Erich Maria Remarque, de son vrai nom Erich Paul

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Erich Maria Remarque, de son vrai nom Erich Paul
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REMARQUE Erich Maria (1898 - 1970)
1) Le témoin :
Erich Maria Remarque, de son vrai nom Erich Paul Remark, est né le 22 juin 1898 à
Osnabrück en Allemagne. Dès la fin de ses études, il est incorporé dans l’armée en 1916, mais il
n’est pas volontaire, il est mobilisé. Il est alors envoyé sur le front de l’ouest en juin 1817 mais il
est blessé dès la fin juillet par des éclats de grenade. Sa mère meurt d’un cancer en septembre de
la même année. En 1918, il est envoyé à l’hôpital militaire de Duisbourg, et en janvier 1919 il est
démobilisé. Erich Maria Remarque renonce à toute décoration ou médaille.
Il devient ensuite instituteur en Allemagne mais cette carrière est brève (un an environ).
Son premier ouvrage est un échec (La Baraque de Rêve), il effectue alors divers petits emplois.
Dès cette époque, il se fait appeler Erich Maria Remarque (1924) mais on ne sait pas vraiment
pourquoi. Il entame alors une carrière de journaliste, et se marie. Mais en 1927, il quitte sa femme
et commence l’écriture de son roman A l’ouest rien de nouveau. Après un premier refus, on
accepte de le publier en 1928 et en janvier 1929 son roman sort en librairie. A cette époque, la
presse nationaliste l’accuse d’être juif, en effet selon eux son vrai nom serait Kramer. En 1930,
une adaptation cinématographique sort sur les écrans, en avril aux Etat- Unis, et début décembre
en Allemagne. Au bout de quelques jours le film est interdit en Allemagne à cause d’émeutes
dans les cinémas provoquées par des sympathisants du parti nazi. On suggère alors son nom pour
le prix Nobel de la paix. A partir de 1933, il s’exile en Suisse suite à des problèmes avec des
membres du parti nazi notamment, et ses livres sont brûlés à Berlin par les nazis. S’en suit alors
une période d’exil en Suisse puis aux Etats-Unis. Il poursuit sa carrière d’écrivain, ses romans
sont, pour certains, adaptés à l’écran et il se lie avec des acteurs, et notamment avec Marlène
Dietrich. Il travaille alors beaucoup pour le cinéma. Il retourne en Europe dans les années 1960
seulement, il mène une brillante fin de carrière et meurt le 25 septembre 1970 en Suisse.
Œuvres : 1920 : La Baraque de rêve, 1929 : À l'Ouest, rien de nouveau, 1931 : Après, 1937 :
Trois camarades, 1939 : Les Exilés, 1946 : Arc de triomphe, 1954 : Un temps pour vivre, un
temps pour mourir, 1956 : L'Obélisque noir, 1961 : Le ciel n'a pas de préférés, 1963 : La Nuit de
Lisbonne, 1972 : Ombres (parution posthume).
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2) Le témoignage :
A l’ouest rien de nouveau, (traduit de l’allemand : Im Westen Nichts Neues), Le Livre de
Poche, Paris, 220 pages. Edition de 2005.
L’ouvrage présenté ici est une œuvre proprement littéraire qui évoque la monstruosité de la
guerre à travers le regard d’un homme de lettres.
Première parution en 1928, succès immédiat à un niveau mondial. Livre brûlé par les nazis lors
des autodafés.
Cette spécificité-œuvre littéraire et récit des atrocités de la guerre doit être soulignée et
gardée à l’esprit si l’on veut intégrer ce récit dans la catégorie des témoignages de la Grande
Guerre. On retrouve de nombreuses similitudes entre l’auteur et son héros : au niveau du nom
(Erich Paul Remark/ Paul Baümer), de la vie au front même si le héros est volontaire et non
mobilisé mais aussi au niveau personnel (avec par exemple la mère qui souffre d’un cancer).
