Thesis - Archive ouverte UNIGE
Transcription
Thesis - Archive ouverte UNIGE
Thesis La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l'humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) GORIN, Valérie Abstract Cette thèse interroge la circulation d’une mémoire symbolique de la souffrance lors de crises humanitaires majeures résultants des conflits armés des années 1960 à 1990, en étudiant principalement les cadrages (framings) du discours d’information de la presse magazine américaine et française. Réalisée sous forme d’articles, cette thèse démontre dans quelle mesure les représentations médiatiques marquent une certaine permanence dans la mise en sens et en scène de la violence de guerre, par des choix visuels et sémantiques de référents symboliques et historiques. Ces cadrages médiatiques permettent de questionner à quel point la visibilité et la description des souffrances de guerre au sein des magazines se situent au croisement de plusieurs rapports, que ce soit du point de vue de la culture visuelle médiatique, du photojournalisme, de la mémoire collective et de l’histoire des conflits dans le long 20ème siècle. Reference GORIN, Valérie. La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l'humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994). Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2013, no. SES 815 URN : urn:nbn:ch:unige-296150 Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:29615 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. [ Downloaded 07/02/2017 at 18:37:26 ] LA MEMOIRE SYMBOLIQUE DE LA SOUFFRANCE : REPRESENTER L’HUMANITAIRE DANS LA PRESSE MAGAZINE AMERICAINE ET FRANCAISE (1967-1994) Thèse présentée à la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université de Genève Par Valérie Gorin pour l’obtention du grade de Docteur ès sciences économiques et sociales mention : sciences de la communication et des médias Membres du jury de thèse : Prof. Annik DUBIED, directrice de thèse, Université de Genève Prof. Patrick BADILLO, président du jury, Université de Genève Prof. Claudine BURTON-JEANGROS, Université de Genève Prof. Isabelle GARCIN-MARROU, Université de Lyon II / IEP M. Hugo SLIM, Oxford University Thèse N° 815 Genève, le 2 septembre 2013 La Faculté des sciences économiques et sociales, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la présente thèse, sans entendre, par là, n’émettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur. Genève, le 2 septembre 2013 Le doyen Bernard MORARD Impression d’après le manuscrit de l’auteur Table des matières iii Table des matières Table des matières ........................................................................................... iii Résumé .............................................................................................................v Remerciements ................................................................................................ ix 1. Introduction ................................................................................................... 1 1.1 Méthodologie .......................................................................................... 9 1.2. Tensions critiques et normatives ......................................................... 14 1.3. Médiatiser l’humanitaire dans la presse magazine : un tournant historique à démontrer .................................................................................... 19 1.4. Structure .............................................................................................. 24 2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-1995)” ....................................................................................................... 33 3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains (1967-1970) » ..................................................................................................... 55 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (1967-1994) » .. 71 5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » ..................................... 101 6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” ....... 123 7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (19671994)” ............................................................................................................... 145 8. Remarques conclusives ........................................................................... 163 8.1. Synthèse des analyses ...................................................................... 164 8.1.1. Le Biafra comme « crise matricielle » ......................................... 165 8.1.2. Un discours critique des changements politiques et sociaux ..... 167 8.2. Perspectives futures .......................................................................... 170 8.2.1. Questionner une photographie de type « humanitaire »............. 171 8.2.2. Interroger la visibilité des atrocités .............................................. 173 8.2.3. Explorer l’historicité des pratiques de représentations des souffrances ................................................................................................ 174 8.2.4. Analyser les figures des médiateurs de la souffrance dans le discours d’information ............................................................................... 175 Annexes ........................................................................................................ 181 Annexe 1. Grille de codage ...................................................................... 181 Annexe 2. Résultats de l’analyse de contenu (système catégoriel) ......... 182 Annexe 3. Présentation des conflits sélectionnés .................................... 185 La guerre du Biafra (1967-1970) ........................................................... 185 iv La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) La guerre civile du Cambodge (1975-1979) ......................................... 186 La guerre civile du Liban (1975-1990) .................................................. 187 La famine éthiopienne (1984-1985) ...................................................... 188 L’exode kurde (1991) ............................................................................ 189 La famine somalienne (1991-1993) ...................................................... 190 La guerre de Bosnie (1992-1995) ......................................................... 191 Le génocide rwandais (1994) ................................................................ 192 Résumé v Résumé Cette thèse interroge la circulation d’une mémoire symbolique de la souffrance lors des crises humanitaires majeures des années 1960 aux années 1990, en étudiant principalement les cadrages (framings) du discours d’information de la presse magazine américaine et française. Cette perspective historique reste en effet absente dans la multitude de travaux (en communication, en politique, en sociologie) sur les liens entre médias et humanitaire qui apparaissent suite aux grandes crises humanitaires des années 1990. A tel point que nombre d’entre eux attribuent même la naissance de certains cadrages journalistiques (l’utilisation de la figure d’enfants innocents, les appels à l’intervention de la ème communauté internationale) à la dernière décennie du 20 siècle. Au contraire, ce « tournant » visuel de la presse magazine, qui serait né lors de la guerre civile du Biafra (1967-1970), a été exploré dans ce travail de thèse sous forme d’une collection de six articles interrogeant la mise en sens et en scène des souffrances et de la violence de guerre, et notamment la place de la photographie de presse. Sur un corpus basé des quatre newsmagazines américains et français les plus importants (Time, Newsweek, L’Express et Le Nouvel Observateur), huit conflits armés et leurs conséquences humanitaires ont été étudiés via des analyses de contenu, de l’image et de la sémantique. Outre la guerre civile du Biafra, le corpus comprenait ainsi la guerre civile du Cambodge (1975-1979), la famine éthiopienne (1984-1985), la guerre civile du Liban (plus particulièrement entre 1982 et 1984), l’exode kurde (1991), la famine somalienne (1991-1993), la guerre en Bosnie (plus particulièrement entre 1992 et 1994) et le génocide rwandais (1994). Pour ce faire, deux approches comparatives ont été adoptées : d’une part, la comparaison des deux sphères culturelles américaines et françaises. D’autre part, une comparaison interévénementielle, pour repérer la mise en place et la récupération d’une mémoire symbolique (auto)référentielle dans les