.
STERN proposa peu après le QI (quotient intellectuel) sensé mesurer l’intelligence.
Ses travaux évaluatifs furent approfondis plus tard par WESCHLER, qui mit au point le test
14
WISC
. La version III est actuellement utilisée au SESSAD.
Dans les années 1950 René ZAZZO conteste la conception unitaire de la déficience
mentale, il met en évidence l’hétérogénéité du développement de l’enfant déficient
intellectuel (les compétences intellectuelles, sociales, psychomotrices ne sont pas
homogènes). Il accorde beaucoup d’importance à la capacité d’adaptation sociale de l’enfant.
Il postule que les troubles de l’enfant peuvent se majorer ou se minorer dans le temps.
A partir des années 1970, MISES s’impose comme une référence théorique. Il conçoit un
modèle psychopathologique de la déficience mentale, remettant en cause le déterminisme
biologique de la déficience intellectuelle. Il prône une conception dynamique et évolutive où
l’efficience intellectuelle va être restituée dans le fonctionnement psychologique de l’enfant.
Il prend en compte les perturbations relationnelles que peuvent induire les atteintes
organiques et les troubles instrumentaux éventuels dans leur dimension évolutive. Il propose
14
Weschler Intelligence Scale for Children
14
une nouvelle classification qui distingue les déficiences dysharmoniques et les déficiences
harmoniques.
Plusieurs classifications sont aujourd’hui utilisées dans notre pays : celle qui est utilisée
par l’INSERM15, la classification américaine DSM16-IIIR (ou DSM IV dans une version plus
récente), la classification proposée par l’OMS17, la classification française des troubles
mentaux de l’enfant et de l’adolescent (MISES).
En résumé les facteurs de la déficience résultent de trois causes qui parfois se combinent :
-
la maladie
-
la psychopathologie
-
les carences socio-éducatives.
Le
SESSAD
est un service qui se caractérise également par son soutien et son
accompagnement de la famille de l’enfant handicapé. L’histoire singulière et souvent
douloureuse de cette famille débute à la naissance de leur enfant et l’annonce de son
handicap. La mission du
SESSAD
inclut une analyse des besoins globaux de cette famille,
besoins qui se modifient au fil du développement de l’enfant
jusqu’à l’âge adulte.
Quelquefois dans les premiers mois de la vie de l’enfant le diagnostic du handicap est
difficile, les signes sont peu visibles ; l’action de dépistage et d’informations des services
médico-sociaux est fondamentale. La présence d’un enfant handicapé au sein d’une famille
provoque parfois des difficultés et des souffrances psychiques chez les frères et sœurs,
d’autant que leur désarroi peut être vécu dans la solitude. L’attention des parents est retenue
par la fragilité du nouveau-né. L’annonce du handicap de leur enfant aux parents est l’une des
phases clé et délicate de leur accompagnement. La formation des personnels sociaux et
soignant insistent sur la nécessité de soutenir les familles. Selon Michèle GUIDETTI et
Catherine TOURRETTE,18
« En fait la manière dont l’handicap va être annoncé aux parents va avoir une
incidence sur leur acceptation de l’enfant et sur l’ajustement émotionnel à la
situation. »
15
Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale.
Manuel Diagnostic et Statistique des troubles mentaux.
17
Organisation Mondiale de la Santé
18
GUIDETTI Michèle, TOURRETTE Catherine, Handicaps et développement psychologique de l’enfant, Armand
Colin, Paris, 1999, p 146
16
15
Il y a des risques que la famille se replie et diminue ses échanges sociaux. En fonction
de ses possibilités financières la famille pourra alléger les contraintes liées à la présence de
l’enfant handicapé : garde, aide à domicile, achat d’aides techniques, aménagement du
logement.
Les difficultés sont accentuées avec l’arrivée en âge scolaire de l’enfant handicapé.
Son admission est délicate dans une grande partie des établissements, d’une part en raison de
ses difficultés à suivre le rythme des autres enfants, d’autre part parce que l’école n’est pas
suffisamment préparée et formée à l’accueil de ces enfants. Parfois la famille est confrontée à
des refus du milieu scolaire qui conseille une orientation vers le milieu spécialisé.
L’adolescence réactive la souffrance des familles car c’est à cette période que se cristallise la
question de l’insertion sociale et professionnelle. Souvent les échecs rencontrés par les
adolescents sont vécus par leurs parents comme une confirmation du handicap. Ces échecs ne
prennent pas le sens d’expérience et d’apprentissage donné par d’autres familles. La
vulnérabilité de l’enfant conduit les parents à s’inquiéter en permanence sur son devenir. La
crainte de disparaître avant son enfant génère une inquiétude de l’avenir.
Cette histoire singulière commande un ensemble d’attitudes et de conduites des
parents présentes tout au long du développement de l’enfant ; elles éclaireront en partie leurs
demandes et/ou réactions face à l’environnement, notamment aux professionnels. La
proximité de services spécialisés, tels que les
SESSAD,
pourra être un facteur important pour
faire bénéficier l’enfant d’un accompagnement précoce et continu qui favorisera son
intégration sociale et professionnelle.
1.1.3.
Le fonctionnement des SESSAD à partir d’une étude
réalisée en Lorraine 19.
Cette étude a été réalisée par les services de l’assurance maladie en janvier 2003, elle
avait pour objectif d’apprécier le fonctionnement des
SESSAD
à travers leur agrément et le
respect de celui-ci, décrire le service rendu, établir un relevé des éventuels
dysfonctionnements, en tirer les conséquences sur l’offre de soins et proposer des solutions et
contribuer à l’évaluation du dispositif. Les résultats de cette enquête ont été obtenus par des
19
Etude sur les SESSAD agréés déficience intellectuelle, Union Régionale des Caisses d’Assurance Maladie de
Lorraine, janvier 2003.
16
données recueillies sur 15 jours par une équipe de la CRAM Nord Est auprès de 14 SESSAD de
la région de Lorraine20. Nous utiliserons cette étude pour faire ressortir la spécificité du
fonctionnement de ces SESSAD.
Les résultats montrent que ces services accompagnent principalement de jeunes
enfants, les moins de 9 ans représentent globalement 55% de leur activité. Il ressort que la
durée moyenne des accompagnements est généralement courte comparée à celle enregistrée
dans les IME.
La durée de suivi des usagers est :
-
inférieure à un an pour 28,3% des jeunes,
-
inférieure à 2 ans pour 54,3%,
-
de plus de 5 ans pour 14,7%.
Il existe un phénomène de file active avec une certaine fréquence des admissions et des
sorties des services. Ce mouvement se distingue de la stabilité des prises en charge en
Pour les 14
SESSAD
IME.
totalisant 258 places, on comptabilise en 2001 une file active de 400
jeunes. La durée de présence assez courte pour une partie des usagers explique une file active
importante.
L’importance de cette file active amène les équipes à travailler différemment, il est
nécessaire de rechercher à s’adapter rapidement à chaque situation nouvelle, et sur des durées
d’accompagnement plus courtes qu’en établissement. Cette adaptation se double d’une
réactivité plus grande que les IME aux demandes d’admission, le délai moyen d’attente entre
la date de notification par la
CDES
et l’admission est réduit à 48 jours. Par comparaison, 270
jeunes sont inscrits sur la liste d’attente IME en CDES de la Marne, ce qui correspond environ à
deux ans d’attente avant l’admission.
Les jeunes accompagnés par les
SESSAD
sont très majoritairement intégrés dans un
établissement de l’Education Nationale. Cette intégration tranche sur la situation vécue par les
jeunes admis en
IME.
Ainsi 82,4% des jeunes en
SESSAD
sont scolarisés dont 43,5 en classes
ordinaires et 38,9% en sections spécialisés (CLIS, SEGPA, UPI…) néanmoins 14,5% ne sont pas
20
L’étude porte sur 14 sites répartis proportionnellement dans les départements de la Meurthe et Moselle, la
Meuse et les Vosges soit un total de 258 places pour une population totale des moins de 20 ans égale à 320 465.
Ces chiffres donnent un taux d’équipement de 0,80 pour 1000 jeunes âgés de moins de 20 ans, sur les trois
départements réunis.
17
scolarisés et 2,1% sont accueillis en crèche. 1% n’est pas identifié. L’absence de scolarisation
était constatée pour 42,3% des jeunes en amont de la prise en charge de l’ensemble des jeunes
fréquentant les
SESSAD.
Ces services ont donc contribué à l’intégration scolaire des enfants
conformément à leur vocation. En revanche, une enquête effectuée par la DDASS de la Marne21
en 2003 montre que 84% des jeunes admis en établissements, soit 630 usagers, ne bénéficient
d’aucune intégration scolaire dans un établissement de l’Education Nationale. Seuls 10% de
ces jeunes sont intégrés collectivement (CLIS, SEGPA, UPI …) et 6% individuellement.
L’étude réalisée en Lorraine met en évidence que les
SESSAD
interviennent
préférentiellement chaque fois que possible, là où résident les jeunes, ainsi que sur leurs lieux
de vie. Ce constat est cohérent avec les deux missions essentielles des
SESSAD
: l’intégration
et le maintien du jeune dans son milieu. Pour moitié les interventions se déroulent à l’école et
au domicile de l’enfant (47,2%).
Ces interventions sur les lieux de vie des jeunes sont inégalement réparties selon les
catégories de personnel ; le personnel socio-éducatif se rend plus volontiers au domicile de
l’enfant que le personnel médical et paramédical qui reçoit l’enfant et sa famille dans les
locaux du
SESSAD.
Cette mobilité des travailleurs sociaux sur le territoire de l’usager, la
proximité qui en découle va renforcer leur rôle dans l’équipe pluridisciplinaire.
Récapitulatif des lieux d'interventions
Domicile
Ecole/crèche
12,8
7,6 2,7
29,6
29,6
17,6
SESSAD
Cabinet
médical
lieux mixtes
Autres sites
21
Enquête diffusée en 2004 lors de la campagne budgétaire des établissements et services médico-sociaux.
18
Pour la composition des équipes, les données de l’enquête mentionnent une proportion
de travailleurs sociaux largement supérieure aux catégories médicale et paramédicale. Cette
donnée aura son importance dans la répartition des responsabilités et des pouvoirs entre ces
deux catégories professionnelles.
Enfin la règle générale des
SESSAD
étudiés, est l’intervention individuelle auprès des
jeunes. En effet elle est évaluée entre 84,1 et 100%, seuls les éducateurs animent parfois des
activités collectives. Nous notons là une spécificité du travail de l’éducateur auprès des
usagers déficients intellectuels en SESSAD : son action éducative devient un accompagnement
individualisé alors qu’en institution les prises en charge s’effectuent sous forme d’activités de
groupe. La modification des lieux d’interventions est radicale, l’éducateur travaille en grande
partie hors des murs de l’institution. Il va devoir s’adapter aux différents lieux que fréquentent
les usagers mais également devoir s’y repérer.
«Pour les structures innovantes associatives, la définition du milieu ordinaire ou
naturel de vie, la référence constante à la vie civile en société pour ces personnes
« extraordinaires » que sont les personnes handicapées, induisent une nouvelle culture
professionnelle avec éclatement des références propres à l’internat et à l’hébergement
collectif, dans la professionnalité des intervenants sociaux travaillant à leur
contact. »22
22
CHOPART, Jean-Noël (sous la direction de) Les mutations du travail social, Dunod, Paris, 2000, p.157.
19
1.2.
Constat 1 : Les nouvelles pratiques professionnelles
induites par la création du SESSAD « le soleil levant ».
Les questionnements et les premiers constats à l’origine de notre étude proviennent
des observations réalisées au
SESSAD
« le soleil levant ». Dans ce chapitre nous allons
présenter ce SESSAD puis décrire et analyser les pratiques professionnelles dans leur originalité
par rapport à celles mises en œuvre à l’IME. Nous verrons que de nouvelles logiques
d’interventions apparaissent : celle de l’espace avec la question de la proximité et du
territoire, du temps avec la notion de projet et de parcours individualisé, de la coordination et
de la complémentarité des acteurs sociaux et médico-sociaux avec les notions de partenariat et
de réseaux ; toutes ces logiques convergent vers un même objectif : la personnalisation de
l’accompagnement. La relation du
SESSAD
avec l’usager s’établit sur une base contractuelle,
les choix de ce dernier sont primordiaux.
Les pratiques des établissements spécialisés parallèlement font l’objet d’une analyse
critique : l’institution est parfois présentée comme un lieu clos, source potentielle de
maltraitance23. Les professionnels de ces établissements se positionnent en expert vis-à-vis de
leurs « bénéficiaires » et formulent des préconisations pour l’avenir de ceux-ci.
Néanmoins ces innovations émergent dans un contexte où se repèrent aussi des
résistances au changement ainsi qu’une certaine permanence des modèles institutionnels. Les
professionnels du
SESSAD
formés par leur expérience en
IME
conservent une vision
particulière du handicap. Le partage des responsabilités au sein de l’équipe est influencé par
des enjeux de pouvoir, ils prolongent les tensions
déjà observées entre catégories
professionnelles à l’IME.
1.2.1. Le SESSAD « le soleil levant ».
Le
SESSAD
est rattaché administrativement à l’IME de Ville-en-Selve situé en zone
rurale à 15 kilomètres de Reims. Cet ensemble est géré par l’UGECAM Nord Est. Agréé pour
accompagner 15 jeunes âgés de 0 à 20 ans domiciliés dans le district de Reims, le
23
Loi n°2002-2 du 2 janvier 2002, article 8, prévention des maltraitances.
SESSAD
20
s’est installé en février 2000 à Reims près du centre ville. Pour son ouverture le service a
bénéficié de moyens rendus disponibles par la fermeture de places d’internat de l’ IME. Ainsi
son équipe pluridisciplinaire a été constituée à partir de mutations et elle est rattachée à la
direction de l’
IME.
Le service instaure des partenariats avec les principales institutions que
fréquente l’enfant. L’Education Nationale est son premier partenaire ; cela se traduit par des
interventions de l’équipe du SESSAD au sein des établissements scolaires.
1.2.2. Des pratiques professionnelles renouvelées ou naissantes.
Un nouvel espace d’intervention.
Par sa mission spécifique, distincte de celle des établissements, le
SESSAD
va à la
rencontre de l’usager : le service recherche à s’adapter aux besoins de l’usager. C’est un
renversement de logique car il n’est plus exigé que l’usager s’adapte à l’établissement. La
diversité des lieux d’intervention est l’une des particularités marquantes du
SESSAD.
Ses
salariés se retrouvent en situation de travail dans les différents cadres de vie de l’enfant :
domicile, école, centres de loisirs. Cette ouverture vers un espace éclaté rompt avec le
fonctionnement de l’établissement. Les « frontières » de l’organisation se sont déplacées au
point qu’elles ne pas toujours faciles à repérer pour des observateurs extérieurs.
Les interventions du
SESSAD
se déroulent notamment chez les parents. Cette pratique
généralisée est assez nouvelle pour les membres de l’équipe formés pour la plupart au travail
en institution. Ceux-ci se questionnent sur les techniques à utiliser et sur la relation à établir :
quel accompagnement, quel équilibre entre proximité et distance ? La famille devient un
interlocuteur privilégié, à la fois « prescripteur » de la demande de service et en partie
« bénéficiaire » de ce service rendu par les
SESSAD.
Parmi les précurseurs de cette politique
d’intégration des personnes handicapées dans leur environnement naturel, les travailleurs
sociaux canadiens font autorité et l’un d’eux, Jacques PELLETIER24 décrit de la manière
suivante l’approche centrée sur la famille :
« L’approche centrée sur la famille réfère à une attitude qui met au défi notre façon de
voir et de concevoir les services, les familles et nous-mêmes et se manifeste à travers
nos politiques, nos programmes et notre modèle de dispensation de services. C’est
24
PELLETIER, Jacques, Directeur du réseau de services en déficience intellectuelle –RSDI- Québec, in SESSAD
et territoires : pratiques de réseaux, 4e journées d’étude organisées par l’ANCREAI, 15, 16/11/2000,
Montpellier, p.96.
21
mettre le « focus » sur toute la famille et pas seulement sur l’enfant différent. On doit
répondre aux besoins de tous les membres de la famille dans le respect, la
collaboration et l’engagement mutuel et ce, de façon individualisée d’une famille à
l’autre et d’un individu à l’autre.
Nos interventions se doivent d’être souples, les moins restrictives possibles, adaptées
aux besoins et accessibles ».
Au domicile les rapports parents/professionnels sont modifiés car les familles se
trouvent sur leur « terrain » et leur pouvoir est renforcé. Elles déterminent l’espace où le
professionnel s’entretient avec l’enfant pendant qu’elles se déplacent dans leur domicile, voire
s’absentent. Cette perte de contrôle de l’espace par le professionnel est parfois déstabilisante.
Les procédures de contrôle et de surveillance s’inversent par rapport à l’institution, les
professionnels ne se sentent pas toujours à l’aise sous le regard des parents. L’arrivée
imprévue d’un visiteur peut suspendre la séance. Parfois les professionnels découvrent de
nouveaux interlocuteurs au domicile des parents, les assistantes maternelles ou des membres
de la famille élargie. Après une période d’observation, ils adaptent leur accompagnement à
cette nouvelle situation.
Pour les familles, ces interventions au domicile peuvent être également source
d’inquiétude : il leur faut admettre la présence des professionnels, leur regard, leur point de
vue. Cette « entrée » du service dans l’intimité familiale peut être vécue comme une intrusion,
un contrôle social. Au fil du temps une négociation structurée par le projet individualisé
permet de trouver une formule satisfaisante pour chacun des interlocuteurs. Familles et
travailleurs sociaux sont pris dans un système de pouvoir et de dépendance, leurs échanges
seront une suite d’ajustements à la recherche d’une relation équilibrée. Parents et
professionnels partagent la gestion de la situation de handicap ; cette difficulté partagée est au
cœur de leur relation. Ces acteurs familiaux et professionnels participent à un système
d’action concret en référence au concept défini par Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG
dans leur approche sociologique des organisations.
« Nous pouvons donc définir finalement un système d’action concret comme un
ensemble humain structuré qui coordonne les actions et ses participants par des
mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c’est-à-dire la
22
stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation
qui constituent d’autres jeux ».25
Une nouvelle approche du temps.
Dès la première année d’ouverture du
SESSAD,
les effectifs des enfants accompagnés
ont subi des modifications en raison de nouvelles admissions et de réorientations. Ce
mouvement des usagers déjà repéré dans l’étude des
SESSAD
de Lorraine contraste avec la
durée et la stabilité des prises en charge enregistrées dans les IME.
L’accompagnement du
SESSAD
est rythmé par la logique du projet individualisé de
l’usager, cela se traduit par des révisions périodiques de sa situation tant par le service que par
les instances administratives (CDES). Les accompagnements ne sont engagés que pour un an,
puis éventuellement renouvelables ; à l’inverse les prises en charge en
renouvelées par la
CDES
IME
sont décidées et
pour plusieurs années. La délimitation plus courte des
accompagnements conduit les professionnels à l’élaboration d’objectifs médico-sociaux plus
concrets et mesurables. Ce souci d’opérationnalité suscite l’affirmation d’une culture de
l’évaluation et l’obligation de rendre compte plus fréquemment de ces actions.
Les prises en charge en
IME
s’inscrivent dans la durée et elles prennent en compte
l’histoire du jeune ; elles mobilisent les moyens de l’institution pour traiter toutes les
difficultés rencontrées par l’enfant. Cette ambition s’inscrit dans le long terme et s’achève le
plus souvent lorsque le jeune arrive à l’âge adulte. Rompant avec cette approche
institutionnelle, le SESSAD prend en compte les ressources de l’environnement de l’enfant et
construit un parcours d’intégration. Il ne représentera que l’une des étapes de ce parcours et
ses professionnels s’emploieront à identifier les acteurs pouvant relayer et prolonger son
action. Ces pratiques professionnelles se caractérisent par une recherche de continuité et la
volonté de construire une trajectoire pour chaque jeune.
Les durées des accompagnements sont donc plus brèves mais ouvrent à d’autres
formes de liens et d’étayages sociaux. Les professionnels du
SESSAD
sont confrontés à un
nouveau rapport au temps qui se traduit par une obligation de réactivité plus grande que dans
les
25
IME.
Dans l’établissement la planification et la répétition des activités des enfants et du
CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, L’acteur et le système, Editions du Seuil, collection Points, 1977,
p.286
23
personnel diminuent les imprévus. A l’inverse l’environnement social de l’enfant, système
vivant et dynamique, laisse davantage de liberté à tous les acteurs mais génère de
l’incertitude. Le personnel au contact de l’enfant recherche la maîtrise des informations
pertinentes pour adapter ses actions. Cette maîtrise de l’information renforce son pouvoir au
sein du SESSAD dont la vocation est de produire des interventions sociales et médico-sociales à
« géométrie variable ».
« Aucune organisation ne peut exister sans établir des relations avec son ou, mieux,
ses environnements. Car elle en dépend … pour placer ou « vendre » son produit,
qu’il s’agisse d’un bien matériel ou d’une prestation immatérielle… Les individus et
les groupes… qui seront capables tout au moins en partie, cette zone d’incertitude, de
la domestiquer au profit de l’organisation, disposeront tout naturellement d’un
pouvoir considérable au sein de celle-ci ».26
Cette réactivité nécessaire est repérable au quotidien. Le temps vécu par le service se
confronte au temps vécu par les familles des enfants. Par exemple la disponibilité des familles
dépend de leurs obligations professionnelles et privées. Pour les professionnels cela entraîne
un travail important de programmation des rendez-vous, avec des échanges téléphoniques et
de fréquents réajustements. Le service doit gérer un certain absentéisme des enfants pendant
les congés scolaires. Ces aléas organisationnels témoignent des enjeux qui se cristallisent
autour des temps d’intervention du service. Lorsqu’il y a un décalage entre la demande des
familles et les possibilités du service surviennent des tensions et chacune des parties
manifeste une insatisfaction.
Les interventions dans de multiples lieux sont rendues possibles par la mobilité du
personnel. Cette capacité à se déplacer dans des délais raisonnables permet d’agir à proximité
du territoire de vie de l’enfant et de sa famille. Cette mobilité est assez comparable à
l’évolution générale de la société qui consacre davantage de moyens et de temps aux
déplacements. Les travailleurs sociaux du
SESSAD
sont ainsi fréquemment sur les routes en
fonction d’un planning de séances qui séquence leur journée. La programmation et la durée
des interventions sont prescrites par les rythmes sociaux. L’organisation du temps demande
une gestion soumise à des nombreux facteurs extérieurs. En agissant dans des endroits
26
CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, Op. Cit. pp.85.86.
24
éloignés de ses locaux, le
SESSAD
concourre à une forme d’aménagement du territoire. Il
rompt l’isolement vécu par certaines familles.
Un travail d’équipe différent, la question de la coordination des interventions.
Il est possible de distinguer deux catégories d’intervention exercées par les membres
du SESSAD. D’une part nous observons des interventions directes au contact de l’enfant et de
sa famille, elles prennent la forme d’entretiens formels ou informels, d’activités ou de
démarches menées en commun. D’autre part nous qualifierons d’intervention indirecte de
nombreux échanges instaurés entre les membres du service ou avec des partenaires. Ce travail
se réalise sous la forme de réunions, de rencontres, de communications téléphoniques,
d’écrits.
Il s’agit sans cesse de projeter des adaptations des actions du service en fonction de
l’évolution des besoins de l’enfant accompagné. Ce pilotage répond à une forme d’évaluation
continue de l’accompagnement à partir des informations collectées dans le milieu de vie de
l’enfant ; intégrant ces nouvelles données son projet est régulièrement actualisé. Il s’agit
d’exploiter les opportunités du contexte social pour développer l’autonomie de l’enfant. La
pratique de l’accompagnement répond à cette aspiration à l’autonomie. A chaque projet
individualisé correspond la constitution d’échanges et de partenariats entre l’équipe du
et les autres acteurs agissant dans l’entourage de l’enfant : famille, voisins,
SESSAD
enseignants, animateurs des clubs de loisirs fréquentés par l’enfant ; cette liste se construit en
fonction de la situation singulière de chaque enfant.
L’accompagnement s’avère être le fruit d’un travail collectif et transversal qui dépasse
l’équipe du
SESSAD.
Ce service médico-social ne peut proposer seul toutes les réponses dans
le cadre d’un projet d’intégration ; il n’est qu’un des éléments de la réponse. Il y a une rupture
par rapport à la représentation des établissements spécialisés qui sont parfois perçus par la
société comme la réponse à tous les besoins de l’enfant. Ce changement modifie les rapports
entre les usagers et l’institution. Ils perçoivent le SESSAD, service de proximité, avec sa réalité
et ses limites alors que l’établissement restait éloigné de leur univers quotidien. Cette
« distance » avec l’établissement est à l’origine de représentations oscillant de l’idéalisation
au rejet.
25
Le partage de l’accompagnement de l’enfant entre l’équipe du
SESSAD
et les autres
acteurs de l’entourage de cet enfant amène une mise en commun des approches et une
explicitation des actions entreprises entre ces différents intervenants. Une nouvelle fonction
émerge, celle de la coordination des actions. Les professionnels du
SESSAD
qui interviennent
souvent seuls sur le terrain doivent reconstituer avec leurs collègues une approche cohérente
et multidisciplinaire des besoins de l’enfant. A cet effort d’intégration interne s’ajoute un
partage d’informations et une harmonisation des interventions avec les autres partenaires
agissant dans l’environnement de l’enfant. Ainsi, sur le territoire, à proximité de l’enfant, les
professionnels du
SESSAD
s’insèrent aux réseaux constitués par les acteurs sociaux et en
fonction des projets ils nouent des partenariats. Ce décloisonnement des échanges, des projets
innove par rapport à l’autosuffisance qui caractérisait certains établissements.