3) Résumé et analyse :
L’œuvre fictionnelle d’Erich Maria Remarque retrace l’histoire d’un soldat allemand lors
de la guerre 1914-1918. L’auteur y décrit les difficultés liées à la guerre à travers l’histoire de
Paul Baümer et de ses camarades. Ainsi il nous fait part, par le biais de la fiction, des diverses
réalités de la guerre : vie quotidienne, combats, bombardements, tranchées, camaraderie et tout ce
qui se rapporte à la vie d’un soldat. Paul et ses camarades sont jeunes, ils ont tous entre 19 et 20
ans. A peine sortis de l’enfance et de la formation militaire, ils sont envoyés au front et
découvrent la réalité de la guerre qui est totalement différente de ce qu’on leur avait inculquée à
l’école, mais ils sont volontaires à l’origine. L’auteur insiste longuement sur ce décalage entre la
représentation de la guerre et la réalité des combats, du front et de la vision que l’on peut avoir de
la guerre. Il insiste aussi, de fait, sur le caractère monstrueux de cette guerre du point de vue de la
vie quotidienne et de ses difficultés, des combats (obus, gaz…) mais aussi du fait que des
anonymes soient au combat : Paul et ses camarades sont jeunes, ils sont confrontés à une guerre
cruelle. Tout au long du roman, l’auteur raconte les différentes attaques que vivent Paul et ses
camarades, mais aussi leur vie quotidienne dans les tranchées, les moments de « détente » aussi,
le rapport à l’arrière et tout ce qui faisait la vie d’un soldat. Peu à peu, les uns et les autres
meurent au combat ou des suites de blessures. Ainsi à intervalle régulier l’auteur dresse des
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bilans des morts parmi ceux qui faisaient parti de la classe de Paul Baümer. Finalement Paul est
le dernier de ses camarades à survivre (« je suis le dernier », p218) mais il meurt en octobre 1918.
Il s’agit d’un récit fictionnel mais ça permet de saisir la monstruosité et le quotidien de soldats
durant la Grande Guerre du point de vue d’un homme de lettres qui a été aussi un témoin de la
guerre.
L’auteur a choisi d’employer la première personne du singulier tout au long du roman. Nous
suivons ainsi l’évolution de Paul qui parle à la première personne, cela permet un rapprochement
plus fort avec le personnage dans sa vie quotidienne. Parfois le « on » et le « nous » est utilisé car
l’auteur nous livre le récit de plusieurs camarades. Paul est le personnage principal mais une part
centrale est laissée à ses camarades, donc nous oscillons souvent entre le « je » et le « nous ». Les
mêmes camarades sont souvent cités, ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent avec entre
autres : Albert Kropp, Tjaden, Leer, Müller, Haie Westhus, Stanislas Katczinsky (Kat). Ils sont
très importants tout au long du récit, ainsi ils sont présentés dès le début du roman. Nous suivons
alors l’évolution personnelle de Paul Baümer, mais en même temps c’est à décrire l’évolution de
tout un groupe de soldats durant la Grande Guerre que c’est attaché l’auteur.
Ce témoignage pose de manière centrale le problème de la représentation de la guerre face à sa
réalité, les jeunes soldats avaient en effet une idée de la guerre comme lieu de l’héroïsme et de la
défense de la patrie : « Nous aimions notre patrie (…) et lors de chaque attaque nous allions de
l’avant» (p14). C’est là un thème majeur du roman, et en cela c’est représentatif d’une certaine
réalité historique qui est celle d’un décalage total entre les représentations de la patrie et de la
guerre par ces hommes de la fin du 19ième siècle qui envisageait la guerre comme quelque chose
d’essentiel et de relativement courant. Face à cela se dresse la réalité de la guerre, et surtout le
caractère anonyme de la Grande Guerre qui ôte toute notion d’héroïsme au combat. La réalité du
combat diffère de l’image que les héros s’étaient fait de la guerre, ces derniers partent dans l’idée
de défendre leur patrie et se retrouve face au caractère cruel de la guerre. Ce caractère cruel et
monstrueux de la guerre les mène même à une perte de leur jeunesse : « Jeunesse ? Aucun de
nous n’a plus de vingt ans. Mais quant à être jeune ! Quant à la jeunesse ! Tout cela est fini
depuis longtemps. Nous sommes de vieilles gens. » (p19-21). La question de la perte de la
jeunesse est quelque chose qui revient souvent, les souvenirs semblent lointains face à la