représentations médiatiques d’une guerre à l’autre. L’objectif du cadre théorique dans lequel s’inscrit cette thèse visait également à s’éloigner d’études antérieures, américaines ou françaises, trop normatives sur la thématique. Celles-ci soulignaient le caractère figé et les limites des représentations médiatiques qui emphatiraient trop le sensationnel et l’émotionnel. Elles émanaient aussi parfois de journalistes qui soulevaient le problème de la médiatisation d’événements dramatiques par l’appel à une forme de « journalisme d’attachement ». Au contraire, l’apport majeur de cette thèse, qui s’inscrit en sciences de la communication, est sa contribution sur la théorie et l’opérationnalisation du framing, notamment dans le champ académique francophone qui a peu récupéré ce concept développé par les Anglo-Saxons. Il a permis de souligner le rôle spécifique de la photographie dans le visual framing et le priming. Toutefois, l’intérêt d’étudier le rôle de la photographie a par nature favorisé une approche interdisciplinaire sur la culture visuelle de la guerre telle qu’elle s’inscrit dans la sémiologie de l’image de presse et sa dimension historique. Cette approche croisée, entre photographie, mémoire et discours d’information, a mis en évidence deux méta-cadrages, la rhétorique victimaire et la rhétorique accusatoire, deux composantes fondamentales de cette mise en récit discursive et visuelle de la souffrance, fortement ancrées vi La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) dans cette mémoire symbolique mais qui se développent au cours des décennies 1960-1990, associées à des injonctions morales, de justice et politiques. Au final, les analyses effectuées au sein des articles montrent dans quelle mesure les représentations médiatiques de la souffrance en temps de guerre s’inscrivent en réalité sur une longue durée. Si les contextes politiques et sociaux des périodes couvertes dans ce travail de thèse ont évolué entre les années 1960 et 1990, ils se traduisent au sein du discours médiatique par des choix visuels et linguistiques qui marquent une certaine permanence dans la mise en sens de la violence de guerre et des souffrances humaines qui en résultent bien. Ces choix permettent de questionner à quel point la visibilité et la description de ces souffrances au sein des magazines se situent au croisement de plusieurs rapports, que ce soit du point de vue de la culture visuelle médiatique, du photojournalisme, de la mémoire collective et de l’histoire des ème conflits dans le long 20 siècle. Un premier constat montre que le Biafra impose un modèle classique de médiatisation qui assoit la rhétorique victimaire, dans lequel l’enfant joue un rôle important, mais qui ne peut être limité à sa simple dimension émotionnelle. Cette figure de l’innocence, tout comme l’ensemble des victimes et des scènes exposées (la mort, le quotidien, la survie) sont d’abord et avant tout des réalités chiffrées, visibles et immédiatement lisibles à la photographie de presse qui ne saurait travailler en tant que telle sur les causes des crises. Les images de presse servent comme des « accroches », des « agrégats symboliques » qui permettent de questionner au-delà dans le texte les dilemmes qui sont en jeu face à la violence. L’exhibition des enfants permet par exemple d’interroger sa place au sein des sociétés occidentales mais s’inscrit aussi dans une politisation du discours autour des atrocités dont ils sont victimes. A l’opposé, la figure du bourreau au sein de la rhétorique accusatoire questionne la permanence de certaines violences et la notion de crime de guerre, dont la perception a évolué depuis le premier procès de Nüremberg où furent jugés les criminels nazis en 1947. Le débat sur la judiciarisation et la nécessité de condamner les violences de guerre se reflètent dans le discours médiatique et sont en augmentation dans les guerres des années 1990. Un deuxième constat important, au sein des analyses effectuées, est le suivi, dans le discours médiatique, des mutations importantes du champ géopolitique ème et humanitaire des dernières décennies du 20 siècle, ce qui renforce l’idée ici que les magazines ont reflété le monde plus qu’ils n’ont cherché à l’influencer. Pour le mettre en sens, les journalistes ont eu recours à des cadrages qui oscillent entre une perception politique, juridique, voire même éthique de l’action humanitaire, en parallèle des constats établis par les experts de l’aide, du développement et des famines. Enfin, troisième constat qui revient à repenser l’utilisation des stéréotypes et des clichés. Interroger les stéréotypes autrement consisterait à les replacer dans la généalogie d’images dont ils sont issus pour comprendre comment ils ont signifié, ou signifient toujours, des univers de référence. La répétition, la fréquence et le caractère inchangé des modèles de visualisation de la guerre et de la souffrance, notamment via des mécanismes de cadrage visuels mais aussi Résumé vii par des usages métonymiques et synecdotiques de figures ou scènes spécifiques des crises représentées indiquent qu’il n’existe pas de modèles alternatifs ; du moins, si ces modèles alternatifs existent, les éditeurs, directeurs artistiques, journalistes et photographes ne les considèrent probablement pas comme faisant suffisamment sens pour illustrer des réalités autrement plus complexes. Il ne s’agirait donc pas simplement de remplacer une image « cliché » par une autre qui serait plus réaliste ; il n’existe pas de réalisme dans la photographie, mais uniquement des perceptions qui en disent beaucoup plus sur les réalités qu’elles dépeignent et sur les sociétés qui les ont créées. Remerciements ix Remerciements J’aimerais remercier ici les personnes qui m’ont encouragée, suivie et accompagnée tout au long de ce projet de thèse. Mes remerciements vont tout d’abord à ma directrice, la professeure Annik Dubied Losa, pour avoir véritablement permis à cette thèse d’exister. Elle a su m’accorder sa confiance à une étape débutante et pourtant cruciale de ce projet, et a su m’insuffler cette envie d’aller vers les sciences de la communication. Qu’elle en soit ici remerciée, ainsi que pour tous les projets de recherche passés ou à venir sur lesquels nous collaborons. J’aimerais ensuite remercier mon père, sans lequel je n’aurais probablement pas choisi de faire de la recherche. Merci de m’avoir montré le chemin et d’être resté un modèle dans tout ce que peut représenter le monde académique. Merci également à mes jurés, pour le débat d’idées et les conseils importants qu’ils m’ont adressés. J’aimerais aussi remercier ici des collègues, historiens et sociologues, qui ont contribué à élargir les questionnements qui ont mené à ce projet final. Le professeur Michel Porret, pour m’avoir fait découvrir la contribution des sciences sociales et historiques sur la violence de guerre. Mes collègues et amis Sébastien Farré et Jean-François Fayet, qui ont su partager très tôt leur expérience académique et avec qui nous continuons à développer des perspectives historiques sur l’humanitaire ; Jean-François Pitteloud, pour avoir été le seul à ouvrir un séminaire sur l’histoire de l’humanitaire lors de mes études. Rien n’aurait été pareil sans l’apport et le soutien continu de mes amis et ème collègues du 4 étage. Que les sociologues Magali Dubey, Géraldine Bugnon, Gaëlle Aeby, Solène Gouilhers, David Gerber, Nadia Ammar, Patricia Naegeli, Ivan de Carlo, Vanessa Fargnoli soient remerciés ici pour leurs précieux conseils ; j’adresse d’ailleurs un salut tout particulier au groupe des « doctorants tâtonnants ». Merci à Maria Caiata Zufferey pour sa première relecture attentive. Merci également aux étudiants et amis du CERAH, praticiens de l’humanitaire et valeureux témoins du terrain, pour leur contribution et les débats passionnants qu’ils ont pu amener en classe et en-dehors. J’aimerais encore remercier ici le reste de ma famille, mes amis, tous ceux et celles que j’oublie, et qui ont su s’accommoder d’un agenda bien souvent perturbé par “La Thèse”. Merci ici pour leur confiance. Enfin, j’aimerais adresser ce travail à Louis, qui a disparu lors de la rédaction finale de ce manuscrit. x La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 1. Introduction 1 1. Introduction « Lorsqu’on s’intéresse à l’image de presse, non comme dispositif d’enregistrement, mais comme dispositif d’écriture, force est de constater qu’elle nous dit davantage ce que le monde doit être que ce qu’il est. Force est de constater, de ce point de vue, son efficacité à agir sur l’imaginaire