La personnalisation des accompagnements.
Toutes ces nouvelles logiques touchant le territoire d’intervention, le temps du projet,
la transversalité et la coordination des interventions contribuent à la personnalisation des
accompagnements. De la sorte les activités médico-éducatives menées par les professionnels
du
SESSAD
ne concernent souvent qu’un enfant à la fois. Les enfants du service ne sont
qu’occasionnellement regroupés contrairement aux pratiques des établissements qui valorisent
ces activités collectives entre pairs. Cette socialisation à l’intérieur de groupes primaires
s’opère directement dans le milieu de vie habituel de l’enfant avec le soutien des membres du
SESSAD.
Le
SESSAD
dispose d’une souplesse dans le choix de ses moyens d’intervention, cela
facilite l’individualisation des accompagnements en fonction des besoins de chaque enfant.
Cette « marge de manœuvre » par rapport aux moyens utilisés provient de la capacité du
SESSAD
à utiliser les ressources communautaires à proximité du domicile de l’enfant. D’autre
part, ces ressources ne seront utilisées que le temps nécessaire à l’intérêt de l’enfant sans
devenir un élément structurel du fonctionnement du service.
26
Schéma récapitulatif des anciennes et nouvelles pratiques
IME
SESSAD
Regroupement sur un
seul site des lieux
d’activités de l’usager
Lieux éclatés des
activités de l’usager
Prises en charge de
longue durée de
l’usager
Durée limitée des
accompagnements
rythmés par les projets
Travail
pluridisciplinaire en
interne
Coordination des
actions avec les
partenaires extérieurs
Organisation
éducative par groupes
Individualisation des
accompagnements
1.2.3. Les nouvelles pratiques
résistances au changement
Nos observations du
SESSAD
professionnelles
face
aux
« le soleil levant » montrent l’émergence de nouvelles
pratiques professionnelles dans le champ médico-social. Toutefois d’autres observations
réalisées dans ce service révèlent les persistances des schémas anciens ; les innovations se
heurtent à des résistances dont les formes sont multiples : le poids des représentations, la
permanence des enjeux de pouvoirs entre catégories professionnelles, le décalage entre les
formations initiales valorisant l’internat et les compétences requises pour accompagner
l’intégration des jeunes handicapés en milieu ordinaire. Le changement s’inscrit dans une
27
dynamique générale où
les anciennes et nouvelles pratiques s’entrechoquent. Philippe
BERNOUX dans son ouvrage La sociologie des organisations27 nous rappelle que :
« Le changement ne se décrète pas. Une loi ou un ordre peuvent accompagner ou
susciter un nouveau modèle relationnel, sûrement pas le déclencher. L’innovation n’a
lieu que si le groupe ou l’organisation ont déjà vécu ces nouveaux modèles, ces
nouveaux modes de relations. La difficulté vient de ce que l’apprentissage de la
nouvelle pratique sociale se fait à l’intérieur de l’ancienne, de ce qu’il faut inventer
des relations différentes dans un système qui vit une certaine pratique. »
Une vision des professionnels encore centrée sur le handicap de l’enfant.
Les textes officiels28 définissant les SESSAD investissent ce service d’une mission assez
globale visant l’accompagnement de l’enfant et de sa famille. La réalité n’a pas encore rejoint
complètement cet objectif ; nos observations des échanges entre professionnels lors des
réunions de l’équipe du
SESSAD
« le soleil levant » confirment la permanence des anciens
modèles d’analyse. Nous constatons que l’approche de ces professionnels se focalise
essentiellement sur le handicap de l’enfant pour les deux raisons suivantes :
Pour ces professionnels la difficulté d’intégration de l’enfant handicapé résulte
principalement de sa déficience. Cette vision demeure encore présente dans la culture
professionnelle de l’équipe médico-sociale, occultant la situation singulière vécue par l’enfant
et l’importance des facteurs environnementaux.
La mission des professionnels pour accompagner les familles reste assez imprécise. Les
ressources familiales (dynamique, entraide, connaissances de leur enfant, leurs relations) sont
peu exploitées.
L’analyse porte avant tout sur l’histoire de l’enfant, l’étiologie de son handicap, ses
incapacités. Cette « différence » des enfants mobilise la plupart des réflexions
professionnelles et des recherches. Les plans d’interventions visent à faire évoluer cette
différence qui n’est pas toujours resituée dans un contexte général. Une vision de la famille
comme milieu pathologique reste prégnante malgré les évolutions de ces dernières décennies.
Cette attitude des professionnels est particulièrement accentuée lorsque le handicap n’est
27
BERNOUX, Philippe, La sociologie des organisations, Editions du Seuil, Paris, 4e édition revue et augmentée,
collection Points, 1985, p.203.
28
Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 et Annexe XXIV (ANNEXE 3 et 4)
28
attribué à aucune cause organique connue. Cette représentation d’un dysfonctionnement de la
famille empêche l’établissement d’une relation de confiance basée sur une reconnaissance
mutuelle. Une tension est perceptible dans l’alternance des attitudes des professionnels entre
ouverture et repli vis-à-vis des familles. Cette ambivalence est un révélateur de la
confrontation entre des modèles conceptuels d’interventions sociales. Certains auteurs voient
une crise d’identité dans ce questionnement des professionnels :
« Le changement social rapide, évolutif et polymorphe des gros établissements, où
l’effet de masse est considérable, produit une crise d’identité pour les
professionnels."29
La disqualification de la famille vient renforcer la rivalité, parfois constatée, entre
familles et professionnels. Cette opposition est d’autant plus exacerbée que la famille
appréhende d’être dépossédée de son enfant par les services spécialisés. Pourtant Jean-René
LOUBAT 30 rappelle que :
« Quelle que soit la famille et même si on la juge « imbuvable », elle est, primo,
incontournable au plan affectif (elle est présente dans la vie et la tête de l’enfant et de
l’adolescent) et, secundo, possède des compétences et un système de valeurs qu’il faut
utiliser pour faire de la famille un co-acteur éducatif. D’où, l’association de la famille
au projet personnalisé est plus que souhaitable : il est indispensable. »
Nous venons de voir que la conception du handicap qui s’est construite dans le temps
n’évolue que lentement et elle joue un rôle de frein à l’innovation. Cette conception reste
encore marquée par l’approche médicale bien que la récente classification internationale du
handicap31 mette en avant la dimension sociale. Cette confrontation entre des modèles
théoriques du handicap nourrit les tensions interprofessionnelles entre le secteur médical et le
secteur socio-éducatif que l’on peut observer dans les établissements et services spécialisés.
Cependant une évolution des rapports de pouvoir s’opère :
29
CHOPART Jean Noël (sous la direction de) Les mutations du travail social, Dunod, Paris, 2000, p.159
Parents & Professionnels, 1. Une rencontre nécessaire, difficile et souhaitée, CREAI Rhône-Alpes, 1994 (actes
du séminaire régional organisé par la DRASS Rhône-Alpes et le CREAI Rhône-Alpes les 31 janvier et 1er février
1992). p.32.
31
Nouvelle Classification Internationale du Fonctionnement du handicap et de la santé (CIF) 2001 OMS. Cette
classification met en avant les notions de participation sociale et d’activités réalisées par la personne en situation
de handicap.
30
29
« Dans certains grands établissements d’hébergement traditionnel en restructuration,
le « médecin chef » a été remplacé par un « chef de service éducatif ».…Le médecin
devient consultant, intervenant ponctuel et la prise d’orientation est prise
collégialement.»32
Examinons maintenant ces logiques d’acteurs dans le cadre du SESSAD.
Les stratégies de pouvoirs : l’influence des experts, le poids du secteur médical, la
rivalité entre les grandes institutions.
L’équipe du
SESSAD
« le soleil levant » est constituée de travailleurs sociaux et de
soignants, médecin et paramédicaux. Ces professionnels sont tous issus de l’IME auquel est
rattaché le
SESSAD.
Nous constatons donc une continuité dans la composition de l’équipe de
l’établissement et du service. Les rapports de ces salariés se sont construits à l’IME sur
l’affirmation et la différenciation de leurs identités professionnelles ; ce schéma inscrit dans
l’histoire de ces professions semblent perdurer. Le médecin cherche à exercer un rôle clé sur
le plan technique en déterminant une part importante des activités du service par ses
prescriptions. Ces dernières concernent le traitement de l’enfant dont elles visent la
rééducation et les soins. Dans le fonctionnement du service, ce praticien demeure l’expert vers
lequel se tourne les autres membres de l’équipe en cas de questionnement. Son influence se
trouve limitée par les attributions de la direction : recrutement du personnel, admissions et
orientations des enfants, rencontres des familles.
La pratique nouvelle des interventions individualisées pour les éducateurs qui
« prenaient en charge » des groupes en IME introduit néanmoins un rapprochement entre leurs
modalités d’exercice et celles des paramédicaux. Ceux-ci avaient déjà cette pratique de
« l’individuel » en IME.
La petite taille de l’équipe du
SESSAD
et sa dispersion dans différents lieux
d’interventions diminuent les risques de tensions entre ses membres. C’est à la périphérie de
l’organisation que se déplacent parfois ces tensions lorsque l’action est partagée avec des
acteurs de l’environnement de l’enfant. Les conflits entre les services de l’IME (médical,
éducatif, scolaire) qui étaient circonscrits à l’intérieur de l’établissement sont comme
« externalisés » dans le cadre du
32
SESSAD.
Il est alors remarquable de repérer des frottements
CHOPART Jean Noël (sous la direction de) Ibid, note 29.
30
entre le
SESSAD
et ses partenaires qui reproduisent celles des grandes fonctions auparavant
intégrées dans l’IME : le pédagogique, l’éducatif et le thérapeutique. Dans l’environnement de
l’enfant, chaque institution investit électivement à tour de rôle l’une de ces grandes fonctions
maintenant l’équilibre du « système d’action concret » tel que défini par Michel CROZIER33.
Certaines appropriations se font naturellement en référence à des repères communs, ainsi la
fonction pédagogique est personnalisée par les services de l’Education Nationale. En fait, il
existe des logiques propres à chaque acteur participant à l’accueil ou l’accompagnement de
l’enfant ; la lecture de ces différentes logiques, leur mise en cohérence et compatibilité sont
l’une des activités des
SESSAD.
La connaissance et l’analyse de l’environnement sont donc
l’un des enjeux majeurs du service. Cette « zone d’incertitude » au sens de l’analyse
stratégique des organisations est source de pouvoir pour les travailleurs sociaux intervenant
sur le territoire.
« S’il y a incertitude, les acteurs capables de la contrôler l’utiliseront dans leurs
tractations avec ceux qui en dépendent. Car ce qui est incertitude du point de vue des
problèmes est pouvoir du point de vue des acteurs. »34
Au cours de ces interventions, de leurs contacts avec les partenaires, les membres du SESSAD
collectent des informations répondant à une stratégie visant à mieux cerner la situation
complexe dans laquelle évolue l’enfant. Ils exercent un rôle clé pour l’organisation.
Les formations des professionnels : des professions institutionnalisées.
Les formations professionnelles initiales sont identiques pour l’exercice en
établissement ou en
SESSAD.
Certaines de ces formations notamment celle d’éducateur
spécialisé donne une place importante aux pratiques en internat ; il est même prévu
l’obligation de réaliser un stage en internat durant la formation. Cette formation « de base »
partagée par les équipes des établissements et des
SESSAD
engendre-t-elle des pratiques
uniformes ? Sans doute pas mais elle est de nature à maintenir un état d’esprit, une vision qui
colorent les actions entreprises. Cette professionnalisation apporte une forme de stabilisation
des pratiques en donnant des repères, des règles. La prégnance de ce modèle de prise en
charge en institution s’est révélée à travers un débat au sein de l’équipe du SESSAD, à savoir la
mise en place d’activités en groupe dans les locaux du service. Cette perspective de
33
34
CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, Ibid. note 25.
CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, Op.Cit, p.23,24.
31
fonctionnement collectif et régulier pour une majorité des enfants accompagnés par le SESSAD
s’opposait à la conception de l’intégration en milieu ordinaire. Finalement ce projet ne s’est
pas réalisé sous l’influence d’une partie des membres de l’équipe qui valorisèrent
l’intervention au domicile de l’enfant.
Une étude plus précise des expériences et des formations continues des membres de
l’équipe du
SESSAD
indique cependant une démarche de spécialisation par le choix des
formations continues, par exemple :
-
L’intervention sociale au domicile des familles.
-
L’intégration scolaire de l’enfant handicapé.
-
Les pratiques de partenariat.
Deux facteurs sont alors identifiés dans la formation professionnelle des membres de l’équipe
du
SESSAD
: un ancrage dans un métier facilitant l’identification à un groupe professionnel et
une démarche exploratoire, souvent personnelle, faite de formations complémentaires pour
adapter les compétences aux activités de ce service.
32
1.3.
Constat 2 : Les nouvelles pratiques professionnelles à
l’IME de Ville-en-Selve depuis l’ouverture du SESSAD.
Après avoir exposé l’émergence de nouvelles pratiques au SESSAD « le soleil levant »,
nous examinerons dans ce chapitre leurs répercussions sur le fonctionnement de l’IME de
Ville-en-Selve, établissement auquel est rattaché le service. En introduction nous décrirons les
premières réactions constatées à l’IME lors de l’ouverture du
SESSAD,
notamment les
résistances initiales qui s’exprimèrent. Dans un second temps, nous montrerons les évolutions
constatées dans le fonctionnement de l’IME depuis cette ouverture du SESSAD.
1.3.1. L’IME de Ville-en-Selve
En février 2000, période d’ouverture du SESSAD, l’IME de Ville-en-Selve accueille 135
garçons et filles présentant une déficience intellectuelle avec ou sans troubles associés, âgés
de 6 à 20 ans et originaires de la Marne, (68 places en internat et 67 en semi internat).
Jusqu’en 1999, l’établissement était agréé pour accueillir 150 jeunes dont 108 internes.
Ouvert en 1977, l’IME est installé sur une propriété de plus de 6 hectares sur la
commune de Ville-en-Selve dans le parc naturel régional de la montagne de Reims.
L’ensemble de ses locaux totalise 8205 m² avec de nombreux équipements. Lorsque
l’établissement a été conçu, l’idée est encore prégnante que les familles d’enfants déficients
sont pathogènes et qu’une séparation est bénéfique. Cela peut être une des raisons du choix de
l’installation de l’établissement dans ce lieu, d’accès difficile l’hiver, mais il faut également
tenir compte que l’acquisition du terrain, appartenant à la commune de Ville-en-Selve, se
réalisa pour un prix symbolique. L’éloignement de la zone de recrutement et l’importante
infrastructure montre que les jeunes accueillis y recevaient enseignement, soins,
hébergement… sans contact avec l’environnement extérieur.
Une telle situation géographique ne répondait plus aux politiques d’intégration et
entraînait des désavantages pour les déplacements en terme de coût et de temps. La distance
ne facilitait pas le travail avec les familles qui venaient rarement hormis le jour de la rentrée et
lors de rendez-vous organisés et prévus, au total en moyenne deux fois dans l’année.
La conception architecturale de l’IME souhaite donner l’aspect d’un village avec ses pôles
d’activités, ses lieux de vie. Séparant les services, la distribution des locaux crée un
33
cloisonnement. L’effet pervers est d’entraver la communication entre ces secteurs. Il s’agit
d’une vision taylorienne de la division du travail, les cadres étant regroupés dans le même
bâtiment assurant la définition conceptuelle du travail pendant que l’exécution est confiée aux
agents dans les services. Cette terminologie d’agent renvoie à l’appellation statutaire en
vigueur dans cet établissement géré par un organisme de la sécurité sociale. Chaque salarié est
effectivement identifié par un numéro d’agent.
L’équipe institutionnelle est pluridisciplinaire, composée d’un secteur pédagogique,
éducatif, médical et thérapeutique. Le fonctionnement de l’IME est régi par de nombreuses
règles écrites. Ce fort degré de formalisation limite les marges d’initiatives individuelles. Il y
a une profusion des notes de service et d’informations diffusées et affichées. Mais comme
l’indique Michel CROZIER dans son ouvrage La société bloquée ces écrits administratifs ne
témoignent pas forcément d’une communication de qualité entre les différents membres de
l’institution.
« Ce n’est pas en effet ni au volume des circulaires et des notes de service, ni même à
celui des états statistiques dépouillés par des moyens électroniques, que peut se
mesurer la capacité de communication d’un système. Cette littérature est d’autant
moins lue qu’elle est moins pertinente. A tous les niveaux, on s’en sert davantage pour
se protéger que pour s’informer. »35
Un tel contexte évoque les systèmes bureaucratiques analysés par Michel CROZIER. Il
y a bien présence de nombreuses règles impersonnelles prescrivant le travail et structurant le
déroulement de carrière des salariés. Ce système génère une certaine sécurité, une égalisation
des parcours ; en revanche il ne valorise pas l’initiative ni les innovations. Cette limitation des
initiatives individuelles se combine avec une centralisation des décisions. Les observations
des salariés sur le terrain ne remontent pas forcément vers la direction et n’influencent pas les
choix. On constate même une certaine attente et passivité des membres des équipes vis-à-vis
des décisions de la direction. Certes ce dispositif atténue l’arbitraire et le poids des décisions
individuelles, mais freine les adaptations nécessaires dont les acteurs du terrain sont parfois
les premiers à déceler la nécessité.
35
CROZIER, Michel, La société bloquée, Editions du Seuil, Collection Points Essais, édition augmentée 1994,
p.106.
34
Les modes de transmission dans l’établissement s’opèrent de façon privilégiée par la
voie hiérarchique, au détriment de communication transversale. Cette organisation par
fonction, davantage que par projet, renforce l’identité de chaque groupe catégoriel. Dans ces
équipes de pairs se développe une culture professionnelle spécifique à l’établissement ; ce
fonctionnement rappelle ce que le sociologue René SAINSAULIEU a étudié dans ses recherches
sur les cultures d’entreprises.
« Le travail de métier est une valeur parce qu’il permet d’accéder à la conscience de
soi et de bâtir un monde social sur la reconnaissance de l’originalité des individus.
Parler de travail bien fait, c’est évoquer, bien plus qu’une œuvre réussie, tout un
ensemble de rapports humains fondés sur la compréhension mutuelle, la discussion
démocratique et le refus de l’autorité arbitraire imposée de l’extérieur. »36
Les nouveaux embauchés sont obligés d’adopter les normes de leur groupe
professionnel, et de se positionner vis-à-vis des autres groupes professionnels conformément à
l’attitude dominante de leur service. Dans le langage institutionnel cette identification des
groupes est évidente dans l’utilisation récurrente de termes génériques : « les éducateurs »,
« les paramédicaux », « les hommes d’entretien », « les instits ». Ceci conduit à une
stratification des différentes catégories qui communiquent peu entre elles. Le groupe devient
le pôle de résistance à la pression hiérarchique.
La conséquence de cette organisation bureaucratique est la difficulté d’aborder le
changement, qu’il soit proposé par les acteurs internes à la structure ou qu’il résulte de
contraintes externes à l’établissement. Nous observons également le développement de
relations parallèles de pouvoir que nous identifions à travers l’activité des syndicats, les
œuvres sociales du comité d’entreprise, la coopérative scolaire, l’organisation des transferts
d’été pour les jeunes. Tous ces réseaux ont la caractéristique de décloisonner les groupes
professionnels et ils offrent des canaux de communication informelle qui contrebalancent la
fragmentation en équipes distinctes.
36
SAINSAULIEU, René, L’identité au travail, 3e édition, Paris, Editions Presses de la Fondation Nationale des
Sciences Politiques, 1988, p.360.
35
1.3.2. Redéploiement de l’IME de Ville-en-Selve et ouverture du
SESSAD « le soleil levant ».
L’ouverture du
SESSAD
en février 2000 introduisit un changement notable dans la vie
institutionnelle. Elle découla d’une contrainte extérieure exercée par les autorités de contrôle.
Reprenant la formule de Jacques BRENOT et Louis TUVEE dans Le changement des
organisations37, nous pensons que ce changement généra une véritable « crise
institutionnelle ». Plus qu’une adaptation, il représente une mutation : le passage d’une prise
en charge axée sur l’internat et semi internat à la campagne, à un projet d’accompagnement
individualisé en zone urbaine.
Cette période de changement fut propice aux jeux de pouvoir, chacun des acteurs se
positionnant pour ou contre le
SESSAD
en fonction de ses intérêts. Il s’agissait d’une
modification profonde de l’organisation et donc des relations de pouvoir. Un appel à
candidature en interne fut organisé pour recruter le personnel et créa des tensions entre les
membres de l’institution. Cette confrontation s’exprima au sein de l’équipe de direction. Le
responsable de l’internat exprima des inquiétudes quant à l’avenir de ce mode de prise en
charge, vision partagée par une majorité des membres de son service. Certains membres de
l’institution exprimaient des inquiétudes quant à l’avenir de l’emploi. Cette méfiance explique
la position de retrait d’une partie de l’encadrement qui ne s’investit pas dans la réalisation de
ce projet. L’aboutissement du changement résulta d’un engagement conséquent du directeur,
qui un an après quitta l’établissement. Durant cette période de nombreuses résistances
s’exprimèrent, tant par les voies hiérarchiques que par des circuits plus informels : circulation
de fausses informations, phénomène de rumeurs, dramatisation.
Une grande partie des salariés de l’IME s’insurgeaient contre la fermeture et le
redéploiement des places de l’internat car ils estimaient que ce mode de prise en charge
correspondait aux besoins des jeunes handicapés. Pour ces salariés, la création du
SESSAD
devait s’opérer avec des moyens nouveaux. Ils exprimaient un certain scepticisme sur la
nécessité de créer un service.
37
BRENOT, Jacques et TUVEE, Louis, Le changement dans les organisations, Que sais-je ? PUF, 1996.
36
Ces réactions appellent plusieurs réflexions ; pour certains salariés la crainte de perte
d’emploi en est à l’origine, par exemple pour les agents chargés de l’entretien des bâtiments et
des transports ; en revanche pour l’équipe médico sociale le redéploiement est vécu comme
une remise en cause de leurs compétences ; enfin la plupart de ces salariés méconnaissent le
dispositif des
SESSAD
encore peu répandus dans la Marne. Les incertitudes de l’avenir et la
peur « d’avoir à y perdre » prennent le pas sur les gains éventuels résultant d’une nouvelle
organisation.
« …les salariés résistent souvent à un changement qu’ils comprennent mal. Il peut
alors se développer des inadaptations et des rejets…L’introduction de nouvelles
technologies dans les organisations soulève des difficultés. Elle bouscule les
habitudes, les manières de travailler, de concevoir, de penser, de présenter les
informations, de communiquer. Elle met à jour les capacités et les incapacités des
organisations à s’adapter aux technologies, à se modifier. Elle est source de
désordre… »38
Dans les premiers temps de fonctionnement du
SESSAD
deux types de phénomènes
s’observent :
▪ Les liaisons entre l’IME et le
SESSAD
sont minimales ; la création du
SESSAD
est un peu
comparable à un processus de division cellulaire. L’IME se recentre sur ses activités et projette
son avenir sans intégrer les impacts nés de la création du SESSAD. Il y a une forme de négation
du changement intervenu.
▪ Le second type de phénomène s’observe plus particulièrement dans l’équipe du
SESSAD.
Nous rappelons que ses membres arrivent de l’IME et sont volontaires pour s’investir dans ce
nouveau service. Or en dépit de cette adhésion partagée pour le démarrage du service, des
tensions surgissent sur le choix des modalités de travail. Une partie des membres de l’équipe,
essentiellement le médecin et les paramédicaux tentent de reproduire le fonctionnement de
l’IME, cherchant à créer un petit établissement dans les nouveaux locaux. Ceci se traduit
notamment dans les propositions de fonctionnement : accueil des usagers dans les locaux
plutôt que déplacements sur le territoire, résistances pour échanger régulièrement avec les
familles, évitements de réunions impliquant des partenaires extérieurs. Les autres membres de
l’équipe, notamment les travailleurs sociaux impulsent des pratiques inspirées par le
38
POTOCKI MALICET, Danielle, Eléments de sociologie du travail et de l’organisation, Editions Economica,
1997, p.57.
37
fonctionnement d’autres
SESSAD
ou par des formations continues : particulièrement des
interventions « hors des murs », à la rencontre de la famille et de l’enfant sur leur territoire de
vie. Après une certaine opposition, le médecin chef intègre la nouvelle donne liée à un
environnement radicalement différent et il adapte l’organisation de son service ainsi ses
collaborateurs s’engagent dans de nouveaux fonctionnements.
1.3.3. Aujourd’hui, les pratiques professionnelles à l’IME de Villeen-Selve.
Quatre ans après l’ouverture du SESSAD, nous enregistrons de nombreux changements
dans les pratiques développées par l’IME de Ville-en-Selve. Les prestations délivrées aux
jeunes se sont élargies et diversifiées ; elles se sont individualisées. Cette modification des
rapports avec l’usager concorde avec une ouverture plus marquée de l’établissement sur son
environnement. Cette ouverture est active avec l’instauration de contacts informels avec les
différents acteurs territoriaux mais aussi de liens formalisés par des textes, conventions,
contrats. L’ouverture se constate également en terme d’accueil dans l’établissement où les
familles et d’autres partenaires accèdent plus facilement. Examinons plus en détail l’évolution
des prestations et la prise en compte de l’environnement par l’IME.
Une évolution des prestations destinées aux usagers.
La personnalisation des prises en charge s’accentue, elle s’observe dans une plus forte
individualisation des emplois du temps, désormais établis par jeune et non plus par groupe.