monstruosité de la guerre, l’avenir quant à lui est incertain. Les soldats se perdent véritablement
entre un passé qui semble lointain, un présent cruel et un avenir sombre. La guerre se trouve être
à l’opposé de tout ce qu’on leur avait appris et cela modifie à la fois le soldat du point de vue de
la manière de faire la guerre mais aussi l’homme en lui-même du point de vue de son rapport à la
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mort, à la vie et surtout à l’avenir qui se trouve être sombre et même compromis. De ce point de
vue la question de la paix devient de l’ordre de l’hypothétique. En effet, la question de retourner
à un état de paix revient peu souvent au cours de l’œuvre si ce n’est aux pages 61-63 par
exemple. Ces hommes ne l’envisagent que peu souvent car ils semblent en fait pris dans
l’engrenage de la guerre qui fait oublier, d’une certaine façon, qu’il existe autre chose. La guerre
devient presque un état naturel pour eux, ils n’envisagent pas vraiment une autre forme de réalité
à partir de ce moment là. La guerre est devenue leur vie et fait parti de leur jeunesse si bien qu’ils
n’envisagent pas d’autre chemin possible : « Nous ne sommes plus insouciants, nous sommes
d’une indifférence terrible. Nous serions là, mais vivrions nous ? ». En fait, ces hommes
n’envisagent pas autre chose, ils sont perdus dans l’engrenage de la guerre et n’envisagent pas
d’autres modes de vie : « je crois que nous sommes perdus » (p. 96). C’est cet aspect humain qui
prend une grande importance tout au long de l’œuvre c’est-à-dire cette errance entre la réalité de
la guerre et la vie réelle mais aussi entre jeunesse et changement face à l’avenir.
Il semble aussi pertinent de s’attacher à la représentation de l’autorité dans ce contexte de Grande
Guerre et pour des hommes jeunes qui s’en remettent à une autorité qui parfois les déçoit. Les
figures principales qui représentent l’autorité au cours de l’œuvre sont Kantorek, leur professeur
c’est-à-dire celui qui les a formé, et Himmelstoss, leur caporal qui est souvent perçu comme un
homme cruel et mesquin. Mais on note surtout une désillusion en ce qui concerne l’autorité, les
professeurs, et sur ce qu’on leur a appris : « La notion d’une autorité, dont ils étaient les
représentants, comportait, à nos yeux, une perspicacité plus grande et un savoir plus humain. Or,
le premier mort que nous vîmes anéantit cette croyance. » (p.14). On est là encore de manière
indirect dans le thème du décalage entre représentation et réalité de la guerre. Au-delà de ça,
Himmelstoss est détesté, il représente l’autorité dans son coté le plus cruel et mesquin car il
semble prendre plaisir à être très dur avec les soldats et notamment Paul et ses camarades. Il faut
nuancer le propos en ajoutant qu’hormis la figure d’Himelstoss l’autorité est respectée dans sa
hiérarchie, il y a en effet un vrai respect pour l’autorité sur le front : « nombre de caporaux se
montraient plus raisonnables et tout à fait convenables » (p.24). Le rapport à l’autorité se trouve
être en réalité très ambigu : « Le malheur est que chacun a beaucoup trop d’autorité. (…). Il
s’habitue à en abuser » (p.37). L’œuvre semble être réaliste du point du vue de l’autorité dans la
mesure où celle-ci est respectée mais en même temps elle n’est ni idéalisée ni diabolisée, l’auteur
tend en fait à montrer qu’une hiérarchie devait être instaurée mais qu’il y pouvait y avoir des
abus. Les rapports conflictuels entre Tjaden et Himmelstoss sont assez révélateurs de ce point de
vue. Himelstoss semble déterminer à se montrer dur voire cruel avec Tjaden en particulier. Ce
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rapport conflictuel entre les deux hommes permet de saisir des réalités sociales de la Grande
Guerre c’est-à-dire un rapport hiérarchique qui pouvait parfois tourner à la tyrannie en cas
d’incompatibilité. Cependant l’auteur reste de ce point de vue dans la mesure car il n’insiste pas
non plus que sur ce rapport conflictuel, il montre qu’en majorité il n’y avait pas de problème mais
qu’il existait un décalage parfois entre ce que leur professeur ou leurs supérieurs leur apprenaient
et la réalité de la guerre qui était bien plus difficile et non conforme aux idées de hiérarchie et
d’héroïsme.