collectif par les modèles qu’elle met en place. Des modèles d’images qui, de répétitions en déclinaisons, finissent par engendrer des stéréotypes par définition facilement assimilables. C’est-là, dans le jeu des exemplarités que se fabriquent nos mythes. » (Bodson 2005, 10). Ce projet de thèse est né suite à l’étude que j’ai menée sur la médiatisation de la guerre du Vietnam dans les magazines d’actualité américains pour mon mémoire de licence. Historienne de formation, j’interrogeais alors les représentations de la guerre au travers d’un prisme bien spécifique, celui de la photographie de presse. Le Vietnam est depuis considéré, dans l’histoire du reportage de guerre et du photojournalisme, comme un « tournant » important ayant favorisé l’apparition d’une rhétorique victimaire qui s’est traduite dans les images de guerre par la figure dominante du civil. Cette victimisation a été associée dans le discours journalistique, à une rhétorique accusatoire dénonçant les exactions commises sur les civils et se focalisant, dans l’image, par une visibilité plus accrue des crimes de guerre, à l’exemple des célèbres photographies de Nick Ut sur la petite fille brûlée au napalm (1972) ou d’Eddie Adams immortalisant le général Loan en train d’abattre un suspect Vietcong dans la rue à Saïgon (1968). Cette forme de dénonciation dans l’image et le tournant pris à cette époque par le photojournalisme avait constitué mes axes de recherche ; j’avais alors découvert en parallèle le travail de certains de ces photographes, comme Don McCullin, au Biafra. Bien que cette guerre civile (1967-1970) ne puisse être comparée au Vietnam de par son contexte et ses 1 enjeux politiques, elle n’en demeure pas moins un cas d’étude très intéressant par sa médiatisation et par l’héritage visuel de la souffrance qu’elle a laissé, notamment dans la photographie. Or, au contraire du Vietnam qui a largement occupé ces quatre dernières décennies les travaux académiques sur les effets des médias, les relations entre militaires et journalistes et la géopolitique des conflits (Hallin 1986 ; Knightley 2004), le Biafra semble occulté des études majeures en sciences de la communication. Seuls les travaux historiques (Mesnard 2002 ; Ryfman 2008 ; Barnett 2011) la reconnaissent comme un socle représentationnel, c’est-à-dire comme un événement dont les représentations médiatiques servent depuis de références aux crises humanitaires ultérieures. A tel point que cette guerre a largement imprégné depuis le discours institutionnel de certaines ONG telles que Médecins sans frontières (MSF), qui revendique le 1 Si l’on peut utiliser le qualificatif de guerre civile pour désigner les deux conflits, la guerre du Biafra se traduit surtout par une mouvance sécessionniste au sein de la nation nigériane, ancienne colonie britannique qui a acquis son indépendance en 1960. Le blocus maritime et terrestre du territoire biafrais par les troupes gouvernementales nigérianes mènera à une famine de grande ampleur, nécessitant des moyens humanitaires nutritionnels importants, ce qui ne sera pas le cas au Vietnam (où la majorité des victimes sont des blessés de guerre). De plus, même si le chef du Biafra tente d’internationaliser le conflit en demandant le soutien des puissances européennes, notamment la France et l’Angleterre, cette guerre reste avant tout une guerre nationale et locale. Ceci n’est pas le cas lors de la guerre civile du Vietnam, qui reste une guerre de décolonisation. Les Etats-Unis sont largement instigateurs du conflit dès le début des années 1960, qui s’inscrit alors dans leur politique d’endiguement du communisme. 2 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) fait qu’un récit humanitaire dans la couverture médiatique du Biafra aurait été imposé en grande partie par les organisations de secours auprès d’une majorité 2 de journalistes occidentaux. C’est donc cette mémoire symbolique de la souffrance qui serait née au Biafra que j’ai voulu interroger, en soulignant son absence dans la multitude de travaux (en communication, en politique, en sociologie) sur les liens entre médias et humanitaire qui apparaissent suite aux grandes crises humanitaires des années 1990. A tel point que nombre d’entre eux attribuent même la naissance de certains cadrages (framings) journalistiques (l’utilisation de la figure d’enfants innocents, les appels à ème l’intervention de la communauté internationale) à la dernière décennie du 20 siècle. Ce « tournant » visuel de la presse magazine, que je situais à l’époque aux années 1960 déjà, a été exploré dans ce travail de thèse sous forme d’une collection d’articles où j’ai interrogé la place de la photographie de presse dans la mémoire symbolique de l’humanitaire. Bien que cette thèse se situe en sciences de la communication, le champ interrogé possède des liens indéniables avec la science politique (politique de l’aide humanitaire, géopolitique des conflits, philosophie politique) et l’histoire (histoire des conflits ème au 20 siècle, histoire de l’aide humanitaire). Il aurait été impossible, vu le temps et l’espace circonscrits pour ce travail de thèse, de développer réellement une interrogation théorique commune à ces trois champs ; ces liens potentiels ont néanmoins été évoqués dans cette collection d’articles, qui offrent un regard transversal sur la manière dont histoire, mémoire et politique se reconfigurent au sein du discours d’information sur la guerre. Plus que la guerre en général, j’ai voulu questionner la permanence de cette mémoire symbolique au sein des cadrages relatifs à l’action humanitaire et aux souffrances des civils, à travers une approche comparative de deux sphères culturelles proches, à savoir les magazines d’actualité internationale américains et français. Cette dimension comparative me paraissait importante, afin de sortir d’une vision trop localisée dans l’analyse médiatique, ce qui permettait de mettre en valeur les similitudes, les différences, les convergences ou les spécificités nationales dans la couverture des crises humanitaires. Avec le regard rétrospectif, c’est une dimension que j’estime avoir toutefois trop peu analysée, et qui mériterait plus ample approfondissement selon les contextes abordés. A un deuxième niveau, j’ai choisi de dépasser une comparaison intraévénementielle (une étude de cas factuelle qui ciblerait la mise en scène médiatique d’une guerre en particulier), telle qu’on en trouve par dizaines sur les crises en Yougoslavie, en Somalie ou au Rwanda (voir par exemple Girardet 1995 ; Pédon et Walter 2002 ; Hammond 2004), pour une comparaison interévénementielle : comparer les représentations médiatiques d’une guerre à l’autre permet justement de repérer la mise en place et la récupération d’une mémoire symbolique (auto)référentielle. A tel point que l’on pourrait parler d’une 2 Le symbole, selon le sémioticien Charles Peirce (1978), appartient à la catégorie des signes qui entretiennent une relation de convention avec leur référent. La mémoire symbolique peut donc se qualifier comme une mémoire empreinte d’éléments conventionnels reconnaissables, tels que des postures, des personnages, des événements historiques, et qui sert à construire du sens sur le monde. 1. Introduction 3 3 véritable « mémoire interprétative » , ou comment l’interprétation des faits est rendue possible par les liens mémoriels et symboliques opérés dans le discours médiatique. Etudier les fluctuations de ces cadrages à long terme m’a donc amenée à privilégier une approche diachronique, depuis la « crise matricielle » du Biafra (voir article 2), jusqu’aux crises humanitaires des années 1990, en insistant sur le rôle de la photographie. Mon objectif principal a été de combler en partie le manque d’analyses, en Media Studies, portant sur une mémoire interprétative de l’humanitaire telle qu’elle est construite et appréhendée dans le discours médiatique occidental. Cela m’a permis de vérifier mon intuition d’alors en situant la naissance de cette mémoire symbolique et visuelle de la souffrance dans la période charnière de la fin des années 1950-1960 ; elle est pour moi profondément liée aux représentations médiatiques et photographiques et le rôle 4 que jouent les médias dans la transmission de la mémoire collective de la Deuxième Guerre mondiale et du Biafra. L’apport majeur de cette thèse, qui s’inscrit en sciences de la communication, est sa contribution sur la théorie et l’opérationnalisation du framing, notamment dans le champ académique francophone qui a peu récupéré ce concept développé par les Anglo-Saxons. Toutefois, l’intérêt