6- Dr_ Tarak Baccouche

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6- Dr_ Tarak Baccouche
Le consortium immobilier
Le consortium immobilier
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Dr. Tarak Baccouche
Maître-assistant, IMC for Islamic Sharia and Law, Dubai, UAE
Colloque International de L’université des Emirats
Quand le bâtiment va, tout va. Cette devise qui a fait ses preuves dans
le monde des affaires - comme vient le rappeler, avec éclat, la dernière
crise financière mondiale- à son propre revers : lorsque le secteur du
bâtiment est en crise, tous les autres secteurs se trouvent fragilisés. Pour
preuve, le succès flagrant de Dubaï -comme plate forme et centre financier
international- tire sa renommée du succès de l’immobilier dans l’Emirat.
Ce succès a eu un coup de frein du fait de la crise immobilière qui secoue
la planète Finances. Il faut ici rappeler que la crise financière actuelle est
tout d’abord la crise de l’immobilier et ses produits financiers (marche
hypothécaire, crédit immobilier, leasing immobilier …) qui s’est propagée
au reste des secteurs financiers.
C’est dire que le droit n’est pas insensible au domaine de
l’immobilier. Il a très tôt manifesté son intérêt à tout ce que lui touche, de
près comme de loin. On peut citer l’exemple du droit de la propriété qui a
été considérée, avec le ‘contrat’ et ‘la famille’, comme les piliers du droit
civil, en général, et français en particulier(1). Or le recours aux notions de
propriété et de contrat, à propos, d’un projet immobilier d’envergure,
international de préférence, ne peut que susciter l’intérêt du juriste. En
effet, ces notions, dans le domaine de l’immobilier, donne un nouvel
(1)
J. Carbonnier, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 10
ème
éd., Paris 2001.
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éclairage sur le nouveau rôle dévolu au contrat, et sur les mutations même
du concept de propriété(2).
Pour s’en tenir à la seule notion du contrat, on peut observer qu’ à coté
du contrat lien, il y a tout lieu de reconnaitre une valeur patrimoniale au
contrat, pris en tant qu’objet de transactions. C’est le contrat bien. Mais le
contrat peut revêtir une autre forme ; il peut servir de structure à un
groupement de professionnels exerçant dans un secteur déterminé, comme
en atteste les contrats de distribution. Le contrat-cadre est, en l’occurrence,
une structure choisie par des partenaires cherchant à régir l’ensemble de
leurs futures commandes. Ce genre de contrats s’analyse certes comme un
lien entre les différents contractants, mais aussi et surtout comme une
structure adaptée à une collaboration continue entre les parties
contractantes.
Ce nouveau visage du contrat trouve dans les contrats de coopération
une application intéressante. Le consortium immobilier lorsqu’il est
(2)
118
A titre d’exemple, les droits positifs français et tunisien reconnaissent la propriété à
temps partagé (V. en droit français les articles L. 121-60 à L. 121-76 Code de la
consommation Loi fr. n° 98-566 du 8 juillet 1998 portant transposition de la
directive 94-47 CE concernant la protection des acquéreurs pour certains aspects des
contrats portant sur l'acquisition d'un droit d'utilisation à temps partiel de biens
immobiliers ; V. aussi en droit tunisien l’art. 2 al. 1er , L. no 2008-33 du 13mai 2008,
relative à l’hébergement touristique à temps partagé, J. O. R. T., no 40, 2008, p.
1493. ) et la vente en l’état futur d’achèvement ( V. par ex. La V.E.F.A est régie par
la loi n° 67-3 du 3 janvier 1967 modifiée ainsi que par les articles L. 261-1 et
suivants et R. 261-1 et suivants du Code de la Construction et de l'Habitation.
D’après l’art. 261-1 CCH, « Ainsi qu'il est dit à l'article 1601-3 du code civil la vente
en l'état futur d'achèvement est le contrat par lequel le vendeur transfère
immédiatement à l'acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des
constructions existantes. Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l'acquéreur
au fur et à mesure de leur exécution ; l'acquéreur est tenu d'en payer le prix à
mesure de l'avancement des travaux. Le vendeur conserve les pouvoirs de maître de
l'ouvrage jusqu'à la réception des travaux ».
Le consortium immobilier
international notamment, est le terrain d’élection idéal pour traduire ce
nouvel aspect du contrat. Citons un exemple pour mieux saisir l’idée(3).
Le Lesotho entend pour plus de 30 milliards de dollars US construire
un énorme barrage (185 mètres de haut, 700 de long, 60 de large), un lac
de retenue de 2 milliards de m3 sur une surface de 36 km, 3 tunnels de 82
km pour acheminer l’eau à Johannesburg, six barrages dont un barrage de
reprise, une usine hydrocarbure, des stations électriques, une route d’accès
de 60 Km, un village pour les travailleurs, une école, une clinique … La
réalisation de ce méga projet doit s’étaler sur une période de 26 ans ( du
1986 a 2010). Or pareille réalisation ne saurait, par la force des choses,
être accomplie par une seule entreprise. La constitution du consortium
répond à cette contrainte. Le contrat, en tant qu’outil de coopération,
fournit la structure idéale pour régir la complexité des rapports, parfois
conflictuels, des différents intervenants dans l’opération de construction.
On est passé du contrat lien au contrat structure servant à coordonner des
opérations de nature juridiques fort différentes, complexes et faisant
intervenir des partenaires de nationalité différentes.
Cet aspect structurel du contrat mérite l’attention et justifie notre
intérêt à ce genre bien particulier d’accord (I).
A cela s’ajoute le foisonnement d’obligations originales que ce
contrat-structure ferait naître et que, très souvent, ne sont pas réductibles
aux obligations de droit commun. La chose ne doit pas surprendre surtout
avec la présence des contractants de nationalités différentes et, partant, de
cultures juridiques différentes. Dès lors, les rapports de droit auxquels
donnera lieu l’accord de consortium, en tant que structure, méritent, eux
aussi, l’attention (II).
I / Structures
On entend par ‘consortium’ ou encore ‘groupement momentané
d’entreprises’, « l’accord de coopération temporaire, de nature
exclusivement contractuelle, conclu entre deux ou plusieurs personnes
physique ou morales qui s’engagent, chacune en ce qui la concerne, à
(3)
L’exemple est tiré du JurisClasseur- Distribution, fasc. 1830. Ingénierie et transfert
de maîtrise industrielle- Réalisation, no 141, infine.
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exécuter des prestations distinctes en vue de la réalisation d’une opération
commune »(4). Cet accord temporaire de coopération va incontestablement
marquer la structure standard (1) du consortium qu’il convient de la
distinguer des structures dérivées (2).
1 / Structure standard
Le consortium se présente ordinairement comme un groupement
momentané d’entreprises. Cette première définition du consortium
gagnerait à être précisée. On s’attellera à esquisser les caractéristiques du
consortium à travers l’étude des différents groupements avec lesquels il
présente des indéniables ressemblances.
On peut approcher le consortium par deux voies. Il est un groupement
momentané d’entreprises, mais de nature contractuelle.
Consortium et Groupe : on a coutume de définir le consortium
comme étant un groupement d’entreprise et d’aussitôt ajouter que ce
groupement momentané ne jouit pas de personnalité morale. En effet, un
consortium est un rassemblement d’entreprises opérant, souvent mais pas
exclusivement, dans le domaine du bâtiment qui soumet ensemble une
offre, ou plus exactement répondent ensemble à un appel d’offre
international, d’une certaine envergure. Ces entreprises pour d’évidents
besoins d’opportunité s’accordent à proposer une offre ‘commune’ pour
remporter un marché dont elles seraient incapables d’emporter si elles
avaient fait isolement leur proposition. L’utilité du montage est triple.
-. Avantages. Tout d’abord, l’existence d’un groupement permet de
réduire les frais et, par conséquent, de présenter une meilleure offre. Les
membres du groupement seront mis à contribution pour les dépenses
communes et ils pourraient profiter de l’économie d’échelle qui
s’ensuivrait. Ils ont donc manifestement intérêt à s’unir, ne ce serait ce que
le temps du projet, pour proposer la meilleure offre.
(4)
120
Chenut ( Ch-H.), Les raisons de constituer un groupement d’entreprises en exécution
d’un contrat de partenariat public-privé », JCP ( E ), no 29, 2002, 2125, V. aussi du
même auteur, Le contrat de consortium, LGDJ, Bib. dr. priv., tome 390, Paris 2003,
nos 32 et suiv. , p. 20 et suiv.
Le consortium immobilier
Ensuite, l’ampleur du projet incline à la constitution de consortium.
Sans crainte d’excès, on parle souvent de méga projet. Pensons, rien que
dans le domaine de l’immobilier, à la construction des aireports, des
barrages, des plates formes pétroliers, des centrales nucléaires, ou des
villes entières(5). D’autres consortiums de type financier ou même
industriel peuvent également être cités(6). Ces gros oeuvres, nécessitent, de
facto, l’intervention de plusieurs entreprises. Car aucune d’elle ne serait en
mesure de s’acquitter de la tâche. Il y donc nécessite de fait à ce que toutes
les entreprises intéressées se mettent d’accord pour remporter le marché.
Enfin, le maître d’ouvrage (le commanditaire du projet si l’on veut),
préfère et, le plus souvent, impose la constitution de consortium. La
constitution d’un ensemble d’entreprise est pour lui un gage de faisabilité,
puisque, par hypothèse, l’ampleur des travaux commandés, dépasse de loin
les capacités d’une seule entreprise. Par ailleurs, il lui est nettement plus
facile de négocier avec une structure d’entreprises dotée d’un représentant
que de négocier avec chacune d’entre elles. Le maître d’ouvrage saura
limiter les effets d’une éventuelle défaillance d’un membre du consortium.
Le plus souvent, par convention expresse, les membres du consortium sont
a minima tenus solidairement envers le maître d’ouvrage.
Or, que les entreprises soumissionnaires soient forcées de se
constituer en consortium ou souhaitent pour raisons d’opportunité
juridiques(7) ou financières(8) notamment, de former un groupement, il ne
reste pas moins certain que le fait de faire un certain parcours ensemble
(5)
(6)
(7)
(8)
Faut citer ici le projet émirati de la construction d’une ville écologique non loin de la
capitale.
Mais les consortiums industriels existent. A ce propos, on utilement citer le
consortium Airbus Industrie, d’autres sont financiers (pool bancaire : par exp., les
banques françaises BNP-Paribas, Société Générale et Crédit Lyonnais, liés aux
groupes énergétiques nationaux EDFGDF et Total Fina Elf – sont présentes dans les
pools finançant la plupart des projets internationaux de ces derniers).
Dans l’hypothèse par exemple où la loi nationale du maître d’ouvrage impose la
participation d’entreprises locales dans la réalisation du marché, ou que cette
participation soit de jure obligatoire du fait que la loi nationale du maître de
l’ouvrage réserve la réalisation de certaines activités aux seuls nationaux.
Ainsi, pour limiter les risques financiers, une entreprise se met avec une autre pour
ne pas courir trop des risques sur un seul et même marché.
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rapproche sensiblement le consortium des groupements du droit des
sociétés.
Consortium et groupe de sociétés. Il y a tout d’abord un
rapprochement possible entre le Consortium et le groupe des sociétés.
L’un et l’autre sont dépourvus de personnalité morale. Les deux entités
sont, en outre, composées d’entités juridiquement autonomes(9). Enfin, il
peut arriver que les membres de l’une ou l’autre entité soit solidairement
tenus des dettes d’un membre défaillant.
Ces similitudes ne doivent pas, pour autant, abuser sur leurs
différences.
Structurellement, il y a une différence de taille entre les deux entités.
En matière de groupe des sociétés, la société mère détient une participation
dans la filiale de laquelle dépendent la nature et l’ampleur du contrôle
qu’elle exerce sur cette dernière (la filiale). La solidarité à laquelle serait
tenue la société mère ou une autre filiale appartenant au même groupe tient
du degré du contrôle exercé et de sa nature. La structure du pouvoir est
hiérarchique. A la tête de cette structure, se trouve une holding qui détient
et gère des participations dans d’autres sociétés (filiales) qui, à leurs tour,
détiennent des participations dans d’autres sociétés (sous filiales)(10) et
ainsi de suite … . Dubaï World constitue un parfait exemple en ce sens.
Or, force est de constater que l’ensemble de ses sociétés est
verticalement uni : de haut (la holding) en bas (les sociétés) en passant par
les filiales, il y a, à tout le moins, une communauté de contrôle financier.
Certes, ces liens financiers ne vont pas jusqu'à faire perdre aux sociétés du
groupe leur autonomie juridique, mais il n’en est pas moins que le groupe
poursuit une même stratégie de développement sous la houlette, donc sous
le contrôle, de la société mère. Par le jeu des prises de participation, tous
les membres du groupe sont interdépendants. Cette interdépendance puise
(9)
(10)
122
Théoriquement, rien ne s’oppose à ce qu’un consortium puisse comporter des
entreprisses n’ayant pas la forme sociétaire. Mais, la réalité est tout autre :
l’importance des tâches nécessiterait des capitaux financiers importants que seule
une structure sociétaire pourrait offrir.
En principe, les participations réciproques sont permises mais dans des conditions de
seuils bien stricts par craintes de fictivité du capital.
Le consortium immobilier
dans l’élément financier, et est synonyme de contrôle. Le sens des liens qui
tiennent les membres du groupe est vertical, fondé sur un rapport de
contrôle, donc sur un rapport de domination financière(11).
Or, rien de tel pour le Consortium. Le groupement est en l’occurrence
constitué d’entreprises complètement indépendantes et traitant d’égal à
égal. L’entreprise pilote n’exerce aucun pouvoir sur les autres membres du
consortium. Bien au contraire, considérée comme leur mandataire
commun, elle leur doit des comptes (l’obligation de rendre compte). C’est
qu’ici la structure est horizontale. Le consortium est avant tout un contrat
qui officialise
un accord entre des partenaires libres et égaux
juridiquement, unis par et dans un même negotium. C’est qu’au fond
l’élément juridique - et non pas financier- qui rapproche, lie et tient
l’ensemble.
Au niveau le plus élémentaire, le contrat de consortium peut se
présenter comme une série des contrats de co-traitance lié les uns aux
autres, de sorte que les uns s’enchaînent et s’imbriquent aux autres.
Certains sont le préalable nécessaire, les autres le complément obligé. Ces
contrats ne se conçoivent pas sans les autres et tous forment les éléments
indispensables du puzzle puisqu’ils participent à la réalisation de la même
œuvre(12).
Toujours dans le même ordre d’idées, mais dans un sens différent, il
est utile de souligner que les membres du consortium ne sont pas
actionnaires dans une même et unique structure; ils sont simplement
partenaires. Or les deux situations sont radicalement différentes. Lorsque
plusieurs entreprises se mettent d’accord pour constituer un consortium,
elles n’entendent pas, stricto sensu, réaliser une œuvre commune, ni même
partager les bénéfices qui pourraient résulter de leur coopération. Elles
cherchent seulement à rendre faisable conjointement ce qui leur était
(11)
(12)
Cette domination ne provient pas du pourcentage de la participation dans le capital,
mais de l’extrême fragmentation du capital entre un nombre impressionnant des
actionnaires. Ainsi, la détention de 10 % du capital suffit largement à conférer le
contrôle d’une société cotée en bourse.
Cf. avec TEYSSIE (B.), Les groupes de contrats, LGDJ 1975, p. 75 qui retient la
notion de groupe du moment où les contrats conclus: “ participent à la réalisation
d’un même objectif ».
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impossible de réaliser isolement. Leur rassemblement est de pure
circonstance(13). Il ne relève aucune intention de s’unir (affectio societatis)
comme en atteste l’économie de l’accord lui-même.