▪ Un système de référent a été instauré de manière à coordonner toutes les informations
concernant chaque jeune. Ce référent, membre de l’équipe médico sociale, est l’interlocuteur
privilégié du jeune et de sa famille et il relaie leurs attentes auprès de l’équipe institutionnelle.
Plus généralement la place de la famille est reconnue et son soutien s’inscrit dans le projet de
l’établissement.
▪ Dans le programme conçu avec chaque jeune, la scolarité occupe toujours une place
conséquente mais elle est de plus en plus dispensée en milieu ordinaire. L’intégration scolaire
devient un objectif prioritaire, le nombre de jeunes en bénéficiant passe de 3% à 12% en deux
ans. Parallèlement à cette intégration dans les établissements scolaires, une classe de l’IME a
été supprimée.
38
▪ L’accompagnement par l’établissement intègre davantage les différents aspects de la vie de
l’enfant. Cette vision globale est alimentée par les informations transmises par les
intervenants extérieurs concernés par les projets de l’enfant et de sa famille. Cette approche
transversale replace le jeune comme une personne avec sa singularité et sa complexité, elle ne
lui assigne plus uniquement un rôle d’élève ou de patient en fonction du service fréquenté.
▪ Une forme de tabou est tombée avec la fin de la préconisation systématique de la formule
internat à temps complet. Des formules diversifiées ont remplacé cette réponse exclusive :
l’accueil à temps partiel, l’alternance internat/externat, l’accueil temporaire. Un nouveau
principe s’affirme, la primauté de la vie à domicile sur l’hébergement en institution ; cette
solution s’avérant un recours, le plus souvent temporaire, en cas de difficultés particulières.
▪ Dans le même ordre d’idée, les temps consacrés à l’accompagnement socio éducatif des
jeunes à l’extérieur de l’institution sont en augmentation. Il y a davantage d’activités en
immersion dans la vie locale sous forme de stages, de sorties éducatives, de participations
sociales. Les espaces d’expérimentation sont multipliés avec la possibilité de bénéficier de
prestations dans les autres établissements gérés par le même organisme.
▪ Il y a un changement de modèle éducatif ; à la rééducation de l’enfant « différent » visée au
sein de l’établissement spécialisé, a succédé son accompagnement dans des mises en situation
sociale, instaurant une médiation entre l’environnement et le jeune handicapé dans sa
confrontation à la réalité.
▪ Dans la même logique, la formation pré professionnelle s’opère à partir de supports plus
concrets concernant des activités d’utilité sociale : construction de mobilier urbain,
équipement sportif.
▪ L’obligation de suivi pendant trois ans à la sortie d’établissement est dorénavant précédée
par une démarche d’anticipation de l’équipe institutionnelle qui cherche des relais afin
d’assurer la continuité de l’accompagnement. L’individualisation des projets conduit ces
professionnels à approfondir le travail d’orientation de manière à proposer le parcours le plus
adéquat à l’usager.
De nouveaux rapports avec l’environnement.
Les nouveaux objectifs poursuivis avec les jeunes se réalisent à partir de modalités
renouvelées ; elles présentent des similitudes avec celles observées au
SESSAD
« le soleil
levant ».
▪ L’Education Nationale devient un partenaire important, une partie des activités est animée
avec ses enseignants et dans ses locaux. Les rapports entre l’IME et l’Education Nationale se
39
contractualisent, des conventions précisent le rôle et les responsabilités de chacun des
partenaires pour faciliter l’intégration des jeunes. Une forme de complémentarité se construit
entre l’IME et l’école, l’enfant partageant son temps entre ces deux institutions.
Cette volonté de travailler en réseaux et partenariat se constate auprès de nombreux acteurs de
l’environnement de l’IME : les services de proximité du village, les organismes sociaux,
l’hôpital, les instances administratives et judiciaires, les autres établissements et services du
secteur médico social.
▪ Les échanges avec la municipalité se sont accrus, les jeunes de l’IME participent par leurs
travaux à l’aménagement de la commune. Les élus leur ont confié l’agencement d’une aire de
loisirs destinée aux enfants du village. L’établissement met également ses locaux à disposition
d’autres partenaires, notamment de services sociaux complétant son action auprès des jeunes
et de leurs familles.
▪ Ce souci de la qualité de l’accueil des visiteurs dans l’établissement retentit sur l’accueil
des familles des enfants plus présentes que par le passé. Une association regroupant une partie
des familles des enfants accueillis est reconnue par l’établissement.
Cette volonté de nouer des liens avec l’environnement et d’ouvrir l’établissement est rendue
possible par une nouvelle manière de travailler des salariés.
▪ Les dirigeants de l’IME participent à la vie locale et s’investissent dans les instances
professionnelles du secteur médico social. Cette attitude volontaire les conduit à collecter des
informations stratégiques, à améliorer l’image de l’IME, à communiquer son projet. Dans le
même esprit d’autres catégories professionnelles s’impliquent dans des groupes de travail
impulsés par les pouvoirs publics ou d’autres partenaires, par exemple au sein des
commissions chargées d’élaborer le schéma départemental en faveur des personnes
handicapées, à la
CDES.
L’IME prend l’initiative d’accueillir une partie de ces réunions inter-
services.
▪ Un travail en réseau a été mis en place avec les autres établissements gérés également par
l’UGECAM39 pour concevoir les outils rendus obligatoires par la loi du 2 janvier 2002 : projet
d’établissement, évaluation de la qualité du service rendu. Ce travail en commun sera
prochainement facilité par l’installation d’un dispositif informatique intranet permettant aux
différents services de l’UGECAM de communiquer entre eux.
▪ Les membres des différentes équipes participent aux synthèses extérieures organisées par
les instances partenaires accompagnant conjointement les jeunes. Lors de ces rencontres un
39
Union pour la Gestion des Etablissements des Caisses d’Assurance Maladie
40
travail de coordination entre ces travailleurs sociaux améliore la cohérence des réponses
données aux jeunes.
Tous ces contacts des salariés de l’IME développent leur connaissance de l’environnement et
des besoins et ressources de la population locale. Ces informations sont partagées au sein de
l’équipe. Il y a émergence d’une nouvelle compétence : l’observation de l’environnement.
Afin de se rapprocher des familles et de sortir de son isolement, l’établissement met
progressivement en place une nouvelle stratégie : à Reims il utilise les locaux du
SESSAD.
Il
s’en sert pour organiser plus facilement ses rencontres avec les partenaires ; cela lui permet
aussi de donner une image différente de celle d’un établissement isolé à la campagne.
Cette nouvelle pratique de l’IME entraîne une coordination entre les salariés de l’IME et du
SESSAD.
Il y a un rapprochement entre les deux équipes qui travaillent ensemble comme des
partenaires ayant repéré la mission de chacun. Cette coopération remplace les stratégies
d’évitement mises en place par les deux équipes après l’ouverture du SESSAD.
41
1.4.
Synthèse des constats et formulation de la question
principale.
Notre interrogation initiale, relative à l’innovation présente dans l’accompagnement
proposé par les
SESSAD
et son éventuelle diffusion sur le fonctionnement des établissements
spécialisés, nous a conduit à observer et analyser les pratiques professionnelles du SESSAD « le
soleil levant » et de l’IME de Ville-en-Selve.
Nos observations ont concerné deux périodes :
l’ouverture du SESSAD créé à partir d’une transformation de l’IME,
puis quatre ans plus tard, le fonctionnement du nouveau dispositif représenté par les deux
structures.
Au
SESSAD
« le soleil levant » nous avons constaté que progressivement se sont
installées de nouvelles pratiques. Elles favorisent l’individualisation des accompagnements et
conduisent les salariés à intervenir au domicile des enfants et de leurs familles. Cet
accompagnement vise l’intégration des enfants en milieu ordinaire en coordonnant leurs
actions avec celles des différents acteurs du territoire. Les rapports avec l’usager sont
modifiés, laissant une place plus importante aux choix exprimés par celui-ci ; ces liens se
contractualisent. L’accompagnement est rythmé par la pratique du projet et il s’inscrit dans
une durée déterminée. Ces innovations rencontrent cependant des résistances. Ainsi les
professionnels ont encore tendance à médicaliser et à spécialiser les réponses. Nous avons
repéré les réactions des experts (médecin, psychologue, rééducateur) qui cherchent à
maintenir leur position dominante dans le dispositif de l’action sanitaire et sociale tant sur le
plan technique que symbolique. Cependant, le contenu des formations professionnelles des
différents intervenants, notamment des travailleurs sociaux, évolue
progressivement
restreignant la place tenue par le modèle de prise en charge en internat des personnes
handicapées. De nouveaux référentiels de formations viennent d’être officialisés, notamment
pour les éducateurs spécialisés ; ils témoignent d’une évolution. Olivier LIAROUTZOS,
sociologue du travail et chargé d’études au
40
CEREQ
a prêté son concours à la réalisation du
référentiel de la validation des acquis de l’expérience au diplôme d’Etat d’éducateur
spécialisé et il précise :
40
Centre d’Etude et de Recherche sur l’Emploi et les Qualifications
42
« Au travers de ces compétences, nous avons voulu privilégier une vision dynamique
du métier. Les compétences touchant à la conduite de projet ou à l’analyse des
pratiques relèvent ainsi d’une évolution qui semble caractériser le nouveau métier
d’éducateur spécialisé. S’il n’y a pas cette ouverture sur le monde qui permet de
prendre du recul, il manque quelque chose à la pratique professionnelle. »41
Nous avons noté le parcours de formation continue entrepris par les salariés du SESSAD
qui cherchent à donner un éclairage théorique et du sens à leur nouvelle expérience
professionnelle. Nous avons vu que l’ouverture du
SESSAD
« le soleil levant » a suscité des
inquiétudes parmi les professionnels de l’IME de Ville-en-Selve. Les changements vécus par
leur institution n’étaient pas resitués dans la perspective des politiques sociales ; un sentiment
d’incompréhension dominait.
Dans un premier temps, l’ IME ne semble pas concerné par le changement. Il maintient
une organisation interne et des règles institutionnelles élaborées au fil des années ; ces règles
fixent la division du travail entre les équipes et elles laissent peu de place à l’imprévu ;
l’emploi du temps est très structuré. Les usagers doivent s’adapter à ce règlement général, leur
adaptation étant un indicateur de réussite de leur prise en charge. A cette période, l’IME se
détourne des activités du nouveau
SESSAD,
d’autant que celui-ci est installé à 15 kilomètres,
en milieu urbain. La création de ce nouveau service représente davantage une menace qu’une
opportunité, une remise en cause plus qu’une source de renouvellement.
Quatre ans plus tard le constat diffère, les pratiques professionnelles de l’IME montrent
différents signes d’évolution. L’IME investit son environnement, il a resserré les liens avec les
acteurs politiques, économiques et sociaux du territoire. Ces prestations se sont diversifiées ;
ceci exige davantage de souplesse dans son fonctionnement. De la sorte les accompagnements
des jeunes sont plus personnalisés, l’internat n’est plus la réponse exclusive, l’intégration
scolaire devient une priorité. Cette dynamique coïncide avec de nouvelles postures des
salariés qui sortent de l’institution pour rencontrer les partenaires locaux. Nous constatons une
plus grande marge de manœuvre de ces salariés pour aménager l’accompagnement des jeunes
et prendre des initiatives. Dans l’établissement, différents groupes de travail ont été suscités
par la direction pour actualiser le projet, mettre en œuvre les obligations de la loi du 2 janvier
41
LIAROUTZOS Olivier, in Formation Santé Social, n°53, décembre 2002, p. 10.
43
2002. La relation de l’établissement avec les usagers est marquée par une plus grande
proximité et une plus grande participation des familles dans la mise en place et le suivi du
projet de leurs enfants.
Les réserves manifestées par les professionnels de l’IME lors de l’ouverture du SESSAD
s’atténuent ; les rapports entre les deux entités prennent une nouvelle tournure. Les échanges
entre les deux équipes sont plus fréquents et les salariés du SESSAD participent à des réunions
au sein de l’IME. Inversement l’implantation du SESSAD au centre de Reims est utilisée par les
salariés de l’IME pour recevoir les familles. Cette meilleure coopération est propice au partage
d’idées sur les projets des jeunes et les modes d’accompagnement. Pour certains enfants une
continuité d’accompagnement s’instaure entre les deux structures. Habituées avec le SESSAD à
jouer un rôle important dans l’accompagnement de leur enfant, les familles reproduisent ce
mode de communication avec l’IME.
Après avoir repéré l’émergence de nouveaux modes d’intervention sociale au
SESSAD
« le soleil levant », nous avons constaté une évolution comparable dans le fonctionnement de
l’IME de Ville-en-Selve. Ces constats réalisés dans un contexte spécifique orientent notre
questionnement sur l’innovation que pourrait impulser le
SESSAD
en faveur de l’IME. Notre
étude va tenter de répondre à la question suivante :
En quoi le SESSAD est-il facteur d’innovation pour l’IME ?
Arrivée à cette étape de notre recherche, nous allons procéder à la proposition d’une
hypothèse de travail qui sera le fil conducteur nous permettant de nous orienter et sélectionner
les données pertinentes. Comme l’indiquent Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT :
« L’organisation d’une recherche autour d’hypothèses de travail constitue le meilleur
moyen de la mener avec ordre et rigueur sans sacrifier pour autant l’esprit de
découverte et de curiosité propre à tout effort intellectuel digne de ce nom ».42
Dès maintenant, nous percevons que l’approfondissement de notre questionnement
nécessitera un éclairage théorique de la notion d’innovation et de sa traduction dans les
42
QUIVY, Raymond, VAN CAMPENHOUDT, Luc, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 2e
édition entièrement revue et augmentée, 1995, p 117.
44
pratiques professionnelles mises en évidence au
SESSAD
« le soleil levant ». Ce concept
appliqué au secteur social nous aidera à rendre compte de la dynamique complexe, et au
premier regard peu lisible, née du redéploiement de l’IME et de l’ouverture d’un
SESSAD.
Notre démarche vise à donner du sens, des repères et une position d’acteur aux usagers et aux
professionnels impliqués dans ce mouvement.
45
2. DEUXIEME PARTIE- LE SESSAD : FACTEUR
D’INNOVATION POUR L’IME
46
« L’investigation doit favoriser l’émergence des données concrètes, et, à ce titre, doit
être assez souple pour recueillir des documents bruts (notations d’événements,
enregistrement de discussions, entretiens dirigés au minimum). Elle doit saisir les
diverses dimensions du phénomène étudié, et faire appel à différentes voies
d’approche ».43
Le SESSAD : Facteur d’innovation pour l’IME.
Dans cette seconde partie, nous allons construire un modèle d’analyse pour faciliter le
cheminement de notre recherche. Nous énoncerons plusieurs hypothèses de recherche et
retiendrons la plus plausible. L’étude du concept d’innovation puis l’exploration de la notion
de travail en réseau et partenariat serviront de support théorique à notre raisonnement.
L’hypothèse retenue nous permettra d’articuler cette réflexion théorique avec les données du
terrain. Enfin, nous présenterons les outils méthodologiques pour collecter les données
pertinentes et vérifier la validité de l’hypothèse.
2.1.
Construction d’une hypothèse de recherche
Nous avons noté que les innovations avaient d’abord caractérisé le SESSAD avant d’être
repérées plus tard dans le fonctionnement de l’IME de Ville-en-Selve. Ce décalage temporaire
dans l’apparition de ces nouvelles pratiques professionnelles entre les deux structures médico
sociales suggère une influence du fonctionnement du SESSAD sur celui de l’IME. La conscience
de ce lien se relève également dans les propos des professionnels. Un cadre de l’établissement
déclare ainsi lors d’une réunion institutionnelle : « le SESSAD est la locomotive de l’IME ».
43
MORIN, Edgar, Sociologie, Edition revue et augmentée par l’auteur, Paris, Edition Fayard, Seuil, Collection
Points Essais, 1994, p. 217.
47
Avant de parvenir à la formulation d’une hypothèse, nous avons analysé différents
facteurs pouvant donner un éclairage à la question principale. Parmi ces facteurs nous avons
choisi des facteurs exogènes au dispositif institutionnel et des caractéristiques de son
fonctionnement interne :
Dans l’environnement de l’IME et du
SESSAD,
les nouvelles attitudes et positions
adoptées par les usagers et leurs familles se sont modifiées ces dernières années. De manière
de plus en plus explicite, les médias témoignent de leurs revendications ; ces personnes
handicapées expriment une vision critique de la place qui leur est actuellement assignée par la
société. Jean-Luc SIMON, président d’une association d’usagers et chargé en 2003 de la
coordination de l’Année Européenne des personnes handicapées, illustre cette évolution des
mentalités en déclarant :
« En toute dignité et compétents pour exprimer nos besoins, nous, personnes
handicapées, tissons donc des réseaux de soutien mutuel pour renforcer notre
influence et améliorer les conditions d’accès à une vie digne et librement choisie. Les
cadres de notre insertion sont depuis longtemps pensés par d’autres, les choix qui
décident de nos cadres de vie nous isolent et la volonté d’intégration exprimée par la
société n’aboutit pas, ou pas assez. »44
↪ Une première hypothèse pourrait s’inspirer de cette posture des usagers et de leurs
familles, le SESSAD serait un relais de leur parole. Les attentes de ces usagers seraient portées
jusqu’à l’IME, le conduisant à innover dans ses pratiques.
De par ses missions le
SESSAD
a développé dès son ouverture des relations
fréquentes avec les services de l’Education Nationale, ceci à différents niveaux : enseignants
et directeurs d’école, auxiliaires, psychologues scolaires, secrétaires
CCPE
inspecteurs. Cette « familiarisation » avec l’institution scolaire a permis au
ou
CCSD,
SESSAD
de
communiquer des informations sur les dispositifs d’intégration à l’IME, facilitant leur
utilisation. Dans cette optique le
44
SESSAD
a pris l’initiative d’une réunion d’échanges où un
SIMON, Jean-Luc, « Le mouvement international des personnes handicapées », Prévenir, n°39, 2000, pp.239244, In Problèmes politiques et sociaux, Personnes handicapées et situations de handicap, La Documentation
Française, n°892, septembre 2003.
48
représentant de l’Education Nationale - secrétaire CCSD- présenta ces dispositifs à une équipe
venue de l’IME.
↪ Une seconde hypothèse investirait le
SESSAD
d’une sensibilisation de l’équipe de l’IME à
« l’ingénierie » de l’intégration scolaire qui renvoie à l’articulation d’informations, de
stratégies et de savoir-faire.
Les interventions de proximité proposées par le
SESSAD
à ses usagers, s’inscrivent
dans une tendance « lourde » de l’évolution du travail social. Cette tendance accompagne le
mouvement de décentralisation de l’organisation administrative et la mise en place de
politiques sociales territorialisées. Jacques ION a montré l’ampleur de ce phénomène
d’investissement du territoire ; c’est devenu un nouveau modèle d’intervention sociale :
« La notion de territoire implique précisément que l’espace retenu présente des
caractéristiques sociologiques qui soient constitutives de son unité. Cette définition est
donc présentée comme fondatrice d’un découpage plus pertinent que ceux
habituellement en vigueur, supposés inadéquats au traitement du problème considéré.
En ce sens, ces territoires sont aussi des espaces d’action créés pour des interventions
spécifiques.
Suscités par l’Etat, contrôlés par les élus locaux, impliquant le concours de multiples
institutions et professionnels sur des territoires ad hoc, tels sont en résumé les
principes distinctifs de tous ces nouveaux dispositifs progressivement mis en œuvre
depuis une décennie. »45
Le
SESSAD
installé à Reims peut être perçu comme un « poste avancé » de l’IME, dans une
tentative de se rapprocher de ses usagers qui vivent sur ce territoire. Nous avons vu qu’il sert
parfois de bureau d’accueil des familles pour l’équipe de l’IME.
↪ Dans cette troisième hypothèse, le SESSAD aurait permis un désenclavement de l’IME, lui
permettant d’investir un nouveau territoire plus proche de l’usager.
Après l’étude de ces facteurs exogènes, nous traiterons maintenant de facteurs endogènes à
l’organisation SESSAD / IME :
45
ION, Jacques, Le travail social à l’épreuve du territoire, Paris, Dunod, 2000, p.41.
49
Le changement apporté par l’ouverture du
SESSAD
modifie les relations de travail
entre les salariés. Michel CROZIER signale que la rupture de cet équilibre entraîne une
transformation des relations de pouvoir.
↪ Dans une quatrième hypothèse, nous pouvons nous interroger sur une éventuelle « prise
de pouvoir » de l’équipe du SESSAD qui de ce fait aurait imposé ses normes de travail à l’ IME.
Une variante de l’hypothèse précédente pourrait être que l’équipe de direction
décrète que les pratiques professionnelles du SESSAD sont un modèle à suivre.
↪ Dans cette cinquième hypothèse, l’adoption de ces pratiques par les membres de l’IME est
encouragée par la direction.
Ces hypothèses, compte tenu de l’évolution du travail social et de ses institutions,
donnent une réponse acceptable à la question de recherche. Cependant chacune d’entre elles
ne livre qu’une facette d’un phénomène qui paraît plus global. D’autre part, dans le contexte
des changements constatés à l’IME, elles mêlent des résultats de l’innovation et des logiques
d’action conduisant à ces résultats. Cette superposition de modèles heuristiques peut
introduire une certaine confusion. Il reste cependant vraisemblable que les interactions des
familles, de l’Education Nationale et de l’IME entretiennent, voire accélèrent un processus
d’évolution où intervient également le jeu des acteurs de l’organisation. Notre recherche porte
sur les processus à l’œuvre dans les rapports entre le SESSAD et l’IME. Il s’agit bien d’éclairer
ce mouvement en repérant sa structure, sa dynamique. En revanche, ce n’est pas une étude du
changement, au sens de la mesure du chemin parcouru entre deux états stables.
Nos observations à l’IME ont particulièrement mis en évidence l’apparition du travail
en réseau et l’implication croissante de partenaires multiples. Ces deux aspects de l’activité
professionnelle rompent avec l’histoire des institutions sociales au fonctionnement
autocentré ; institutions souvent détachées de leur environnement. Cette situation
institutionnelle est particulièrement illustrée par l’IME de Ville-en-Selve, édifié il y a presque
30 ans, à l’écart de la ville, en pleine forêt. Nous avons choisi de poursuivre notre recherche
en nous appuyant sur cette nouvelle pratique professionnelle repérée au SESSAD puis à l’IME :
le travail en réseau et partenariat. Cet angle de travail pour appréhender le processus
d’innovation impliquant le
SESSAD
et l’IME, nous permettra de formuler une hypothèse plus
structurelle afin de rendre compte de la complexité des phénomènes observés.
50
Nous retenons donc l’hypothèse de recherche suivante :
Le
SESSAD
est facteur d’innovation en diffusant de nouvelles pratiques,
notamment le travail en réseau et partenariat.
Le « démontage » de la pratique du travail en réseau et partenariat s’avère maintenant
nécessaire afin de mieux comprendre la diffusion de ces pratiques et les logiques qu’elles
sous-tendent. Avant nous effectuerons une approche théorique du concept d’innovation, au
centre de notre questionnement. Nous tenterons de repérer les articulations possibles entre le
concept d’innovation et celui de travail en réseau. Nous définirons les principales dimensions
prises par ces concepts dans le champ de l’action sociale et médico sociale. Ce parcours
réflexif nous conduira à la dernière étape du modèle d’analyse avec l’identification de
variables permettant de vérifier l’hypothèse de recherche.
51
2.2.
Approche conceptuelle.
2.2.1. Le concept d’innovation dans les organisations.
Avant d’examiner la question de l’innovation dans le cadre de la sociologie des
organisations, revenons sur les différentes étapes qui ont marqué la définition de ce concept.
Le dictionnaire de sociologie coordonné par Raymond BOUDON46 indique que le terme
innovation a pris dans la sociologie contemporaine un sens assez large. Il le définit comme
une transformation qui résulte de l’initiative d’un ou plusieurs individus et qui affecte, selon
les cas, l’économie, la politique, la science ou encore la culture.
Il signale cinq connotations du terme « innovation » :
1)
Il existe une disproportion entre la cause de l’innovation et l’effet, ce dernier prenant une
ampleur imprévue.
2)
L’impact de l’innovation est considéré comme globalement bénéfique et contribue à un
progrès.
3)
L’innovation comporte plusieurs facettes, se distinguant ainsi des expressions « inventions »
et « découvertes » qui concernent essentiellement les aspects scientifiques et techniques.
4)
Par son impact l’innovation se situe entre l’amélioration (changement mineur) et la mutation
(changement majeur).
5)
L’innovation n’existe que lorsqu’elle commence à être acceptée et imitée.
Ce terme d’innovation a d’abord été utilisé à la fin du 19e siècle par les auteurs s’interrogeant
sur les notions de progrès et de crises sociales. Gabriel TARDE, philosophe et sociologue dans
son ouvrage « Les lois de l’imitation »47 voit l’innovation comme le produit des inventions et
des imitations. Pour cet auteur l’évolution de la société résulte de cette combinaison :
« Tout n’est socialement qu’inventions et imitations »48
46
BOUDON R., BESNARD P., CHERKAOUI M., LECUYER B-P., Dictionnaire de sociologie, Larousse, 2003.
TARDE, Gabriel, Les lois de l’imitation, Editions du Seuil, Collection Les Empêcheurs de penser en rond,
2001.
48
TARDE, Gabriel, Op. Cit., p.63.
47
52
Les travaux de Joseph Alois SCHUMPETER49 (1883,1950), économiste du début du 20e
siècle, approfondissent le concept d’innovation qu’il distingue également de celui d’invention.