d’étudier le rôle de la photographie a par nature favorisé une approche interdisciplinaire sur la culture visuelle de la guerre telle qu’elle s’inscrit dans la sémiologie de l’image de presse et sa dimension historique. J’ai par conséquent choisi d’ouvrir sur une étude qui verrait les images comme des couches superposées de mémoires aux histoires et origines différentes, mais servant de « moule » identique (cadrage) d’expression du malheur dans son sens le plus large. Je suis partie du postulat que ce « déchiffrement symbolique de la douleur » (Mesnard 2002, 55) était une nécessité dans la construction sémiotique du message d’information et qu’il reste un univers de référence dans l’imaginaire des photographes. J’ai privilégié cet aspect, qui a été amorcé récemment par les travaux de Barbie Zelizer sur les standards photographiques élaborés sur la familiarité, la fréquence et l’esthétisme des images de presse (2004), mais qui est aussi l’une des seules, à ma connaissance, à aborder sur la longue durée les liens entretenus entre l’image et son inscription sémiotique, son indexicalité, sa narration visuelle, ainsi que sa propension à la connotation (1998). Cette approche croisée, entre photographie, mémoire et discours d’information, m’a permis de mettre en évidence deux méta-cadrages, que j’ai nommés rhétorique victimaire et rhétorique accusatoire. Mes analyses ont démontré que ce sont deux composantes fondamentales de cette mise en récit discursive et visuelle de la souffrance, fortement ancrées dans cette mémoire symbolique 3 Je remercie Annik Dubied Losa pour m’avoir suggéré ce terme. Selon la définition de l’historien Pierre Nora : « En première approximation, la mémoire collective est le souvenir ou l’ensemble des souvenirs, conscients ou non, d’une expérience vécue et/ou mythifiée par une collectivité vivante de l’identité de laquelle le passé fait partie intégrante » (1978, 398). En réalité il faut distinguer entre « mémoire historique » et « mémoire collective » (Halbwachs 1997), et donc les usages interprétatifs variables et sujets à caution qui sont faits du passé, selon les communautés ou les politiques, par rapport à l’interprétation scientifique qui en est faite par les historiens. Dans ce travail, je prends la notion de mémoire collective comme une vision non historiographique produite par les médias, qui leur sert à interpréter le présent au regard des événements du passé ; les médias jouent donc un rôle important dans la transmission de cette mémoire collective et des représentations privilégiées qui lui sont associées. 4 4 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) mais qui se développent au cours des décennies 1960-1990 ; je les annonce ici en les définissant, car ces termes marquent mon développement théorique par la suite. La rhétorique victimaire se caractérise par l’apparition dans le récit médiatique linguistique et visuel, d’une focale particulière sur des catégories de souffrants (enfants, femmes, vieillards, mais aussi combattants blessés, prisonniers ou soldats occidentaux) qui induit une hiérarchie sur le statut de victime. Ces récits comportent une charge émotionnelle forte marquée par la 5 compassion , accentuée par l’image, et amènent parfois à des injonctions morales pour inciter les lecteurs à s’investir. Cette injonction morale doit s’entendre dans le sens d’un discours qui cherche à faire réagir son destinataire, sous une forme incitative mobilisant des émotions (honte, culpabilité, empathie, compassion, colère, outrage, etc.). La rhétorique accusatoire désigne elle des récits médiatiques qui s’intéressent à la dénonciation du coupable et la description de ses actes. Ces récits comportent également une forte charge émotionnelle parce qu’ils désignent des actes de violence, mais s’accompagnent aussi d’une dimension accusatoire et réparatrice, et ouvrent donc à des injonctions de justice, soit un discours incitatif qui adopte un ton réprobateur, condamnatoire et soulignant le besoin de justice (l’appel au jugement des criminels de guerre par exemple). Au final, on peut même argumenter de la dimension politique de l’ensemble de ces injonctions, non pas sur le plan géopolitique lui-même (elles n’ont pas une fonction coercitive), mais comme une critique de l’inaction des gouvernements et de l’inefficacité de l’aide internationale ; ce qui constituerait en quelque sorte à ramener, via ces injonctions, une dimension affective dans le politique, si l’on reprend l’idée d’une « politique de la pitié » selon Arendt (1967). Je précise aussi que l’une comme l’autre de ces rhétoriques sont qualifiées ainsi sans connotation normative ; il ne s’agissait pas pour moi de me prononcer sur leur survenue comme un élément bienvenu ou problématique, mais de saisir leur dimension de « cadrage ». C’est-à-dire, pour revenir au travail journalistique opéré derrière de tels choix, comment ces crises humanitaires dont la nature violente et émotionnelle interpelle forcément journalistes et photographes qui en sont témoins, sont perçues à travers des schèmes d’interprétation soulignant les dilemmes entre nécessité de rester neutre ou de s’impliquer. Ces rhétoriques de la victime et du coupable impliquent aussi un modèle d’agentialité humaine ; c’est la raison pour laquelle j’ai choisi de limiter ce travail à une catégorie de « crises humanitaires », les guerres, qui relèvent de contextes où la causalité du risque est humaine – et non « naturelle », comme le sont les catastrophes liées au climat ou aux aléas terrestres (tsunamis, typhons, 6 etc.). Les événements étudiés ici (que je décris ci-après) concernent donc 5 Je n’entrerai pas ici dans la longue démarche que serait une analyse à la fois sociologique, philosophique, sémantique de l’étymologie du mot « compassion ». Je me réfère simplement aux travaux du sociologue Christopher Williams sur la compassion dans la société moderne, qui définit le terme dans le sens d’expérimenter "the suffering of others in such a way that we are compelled to act towards its alleviation." (2008, 8). 6 L’évolution de l’action humanitaire tout au long du 20ème siècle concerne des interventions lors de catastrophes de tout type, notamment les catastrophes naturelles ou humaines, les épidémies, les famines, les violations des droits de l’homme, le développement, l’exclusion sociale (Ryfman 2008; Barnett 2011). Je n’entrerai pas ici dans les débats qui animent une partie des politologues, 1. Introduction 5 uniquement des conflits armés et leurs conséquences (famines, exode des réfugiés, violences génocidaires ou ethniques) sur l’espace social et civil, et la manière dont ils ont été mis en scène et en sens dans le discours médiatique. Cette mise en récit visuelle m’a évidemment amenée à interroger la place du stéréotype au sein de ce discours, et plus largement à tout l’imaginaire auquel renvoient les représentations de l’humanitaire. Cette relation triangulaire entre représentation – imaginaire – stéréotype nécessite un éclairage conceptuel au préalable, tant elle lie des termes aux contours flottants et aux définitions floues, tantôt employés comme synonymes, tantôt s’excluant. Notons qu’il y a derrière ces termes toute une dimension cognitive que la psychologie sociale a largement développée, notamment dans l’étude des représentations sociales qui peuvent se définir comme « un ensemble organisé et hiérarchisé des jugements, des attitudes et des informations qu’un groupe social donné élabore à propos d’un objet » (Abric 1996, 11). On peut donc lier le contenu de ces représentations sociales à des opinions, des jugements de valeur mais aussi des stéréotypes (Moscovici 1961), basés sur des schèmes cognitifs reconnaissables et partagés par un groupe social donné. Les médias tiennent d’ailleurs une place importante dans la logique communicative de ces représentations sociales, puisqu’ils s’y réfèrent pour créer du sens et du consensus parmi leur public. Les travaux du linguiste Patrick Charaudeau (2007) sur les liens entre stéréotypes et imaginaires me semblent à ce niveau intéressants pour comprendre comment ils s’inscrivent dans le discours d’information. Bien qu’il soit avant tout un spécialiste du langage, j’estime que les considérations qu’il pose sur la constitution des stéréotypes s’appliquent plus généralement à un autre support de la représentation – avec laquelle le verbal entretient un lien fort – l’image. Pour Charaudeau, qu’il s’agisse de stéréotype ou de représentation, les deux concepts entretiennent avant tout un rapport avec la réalité ou le réel, ce qui nécessite une