Le rapport aux camarades est davantage mis en avant que le rapport à l’autorité car il s’agit d’un
élément majeur de la vie des soldats et cela de manière quotidienne. On constate l’importance
majeure de la camaraderie pour les soldats avec notamment la présentation immédiates des
camarades de Paul Baümer des les pages 6-7. Il décrit le caractère particulier de chacun et leur
physionomie, c’est ces individus dont nous allons suivre l’évolution tout au long de l’œuvre. Ils
meurent un par un au fur et à mesure du récit, Paul est le dernier survivant comme nous l’avons
déjà mentionné. En effet, dès le début, le héros subit la perte d’un ami : Kemmerich. Ce dernier
décède après des souffrances atroces, il a été touché sur le front et a du être amputé, il meurt à
l’hôpital quelques jours après. Cela touche directement le héros car il s’agit d’un ami d’enfance et
qu’il reste à ses cotés lors de ces derniers instants de vie qui sont plus que pénibles : « S’il voulait
seulement ouvrir la bouche et crier ! Mais il ne fait que pleurer, la tête penchée de côté. (…). Il
est maintenant tout seul avec sa petite vie de dix-neuf ans et il pleure parce qu’elle le quitte »
(p.28). La mort des camarades semble être la partie la plus douloureuse de la guerre pour les
soldats car cela les ramène à leur passé et à eux-mêmes, ils ne savent pas si eux aussi vont
survivre. La mort frappe au hasard du fait de la forme des combats au cours de la Grande Guerre.
Au-delà de ça, l’auteur nous fait prendre conscience de l’importance de la solidarité et de la
camaraderie : « Mais le plus important ce fut qu’un sentiment ferme de solidarité s’éveilla en
nous, lequel, au front, donna naissance à ce que la guerre produisit de meilleur : la camaraderie »
(p.25). Le rapport aux recrues est aussi intéressant de ce point de vue puisque l’on voit apparaitre
une sorte de paternalisme envers les nouvelles recrues alors qu’eux-mêmes ont à peine la
vingtaine comme on le voit aux pages 85, 101, et 102. Il se dresse une forme de hiérarchie entre
les plus expérimentés et les nouvelles recrues alors qu’ils ont presque le même âge et qu’ils sont
tous jeunes. A intervalle régulier au cours du récit, le jeune Paul dresse des bilans des morts dans
son entourage, ses camarades meurent les uns après les autres ce qui se révèle être assez cruel si
l’on considère qu’ils sont tous partis au même âge et tous ensemble. Par exemple, à la page 66, le
bilan est le suivant : « sur vingt que nous étions, sept sont morts, quatre blessés, un autre est dans
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un asile de fou » mais à la page 106, le bilan semble encore plus meurtrier, ils étaient cent
cinquante au sein de la deuxième compagnie et désormais ils ne sont plus que trente deux. Enfin
à la fin du roman, Paul est le dernier survivant : « je suis le dernier ». Ce témoignage est un récit
mais il reflète bien le caractère particulièrement meurtrier et cruel de la Grande Guerre.
Paradoxalement, on ne trouve pas de nombreuses évocations de l’ennemie sauf, de
manière ponctuelle, des Français mais c’est plutôt des allusions. On évoque, par ailleurs, assez
souvent les Russes dans la dernière partie du récit surtout, Paul et ses camarades ne les aiment
pas beaucoup mais en même temps une sorte de compassion face à une misère commune
s’instaure. En effet, le héros se montre relativement généreux envers eux dans la mesure où il va
même jusqu’à leur offrir des cigarettes et de la nourriture quand il peut se le permettre. Les
présents sont souvent humbles mais ça rend compte d’une sorte de solidarité envers l’ennemi.
Les rapports à l’ennemi sont donc assez ambigus puisque d’un coté les combats sont anonymes
c’est-à-dire que l’on ne voit pas l’ennemi, on ne voit pas qui l’on tue mais en même temps des
quelques confrontations véritables à l’ennemi ressortent des sentiments de relative compassion ou
plutôt de solidarité face à la monstruosité du combat.