En réalité, un consortium est un accord de conjoncture, conclu pour
durer le temps d’un projet. Il est enserré dans des limites temporelles bien
précises. Par ce fait, il est momentané. Ce deuxième caractère le
différencie manifestement du groupe des sociétés qui, lui, au contraire, a
vocation de durer bien plus longtemps. Cette divergence, faut –il le
rappeler, tient aux raisons profondes qui ont présidé au choix des deux
structures respectives.
Il en va différemment en matière de groupe des contrats.
Consortium et groupe des contrats. On entend par groupe des
contacts les seuls ‘ensembles contractuels indivisibles’ tels que définis par
une jurisprudence française bien acquise(14). Aux termes d’un célèbre arrêt
(13)
(14)
124
Mais il arrive que certains consortiums industriels soient créés pour durer (par exp.
consortium Airbus Industrie). En réalité, la structure s’explique mieux par le droit
des sociétés, que le droit des contrats. La structure, faussement dénommée
consortium, s’apparente mieux une partnership qu’à un consortium proprement dit.
V. tout particulièrement l’arrêt de principe rendu par la 1ére Ch. civ. de la Cour de
cass. fr., le 13 nov. 2003 ( D. 2004, p. 657, note I. Najjar). Cette décision vient
couronner une construction prétorienne retenant le ‘groupe contractuel indivisible’ et
qui a commencé avec un arrêt rendu par la 1ére chambre civile le 3 déc. 1996, JCP
(E) 1997, II, 961, p 134 136 ( rejet du pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel
qui a conclu l’existence d’un ensemble indivisible des statuts d’une association et les
contrats de panonceau, cf. avec la jurisprudence Sedri (Civ. 1ere juill. 1997) et C A
d’Aix en Provence, 8 ème ch. B., 13 fév. 1998, JCP ( G.), 1998, II, n 10213, pp. 22652269, groupe de contrats indivisibles à durée identique et dont l’exécution est
simultanée; la résolution du contrat de prestation de service entraîne la résiliation du
contrat de location du matériel). A notre connaissance, cette décision a admis pour la
première fois la notion doctrinale des ‘groupes des contrats’ (V. la très remarquable
et remarquée thèse de Mr B. TEYSSIÉ, Les groupes de contrats, préface de J.-M.
MOUSSERON, Paris, L.G.D.J., 1975. Et l’idée de faire son chemin en doctrine, V.
NÉRET (J.), Le sous-contrat, préface de P. CATALA, Paris, LGDJ. 1979, et plus
récemment V. les travaux de Bacache-Gibeili ( M.), La relativité des conventions et
les groupes de contrats, LGDJ 1996 ; Fories (P-A), Groupes de contrats et ensembles
contractuels – Quelques observations en droit positif, LGDJ, coll. Contrats et
patrimoine, 1ère éd., Paris 2006) et qui ont, depuis lors, suivis (not. Com. fr., 15 janv.
2002, et 3ème Civ., 26 mars 2003, 1er civ. 13 juin 2006 cassation partielle, D. 2007, p.
Le consortium immobilier
rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation française, « les
conventions interdépendantes conclues en vue de la même opération
économique formaient un ensemble contractuel indivisible »(15) . Et la Cour
de droit de confirmer l’arrêt de la cour d’appel qui a prononcé la
condamnation des différentes sociétés in solidum pour rupture abusive des
conventions conclues entre elles et un ‘agent de vente’. La Cour d’appel
avait, en effet, relevé que chaque groupe de contrats signés par les mêmes
parties tendait à la même fin. Le raisonnement des juges du fond avait été
suivi par la Cour de cassation, alors que le pourvoi leur reprochait de
déduire l’existence d’un groupe pour des contrats irréductibles les uns aux
autres de part leur nature juridique, objets et rémunérations. Il abonde, en
ce sens, en avançant: « que les gestionnaires du contrat d’administration
et du mandat de vente soient les mêmes personnes ne pouvant avoir pour
effet nécessaire de les rendre indissociables »(16).
-. Intérêts. Pour la question qui nous occupe, cet état de la
jurisprudence est doublement intéressant.
(15)
(16)
277, note J. Ghestin). Les décisions ultérieures ont cristallisé la notion de groupe de
contrats indivisibles, V. par exp. en ce sens : Com., 5 juin 2007, Bull. civ. , IV, n
156 : « Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la réalisation des contrats de location
et de maintenance n’entraîne pas, lorsque ces contrats constituent un ensemble
contractuel complexe et indivisible, la résolution du contrat de vente mais seulement
sa caducité, l’acquéreur devant restituer le bien vendu et le vendeur son prix, sauf à
diminuer celui-ci d’une indemnité correspondant à la dépréciation subie par la
chose en raison de l’utilisation que l’acquéreur en a faite et à tenir compte du
préjudice subi par l’acquéreur par suite de l’anéantissement de cet ensemble
contractuel, la cour … a violé» … et, en dernier lieu, Com. fr. , 13 fév. 2007, arrêt n
227, pourvoi no 05.17407, « Mais attendu qu'ayant retenu que les quatre contrats
litigieux étaient interdépendants, dans la mesure où ils poursuivaient tous le même
but et n'avaient aucun sens indépendamment les uns des autres, les prestations de
maintenance et de formation ne se concevant pas sans les licences sur lesquelles
elles portaient et l'acquisition de ces licences par la société Faurecia n'ayant aucune
raison d'être si le contrat de mise en oeuvre n'était pas exécuté, la cour d’appel
n'avait pas à relever que la société Oracle en était informée, dès lors que cette
société avait elle-même conclu les quatre contrats concernés ; qu’ainsi l’arrêt
n’encourt aucun des griefs formulés au moyen ; que ce dernier n’est pas fondé ».
Com. 13 nov. 2003, préc.
Com. 13 février 2003, préc.
125
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Tout d’abord, il n’est plus nécessaire, sur le plan strictement
conceptuel, pour qu’il y ait chaîne ou ensemble contractuel que la cause ou
l’objet des différents contrats soient identiques. Il suffit, et seulement
suffit, qu’il y ait interdépendance entre les différents contrats. Autrement
dit, il suffit que toutes les conventions soient conclues en vue de la même
opération économique formant ainsi un ensemble contractuel indivisible.
L’interdépendance suffit donc amplement sans qu’il y ait besoin d’une
parfaite identité d’objet ou de cause, comme l’enseignait jadis une doctrine
ancienne des plus autorisée(17). D’après cette nouvelle définition, le ou les
accords du consortium se déclinent facilement en un ensemble des contrats
concourant au même objectif et, partant, formant un ensemble contractuel
indivisible(18). Cela est d’autant plus vrai que cet ensemble est grosso modo
formé par des contrats ayant, souvent, la même nature juridique (des
contrats d’entreprises), même si les obligations et les rapports peuvent
sensiblement varier d’un contractant à un autre dans le même accord de
consortium.
A la vérité, un consortium immobilier se présente comme un accord
renformant dans un seul ou plusieurs instrumentum une succession
d’obligations reparties entre les membres du consortium. Le negotium, par
contre, est unique. Tous les membres du consortium ont conscience qu’ils
concourent ensemble, et non pas dans un ordre dispersé, à la réalisation
d’une œuvre commune(19).
(17)
(18)
(19)
126
V. en ce sens précis B. TEYSSIE, Les groupes de contrats, LGDJ 1975, p. 75. Cela
provient du fait que la démonstration a été essentiellement administrée à partir des
textes de loi reconnaissant exceptionnellement une action directe à certains souscontrat (sous -location, sous -traitance et en matière de substitution de mandataire
‘sous mandat’). L’état du droit positif permettait alors de déduire des groupes des
contrats formés par l’identité de la cause ou d’objet. Mais, par des touches
successives, la jurisprudence a étendu progressivement le domaine de la notion de
groupe en se contentant de leur interdépendance. Il semble aujourd’hui que la
construction prétorienne qui a vu le jour a atteint un degré de maturité juridique qui
permet de la considérer comme telle.
Cf. avec TEYSSIE, thèse précitée, p. 75 qui retient la notion de groupe du moment
où les contrats conclus: “ participent à la réalisation d’un même objectif »
Mutatis mutandis, la situation ne va sans présenter, en matière de propriété littéraire,
des analogies indéniables avec l’oeuvre de collaboration. Là aussi on a pu conclure
à l’existence d’ensemble, à l’instar de l’ensemble journalistique (V. dans ce sens,
Le consortium immobilier
-. Exemple. L’exemple du consortium franco-allemand qui à construit
a Abu Dhabi, en 1985, une station de traitement du gaz clés en mains
refermant notamment une station de compression de gaz ainsi que la
construction d’une raffinerie et d’un réseau de pipeline de quelques 245
km et des unités de déshydratation, de dégazolinage et d’extraction de
souffre est, à cet égard, édifiant(20). Il est certain en l’occurrence que tous
les contrats conclus n’ont pas la même nature juridique, ni même, a
fortiori, le même régime. Certains sont des contrats d’entreprise tels les
contrats relatifs au génie civil au sens très large (bâtiment, l’électricité,
charpente métallique, air conditionné, système de sécurité, …).
D’autres sont des contrats de fourniture d’équipements clés en mains
(fourniture des stations et d’unités), qui opéreront, entre autre, un transfert
de savoir faire (Know-how) et un transfert de propriété, d’autres encore
sont des contrat de recherche, de coopération et de développement
(conception de nouvelles méthode de traitement déshydratation, de
dessalinement, d’économie d’énergie, utilisation de nouveaux brevets
inventés spécialement pour les besoins du projet …). Le tout est coiffé par
un contrat de mandat permettant au chef de file de représenter les membres
auprès du maître de l’ouvrage et vis-à-vis des tiers.
Il est, dès lors, évident que le recours à la notion d’ensemble
contractuel indivisible permet à bien d’égards de surmonter les difficultés
nées de la nature juridique irréductible de certains contrats aux autres. On
Thoumyre (L.), L’ensemble journalistique : entre le collectif et la collaboration,
Cahiers de propriété intellectuelle, vol. 12, n 2, février 2000, pp. 421 et suiv.; cf.
avec Cass. (1 ère Ch. Civ.), 15 mars 2005, n 567, pourvoi no 03-14820, inédit, (pour
un ensemble architectural)
(20)
Il s’agit du complexe Zakum qui s’est vu, pour 370 millions de dollars, élargi par la
fourniture des nouveaux équipements clés en mains par la société Technip, en
collaboration avec NPCC (National Petrolum Construction Company), relatifs à des
installations de traitement et de compression de gaz. La nouvelle station sera reliée à
la plate-forme existante par un pont. Elle comportera, en outre, une nouvelle unité de
déshydratation de gaz au triéthylène glycol, une unité de refroidissement d'air et un
système de récupération des vapeurs. Les installations devraient être remises courant
janvier 2010.
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Dr. Tarak Baccouche
est en effet bien loin du schéma classique d’un ensemble composé
forcement et uniquement des contrats de cotraitance (V. supra, n). C’est
bien là manifestement le grand mérite de cette jurisprudence qui a su
forger, à partir de la notion de ‘groupe contractuel indivisible’, une notion
qui permet d’appréhender ce tout juridique à travers un concept unique
sans dénaturer les caractéristiques propres aux éléments composant ce
même tout. La notion ainsi développée par la jurisprudence française
permettra de déterminer une partie du régime juridique appliqué aux
membres du consortium, sans exclure par là même le régime appliqué à
chaque membre du fait de la nature des liens qui l’unissent au maître de
l’ouvrage. L’obligation de renégocier les termes du contrat ou l’obligation
de coopération incombant aux différents membres du consortium, par
exemple, s’explique manifestement par l’existence d’un ensemble
contractuel indivisible.
Mais le recours à la notion n’exclut pas, loin s’en faut, l’existence
d’autres obligations spécifiques pesant sur chaque membre ès qualité ou du
fait de ses engagements pris envers le maître d’ouvrage. L’obligation de
rendre compte incombant au chef de file, ou celle de former du personnel,
d’entretenir le matériel technique fourni pesant sur le fournisseur
d’équipements puise respectivement dans le contrat de mandat et/ou de
fourniture d’équipement.
Ensuite, et sur le plan strictement technique, la notion d’ensemble
contractuel permet au juge, dans une hypothèse d’un recours en
responsabilité, d’apprécier globalement, donc dans son ensemble, les
conditions de réalisation du marche et d’exécution des prestations
promises.
On peut ajouter, dans le même sens d’idées, que la réception
fractionnée de certains éléments du marché ne vaut pas réception du tout.
L’exception d’inexécution est, en outre, opposable même à l’encontre d’un
membre non défaillant(21).
-. Limites. Néanmoins, la notion ‘d’ensemble contractuel indivisible’
a ses propres limites.
(21)
128
Cf. en droit fr. Com. 15 oct. 1996, RJDA 1997, no 1(rendu en matière de systèmes
informatiques).
Le consortium immobilier
Deux écueils restreignent sensiblement le recours à la notion de
groupe contractuel indivisible pour qualifier le consortium.
En premier lieu, il est téméraire de considérer, sans abstraction
majeure, que les différents engagements des membres du consortium sont
toujours intredependants, et partant, indivisibles. Car si la condition
d’interdépendance paraît être remplie pour les tâches, prestations et lots de
travaux concomitants ou successifs, elle est, par contre, difficilement
concevable pour les lots des travaux non connexes, c’est-à-dire ceux qui ne
postulent pas la réalisation préalable de certains travaux. Certains lots de
travaux qui ne sont pas forcements liés ou imbriqués dans l’ensemble, sont
parfaitement détachables et, par conséquent, divisibles.
L’exemple suivant éclairera le propos.
Les travaux de construction suivent normalement les études du terrain
et les travaux de terrassement. Par ailleurs, les travaux d’électricité, d’air
conditionné et de sécurité sont souvent lies et se succèdent. Ils précèdent,
en principe, les travaux relatifs à l’équipement lourd (gros équipements,
matériel d’exploitation, systèmes informatiques …). Ceux-ci viennent
normalement avant les travaux relatifs à la production (installation des
unités de production).
Mais cette présentation peut varier. Ainsi, il n’est pas exclu, pour
d’évidentes raisons d’opportunité ou d’économie, de renverser le court
normal de la réalisation des travaux. Car s’il est aisé de présumer
objectivement l’interdépendance des différentes taches dévolues aux
membres du consortium, il n’est pas réellement toujours ainsi. Les lots
d’un méga projet n’ont pas tous la même importance, et ne portent pas sur
les mêmes objets. Le plus souvent, ils sont objectivement distincts et
séparés les uns des autres. Parler d’interdépendance, dans ces conditions,
méconnaît la réalité et dénature outrageusement l’objet des engagements
pris par les membres du consortium.
Pour reprendre notre exemple, il est bien difficile d’imaginer une
quelconque interdépendance entre les travaux de terrassement et ceux lies à
la climatisation ; entre ces derniers et ceux relatifs à la fourniture
d’équipements, par exemple. C’est que chaque lot du marché peut être
matériellement séparé du reste de l’ensemble. Dans le projet émirati
129
Dr. Tarak Baccouche
Zakum (en cours de réalisation), rien n’empêche pour des contraintes de
délais, ou de performance, voire pour des raisons de coût, de monter les
installations et les unités de productions avant de procéder aux travaux de
génie civil par exemple, de réaliser l’infrastructure portuaire avant
d’entamer la construction des unités de production. Il en ressort que
l’interdépendance qui vaut entre les phases d’un même lot de travaux
(génie civil : bâtiment, charpente métallique, câblerie …) n’est pas toujours
avérée relativement aux autres lots (génie civil, équipements lourds,
systèmes de gestion et de contrôle, unité de production …). Dès lors, il est
particulièrement risqué de concevoir une sorte d’interdépendance entre des
lots parfaitement distincts et pouvant être facilement isolés du reste de
l’ensemble.