distinction : la réalité pourrait ainsi être désignée comme « le monde empirique », alors que le réel est « le monde tel qu’il est construit » (2007, 50). La réalité est donc formatée – dans le discours d’information – pour devenir réel ; et dans ce processus de formatage, la photographie est essentielle, puisqu’elle entretient un rapport plus direct avec la réalité dont elle prétend être le reflet ; c’est toute la dimension analogique de la photographie de presse que j’aborderai plus bas. Ces représentations, stéréotypées ou non, s’appuient également sur un imaginaire. Si Charaudeau situe plusieurs courants à l’origine de diverses définitions et postures de l’imaginaire, je préfère, comme lui, retenir la perspective anthropologique, qui voit l’imaginaire comme un rituel social associé aux mythes et légendes : L’imaginaire est un mode d’appréhension du monde qui naît dans la mécanique des représentations sociales, laquelle, on l’a dit, construit de la signification sur les objets du monde, les phénomènes qui s’y produisent, les êtres humains et leurs comportements, transformant la réalité en réel signifiant. Il résulte d’un processus de géologues, climatologues et spécialistes de la sécurité alimentaire sur le caractère « humain » (human-made disasters en anglais) de certaines catastrophes naturelles, notamment les famines qui seraient principalement politiques. 6 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) symbolisation du monde d’ordre affectivo-rationnel à travers l’intersubjectivité des relations humaines, et se dépose dans la mémoire collective. Ainsi, l’imaginaire a une double fonction de création de valeurs et de justification de l’action. (2007, 53) On retrouve donc ici une posture qui rejoint le processus de « mémoire interprétative » évoqué plus haut : les médias véhiculeraient un ensemble de représentations sociales liées aux crises humanitaires (qui contribuent à la construction de sens donné à l’événement), en s’appuyant sur un imaginaire (la symbolique employée ou évoquée), qui se transcrit dans le message d’information par une logique discursive et iconographique. Le stéréotype – verbal ou visuel – n’est alors qu’un jugement de valeur en jeu dans les représentations sociales en circulation. Encore une fois, je précise ici que je n’ai pas voulu adopter de posture critique qui irait vers la prise de position. Il me semble au contraire, comme le souligne Jean-Marc Bodson dans la citation introductive, que le stéréotype est une conséquence inévitable des modèles d’images qui circulent certaines visions du monde, et que l’intérêt de l’étude scientifique telle qu’elle est conçue ici consiste à les décrire précisément pour comprendre comment ils donnent du sens, plus qu’à les juger. Si les photographies de presse stéréotypisent, particulièrement dans les représentations liées à des événements violents et traumatiques comme le sont les guerres ou les famines qui en découlent, c’est bien justement pour jouer sur des effets de pathos. Je considère donc ici le stéréotype comme une forme de catégorisation, qui permet de qualifier et comprendre les choses que nous voyons selon des catégories pré-établies, culturellement inscrites et de créer des « raccourcis », ou « quelque chose d'immédiatement communicable et assimilé par les individus » (Villain-Gandossi 2001, 28), et mon apport a consisté à les décrire comme des catégories de sens et non comme des catégories de jugement, ce qui avait été peu fait jusque-là. Cette perspective m’a paru particulièrement intéressante à appliquer au cas des magazines d’actualité, qui s’appuient en effet sur un imaginaire et une imagerie (la photographie de presse principalement, mais aussi le dessin de presse et les logos), qui montrent comment la société occidentale voit le monde et s’y inscrit. Ils permettent de considérer la photographie de presse, au sein de leurs mises en récit visuelles, comme un « acte d'écriture », une véritable « mythographie » qui s’inscrit dans un dialogue entre analogie et symbolisme (Lambert 1986). Or, l’humanitaire dans sa conception historique s’est construit en référence à des univers mythiques : la tradition judéo-chrétienne, la solidarité, l’humanisme, la charité, le secours, la pitié, mais aussi la guerre, la violence, la famine, le colonialisme, l’ethnocentrisme et le nationalisme. Il s’appuie aussi sur une imagerie qui alimente cet imaginaire sous la forme d’événements référents et d’icônes ancrées dans la mémoire collective qui forment le socle de cette iconographie inscrite dans la photographie de presse. J’ai par conséquent interrogé ces référents au travers de deux caractéristiques de la photographie. Premièrement, la tension qui réside en elle entre dénotation et connotation. Je me situe ici clairement dans la lignée de Roland Barthes, qui a développé ces deux aspects de la photographie ; je retiendrai donc le concept de dénotation comme celui de l’image littérale, descriptive et objective, et le 1. Introduction 7 concept de connotation comme celui de l’image symbolique, culturelle (1964, 7 45-51). La photographie de presse a en effet entretenu un lien historique avec la souffrance et la mort, en servant de moyen privilégié d’enregistrement des atrocités les plus violentes qui a favorisé son usage dénotatif dans la presse comme moyen d’illustration (Buton 2002; Gervereau 2003). Ce constat peut toutefois être nuancé si l’on s’interroge sur les limites référentielles de la photographie : si elle a contribué à l’inscription dans la mémoire visuelle de très nombreuses guerres, elle perd complètement sa propension à la contextualisation sur la longue durée. Ceci est dû à la contradiction entre la temporalité plus ou moins longue de la catastrophe et la trame de son enchaînement par rapport à l’éclairage « fragmentaire » qu’offre la photographie, ce qui appauvrit donc complètement sa capacité d'analyse (la recherche des causes) sur le phénomène autrement plus complexe que peut être la guerre. Je pense donc qu’il faut avant tout saisir la signification donnée à une photographie comme « conditionnée par son contexte » (Solomon-Godeau 2010, 57). La photographie est donc prise dans une tension entre contexte de production et contexte de diffusion, mais aussi dans sa propension à la connotation. Le symbolisme dont elle fait preuve, en évoquant ou perpétuant des scènes mille fois aperçues, fait qu’on peut la voir plutôt comme un produit culturellement construit, basé sur une familiarité véhiculée par les médias (Banks 1994; Zelizer 2005). Deuxième caractéristique de la photographie de presse, son statut d’icône, qui dépend largement du sens qu’on lui attribue. La notion d’icône doit s’entendre ici non dans le sens peircien, c’est-à-dire comme un signe qui entretient une relation de ressemblance avec l’objet (du terme grec eikon, image ou réflexion), mais comme une icône photojournalistique. Ainsi, toutes les images sont iconiques mais toutes ne deviennent pas des icônes, à savoir des images ayant atteint un certain niveau de célébrité, dont on se souvient. Ce sens a été perçu par certains spécialistes de l’image comme avant tout déterminé par le discours des élites (politiciens, journalistes, commentateurs, experts) dont l’avis « impose » en quelque sorte leur perception de telle ou telle image et l’importance de ce qu’elle représente sur les publics (Perlmutter et Wagner 2004). Il me faut préciser là que je n’ai pas procédé à des études de réception, qui seules pourraient aider à comprendre comment les publics reçoivent, comprennent et acceptent le sens attribué à ces icônes. Mais j’ai aussi choisi d’intégrer dans mon corpus des éditoriaux ou des encarts dans la rubrique du courrier des lecteurs quand ils apparaissaient dans mon corpus, qui montraient à quel point l’utilisation de ces icônes pouvait être également un lieu de dispute pour leur signification, obligeant parfois les rédacteurs des magazines à justifier leur choix. Au final, j’ai été amenée à travailler sur une catégorie d’icônes, selon les critères de David Perlmutter (1998, 11) : les icônes « génériques », dans lesquelles certains éléments sont répétés fréquemment, malgré des 7 Barthes précise cependant qu’il est très rare de voir une image purement littérale, c’est-à-dire débarrassée de sa dimension connotative, symbolique. J’adhère en ce sens totalement avec lui, et estime que c’est ce qui renforce la nature polysémique de la photographie, et qui empêche donc un usage purement dénotatif (illustratif et descriptif) dans le discours d’information. 