Cet intellectuel né en Moravie vécu les grands bouleversements touchant l’empire austrohongrois après la première guerre mondiale. Il s’est intéressé aux causes des changements
économiques et il a proposé une grille de lecture du processus d’innovation. Il repère
différentes sources de ce processus dans le contexte et la conduite des acteurs économiques
(entrepreneurs, consommateurs). L’idée centrale de SCHUMPETER est que « l’innovation est
une destruction créatrice »50, c’est-à-dire que le mouvement d’innovation repose sur le
développement simultané de forces de destruction et de création.
En fait l’innovation remet en cause les positions sociales de chacun, sa place, son statut, son
identité professionnelle, la légitimité de ses pratiques. Elle favorise la création de nouveaux
liens sociaux et fait émerger de nouveaux acteurs. L’innovation s’oppose à la stabilité et elle
se caractérise par le mouvement. Elle donne une nouvelle vision du monde. En cela elle crée
un sentiment d’insécurité et fait naître chez les acteurs l’incertitude des lendemains et le
doute.
A partir de 1980, Michel CALLON et Bruno LATOUR introduisent le concept
d’innovation au centre de leur approche sociologique. S’appuyant sur l’Ecole des Mines de
Paris, ils créent le Centre de sociologie de l’innovation (CSI) et développent une sociologie
des sciences et des techniques. Leur approche les a progressivement conduit à un
renouvellement de l’analyse des innovations. Ces auteurs montrent que le développement des
organisations réside dans leur capacité à innover.
Fruit de leur travail théorique, la notion de traduction rend compte des conditions de
production et de circulation des innovations scientifiques et techniques. Ils montrent que les
innovations s’élaborent en transgressant les frontières habituelles des organisations instituées.
Michel CALLON illustre ce processus d’innovation dans l’exemple devenu classique qui traite
de la domestication des coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc51. Pour enrayer la
disparition de la coquille Saint-Jacques, le Centre National des océans tente de diffuser une
technique japonaise d’élevage, qui peut susciter un rejet des marins-pêcheurs traditionnels. Le
49
SCHUMPETER, Joseph, Théorie de l’évolution économique Recherches sur le profit, le crédit, l’intérêt et le
cycle de la conjonctureIn Sciences Humaines, août-septembre 2001, n°119 bis, p.15.
50
ALTER, Norbert, La gestion du désordre en entreprise, Editions L’Harmattan, Collection Logiques sociales,
1999, p.II
51
CALLON, Michel, LASCOUMES, Pierre, BARTHE, Yannick, Agir dans un monde incertain, Paris, Editions du
Seuil, 2001, p.75
53
succès de ce programme résulta de l’association de multiples acteurs différents : les
scientifiques, les marins-pêcheurs, les pouvoirs publics et également de l’adéquation de la
technique d’élevage aux coquilles Saint-Jacques. La production de la connaissance des
coquilles Saint-Jacques et la performance du programme de recherche sont, en réalité, liées
aux capacités de mobilisation et de coopération de toutes ces catégories d’acteurs.
Selon CALLON, pour mobiliser les acteurs, les chercheurs vont opérer une série de traductions.
Elles consistent à déplacer les logiques d’actions initiales des acteurs et à redéfinir leur rôle.
Ce déplacement est rendu possible par l’élaboration de référentiels communs qui permettent
aux différents points de vue d’être compréhensibles et acceptables pour tous. Ces chaînes de
traduction s’opèrent dans le cadre d’un réseau sociotechnique définit comme un ensemble de
cheminement entre les acteurs humains et non humains qui se trouvent interreliés. Le concept
de réseau sociotechnique indique que la production des innovations nécessite une extension
considérable des relations et des associations indispensables de catégories d’acteurs aux
rationalités différentes.
Ce qu’il faut retenir c’est que le concept de réseau sociotechnique de CALLON et
LATOUR permet de repenser la question des innovations en milieu organisationnel, en mettant
fortement en évidence l’importance de l’hétérogénéité des acteurs nécessaires à la production
d’innovations.52 Prenant l’exemple de l’innovation dans les politiques sociales, Jérôme
MINONZIO, conseiller technique à la CNAF53, insiste sur la contribution des chercheurs en
sciences sociales mais également d’une pluralité d’acteurs :
«… commanditaires, responsables politiques et administratifs, militants, médias… »54
Il souligne l’importance des lieux de rencontres et d’échanges où ces différents acteurs
peuvent délibérer de leurs points de vue. Ces échanges s’opèrent dans le cadre de réseaux, le
plus souvent informels, qui offrent la possibilité de forums que Michel CALLON qualifie
d’ « hybrides »55 en raison de l’hétérogénéité des participants engagés et des questions
abordées.
52
PLANE, Jean-Michel., Théorie des organisations, Paris, Dunod, 2e édition, 2003.
CNAF : Caisse nationale des allocations familiales.
54
Informations sociales, Le destin des innovations, n°116, mai 2004, Article Recherche et innovation dans les
politiques sociales de Jérôme MINONZIO, p.10.
55
CALLON, Michel, LASCOUMES, Pierre, BARTHE, Yannick, Agir dans un monde incertain, Paris, Editions du
Seuil, 2001, p.36.
53
54
Paru en 2000, l’ouvrage de Norbert ALTER, « L’innovation ordinaire » approfondit la
question de l’innovation dans les entreprises. Pour ce sociologue,
« L’innovation est toujours une histoire, celle d’un processus. Il permet de
transformer une découverte, qu’elle concerne une technique, un produit ou une
conception des rapports sociaux, en de nouvelles pratiques ».56
Il souligne la difficulté du passage de l’invention à l’innovation en insistant sur l’importance
des facteurs contextuels, sociologiques, culturels et économiques, qui accélèrent la diffusion
de l’innovation ou la freine. Avec l’innovation les acteurs trouvent un sens à l’invention et lui
découvrent des usages. L’innovation se heurte aux habitudes et bouscule les rapports instaurés
entre les acteurs. Elle introduit ce qu’ALTER appelle du « désordre dans l’entreprise » :
« Le caractère désordonné de l’entreprise est le résultat d’un rapport de force entre
les tenants de l’innovation et ceux de l’institution ».57
Il faut du temps à l’innovation pour se diffuser, elle se développe en fonction de
l’intérêt qu’elle représente pour les différents acteurs. Elle est d’autant plus investie qu’elle se
traduit par des pratiques concrètes adaptées à un système social, elle a une valeur d’usage.
Norbert ALTER distingue différentes séquences dans le processus de l’innovation, la première
étape est lancée par des pionniers qui adoptent des stratégies nouvelles. Dans un second
temps, leur réussite suscite l’imitation, c’est le début de la diffusion qui bouleverse les
habitudes et soulève des réactions. Enfin une stabilisation de la nouvelle situation s’opère
avec l’instauration de « nouvelles règles du jeu ». En résumé à une phase d’expérimentation
succède une phase d’imitation et d’essaimage, puis une phase d’institutionnalisation.
D’autres auteurs ont distingué ces séquences de l’innovation de manière différente,
notamment en attribuant des intentions stratégiques aux promoteurs de l’innovation. Par
exemple, Michel CALLON montre que les chercheurs travaillant sur l’élevage des coquilles
Saint-Jacques, cité plus haut, cherchent à rendre indispensable le traitement de leur offre par
les autres acteurs puis à les intéresser aux solutions préconisées. Cependant pour Norbert
56
ALTER, Norbert, L’innovation ordinaire, Paris, Editions PUF, Collection Quadrige, 2003, p.7
ALTER, Norbert, La gestion du désordre en entreprise, Editions L’Harmattan, Collection Logiques sociales,
1999, p.79.
57
55
ALTER, ce découpage en séquence de la diffusion de l’innovation est surtout intéressant en ce
qu’il se caractérise par un phénomène collectif qui doit être analysé sociologiquement pour
être compris. Pour cet auteur :
« Les individus ne disposent pas en effet de la même liberté pour « choisir » d’adopter
ou de refuser l’innovation au début et à la fin du déroulement du processus. Car les
effets de normes contraignent progressivement toujours plus ceux qui au départ,
refusaient la nouveauté. »58
La diffusion de l’innovation repose également sous une forme de relation sociale spécifique :
les réseaux. L’adoption d’une innovation par un acteur est liée à son degré d’appartenance aux
réseaux sociaux où circule cette innovation. A l’intérieur de ces réseaux sociaux, certains
individus « pionniers » accélèrent la propagation des innovations. Ces pionniers ou
innovateurs n’hésitent pas à contrevenir aux normes dominantes pour prôner l’innovation.
L’innovation présente donc un aspect conflictuel avec l’ordre établi, mais les acteurs de
l’innovation ont la particularité de composer avec les institutions. Ainsi ils surmontent
différents types de résistances et de difficultés, par exemple le manque de modèles connus
pour se repérer ou les oppositions des autres membres de l’organisation. En fait les
innovateurs ne sont pas forcément en opposition radicale avec le système social avec lequel
ils évoluent mais ils ont une position critique et assurent sa transformation.
« L’innovation contient toujours une part de rupture avec le passé et les traditions.
Elle ne s’inscrit pas de manière linéaire dans le temps, elle le bouscule avant de s’en
emparer. Elle représente la destruction des formes antérieures de la vie sociale et la
création de nouvelles ».59
Néanmoins il existe une dialectique constante entre innovation et institution, dans un
premier temps l’innovation est toujours une transgression des règles. L’innovateur se trouve
provisoirement dans une position de déviance et prend des risques sociaux. La volonté des
entreprises de maîtriser les incertitudes de leur environnement les conduit à investir dans des
politiques d’innovation. Ces innovations sont censées introduire de nouveaux regards, de
nouvelles logiques pour appréhender la réalité. La notion d’innovation est aussi investie
58
59
ALTER, Norbert, L’innovation ordinaire, Paris, Editions PUF, Collection Quadrige, 2003, p.17, 18.
ALTER, Norbert, Op. cit. p 39
56
comme une croyance. Selon Norbert ALTER « L’innovation suppose ainsi de croire ».60
Relevant à la fois de la croyance et de la transgression des règles et des normes, l’innovation
s’oppose par ces deux aspects à l’organisation et la rationalisation du travail. Ce sociologue
distingue l’« innovation ordinaire » de celle instituée dans les services de recherche et de
développement des grandes entreprises. Ces services spécialisés ne font que prolonger les
logiques inhérentes à l’entreprise. En fait l’innovation peut résulter de n’importe quel salarié
de l’entreprise.
Pour résumer le développement de l’innovation, Norbert ALTER propose les six dimensions
suivantes :
1)
L’innovation est un processus et s’inscrit dans la durée.
2)
Ce processus d’innovation comprend plusieurs séquences.
3)
L’innovation remet en cause l’ordre établi, et crée du désordre.
4)
L’activité d’innovation ne se décrète pas, et l’innovateur peut être n’importe quel agent
de l’entreprise.
5)
L’action innovatrice suppose des « croyances » et une volonté de reconnaissance
sociale.
6)
La diffusion de l’innovation est une démarche collective, étayée par des « croyances
partagées ».
Selon cet auteur le processus d’innovation se traduit au quotidien dans la créativité
dont font preuve les salariés pour résoudre les problèmes multiples que leur posent les
incertitudes inhérentes au processus de travail et à l’organisation. Ces incertitudes sont
amplifiées par un environnement social traversé par des changements rapides. Cette capacité à
innover s’observe dans les organisations où les échanges informels sont nombreux ; l’échange
social devient une compétence. Les innovations se développent dans le travail « réel » des
salariés car le travail « prescrit » par les procédures ne parvient pas à résoudre les problèmes
auxquels ils sont confrontés. En fait l’innovation se heurte à l’ordre organisationnel pour le
transformer. Les « innovateurs » s’opposent au pouvoir en place et développent différentes
stratégies, par exemple ils rendent plus ou moins visibles cette utilisation de l’innovation.
60
ALTER, Norbert, Op. cit. p.35
57
Après avoir agi dans la discrétion, ils communiquent leurs pratiques innovantes lorsqu’elles
se révèlent des initiatives réussies. Ils font preuve de déviance en transgressant les normes.
Le plus souvent l’innovation surgit lorsque les réponses existantes sont inefficaces
pour répondre aux besoins. C’est le moment choisi par des acteurs pour introduire une
nouvelle solution plus pertinente. Pour cela ils s’appuient sur un réseau d’alliés qui partagent
la même conviction et défendent les mêmes intérêts. Cette minorité agissante tente de
légitimer cette innovation après l’avoir répandu et promu dans l’entreprise. Pour Norbert
ALTER le rôle des dirigeants de l’entreprise est d’arbitrer, en fonction des besoins et des
enjeux, entre la logique de l’innovation et celle des règles de l’organisation. Tour à tour les
dirigeants peuvent inciter à l’innovation, laisser faire sa diffusion pour faciliter l’appropriation
par les salariés, puis intégrer cette innovation dans les nouvelles règles de fonctionnement de
l’entreprise. Les dirigeants jouent parfois de la concurrence qui existe entre les partisans de la
règle et ceux de l’innovation. Il existe donc deux logiques qui se confrontent, celles de
l’instituant et de l’institué. L’entreprise est toujours en mouvement et n’a pas d’organisation
stable, elle s’ajuste en fonction des régulations adaptées aux situations. La phase
d’institutionnalisation qui correspond à la reconnaissance de l’innovation représente
« une activité de reprise en main des dirigeants par rapport aux zones d’autonomie
et d’influence conquises par les acteurs de l’innovation»61.
Cette institutionnalisation valide un apprentissage collectif et instaure des règles et ainsi une
forme de sécurité. En effet la logique de l’innovation, en remettant les règles en cause, produit
une forme d’anxiété dans l’entreprise. Les tenants de l’innovation risquent des sanctions et
des réprobations sociales, les autres salariés en position de « suiveurs », hésitent à s’engager.
Norbert ALTER distingue enfin l’innovation de ce qu’il appelle « les inventions
dogmatiques ». Ces dernières sont des changements imposés par le « haut ». Venus de
l’extérieur, des règles, « des dogmes » sont introduits par les dirigeants dans l’entreprise ; ils
produisent une rupture qui remet en cause le fonctionnement habituel. A la différence de
l’innovation dont ils sont les auteurs, les salariés n’investissent pas spontanément ces
inventions dogmatiques, et parfois ils cherchent à les contourner.
61
ALTER, Norbert, Op. cit. p. 79.
58
Cette approche théorique du concept d’innovation donne un relief particulier à la
notion de réseau et à la mobilisation des acteurs. C’est à partir de cet angle de vue que nous
allons nous focaliser sur la définition du travail en réseau.
2.2.2. Le travail en réseau.
La connotation positive du terme réseau ne date que d’une époque récente, jadis il était
prioritairement utilisé pour qualifier des groupements clandestins qui agissaient à la marge
des règles, par exemple la mafia. Puis on a parlé du réseau familial en évoquant l’individu, sa
famille et ses amis, ses relations personnalisées. Cela a débouché sur les études de sociabilité.
Comme nous l’avons vu en traitant le concept d’innovation, ce sont les travaux de
Michel CALLON et Bruno LATOUR qui firent évoluer la signification sociologique de cette
notion de réseau. Pour certains auteurs contemporains, notre société est devenue une société
en réseaux. De la sorte, Manuel CASTELLS62, opérant des analogies entre les réseaux
informatiques et les réseaux sociaux, explique que ces réseaux constituent désormais le
principe fondamental d’organisation de la vie sociale et notamment des rapports de pouvoir et
de domination.
Le réseau peut être présenté comme un espace de collaboration entre des acteurs
hétérogènes. Il se caractérise par la labilité des relations entre ces différents acteurs. Il y a
disparition du réseau si les liens ne sont pas entretenus et activés, de fait il est fondé sur la
confiance et la régularité des contacts. Il a une durée limitée, celle induite par le projet partagé
par les acteurs. Dans un réseau, les relations qu’entretiennent les différents membres ont un
caractère égalitaire et non hiérarchique. Il y a rejet des modes d’organisation centralisée et
valorisation du changement permanent. La coordination des acteurs, impliqués dans un projet
complexe, est permise par le travail en réseau qui peut prendre des formes très souples. Il
permet de mobiliser des acteurs très nombreux et différents autour d’un même objectif. Le
travail en réseau requiert des compétences spécifiques chez ses membres, notamment la
capacité de susciter la confiance propice à la communication. Luc BOLTANSKI et Eve
CHIAPELLO cités par Lilian MATHIEU, montrent que la figure du manager, mobile et créatif,
remplace celle du cadre traditionnellement référencé à la hiérarchie.
62
CASTELLS, Manuel, « La société en réseau », Paris, Editions Fayard, 1998.
59
« Le manager est l’homme des réseaux. Il a pour qualité première sa mobilité, sa
capacité à se déplacer sans se laisser arrêter par les frontières –qu’elles soient
géographiques ou qu’elles dérivent des appartenances professionnelles
ou
culturelles-, par les écarts hiérarchiques, par les différences de statut, de rôle,
d’origine, de groupe, et à établir un contact personnel avec d’autres acteurs, souvent
très éloignés socialement ou spatialement ».63
Au total il y a une proximité entre les concepts de réseau et de flexibilité, d’autonomie,
de créativité et de mobilité. En alliant des acteurs multiples, le travail en réseau permet
d’enrichir l’analyse des situations car il y a alternance entre une vision globale et une
implication de proximité ; il suscite des points de vue diversifiés sur un même sujet, les
confronte dans le cadre d’échanges et fait naître de nouvelles interprétations, solutions. Le
réseau permet de décloisonner les frontières habituelles des institutions et modifie les rapports
au temps et à l’espace.
2.2.3. L’innovation, le travail en réseau et le partenariat dans le
secteur sanitaire et social.
En mars 2000, à Poitiers, la Fédération nationale des associations d’accueil et de
réinsertion sociale (FNARS) et l’Association nationale des assistants de service social
(ANAS) organisent un forum « Les défis de l’innovation sociale », cette initiative illustre
l’intérêt grandissant des acteurs du service social, pour cette notion d’innovation. Ces
associations ont confié à Dominique LALLEMAND64, journaliste spécialisée, la mission de
développer dans un ouvrage les différents points de vue exprimés lors du forum par des
intervenants venant d’horizons très divers. Les participants du forum ont d’abord rappelé que
l’innovation relève d’une construction sociale et pour le sociologue François ABALLEA65 :
« Définir quelque chose comme innovant, c’est toujours porter un jugement ; c’est
donc une activité partiellement subjective ».
63
BOLTANSKI, Luc, CHIAPELLO, Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999,p. 123, In Les
Cahiers de l’Actif, dossier Travail en réseau et territoires d’action, mai, juin 2003, n°324/325,
64
ANAS-FNARS en collaboration avec D. LALLEMAND, Les défis de l’innovation sociale, Collection Actions
sociales/Société, ESF éditeur, 2001.
65
ANAS-FNARS en collaboration avec D. LALLEMAND, Op. cit. p.24.
60
La question de la mise en sens de l’innovation est donc centrale. Dans le secteur
social, le sens de cette innovation s’inscrit dans un contexte et un territoire. Nous verrons par
la suite que les réseaux d’intervention sociale sont également associés à ce territoire.
Le point de départ de l’innovation sociale est souvent un manque, un dysfonctionnement, un
besoin non satisfait qui suscite une volonté de réponse. Ce qui a caractérisé l’innovation
sociale ces dernières années, c’est le souci de placer l’usager au cœur de l’action. Les
politiques sociales ont alimenté cette aspiration, elles cherchent à engager les usagers dans
une appropriation du pouvoir (l’empowerment) et les encouragent à prendre « leur destin en
mains » ; c’était la volonté affichée par la loi sur le RMI66, celle sur la lutte contre les
exclusions, plus récemment celle concernant la rénovation de l’action sociale. Ces législations
valorisent les droits de l’usager en rappelant leur citoyenneté. L’innovation sociale est
impulsée par un collectif d’acteurs, car celle-ci ne peut pas s’imposer à partir d’une initiative
isolée, Dominique LALLEMAND rappelle que
« la plupart du temps les porteurs de projets travaillent en réseaux et font appel à des
partenaires diversifiés »67.
En fonction des projets, ces partenariats sont plus ou moins stables et de nouveaux
acteurs s’impliquent. Les innovateurs, pris dans une dynamique collective, présentent la
particularité d’être habités par des convictions fortes et un désir d’engagement. Sans cette
croyance dans le bienfait de l’innovation, les acteurs ne s’investiraient pas suffisamment et ne
prendraient pas le risque qu’exige le lancement du processus. Ces « pionniers » sont
persévérants car la diffusion d’une innovation s’inscrit dans la durée. Des formes de
résistance freinent les efforts des innovateurs et parfois ceux-ci risquent de perdre leurs
crédibilités professionnelles. Pour s’engager dans cette démarche d’innovation sociale, les
acteurs passent par une critique de l’existant y compris de leurs habitudes. C’est en se
décentrant de leurs pratiques habituelles et en rencontrant des partenaires nouveaux qu’ils
s’engagent dans une logique d’innovation.
Le secteur social et médico social présente une particularité qui pourrait être propice à
l’innovation : la place importante prise par le secteur associatif. La souplesse de l’organisation
« association », ses luttes, en font un espace d’expérimentation idéal. L’innovation sociale a
66
67
RMI: Revenu minimum d’insertion
ANAS-FNARS en collaboration avec D. LALLEMAND, Ibid. note 65, p.47
61
été évoquée dans le secteur social comme une tentative de décloisonner des secteurs
spécialisés, et de mieux coordonner les actions au service des usagers. En introduisant de la
transversalité, cette démarche a permis une approche plus globale des besoins de l’usager ;
parmi les nouveaux dispositifs, le travail en réseau s’est développé.
Examinons plus précisément ce dispositif dans le secteur social et médico social. Dans
l’usage professionnel on distingue la notion de réseau primaire de celle de réseau secondaire,
le premier correspond à la sphère familiale, le second aux liens entre les intervenants sociaux :
Schéma selon Yann ROLLIER, directeur du CREAI de Bretagne68
Distinction
entre
Le réseau primaire
sphère familiale, amicale
cela concerne :
définitions :
Le réseau secondaire
intervention sociale
Les parents, amis, relations
de travail, relations de
loisirs…
L’ensemble des professionnels
concernés par une même
intervention autour d’une
personne
catégorie : réseau
catégorie : réseau de référence,
d’appartenance
de communication
Le réseau primaire est un
Le réseau secondaire est un
système de liens relationnels
système de liens professionnels…
à propos et autour d’une ou
à propos et autour d’une ou
plusieurs personnes.
plusieurs personnes.
Dans le secteur social, Philippe DUMOULIN69 distingue cinq utilisations différentes du réseau :
↪ Le plus courant qu’il dénomme le pairage ; par la technique du relais, de la médiation,
le travailleur social oriente l’usager vers une ressource adéquate à ses besoins.
68
69
Les Cahiers de l’Actif, dossier Travail en réseau et territoires d’action, mai, juin 2003, n°324/325, p.35.
DUMOULIN P, DUMONT R, BROSS N, MASCLET G, Travailler en réseau, Paris, Dunod, 2003.
62
↪ L’intervention de réseau correspond à une autre dimension, elle vise à développer
l’autonomie des personnes confrontées à un problème particulier et soutient son réseau
primaire -la famille, les proches- de cette manière elle rend possible la prise en charge du
problème par la personne concernée et son entourage.
↪ La mise en réseau de groupes d’aide réciproque représente un troisième niveau. Il
s’agit d’instaurer du partage et de la réciprocité dans un collectif. Ce développement du
lien social permet davantage de solidarité entre les personnes.
↪ L’organisation en réseau évoque de nouveaux modes de coopération au sein des
services et établissements médico-sociaux. Le but recherché est de créer des synergies
nouvelles et de mobiliser les équipes sur des projets ciblés, au-delà des structures
hiérarchiques. Ces formes d’organisations transversales prennent des intitulés variés tels
que : groupe à projets, structure matricielle.
↪ D’apparition plus récente, une utilisation en expansion correspond au réseau de
professionnels ou d’institutions. Le travail consiste à créer un réseau secondaire -entre
professionnels- pour résoudre ensemble un problème commun posé par/à l’usager. Ce
dispositif est recommandé par la loi de rénovation sociale du 2 janvier 2002.
Le même auteur met toutefois en garde contre plusieurs dérives possibles du travail en réseau.
↪ Le risque d’un contrôle social abusif sur l’usager résultant d’une diffusion mal
maîtrisée des informations le concernant.
↪ Le second risque est celui de la sélectivité au sein même du réseau, qui par souci
identitaire trop marqué se ferme à l’apport de nouveaux membres.
↪ Le troisième risque découle du précédent : celui de la personnalisation. Le
fonctionnement s’appuie en vase clos entre les membres du réseau. Le départ d’un ou de
plusieurs membres met fin au réseau.
↪ Le quatrième risque est constitué par la stratégie de colonisation du réseau que peut
mettre en œuvre, soit une institution ou l’un de ses membres, en aboutissant à sa
confiscation. Le réseau est instrumenté en fonction des intérêts de cette institution.
↪ Le dernier risque résulterait d’une conflictualité entre le réseau primaire et le réseau
instauré par les professionnels, se traduisant paradoxalement par l’affaiblissement du
premier.
63
Globalement ce travail en réseau s’oppose à la spécialisation. Le contexte local influence
beaucoup la structuration du réseau dans le secteur sanitaire et social, il se réfère toujours à un
territoire d’action. Sur ce territoire, il introduit de la transversalité entre les différents acteurs
sociaux et il rompt leur isolement professionnel. Il permet à des approches différentes d’être
complémentaires pour atteindre un objectif commun, ceci en ouvrant un espace de
coopération. De cette manière il a permis de décloisonner le secteur sanitaire et social et il a
favorisé une approche globale des besoins de l’usager. Il est particulièrement bien adapté aux
nouveaux problèmes surgissant dans notre société ; c’est ainsi qu’ont été créés les premiers
réseaux Ville-hôpital pour soutenir plus efficacement les malades infectés par le
70
VIH
. Ce
type de réseau a fait l’objet d’une reconnaissance ministérielle, circulaire du Ministère de la
Santé, de juin 1991.