Il s’ensuit qu’en matière de consortium, l’interdépendance n’est pas de
fait mais de droit. Elle ne résulte pas de ‘la nature de l’affaire’, mais un
effet de la volonté des parties contractantes. Aussi, le contrat du
consortium ne doit t-il pas prévoir une clause expresse d’indivisibilité ou, à
tout le moins, d’interdépendance entre les différents intervenants. C’est
qu’en l’occurrence, et à l’opposé de l’ensemble contractuel indivisible,
l’interdépendance ne coule pas source. Elle doit contractuellement être
stipulée; faute de quoi, le juge ne saurait systématiquement la déduire(22).
La deuxième limite a trait à la réception de la notion par les ordres
juridiques étrangers. Il est fort possible, en effet, que cette notion de
conception française ne soit pas transposable aux droits étrangers (droit du
maitre d’ouvrage, par exemple, ou celui du juge du for). Le risque que
cette notion soit méconnue par le juge du for ou même par la juridiction
arbitrale reste réel. Cela est d’autant vrai que les droit des ‘pays
émergents’, à fort potentiel de croissance, ne reconnaissent pas la notion,
du moins telle qu’a été forgée par la jurisprudence française. La chose est
bien vraie pour les droits du pays du Moyen Orient et notamment les droits
(22)
130
Ainsi il est arrivé au juge français de ne pas retenir, pour les systèmes informatiques,
une indivisibilité de fait entre la fourniture d’un équipement informatique et un
logiciel d’application (V. Com. fr. 22 janv. 1991, Dr. informatique et télécoms
1993/2, p. 40, note F. Dupuis- Toubol, cité par Le Tourneau et Cadiet, ouv. préc., no
5475, p. 1058.
Le consortium immobilier
des pays du Golf. Là aussi des fortes réserves pèsent sur la qualification
du consortium en un ensemble contractuel indivisible.
Il en va, à peu près de même, pour la qualification du consortium en
joint venture.
Consortium et joint venture(23). Théoriquement, il y a bon nombre
de points en communs entre le consortium et la joint venture. Le deux
formules postulent la coopération et supposent un vif intuitu personae
entre leurs membres. Tous deux prévoient des organes communs de
gestion, de coordination et de représentation. Les deux structures font, par
ailleurs, peser sur leurs membres des obligations similaires : une obligation
mutuelle de renseignement et d’assistance, une autre relative à l’échange
des données et d’informations, une obligation de confidentialité, pour ne
citer que des exemples. Les différends nés entres les membres sont, le plus
souvent, portés devant une juridiction arbitrale après avoir été soumis à un
mode alternatif de résolution des litiges (médiation, conciliation,
transaction …).
Et pourtant, il y a tout lieu des les bien distinguer. Une joint venture
est, comme son nom paraît l’indiquer, une société (corporation)(24)
supposant des apports incombant sur ces membres et jouissant de la
personnalité morale et destinée à durer. Or rien de telle, pour le
consortium, qui demeure pour l’essentiel un contrat sui generis conclu en
vue d’une coopération temporaire entre ses membres. En l’occurrence, le
contrat de consortium régit, en dehors de toute réglementation spéciale, les
rapports momentanés d’un groupe d’entreprises. Dans les deux montages,
il y a les membres qui se choisissent intuitu personae, sauf qu’en matière
(23)
(24)
Sur l’ensemble de la question, V. par exp. Pironon ( V.), Les joint ventures :
contribution à l’étude juridique d’un instrument de coopération internationale, thèse,
préface de Mr Fouchard ( Ph.), coll. Nouvelle Bibliothèque des thèses, éd. Dalloz,
Paris 2004.
Jointe venture est un anglicisme qui se réfère l’aventure commune, ce qui suppose la
volonté de partager le risque commun. Par contre, le terme consortium renvoie à
l’accord scellant le sort des partenaires, il met davantage l’accent sur l’identité des
liens. Il a donné le terme ‘consorts’ (pl.) qui suppose le lien du mariage (cf. avec
prince consort).Or le mariage s’apparente davantage au contrat qu’à la société.
131
Dr. Tarak Baccouche
de joint venture l’intuitu personae tient à l’affectio societatis(25) alors qu’en
matière de consortium elle se réduit à une simple intuitu firmae.
Ainsi, pour mieux rendre compte de cette dernière différence, la
solidarité, qui est de droit entre associés dans une joint venture, ne vaut,
pour les membres du consortium, que dans la mesure où elle été stipulée,
donc, conventionnellement consentie. Ceux-ci ne sont, en principe, tenus
que d’une obligation conjointe dans l’hypothèse ou leurs obligations
seraient indivisibles. De surcroit, le recours à la jointe venture postule
l’existence d’un ensemble entrepreunarial opérant dans des domaines
similaires permettant à ces membres d’évaluer les risques auxquels ils
seront exposés vis-à-vis du maître d’ouvrage. Cela suppose une synergie
entre les domaines d’activité des différentes entreprises formant la joint
venture, voire même, leur possible intégration. Tout autre est la nature de
la coopération de type consortiale. Elle ne suppose pas l’intégration
d’activité, les membres n’entendent pas s’associe mais simplement
coopérer le temps d’un projet. Leur coopération n’est pas pérenne. De là,
ils cherchent, autant que faire se peut, à limiter les risques du métier de
chacun des consorts et n’assumer que les risques inhérents à leurs lots de
travaux. Pas moins que la solidarité, l’intégration entre les différents
partenaires n’est pas le propre de l’accord du consortium.
La question se présente dans des termes comparables en matière de
GIE.
Consortium et G.I.E. Le caractère momentané du consortium le
rapproche certainement du GIE, et a fortiori, du GEIE(26).
(25)
(26)
132
Peu importe, à cet égard, que la joint venture prenne la forme d’une ‘joint
entreprise’,
‘d’equity joint venture’, de ‘partnerships’, de ‘limitedliability
partnerships’ ou la forme d’une ‘filiale commune’ ou même une ‘société en
participation’.
V. le Règlement (CEE), n 2137/1985 du conseil, du 25 juill. 1985, relatif à
l’institution d’un groupement européen économique, entre en vigueur le 03/08/ 1985,
et la L. fr. no 09-377 du 13 juin 1989 JO fr. 15 juin 1989, p. 7440 et arrêté du 20 juin
1989 J. O. fr. 30 juin p. 8101). V. aussi les articles 869 à 885 de l’Acte Uniforme
relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique du
Traité de l’OHADA (l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires africain-).
Le consortium immobilier
Par ailleurs, tout comme le consortium, le GIE est structure regroupant
plusieurs entreprises oeuvrant ensemble en vue de développer l’activité
économique de ses membres, d’améliorer ou d’accroître les résultats de
cette activité(27). En règle générale, le GIE ne vise pas à réaliser des
bénéfices pour lui-même, même si lui arrive d’en faire (alinéa 2 de l’article
L. 251-1 du Code de commerce fr., art. 442 C. soc com. tun). L’objectif
premier présidant à sa constitution reste le développement de l’activité de
ses membres et non pas le partage des bénéfices ; ceux-ci -lorsqu’ils
existent ne doivent pas être recherchés pour eux-mêmes et devraient être
repartis entre les membres du GIE, en principe au prorata de leurs
engagements financiers. C’est autant dire, là aussi, que les membres du
GIE ne sont pas animés par l’affectio societatis(28). Celle-ci n’étant pas du
propre du GIE et ce dernier peut être constitué sans capital (V. par ex. 441
C. soc comm. tun.)(29) . Ainsi, chaque membre entend bien demeurer le
seul maître des risques liés à ses activités propres. C’est qu’en définitive, et
contrairement à une doctrine traditionnelle, le GIE reste une structure
intermédiaire entre l’association et la société, avec cette emprunte
contractuelle, fortement présente et qui imprègne tout son régime de
gestion et d’administration, notamment(30). Là aussi, la ressemblance entre
le consortium et le GIE est saisissante(31).
A l’image du consortium aussi, le GIE doit être constitué pour une
période déterminée pour la réalisation des ses objectifs(32). Cette période
(27)
(28)
(29)
(30)
(31)
(32)
V. par ex. L’art. 251- 1 al. 2 C. com. fr., V. sur l’ensemble de la question, La loi du
13 juin 1989 sur le groupement français et le groupement d’intérêt économique,
Guyon ( Y.), ALD 1989, p. 169 et suiv., et du même auteur, Les obstacles
juridiques au développement des GIE, Rev. soc. 1978, p. 25.
Cf. par exp. avec Ripert et Roblot, ‘Traité élémentaire – Droit commercial –
Commerçants – Actes de commerce – Fonds de commerce-Sociétés commerciales’,
LGDJ, 8ème éd., PARIS 1974, no 282 1.
Il va de soi que l’absence des apports permettra d’économiser les droits de
l’enregistrement (calculés ad valorem)
Ripert et Roblot, locus op. cit .
Au point que certains assimilent volontiers le GEIE au consortium.
Mais certaines législations nationales peuvent prévoir le contraire. Telle est
notamment le cas au Maroc (V. art. 1er de la loi marocaine no 13 – 97(Bulletin
officiel n° 4678 du 14 hija 1419 (1er avril 1999) Dahir n° 1-99-12 du 18 chaoual
1419 (5 février 1999) portant promulgation de la loi n° 13-97 relative aux
133
Dr. Tarak Baccouche
est tributaire des intérêts qui unissent ses membres. Le groupement est tout
d’abord un groupement d’intérêt, d’où d’ailleurs son appellation. Ces
intérêts sont par essence conjoncturels, et partant limités dans le temps et
dans l’espace. La coopération des membres du GIE est, tout d’abord,
circonscrite dans l’espace : elle est cantonnée à la réalisation d’un objectif
précis. De et par ce fait, les membres du GIE retrouvent, à l’instar des
membres du consortium, leur liberté d’actions en dehors des objectifs fixés
dans l’accord. La coopération est, ensuite, limitée dans le temps ; la
constitution d’un GIE tient à l’objectif à atteindre et a lui seul. Son
économie, les moyens financiers mis à sa disposition, la nature des
entreprises le constituant(33), font du GIE une structure d’opportunité.
Comme le consortium, Le GIE porte en germe son caractère éphémère.
-. Spécificités. Mais, contrairement au consortium, le GIE jouit de la
personnalité morale. Cette personnalité lui assure un minimum de
durabilité. Par contre, cette personnalité est absente en matière de
consortium. L’accord du consortium est formé ‘sur le tas’, pour un besoin
ponctuel, celui de remporter un marché qu’aucune entreprise ne serait en
mesure d’honorer toute seule. En matière de consortium, le contrat restant
le seul lien de droit unissant les membres du groupement. Un consortium
n’est donc pas tenu aux formalités d’inscription et de publicité incombant
aux groupements sociétaires. Cette singularité rapproche sensiblement le
consortium des sociétés dépourvues de personnalités morales (société en
participation, société de fait, créée de fait, et la partnership).
De surcroit, les membres du GIE sont de jure solidairement et
indéfiniment tenus des dettes du groupement envers les tiers(34). Dès lors,
(33)
(34)
134
groupements d'intérêt économique) qui prévoit que la durée peut être déterminée ou
indéterminée.
Il faut ici dire que les entreprises constituant le GIE peuvent être des entreprises
individuelles ou sociétés de nature civile ou commerciale.
La solidarité de jure des membres du GIE est retenue par tous les ordres juridiques
qu’on a pu consulter. V. par ex. l’art. 449 CSC tun . Cela s’explique
vraisemblablement par le fait que toutes ces législations n’ont fait que reprendre
l’institution de droit français qui prévoit la solidarité. La solidarité joue de droit sauf
clause contraire insérée dans le contrat conclu par le GIE avec un créancier
déterminé (V. en ce sens, l’article 4 de l’ordonnance du 23 sept. 1967). La solution
Le consortium immobilier
l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du GIE entraînera
l’ouverture de la même procédure à l’encontre de chacun de ses membres.
La solution est relativement nuancée en matière de consortium, puisque la
question de la solidarité est entièrement laissée à la volonté des parties
contractantes. Elle relève du domaine de la convention(35), même si en
pratique le maître d’ouvrage la stipule souvent.
Au fond, le consortium doit être regardé comme étant est le produit de
la volonté des parties contractantes. Le droit positif ne l’appréhende que
sous cet angle, donc en tant qu’ensemble des volontés contractantes. Ces
volontés vont jusqu’à concevoir les organes de coordination et de
représentation du consortium, même s’ils restent incontestablement
d’origine contractuelle, et empruntent certains traits aux règles du droit des
sociétés (règle de l’unanimité faute de prévisions dans l’acte constitutif,
inopposabilité des limitations contractuelles du représentant du
groupement vis-à-vis des tiers contactant avec le groupement, obligation de
poursuivre le paiement contre le GIE avant de poursuivre ses membres,
partage des bénéfices éventuellement réalisés, partage du boni de
liquidation, identité des cause de dissolution du GIE avec celle des sociétés
de personne, possibilité d’émettre des parts d’obligations, possibilité du
groupement d’acquérir la propriété commerciale si son objet est
commercial …). Comparé au consortium, le GIE se présente comme une
structure régie par la législation nationale, voire même par le droit
européen (GEIE) ou régional (Acte Uniforme de OHADA), assujetti à des
procédures de constitution et de publicité lourdes, coûteuses et non sans
conséquences sur le plan fiscal, même si la volonté des ses membres
occupe une place privilégiée dans la manière de le gérer et de
l’administrer.
Le consortium, lui, est un accord de volonté, qui s’appuie sur la seule
volonté des ses membres qui doivent tout prévoir dans l’accord de
constitution. Cela est d’autant plus vrai que très souvent ses membres
(35)
inverse vaut en matière de consortium puisque la solidarité n’est pas de droit et c’est
souvent le maître d’ouvrage qui la stipule (V. supra).
Et la Cour d’appel de Paris de tenir la responsabilité personnelle du membre du
consortium qui a négocié et signé directement avec le maître de l’ouvrage, CA
Paris21 janv. 1975, Journal des agrées 1975, 247.
135
Dr. Tarak Baccouche
appartiennent à plusieurs ordres juridiques. La chose rappelle, toute
proportion gardée, le contrat sans loi du droit international privé qui, par
convention expresse, renferme toutes les règles de son application(36).
Mieux encore, l’accord ou les accords de consortium se distinguent
par la flexibilité des obligations actuelles et futures qu’ils feront naître. On
signalera seulement ici que les obligations prises par les membres du
consortium peuvent et, très souvent, doivent évoluer dans les temps au gré
des contraintes rencontrées dans l’exécution du marché. La construction
des gros oeuvres immobilières, notamment, ne se fait pas du jour au
lendemain. Entre le temps d’octroi du marché et sa réception, des
adaptations et des révisions des accords conclus s’avéreront toujours
nécessaires du fait de l’évolution des facteurs exogènes et indogènes liés à
la réalisation desdits marchés. Remarquons, pour l’heure, que chaque
membre est tenu à une obligation de négocier loyalement et de bonne foi
ces révisions nécessaires.
Au fond, un accord de consortium est un accord qui comporte en
filigrane une part importante d’imprévision. De manière progressive, des
nouvelles obligations – qui, au demeurant, étaient simplement latentes,
mais guère formellement consenties par les contractants partenairesverront le jour. Cette caractéristique fait manifestement défaut dans un
contrat ordinaire du GIE ; son objet est suffisamment défini dès l’abord
pour exclure des futures révisions. La définition de l’objet statutaire du
GIE participe en effet à en limiter l’extension, sous réserve de la
requalification du GIE en societe de fait ou créée de fait. Autrement dit, un
consortium est ab initio mieux outillé qu’un GIE pour répondre aux
contraintes liées aux mégas marchés de construction. Aussi les entreprises
ne préfèrent- elles pas cette structure, plus flexible, et partant plus adaptée,
sur le GIE pour l’exécution des travaux de grande envergure.