8 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) sujets/époques/lieux différents, de sorte que cette scène d'origine devient un 8 « cliché » visuel. L’agencement de l’image de presse et son rôle au sein des cadrages, ou cadres d’interprétation présents dans la presse magazine émanent par conséquent d’une approche constructiviste des médias. Celle-ci admet que la réalité est mise en sens par les journalistes en utilisant des schèmes de perception facilement repérables et identifiables par les publics, et ceci par deux étapes: la sélection des informations et leur catégorisation. Je souligne d’ailleurs que j’utilise indifféremment les termes de « cadrages » ou « schèmes d’interprétation ». Ce dernier est cité par Goffman lui-même dans Frame analysis (1974) où il parle indifféremment de cadres ou schèmes interprétatifs. Entman fait aussi le lien entre les « frames » et les « schemata » en précisant que les cadres sont renforcés parce qu’ils fonctionnent sur des schèmes culturels (1993, 52-53). Le schème se rapprocherait donc de l’idée d’une « formule » ou d’un « scénario », que le linguiste Jean-Louis Dufays distingue comme des « stéréotypies "neutres" », dans lesquelles il classe les « schémas, scripts, "frames", structures ». Elles se différencient des « stéréotypes ordinaires » qui sont « axiologiquement problématiques et réversibles » (2004, 26). Cela me permet d’affirmer encore une fois que ces cadrages, même considérés comme des stéréotypies, fonctionnent comme des catégories de sens et non des normes. Cette vision rejoint complètement la théorie développée par le framing, et m’a permis de souligner le rôle spécifique de la photographie dans les mécanismes de cadrage. Elle est elle-même une sélection (un fragment cadré) et une catégorisation (l’expression d’un point de vue) qui amène un élément supplémentaire au cadrage du récit médiatique, ou qui insiste sur l’une des caractéristiques saillantes du cadrage mis en place, de telle sorte que l’on peut 9 dire qu’elle « prime » ou renforce le texte. J’ai donc travaillé sur la construction de ces cadrages et non sur leur imposition dans les agendas politiques, d’où découle toute la théorie de l’agenda-setting, connexe au concept de framing. Cette discussion sur l’agenda médiatique semble en effet monopoliser l’ensemble des travaux qui s’intéressent à la relation entre médias et humanitaire ou sur une sociologie politique de la communication (pour une bonne revue de la littérature produite, voir Boettcher 2004 ; Bloch-Elkon 2007). Toutefois, je ne peux nier que cet aspect vienne en écho dans mon analyse, quand j’ai abordé des conflits armés ayant engendré une intervention militarohumanitaire internationale, comme ce fut le cas au Liban et en ex-Yougoslavie notamment. Mais je n’ai pas eu comme objectif d’évaluer dans quelle mesure les contenus médiatiques étudiés étaient repris ou non, dans les agendas politiques américains ou français. Au final, j’adopte une posture qui voit les mises en scène médiatiques des événements comme des « révélateurs symboliques » du lien social (Arquembourg 2006, 16). D’autres critères et intérêts politiques, économiques, 8 Selon Frédéric Lambert, le cliché est une « représentation à l'intérieur d'une photo de presse qui, sans exclure l'actualité, fait de l'image un lieu commun, du déjà vu. » (1986, 95). J’en retiens ici l’idée d’une image qui comporte des éléments à la fois reconnaissables et figés dans le temps. 9 Issu du terme anglais priming (voir notamment Griffin 2004). 1. Introduction 9 structurels sont bien entendu en jeu dans l’attention accordée par les médias aux actualités internationales, mais que je n’ai pas abordés dans ce travail de thèse qui s’intéresse aux contenus médiatiques, et donc aux choix sémantiques et visuels faits par la presse magazine. Ces choix s’opèrent notamment via une sélection (gate-keeping), sur des critères définissant la valeur informative (newsworthiness) d’un événement, ceux-ci regroupant de manière plus ou moins consensuelle : l’opportunité, la proximité, l’impact, l’intérêt, le sensationnel, la saillance, la nouveauté (Chang, Shoemaker, et Brendlinger 1987, 398 ; Palmer 2003 ; Garcia et Golan 2008). Parmi ces critères, la photographie de presse est centrale parce qu’elle impacte émotionnellement, parce qu’elle réitère, parce qu’elle est sensationnelle, et ce d’autant plus quand elle représente le conflit, la violence et la mort. Toutefois, tout fait sur la scène internationale n’est pas destiné à devenir événement dans le discours médiatique ; cela dépend pour cela des critères cités plus haut mais aussi de son lien avec le passé, de sa « nature discursive » et de sa « nature symbolique » (Garcin-Marrou 1996, 49). Les « crises humanitaires » ne sont donc pas des événements en soi, mais des situations qui découlent d’une rupture dans l’ordre des choses (la guerre, la famine ou les déplacements de population, dans le corpus étudié ici), qui offrent un potentiel pour cette mise en événement du récit discursif et visuel, avec une temporalité, une causalité et une agentialité. Elles permettent de travailler sur la nature symbolique du lien social en jeu, car elles mettent en scène bien souvent des réalités plus ou moins lointaines dans laquelle une communauté de souffrants (les victimes) s’expose au regard d’une communauté de spectateurs (les lecteurs des magazines) au sein d’un discours qui cherche à construire du lien empathique. Elles sont surtout spectaculaires, car elles impliquent la mort souvent massive d’individus, d’où leur forte charge affective qui génère « d’autant plus l’émotion et la sensation » (Lits 1999, 4) et elles s’avèrent donc hautement photogéniques. Avant d’aborder la structure et la présentation des six articles auxquels ma démarche empirique a mené, je commencerai par exposer la méthodologie adoptée pour les recherches empiriques que j’ai menées. Puis je présenterai les tensions critiques qui fondent une partie des théories sur les représentations médiatiques de la souffrance, avant d’exposer plus largement l’approche que j’ai cherché à mettre en place dans ce travail de thèse, qui me permet de dépasser ce discours théorique en partie normatif pour retravailler sur le fondement des mécanismes de construction du discours d’information visuel et sémantique. Enfin, un chapitre conclusif à la fin de cette thèse me permettra de revenir plus largement sur les implications des résultats obtenus et les perspectives qu’ils ouvrent. 1.1 Méthodologie Dans l’optique comparative qui était la mienne, j’ai donc voulu travailler sur un corpus occidental basé sur une sélection de la presse magazine hebdomadaire américaine et française, consacrée à l’actualité internationale et nationale. J’ai sélectionné pour chaque pays concerné les deux titres ayant le plus gros tirage, 10 11 soit les magazines Time et Newsweek pour les Etats-Unis, et les magazines 10 Time est fondé en 1923 par Henry Luce et Britton Hayden, dont l’empire de presse s’agrandira de 10 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 12 13 L’Express et Le Nouvel Observateur pour la France. L’intérêt d’une telle comparaison repose d’abord sur la similitude des supports ; le format A4, instauré par le fondateur du Time Henry Luce en 1923, sera repris par Newsweek en 1933 puis par les deux magazines français dans les années 1960. La structure des magazines est similaire : couverture avec titre en haut et photographie pleine page, structure divisée ensuite en rubriques internationale, nationale, économique, politique, culturelle et sociale. Leur table des matières met en valeur certaines actualités de la semaine par un encart avec photo et résumé des faits. Ces quatre magazines s’adressent à un lectorat relativement similaire, composé dans l’ensemble de la classe moyenne et supérieure ainsi que les cercles politiques (Charon 2001 ; Sumner 2010). Les reportages s’organisent sous la forme d’un condensé des informations hebdomadaires qui leur permet de revenir sur les moments-clés de l’actualité passée, mais aussi, comme le soulève Michael Griffin, de récupérer et renforcer les cadrages visuels établis précédemment par la presse quotidienne et la télévision (2004, 382). Ils oscillent donc entre analyse et opinion, favorisant également une certaine esthétique sur papier glacé, avec une part non négligeable réservée au photoreportage, ce qui m’a permis de comparer ces contenus dans le temps, en trouvant parfois des photographies identiques d’un numéro à l’autre. La récolte du corpus a pu être effectuée grâce aux collections des magazines disponibles dans les bibliothèques de Genève : la bibliothèque de l’ONU possède ainsi la collection quasi-complète de Newsweek et de Time, la Bibliothèque Publique de Genève celle du Nouvel Observateur et de L’Express. Chaque page a été photographiée pour pouvoir ensuite être archivée et utilisée plus facilement sur un logiciel d’analyse de contenu. Pour les numéros manquants, je les ai achetés directement auprès des rédactions concernées ou sur un site américain spécialisé dans la revente de vieux numéros de 14 magazines. J’ai sélectionné au final l’ensemble des couvertures, des tables des matières, des éditoriaux, des reportages écrits et photographiques de la rubrique internationale relatifs aux conflits sélectionnés. Au final, plus de 900 articles ont été analysés, soit 3111 pages. Ils sont tous relatifs à une série de 8 conflits armés, dont certains ont engendré des épisodes de famine ou d’épidémies : la guerre civile du Biafra (1967-1970), la guerre civile du Cambodge (1975-1979) la guerre civile du Liban, et plus particulièrement l’intervention israélienne lors de l’opération « Paix en Galilée » (1982-1984), la famine éthiopienne (1984-1985), la guerre au Kurdistan d’Iraq nombreux titres de presse dont Fortune et Life. Time passe de 1'212'577 exemplaires en 1960, à 4'373'796 exemplaires en 1971 (Sumner 2010). 