Deux attributs du réseau méritent d’être évoqués. Citons d’abord le « maillage » instauré sur
le territoire qui unit les composants des réseaux, le rendant réactif aux situations qui
surgissent. Evoquons ensuite le rôle clé joué par certains membres du réseau, qui facilitent la
circulation de l’information. Ils coordonnent et restituent également les différentes
contributions et activités des acteurs du réseau. Ces animateurs, à la fonction de « tête de
réseau »71 inventent un nouveau métier selon le sociologue Marcel JAEGER.
Comme nous l’avons vu dans le concept plus global de l’innovation, le réseau peut avoir
tendance à s’institutionnaliser mais il semble que dans ce passage il change de nature en
réduisant la créativité qu’il véhiculait.
Cette formalisation renvoie plutôt à la notion de partenariat où les rapports sont plus
institutionnalisés que dans les réseaux qui correspondent plutôt à des échanges personnalisés.
Les pratiques de partenariat ont précédé celles de travail en réseau dans le secteur social. Elles
sont arrivées massivement dans les années 1980, notamment pour la mise en place du
dispositif RMI, puis pour mettre en œuvre les grandes politiques transversales : la prévention
de la délinquance, l’insertion des jeunes, la politique de la ville par exemple le développement
social des quartiers. Le partenariat fut défini comme une relation contractuelle entre deux ou
plusieurs personnes physiques ou morales, concourrant à la réalisation d’un projet par la mise
en commun de moyens matériels, humains et financiers72. En fait le partenariat traduit une
70
71
72
VIH : Virus Immunodéficience Humaine
JAEGER, Marcel, « Tête de réseau » : un
AFNOR norme ISO-750.
métier à inventer », in Formation Santé Social, n°58, mars 2004, p. 7.
64
vision consensuelle de la société, les acteurs peuvent s’entendre sur les bases d’une
négociation contractuelle. Cette idéologie apparaît dans une période de montée des droits des
personnes qui veulent être associées aux décisions. Enfin les différents partenariats
institutionnels visaient l’efficacité alors que les dispositions habituelles échouaient face à
l’augmentation des exclusions. Ces partenariats ont fait l’objet de critiques car ils
reproduisaient un certain fonctionnement bureaucratique qui mobilisait beaucoup de moyens
au détriment de la réalisation d’actions concrètes. Les partenariats peuvent se classer en
typologies, en fonction des partenaires impliqués et de leur nature, ainsi il est possible de
distinguer73 :
- des partenariats interinstitutionnels, incités par l’Etat, ils visent à décloisonner différentes
institutions pour mettre en œuvre les politiques sociales transversales.
- des partenariats de projets, à l’initiative des partenaires ou incités par les institutions, qui
recherchent une plus grande efficacité des actions impulsées, par exemple pour l’insertion
professionnelle des jeunes.
- des partenariats avec des populations, résultant d’une volonté partagée en l’absence de tout
dispositif, dont la fonction est de promouvoir des populations et l’émergence de projet.
Dans le secteur social, la tendance nouvelle à institutionnaliser le travail en réseau
conduit parfois à superposer cette pratique avec celle du partenariat. Marcel JAEGER
rapproche les deux notions en déclarant que « le réseau est une somme de partenariats dont la
logique de fonctionnement est commune aux acteurs. »74 D’autres auteurs75 évoquent la sortie
de la clandestinité des réseaux, dorénavant revendiqués par les acteurs comme un mode
formel d’organisation. Cette instrumentalisation ne supprime pas la constitution de réseaux
plus informels, évoluant sans cesse, alternant des pauses et des réactivations, vivant au rythme
des logiques d’acteurs. Cette dynamique a secrété une véritable culture du réseau.
73
FOURDRIGNIER Marc, Partenariat et droits des usagers, in Ministère de l’Education Nationale, D.L.C.,
MAFPEN Créteil, Paris, Versailles, CNRSMS. Actes du colloque Précarité et action sociale. Paris, janvier 1996.
Juin 1996, pp 71-76.
74
Formation Santé Social, n°58, mars 2004, JAEGER Marcel, « Tête de réseau » : un métier à inventer ».p.7
75
FRAISSE Laurent, in HAERINGER Joseph, TRAVERSAZ Fabrice, (sous la direction de) « Conduire le changement
dans les associations » d’action sociale et médico-sociale », Dunod, Paris, 2002. p.118
65
2.3.
Choix méthodologiques pour vérifier la validité de
l’hypothèse.
Arrivé à ce stade de notre raisonnement étayé par l’approche conceptuelle, revenons sur
l’hypothèse :
Le
SESSAD
est facteur d’innovation en diffusant de nouvelles pratiques,
notamment le travail en réseau et partenariat.
Afin d’établir la validité de cette hypothèse, nous allons concevoir un dispositif
méthodologique de vérification. Cette démarche nous conduira à de nouvelles observations et
collectes de données sur le terrain. L’approche conceptuelle de l’innovation et du travail en
réseau et partenariat nous permet d’objectiver l’hypothèse et de lister des critères pour la
valider. Nous pourrons dire qu’il y a un processus d’innovation favorisé par le SESSAD si nous
identifions dans la démarche de vérification les points suivants :
L’identification de trois séquences :
une phase initiale d’apparition du travail en réseau au SESSAD générant du désordre à
l’IME et perçu comme transgression des règles de l’IME ;
une autre phase caractérisée par la diffusion du travail en réseau à l’IME, une majorité de
membres de l’IME imitant les pratiques amorcées par le SESSAD ;
une dernière phase reflète l’adoption et l’institutionnalisation par l’établissement du
travail en réseau.
Le
SESSAD
en position d’interface entre l’IME et l’environnement joue un rôle de relais et
favorise l’instauration de nouveaux partenariats entre l’IME et les acteurs du territoire. On
constate une pluralité d’acteurs nécessaire à l’établissement d’un réseau.
Le repérage de projets initiés par le
SESSAD
puis partagés avec l’IME et des partenaires du
territoire. La mutualisation des ressources pour atteindre un objectif est typique du travail en
réseau, la notion de projets communs est le catalyseur du réseau.
66
Il y a un lien entre l’engagement des salariés du
SESSAD
dans de nouvelles pratiques et la
mobilisation des salariés de l’IME pour travailler en réseau. La mobilisation des différents
acteurs et leur participation sont requises dans le travail en réseau. Ce critère se traduira aussi
dans les changements organisationnels qui favoriseraient les initiatives des salariés. Dans ce
registre organisationnel le repérage de nouvelles instances de coordination sera un indice du
développement du travail en réseau. La participation des usagers en tant qu’acteurs du réseau
est également à évaluer.
Résumons par un tableau l’ensemble de ces critères qui seront traduits en indicateurs dans
les différents instruments de collectes de données utilisées.
Critères de validation de l’hypothèse
1
Identification
de
trois
séquences :
désordre,
imitation, SESSAD
institutionnalisation.
2
Le SESSAD : interface entre l’IME et une pluralité d’acteurs.
3
Projet initié par le SESSAD puis partagé avec l’IME et des acteurs
du territoire.
4
L’engagement des salariés du
SESSAD
mobilise les salariés de
l’IME
5
La participation de l’usager et de sa famille au
SESSAD
fait
évoluer les pratiques de l’IME dans ce domaine.
IME
Nous allons donc procéder à un travail d’investigation pour vérifier la présence éventuelle de
ces critères dans le système organisationnel composé par le SESSAD « le soleil levant » et l’IME
de Ville-en-Selve. Toutefois une nécessité méthodologique s’impose également pour
renforcer la validité de notre hypothèse : sa confrontation à d’autres situations
professionnelles reproduisant le « couple » organisationnel
SESSAD/ IME.
Cette confrontation
ne vise pas la généralisation de la validité de l’hypothèse, elle pondèrera néanmoins l’aspect
anecdotique et singulier que risquerait de prendre la recherche alors qu’elle pourrait rendre
plus lisible la configuration institutionnelle
SESSAD/ IME
qui essaime sur tout le territoire.
Nous testerons également la validité de notre hypothèse, quitte à la réfuter, en interrogeant des
établissements auxquels aucun SESSAD n’est rattaché.
67
Afin de collecter des données pertinentes, nous utiliserons plusieurs méthodes que nous avons
choisies en fonction du terrain d’investigation. La combinaison des résultats obtenus par ces
différentes techniques de collectes nous permettra d’appréhender la complexité de notre objet
d’étude. Il s’agit :
D’entretiens semi-directifs : au
SESSAD
« Le soleil levant »/ IME Ville en Selve et dans les
autres SESSAD / IME, ils pourront servir à identifier l’éventuelle présence des quatre critères.
D’une enquête : au SESSAD « Le soleil levant »/ IME Ville en Selve et dans les autres SESSAD
/ IME, elle sera essentiellement ciblée sur la mobilisation des usagers.
D’une observation in situ : au
SESSAD
« Le soleil levant »/
IME
Ville en Selve, dispositif
organisationnel dans lequel nous sommes impliqués, elle cherchera à identifier les logiques
d’acteurs susceptibles de relever d’un processus d’innovation. Elle se focalisera sur l’une des
facettes du travail en réseau développée par le
SESSAD:
la fonction de référent de projet
individualisé.
La mise en œuvre de ces différentes méthodes requière l’utilisation d’outils spécifiques, voici
leur présentation :
⋄ Pour la réalisation des entretiens semi-directifs, nous nous sommes appuyés sur un guide
d’entretien que nous avons élaboré. Comme l’indique Jean-Claude COMBESSIE76 :
« Le guide d’entretien est un mémento (un pense-bête). Il est rédigé avant l’entretien
et comporte la liste des thèmes ou des aspects du thème qui devront avoir été abordés
avant la fin de l’entretien ».
Dans la rédaction de ce guide, comme dans la conduite de l’entretien nous nous sommes fixés
comme règle préalable de ne pas induire à priori un lien de causalité entre l’apparition
d’innovation dans un IME et les activités du SESSAD qui lui est, le cas échéant, rattaché. Il nous
appartiendra au cours de l’entretien de repérer les articulations et les dynamiques existant
entre le SESSAD et l’ IME. Par ailleurs dans l’élaboration du guide, nous avons pu traduire notre
questionnement concernant l’identification des partenaires et la possibilité de prise d’initiative
par les salariés, la participation des usagers.
Ci-après, le guide dans son intégralité, utilisé lors de 8 entretiens.
76
COMBESSIE, Jean-Claude, La méthode en sociologie », Editions La Découverte, Paris, « 3e édition 2001, p.25.
68
Guide d’entretien
1- Identification de l’institution :
Etablissement médico social accueillant des jeunes
internat ou demi-internat
SESSAD
↪ rattaché à un IME
installé dans les locaux de l’IME ?
possède ses propres locaux (quelle distance de l’IME ?…………)
gestion autonome
Autre, préciser :
Territoire d’intervention de l’institution : Rural ou Urbain
Type de handicap des jeunes accompagnés :
Zone de recrutement des enfants :
2- L’activité de l’établissement ou du service avec l’environnement.
Est-ce que le projet d’établissement ou de service fixe des objectifs en matière de travail ou d’action avec l’environnement ?
Si oui lesquels :
Existe-t-il des relations formalisées avec des organismes extérieurs, notamment les services sociaux et médico-sociaux ?
Si oui, avec quels partenaires et pour quels projets ?
Existe-t-il un projet qui met en œuvre un multi partenariat (au moins 3 partenaires) ? Décrivez-le.
Avez-vous des contacts et un travail en commun avec d’autres administrations et des agents de la vie économique et
sociale (entreprises, clubs, associations…) ? Si oui veuillez les préciser, les décrire :
Est-ce que des membres de votre équipe participent à des réseaux professionnels ?
Si oui, est-ce que ces réseaux présentent de l’intérêt pour l’institution ? pourquoi ?
Est-ce que des partenaires participent à des activités dans l’institution ?
non, pourquoi ?
oui, Dans quels buts ?
3- Organisation de l’action collective au sein de l’institution.
Organisation des services :
Par grandes fonctions, ou par projets ?
existence de services mutualisés avec d’autres institutions. existence de sous-traitants
autres, préciser :
Organisation des réunions :
par services uniquement
en inter services uniquement
alternance de réunions par services et inter services
réunions ouvertes à des participants extérieurs à l’institution
autres.
Y a-t-il des activités animées par des équipes pluridisciplinaires ?
non, pourquoi ?
oui. Si oui, est-ce fréquent ?
non
oui
Décrivez une action remarquable par son impact institutionnel :
Est-ce que les salariés de l’institution réalisent des activités dans l’environnement ?
non, pourquoi
oui
Si oui, est-ce que ces activités impliquent fréquemment des partenaires oui non
Décrivez une action remarquable sur la valorisation des partenariats.
4- Modalités de rencontre et de travail avec les familles des enfants.
Parmi les membres de l’équipe institutionnelle, qui rencontre les familles, dans le cadre de quelles missions ?
Menez-vous des actions ou activités conjointes avec les familles ?
Lesquelles ?
Est-ce que des modalités de travail de l’institution ont été instaurées à partir de suggestions des familles ?
Lesquelles ?
Le cas échéant, décrivez des exemples de coopération avec les familles qui ont influencé et amélioré le fonctionnement de
la structure : création de nouvelles prestations, instauration de procédures, augmentation des ressources du service
(bénévolat)… ?
Le cas échéant, décrivez des exemples de différences de point de vue avec les familles qui ont influencé et pesé sur le
fonctionnement de la structure : diminution de prestations, remise en cause des procédures, grande mobilisation des
ressources du service ?
69
⋄ Pour l’enquête, nous avons élaboré un questionnaire centré sur la participation des usagers.
Pour ce faire nous avons saisi l’opportunité des nouvelles obligations prescrites par la loi du 2
janvier 2002 en mesurant leur degré d’application dans les instituts médico-éducatif.
Nous avons comparé la mise en œuvre de cette nouvelle législation dans les IME associés à un
SESSAD
à celle constatée dans les
IME
sans
SESSAD
rattachés. S’il existe un écart dans
l’application du droit des usagers entre ces deux catégories institutionnelles – IME/ SESSAD et
IME-
il pourrait découler de l’existence d’un SESSAD. Ce questionnaire a été adressé à 21 IME
dont 15 sont associés à un SESSAD.
Questionnaire
Catégorie :
IME
IME associé à un SESSAD
Internat
½ internat
Type de handicap :
1- Connaissance des droits des usagers.
1.1
Dans son projet social et/ou médico-social, à quels textes législatifs votre institution ou service fait référence pour
les droits des usagers ?
1.2
Selon vous, est-ce que les usagers ou leurs représentants ont une bonne connaissance de leurs droits ?
Oui
Non
Autre,précisez
1.3
Mettez-vous en place des actions d’information pour informer les usagers ou leurs représentants de leurs droits ?
Oui
Non
Si oui, lesquelles :
1.4
Pensez-vous que le personnel a une bonne connaissance des droits des usagers ?
Oui
Non
Autre, précisez
Est-ce qu’une formation du personnel dans ce domaine serait nécessaire ?
Oui
Non
Si oui, quels aspects particuliers ?
2- Outils, moyens et dispositifs pour mettre en place le droit des usagers.
2.1
Votre établissement a-t-il déjà conçu et diffusé auprès des usagers et leurs représentants :
Le livret d’accueil :
Oui
Non
en cours de réalisation
Si oui, est-ce que selon vous cette diffusion a eu un impact sur les comportements, demandes des usagers et de leurs
représentants ?
Oui
Non Si oui, précisez :
Non
en cours de réalisation
La charte nationale des droits des libertés : Oui
Si oui, est-ce que selon vous cette diffusion a eu un impact sur les comportements, demandes des usagers et de leurs
représentants ?
Oui
Non Si oui, précisez :
Oui
Non
en cours de réalisation
Le règlement de fonctionnement :
Si oui, est-ce que selon vous cette diffusion a eu un impact sur les comportements, demandes des usagers et de leurs
représentants ?
Oui
Non Si oui, précisez :
Le contrat de séjour :
Oui
Non
en cours de réalisation
Si oui, est-ce que selon vous cette diffusion a eu un impact sur les comportements, demandes des usagers et de leurs
représentants ?
Oui
Non Si oui, précisez :
3– Des réponses institutionnelles aux demandes/questions des usagers.
2.2
Les familles vous posent-elles des questions sur la loi 2002-2 du 2 janvier 2002 ?
Souvent
parfois
rarement
jamais
aucun élément pour se prononcer
2.2.1
Précisez le type de question.
relative à une information générale sur la loi
au projet d’établissement
à la charte des droits et des libertés
au contrat de séjour
au contrat de séjour
au règlement de fonctionnement
aux recours possibles à des personnes qualifiées
au conseil de vie sociale
autre, précisez :
2.3
Avez-vous mis en place des dispositions pour répertorier les demandes et/ou questions des usagers et de leurs
représentants ?
Oui
Non Si oui lesquelles ?
2.4
Est-ce qu’un membre de votre équipe a des fonctions particulières pour le traitement des questions ou réclamations
des usagers et de leurs représentants ?
Oui
Non
2.5
En cas de différent avec un usager ou son représentant, avez-vous prévu un dispositif de médiation ?
Oui
Non Si oui lequel ?
70
⋄ Pour l’observation in situ, qui ne concerne que le
SESSAD
« le soleil levant » et l’IME de
Ville-en-Selve, nous avons fait le choix méthodologique de cibler l’observation sur la
diffusion d’une nouvelle pratique emblématique du travail en réseau. Il s’agit du dispositif de
référent de projet individualisé qui permet d’accompagner l’usager, de coordonner les
différentes
interventions
au-delà
des
« frontières »
habituellement
dessinées
par
l’organisation.
Nous avons établi une grille, elle oriente nos observations vers le repérage des trois séquences
inhérentes au processus d’innovation :
Grille d’observation
Référent de projet individualisé
Désordre provoqué par une innovation
Imitation de l’innovation
Institutionnalisation de l’innovation
Dans cette seconde partie, après avoir approfondi les concepts d’innovation et de
réseau, nous avons poursuivi notre recherche afin de comprendre en quoi le
SESSAD
est-il
facteur d’innovation pour l’IME. Pour progresser dans cette démarche, nous avons posé
l’hypothèse que le
SESSAD
est facteur d’innovation en diffusant de nouvelles pratiques,
notamment le travail en réseau et partenariat. Puis, nous avons élaboré une méthodologie pour
vérifier l’intérêt de cette hypothèse. Ce travail méthodologique visait également à clarifier la
configuration organisationnelle complexe que nous étudions.
Avec notre « boîte à outils » - guide d’entretien, questionnaire, grille d’observation nous allons dans une dernière partie procéder à la collecte de données et à leur analyse.
71
Récapitulons notre plan de vérification :
Critères
1
2
3
4
5
Identification de trois
séquences : désordre,
imitation,
institutionnalisation.
Le SESSAD : interface entre
l’IME et une pluralité
d’acteurs.
Projet initié par le SESSAD
puis partagé avec l’IME et
des acteurs du territoire.
L’engagement des salariés
du SESSAD mobilisent les
salariés de l’IME .
La participation de l’usager
et de sa famille au SESSAD
fait évoluer les pratiques de
l’ IME dans ce domaine.
Méthodes utilisées
Terrain d’investigation
Observations et
SESSAD « le soleil levant » et
logiques d’acteurs à
IME de Ville-en-Selve
partir du dispositif
« référent de projet »
et
SESSAD
de
Entretiens et étude IME
Champagne Ardenne.
comparative.
Entretiens et
comparative.
étude
IME
et
SESSAD
Champagne Ardenne.
de
Entretiens et
comparative.
étude
IME
et
SESSAD
Champagne Ardenne.
de
Questionnaire et étude IME
et
SESSAD
comparative.
Champagne Ardenne.
de
72
3. TROISIEME PARTIE - LE SESSAD : ACTEUR DU TRAVAIL EN
RESEAU
73
Le SESSAD : acteur du travail en réseau.
Dans cette dernière partie nous procédons à la vérification de l’hypothèse de recherche
en la confrontant aux observations et aux informations recueillies. Lors d’une première étape,
nous exposerons la manière dont s’est déroulée la collecte de données. Cette phase a donné
l’opportunité de rencontrer des acteurs de l’organisation SESSAD/IME précédemment étudiée et
des membres d’autres organisations comparables. L’activation de la recherche a également
soulevé des questionnements sur notre implication dans les situations observées. Après avoir
restitué les résultats de notre investigation, nous les analyserons avec l’intention de mettre « à
l’épreuve » notre hypothèse de recherche et de mesurer son degré de validité. Pour terminer
nous commenterons les apports de l’ensemble de cette démarche de recherche et nous
porterons un regard prospectif sur l’évolution du secteur médico social et son action en faveur
des personnes handicapées.
3.1.
Retour sur le terrain : observations et collectes des
données.
Les entretiens semi-directifs.
Nous avons vu qu’ils étaient réalisés à partir d’un guide préalablement établi. Ils ont
concerné :
↪ l’IME de Ville en Selve et le SESSAD « Le soleil levant »,
↪ 5 autres configurations institutionnelles comparables -IME / SESSAD↪ et 2 IME sans SESSAD rattachés.
L’ensemble des interlocuteurs a été contacté par téléphone. Il s’agit d’institutions médico
sociales de la région Champagne-Ardenne. Nous avons sollicité des cadres de direction de ces
établissements –1 directeur, 1 directeur-adjoint, 6 chefs de service- ils ont donné une réponse
favorable à cette démarche. Nous avons convenu de trois rendez-vous téléphoniques, les cinq
autres entretiens se sont déroulés dans l’établissement ou le service de la personne interrogée.
74
Les échanges ont été facilités par des liens déjà instaurés dans le cadre de réseaux
professionnels. Ils se sont déroulés de manière détendue. Nous nous sommes référée au guide
pour ne pas nous éloigner des objectifs de la recherche et nous avons encouragé
l’interlocuteur à s’exprimer librement. A l’issue de l’entretien, nous avons rédigé
immédiatement un compte-rendu à partir des notes prises pendant l’entretien, en distinguant
ce qui avait été explicitement exprimé par l’interlocuteur des informations déduites par
recoupements ou perçues implicitement.
D’une manière générale, nous avons notée la grande implication de tous les
interlocuteurs, la richesse des informations. Certains de ces interlocuteurs exerçaient des
responsabilités à la fois dans l’ IME et au SESSAD qui lui était rattaché. Ces cadres ont distingué
leurs réponses en fonction du secteur concerné –
IME
ou
SESSAD
-. Cette réaction,
partiellement induite par le guide d’entretien, renseigne sur le niveau d’identification des deux
entités et leur degré d’indépendance. Devant cette situation, nous avons pris le parti de
reproduire cette distinction entre les
IME
et les
SESSAD
rattachés dans la présentation et
l’interprétation des résultats. Cette quantité de données induit des difficultés en terme de
sélection et de classement. Une certaine connivence s’est installée au cours de l’entretien en
raison du partage d’une identité professionnelle, d’une culture de métier indépendante des
institutions d’appartenance. Membre de l’équipe UGECAM -SESSAD « le soleil levant »/ IME de
Ville-en-Selve- nous avons été particulièrement vigilante lors de la passation de l’entretien
concernant cette organisation afin de limiter une interprétation trop subjective des réponses ;
pour cela nous avons cherché à collecter des informations concrètes et précises.
Ces entretiens furent plus longs que prévus, certains ont débouché sur une visite de
l’établissement ou du service et sur la remise de documents institutionnels. Toute proportion
gardée, la même implication s’est confirmée pour les entretiens téléphoniques. Nous
attribuons, pour partie, les réactions positives de ces cadres à leur intérêt pour les thèmes de la
recherche : innovation et travail en réseau ; plusieurs de ces cadres ont souhaité obtenir un
retour de cette étude. Nous analysons également leur attitude participante comme un acte de
communication institutionnelle qui s’inscrit dans ces pratiques de travail en réseau et
partenariat.
75
Envoi du questionnaire écrit.
Ce questionnaire adressé aux directeurs d’établissements est destiné à mesurer la
mobilisation, la participation des usagers. Nous avons retenu cette participation des usagers
parmi les critères du développement du travail en réseau. Historiquement l’usager et sa
famille étaient considérés comme des objets de soins. Ainsi que nous l’avons déjà vu, ces
usagers revendiquent dorénavant d’être reconnus en tant qu’acteurs décidant de leurs projets.
La relation de service et la proximité apportées par le
SESSAD,
favorisent la participation des
usagers. Est-ce que ce nouveau type de rapport entre l’institution sociale et l’usager essaime
du SESSAD vers l’ IME ? Pour répondre à cette interrogation, nous avons recentré nos questions
sur la thématique du droit des usagers et comparé la mise en place des outils obligatoires
prévus par la loi de rénovation sociale77 dans les IME – IME seuls et IME associés à un SESSAD La technique du questionnaire exige en effet de délimiter le champ d’investigation et d’être
précis dans les libellés. Madeleine GRAWITZ78 nous conseille :
« …de réserver le questionnaire écrit à des domaines circonscrits, concernant des
faits. »
Le retour des questionnaires
3
9
IME/SESSAD
IME
Sur les 21 questionnaires adressés aux directeurs d’institutions de Champagne
Ardenne, nous avons un retour de 12 questionnaires, soit 57 %. Ce taux significatif témoigne
que l’application de la loi 2002.2 est un sujet d’actualité pour les professionnels de l’action
sociale et médico-sociale. Toutefois parmi les non retour, les
IME
sans
SESSAD
associés sont
sur représentés, en effet 50% d’entre eux n’ont pas répondu. Cet élément est déjà un premier
indice du décalage recherché.