Plus fondamentalement encore, la vraie ligne de démarcation entre le
consortium et GIE se situe au niveau de la nature même de leurs activités
respectives. Aux termes de l’article L. 251 – 1 du C. de commerce français
(36)
136
Dont le contrat de coopération internationale est la figure de proue, V. Mémento
Pratique Francis Lefebvre, Droit des affaires, Contrats et droits de l’entreprise, ed.
2000 no3333, pp. 465 et 466.
Le consortium immobilier
par exemple - mais la formule est reprises par tous les autres ordres
juridiques qui ont retenu laformule(37) - l’activité du GIE « doit se rattacher
à l’activité économique de ses membres et ne peut avoir qu’un caractère
auxiliaire par apport à celle-ci »(38). L’activité du GIE doit être le
prolongement de l’activité de ses membres sans toute fois lui correspondre.
Car, à proprement parler, le GIE ne doit pas se substituer à ses membres
pour exercer en leurs lieu et place. Son activité doit rester auxiliaire dit le
texte et doit, sous peine de nullité du GIE lui-même, le rester. Elle doit
également être compatible avec l’activité principale (39) et lui être
directement liée.
-. Activités respectives. En réalité, l’activité du GIE doit se situer en
amont ou en aval à celle des ses membres. Ainsi le GIE est le cadre parfait
pour engager en commun des travaux d’études, de prospection, de
marketing, ou de publicité. Il en est de même lorsqu’il entend exercer,
pour compte de l’ensemble des membres, l’activité d’expertise technique
ou financière dans un domaine particulier qui les intéresse directement. La
formule peut s’avérer très pratique et de moindre coût lorsqu’elle vise à
faciliter l’hébergement de l’activité des membres du GIE(40), ou leur
exploitation en commun d’un procédé technique(41), ou encore la gestion en
commun de gros équipements (des médecins indépendants exerçant dans
(37)
(38)
(39)
(40)
(41)
V. par exp. L’art. 439 du C.S. C. tun. Cela tient au fait que ce concept de droit
français fut adopté, comme tel, par les législations étrangères : tout d’abord, dans le
cadre européen (règlement CEE du 25 juill. 1985 préc.), puis, dans les législations
nationales de certains pays francophones (Tunisie et Maroc, entre autres) et,
finalement, dans l’Acte Uniforme OHADA (regroupant 14 pays africains de l’ouest
et du centre).
Sur le caractère auxiliaire de l’activité du GIE, V. Com fr. 13 nov. 2003 (cassation),
Bull. Joly, no 3, mars 2003, pp. 407 – 413.
V. en ce sens Cass. Com., 13 nov. 2003, préc. La Chambre commerciale de la cour
de cassation française a censuré l’arrêt de la cour l’appel qui a admis la validité d’un
GIE composé des Compagnies d’assurance et exerçant l’activité d’expertise en
automobile, au motif « que l’exercice de la profession d’assureur étant incompatible
avec celui d’expert en automobile, la seconde ne peut valablement se rattacher à la
première et constituer l’auxiliaire de celle-ci. » Le Code fr. de la Route ( art. L.
326- 6) interdit le cumul de deux activités (assurance et expertise).
Tel est par exemple l’exploitation des magasins collectifs indépendants.
GIE constitué entre des banques pour faciliter l’exploitation en commun des DAB
(ATM) ou des cartes de crédit émises par les membres.
137
Dr. Tarak Baccouche
une clinique, par ex.), voire même des stocks de produits (achats groupés :
centrales d’achats ou de vente, promotions …).
En somme, l’activité du GIE doit être le complément nécessaire de
l’activité principale visant à la développer et à accroitre son potentiel. Elle
s’exerce donc en marge de cette activité, si l’on peut s’exprimer de la sorte.
En aucun cas cette activité auxiliaire ne devrait supplanter ou concurrencer
l’activité principale de ses membres. Le contraire conduirait
immanquablement à requalifier le GIE en societe de fait(42), ce que les
membres cherchent absolument à éviter. Car, répétons-le, les parties ne
sont pas animés d’une une véritable affectio societatis, leur coopération
tient seulement de leur intérêt à développer leur connaissance ou
exploitation à propos d’un secteur auxiliaire.
Or, en matière de grands projets de construction, pour raisonner sur un
exemple concret, ce caractère auxiliaire de l’activité du GIE s’oppose
fermement, à ce qu’il puisse opportunément soumissionner pour ce genre
des projets. Les travaux que nécessite l’exécution du marché sont d’une
ampleur telle qu’il est inconcevable qu’ils puissent relever d’une
quelconque activité auxiliaire. Toute la question est là. Les travaux de
fourrage d’un tunnel sous la manche, de construction d’un barrage, ou
d’une ligne de métro, d’une ville écologique, ou d’un complexe
pétrochimique, ou encore d’une île artificielle, pour ne citer que des
exemple, sollicitent le concours des plusieurs entreprises et toujours
oeuvrant à titre principal. C’est une limite de fait qui surgit ici limitant le
recours au GIE pour les mégas projets de construction, notamment.
A cela s’ajoute une raison de pur droit. Le GIE ne doit pas se
substituer à ses membres, autrement-dit, il ne doit pas les supplanter. Par
ricochet, cela réduirait considérablement les GIE candidats aux mégas
projets. Car, comme les travaux appellent, par hypothèse, des activités
principales, il y a fort à parier qu’il y aurait forcement un fâcheux conflit
d’intérêts entre le GIE et l’un – ou plusieurs- de ses membres.
-. Exemple. Reprenons notre exemple et illustrons. La construction du
Borj Cheikh Kalifa Bin Zayed à Dubaï a nécessité le concours des
(42)
138
V. en ce sens Trib. Comm. Paris, 23 fév. 1970, JCP 1970, II, 16335, note Guyon,
Rev. Dr. Com. 1970, p. 499, obs. Houin.
Le consortium immobilier
plusieurs entreprises, de toutes sortes et dans les domaines les plus divers.
Une entreprise de terrassement ou de construction, ou encore
d’électrification voire même de climatisation ne peut soumissionner si elle
n’exerce pas à titre principal ; sinon cela le mettrait en porte à faux – dans
l’hypothèse ou elle revêtait la forme d’un GIE - avec certains membres du
groupement. La réalisation du marché par l’entreprise GIE - lorsqu’il ne
heurte pas la réglementation nationale relative à la répression des ententes
ou les concentrations d’entreprises (antitrust)(43) ou les règles d’ordre
public d’octroi des marchés publics- reviendrait presque toujours(44) à
exécuter une activité principale dévolue en principe aux seuls membres. Il
s’agit là manifestement d’un cas de concurrence déloyale qui pourrait
même engager la responsabilité du groupement(45). On peut facilement
imaginer la suite au regard de la responsabilité indéfinie et solidaire des
membres du groupement des dommages imputés au GIE. L’action pénale
n’est pas complètement exclue lorsque la concurrence s’accompagne de
contre façon, par exemple(46).
2 / Structures dérivées
-. Présentation générale. On a jusqu'alors défini, pour des raisons de
clarté, les consortiums comme étant des groupements momentanés
d’entreprises. Cette definition élémentaire mérite d’être nuancée. Elle ne
rend que partiellement compte de la réalité, toujours complexe, des grands
projets. Bien souvent en effet, les mégas projets nécessitent non pas un seul
consortium mais plusieurs: tout d’abord, un consortium pour la réalisation
(43)
(44)
(45)
(46)
V. par ex. l’espèce donnant lieu à l’arrêt de la Cour d’appel de Castres ( ch. Civ.),
13 mars 1970, D. S. 1970, p. 358 , note Lavabre ( GIE qui a servi à porter atteinte au
libre jeu de la concurrence par l’entente de ses membres).
Mais rien n’empêche en effet que des entreprises de bâtiment soumissionnant dans le
cadre d’un consortium chargent le GIE des travaux de conception, d’études de
terrain (topographie, plans de masse, …)
V. sur l’ensemble de la question avec intérêt particulier, Vendeuil ( S.), Groupement
d’intérêts économiques et clause statutaire de non concurrence, JCP (E), 1997, I, 364
et suiv.
Faut il aussi rappeler que la solution, désormais clairement retenu en droit français,
rend le GIE responsable de toutes les infractions – et pas seulement celles
incriminées par une loi ou un règlement- commises pour son compte par ses organes
ou représentants (L. fr. n 2004-204 du 9 mars 2004)
139
Dr. Tarak Baccouche
des travaux, un deuxième pour leurs exploitation, et souvent, un
consortium financier pour en assurer le financement et, pour finir, un
dernier consortium pour en garantir la bonne fin (consortium des
assureurs). Cette multiplication horizontale des consortiums peut se
doubler par une ‘pépinièrisation’ verticale, cette fois-ci, des entreprises
intervenantes sur un lot particulier du projet. Un ou plusieurs membres du
consortium confieront une ou plusieurs tâches a des entreprises de sous
traitance. Une entreprise de génie civil, par exemple, se réservera les taches
relatives à la construction et sous traitera celles portant sur la climatisation.
Aux entreprises contractantes avec le maître d’ouvrage viennent s’ajouter,
en l’occurrence, d’autres entreprises qui n’ont pas été contractuellement
liées au maître d’ouvrage.
Dès lors, le schéma classique se trouve doublement modifié.
Pour mieux étudier l’agencement ces structures, il convient de
commencer crescendo par présenter la nature des contrats conclus dans un
consortium de base.
Ordinairement, un consortium est une structure renfermant des
contrats de co-traitance. Il faut ici entendre le terme non pas dans son sens
strictement juridique, mais dans un sens plutôt technique. Car il est aisé de
constater que les contrats conclus avec le maître d’ouvrage ne se réduisent
pas, au seul contrat d’entreprise, même si ce dernier demeure le contrat le
plus fréquent, et partant, le plus caractéristique de l’ensemble. A coté des
contrats d’entreprises, il peut y avoir en effet, des contrats de fourniture
d’équipements, des contrats d’assistance technique ou de maintenance,
entre autres. Le chef de file, représentant du consortium, est, en outre, tenu
dans les termes d’un contrat de mandat(47). D’autres peuvent s’ajouter au
gré des contraintes relatives à chaque projet(48).
Insistons ici sur le fait que les membres du consortium sont
contractuellement liés envers le maître d’ouvrage puisqu’ils ont
(47)
(48)
140
Ce mandat est, le plus souvent, salarié car non gratuit. Le chef de file reçoit une
rémunération pour services rendus.
Contrat de recherche et d’études si le terrain à construire présente des difficultés
particulières (plate forme pétrolière, tunnel sous marin, île artificielle …). La
conception mérite parfois, et à elle seule un consortium spécial.
Le consortium immobilier
directement traité avec lui. Ce fait est très important, par la suite, pour
déduire leurs responsabilités réciproques. Il faut observer, en outre, qu’il
n’est pas nécessaire qu’il y ait plusieurs instrumentum ; il suffit qu’il y ait
plusieurs negotium. Le dépeçage du contrat du consortium doit constater
l’existence de plusieurs engagements pris par plusieurs cotraitants.
-. Structure standard. On peut schématiquement, et sous réserve de
la nature des différents contrats conclus, et la forme du negotium, présenter
la structure standard d’un consortium comme une suite de contrat de cotraitance échafaudée par un contrat de mandat.
Structure standard (fig.1)
Maître d’ouvrage (M. O.)
Chef de file, ou de pool (représentant les membres du consortium
auprès du maître d’ouvrage)
Mandat
Contrat
d’entreprise
(c1)
Contrat
d’entreprise
(c1)
Contrat
d’entreprise
(c1)
Contrat
d’entreprise
(c1)
Contrat
d’entreprise
(c1)
-. Structures dérivées. Cette présentation de base peut varier
sensiblement pour les grands ensembles (grands et mégas projet). Ainsi au
consortium de réalisation vient s’ajouter en amont un consortium financier
et en aval un consortium des assureurs. Des consortiums intermédiaires
portant sur des tâches de conception ou d’exploitation peuvent également
être imaginés. Mais pour l’essentiel, et à part la complexité liée au nombre
d’intervenants, le montage reste le même dans les grands traits. Tous les
membres sont contractuellement liés au maître de l’ouvrage et disposent
d’une structure commune de représentation. Le JurisClasseur contratsDistribution les présente comme des sous consortiums repartis par tanches
141
Dr. Tarak Baccouche
d’activités homogènes(49). La chose ne manque de bon sens dans la mesure
où tous ces consortiums sont des montages liant les membres, par secteur
ou segment d’activité, au maître de l’ouvrage. Le régime est donc celui de
la responsabilité contractuelle.
On peut grosso modo présenter les traits caractéristiques de ses sous
consortiums de la sorte :
Structure dérivée (fig. 2)
M.O.
Mandatai
re(50) (M1)
Mandat
aire (M2)
Mandat Mandat
Mandat
Sous
consortium
financier
(Sc1)
(en
amont)
c1,c2,c3
+…+cn
(49)
(50)
142
Sous
consortium
de
conception
=
(Sc2)
1 2 3
c ,c ,c
=
+…+cn
Mandat
aire (M3)
Mandat
Sous
consortium
de
réalisation
=
(Sc3)
1 2 3
c ,c ,c
+…+cn
Mandat
aire (M4)
Mandat
aire (M5)
Mandat
Sous
consortium
d’exploitation
(Sc4) = c1,c2,c3
+…+cn
Sous
consortium
des
assureurs
(en
(Sc5)
aval)
=
c1,c2,c3
+…+cn
Fasc. 1830, V. sous ‘Ingénierie et Transferts de maîtrise industrielle- Réalisation-’ C.
03, 2007, no 146.
Les mandataires M1 à M5 sont, en réalité, des sous chef de file (V. fig.1). Ils
assument les mêmes missions d’un chef de file ou de pools ordinaires.
Le consortium immobilier
A son tour, un membre du sous consortium peut confier une partie du
marché à un ou plusieurs sous traitants. A priori, ces derniers ne sont pas
tenus ex contractu. L’effet relatif du contrat les met à l’abri de tout recours
intenté par le maître de l’ouvrage. Res inter alios acta alliis ne que nocere
ne que prodesse potest.
Mais encore faut-il que le sous-traitant ne soit pas un véritable penitus
extranei. A l’évidence, cela suppose que le sous-traitant ne soit pas
contractuellement lié au maître de l’ouvrage. Or, il se peut que le maître
d’ouvrage aurait agrée, lors de la constitution du consortium, l’entreprise
sous traitante, ou encore l’aurait acquiescé explicitement ou implicitement
lors de la réalisation des travaux(51). En l’occurrence, un rapport direct, de
nature contractuel, s’établit entre le maitre de l’ouvrage et le sous traitant.
-. Action directe. Toutefois, certains ordres juridiques admettent, en
dehors de tout agrément du sous-traitant par le maître de l’ouvrage, une
action directe que le premier est en droit d’exercer contre le second(52). Et
l’on doit, en bonne logique, convenir à l’inverse : le maître d’ouvrage
devrait, lui aussi, disposer d’un recours contre le sous-traitant. La
responsabilité de ce dernier devrait, bien entendue, être de nature
contractuelle. Le droit français, soutenu par une jurisprudence maintenant
bien établie, l’admet du moins lorsque il est question de fourniture des
biens ou d’équipements. Dans son dernier état, il semble que l’identité du
bien transféré (intuitu rei), suffit, pour les contrats translatifs de propriété,
à reconnaître au maître d’ouvrage un recours direct contre le sous(51)
(52)
Il doit en aller toujours ainsi lorsque le marché à un caractère fortement personnel,
cf. en droit français avec CA Paris, 7 juill. 1981, JCP (G) 982, II, 19823, note
Flécheux, refusant la sous-traitance sans l’accord du donneur d’ordre.