11 Newsweek est créé en 1933 par Thomays Martyn, ex-journaliste du Time ; racheté en 1961 par le Washington Post, le magazine voit sa diffusion augmenter : de 1'411'552 exemplaires en 1960, il passe à 2'698'856 exemplaires en 1971 (Sumner 2010). 12 L’Express naît en 1953 par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud. Transformé en véritable newsmagazine en 1964, il passe de 199'000 exemplaires en 1961 à 614'000 exemplaires en 1973, puis à 507'000 exemplaires en 1981. En 1978, le magazine est vendu à James Goldsmith (Feyel 2001). 13 Le Nouvel Observateur est créé en 1950 par Claude Bourdet sous le nom de France Observateur. Il adopte son nom actuel dans la refonte du magazine en magazine d’actualité en 1964. Il est alors dirigé par Jean Daniel. Il diffuse 385'000 exemplaires en 1981 (Feyel 2001). 14 Voir <http://www.pastpaper.com> (dernière consultation le 9 août 2013). 1. Introduction 11 (1991), la guerre en Bosnie, et plus particulièrement le siège de Sarajevo (19921994), la guerre civile et la famine en Somalie (1991-1993), le génocide au Rwanda (1994). Le choix de ces crises humanitaires tient d’une part pour leur place dans l’histoire des interventions humanitaires et la médiatisation qui en a résulté. D’autre part, c’est justement cette transversalité du regard, sur des espaces géographiques différents mais également espacés dans le temps, qui m’intéressait pour évaluer la permanence de cette mémoire symbolique, visuelle et sémantique. Afin de répondre à mes interrogations tout en nuançant les constats précédemment établis par les études antérieures, j’ai choisi de m’inspirer d’une approche qualitative et inductive, partiellement fondée sur la grounded theory (Strauss et Glaser 1967 ; Corbin et Strauss 1990), qui se définit par un processus itératif permanent entre la collecte des données, leur exploration et la constitution des questions de recherche. Celle-ci m’a permis de me fonder sur une démarche empirique, pour remonter ensuite à la théorie en collectant mon corpus, tout en définissant les bornes chronologiques et géographiques adoptées pour cette thèse. Le cas des mécanismes de cadrage par exemple (Ghanem 1997), que je n’avais pas encore en tête au moment de la récolte du corpus, s’est imposé de manière intuitive à la lecture exploratoire des premiers numéros consultés. Il était évident que les titres, images, graphiques et citations, dans la manière dont ils crochaient immédiatement le regard et orientaient la lecture des articles, joueraient un rôle dans l’analyse. De même, j’ai aussi intuitivement repéré les mécanismes de cadrage en-dehors des articles, qui ont aussi orienté la sélection des rubriques à inclure dans le corpus ; il s’agit notamment du rôle joué par les couvertures des magazines, quand elles mettaient à l’agenda médiatique l’un des conflits sélectionnés, ainsi que la table des matières, quand elle mettait en valeur sous la forme d’un encadré le conflit en question. Ce qui confirme l’idée de Bandeira de Mello et Gerreau selon laquelle il n’y a pas de résultats « invalidants » ou « d’incidents négatifs » en grounded theory (2011, 180), mais plutôt des résultats qui forcent à réorienter la théorie en fonction des phénomènes observés. Je ne pouvais toutefois prétendre à une véritable démarche inductive car j’avais des références conceptuelles applicables. Mais il s’agissait donc d’avancer en se basant sur des concepts très généraux pour me guider. Ces concepts étaient plus de l’ordre de la sensibilisation au sujet traité que des lignes claires, définitives, sur ce que je cherchais. On se rapproche ici de l’idée du « sensitizing concept » développé par le sociologue Glenn Bowen : « A sensitizing concept lacks such specification of attributes or bench marks and consequently it does not enable the user to move directly to the instance and its relevant content. (…) Whereas definitive concepts provide prescriptions of what to see, sensitizing concepts merely suggest directions along which to look » (2006, 13‑14). Ces concepts « sensibilisants » étaient pour moi liés à l’énonciation de la crise (la labellisation des événements, les thématiques liées à sa mise en récit, l’utilisation de témoignages du journaliste, des humanitaires, des survivants) ; aux acteurs présents (journalistes, humanitaires, politiciens, civils, militaires) ; à la typologie des victimes et des souffrances ; enfin, aux références historiques utilisées. Je les ai donc plutôt utilisés comme des pistes directives qui m’ont servi à construire ma grille de codage (voir Annexe 1), qui ont été retravaillées et 12 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) développées en l’espace de deux ans, entre 2007 et 2009, alors que je collectais le corpus et commençais les premières analyses exploratoires. Analyser les cadrages médiatiques implique toutefois des risques, notamment dans la manière de les identifier. Dans l’étude qu’il mène sur l’approche empirique des cadrages, Tankard tente justement de proposer une méthode qui permet de gérer la subjectivité du chercheur, que j’ai en grande partie suivie (2001, 101‑102). En plus des mécanismes de cadrage sur lesquels il convient particulièrement d’insister, l’analyse des cadres est passée par les étapes suivantes : faire une liste des cadrages possibles en se basant sur la revue de littérature disponible ; trouver les mots-clés, expressions et symboles liés aux cadrages ; utiliser ces cadrages comme catégories pour l’analyse de contenu ; coder. La méthode décrite par Tankard correspond donc à celle d’une analyse de contenu inductive, qui permet de vérifier empiriquement la présence – ou non – et la répétition des concepts. J’ai donc procédé en premier lieu à une analyse de contenu en disséquant les éléments des cadrages selon les éléments de la grille de codage citée cidessus. Je précise qu’il ne s’agissait pas d’effectuer une analyse purement thématique des contenus. Stephen Reese (2007) souligne d’ailleurs les nombreux mésusages du framing, souvent considéré comme un équivalent de l'analyse de contenu, où le frame serait employé comme un synonyme pour repérer les sujets ou thématiques traités. Je reprends donc ici sa définition, qui insiste d’ailleurs sur l’idée que tout recours empirique à l’analyse du cadre doit montrer en quoi il organise ou structure, sinon il est inutile d’utiliser ce concept : News stories must select certain aspect of reality and emphasize them, but Entman's definition begs the question of how they are organized "in such a way as to promote" their effects. It is precisely the way that certain attributes come to be associated with particular issues that should concern framing analysis. Is has been a major step forward in the empirical tradition to appreciate that there are features that, when taken together, tell a larger tale than the manifest story. The framing project opens up more room for interpretation, captures a more dynamic process of negotiating meaning, and highlights the relationships within discourse. (2007, 152). C’est précisément cette manière de structurer, les attributs (sémantiques, visuels, historiques) associés aux contenus que j’ai relevés dans l’analyse de contenu. Ma démarche incluait donc de repérer à la fois les thématiques traitées, les acteurs, les faits, mais aussi les