77
Le projet d’établissement, la charte des droits et des liberté, le contrat de séjour, le règlement de
fonctionnement, le recours possible à des personnes qualifiées, le conseil de vie sociale.
78
GRAWITZ, Madeleine, Méthodes des sciences sociales, Paris, Editions Dalloz, 1996, p.611.
76
Type d’établissement
4
Internat
8
1/2 internat
Nous enregistrons également que de la majorité ces
IME
conserve une section internat
significative, cette section existe dans 8 établissements sur 12. La structure
IME
est encore
fortement marquée par sa mission d’origine consacrée à l’hébergement. Parmi les 9
institutions n’ayant pas retourné le questionnaire, 8 d’entre elles gèrent un internat.
Typologie des handicaps
Déficience
intellectuelle
TCC
1
1
1
Handicap
moteur
2
9
2
Polyhandicap
Autisme
Déficiences
sensorielles
Nous avons examiné la typologie des handicaps représentés dans le panel d’établissements
ayant répondu au questionnaire. Plusieurs établissements accueillent deux types de handicap,
par exemple déficience intellectuelle et autisme ou handicap moteur et polyhandicap. Ce
constat témoigne d’une certaine évolution des établissements qui diversifient leurs modalités
d’accompagnement. Néanmoins la catégorie de la déficience intellectuelle est la plus
représentée. Cette situation nous permet d’opérer plus facilement une comparaison entre les
ime de la région et celui de l’ime /sessad de Ville-en-Selve qui accueille également des jeunes
déficients intellectuels.
77
L’observation directe au SESSAD « le soleil levant »/ IME de Ville-en-Selve.
Nous avons focalisé notre observation sur le dispositif des référents de projet
individualisé représentatif du travail en réseau. Nous avons mené particulièrement nos
observations sur les séquences de travail suivantes : les réunions conjointes au
SESSAD/IME,
les temps de coordination SESSAD/IME relatifs aux projets des enfants accompagnés, les écrits
institutionnels. Lors de l’observation de ces séquences ou de l’étude des documents écrits,
nous avons été attentive aux logiques des acteurs en vérifiant leurs inscriptions dans un
processus d’innovation caractérisé par les phases de remise en cause, désordre, imitation,
institutionnalisation.
Nous avons confronté ces observations et nos premières analyses d’une part aux
réactions de collègues qui en profitèrent pour donner leur point de vue. Ces échanges avaient
pour but de nuancer mes premières impressions et de faire émerger de nouvelles informations.
Pour prendre du recul, nous avons évoqué ces observations à des « points de vue extérieurs »
lors des travaux universitaires. Comme le recommande Anne-Marie ARBORIO et Pierre
FOURNIER79 :
« …l’analyse exige de rompre avec cette proximité, avec le sentiment que la pratique
va de soi, donc de rompre avec les systèmes de références des acteurs qu’on a dû
pénétrer pour en rendre compte. »
Cependant, membre de l’organisation observée, nous sommes consciente d’être engagée dans
la situation observée et que notre souci de neutralité ne pourra être que relatif.
79
ARBORIO, Anne-Marie et FOURNIER, Pierre, L’enquête et ses méthodes : l’observation directe, Paris, Nathan
Université, 1999, p. 69.
78
3.2.
Restitution et analyse des résultats.
Nous allons exposer puis analyser les données collectées avec chacune de nos trois
stratégies d’investigation. Nous examinerons d’abord le contenu des entretiens que nous
exposerons sous forme de tableaux. Puis, nous traiterons les réponses au questionnaire. Enfin
nous retracerons et analyserons les observations réalisées autour du dispositif de référent de
projet individualisé au sein de l’organisation
IME
de Ville-en-Selve et du
SESSAD
« le soleil
levant ».
Résultat des entretiens semi-directifs.
Nos intentions sont de vérifier que :
↪ Le SESSAD est une interface entre l’IME et une pluralité d’acteurs,
↪ Il existe des projets initiés par le
SESSAD
puis partagés avec l’IME et des acteurs du
territoire.
↪ L’engagement des salariés du SESSAD mobilisent les salariés de l’IME.
Nous rappelons que pour les structures recoupant un
IME
et un
SESSAD,
les entretiens ont
concerné des cadres exerçant des compétences dans les deux secteurs. Ces attributions
transversales sont un premier indicateur sur le réseau, les transferts d’informations et de
compétences qui peuvent s’opérer entre le SESSAD et l’IME.
Nous l’avons indiqué, une partie des interviewés ont distingué leurs réponses en fonction du
secteur d’intervention, d’autres cadres se situant de manière plus globale dans leurs réponses.
Nous avons là un révélateur de deux visions de la configuration organisationnelle IME/SESSAD.
L’une souligne les différences de missions et de structuration des deux entités, la seconde
vision présente l’organisation comme une continuité, un réseau, un parcours où peut évoluer
l’usager.
Compte tenu de la grande quantité des données collectées lors des entretiens, nous
avons opéré un tri et une synthèse ; cette démarche représente une première mise en sens des
informations. Ces résultats sont présentés ci-après sous la forme des tableaux de recueil de
données.
79
80
81
82
83
Nous allons maintenant commenter ces tableaux. Notre méthode d’analyse comportera
deux comparaisons :
La première comparera la situation des IME sans SESSAD avec les IME associés à un SESSAD.
La seconde examinera les écarts entre la situation des IME associés à un SESSAD et celle des
SESSAD.
Par convention, nous appellerons au cours des commentaires :
Les IME sans SESSAD : « IME »,
Les IME associés à un SESSAD : « IME associés»
Analyse du tableau 2 :
« Activité de l’établissement ou du service avec l’environnement ».
Projet/environnement :
Les deux
IME
évoquent une insuffisance de leur projet d’établissement, la nécessité d’une
actualisation. L’environnement n’est pas une dimension valorisée dans ces projets qui datent.
Ils manifestent l’intention de s’investir dans l’environnement, s’inscrivant dans une démarche
de normalisation.
A l’inverse les « IME
associés » annoncent des projets volontaristes en direction de
l’environnement, défini comme un champ d’action à investir.
Il existe toujours deux projets, un d’établissement – « IME associé »- et un projet de service –
SESSAD
-. La dimension territoriale est présente dans l’ensemble de ces projets. Il y a une
certaine homogénéité.
Relations/formalisation :
Les deux « IME » ont conclu des conventions avec l’Education Nationale et des partenaires
institutionnels.
Les « IME associés» développent le même type de convention.
Un phénomène identique de contractualisation des rapports s’observe dans les
SESSAD.
Le
nombre de conventions conclu par ces services est relativement plus élevé que dans toutes les
catégories d’IME .
84
Projets partagés :
Nous avons classé ces projets ou leur absence en trois rubriques :
Pas de projet partagé.
Projet partagé de nature institutionnelle, il concerne des relations où prime le rapport
d’institution à institution.
Projet partagé pour les projets individualisés des usagers.
Les deux « IME » développent des projets partagés de nature institutionnelle essentiellement
avec d’autres établissements et services spécialisés.
La situation des « IME associés » est contrastée. Ils mettent en place des projets plutôt
institutionnels qui s’articulent avec le milieu ordinaire ou spécialisé. Certains s’engagent aussi
dans des partenariats pour les projets individualisés de leurs usagers.
Les
SESSAD
mixent aussi ces projets partagés «institutionnels » ou «individualisés » mais la
proportion de partenariats en faveur des projets individualisés est plus grande que dans les
« IME associés ».
Partenaires :
Nous avons distingué deux catégories de partenaires :
Les partenaires du milieu spécialisé (spécialisé dans l’action en faveur des personnes
handicapées ou malades)
Les partenaires du milieu ordinaire (ouvert à tous les publics).
Les deux
IME
ont essentiellement des partenaires en milieu spécialisé. L’un d’entre eux a
d’ailleurs peu développé cette modalité de travail.
Les « IME associés » ont des partenariats tant avec le milieu ordinaire qu’avec le milieu
spécialisé. Pourtant, il existe des différences entre ces « IME associés » ; une partie nourrit
plus de partenariat avec le milieu ordinaire alors que l’autre partie reste proche du milieu
spécialisé.
Cet investissement par les « IME associés » de partenaires du milieu ordinaire coïncide avec le
niveau d’investissement de cette catégorie de partenaires par « leur » SESSAD. Ce parallélisme
dans l’activité partenariale entre les « IME associés » et leurs SESSAD est à retenir.
Réseaux professionnels :
Les deux
IME
peinent à désigner les acteurs engagés dans des réseaux professionnels. Cette
pratique n’a encore qu’une signification abstraite. Lorsqu’ils envisagent une action réticulaire,
il s’agit de l’engagement de « l’institution ». Deux explications sont données par les
IME
au
85
sous-investissement du travail en réseau : le manque de motivation du personnel ou à
l’inverse la recherche de relation trop personnalisées.
En revanche, les « IME associés » détachent régulièrement des personnels dans des réseaux
professionnels. Le personnel d’encadrement, sans en avoir l’exclusivité, occupe néanmoins
une place prépondérante dans ces activités.
Les
SESSAD
revendiquent l’investissement de réseaux professionnels. A la différence des
« IME associés », tous les salariés participent à ce travail en réseau. Cet écart est à moduler
lorsqu’on examine l’investissement par rapport aux qualifications des salariés. Dans les « IME
associés » le personnel exclu du travail en réseau se repère parmi les salariés moins diplômés.
Ces catégories de personnel- niveau 4 et 5 – sont peu représentées dans les SESSAD.
Les avantages du réseau :
L’un de deux
IME
ne perçoit pas les avantages du travail en réseau, le second pense qu’il
permet une ouverture de l’établissement.
Pour les « IME associés » les réponses sont variées : développer des projets, mutualiser des
savoirs, connaître et communiquer avec l’environnement.
Les réponses des
SESSAD
sont comparables à celles des «
IME
associés ». Elles favorisent la
collecte d’informations auprès des partenaires. Cette fonction est stratégique car elle améliore
le positionnement des établissements et des services dans l’environnement.
Accueil de partenaires :
L’un des deux
IME
ne répond pas à cette question, laissant entendre que ce n’est pas une
occurrence fréquente ; l’autre
IME
accueille des associations locales pour les activités de ses
usagers.
Cette question a suscité des réponses assez variées de la part des « IME associés ». Elles
correspondent à une gamme étendue de pratiques, évolutives et changeantes dans le temps.
Cette « mobilité » des pratiques évoque l’un des aspect du travail en réseau.
Les
SESSAD
prennent une distance par rapport au terme « accueil » de partenaires ; ils
rappellent qu’ils interviennent surtout sur le territoire de vie et d’activité de l’enfant. Ce
préalable précisé, nous constatons aussi une diversité de partenariat comme pour les « IME
associés ».
Nous avons noté un élément commun à tous ces établissement et services : la règle d’un
partenariat « programmé » avec les autres entités de l’organisme gestionnaire lorsqu’il en
86
existe. Cette observation s’applique aussi aux relations entre l’ IME et le SESSAD lorsqu’ils sont
associés ; il y a une collaboration prescrite par l’organisme gestionnaire.
Analyse du tableau 3 :
« Organisation de l’action collective au sein de l’institution ».
Organisation des services :
Les deux
IME
présentent une organisation classique par fonction. Trois services structurent
cette organisation : le service éducatif, paramédical et médical, le service pédagogique. Les
niveaux hiérarchiques sont marqués, le rapport à l’autorité n’est pas sans rappeler le respect
de la tradition décrit par Max WEBER80.
L’organisation des « IME associés » est plus complexe. Il y a une cohabitation d’une
organisation fonctionnelle et d’une organisation par projet. La première concerne nettement
les services destinés à la logistique –services généraux, administratifs- la seconde se retrouve
plus fréquemment pour les services chargés de mettre en œuvre les projets des usagers. Ce
recours à une organisation matricielle où le salarié dépend d’un service fonctionnel tout en
s’investissant dans des projets transversaux n’est pas toujours facile à mettre en œuvre pour
ces IME. Les cadres intermédiaires sont les chevilles ouvrières de cette organisation et doivent
faire preuve d’une certaine flexibilité pour s’inscrire dans des rapports verticaux puis
horizontaux, hiérarchique puis d’alter ego. Dans cette configuration, la direction voit sa
fonction d’animation s’amplifier au détriment de sa fonction de « chef ».
Les
SESSAD
sont exclusivement organisés en groupe projet, dans les faits les rapports
hiérarchiques sont peu marqués. Leurs rapports s’organisent plus autour de leurs compétences
que de leurs qualifications.
Organisation des réunions :
Pour tous les établissements et les services, la définition des réunions correspond à
l’organisation précédemment décrite. C’est-à-dire entre les membres du service lorsque
l’organisation est fonctionnelle, voire entre les membres de deux services qui doivent se
coordonner et entre tous les membres de l’équipe concernée lorsqu’il s’agit d’une
organisation projet.
80
In Sciences Humaines, Autorité, de la hiérarchie à la négociation, juin 2001, n°117, p.29.
87
La participation de partenaires extérieurs est évoquée par tous les établissements et services ;
elle est cependant plus fréquente dans les SESSAD et la plus rare dans les deux IME.
Activités animées par une équipe pluridisciplinaire :
L’un des deux IME ne travaille pratiquement pas sous la forme pluridisciplinaire ; les services
éducatif, pédagogique et thérapeutique proposant chacun des activités distinctes. L’autre
IME
signale le développement d’activités transversales aux services.
Pour les «IME associés » les interventions en équipe pluridisciplinaire sont courantes et
diversifiées, pourtant dans certains de ces « IME associés » cette activité conjointe ne s’étend
pas au service médical et paramédical.
La situation des
SESSAD
est distincte dans la mesure où la pluridisciplinarité est quotidienne
mais pratiquée avec des partenaires extérieurs : Education Nationale, services de santé,
services sociaux, organismes privés.
Activités réalisées dans l’environnement :
Le sport et la culture sont les deux vecteurs les plus utilisés par tous les établissements et les
SESSAD.
L’accompagnement de groupes caractérise cependant tous les types d’IME, alors que
l’accompagnement individualisé se retrouve dans les SESSAD.
Lors des entretiens les représentants des « IME associés » ont indiqué qu’ils réduisaient le
nombre d’usagers dans les groupes lors des sorties éducatives. Le discours de ces cadres
légitime ce qui ne demeura longtemps qu’une revendication d’une partie du personnel.
Environnement et implication des partenaires :
Les deux IME coopèrent occasionnellement à l’extérieur avec des familles et des bénévoles.
Pour les « IME associés » et les
SESSAD
ces actions communes s’étendent également à une
grande variété de professionnels du milieu spécialisé et milieu ordinaire.
Les résultats entre les « IME associés » et les SESSAD sont équivalents.
88
Analyse du tableau 4 :
« Modalités de rencontre et de travail avec les familles des usagers.
Personnel chargé des relations avec les familles :
Dans les deux
IME,
le personnel d’encadrement assume à plupart des relations significatives
avec les familles des usagers. Il nous est signalé que cette situation évolue avec une
contribution accrue des autres professionnels.
Les « IME associés » et les
SESSAD
décrivent des pratiques très proches, caractérisées par
l’intervention de nombreux personnels auprès des familles. Les qualifications de ces salariés
sont diversifiées. Dans les « IME associés » la désignation du professionnel chargé d’une
relation avec la famille ne fait pas toujours l’objet d’une procédure institutionnelle. Le
processus de décision conduisant à une initiative de contact avec les familles relève
d’ajustements au cas par cas. Dans les SESSAD, ces responsabilités sont mieux identifiées car
un salarié est chargé nominativement de l’accompagnement du projet de l’usager. La notion
de référent qui recouvre pour partie cette responsabilité d’accompagnement se généralise dans
les SESSAD et gagne les « IME associés ».
Tous les interlocuteurs ont abondamment traité cette relation avec les familles, cet intérêt
traduit que cet axe de travail est devenu incontournable dans ce secteur professionnel.
Activités conjointes avec les familles :
Dans les deux IME les familles participent rarement à des activités sauf pour des événements,
les fêtes d’établissement.
Dans les « IME associés », cette participation,
plus importante que dans les
IME,
reste
cependant modeste. Il s’agit de participer à des événements institutionnels ou de contribuer à
des activités collectives.
La participation des familles avec les équipes des
SESSAD
est fréquente. Les membres de ces
équipes ont eu des difficultés pour interpréter la notion « d’activités », certains services
distinguant cette activité des rencontres et entretiens réguliers. L’originalité pour les
SESSAD
se situe au niveau de l’individualisation, il peut s’agir par exemple de l’accompagnement d’un
enfant et de sa mère à la bibliothèque ou d’une activité cuisine à domicile avec l’aide d’un
parent. Ces activités se classer sous les rubriques « guidance familiale et médiation ».
89
Organisation de l’établissement/service et influence des familles :
Les deux IME soulignent leur écoute des remarques des familles mais il n’est pas rapporté que
ces remarques furent suivies de modifications organisationnelles.
Pour les « IME associés » plusieurs exemples concrets traduisent une prise en compte des
demandes des parents dans le fonctionnement de l’établissement, les mesures les plus
fréquentes concernent la transmission des informations aux parents.
Dans les
SESSAD,
la définition et le contenu des projets individualisés sont particulièrement
investis et influencés par les familles. Il semble qu’il y ait une négociation permanente à
propos de ce projet individualisé entre la famille et l’équipe du service.
Coopération familles/institution :
Cet item prolonge le précédent, son intention est de sonder la place donnée ou visée par le
projet d’établissement/service à la famille.
Pour les deux
IME
cette réflexion est en cours dans le cadre de l’actualisation de leur projet.
Pour les « IME associés » les points de vue exprimés sont hétérogènes même si globalement la
participation des familles est recherchée. Certaines institutions attendent un rôle de premier
plan de la famille considérée comme co-auteur de l’action médico-sociale.
C’est dans cette dernière direction que les SESSAD disent travailler ; l’objectif est de favoriser
l’autonomie de l’usager et de sa famille. Ainsi il lui est laissé une partie importante des
démarches et des actions à réaliser. Les membres du
SESSAD
utilisent le terme de « relais ».
Cette capacité à transmettre, à « lâcher prise » marque également leur rapport avec les autres
organismes sociaux et avec les IME auxquels ils sont associés.
Différence de point de vue familles/institution :
Les deux IME relatent quelques désaccords avec les familles qui ont été traités par la direction
ou le médecin. Ces réclamations concernaient la restauration et l’insuffisance du temps
consacré à la scolarité. Ces
IME
ont fait évoluer leur fonctionnement à la suite de ces
événements.
Pour les « IME associés » et les SESSAD, nos interlocuteurs ont eu des difficultés à évoquer des
litiges entre l’institution ou le service et les familles. Cette notion de litige avec l’institution
n’est pas « parlante » car les différences de point de vue portent surtout sur le contenu et la
réalisation des projets individualisés.
90
Les SESSAD se distinguent par leur approche positive des critiques exprimées par les familles.
Dynamisant la réflexion, ces critiques sont considérées comme des remises en cause
conduisant à l’amélioration du fonctionnement du service.
Résultat du questionnaire.
Notre intention est de vérifier que :
La mobilisation de la participation des usagers est un critère d’innovation et fait évoluer
les pratiques de l’ IME. Cette mobilisation et participation est l’un des éléments révélateur du
travail en réseau. Notre vérification prend pour entrée l’application des droits des usagers et
des dispositions prévues par la loi de rénovation sociale.
Une synthèse des résultats sont présentés dans le tableau ci-après :
91
Tableau 5
Synthèse des réponses au questionnaire « droit des usagers »
Questions
IME
Q1- Est-ce que les usagers ou leurs représentants ont une Oui : 0
bonne connaissance de leurs droits ?
Non : 1
Autre : 2
Q2- Mettez-vous en place des actions d’informations pour Oui : 2
informer les usagers, leurs représentants de leurs droits ?
Non :1
Q3- Pensez-vous que le personnel a une bonne Oui : 0
connaissance des droits des usagers ?
Non : 1
Autre : 2
Q4- Est-ce qu’une information du personnel dans ce Oui : 3
domaine serait nécessaire ?
Non : 0
Q5- Votre établissement a-t-il conçu et diffusé auprès des Oui : 0
usagers/représentants le livret d’accueil
Non : 1
En cours : 2
Q6- Est-ce que cette diffusion a eu un impact sur le Oui : 0
comportement, les demandes des usagers/représentants ?
Non : 0
Q7- Votre établissement a-t-il conçu et diffusé auprès des Oui : 0
usagers/représentants la charte nationale des droits et des Non : 2
libertés ?
En cours : 0
Q8- Votre établissement a-t-il conçu et diffusé auprès des Oui : 1
usagers/représentants le règlement de fonctionnement ?
En cours : 2
Autre : 0
Q9- Est-ce que cette diffusion a eu un impact sur le Oui : 1
comportement, les demandes des usagers/représentants ?
Non : 0
Q10- Votre établissement a-t-il conçu et diffusé auprès des Oui : 1
usagers/représentants le contrat de séjour ?
Non : 2
En cours : 0
Q11- Est-ce que cette diffusion a eu un impact sur le Oui : 1
comportement, les demandes des usagers/représentants ?
Non : 0
Q12- Les familles vous posent-elles des questions sur la loi Parfois : 1
2002-2 du 2 janvier 2002 ?
Rarement : 2
Q13- Avez-vous mis en place des dispositions pour
répertorier
les
demandes/questions
des
usagers/représentants ?
Q14- Est-ce qu’un membre de votre équipe a des fonctions
particulières pour le traitement des questions/réclamations
des usagers et de leurs représentants ?
Q15- En cas de différent avec un usager/son représentant,
avez-vous un dispositif de médiation ?
IME associés
Oui : 1
Non : 2
Oui : 1
Non : 6
Autre : 2
Oui : 7
Non : 2
Oui : 6
Non : 1
Autre : 2
Oui : 8
Non : 1
Oui : 4
Non : 0
En cours : 5
Oui : 1
Non : 3
Oui : 1
Non : 3
En cours : 2
Oui : 4
En cours : 4
Autre : 1
Oui : 2
Non : 1
Oui : 3
Non : 2
En cours : 4
Oui : 0
Non : 0
Parfois : 2
Rarement : 4
Jamais : 3
Oui : 5
Non : 3
Oui : 0
Oui : 3
Non : 3
Non : 4
Oui : 1
Non : 1
Oui : 4
Non : 5
Analyse des résultats
Dans ce travail sur le questionnaire nous nommerons encore « IME associés » les IME auxquels
sont rattachés des SESSAD et simplement « IME » les établissements sans SESSAD rattachés.
92
Par leurs réponses l’ensemble des IME et « IME associés » ont montré leur connaissance des
textes régissant le droit des usagers. Leur niveau d’informations semble équivalent sur ce
point.
Ces deux catégories d’établissements s’accordent à dire que les usagers et leurs familles
connaissent mal leurs droits (Q1) et qu’ils posent peu de questions directes sur ce thème
(Q12).
Un écart entre les deux types établissements s’observe au niveau de l’idée qu’ils se font de
leur personnel en matière de connaissance du droit des usagers (Q3). Les « IME associés »
perçoivent la compétence de leur personnel, à l’inverse les
IME
notent une insuffisance de
connaissance de leurs collaborateurs. Ces représentations différentes suggèrent que les points
de vue des professionnels, pour appliquer le droit des usagers, seront davantage pris en
compte par leur direction dans les « IME associés » que dans les IME.
Un second écart s’enregistre au niveau de la mise en place des outils rendus obligatoire par
la loi de rénovation sociale pour rendre opérationnel le droit des usagers. C’est surtout au
niveau de la réalisation du livret d’accueil que le décalage se remarque. Aucun IME ne dispose
de ce document contrairement à la plupart des « IME associés » (Q5). Ce décalage est un peu
moins marqué pour la diffusion de la charte nationale des droits et des libertés et du règlement
de fonctionnement (Q7 et Q8). Pour ces deux derniers outils, les résultats sont à relativiser en
raison de la non parution des décrets d’application à la date de l’enquête.
Nous relevons que des « IME associés » ont mis en place des dispositions pour répertorier
les demandes/réclamations des usagers. Des membres de leurs équipes sont chargés de traiter
ces demandes et réclamations. Cette organisation favorise la participation des familles.
A l’opposé les IME n’ont pas engagé d’initiative dans ce dialogue avec la famille.
L’observation directe au
SESSAD
« le soleil levant »/
IME
de Ville-en-Selve : le
système des référents.
Notre intention est de vérifier que :
↪ Il existe un processus d’innovation qui traverse le
SESSAD
puis l’IME en identifiant trois
séquences types : initiative et désordre, imitation, institutionnalisation.
Le système des référents individualisés mis en place d’abord au
puis à
IME
SESSAD
« le soleil levant »
de Ville-en-Selve, nous a semblé une illustration de la diffusion du travail en
réseau. Nous avons souhaité vérifier l’effectivité de ce processus le retracer et l’analyser.
93
Nous traiterons successivement de l’apparition de cette nouvelle pratique de travail, les
différentes phases de sa diffusion, la logique des acteurs impliqués dans ce processus.
A l’ouverture du
SESSAD,
fonctionnement. Ce travail en
l’équipe et la direction ont élaboré un mode de
SESSAD
était nouveau pour les salariés ; des rencontres furent
organisées avec d’autres services de la région. A la suite de ces échanges, la notion de référent
de projet individualisé fut introduite dans le projet du SESSAD. Cette pratique de la référence,
pour laquelle l’équipe n’avait pas trop de repères, s’ajusta au fur et à mesure de son
utilisation. La coordination du projet individualisé de chaque usager est confiée à un membre
de l’équipe. Ce dispositif rencontra rapidement l’unanimité de tous les membres de l’équipe
dont il valorisait les initiatives et l’autonomie. Les usagers et de leurs familles manifestèrent
leur satisfaction, ils identifiaient aisément leur interlocuteur dans le service. La fonction de
référent était décrite d’une manière assez générale dans le projet, laissant une marge
d’interprétation à chaque salarié. Cette liberté des acteurs leur permettait d’expérimenter et
d’adapter cette pratique de coordination aux besoins de chaque usager.