Il s’agit des droits français, belge et luxembourgeois (sur la reconnaissance de la
notion de groupe des contrats en droit belge, V. les obs. de Mr ETIENNE
MONTERO à la Rev. JURISPRUDENCE DE LIEGE, MONS ET BRUXELLES, 2007
/ 5, p. 186 et suiv., spéc. p. 192 et suiv.). Notre intérêt porte sur l’action directe dont
dispose le maître de l’ouvrage contre le sous traitant et non pas l’action de paiement
-qui est bien reconnue par les ordres juridiques et qui permet au sous-traitant
d’exercer entre les mains du maître de l’ouvrage une action directe lui réclamant les
sommes que lui doit l’entrepreneur principal. Cette action est d’origine légale (V. par
ex. en droit fr. L. 31 décembre 1975, art. 12 ; en droit belge 1798 du code civil
belge; cf. en droit tunisien avec l’art 28 C. trav.).
143
Dr. Tarak Baccouche
traitant(53). Un arrêt rendu le 22 mai 2002 par la chambre commerciale de
la Cour de cassation française semble tolérer une action directe exercée par
le maitre de l’ouvrage agissant en lieu et place du vendeur intermédiaire(54).
(53)
144
La jurisprudence française semble distinguer entre les contrats translatifs de
propriété et ceux qui n’opèrent pas ce transfert. Seuls les premiers offrent une
actions directes entre les ‘contractants extrêmes, c’est – à –dire le maître de
l’ouvrage et le sous traitant. Peu importe, en l’occurrence, que le groupe se réduise à
une chaîne homogène (contrat de même nature, V. par ex. Cass. civ. 1 ère 9 octobre
1979, Bull civ., I, n°241, un sous acquéreur contre un fabriquant ; Cass. civ. 1ère, 9
octobre 1979, Rev. Trim. Dr. civ. 1980, 355, note G. DURRY ) ou hétérogène
(contrats de nature différente vente – entreprise, Cass. Ass. Plén., 7 février 1986, D.
1986, 293, note A. BENABENT, JCP 86.11.20616. note Malingaud ; le nouveau
titulaire du bien ‘jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui
appartenait à son auteur’, abstraction faite de la nature juridique des contrats ayant
opéré la transmission de la propriété du bien) ou ensemble des contrats ( identité de
cause) qui concourent à la même opération économique. V. en ce sens Cass. civ. 1ère,
8 mars 1988, Rev. Trim. Dr. civ. 1988, 541, note J. Mestre ; Cass. civ. 1ère, 21 juin
1988, Rev. Trim. Dr. civ. 1989, 74, note J. MESTRE ; contra Cass. civ. 3ème, 22 juin
1988, JCP 1988, éd. G, II, 21125, note P. JOURDAIN; Cass. civ. 3ème, 31 octobre
1989, Bull. civ., 1989, III, n° 208 ; Cass. civ. 3ème, 6 décembre 1989, Bull. civ., 1989,
III, n° 228 ; Cass. civ. 3ème Cass. civ. 3ème, 13 décembre 1989, Bull. civ., 1989, III, n°
236.). Dans un arrêt célèbre, (l’arrêt Besse), fort commenté par la doctrine (Cass. fr.
(ass. plén.), 12 juill. 1991, D., 1991, som. 321, obs. J.-L. AUBERT, D., 1992, som.
119, obs. A. BÉNABENT, R.T.D.C., 1991, p. 750, obs. P. JOURDAIN, J.C.P., G,
1991, II, 21743, note G. VINEY, D.S., 1991, I, p. 549, note J. GHESTIN. V. aussi :
C. LARROUMET, " L’effet relatif des contrats et la négation de l’existence d’une
action en responsabilité nécessairement contractuelle dans les ensembles
contractuels ", J.C.P., G, 1991, I, 3531 (article également publié au J.C.P., E, 1991,
n° 218, p. 279) ; C. JAMIN, " Une restauration de l’effet relatif du contrat (à propos
de l’arrêt de l’Assemblée plénière du 12 juillet 1991, Besse) », D.S., 1991, chron.
XLIX, pp. 257- 264; P. JOURDAIN, « La nature de la responsabilité civile dans les
chaînes de contrats après l’arrêt d’assemblée plénière du 12 juillet 1991 ", D.S.,
1992, I, chronique XXX, pp. 149-156. Voir aussi G. VINEY,« L’action en
responsabilité entre participants à une chaîne de contrats », in Mélanges dédiés à D.
Holleaux, Paris, Litec, 1990, p. 398 et suivantes), l’assemblée plénière a mis fin à la
divergence entre sa première chambre civile qui admettait une action directe et sa
troisième chambre civile qui en déniait l’existence, en décidant que le « sous-traitant
n’est pas contractuellement lié avec le maître de l’ouvrage » ; Cass. Civ. 1ère 7 juillet
1992, Bull. civ., I, n°22 : ‘Le sous traitant n'est pas contractuellement lié au maître
de l’ouvrage’ ; … et la 3 ème chambre civile de se plier : V. en ce sens ;Civ 3ème 28
novembre 2001, Bull. civ., III, n°137). Mais une décision de 2002 vient jeter le
trouble dans les esprits (Cass. com., 22 mai 2002, D. 2002, somm. 2843, obs. Ph.
Le consortium immobilier
Il s’ensuit ici que le maitre d’ouvrage exercerait les droits nés sur la
tête de son contactant direct. Il est par conséquent tenu dans les mêmes
termes et conditions que ce dernier. Les exceptions opposables au vendeur
intermédiaire le sont également au maitre de l’ouvrage, et vice versa. A
vrai dire, le maitre de l’ouvrage tient ses droits du bien lui-même (propter
rem). Ces droits sont des droits réels (in re) car grevés sur le bien et se
transfèrent avec lui en quelques mains que ce soit. Ils sont opposables
erga omnes, au sous traitant compris. Ces droits sont, aux termes d’une
(54)
Delebecque ; Rev. Trim. Dr. civ. 2003, p. 94, obs. P. Jourdain : « si le maître de
l’ouvrage qui agit contre le sous-traitant exerce l’action que le vendeur
intermédiaire lui a transmise avec la propriété de la chose livrée, le sous-traitant,
qui n’est pas contractuellement lié au maître, ne peut invoquer les limitations
éventuellement prévues dans le contrat principal passé entre le maître de l’ouvrage
et le vendeur intermédiaire » (pour contrat d’entreprise avec fourniture de matières).
Mais curieusement l’affaire ayant donne lieu à l’arrêt de la chambre Com. fr. du 22
mai 2002, préc., donne à penser que la maître de l’ouvrage pouvait opposer au sous
traitant plus d’exceptions il aurait pu opposer à son contractant direct ( l’entreprise
principale) ! L’espèce enseigne en effet que la société qatarie Qatar Petrochemical
Cy Ltd ( QAPCO) a confié à la société Technip la réalisation d'un complexe
pétrochimique (donc un méga projet au sens de cet essai). Cette dernière a
commandé auprès de la société Alsthom la fourniture d’un turbo associé à un
compresseur qui s’est révélé défectueux. La société Qapco a été reçue pour agir
directement contre la société Alsthom alors que cette dernière excipait les limitations
de garanties qui prévalaient dans le contrat principal conclu entre Qapco et Technip
(entrepreneur principal). La chambre commerciale ne lui a pas donné raison et l’a
déboutée de son pourvoi au motif que: ‘si le maître de l'ouvrage qui agit contre le
sous-traitant exerce l'action que le vendeur intermédiaire lui a transmise avec la
propriété de la chose livrée, le sous-traitant, qui n'est pas lié contractuellement au
maître de l'ouvrage, ne peut invoquer les limitations éventuellement prévues dans le
contrat principal passé entre le maître de l'ouvrage et le vendeur intermédiaire ;
qu'ayant retenu que l'action du sous acquéreur était celle de son auteur, à savoir
celle du vendeur intermédiaire contre son vendeur originaire, la cour d'appel a
justement décidé que la société Alsthom ne pouvait opposer que la clause limitative
de responsabilité figurant dans le contrat qu'elle avait conclu avec la société
Technip, vendeur intermédiaire’. La solution semble se justifier par la double limite :
le sous-traitant souffre les exceptions nées de son rapport avec l’entrepreneur
principal et celles résultant de la convention conclue avec le maître de l’ouvrage.
145
Dr. Tarak Baccouche
décision relativement récente, « l’accessoire du droit substantiel
transmis » (55).
Le droit tunisien n’est pas farouchement opposé au même
raisonnement. Ce dernier devrait, en bonne logique, valoir pour les autres
droits étrangers, toutes les fois que les raisons qui l’ont commandée
demeurent les mêmes. Il devrait en être particulièrement ainsi pour les
ordres juridiques de l’Afrique francophone (pays du grand Maghreb et du
Traité OHADA not.) et des pays du Golf qui se sont, à degré divers il est
vrai, inspirés du droit français. Il y a des fortes chances que, par ailleurs,
les arbitres concluent à l’existence d’une action directe en se fondant sur
les clause de la convention ou l’indivisibilité de l’ensemble, voire
l’interdépendance des contrats conclus entre le sous traitant et
l’entrepreneur principal d’une part et entre celui-ci et le maitre d’ouvrage
d’autre part. La prudence commande cependant l’insertion d’une clause
contractuelle reconnaissant au maitre de l’ouvrage le droit d’agir contre le
sous traitant que l’entreprise principale ferait intervenir. Certes, le contenu
obligationnel de la clause n’est pas, en vertu de l’effet relatif des
conventions, opposable au sous traitant mais elle peut utile à un triple point
de vue.
1. Elle révèle l’intention commune du maître de l’ouvrage et celle de
l’entreprise principale. Elle aidera donc le juge ou l’arbitre à mieux saisir
l’économie du contrat.
(55)
146
Cass. fr. civ. 1ère , n° 513, du 27 mars 2007, pourvoi n° 04-20.842, inédit : « Mais
attendu que, dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause
compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu’accessoire du droit
d’action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis, sans incidence du
caractère homogène ou hétérogène de cette chaîne ; la cour d’appel a décidé à bon
droit qu’il existait une chaîne de contrats translatifs de propriété et en a justement
déduit que la clause compromissoire, contenue au contrat liant les sociétés Amkor et
AME, à laquelle la société Anam avait adhéré, avait force obligatoire à l’égard de la
société ABS, dès lors que cette clause est transmise en tant qu’accessoire du droit
d’action, lui même accessoire du droit substantiel ; que, par ce seul motif, la cour
d’appel a légalement justifié sa décision ».
Le consortium immobilier
2. Le maitre de l’ouvrage pourra toujours se retourner contre
l’entreprise principale ès qualité de garant des fautes et malfaçons du sous
traitant
3. Le sous traitant n’est pas recevable à exercer une action directe
sans encourir par là même les effets des contrats liant le maître de
l’ouvrage à l’entreprise principale (opposabilité du contrat principal au
sous traitant).
-. Contrat international de construction. D’autres éléments
d’insécurité juridique peuvent surgir du fait de la présence de plusieurs lois
potentiellement applicables à l’action directe exercée dans le cadre d’un
contrat international de construction. En effet, il n’est point certain que la
lex contractus choisie par les parties d’un accord de consortium pour régir
leurs rapports soit celle retenue pour gouverner les rapports Entrepreneur
principal / sous traitant. Un arrêt récent de la Cour de cassation française,
rendu à propos d’une action directe en paiement exercée par le soustraitant contre le maître de l’ouvrage, illustre parfaitement la difficulté(56).
L’espèce apprend qu’une entreprise de droit allemand avait conclu avec un
maitre d’ouvrage de nationalité française la construction, en France, d’un
immeuble à usage industriel. L’entrepreneur a sous-traité le lot tuyauterie à
une entreprise de droit français en convenant que le contrat de sous
traitance est soumis à la loi allemande. L’entreprise principale a fait l’objet
d’une procédure collective de droit allemand et l’entreprise française fut
déclarée irrecevable de produire sa créance. Le sous-traitant faisait alors
défense au maître de l’ouvrage de payer l’entrepreneur principal et avait
exercé l’action directe en paiement. Le maitre de l’ouvrage avait repoussé
la demande du sous-traitant sous prétexte que le marché principal et les
marches soustraités étaient régis par le droit allemand et qu’il n’avait pas
agréé, ès qualité, le sous-traitant. La cour a décidé que la loi française du
(56)
Cass. fr. Ch. mixte, no 260, 30 nov. 2007, pourvoi no 06-1400606, inédit, Rapport de
Mme Monéger Conseiller rapporteur et l’avis de Mr Guérin Avocat général
consultable
sur :
www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambres_mixtes_2740_arret_no_11020.ht
ml
147
Dr. Tarak Baccouche
31decembre 1975, autorisant le recours à l’action directe exercée aux fins
de paiement, est une loi de police, et donc d’application immédiate(57).
Ces genre de difficultés n’est pas à exclure lorsque le juge national du
maître d’ouvrage, juge du for, est saisi (songez à l’hypothèse, très
plausible en pratique, où le maître de l’ouvrage a imposé sa loi qui ne
reconnaît pas pareille action ou encore le fait, mais sans la considérer
comme une loi de police). Elles se posent dans des termes analogues pour
les actions directes en responsabilité contractuelle, cette fois ci. Il suffit
d’imaginer que le droit désigné pour régir le contrat de sous traitance
autorise par exemples les clauses limitatives de responsabilités alors que
celui du maître d’ouvrage les déclare sans effets. Le juge du for lorsqu’il
retient la loi du maitre de l’ouvrage exerçant une action directe, est il fondé
à déclarer cette loi comme loi de police ou doit t- il se souscrire à
l’opposabilité des limitations statutaires valant dans le rapport entrepreneur
principal / sous-traitant ? Une sentence arbitrale rendue avait admis la
soumission du contrat de sous traitance au contrat principal(58). La solution
ne manque pas de pertinence : elle fait régir la même opération juridique
par un même ordre juridique. Elle se justifie, en outre, par le fait que le
maître de l’ouvrage, lorsqu’il est poursuivi par une action directe en
paiement, serait recevable à demander l’application de la loi qu’il avait
choisie. Il en est de même, lorsqu’il poursuit le sous traitant dans les
(57)
(58)
148
Cass. Ch. mixte, 30 nov. 2007, préc., : « l'arrêt a décidé à bon droit que, s'agissant
de la construction d'un immeuble en France, la loi du 31 décembre 1975 relative à
la sous-traitance, en ses dispositions protectrices du sous-traitant, est une loi de
police au sens des dispositions combinées de l'article 3 du code civil et des articles 3
et 7 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations
contractuelles », cf. avec Civ. fr. 1ère, 15 juin 1982, D.1983, IR, p.150, note B. Audit
(application de la loi française au contrat d'entreprise passé par un maître d’ouvrage
français avec un architecte allemand pour une construction en Corse) ; Civ. fr. 3ème,
14 octobre 1992, Bull. civ., III, n° 273 (construction en Algérie d'habitations
commandées par un organisme étatique algérien. L'entrepreneur principal, une
société française, avait sous traité une partie des travaux à une autre société française
qui avait, à son tour, sous-traité le marché. Le sous-traitant s'est retourné contre
l'entrepreneur pour obtenir paiement). V. aussi les références citées par
Mme Monéger dans son rapport, préc., et par Mr l’Avocat général Guérin dans son
Avis , préc.
Sentence CCI no 2119 en 1978, Clunet 1979, 997, obs. Derains.
Le consortium immobilier
termes d’une action directe fondée sur l’existence d’un groupe des
contrats : le maître de l’ouvrage est en droit de réclamer l’application du
droit régissant le contrat principal, puisque son action tient à ce contrat.