En ce qui concerne un aspect plus pratique de la guerre c’est-à-dire le combat et la réalité
du front on note que finalement la peur ne semble pas vraiment présente face aux attaques
successives : « Toutefois ce n’est pas là de la peur. Quand on est allé en première ligne aussi
souvent on est insensible » (p.43). Il est assez frappant de constater que ces jeunes hommes ont
acquis une forme d’’insensibilité face à la violence de la guerre, sans doute cela a-t-il à voir avec
l’habitude du combat ou le caractère aléatoire et anonyme du combat. En ce qui concerne la vie et
la réalité du front, on retrouve cet idée d’enfermement et d’habitude à l’attente et à la succession
des combats : « le front est une cage » (p.78). Les attaques sont ainsi le fruit du hasard comme on
le voit par exemple aux pages 78 82,83 et 91. La violence liée à la guerre est bien sûr
omniprésente mais ce que l’on note surtout tout au long de l’œuvre c’est l’évocation constante du
bruit lié au front, aux bombardements et aux attaques : on parle de « grondement sourd du front »
(p.11), d’«écho s’étend en roulant avec vacarme » (p.43), des «bruits du dehors forment une sorte
de chaîne » (p.75), ce sont quelques exemples qui traduisent le caractère obsédant des bruits
relatifs à la guerre. D’autre part les épisodes d’attente dans les tranchées, d’attaques et de
bombardements se succèdent, c’est ce qui constitue une large partie du récit : l’enchainement des
attaques, des moments d’attente, c’est tout cela qui rythme la vie du soldat. Les obus et les gaz
sont comme des éléments du quotidien. Dans l’évocation des combats au cours de l’œuvre ce qui
apparait comme frappant c’est que les soldats semblent retrouver une sorte d’animalité face aux
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attaques : « c’est l’instinct de la bête qui s’éveille en nous, qui nous guide et nous protège »
(p.45), « nous sommes devenus des hommes bêtes » (p.46), « nous sommes devenus des animaux
dangereux » (p.88). On voit alors que c’est l’instinct de survie qui domine dans ces combats. Il
faut voir aussi que la Grande Guerre introduit de nouvelles modalités d’affrontements avec
l’apparition des gaz, or ces gaz font particulièrement peur dans la mesure où les dégâts causés par
ces derniers ne sont toujours bien connus mais sont irrémédiables. On peut citer à cet effet un
passage du roman où la peur des gaz est particulièrement présente : « Je saisis ma boîte à
masque ; quelqu’un est étendu non loin de moi, je ne pense plus qu’à une chose : il faut que
celui-là sache ! « Les gaaaz, les gaaaz… » » (p.54). Les gaz sont, comme on le voit ici,
particulièrement traumatisants et effrayants pour les soldats, ce qui rend le combat d’autant plus
difficile pour les jeunes soldats.
La mort est aussi un élément majeur et concret lié à la guerre, et on le note dès le début de
l’œuvre avec la perte de l’un des camarades. Ce dernier se retrouve blessé, il agonise des jours
durant à l’hôpital, à tel point que Paul en arrive à dire : « Même sa voix a quelque chose de la
mort » (p.15), il subsiste un sentiment d’impuissance face à la mort et en plus cette mort frappe à
tout moment et de manière anonyme. On retrouve cette impuissance à travers cet extrait : « Je me
sens défaillir, je n’ai plus la force d’avancer. Je ne veux plus m’indigner, c’est inutile» (à la suite
à la mort de son ami Kemmerich). La mort est partie prenante du récit de guerre, elle est
omniprésente tout au long du récit et l’auteur insiste sur l’impuissance des soldats face à une mort
qui frappe de manière aléatoire et anonyme. On retrouve cet anonymat dans un épisode du début
de l’œuvre, un camarade de Paul prénommé Behm tombe au combat, il est décrit comme un
homme fort et « un gros gaillard » (p.13) mais il est l’un des premiers à tomber au combat. Ce qui
est frappant c’est le caractère anonyme de sa mort : « Lors d’une attaque il reçut un coup de feu
dans les yeux et nous le laissâmes pour mort sur le terrain » (p.13). Du fait des modalités de
combats les soldats ne sont pas enterrés ou autre, ils sont laissés comme des anonymes sur le
terrain de guerre. L’auteur insiste bien sur le caractère singulier de la mort lors de la Grande
Guerre : «c’est à peine si nous nous reconnaissons lorsque l’image d’autrui tombe dans notre
regard de bête traquée. Nous sommes des morts insensibles (…) » (p.90). Même face à la mort, le
soldat se retrouve à avoir des réactions animales, voire instinctives, la mort ne semble plus les
atteindre. Cela témoigne bien du caractère particulier de la Grande Guerre.