Cette pratique professionnelle se développait à l’écart de l’IME et sans que l’équipe de
celui-ci lui porte de l’intérêt. Au fil des mois ce travail de référent prenait place dans l’activité
professionnelle des salariés du
SESSAD
; progressivement les pratiques de ce service se
distinguaient de celles de l’IME. La direction encouragea la diffusion du système de référent à
l’IME. Les salariés du
SESSAD
proposèrent de relater leur expérience. Une réunion de
présentation du projet et du fonctionnement du SESSAD fut organisée à l’IME. Les réactions des
salariés de l’IME étaient courtoises mais prudentes, la direction cherchait à les mobiliser. Une
seconde occasion d’approcher le rôle de référent plus concrètement, furent les réunions qui
concernèrent à la même époque des usagers. Il s’agissait d’effectuer des relais pour
l’accompagnement des jeunes entre le SESSAD et l’IME. Les salariés de l’IME furent intéressés
par le rôle du référent, sa fonction de coordination, son compte-rendu. Ce travail de référent,
qui témoignait d’une certaine compétence, était valorisé car les familles des usagers
exprimaient de la reconnaissance.
La pratique de référent quitta la « clandestinité » pour être connue de tous. La
direction reprit des initiatives pour contribuer à son introduction à l’IME. La question fut
traitée lors des réunions institutionnelles et provoqua un certain désordre. Alors
qu’initialement aucun salarié n’avait manifesté son intérêt lors de la première présentation,
94
maintenant la plupart des membres de l’équipe souhaitait investir ce rôle. Ces acteurs avaient
perçu qu’il y avait une zone d’autonomie à conforter avec cette nouvelle fonction et d’un
point de vue de l’analyse stratégique81 une possibilité de renforcer leur pouvoir. Ce désordre
se matérialisa lors d’un conflit entre les éducateurs et les éducateurs techniques, les premiers
finissant par être désignés comme « référents » des usagers. Les éducateurs techniques restant
en retrait par crainte de perdre leur spécificité professionnelle et d’être assimilés au groupe
général des éducateurs. Ils craignent qu’une partie du travail des éducateurs spécialisés se
reporte sur eux. Ce désordre engendré est assez caractéristique du phénomène d’innovation.
La direction arbitra ces divergences et fixa dans le projet institutionnel les règles applicables
au dispositif de référent de projet individualisé.
Nous avons donc vu que l’équipe du
SESSAD
« le soleil levant » a eu un rôle pionnier
dans l’introduction de la pratique de référent. Elle s’était inspirée de pratiques développées
par d’autres
SESSAD
rencontrés dans le cadre de réseaux informels. L’IME de Ville-en-Selve,
sous l’impulsion de sa direction, a repris à son compte cette nouvelle pratique. Son
introduction fut l’objet de conflits entre les salariés dont les intérêts divergeaient. A cette
phase de désordre succéda une phase d’institutionnalisation de nouvelles règles. Comme le
relève Norbert ALTER dans un article82 nous pouvons dans cette dynamique identifier trois
positions :
-
Celle des tenants de l’innovation qui profitent de leur contribution pour améliorer leur
reconnaissance sociale dans l’entreprise, dans notre exemple les salariés du SESSAD.
-
Celle des salariés installés en position sociale avantageuse, devenus tenants de la règle
et qui s’opposent au jeu des innovateurs, dans notre exemple les éducateurs
techniques.
-
Celle de la direction qui arbitre les rapports de force entre les deux groupes
précédents. Elle fait évoluer les règles lorsqu’elle veut favoriser l’innovation. Elle est
garante de ces règles lorsqu’elle veut privilégier l’ordre et la cohérence sur les
turbulences de l’innovation.
81
82
CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, L’acteur et le système, Editions du Seuil, collection Points, 1977
In Sciences Humaines, Article de N. ALTER, Une gestion du désordre, avril 1991, dossier n°5, p.24.
95
3.3.
La
validation
méthodologiques.
de
l’hypothèse
et
les
limites
Nous nous sommes posée la question : « En quoi le SESSAD est-il facteur d’innovation
pour l’IME ? », notre recherche nous a conduit à proposer l’hypothèse suivante : « Le SESSAD
est facteur d’innovation en diffusant de nouvelles pratiques, notamment le travail en réseau et
partenariat. » Pour vérifier cette hypothèse de travail nous avons construit un modèle
d’analyse en articulant les concepts d’innovation et de réseau et en les définissant à l’aide des
cinq critères suivants :
Identification de trois séquences : désordre, imitation, institutionnalisation en référence au
travail de Norbert ALTER.
Le SESSAD : interface entre l’IME et une pluralité d’acteurs.
Projets initiés par le SESSAD puis partagés avec l’IME et des acteurs du territoire.
L’engagement des salariés du SESSAD mobilise les salariés de l’IME .
La participation de l’usager et de sa famille au
SESSAD
fait évoluer les pratiques de l’IME
dans ce domaine.
Voyons pour chacun des cinq critères l’éclairage que nous a apporté l’activation de
notre enquête de vérification composée d’entretiens, de traitement d’un questionnaire et
d’observations directes.
Identification de trois séquences : désordre, imitation, institutionnalisation en référence au
travail de Norbert ALTER.
Cette observation au
SESSAD
« le soleil levant » et à l’ IME de Ville-en-Selve, nous a
permis de confirmer les phases successives caractéristiques du processus d’innovation. Une
étude attentive du contenu des entretiens nous montre qu’un phénomène d’imitation se passe
entre les pratiques du
SESSAD
et des « IME associés ». Cette transmission de pratiques se
traduit pour les « IME associés » par une augmentation du nombre de partenaires provenant du
milieu ordinaire. D’autre part la plupart des projets d’établissements des « IME associés »
intègrent des nouvelles pratiques : prise en compte de l’environnement et politique
partenariale, participation des usagers, flexibilité de l’organisation.
96
En revanche les
IME
sans
SESSAD
n’ont pas actualisé leur projet. Cependant des tensions
existent dans ces établissements, elles ont été exprimées durant les entretiens. Ces tensions –
désordres - résultent d’une divergence entre salariés, les « modernes » et les « anciens » ; les
premiers épaulés par la direction souhaitent rejoindre le modèle de fonctionnement des
institutions du secteur, les seconds veulent maintenir le fonctionnement actuel. Les arguments
de ces « anciens » sont pour chacun de ces deux IME:
-
« Travailler avec les familles n’est pas possible car elles sont pathogènes ! »
-
« Nous ne voulons pas sortir de l’IME, ce n’est pas notre travail ! »
Le SESSAD : interface entre l’IME et une pluralité d’acteurs.
Les entretiens nous ont permis de constater que les « IME associés » avaient un nombre
de partenaires plus élevé que les IME sans SESSAD. Néanmoins nous n’avons pas pu établir une
relation directe entre les liens constitués par le
SESSAD
avec l’environnement et leur
reproduction avec l’IME. Dans ce domaine il semble que le rôle de la direction et des cadres
qui exercent des fonctions transversales à l’IME et au
SESSAD
soit déterminant. Ces acteurs
semblent capitaliser leurs « contacts » et agrandir les réseaux, créant une synergie entre le
SESSAD
et l’IME. Il resterait également à mettre à jour un ensemble de relations personnelles et
informelles engagées par les professionnels du
SESSAD
dans leur activité et en marge de leur
activité qui sont une forme de « présentation » de l’IME à l’extérieur.
Projets initiés par le SESSAD puis partagés avec l’IME et des acteurs du territoire.
Nous n’avons pas mis en évidence un nombre significatif de projets initiés par le
SESSAD
puis partagés par l’IME et d’autres acteurs du territoire. Cependant les entretiens
montrent une similitude entre le type de projets développés au SESSAD avec ses partenaires et
les projets où s’implique l’IME dans son environnement. L’originalité de ces projets est
d’associer un nombre croissant de partenaires et leur action vise des objectifs touchant de plus
en plus l’ensemble de la population locale. Cette évolution s’inscrit dans une démarche de
développement social territorial. Pour Jean-François BERNOUX83
« …le partenariat devient … un objectif stratégique pour faire face à l’étendue des
problèmes sociaux que l’économique en crise n’absorbe plus.…Aux logiques
spécialisées et cloisonnées qui ont présidé au déploiement du travail social depuis ses
83
BERNOUX, Jean-François, Mettre en œuvre le développement social territorial, Paris, Dunod, 2002, p.2
97
origines succèdent l’interchangeabilité des compétences et la permutabilité des
métiers. »
Il y a cependant une catégorie de projets partagés, ceux qui concernent le parcours
d’un usager dont l’accompagnement fait appel successivement ou simultanément au SESSAD, à
l’IME et à d’autres partenaires. Dans cette situation précise, le
SESSAD
est un espace de
connexion entre l’IME et les réseaux déjà engagés avec, et autour de l’usager.
L’engagement des salariés du SESSAD mobilise les salariés de l’IME.
L’observation relative au système des référents de projet individualisé fait ressortir le
rôle mobilisateur des salariés du SESSAD dans ce domaine. Après la découverte d’une nouvelle
pratique ils se sont mués en promoteurs/formateurs de ce savoir-faire auprès de leurs
collègues de l’IME. Dans cette démarche de transmission, ils manifestaient une véritable
motivation générée par leur désir d’être reconnus par leurs collègues et l’institution.
Le comportement des salariés/acteurs de l’IME se complète d’une redéfinition de
l’organisation. Les entretiens ont pointé le recul de l’organisation par fonction, l’évolution du
rôle des cadres et le développement du travail transversal soit par équipe projet, soit par
implication dans des réseaux externes à l’organisation. Ainsi la contribution de participants
extérieurs à l’organisation est citée fréquemment.
Le questionnaire traduit également une représentation positive des compétences des
personnels par les cadres des « IME associés ». A la fois ces établissements sont organisés
pour que les salariés puissent prendre des initiatives et la direction les trouve plus compétents.
Cet investissement sur les ressources des acteurs ne se retrouve pas dans les IME sans SESSAD
où il semble que se pratique une gestion du personnel plus taylorienne84 ; les logiques
dominantes sont la rationalisation de l’organisation et la spécialisation des tâches. Dans cette
vision leurs salariés, face aux changements, sont perçus par l’encadrement comme passifs
voire opposants.
84
Taylorisme : expression issue des travaux de Frederic TAYLOR (1856-1915), ingénieur américain qui, afin
d’accroître la productivité du travail, a prôné une organisation du travail, qu’il a qualifié de « scientifique »,
(Organisation Scientifique du Travail –OST-).
98
La participation de l’usager et de sa famille au SESSAD fait évoluer les pratiques de l’IME dans
ce domaine.
Pour vérifier ce critère nous avons comparé l’application par les
IME
des nouvelles
dispositions rendues obligatoires par la loi de rénovation de l’action sociale. Lors de cette
comparaison nous avons distingué deux groupes d’IME, ceux qui sont associés à un SESSAD et
les
sans
IME
SESSAD.
associés à un
Cette comparaison s’est réalisée à l’aide d’un questionnaire. Les
SESSAD,
plus réactifs que les autres
IME,
ont
IME
pris des mesures dès la
promulgation de la nouvelle législation. Ils manifestent une réelle volonté d’échange avec
l’usager en concevant des dispositions d’écoute et en développant une fonction de traitement
des demandes et des réclamations. Dans ces « IME associés », il existe donc des pré-requis
d’une participation des usagers et des familles. Cette comparaison suggère donc une
corrélation entre la participation des usagers dans les IME et la présence d’un SESSAD associé à
cet
IME.
SESSAD
Néanmoins elle n’établit pas un lien direct entre la participation des usagers au
et l’amélioration de la participation des usagers à l’IME.
Les entretiens confirment cette plus grande participation des familles dans les
associés à un
SESSAD.
IME
Pourtant, la formulation de ce dernier critère serait à affiner en tenant
compte d’éléments plus diffus recueillis lors des entretiens : Le cadre d’un IME affirme que les
familles d’usagers accompagnés antérieurement par un
SESSAD
sont plus actives et qu’elles
prennent plus souvent la parole. Plusieurs de nos interlocuteurs ont évoqué l’influence des
collectifs d’usagers dans les instances représentatives ou des associations gestionnaires
regroupant des parents. La focalisation sur l’action de ces groupes de parents laisse cependant
dans l’ombre la place prise par chaque famille dans les accompagnements individualisés.
Le résultat de toutes ces investigations confirme que le
SESSAD
est bien un facteur
d’innovation en diffusant de nouvelles pratiques, notamment le travail en réseau et
partenariat. Il s’agit là d’un point de départ à de nouveaux approfondissements. Nous tenons
toutefois à indiquer certaines limites méthodologiques de notre recherche. Une des difficultés
est d’élaborer une méthodologie qui rende compte des systèmes complexes que nous
analysons et des logiques d’acteurs. Les limites à l’utilisation de l’observation directe ont été
notre appartenance à l’équipe observée et le risque d’introduire, par ce fait, un biais trop
subjectif. Le questionnaire restreint considérablement l’espace d’analyse de la participation
des usagers en le circonscrivant aux dispositions légales. Enfin, il aurait été souhaitable
d’augmenter le nombre d’entretiens concernant les
IME
sans
SESSAD,
bien qu’il faille noter
99
que cette catégorie d’établissements se réduit. Nous aurions pu également intégrer une étude
temporelle qui aurait fait apparaître l’impact des
SESSAD
en fonction de leur ancienneté de
fonctionnement. Cette recherche sur l’innovation et le travail en réseau a été le support
d’échanges avec de multiples interlocuteurs avec lesquels nous avons confronté nos points de
vue. Dans cet esprit, nous avons sollicité l’avis de nos collègues du
SESSAD.
Notre attention
s’est portée également sur la participation des usagers, leurs attentes vis-à-vis du service.
Dans ces deux situations nous aurions pu formaliser plus scientifiquement les contributions
des uns et des autres.
Nous avons étudié un mouvement, celui de l’innovation. Nous avons cherché à le
comprendre à partir d’une hypothèse, cependant nous avons bien conscience et nous espérons
l’avoir illustré, qu’il s’agit d’un phénomène qui inter-réagit à des causes multiples. Nous
rejoindrons en cela les propos d’Edgar MORIN85 :
« L’ordre humain comporte le désordre. Dès lors, il s’agit de se demander si les
progrès de la complexité, de l’invention, de l’intelligence, de la société, se sont faits
malgré, avec ou à cause du désordre de l’erreur, du fantasme. Et nous répondons à
cause de, avec et malgré, la bonne réponse ne pouvant être que complexe et
contradictoire. »
Le travail en réseau favorisé par les SESSAD contribue à une ouverture des IME et à leur
désenclavement. Ainsi, ils sont parvenus à établir de nombreux contacts avec des acteurs de la
cité, ils investissent le territoire, se rapprochent des usagers et conçoivent des projets
partenariaux. Les
SESSAD
créent une dynamique de « dé-spécialisation » du secteur handicap
en donnant une place de premier rang au milieu ordinaire et en privilégiant une approche
transversale avec les acteurs territoriaux. Cette pratique modifie profondément les
représentations sociales de la personne handicapée qui n’est plus une « personne à part ». Ce
changement de perspective impulsé par les
SESSAD
amène les
IME
à mettre en œuvre des
stratégies pour faire partie de la communauté.
85
MORIN Edgar, Le paradigme perdu : la nature humaine, Editions du Seuil, Paris, 1979, p.127.
100
CONCLUSION
Nous avons été interpellée par les changements rapides de notre environnement
professionnel : un
IME
redéployé partiellement en
SESSAD.
Cette situation singulière s’inscrit
dans un contexte d’évolution, celui de l’action sociale et médico-sociale et plus largement
dans les mouvements qui traversent notre société. Nous avons étudié particulièrement les
logiques à l’œuvre dans le secteur médico-social en faveur des enfants handicapés. De
nouvelles prestations d’accompagnement délivrées par des services de proximité émergent et
visent le maintien en milieu ordinaire, l’intégration sociale et professionnelle de ces enfants.
En contre-partie, le fonctionnement des institutions traditionnelles, orienté vers des
prises en charge spécialisées intra-muros, est interrogé voire remis en cause par les usagers et
les politiques sociales. Beaucoup de ces établissements s’adaptent à ces nouvelles attentes et
la frontière entre les établissements et les services de milieu ouvert devient de plus en plus
floue. Les usagers peuvent bénéficier de parcours d’accompagnement où se coordonnent et se
mutualisent les ressources des établissements et des services. Il ne s’agit donc pas d’opposer
entre elles ces structures ; elles forment un panel diversifié répondant à la multiplicité des
besoins des usagers. Pierre GAUTHIER86, à la tête de la Direction de l’Action Sociale, insista
sur l’intérêt de cette complémentarité entre établissements et services :
« Petit à petit, les établissements deviennent de plus en plus des centres de ressources
qui aideront au maintien ou au retour au domicile et il importe aujourd’hui de
reconnaître comme point fort la complémentarité et non l’antagonisme entre
établissement et le milieu ouvert. »
86
Les Actes du séminaire: Innover dans nos pratiques et accompagner le projet de vie, 26 mai 2000, Nancy,
Alagh- p.25.
101
La logique du partenariat concerne dorénavant tous les acteurs du secteur social et
médico-social. Ce décloisonnement des réponses s’opère avec la remise en cause de
certitudes, celles distinguant les personnes handicapées :
- des personnes dites « valides »,
- des personnes âgées,
- des malades.
Nous avons voulu savoir comment s’opérait ce rapprochement et cette conjugaison
entre les établissements et les services. Pour cela, nous avons examiné la situation du SESSAD
« le soleil levant » et de l’IME de Ville-en-Selve. Notre réflexion s’est intéressée aux nouvelles
pratiques professionnelles du
SESSAD
et à leur diffusion. Au cœur de ce processus
d’innovation, l’inscription dans un travail en réseau du
SESSAD
est particulièrement féconde,
elle mobilise l’IME et accélère son « ouverture ».
Si nous avons montré les dynamiques et les logiques d’acteur au cœur de ce processus
d’innovation, nous avons souligné également la place centrale qu’occupe le sens donné à
l’innovation. C’est bien au nom d’une amélioration de la condition des jeunes en situation de
handicap que les différents acteurs s’engagent dans l’innovation. Cette question du sens et de
l’intérêt de l’innovation ne va pas de soi. Dans le travail social, quels sont les repères nous
permettant de qualifier d’innovation de nouvelles pratiques professionnelles et dans quelles
conditions apparaissent-elles ?
Ces dernières années les questions touchant le sens du travail social, son éthique et sa
déontologie ont fait l’objet de nombreux travaux et de débats. Brigitte BOUQUET, titulaire de
la chaire d’Action Sociale au CNAM87, souligne, dans un ouvrage88 récent, la nécessité
d’éclairer le sens et la finalité du travail social dans une société traversée par de profonds
bouleversements. Ce questionnement touche particulièrement l’apparition de nouvelles
pratiques professionnelles.
Dans la sociologie de Norbert ALTER, nous avons vu que l’innovation ne se décrétait
pas. Elle doit correspondre à un contexte et à l’attente des acteurs. L’amélioration des
réponses apportées aux usagers est l’un des moteurs de l’innovation dans le secteur social. Il
87
88
Conservatoire National des Arts et Métiers
BOUQUET Brigitte, Ethique et travail social, une recherche de sens, Dunod, Paris, 2004.
102
est souhaitable que cette innovation implique les usagers. L’idée qu’ils se font de leurs
besoins et les demandes qu’ils expriment permettront de construire les réponses les plus
adéquates. L’action sociale doit être partagée et se délibérer entre les acteurs qui font alors
preuve d’une intelligence collective89. Cette connaissance des usagers acquise par
l’expérience de leur situation, que les sociologues Michel CALLON et Bruno LATOUR90
appellent « des savoirs profanes » s’opposent à l’autorité des experts. Dans cette optique, le
respect des droits des usagers est primordial et leur participation est à encourager. Cette
ambition favorise la citoyenneté des usagers par le développement social et territorial. Une
nouvelle pratique, le travail en réseau, correspond à cette approche, il prend en compte la
complexité de la vie sociale. L’enjeu est de renforcer la cohésion sociale mise à mal par la
poussée des individualistes et le consumérisme. Michel GODET, examinant l’évolution de la
société française, s’inquiète de ce délitement du lien social :
« Il ne s’agit pas de revenir à une économie stationnaire mais de prendre conscience
que nous consommons beaucoup de biens comme ersatz des liens qui nous
manquent. »91
L’innovation illusoire est celle qui transforme les prestations en marchandises, les
usagers en clients en excluant les personnes les plus vulnérables d’un marché. Ces exclusions
touchent « les cas » les plus difficiles, ceux dont les problématiques sont complexes et qui ne
sont pas solvables. Or, le bien-fondé de l’innovation dans le travail social se situe dans cette
tentative d’améliorer ces situations « ingérables ». En favorisant la créativité des travailleurs
sociaux et des usagers et en mutualisant les ressources des institutions, le travail en réseau est
l’un des moyens qui répond le mieux à ces besoins singuliers.
Là encore, il y a une dérive à éviter, celle qui nie au nom de l’efficacité la temporalité
nécessaire à l’instauration de liens sociaux. Ainsi des projets peuvent se succéder, des équipes
être constituées, réorganisées et remaniées à partir d’évaluations superficielles, « oublieuses »
de la durée nécessaire à l’édification de liens solides entre les différents acteurs. Finalement
les relations deviennent plus nombreuses mais parfois de courtes durées et peu approfondies,
89
GOUX-BAUDIMENT F., HEURGON E., et LANDRIEU J., Prospective, vol. II, Expertise, débat public : vers une
intelligence collective, L’Aube/Cerisy, 2001.
90
Sciences Humaines, Hors série n°44, Mars-avril-mai 2004, Décider, gérer, réformer, les voies de la
gouvernance, p.51.
91
GODET Michel, Le choc de 2006, démographie, croissance, emploi, pour une société de projets, Editions Odile
Jacob, Paris, 2003, p.139.
103
elles se renouvellent fréquemment avec l’arrivée d’autres interlocuteurs. Cette instabilité
nourrit ou entretient une forme d’insécurité tant chez les travailleurs sociaux que chez les
usagers. Le sociologue Richard SENNETT l’a bien perçu en stigmatisant les inconvénients de
la flexibilité liée au travail en réseau :
« Si une organisation, nouvelle ou ancienne, opère comme une structure en réseau
flexible et lâche, plutôt que de manière autoritaire et hiérarchique, le réseau peut
aussi affaiblir les liens sociaux.…
…Le cadre temporel restreint des institutions modernes empêche la confiance
informelle de mûrir.92
Au nom de l’innovation, l’engagement total des salariés est parfois recherché et pour
cela des pratiques managériales s’ingèrent dans leur intimité et leur identité. Selon Eugène
ENRIQUEZ, cette dérive est perçue par les salariés ; ils ne sont pas dupes de ces stratégies
destinées à « mettre les individus au travail, les contrôler, les prendre au piège de leurs
propres désirs, les manipuler, les séduire »93.
Il ressort de cette analyse que le bien-fondé de l’innovation n’est pas donné à priori.
Les acteurs concernés, notamment les usagers, ont donc à s’approprier ce processus, à le
soumettre à leurs critiques et à le faire progresser dans le cadre d’une co-construction.
Après avoir rappelé l’importance du sens de l’innovation, revenons sur le contexte
organisationnel qui le caractérise. Le processus d’innovation étudié à la suite de l’ouverture
du SESSAD « le soleil levant » a eu pour effet de créer une nouvelle situation institutionnelle et
de modifier les pratiques professionnelles dans trois dimensions structurelles : les
compétences déployées par les travailleurs sociaux, l’organisation du travail et le mode de
management. Il en résulte une nouvelle manière de travailler qui conditionne l’émergence
d’autres innovations.
La première dimension concerne l’évolution des compétences des salariés du SESSAD
puis de l’IME. Il y a un développement progressif des compétences individuelles et collectives.
92
SENNETT Richard, Le travail sans qualités, Editions Albin Michel, Collection 10/18, 2000, p.p 27, 28.
ENRIQUEZ Eugène, cité par Stéphane HAEFLIGER, sociologue, chargé de cours à l’université de Lausanne, in
La tentation du « loft management » , Le Monde Diplomatique, n°602, mai 2004.
93
104
Les pratiques professionnelles étaient précédemment marquées par un exercice dans le cadre
d’une organisation taylorienne, il s’agissait surtout pour les salariés d’exécuter des opérations
prescrites par l’encadrement conformément aux règles institutionnelles. Les situations traitées
se répétaient de manière routinière. L’ouverture du
SESSAD
a plongé les travailleurs sociaux
dans un cadre nouveau : la découverte d’un territoire, des rencontres et partenariats avec des
acteurs locaux, les interventions sociales au domicile de l’usager, l’individualisation de
l’accompagnement et sa contractualisation. L’équipe n’est plus regroupée en permanence, les
interventions se déroulent souvent en individuel ; en contre-partie apparaît un travail plus
élaboré de coordination et de mise en cohérence des interventions. Dans cette organisation
plus ouverte qui gère des situations complexes, les salariés doivent mobiliser des qualités
relationnelles et actualiser en permanence leurs connaissances. Ils ont à faire face à des
événements imprévus et à coopérer avec des partenaires qui se renouvellent. Cette expérience
de travail enrichit les compétences des salariés, et les amènent à voir autrement les situations
complexes qu’ils accompagnent. Le sociologue Guy
LE
BOTERF
94
décrit ce nouveau type de
compétences :
« … être compétent signifie aussi savoir improviser. C’est le savoir agir et réagir face
à l’événement, à l’imprévu, à l’inédit. C’est ce qui est de plus en plus demandé au
professionnel. Il doit savoir non plus seulement exécuter le prescrit mais aller au-delà
du prescrit.…A la différence du débutant, l’expert sait improviser grâce à
l’intelligence des situations qu’il a acquise au cours des expériences variées et
fortement contextualisées de sa vie professionnelle. »
Cette évolution des compétences stimule la réflexion en matière de formation
professionnelle et donne une place particulière aux dispositifs privilégiant l’alternance. Le
« dialogue » entre les cours théoriques et la réalité de terrain nourrit le processus
d’apprentissage.