Pour ce qui est des accords de consortium lui-même, mais le
raisonnement vaut également, pour les grands ensembles faisant état de
plusieurs consortium, la situation est toute autre. Lorsqu’il est accessoire à
un contrat international, le consortium est un consortium international,
mais sans que cela entraine une soumission du contrat de consortium au
contrat de principal(59). Là aussi la solution est pleinement justifiée. Les
deux contrats n’ont pas forcement le même objet et ne lient pas forcement
le mêmes parties. Ils sont juridiquement autonomes et par conséquent
parfaitement dépendants. Dès lors, il y a tout lieu d’admettre qu’ils soient
soumis à des droits différents.
Cela étant dit, les difficultés, liées à la reconnaissance au maitre de
l’ouvrage d’une action directe, peuvent facilement être évitées dans
l’hypothèse ou le maitre de l’ouvrage aurait explicitement agréé
l’entreprise sous traitante. Dans ces conditions, on passerait insensiblement
du domaine de la sous traitance vers celui de la co-traitance. Les rapports
se trouveraient alors catégoriquement modifiés.
II / Les Rapports
On peut distinguer deux ordres des rapports. Les rapports entre les
membres du consortium et le maître de l’ouvrage, ou encore, rapports inter
partes (1) et les rapports de ces derniers avec les tiers (2).
1 / Les rapports inter partes
Inter partes, les rapports sont dominés par une idée forte :
l’interdépendance. Les entreprises formant un consortium sont
juridiquement interdépendantes, autrement dit mutuellement liées. Reste à
déterminer le sens exact de cette interdépendance et ses limites.
Dans son sens commun, l’interdépendance se présente comme l’état
dans lequel se trouve un ensemble d’entreprises concourant dans un
(59)
Sentence CCI, nos 3043 et 3048 en 1978, Clunet 1978. 1000 obs. Derains.
149
Dr. Tarak Baccouche
dessein commun pour exécuter un marché tout en entendant rester
autonomes.
Il en ressort un trait dominant caractérisant le consortium. Toutes les
parties contractantes participent à la réalisation de l’oeuvre commune (le
marché) toute en restant autonome juridiquement et indépendante quant
aux méthodes retenues et la manière de s’y prendre. Au fond, la situation
n’est pas sans rappeler la condition des auteurs contribuant à une œuvre de
collaboration ; sauf que contrairement au domaine de la construction,
l’œuvre relève au domaine de l’esprit(60).
En matière de consortium, cette interdépendance postule l’existence
de plusieurs obligations recevant des qualifications propres, soumises à une
ou plusieurs règles identiques, même si certaines de ces règles sont
contraires à celles relevant à telle ou telle des différentes qualification en
cause(61). L’interdépendance donne lieu à une obligation générale de
collaboration pesant sur l’ensemble des membres du consortium. Cette
collaboration est, par endroit, bien particulière et engendre parfois des
difficultés spécifiques.
L’obligation de collaboration se décline en quatre obligations
principales : l’obligation de coopérer(62) (l’obligation de coordonner)(63),
(60)
(61)
(62)
(63)
150
Le rapprochement a été fait par la doctrine, à propos de l’ensemble journalistique, V.
Thoumyre (L.), « L’ensemble journalistique entre le collectif et la collaboration »,
Cahiers de propriété intellectuelle, Vol.12, n2, 2000, pp. 421- 448, n 18). Par
ailleurs, les contrats successifs de cession des droits d’auteur peuvent être
appréhendés à travers la notion de groupe des contrats.
C’est la définition que donne le Mémento pratique Francis Lefebvre (Droit des
affaires – Contrats et droits de l’entreprise, 8 ème éd. 2000, n 1539, p. 244
V. sur l’ensemble de la question : Arfaoui (B.), L’interprétation arbitrale du contrat
de commerce international, thèse, Limoges, 2008, no 284, p. 131 et suiv. et
bibliographie citée. ; Picod (Y.), L’obligation de coopération dans l’exécution du
contrat’, JCP (G.), 1988, I, 3318. ; V. plus spécifiquement: Chenut (Ch-H.), Les
raisons de constituer un groupement d’entreprises en exécution d’un contrat de
partenariat public-privé, JCP (E), no 29, 2006, 2125.
Il est de pratique courante d’insérer une ‘clause de management’ qui donne lieu à la
création d’un comité de coordination. Sa composition paritaire et le mode de vote
(règle de l’unanimité) assurent un traitement égal à tous les membres du consortium.
Les décisions sont, en principe, prises à l’unanimité, parfois seules certaines
décisions importantes sont soumises à l’unanimité. En cas de partage des voix, la
Le consortium immobilier
l’obligation d’information réciproque, l’obligation de renégocier, le cas
échéant, le contrat de consortium, voire même de résoudre amicalement les
différends qui surgissent entre les parties contractantes.
Nous les étudions en ce qu’elles ont de specifique.
-Coopération–assistance. L’obligation de coopérer suppose une
action commune et concertée pour faciliter l’exécution du marché(64).
Chaque membre du consortium doit faire tout ce qui relève de son pouvoir
afin de s’exécuter conformément aux engagements pris et faciliter aux
autres membres de s’exécuter dans les meilleures conditions. Toute
défaillance contractuelle ou retard de sa part entraine, du fait de
l’interdépendance des différentes obligations, des retards dans
l’accomplissement des prestations ultérieures. Dès lors, le maître de
l’ouvrage serait en droit d’exciper la défaillance d’un membre ou sa
mauvaise exécution ou son retard pour refuser le paiement tant que la
prestation faisant défaut n’a pas été accomplie. Il peut utilement invoquer
l’obligation conjointe ou solidaire, selon le cas, pour les faire supporter les
(64)
voix du président est prépondérante. Dans les cas limites, il est fait recours à un tiers,
en dehors des membres, un swingman ou umpire dont le rôle est de décider
conformément aux intérêts communs du consortium. La coopération dépasse ici
largement le strict cadre contractuel. Son objet porte sur la réalisation du marché et
les difficultés y afférentes.
Sentence CCI no 2433, Clunet 1976, p. 988 et suiv.: « Les parties doivent être
parfaitement conscientes que seule une collaboration loyale, totale et constante
entre elles pouvaient éventuellement permettre de résoudre, au-delà des difficultés
inhérentes à l’exécution de tout contrat les nombreux problèmes résultant de
l’extrême complexité dans la formation et l’enchevêtrement des engagements
litigieux » . Et d’ajouter « cette obligation de coopération, qu’à juste titre la
doctrine moderne retrouve dans la bonne foi qui doit gouverner l’exécution de toute
convention s’impose », cf. aussi avec la sentence CCI no 4338, rendue en 1984, (citée
par Arfaoui (B.), L’interprétation arbitrale du contrat de commerce international,
thèse, Limoges, 2008, no 284, p. 131) et sentence rendue en 1985 citée par Jarvin
(S.)L’obligation de coopérer de bonne foi, exemple d’application au plan de
l’arbitrage international », in dossiers de l’institut de la CCI, L’apport de la
jurisprudence arbitrale 1986, 168 qui a estimé « les parties à un contrat ont le devoir
implicite de coordonner leurs efforts pour une coopération et exécution ponctuelle
de leurs obligation ; qu’ainsi se multiplient les obligations d’informer, de
renseigner, d’assister et de se concerter ».
151
Dr. Tarak Baccouche
conséquences de l’inexécution ou de son retard(65). Les membres non
défaillants ont donc tout intérêt à pallier la défaillance de leur
cocontractant soit en se substituant au membre défaillant lorsque le contrat
le prévoit(66), soit en faisant appel aux services d’une entreprise tierce avec
l’accord, bien entendu, du maître de l’ouvrage. Cette substitution permet,
outre le paiement, l’octroi des emprunts bancaires sur la part du marché
déjà accomplie. Il suffit ici de supposer qu’un membre du consortium en
manque des finances cherche à se procurer des fonds en nantissant ses
droits dans le futur marché. L’organisme financier peut faire dépendre
l’octroi des prêts à la réalisation du marché dans son ensemble. Le
nantissement serait d’un intérêt fort limité en effet s’il se rapportait
exclusivement à la réalisation de la part de l’emprunteur. Cette part n’a de
'valeur vénale' qu’avec la réalisation de l’ensemble du marché.
-. Coopération-solidarité. En réalité, le contenu de l’obligation de
coopération est pétri de solidarisme contractuel(67). Les membres sont
appelés à s’entraider et à se prêter main forte en cas de défaillance de l’un
d’eux. La réalisation du marché n’est pas l’affaire privée de chaque
membre qui se termine avec l’accomplissement de sa prestation. Elle
dépasse le cadre contractuel classique pour épouser une sorte de
‘solidarisme contractuel’(68), forme spécifique d’intuitu contractus.
(65)
(66)
(67)
(68)
152
Il est de pratique courante de prévoir dans le contrat que les membres du consortium
sont solidairement tenus du paiement de clauses pénales.
Les contrats de consortium prévoient souvent une clause de substitution.
Le solidarisme contractuel est une forme de fraternité faisant « des partenaires les
protagonistes d’une même opération ». « Chaque coopérant est en droit d’attendre et
d’exiger de ses partenaires plus de diligence que dans un contrat ordinaire » devait
écrire Mr Chenut (Ch-H.), article préc.
Selon cette conception, l’exécution du contrat est la charge de deux contractants le
créancier de l’obligation doit faciliter cette exécution et ne point la rendre difficile
ou impossible. V. en jurisprudence française : Cass. com., 15 janvier 2002, Rev. trim.
dr. civ. 2002, 294, obs. réservées J. MESTRE, B. FAGES ; D. 2002, p. 1974, note
critique PH. STOFFEL-MUNCK ; JCP 2002, II, 10157, note approb. CH. JAMIN ;
D. 2002, somm., p. 2841, note D. MAZEAUD; Cahier Dr. Entreprise 5/2002, p. 28,
obs. critiques de D. MAINGUY : le société Mazda a eu tort de demander à ses
concessionnaire de faire des efforts financiers ( réduction des marges , participation
aux frais de publicité alors qu’elle distribuait les dividendes consistant à ses associés.
La chambre commerciale a estimé qu’elle n’avait pas exécuté le contrat de bonne foi
et qu’elle avait « abusé de son droit de fixer unilatéralement les conditions générales
Le consortium immobilier
Aussi chaque membre du consortium et le maître de l’ouvrage sont
tenus à l’obligation de minimiser le dommage causé par le membre
défaillant. Cette obligation découlant du principe de la bonne foi a été
retenue, par les juridictions arbitrales(69), comme principe du commerce
international(70), ayant à s’appliquer pour le contrat international de
construction(71).
L’utile pour tout un chacun prend le dessus sur le juste.
En somme, les membres du consortium supportent ensemble la
défaillance matérielle (inexécution volontaire ou involontaire) ou juridique
(disparition du contactant, son redressement ou liquidation judiciaire) d’un
(69)
(70)
(71)
de vente », cf. avec Cass. com., 25 novembre 1998, Rev. trim. dr. civ. 1999, p. 98,
obs. J. Mestre: « attendu que les rapports entre l’agent commercial et le mandant
sont régis par une obligation de loyauté et que le mandant doit mettre l’agent
commercial en mesure d’exécuter son mandat ; attendu qu’en se déterminant sans
rechercher si, informées des difficultés de M. Chevassus-Marche en raison des
ventes parallèles…, les sociétés ont pris des mesures concrètes pour permettre à leur
mandataire de pratiquer des prix concurrentiels… la cour d’appel n’a pas donné de
base légale à sa décision »; Cass. com., 20 janvier 1998, D. 1998, 413, note CH.
JAMIN ; JCP 1999, éd. G, II, 10018, note J.-P. CHAZAL, le contractant doit
s’abstenir de causer un déséquilibre contractuel injuste en ne permettant pas
l’amortissement des investissements contractuellement engagés. )
V. Sentence CCI, aff. No 5865/ 1989, Clunet 1998, p. 1008, qui reteint que
l’obligation de minimiser le dommage est un principe « très généralement reçu dans
le commerce international ». Faut- il ici rappeler que cette obligation a, en outre, été
reçue dans les principes d’Unidroit ( art. 7.4.8,2) et les Principes du Droit Européen
des Contrats ( art. 4. 504, 1,b) et l’art. 77 de la CVIM (Convention de Vienne du 10
avr. 1980 sur la vente internationale des marchandises) qui prévoit : ‘La partie qui
invoque la contravention doit prendre les mesures raisonnables, eu égard aux
circonstances, pour limiter la perte, y compris le gain manqué, résultant de la
convention. Si elle néglige de le faire, la patrie en défaut peut demander une
réduction des dommages-intérêts égale au montant de la perte qui aurait dû être
évitée’.
V. sur l’ensemble des principes de la lex mercatoria en général et sur l’obligation de
minimiser le dommage, Osman(F.), Les principes généraux de la lex mercatoria,
thèse, préface Loquin ( E. ) , LGDJ. Paris, 1992 ; Dersains (Y.), l’obligation de
minimiser le dommage dans la jurisprudence arbitrale, Rev. Dr. Aff. Intern. 1987, p.
380 et suiv.
V. en particulier : Level ( P.), L’obligation de minimiser les pertes dans la pratique
du contrat international de construction, Rev. Dr. Aff. Intern. , p. 385.
153
Dr. Tarak Baccouche
membre du consortium. Ils sont conjointement et, le plus souvent
solidairement, tenus envers le maître de l’ouvrage.
-. Contrat d’intérêt commun. Ainsi définie, la coopération des
membres du consortium donne à penser qu’il s’agit d’un contrat d’intérêt
commun. Deux raisons, au moins, militent en ce sens. Il n’est plus à
démontrer que l’entreprise pilote (chef de file) représente ses intérêts
propres mais aussi ceux du groupement, c’est-a-dire en l’absence de
personnalité morale, les intérêts de tout un chacun. D’où la qualification de
ce mandat de mandat d’intérêt commun(72). D’où aussi la solidarité des
mandants (membre du consortium) des tous les effets du mandat (cf. avec
art. 2002, C.civ. fr.).
Mais en dehors de cette hypothèse, il faut convenir que
l’interdépendance des obligations incombant aux membres du consortium,
les a tous ‘forgé’ en une partie plurale, ayant les mêmes intérêts (remporter
le marché et le réaliser dans les meilleurs conditions matérielles et
financières)(73). Cette identité d’intérêt qui ne signifie nullement l’identité
d’objet des prestations respectives paraît, en l’occurrence, suffire pour
admettre l’existence d’un contrat d’intérêt commun, du moins pour ce qui
concerne la partie plurale(74). L’obligation de coopérer, et d’une manière
générale celle de collaborer, peut légitimement être citée en ce sens.
(72)
(73)
(74)
154
V. par exp. en droit français, Cass. 3 ème Civ., 23 oct. 1991, Bull. Civ., III, no 245.
Sur cette importante notion de partie plurale, V. avec intérêt particulier la thèse de
Mr. le Professeur Remy Cabrillac (Acte juridique conjonctif, thèse, Bib. dr. priv., t.
213, LGDJ 1990, no 319 et suiv.) qui définit la partie plurale comme étant la partie
ayant un même et unique intérêt dans un acte collectif conjonctif. Ce dernier est
« l’acte par lequel plusieurs personnes sont rassemblées lors de sa formation ou
postérieurement, au sein d’une même partie, c’est-à-dire par un même intérêt, défini
par rapport à l’objet de l’acte ».
La qualification se défend moins pour le maître d’ouvrage, il est vrai. Mais certaines
obligations lui incombant (comme celle de bien informer le consortium sur ses
besoins et de bien les formuler pour permettre les membres du consortium de bien
répondre à ses besoins spécifiques, ou celle de minimiser les pertes, V. infra)
n’exclut pas complètement de retenir la même qualification pour le maître
d’ouvrage.
Le consortium immobilier
La coopération sous tend ensuite un devoir d’information peu
commun. Cette information est, tout d’abord, mutuelle et s’accompagne,
ensuite, d’un devoir de conseil.