Face aux difficultés de la guerre, on a très peu de facteurs qui permettent aux soldats de
tenir, la guerre devient plutôt une question de survie et d’habitude finalement. Cependant, à
travers l’œuvre on a quelques moments de poésie face à l’atrocité de la guerre. Par moment le
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héros apprécie la beauté de la vie qu’il oublie au quotidien du fait de l’atrocité des combats, c’est
ces instants qui le font tenir, la beauté de la vie ressort par instants comme à la page 11 : « Et tout
autour s’étend la prairie en fleurs. Les tendres pointes de l’herbe se balancent ; des papillons
blancs s’approchent en voletant ; ils planent dans le vent chaud et moelleux de l’été arrivé à
maturité » (p.94-95). Le quotidien est régi par la violence et la mort qui se trouve omniprésente
mais l’auteur parvient parfois à saisir des instants de beauté de la nature et de la vie en ellemême. Il subsiste, par ailleurs, quelques instants de distraction et d’humour qui permettent aux
soldats de tenir: « L’horreur du front disparait lorsque nous lui tournons le dos ; nous faisons à
son sujet des plaisanteries ignobles et féroces. (…). Cela nous empêche de devenir fous »
(p.108). Ils partagent parfois de bons moments avec les jeux de cartes, quelques repas copieux
ponctuellement partagés dans la convivialité. Les soldats vivent ponctuellement des moments de
distraction d’autre part, on le voit notamment des pages 108 à 116 avec l’épisode du théâtre et de
la rencontres avec les françaises : « la jeune fille de la palissade est pour nous un miracle ; nous
avons absolument oublié qu’il existe des choses pareilles » (p.109). Les moments de détente et de
joie sont rares dans la vie du soldat mais ils paraissent, de fait, très intenses et importants car ils
permettent de tenir et de rappeler que la vie ne se résume pas à la guerre, ce qui est difficile à
oublier parfois pour les soldats.
Les facteurs de démoralisation dans la vie des soldats sont quant à eux plus nombreux et
variés mais ce qui ressort avant tout ce sont les problèmes liés au manque de nourriture au
quotidien. On constate l’importance de la nourriture et du tabac dans la vie du soldat, on oscille
entre abondance et manque. Dès la première page « « il y a en outre double portion de saucisse et
de pain » « il y a eu aussi double ration de tabac » mais cette abondance est du à une « erreur »
(p.5 et début : épisode de la cantine), la plupart du temps les soldats manquent de nourriture et de
tabac, il s’agit là de facteurs majeurs de démoralisation : « nous allons être obligé de serrer d’un
cran notre ceinture de misère et d’attendre demain que la pitance arrive » (p.32) par exemple. Le
tabac est aussi une composante majeure de la vie du soldat, il apparait comme une consolation, ça
aide à tenir si bien que l’on a peur d’en manquer et que cela constitue un bien précieux (permet
d’obtenir des faveurs dans les hôpitaux entre autres). Le problème du sommeil revient aussi assez
souvent : « la guerre ne serait pas trop insupportable si seulement on pouvait dormir davantage »
(p.6). Les scènes de repas se succèdent et semblent être un élément majeur dans la vie du soldat
qui finalement n’a plus que ça pour tenir, la nourriture et le moment du repas sont les seuls
éléments qui les rattachent à la vie telle qu’il l’on connu finalement. On assiste aussi sur le
manque de confort avec la présence de latrines communes, un sentiment de honte s’installe au
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début puis finalement on s’y habitue (p.10) , les latrines communes deviennent un lien, et même
une « langue universelle », « on a inventé l’expression « rapport de chiotte » ». Le manque de
confort est frappant et joue sur le moral des soldats, de ce point de vue on peut évoquer la
question des poux (p.59-60), des rats (p.79-80), de la fatigue dans les tranchées (p.80-81), du
froid et du désespoir (p.96). Les facteurs de démoralisation sont nombreux, les soldats doivent
ainsi supporter les combats et les difficultés liées à la guerre et en plus de cela ils doivent
composer avec le manque de nourriture et de confort sur le front et dans les tranchées.