La seconde dimension se situe au niveau organisationnel où les compétences
individuelles se combinent pour devenir des compétences collectives, le
SESSAD
est une
organisation qui s’adapte à son environnement, en cela elle est devenue une organisation
« apprenante ». Elle ajuste son organisation, voire s’auto-organise, par exemple le programme
94
BOTERF Guy, Construire les compétences individuelles et collectives, Paris, Editions d’Organisation 3e
édition, 2004, p. 92.
LE
105
de travail des salariés du SESSAD varie fréquemment en fonction des projets des usagers et des
contraintes externes. Cette souplesse organisationnelle est possible par la mise en réseau de
tous ces membres, évitant les rigidités liées au cloisonnement inter-services. Ce
fonctionnement
transversal
est
caractérisé
par
l’engagement
des
salariés,
leur
responsabilisation. Afin de maintenir la cohérence du service, un projet fédère les salariés et
donne un sens partagé à leur action. Cette notion d’organisation apprenante a notamment été
abordée par Chris ARGYRIS95 qui définit ainsi l’apprentissage organisationnel :
« On peut considérer qu’une organisation apprend lorsqu’elle parvient à détecter et à
corriger une erreur, étant entendu qu’il y a erreur quand un écart apparaît entre une
intention et ses conséquences effectives, entre un projet et ses retombées. »
L’évaluation de la qualité des services, que le
SESSAD
et l’IME cherchent à construire
aujourd’hui, est en correspondance avec cette volonté de faire progresser l’organisation. Cette
tentative ne peut se concrétiser qu’en acceptant la confrontation des points de vue dans
l’organisation et à l’extérieur de l’organisation ; c’est l’enjeu d’une réelle politique de
communication respectueuse de toutes les parties. Ces échanges seront d’autant plus créatifs
que l’organisation réunit des membres aux qualifications et aux expériences diversifiées. Le
facteur hiérarchique est devenu moins prégnant au quotidien, il empêche cependant la
confusion et l’insécurité qui pourrait résulter de multiples initiatives individuelles. Hervé
SERIEYX96 explique que les organisations allient maintenant la pyramide, emblématique de la
hiérarchie, et le réseau propice à la coopération :
« Au sein de l’organisation dans laquelle je joue un rôle majeur, reconnaît-on que le
réseau qui donne de la vie et la pyramide qui donne de l’ordre sont également
nécessaires ? Accepte-t-on que cela produise une organisation plus vivante que claire,
qui peut engendrer des conflits –de pouvoirs, d’intérêts, de priorités-, conflits qui
peuvent être porteurs d’une dynamique de progrès et qu’il faut vivre avec sérénité ? »
La troisième dimension de cette nouvelle culture de travail est celle du management.
Pour Norbert ALTER, l’enjeu des dirigeants est de transformer en ressources les incertitudes,
95
CABIN Philippe, (coordonné par) Les organisations, Etat des savoirs, Editions Sciences Humaines, 2002,
p.193
96
SERIEYX Hervé, Boussoles pour temps de brume, Paris, Pearson Education France, 2003. p.137
106
le désordre et la déviance à l’œuvre dans l’entreprise. Pour cela, il faut tirer parti du potentiel
trop souvent inexploité des membres de l’équipe. Ils veulent s’investir mais n’y parviennent
pas dans un cadre organisationnel trop rigide. Les questions de l’accès des salariés à la
formation et aux systèmes d’informations sont essentiels. Dans cet esprit les pratiques
actuelles de management valorisent la gestion des compétences et des connaissances97.
L’utilisation des nouvelles technologies crée également des espaces d’apprentissages :
Internet, E-learning. Au
SESSAD
« le soleil levant » des équipes de différentes structures
viennent présenter leurs projets et modalités de travail. Au cours de ces rencontres s’opèrent
des échanges de savoirs. Cependant, la coordination des différentes interventions et
l’intégration des points de vue dans les processus de décision représentent une part importante
de la gestion du service. Une autre facette du travail des cadres consiste à situer leur service
ou établissement dans un contexte territorial. Cette prise en compte de l’environnement
permet de réduire l’incertitude qu’il représente et de se donner la possibilité d’agir, de prendre
contact avec de nouveaux acteurs, de nouer des réseaux, des partenariats.
Ce voyage que nous avons engagé sur les voies et « réseaux » de l’innovation, a tenté
de donner un éclairage et un sens au « désordre » qui a émergé depuis la création du
SESSAD
« le soleil levant ». L’ouverture de ce service, impulsée par les pouvoirs publics et demandée
par les usagers, est venue rompre le fonctionnement bien rôdé d’un IME. Le SESSAD s’installa
à Reims dans les locaux libérés par un laboratoire (est-ce « un clin d’œil » à la sociologie de
l’innovation ? 98) et son équipe commença à tisser de nouveaux liens.
97
BEYOU Claire, Manager les connaissances, Editions Liaisons, 2003.
LATOUR Bruno, WOOLGAR Steve, La vie de laboratoire, la production des faits scientifiques, Paris, Editions
La Découverte/Poche, 1996.
98
107
BIBLIOGRAPHIE
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108
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SAINSAULIEU, René, L’identité au travail, 3e édition, Paris, Editions Presses de la Fondation
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VIDALENC Elisabeth, Le défi du partenariat dans le travail social, Paris, l’Harmattan,
Collection le travail du social, 2002, 183 pages.
⋄⋄⋄
Dictionnaire/Méthode/Guide
ARBORIO Anne-Maris, FOURNIER Pierre, L’enquête et ses méthodes : l’observation directe,
Paris, Editions Nathan Université, 1999, 127 pages.
BOUDON R., BESNARD P., CHERKAOUI M., LECUYER B-P., Dictionnaire de sociologie,
Larousse, 2003, 279 pages.
COMBESSIE, Jean-Claude, La méthode en sociologie, Paris, Editions La Découverte,
Collection Repères, 3e édition, 2001, 123 pages.
COUSERGUE Catherine (sous la direction), Guide de l’intégration scolaire de l’enfant et de
l’adolescent handicapés, Paris, Dunod, 1999, 288 pages.
GRAWITZ, Madeleine, Méthodes des sciences sociales, Paris, Editions Dalloz, 1996, 920
pages.
QUIVY, Raymond, VAN CAMPENHOUDT, Luc, Manuel de recherche en sciences sociales,
Paris, Dunod, 2e édition entièrement revue et augmentée, 1995, 287 pages.
⋄⋄⋄
110
Revues/Actes de colloques/Journaux
ANAS-FNARS en collaboration avec D. LALLEMAND, Les défis de l’innovation sociale,
Collection Actions sociales/Société, ESF éditeur, 2001.
Etude sur les SESSAD agréés déficience intellectuelle, Union Régionale des Caisses
d’Assurance Maladie de Lorraine, janvier 2003.
Formation Santé Social, n°53, décembre 2002.
Formation Santé Social, n°58, mars 2004.
Informations sociales, Le destin des innovations, n°116, mai 2004.
Le handicap en chiffres, février 2004, synthèse réalisée par Cécile BROUARD (CTNERHI)
Les cahiers de l’Actif, Dossier Travail en réseau et territoires d’action, n°324/325, mai,
juin 2003.
Le Monde Diplomatique, n°602, mai 2004.
Lien Social n°465, Les SESSAD misent tout sur la famille, 3 décembre 1998.
Parents & Professionnels, 1. Une rencontre nécessaire, difficile et souhaitée, CREAI
Rhône-Alpes, 1994, Actes du séminaire régional organisé par la DRASS Rhône-Alpes et le
CREAI Rhône-Alpes les 31 janvier et 1er février 1992.
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Sciences Humaines, Autorité, de la hiérarchie à la négociation, n°117, juin 2001.
Sciences Humaines, n°119 bis, août-septembre 2001.
Sciences Humaines, Décider, gérer, réformer, les voies de la gouvernance, Hors série n°44,
Mars-avril-mai 2004.
SESSAD et territoires : pratiques de réseaux, 4e journées d’étude organisées par
l’ANCREAI, 15, 16/11/2000, Montpellier.
Innover dans nos pratiques et accompagner le projet de vie, Actes du séminaire du 26 mai
2000, Nancy, Alagh.
111
Annexe 1 :
Présentation de l’UGECAM
112
113
Annexe 2
Fiche descriptive du SESSAD « le soleil levant »
114
115
116
Annexe 3
Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002
(Articles 1 à 21)
117
118
119
120
121
122
Annexe 4
Décret n° 89-798 du 27 octobre 1989, Annexe XXIV
123
124
125
126
127
128
129
Annexe 5
Le handicap en chiffres
Extrait de l’étude coordonnée
par Cécile BROUARD
-CTNERHI-
130
131
132
Tableau 1 : Identification de l’institution
1) IME
2) IME
Pour
établis.:
Internat/ ½
Int.
Int+ ½ Int.
½ Int
1) IME¾ Int + ½ Int.
&
SESSAD¾
SESSAD
installé
dans un
établis.t
non
SESSAD Implantation des
dans ses locaux :
propres Rural/Urbain
locaux
Milieu urbain
Milieu urbain
oui
2)IME¾ Int + ½ Int.
&
4)IME¾
&
SESSAD¾
SESSAD¾
Milieu rural
Milieu urbain
D.I
D.I
Département
Local
Milieu urbain
non
Milieu rural
non
oui
Milieu rural
Milieu rural
Milieu rural
D I+ TCC
Sur terrain IME
Milieu urbain
Milieu urbain
non
Local + 25km autour
Rural, Semi-rural D I+ TCC
6)IME¾ Int + ½ Int.
&
SESSAD¾
Département, région.
Département, région.
Milieu rural
Int + ½ Int.
5) IME¾ Int + ½ Int.
&
D.I
D.I
oui
non
3) IME¾ Int+ ½ Int.
&
SESSAD¾
Zone de recrutement
des enfants ou
d’intervention
Sensoriel, TSL Local,
département,région.
Sensoriel,
Local et département
TSL
Handicap
Local + 30km
moteur
Handicap
½ départ. Ardennes
moteur
D.I
Local + 30km
D.I
oui
SESSAD¾
Type de
handicap
oui
Urbain
Handicap
moteur
Handicap
moteur
½ nord du départ.t
Urbain + 35 km
DI : Déficience intellectuelle
TCC : Troubles de la conduite et du comportement
TSL : Troubles sévères du langage.
Lors de l’identification des institutions, nous avons relevé que les 2 IME sans SESSAD rattachés
étaient installés en milieu urbain ; leur implantation à proximité des usagers a répondu à leurs
attentes et ainsi différé l’ouverture d’un SESSAD. Toutefois, ces deux IME nous ont informé de
leurs réflexions institutionnelles sur un projet d’ouverture d’un SESSAD. Il semble que ces
organisations soient contraintes par les politiques sociales, les normes professionnelles et la
demande d’intégration des usagers pour promouvoir un SESSAD.
Là, nous avons pointé la phase du processus d’innovation où les acteurs n’ont d’autres choix
que d’adopter cette innovation.
Nous remarquons également que les gestionnaires d’IME situés à la campagne ont procédé à
l’ouverture de SESSAD en milieu urbain. La création d’un SESSAD pour ces établissements
ruraux est l’occasion d’un rapprochement du domicile de leurs usagers. L’ouverture du
SESSAD apparaît dans ce mouvement d’urbanisation comme l’instauration d’un nouveau lien
avec l’usager. Là encore la conjoncture socio-politique, la géographie humaine a imposé
l’ouverture du SESSAD à l’IME.
Parallèlement au rapprochement vers l’usager, la création du SESSAD opère un rapprochement
spatial de l’organisation vers les principaux acteurs de la vie sociale : organismes
d’enseignement et de formation, lieux d’activités et de loisirs, les structures sanitaires et
sociales, les entreprises. Cette implantation des SESSAD est propice à l’instauration de contacts
avec ces partenaires potentiels.
Tableau 2 : Activité de l’établissement ou du service avec l’environnement
Projet/
Relations/formalisation
environnement
Non
Conventions d’intégration
Il va être réactualisé
Oui, mais à
Conventions d’intégration
développer.
1)
IME
2)
IME
Projets partagés ?
Partenaires ?
Institutionnels avec le
milieu spécialisé
Institutionnel en milieu
spécialisé
Milieu spécialisé et
milieu ordinaire
Milieu spécialisé
Milieu spécialisé et
milieu ordinaire
Milieu spécialisé et
milieu ordinaire
Réseaux
professionnels
Institutionnels
Le + des réseaux
Accueil des partenaires
Non réponse
Institutionnels et
assoc.- gestionnaire
Attente de plus
d’ouverture de l’IME
Associations pour des
activités et de l’information.
Non réponse
Oui, direction,
assistante sociale
Oui, direction,
assistante sociale
Pour développer des
projets.
Facilite les projets.
Informations.
Professionnels et usagers de
l’organisme gestionnaire.
Coordination pour les projets
individualisés.
Oui (projet récent)
volontariste.
Oui (projet récent)
volontariste.
Conventions d’intégration
et de soins.
Conventions d’intégration
Institutionnel en milieu
spécialisé
Projets individualisés des
jeunes.
Oui avec priorité à
l’intégration.
&
Oui, avec priorité à
SESSAD ¾
l’intégration.
Conventions d’intégration
et de soins.
Conventions d’intégration
et de soins.
Projets individualisés des Milieu ordinaire
jeunes.
Non réponse
Milieu ordinaire
Professionnels et
diversifiés
Professionnels et
diversifiés
Facilite les projets,
l’intégrat° scolaire
Facilite les projets,
l’intégrat° scolaire
Activités culturelles.
Oui priorité
intégration scolaire
&
Oui, délimitation
SESSAD ¾
d’un territoire
d’intervent°.
4)
Oui intégrat° IME
IME
¾ dans le territoire
&
Oui, intégrat° de
SESSAD ¾
l’enf.t dans le
territoire
Convent° de soins,
administratives, d’intégrat°
Conventions avec Educat°
Nale, établis.ts spécialisés
Institutionnel
Milieu spécialisé et
milieu ordinaire
Milieu spécialisé et
milieu ordinaire
Institutionnels et
assoc.- gestionnaire
Institutionnels et
assoc.- gestionnaire
Mutualisation échange
des savoirs.
Mutualisation échange
des savoirs.
Oui, échanges de services
(kiné, instit. spécialisé)
Oui, échanges de services
(kiné, instit. spécialisé)
Conventions avec Educat°
Nale, soins.
Convent° selon le projet
d’intégrat° de l’enfant
Institutionnel
Milieu spécialisé et
milieu ordinaire
Milieu spécialisé et
milieu ordinaire
Oui, direction,
médecin
Oui, direction, service
médical
Non réponse
Non réponse
Faire connaître le
SESSAD.
Non, les prof. du SESSAD
qui se déplacent.
Oui, ciblage d’une
zone d’intervention
&
Oui, travail en
SESSAD ¾
réseau.
Convent° intégrat° scolaire
et soins.
Conventions Educat° Nale
et services spécialisés
Institutionnel
Milieu spécialisé et
milieu ordinaire
Projets individualisés des Milieu ordinaire
jeunes.
Professionnels et
diversifiés
Professionnels et
diversifiés
Connaissance de
l’environnement
Echange des pratiques
et réactivité.
Activités conjointes avec
d’autres établissements
Activités conjointes avec
d’autres établissements
Oui, construct° de
partenariats
&
Oui,
SESSAD ¾
l’environnement est
le champ d’action
Conventions de soins
Institutionnel
Conventions d’intégration
et de soins
Projets individualisés des Milieu spécialisé et
jeunes.
milieu ordinaire
Direction, service
médical et A.S.
Oui,
psychomotricienne
Communiquer le
projet d’établissement
Non
Professionnels et bénéboles
de l’associat° gestionnaire
Non
1)
IME ¾
&
SESSAD ¾
2)
¾
IME
3)
¾
IME
5)
¾
IME
6)
IME
¾
Institutionnel
Institutionnel et projet
individualisé des jeunes
Milieu spécialisé
Bénévoles
Tableau 3 : Organisation de l’action collective au sein de l’institution
1)
IME
Organisation des réunions
Activités animées par
équipe pluridisciplinaire
Activités réalisées dans
l’environnement ?
Par fonction : (éducative,
thérapeutique, pédagogique)
Services, inter services,
Et participants extérieurs
Instit. + prof EPS ext. +
paramédical+ éduc.
Oui, sport, culture
Essentiellement par service
sauf exception
Oui, sport
Familles et bénévoles
Instit. + éduc, 1 fois par
semaine
Occasionnel
Chantiers initiation
professionnelle
Selon les projets
individualisés et domicile
Oui, sport, culture
Non réponse
Par fonction : (éducative, Par service, synthèse
thérapeutique, pédagogique) pluridisciplinaire.
2)
IME
Par fonction : (éducatif,
thérapeutique, pédagogique)
Par projets (projets
individualisé et de service)
Par fonction, par projet,
¾ existence de sous-traitants
Par projets
Par projets : internat,
½ internat.
Par projets
Par services et groupes projets,
synthèses pluridisciplinaires
Réunions pluridisciplinaires, et
participants extérieurs
Services, inter services,
Et participants extérieurs
Réunions pluridisciplinaires, et
participants extérieurs
En fonction des demandes et des
projets
Participation extérieure, par projet
Fréquentes, activités ouvertes
à tous les jeunes
Non réponse
Oui, sport et équithérapie
Centre équestre
Par fonction et par projets
Par services et groupes projets
Oui
Sport et culture
Par projets (projets
individualisé et de service)
Par fonction, par projets
Réunions pluridisciplinaires, et
participants extérieurs
Par services et groupes projets,
synthèses pluridisciplinaires
Pluridisciplinaires avec
participants extérieurs
Activités en groupe et équipes
pluri. suivant la population
Oui,
instit+ éduc + paramédicaux
Occasionnellement pendant
les vacances scolaires
Etablissements scolaires et
domicile
Oui, éveil, sport,
accompagnement orientat°
Oui, environnement espace
d’expérimentat° et domicile
Bénévoles des associations,
clubs
Non en raison du milieu rural
Par services et groupes projets,
synthèses pluridisciplinaires
Pluridisciplinaires avec
participants extérieurs
Oui, instit+ éduc+ éduc
technique ou prof. sport
Oui, éduc+ psychologue+
AMP et kiné+ psychomotric.
Oui, sport, culture
1)
IME
¾
&
SESSAD ¾
2)
IME
&
SESSAD ¾
3)
IME
¾
&
SESSAD ¾
4)
IME
¾
&
SESSAD ¾
5)
IME
¾
&
SESSAD ¾
6)
IME
¾
&
SESSAD ¾
Environnement et implication
des partenaires
La famille prend le relais des
activités intégrées
Organisation des services
Flexibilité de l’organisation
Par fonction, par projets
Par projets
Oui fréquemment, activités
éduc. soins, sociales
Occasionnel
Professionnels du milieu
ordinaire, relais du SESSAD
Oui les animateurs des centres
sociaux
Oui, sport, culture, scolarité Les professionnels des lieux
d’intégration et les familles
Oui, sport
Centre équestre
Ecoles, piscine, domicile
Travail en réseau avec
établissements spécialisés
Oui, en fonction des projets
individualisés
Education Nationale, hôpital,
CAMSP
Non réponse
Tableau 4 : Modalités de rencontre et de travail avec les familles des usagers.
1)
IME
2)
IME
1)
IME
¾
&
SESSAD ¾
2)
IME
¾
&
SESSAD ¾
3)
IME
¾
&
SESSAD ¾
4)
IME
¾
&
SESSAD ¾
5)
IME
¾
&
SESSAD ¾
6)
IME
¾
&
SESSAD ¾
Personnel chargé des relations
avec la famille
La direction et professionnels
en fonction des projets
Directeur, chef de service,
éducateurs
Non sauf lors de la kermesse
Educ référent, la direction,
l’A.S., psychologue, psychiatre
Educ référent, chef de service,
médecin
Les enseignants, possible pour
tous les professionnels
Educ référent, chef de service,
rééducateurs
Possibilité pour tous les
professionnels
Les professionnels référents
Ponctuellement, lors
d’événements institutionnels
Activités d’étayage et guidance
familiale
Les rééducations, recherches de
stage, organisat° des vacances
Implication des familles dans les
démarches pour leur enfant
Non car les familles ont besoin
d’aide
Non
Organisat° des transports,
prévent° de la violence
Planning de travail, lieux
d’intervent° et contenu
Intégration des enfants non
voyants
Intégration des enfants non
voyants
Oui : projet individualisé,
Non : projet collectif
Oui : projet individualisé
Educateurs, la direction, l’A.S.,
psychologue, psychiatre
Chef de service, éducateur
référent
Professionnels référents,
cadres, paramédicaux
Occasionnellement
Liaisons institution/familles
Occasionnellement au domicile
des familles
Pour événements institutionnels
Chaque membre de l’équipe Oui, activités de médiation
suivant le projet de l’enfant.
Mise en place d’une activité
Internet
Modalités de liaison avec la
famille
Oui, organisation de temps de
rencontre entre les familles
Cadre référent et représentant
du service concerné
Chef de service, éducateur,
psychologue
Développement d’une fonction
de conseil en aide technique
Prescriptions médicales :
rééducations
Activités conjointes avec les
familles
Occasionnellement
Accompagnement de sorties
éducatives
Guidance familiale et médiation
Organisation et influence des
familles
Ecoute des familles lors du
conseil d’établis.t, synthèses
Influence de l’association de
parents
Coopération familles/institution
Non
Réflexion au niveau du projet
d’établissement
Différence de point de vue
familles/institution
Désaccord sur l’alimentation et le
temps de scolarisation
Désaccord traité par la direction
Pour réaliser un projet d’intégration Non réponse
Prise en compte de l’évaluation de
la famille
Intégrat° scolaire et souplesse de la
prise en charge
Suivi en crèche et souplesse de la
prise en charge
Une des priorité du projet
d’établisssement
Une des priorité du projet de
service
Prise en compte des demandes des
familles lors des synthèses
Modificat° du contrat d’accueil et
du règlement financier
Passivité des familles
Le service doit s’adapter à
l’organisation familiale
Non réponse
Non réponse
Suivi scolaire de l’enfant
Non réponse
Participation active des familles à
une enquête de satisfaction
Participation des familles au
programme de rééducation
Oui, rééquilibrage entre le scolaire et
le soin.
Non réponse
Les familles revendiquent davantage
d’intégration pour leur enfant
Non réponse
Non réponse
Non réponse
Non réponse
NOM :
CHARPY
Prénom : Andrée
Date
du JURY : 3 février 2005
FORMATION :
Diplôme Supérieur en Travail Social
TITRE :
Le travail en SESSAD considéré comme facteur d’innovation.
Recherche réalisée dans le cadre d’un SESSAD et d’un IME agréés
pour accompagner des jeunes déficients intellectuels.
Résumé :
Dans le contexte de la loi du 2 janvier 2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale, les
dispositifs destinés aux personnes en situation de handicap se transforment. Ainsi les réponses
institutionnelles se diversifient : les services de proximité se développent, les établissements
s’ouvrent sur leur environnement et ils engagent des partenariats avec les autres acteurs
territoriaux. Les travailleurs sociaux recherchent des solutions innovantes prenant en compte
la complexité des situations de handicap. Cet accompagnement personnalisé se caractérise par
une approche globale des besoins de l’usager.
Dans ce mémoire, l’étude du redéploiement d’un IME et de la création d’un SESSAD décrit ces
évolutions. Nous constatons que les nouvelles pratiques professionnelles élaborées par ce
SESSAD se diffusent progressivement vers l’établissement. Le SESSAD introduit une dynamique
de changement dans le fonctionnement de l’IME structuré jusqu’alors par sa mission
d’hébergement.
Après avoir caractérisé ces nouvelles pratiques professionnelles, nous nous sommes posés la
question : « En quoi le SESSAD est-il facteur d’innovation pour l’IME ? »
Notre réflexion nous conduit à formuler l’hypothèse que le SESSAD est facteur d’innovation en
diffusant de nouvelles pratiques, notamment le travail en réseau et le partenariat.
La formulation de cette hypothèse s’appuie sur les concepts d’innovation, de travail en réseau
et de partenariat étudiés avec l’éclairage théorique de la sociologie des organisations et de
l’innovation. Pour la vérifier, nous avons construit un modèle d’analyse et recueilli des
données à l’aide d’entretiens, d’observations et d’un questionnaire.
L’exploitation des résultats confirme que le travail en réseau favorisé par les SESSAD contribue
au désenclavement des IME . Ces derniers établissent de nouveaux liens avec les usagers, des
liens plus proches, personnalisés et moins exclusifs.
Cette réflexion sur l’innovation met au premier rang l’implication des différents acteurs, leurs
logiques ; elle débouche sur la notion d’organisation apprenante. Elle souligne également la
nécessité d’examiner la pertinence des innovations en se référant au sens et à la finalité du
travail social.
Nombre de pages : 106
Volume annexe : 0
CENTRE DE
FORMATION : Institut Régional du Travail Social de Champagne-Ardenne
8, rue Joliot Curie 51100 REIMS