-. Information réciproque. Les membres et le maître d’ouvrage se
doivent mutuellement information sur l’état du chantier, son avancement et
les difficultés prévisibles ou rencontrées lors de sa réalisation et, d’une
manière générale, tout renseignement nécessaire ou utile à la bonne
exécution du marché(75). Cette obligation d’information due alors même
qu’elle n'avait pas été prévue au contrat, tant qu’un comité de coordination
n’a pas été (encore ?) créé(76). Elle tient en effet à l’esprit du contrat du
consortium et à son économie ce qui fait son originalité. Elle est, en outre,
originale: pesant sur des professionnels, elle profiterait, également, à des
professionnels. La qualité de la personne créancière de l’obligation de
l’information ne doit pas l’atténuer, ou dispenser le débiteur de son devoir
d’informer. Le régime de l’obligation se trouve, en l’occurrence, bien
différent de celui du droit commun qui fait dépendre son contenu et son
intensité de la qualité du créancier de l’obligation.
Et pour cause, la qualité du créancier de l’obligation ne doit
aucunement décharger le débiteur de l’obligation d’informer. Et vice
versa, le débiteur de l’obligation doit, pour pouvoir informer en bonne
connaissance de cause, être à son tour bien informé(77). Il doit dès lors se
renseigner(78), parfois auprès des tiers et, à son tour, renseigner. Il va sans
(75)
(76)
(77)
(78)
Sentence CCI, no 5030 en 1992, Clunet 1993, obs. Derains.
Cass. fr. 3 ème Civ., 4 juin 1986, Bull. Civ., p. 69 (à propos de l’installation d’un
chauffage d’un ensemble immobilier) ; cf. Cass. fr. Com., 25 mai 1993, RJDA 1993,
no 897.
La jurisprudence française fait peser sur le professionnel l’obligation de se
renseigner, V. par ex. Cass. 2 ème Civ., 19 oct. 1994, D. 1995, p. 499, note A. M.
Gavard-Gilles jugeant que : « Celui qui a accepté de donner des renseignements a
lui-même l’obligation de s’informer pour informer en connaissance de cause » ;
Com. 1er déc. 1992, Bull. civ., I, no 391; « tout vendeur d’un matériel doit, afin que la
vente soit conclue en connaissance de cause, s’informer des besoins de son
acheteur ».
Sur l’obligation de se renseigner, V. Sentence CCI, aff. no 1990, rendue en 1972,
Clunet 1974, 898, obs. Derains ; la responsabilité du créancier de l’obligation
d’information est retenue faute d’avoir « procédé à une étude approfondie de la
155
Dr. Tarak Baccouche
dire qu’il incombe au créancier de l’obligation d’information le devoir de
collaborer par la formulation de ses besoins en les faisant connaitre au
débiteur de l’obligation(79).
Par exemple, une entreprise de terrassement doit se renseigner sur la
solidité du sol (glissement du sol, excavations…), sur les fluctuations
possibles de la nappe phréatique(80). Renseignement pris, elle doit
communiquer l’information liée aux données du terrain aux autres
membres du consortium dans la mesure où elle peut influer sur la façon
d’exécuter leur prestation ou de réévaluer leur coût (compagnie
d’assurance) ou leurs études (consortium d’études). Mais le maître
d’ouvrage doit aussi bien formuler ses demandes, besoins et exigences
pour mettre l’entrepreneur en mesure de répondre le plus fidèlement
possible à ses attentes.
-. Information et confidentialité. L’obligation d’information ainsi
comprise trouve dans l’obligation de confidentialité une limite
raisonnable(81). Le membre de consortium ne doit divulguer que les
informations utiles ou nécessaires à la bonne exécution par ses compères
des leurs prestations ; il lui est strictement interdit de leur communiquer
des données spécifiques à un membre ou étrangères à l’objet de leurs
prestations. Se trouvent couverts par l’obligation du secret le contrat du
consortium lui-même ainsi que toutes les informations relatives au marché.
Chaque membre du consortium ainsi que le maître de l’ouvrage doivent
(79)
(80)
(81)
156
situation du marche espagnol … il ne peut s’en prendre qu’à lui-même et dont il ne
peut tenir son partenaire pour responsable ».
V. En se cens Osman, thèse, préc., p. 145 et suiv.
Cf. Cass. fr. 3 ème Civ., 15 juin 1988, JCP (G.) 1988, IV, 297 (un entrepreneur doit
se renseigner auprès des services administratifs compétents des fluctuations de la
nappe phréatique).
Il est de pratique courante d’insérer dans les accords de consortium une obligation de
confidentialité pour sauvegarder le secret des affaires lato sensu (plans, brevets,
procédés, études, méthodes de marketing, …). Cf. en droit français, avec CA
Versailles, 7 nov. 1991, D. 1992, IR, p. 15 9 décision rendue à propos du transfert
d’un système informatique sur du nouveau matériel informatique).
Le consortium immobilier
prudemment gérer le risque informationnel(82), sous peine d’engager leur
responsabilité civile.
-. Réviser, adapter et renégocier. Le contrat de consortium contient
traditionnellement une clause de renégociation imposant à ses membres
d’adapter le contrat aux évolutions et contraintes du marché. Très souvent,
la renégociation du contrat dans ses clauses, obligations et conditions
financières est assurée, entre autres(83), par une clause de hardship (dite
aussi clause de sauvegarde ou de dureté).
Or cette manière de gérer le risque est bien typique en matière de
consortium. On peut lui trouver trois caractéristiques.
Tout d’abord, les parties concernées entendent tenir en échec le
principe de l’intangibilité du contrat, en envisageant, lors de sa conclusion
même, son éventuelle adaptation. L’imprévision, contractuellement
appréhendée par les parties contractante fait partie de leur prévision et
entre, de ce fait, dans le champ contractuel. Le manquement à l’obligation
de renégocier loyalement des modifications à adopter au contrat est source
responsabilité contractuelle.
Ensuite, et en dehors de toute stipulation contractuelle d’une clause de
révision, il est permis de penser que l’esprit du contrat, son économie
même, impose aux différentes parties contractantes de renégocier ses
(82)
(83)
V. sur l’ensemble de la question, Martin (L.), Le risque informationnel dans les
relations de partenariat – Environnement et acteurs, Cahiers de droit de l’entreprise,
no 5, sept. 2008, dossier 43. Il en est particulièrement ainsi dans l’hypothèse où un
membre du consortium aurait soustraité une partie de son lot. L’entrepreneur
principal doit veiller à ce que le sous traitant respecte le secret des affaires. En cas de
manquement à l’obligation de confidentialité, il en répond vis-à-vis des autres
membres du consortium.
Il faut dire aussi que les parties ont le choix entre toute une panoplie des clauses
gérant les risque et aléas relatifs à leurs obligations financières ou à l’exécution de
leurs obligations contractuelles. Citons à titre d’exp. La « clause d’échelle
mobile », « les clauses d’indexation » , « les clauses de références à une monnaie de
compte » et la « clause de hausse et de baisse » pour juguler avec les risques
d’inflation et les fluctuations du prix des matières premières et du coût de la main
d’œuvre; la « clause du client le plus favorisé » (l’obligation de faire bénéficier le
contactant des avantages consentis à des clients ultérieurs) ou de la « first refusal
clause » visant à aligner l’offre du bénéficiaire de la clause sur les offres occurrentes.
157
Dr. Tarak Baccouche
conditions et clauses. L’hostilité des arbitres(84) à la révision du contrat de
commerce international au nom d’une prétentieuse interprétation du
principe pacta sunt servenda(85) doit en l’occurrence céder lorsque les
éléments qui ont poussé à la conclusion du contrat ont disparu (rebus sic
stantibus) laissant, au passage, un déséquilibre flagrant entre les prestations
réciproques. Le principe de proportionnalité, admis par plusieurs droits
nationaux et qui est reçu par la lex mercatoria à travers l’obligation de
minimiser les pertes (V. supra) peut en l’occurrence être envisagé. La
chose est d’autant plus vraie que les ordres juridiques hostiles à la notion
d’imprévision l’ont positivement accueillie(86).
Au fond, il convient d’admettre que le principe d’intangibilité n’a pas
lieu de s’appliquer en matière de construction avec la même rigueur que
celle jusqu'alors observée pour les contrats du commerce international. La
durée des premiers contrats et le haut degré d’aléa inhérent aux seconds
contrats doivent inciter à la réserve. Dès lors, il est de bon droit d’infléchir
le principe d’intangibilité pour les contrats de longue durée, comme c’est
véritablement le cas pour le consortium. On peut ajouter en ce sens un
dernier argument. Il n’est pas complètement exclu que le juge, ou l’arbitre,
selon le cas, retiennent, à l’instar de l’obligation d’information réciproque,
une obligation de renégocier le contrat découlant de l’obligation de
coopérer elle-même, sans qu’il soit besoin qu’elle ait été expressément
prévue dans le contrat, dès lors que les parties contractantes n’ont pas
clairement exprimé le contraire(87).
Enfin, les parties tenues à renégocier les termes du contrat assument
une obligation de moyens et point de résultat quant à l’issue des
négociations. Autrement dit, elles doivent de bonne foi engager des
négociations loyales mais sans en garantir le résultat. Elles assument une
obligation de résultat quant à leur entrée en pourparlers et encourent, de ce
(84)
(85)
(86)
(87)
158
On cite traditionnellement les sentences : CCI, aff. no 2216, 1974, Clunet 1975. 917 ;
CCI rendue en 1974, aff. no 1512, Clunet 1974. 905 ; CCI rendue en 1989, aff. no
6281, Clunet 1989, 1114, obs. Aguilar Alvarez et CCI rendue en 1977, aff. no1708,
Clunet 1977. 943, obs. Derains.
V. en ce sens, Arfaoui (S.), thèse préc., nos 357 p. 172 et suiv.
On peut citer en ce sens le droit français qui admet le principe de la proportionnalité.
Cf. avec Cass. fr. 3 ème Civ., 4 juin 1986, Bull. Civ., p. 69.
Le consortium immobilier
fait, une responsabilité contractuelle lorsqu’elles refusent d’engager des
négociations (pour trouver une solution loyale aux difficultés rencontrées).
Mais elles demeurent tenues à une simple obligation de moyens quant au
résultat de la négociation.
-. Modes alternatifs de résolution des différends. Habituellement et
opportunément, les accords de consortium privilégient les solutions
négociées. C’est trait saillant de ce contrat qui s’explique, en grande partie,
par l’appartenance de ses membres à des ordres juridiques différents, et
donc à des cultures juridiques différentes. Au lieu de privilégier un système
des normes au détriment des autres, il est de bonne pratique de recourir aux
modes alternatifs de résolution des litiges (l’amiable composition, la
conciliation, la médiation et l’arbitrage). Le caractère amiable de
résolution des différends peut, et doit, également être regardé comme une
suite logique de l’obligation de coopérer (pour le bien et pour le pire … )
pour éviter, en l’occurrence, amicalement le pire, c’est-a-dire éviter que le
différend génère en litige. Le plus souvent, c’est une entreprise membre ou
un tiers qui se charge de la médiation ou la conciliation voire de l’amiable
composition. Outre que la solution fait gagner un temps précieux aux
entreprises concernées, elle permet de sauvegarder les secrets du marché,
tout en évitant la détérioration de leur confiance réciproque du fait du
contentieux.
-. Interdépendance (effets). Concrètement, l’interdépendance est
pour le consortium ce qu’est
l’indivisibilité est pour l’ensemble
contractuel. L’interdépendance explique certains traits du régime juridique
du consortium. Ainsi, dans une hypothèse d’un recours en responsabilité,
le juge doit apprécier les conditions de réalisation du marché et l’exécution
des prestations promises in globo. Bien entendu, cette appréciation ne se
fait pas en fonction de la réalisation de chaque élément ou segment du
marché pris isolement (génie civil, système de sécurité, infrastructure de
transport, système de contrôle, système informatique …). La solution a
fait ses preuves pour les ensembles informatiques (dits systèmes
informatiques)(88) ; et il ya tout lieu de la réitérer, ratio legis, pour le
consortium immobilier.
(88)
CA Paris, 17 nov. 1995, Expertises 1996, p. 160 Cf. avec Trib. Com. Paris, 17 déc.
1999, Expertise 2000, p. 198, cité par Le Tourneau (ph) et Cadiet (L.), Droit de la
159
Dr. Tarak Baccouche
Toujours dans le même ordre d’idées, le recours à la notion
d’ensemble contractuel indivisible fait dépendre la réception des travaux
par le maitre d’ouvrage à la réalisation définitive et complète de
l’ensemble des travaux. Une réception fractionnée portant sur un seul ou
même sur quelques éléments de l’ensemble est insuffisante ; le tout sauf
convention contraire. Et même si, par convention expresse, cette réception
a pu avoir lieu, elle ne préjuge en rien les éventuels recours du client après
la réception définitive de tout l’ensemble(89). Il doit, par a simili, être de
même en matière de consortium.
L’interdépendance des différentes obligations des membres du
consortium autorise le maître d’ouvrage, poursuivi en paiement, à exciper
à l’encontre d’un membre non défaillant l’exception de non exécution
opposable, en principe, au seul contractant défaillant.
-. Indépendance dans l’interdépendance. Mais l’interdépendance
traduite par l’obligation de collaborer (dans tous ses états: obligation de
coopérer, d’information réciproque, de renégocier et de résoudre
amicalement les différends) ne doit pas faire oublier que le consortium est
un groupement indépendant d’entreprises. Chaque entreprise reste
personnellement maître de son propre lot et « chaque coopérant est
souverain dans l’administration de ses affaires »(90). Elle jouit donc d’une
maîtrise complète sur son lot des travaux et demeure la seule à décider de
la manière dont elle entend exécuter sa tâche. L’indépendance, toute
relative en somme, des entreprises constituant le consortium tire sa raison
d’être de deux éléments.
-. Justification. Tout d’abord, les membres constituant le consortium
n’entendent nullement se constituer en une entité sociétaire. Leur
groupement est de nature contractuelle. Leur association est de pure
circonstance et ne vaut que pour le marché en vue. Certes le consortium
emprunte aux droit des sociétés quelques techniques de gestion (comité de
coordination, représentation –tournante du groupement-, règle de la
(89)
(90)
160
responsabilité et des contrats, coll. Dalloz Action, éd. Dalloz, Paris 2002, n5476, p.
1058.
Cf. mais à propos de la réception d’un système informatique, Com. fr., 15 oct. 1991,
JCP (E) 1992, I, 141, no 12, obs. de notre professeur A. Lucas et de Mr M. Vivant.
Chenut (Ch-H.), article préc.
Le consortium immobilier
majorité pour les décisions non importantes, inopposabilité des limitations
des pouvoirs du représentant du groupement à l’égard des tiers de bonne
foi …) mais ces technique visent essentiellement à faciliter aux membres la
réalisation de leurs lots respectifs et à partager les frais communs (frais
d’études, participation aux dépenses communes …). Elles n’autorisent pas
de déduire l’intention de partager les bénéfices et de contribuer aux pertes.
Aussi, les membres du consortium doivent particulièrement veiller à
dissiper tout risque de confusion entre le groupement ainsi constitué et
toute forme de société en insérant dans leur accord toute clause de nature à
faire apparaître leur indépendance respective(91). Cette indépendance doit
être respectée en fait et de droit. Car, il faut ici rappeler qu’en vertu des
principes les plus établis de droit commun, le juge a toute latitude de
requalifier la convention des parties pour lui faire endosser la bonne
qualification réellement voulue. Il est opportun donc que les parties
expriment dans le contrat de consortium leur volonté non équivoque de ne
pas constituer une société -de quelque nature que ce soit- et veiller à ne pas
se comporter en fait en associés(92). Ainsi par exemple, chaque entreprise
doit faire savoir aux autres membres, mais aussi aux tiers, que les
commandes passées concernent ses besoins propres, que la main d’oeuvre
recrutée l’est pour l’exécution de son propre lot, que le matériel loué lui
profitera seule, a l’exception des autres membres du groupement et au
consortium ès qualité(93).