Enfin, le rapport à l’arrière reste un élément important de la vie du soldat. Or, le courrier
apparait comme un élément majeur du lien avec l’arrière et comme un facteur de ténacité:
« Aujourd’hui c’est vraiment une bonne journée. Même le courrier est là ; presque tout le monde
a reçu des lettres et des journaux » (p.9). La question du retour à l’arrière et de l’avenir sont des
questions fondamentales et récurrentes pour le soldat (p.68-69). Et en même temps l’arrière se
trouve être en rapport avec les souvenirs, et à une période liée à l’innocence d’avant la guerre. On
voit d’ailleurs à travers un épisode que le retour à l’arrière cause à la fois joie et douleur au
soldat, ce dernier est autorisé à rentrer chez lui pour une quinzaine de jours. Paradoxalement la
joie et la douleur se mêlent (p.117-142). Ce retour à l’arrière interroge en fait le rapport à la
famille, à lui-même, aux autres et à leur représentation de la guerre, on sent un décalage entre les
soldats et ceux de l’arrière qui vivent la guerre d’une manière différente. Le héros se sent
différent d’eux, une sorte de solitude voit la jour car il se sent incompris : tout ce qu’il vit n’a pas
grand-chose à voir avec ce dont les gens de l’arrière lui parlent. La permission apparait alors
comme moment difficile malgré le confort qu’il retrouve chez lui : « un terrible sentiment d’être
ici étranger surgit en moi » (p.133), « je suis déprimé » (p.130). Mais il faut voir aussi qu’il est
très difficile pour lui de retourner sur le front après sa permission d’une quinzaine de jours : « je
n’aurais jamais du venir en permission ». Il a retrouvé une sorte de confort, en même temps il se
sent coupable d’avoir été à l’abri quelques temps donc il a du mal à reprendre le combat, il a plus
peur qu’avant, certainement du fait d’avoir renoué avec la réalité de l’arrière du front. Il y a un
véritable décalage entre la guerre vécue par notre héros et ses camarades et la guerre que se
représentent les gens à l’arrière. En ce qui concerne le rapport aux femmes plus spécifiquement,
on trouve peu d’allusion sauf une aventure avec une Française et quelques allusions ponctuelles
mais ça ne prend pas une place importante dans le récit, elles apparaissent plus comme un
élément de plaisir éphémère dans la vie des soldats. Elles ne constituent pas dans cette œuvre un
lien avec l’arrière ou avec le passé, elles se rapprochent plutôt de moments éphémères de plaisir
dans la vie des soldats. Par ailleurs, les hôpitaux apparaissent aussi comme un lien avec l’arrière.
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L’auteur se livre à cet effet à une description de l’enchainement des cas, de la corruption des
infirmiers, mais surtout de l’impossibilité de s’occuper de chaque patient à part entière car il y un
manque évident de place et de personnel.
Cette œuvre, bien que littéraire, offre un témoignage singulier en ce qui concerne
l’histoire sociale de la Grande Guerre. En effet, on peut voir que de nombreux thèmes sont
abordés tout au long de l’œuvre, l’auteur insiste notamment sur le décalage entre
la
représentation de la guerre et la réalité des combats, mais il montre bien aussi la difficulté de la
vie quotidienne et les quelques facteurs qui permettaient aux soldats de tenir. Enfin Erich Maria
Remarque montre, à travers un récit assez précis des combats et de la vie sur le front, le caractère
particulier de cette guerre qui faisait des soldats de véritables anonymes livrés à eux-mêmes audelà de toute notion d’héroïsme. Son œuvre est ainsi un témoignage précieux pour la
compréhension des modes de vie et de représentations des soldats au cours de la Grande Guerre.
On voit ainsi qu’un récit de guerre va au-delà des récits des combats, il doit engager le soldat et
son rapport à la guerre, à la vie, à la mort et aussi aux populations de l’arrière. Erich Maria
Remarque offre au lecteur, à travers le personnage de Paul et de ses camarades, sa vision de la
Grande Guerre en tant que soldat mobilisé du coté allemand dès son plus jeune âge.
Bettina SOUILLE (Université de Nice Sophia-Antipolis)