-. Obligation de précision. Ensuite et surtout, les membres du
consortium doivent spécifier, chacun en ce qui le concerne, la part des
travaux qui lui revient. Il faut en l’occurrence que les accords de
consortium délimitent avec soin et précision le domaine d’intervention de
chaque entreprise. Cette délimitation doit figurer dans l’accord lui-même.
Sur le plan théorique, cette délimitation emporte plusieurs
conséquences.
(91)
(92)
(93)
Mais, il n’en est pas toujours ainsi en jurisprudence. Le juge ne tient parfois pas
compte des termes employés comme celui d’associé, V. par exp. CA Poitiers 11 mai
1960, D. 1961, 40.
V. Cass. fr. Com., 24 oct.1966, D. 1967, p. 370.
Cf. en droit fr. Avec Com., 24 oct. 1966, préc.
161
Dr. Tarak Baccouche
-. Renvoi. Elle empêche de reconnaître au contrat de consortium un
objet matériellement indivisible. Le contrat de consortium renferme
plusieurs objets, à la fois. Il serait particulièrement réducteur des les
confondre en un seul objet indivisible. Cette particularité du contrat milite
en faveur de l’interdépendance des prestations et non leur indivisibilité (V.
supra).
-. Obligation de précision, contrat complexe. L’obligation de
préciser avec la plus extrême attention dans le contrat de consortium,
l’objet des travaux dévolus à chaque entreprise, permet de le distinguer du
contrat complexe.
Le contrat complexe est un contrat qui suppose l’existence de
plusieurs contrats (le plus souvent, un dépôt + entreprise) dont le régime se
trouve déterminé par le contrat dominant. Ainsi, par exemple, la 1ère
Chambre civile de la Cour de cassation française a rejeté le pourvoir
reprochant à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir condamné une compagnie
d’assurance à garantie sans « s’expliquer sur une clause d’exclusion de
garantie concernant les biens dont l’assuré est de dépositaire ». La
Cambre civile confirme la décision des juges du fond au motif que la
responsabilité de l’assuré étant engagée « non au titre d’un contrat de
dépôt, mais a l’occasion de l’exécution du contrat d’entreprise qu’… (il)
avait consenti »(94). Il faut dire qu’en l’espèce l’accident s’est produit lors
du transfert d’un manège en vue de sa réparation dans les locaux de
l’assuré. Autrement dit, le dommage s’est produit alors que le réparateur
assumait une obligation de garde (contrat de dépôt). Or, force est de
constater ici la présence de deux contrats bien distincts (Entreprise+ Dépôt)
et que le régime du premier a, en quelque sorte, absorbé le régime du
second. De la sorte, l’exclusion de la garantie pour les biens dont l’assuré
est dépositaire est inopérante lorsque le dépôt n’est que la suite, ou le
préalable, selon le cas, de l’activité assurée(95).
(94)
(95)
162
Civ. 1ère , 26 janv. 1999, Bull. civ., I, no 28; JCP 2000, II, 10304.
V. aussi dans le même sens: Cass. 1 ère Civ. 5 avr. 2005, Rev. dr. civ. 2005, p. 1123,
obs. P. Puig ( La Cour de cassation a censuré l’arrêt de la cour d’appel qui a rejeté la
demande de paiement de frais de gardiennage du garagiste faute d’avoir démontré le
caractère rémunéré du dépôt. Pour la Cour de cassation, « il appartenait au
Le consortium immobilier
La question se présente dans des termes bien différents pour le contrat
de consortium puisque chaque prestation est bien distincte de l’ensemble
des prestations et obéit, de ce fait, à un régime juridique propre. Ainsi les
obligations pesant sur l’entreprise de construction, par exemple, ne
sauraient interférer avec celles pesant sur l’entreprise exerçant dans
l’équipement industriel ou informatique. Et l’on ne saurait raisonnablement
songer à admettre l’existence d’un contrat caractéristique (à l’image de
l’obligation caractéristique, CVIM). C’est qu’en réalité on peut
parfaitement dépecer le contrat et diviser les différentes prestations, sans
toucher à l’ensemble. Il y a, rappelons le, interdépendance certes, mais
sans que cette interdépendance aille jusqu'à l’indivisibilité de l’ensemble.
De surcroit, l’application du contrat de consortium demeure tributaire du
contrat principal conclu avec le maître d’ouvrage et, partant, soumis à son
régime juridique. D’où la question bien légitime de savoir s’il ne fallait
pas qualifier le contrat de consortium de ‘sous-contrat’.
-. Consortium et sous-contrat. La caractéristique fondamentale du
‘sous-contrat’ est «l’absence de convention unissant directement les deux
extrêmes, le contractant principal et le substitut »(96). La doctrine autorisée
cite l’exemple du contrat de sous traitance(97). Or, manifestement, le souscontrat est l’exécution du negotium mais par des substituts, donc par une
personne étrangère au contractant initial(98). Le sous traitant ou le sous
mandataire(99), par exemple, exécutent une partie du contrat initial conclu
entre l’entrepreneur principal et le maître de l’ouvrage ou encore entre le
mandant et le mandataire initial. Il s’agit incontestablement d’une
fragmentation de l’objet originaire du contrat (sous traitance) ou de sa
multiplication (sous mandat dans l’hypothèse de pluralité de sous
mandataires) en des ‘sous-contrats’ qui concourent ensemble à la
(96)
(97)
(98)
(99)
propriétaire du véhicule de rapporter la preuve du caractère gratuit du contrat … a
violé »).
J. NÉRET, Le sous-contrat, LGDJ, Bib. dr. priv. tome 163, Paris1979, n°28.
J. NÉRET, thèse précitée, n°19 , V. aussi le no 148 à propos de la convention de
croupier.
Ce critère devrait, en principe, suffire pour nuancer le contrat d’application (par
référence à un contrat-cadre) du ‘sous contrat’.
Qu'il ne faut pas confondre avec le co-mandataire dans l’hypothèse de pluralité des
mandats pour la même affaire.
163
Dr. Tarak Baccouche
réalisation du contrat principal mais toujours avec des substituts. On peut,
dès lors, puiser dans la qualité des contractants et l’objet du contrat du
consortium pour le distinguer du sous-contrat.
D’une part, les parties du contrat du consortium, les membres, sont
directement liées par les termes du contrat. Ils ne sont pas des partiesextrêmes. Il y partie plurale certes, mais toujours contractante; le lien
obligationnel se crée directement entre toutes les parties contractantes et
l’exécution du contrat peut s’en passer des contrats intermédiaires (souscontrat). La sous traitance n’est pas l’essence du contrat du consortium et
l’on peut aisément imaginer un consortium sans sous-traitance.
D’autre part, il y a en matière de consortium pluralité d’objets
distincts, mais point de fragmentation ou multiplication d’objets telle qu’on
l’entend pour le sous-contrat. Cette singularité a fait que des tels objets
soient simplement interdépendants dans un contrat de consortium, alors
qu’ils sont indivisibles dans un ‘sous-contrat’. Ceci engendre cela, mais
ceci est bien différent de cela (V. supra,).
-. Réduction du contrat, clause d’exclusion, clause de sortie. Par
ailleurs, la définition méticuleuse des prestations de chaque membre du
consortium devrait, en principe, et en toute logique, circonscrire la nullité,
la résiliation ou la résolution au seul contrat principal. En principe,
l’interdépendance n’étant pas l’indivisibilité, elle doit conduire à une
réduction du contrat de consortium en le débarrassant de la partie
défectueuse dès lors qu’il peut valablement subsister sans elle. C’est qu’en
réalité le groupement pourrait survivre, sans trouble majeur, puisque les
prestations des différents membres sont bien délimitées. La nullité ou la
résiliation ou encore la résolution du contrat principal ne se communique
pas au contrat de consortium dans son ensemble. Seule donc la partie
concernée est amputée contrairement à la solution qui prévaut pour les
ensembles indivisibles.
Pour les mêmes raisons, le contrat de consortium renferme souvent
une clause d’exclusion d’un membre qui, de part son comportement, nuit à
l’intérêt de l’ensemble (concurrence déloyale,
divulgation des
informations couvertes par le secret d’affaires, manquement répété à
l’obligation d’information réciproque, non paiement de sa part dans les
164
Le consortium immobilier
dépenses communes …). Il se peut aussi que c’est le membre du
groupement qui quitte de son propre gré le groupement. Une clause de
sortie (dite aussi clause de divorce) permet d’exaucer ses vœux. Mais il se
peut encore que cette sortie soit forcée en raison de l'incapacité financière
ou technique du membre à demeurer dans le groupement (impossibilité
d’avancer des nouveaux investissements, moyens techniques insuffisants,
mains d’œuvre ou cadres manquants…). Or si des telles clauses restent
possibles et n’affectent pas structurellement le consortium, c’est parce que
les prestations, bien définies, sont parfaitement distinctes (donc divisibles),
même si elles restent interdépendantes.
-. Obligation de non ingérence. Enfin, l’obligation de spécifier les
obligations respectives incombant aux membres a donné, pour corollaire,
l’obligation de non ingérence pesant sur chaque membre. Les membres du
consortium ne doivent pas s’immiscer des affaires de leurs compères, de la
manière d’exécuter leur obligation. Les obligations de coopération,
d’assistance et d’information réciproque, notamment, ne doivent pas
conduire à une direction de fait des affaires d’autrui. L’accomplissement
des ces obligations doit rester dans les limites du raisonnable, c’est-à-dire
cantonné aux intérêts légitimes qu’a tout membre à collaborer avec ses
partenaires, sans qu’un membre s’arroge le pouvoir de dicter sa conduite
aux autres. L’entreprise pilote doit particulièrement veiller à ne pas se
comporter en fait ou en apparence comme maître d’affaire (V. infra). Il
faut que sa collaboration se justifie amplement par sa qualité de mandataire
commun des membres du consortium ou par sa qualité de simple membre
(pour l’obligation de coopérer par exemple.). Dans l’hypothèse contraire,
elle engage sa responsabilité à l’égard des tiers qui ont, de bonne foi, cru
dans l’existence d’une entité commune (societe ou autre forme de
groupement, GIE, GEIE, Joint-Venture…).
2 / Les rapports à l’égard des tiers
-. Principe. En principe, chaque membre du consortium contracte en
son nom et pour ses besoins propres. Il supporte ainsi seul les dettes qu’il a
contractées pour les besoins de son commerce. Il doit veiller à ne pas créer
de confusion dans l’esprit du tiers sur la portée et /ou la nature de ses
engagements. Ceux-ci sont donc éminemment personnels et seule
l’entreprise contractante est tenue à les honorer.
165
Dr. Tarak Baccouche
-. Exceptions. Mais il arrive parfois qu’un membre du consortium soit
contraint d’honorer des dettes qu’il n’a pas directement contractées. On
peut, en l’occurrence, distinguer entre trois cas de figure.
1. Le membre du consortium est toujours tenu à payer sa part dans les
frais communs(100). Le fait que le contrat soit d’intérêt commun le justifier
amplement. Ces dépenses communes ont profité à l’ensemble des membres
et, partant, il est juste que tout un chacun paye sa part contributive. Le
contrat de consortium prévoit cette participation et en fixe la proportion.
2. De même, tenu solidairement avec ses partenaires, un membre peut
être poursuivi en paiement des dommages causés par un autre membre au
maître d’ouvrage lorsque ce dernier aurait eu la prudence s’insérer une
clause de solidarité. Faute de quoi, les membres seront conjointement tenus
des dettes vis-à-vis du maître de l’ouvrage. Dans ce cas, le membre ne
répond que des malfaçons affectant sa propre prestation(101).
3. En dehors de ces deux cas de figure, il faut admettre qu’un membre
ou plusieurs répondront vis-à-vis des tiers de bonne foi lorsqu’ils auraient
crée ou laisse créer une situation apparente (représentation ou societe
apparente, solvabilité factice)(102). La théorie de l’apparence(103) permet
d’engager la responsabilité du membre qui s’est indument immiscé dans
les affaires d’un autre membre. Mais encore faut-il ici que le tiers soit de
bonne foi, c’est-à-dire, avoir légitimement cru en la réalité de la situation
apparente, chose difficilement concevable eu égard au professionnalisme et
l’expérience des tiers sollicitant le bénéfice de l’apparence(104) même si
(100)
(101)
(102)
(103)
(104)
166
Cass. fr. Civ., 17 juin 1978, G. P.1979, pan, p. 349.
Cette solution de principe fut retenue par la Cour d’appel de Paris dans l’espèce
ayant donné lieu à l’arrêt du 21 janv. 1975, Journal des agrées 1975. 247.
Cf. en droit fr. avec Cass. civ. 19 oct. 1959, D. 1960, p. 205 et Com., 24 oct. 1966,
préc.
Le droit anglo-saxon connaît une notion proche (l’estoppel) qui conduit à des
résultats similaires.
La récente affaire Dubaï World pose cette question. Les tiers, des banques
internationales de renommée, sollicitent la garantie de l’Émirat de Dubaï pour les
dettes contractées par la holding. Or rien dans la loi locale de l’Emirat (V. les art. 15
et 16 de la L. no 3 pour l’année 2006, relative à la constitution de Dubaï World ; V.
aussi Décr. No 57 pour l’année 2009, portant création de la Commission des litiges
relatifs à Dubaï World et les sociétés affiliées) , ni dans les lois fédérales ne laisse
Le consortium immobilier
l’appréciation de la situation apparente est faite in globo. Le juge se
contentera, pour retenir l’apparence et donner suite à la demande du tiers,
d’apprécier la situation dans son ensemble et non dans chacun de ses
éléments, in specie.
Mais le tiers peut intenter le recours sur autre terrain plus sûr, celui de
la situation de fait. Il peut toujours compter sur l’existence d’une situation
de fait laissant supposer une confusion des patrimoines entre deux ou
plusieurs membres du consortium. Son raisonnement tient à ceci ; les
membres du consortium ont délibérément confondu leurs patrimoines
respectifs au point de ne constituer qu’un seul patrimoine. Et, par
conséquent, le tiers est reçu à invoquer cette confusion des patrimoines
pour se faire payer sur un patrimoine unique. On doit admettre ici que la
bonne foi du tiers est inopérante puisque le tiers ne fait pas état de ce qu’il
a cru mais de ce que existe réellement. Le tiers, en l’occurrence, poursuit
un masse patrimoniale et non pas des sujets de droit. Patrimoine unique,
action unique. Il va de soi que l’appréciation de la situation de fait par le
juge sera plus rigoureuse et se fera in concreto, eu égard à chaque élément
constituant la situation de fait.
Dans le deux hypothèses, celle du recours exercé sur le fondement de
l’apparence ou sur celui de la situation de fait, il y a des fortes chances que
la procédure collective ouverte à un membre du groupement soit étendue
aux autres membres qui n’ont pas su garder suffisamment de distance visà -vis de leur compère et se sont immiscés, d’une manière ou d’une autre,
dans ses affaires.
Le tiers choisira entre le deux voies de recours sans, pour autant, les
cumuler. Même s’il peut opter entre l’une ou l’autre voie, il ne peut, sans
illogisme majeur, faire état dans le même recours de la ‘situation de fait’ et
la ‘situation apparente’. L’une exclut l’autre.
penser que l’Émirat a entendu garantir les dettes de la holding, détenue, il en varie en
majorité par le Gouvernement de Dubaï. On voit, à travers cet exemple d’actualité,
les enjeux financiers énormes qui s’y attachent (quelques 26 milliards de dollars
US).
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