qualificatifs employés pour désigner les crises et les images associées. Cette analyse de contenu qualitative sur l’ensemble des images et des textes s’est faite via le logiciel Atlas.ti, qui permet de « disséquer » les contenus selon des catégories thématiques. Atlas.ti est un logiciel dans la catégorie des CAQDAS. Il permet de traiter une quantité illimitée de données et accepte quasiment tous les supports de fichiers. Le propre de ce type de logiciel permet un traitement transversal des données, quelle que soient leur nature, du point de vue des contenus. Il appartient à la catégorie des logiciels réflexifs (Lejeune 2010), c’est-à-dire qu’il permet d’explorer et d’analyser, et par conséquent d’assister le chercheur dans sa réflexion au fur et à mesure qu’il analyse son corpus, questionne les concepts, crée ses questions de recherche. L’opération de codage et de création des catégories reste donc propre au chercheur. Il facilite surtout le processus de codage, selon une forme ouverte et sélective 1. Introduction 13 (Strauss et Corbin 2003, 372). Cette analyse par codage, puis par regroupement, a conduit aux principales catégories de l’analyse de contenu (voir Figure 1, Annexe 2). Ces catégories ne sont pas des cadrages ; elles regroupent simplement des thématiques et des attributs communs qui permettent de les catégoriser comme des éléments récurrents et constitutifs des cadrages (voir Figures 2 à 5, Annexe 2). Le cadrage est le résultat de la combinaison de ces différents éléments ; par exemple, ce que je définis comme un cadrage humanitaire repose à la fois sur l’emploi, la répétition et la mise en valeur de thématiques et d’éléments relatifs aux acteurs humanitaires et aux secours, à la typologie des victimes et à la typologie des violences. Un cadrage peut d’ailleurs alterner, au sein du même article, avec un autre. Au final, j’en ai identifié cinq : 1. Le cadrage humanitaire (acteurs humanitaire et secours, typologie des victimes, des violences, des manières de mourir) 2. Le cadrage militaire ou militaro-humanitaire (combats, protagonistes du combat, ingérence internationale, oppresseurs) 3. Le cadrage politico-diplomatique (intervention internationale, relations diplomatiques, intérêts politiques, négociations de paix) 4. Le cadrage historique (causes des conflits, protagonistes des conflits, parallèles historiques) 5. Le cadrage juridique (jugement des crimes de guerre, qualification des conflits, typologie des violences, oppresseurs) J’ai employé ensuite en complément une approche sémiotique sur des extraits spécifiques du corpus (voir la présentation des articles pour une description détaillée) ; d’une part par une analyse de l’image classique, de type stylistique et iconique (Joly 1993), tout en insistant sur des éléments sémiotiques spécifiques de la photographie : sa propension à l’analogie et son indexicalité, à la synecdoche et à la métonymie, mais aussi ses propriétés dénotatives et connotatives (Griffin 2004). Cela m’a permis de revenir et d’affiner la théorie sur le « langage » visuel et le visual framing. Enfin, dans une moindre mesure (pour les articles 3, 4 et 6), j’ai travaillé plus spécifiquement sur les titres des articles et certains extraits de récits journalistiques ou de survivants, au moyen d’une analyse sémantique. Celle-ci m’a permis de revenir plus finement sur le langage employé pour la description des violences, notamment en ce qui concerne la dicibilité de la mort et de la souffrance, et de ceux qui la donnent. Je précise enfin que je n’ai pas cherché, dans les analyses empiriques menées, à établir une comparaison entre la réalité « perçue » par les magazines et la réalité nue, brute, vraie et authentique. Ce n’est pas le but du chercheur en Media Studies d’estimer ce qui correspond à la réalité, puisqu’il n’existe pas de réalité en tant que telle (quand bien même il existe des interprétations historiques et politiques des événements décrits), mais uniquement des perceptions, des mises en sens, des constructions. Elles sont une interprétation de la réalité décrite, et peuvent dont s’éloigner plus ou moins de celle-ci, la façonner : L'article journalistique est inévitablement le résultat d'une construction: il est à la fois le produit d'un regard porté sur la réalité et d'une mise en forme discursive 14 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) particulière (un article qui relève d'un genre, inséré dans une rubrique, etc.). [...] Comment et pourquoi des discours qui résultent pourtant de processus de fabrication complexes peuvent néanmoins apparaître comme 'naturels' et 'transparents', aux yeux des journalistes qui les ont produits autant qu'aux yeux des lecteurs qui les lisent? (Delforce 1996, 22) Bien que Delforce évoque une mise en forme « discursive », nous pouvons faire les mêmes constats pour la photographie, qui reste une construction. Au final, un malentendu peut rester présent entre le spectateur et l’image, car si le premier s’attend à ce qu’elle illustre la vérité « crue » des faits, la seconde est en réalité une mise en scène et en sens, donc une construction, qui vise toutefois à rendre les faits plus « authentiques ». Ma démarche reprend la posture adoptée par Charaudeau, et consiste donc « à voir comment apparaissent les imaginaires, dans quelle situation communicationnelle ils s’inscrivent et de quelle vision du monde ils témoignent » (2007, 60). Aussi, loin de m’intéresser à une démarche historique qui consisterait à rechercher les liens de causes à effets dans les conflits décrits dans cette thèse, j’ai cherché à décoder le message d’information. Les cadrages effectués par les journalistes ne sont en effet pas séparés des représentations sociales, ils s’influencent mutuellement et se renforcent : « Framing is concerned with the way interests, communicators, sources, and culture combine to yield coherent ways of understanding the world, which are developed using all of the available verbal and visual symbolic resources » (Reese, Gandy, et Grant 2003, 11). En étudiant les framings qui lui sont appliqués, il est nécessaire de déterminer si ceux-ci sont nouveaux, s’ils « créent » l’événement, le singularisent, ou au contraire reposent sur des systèmes antérieurs, des cadres d’interprétation déjà largement connus du public et régulièrement mobilisés. La démarche du framing, en permettant de repérer les « symboles condensateurs » scriptovisuels (titres, sous-titres, slogans, citations, mais aussi métaphores, descriptions, photographies) et les « outils qui permettent un raisonnement » (causes, conséquences, appels à des principes ou à des causes morales) (Weaver 2007, 143), permet donc ce passage à l’empirie en évitant l’écueil du prescriptif. 1.2. Tensions critiques et normatives La majorité des études qui abordent la représentation des crises humanitaires dans les médias apparaissent dans les années 90 ; certaines sont ancrées en Media Studies mais la plupart émanent de praticiens de la communication, d’historiens, de sociologues ou des humanitaires eux-mêmes. Elles sont caractéristiques d’un débat qui questionnent alors les pratiques journalistiques dans une époque marquée d’un côté par l’essor du direct et la croyance en un 15 fameux « effet CNN » , et d’un autre côté par des critiques de professionnels des médias et de l’humanitaire sur la perpétuation de certains « clichés ». Certaines se basent sur des constats peu fondés empiriquement ; en s’attachant trop à discuter des effets éventuels des médias et des représentations qu’ils 15 Le terme est lié à l’idée d’une couverture en temps réel des conflits, telle qu’elle est rendue possible par l’apparition de chaînes télévisées comme CNN consacrées à l’actualité 24/24, ce qui aurait la faculté d’alerter l’opinion publique presque instantanément sur les atrocités produites ailleurs sur le globe. 1. Introduction 15 mettent en place de la souffrance, j’estime que ces études n’ont pas suffisamment appuyé les processus culturels et sociaux à l’œuvre derrière ces types de représentation, qui m’ont au contraire intrigués. J’ai néanmoins tenu compte de ces études dans ce travail car elles ont marqué le champ que j’entends étudier, même si j’entends pour ma part, dans la logique inductive que j’ai appliquée, partir de l’empirique pour remonter à la théorie. Du côté francophone, Rony Brauman, ancien directeur de MSF France, publie un essai critique sur l'information dite « humanitaire », en collaboration avec René Backmann, alors grand reporter au Nouvel Observateur (1996). L’ouvrage n’est et ne se veut pas une étude scientifique et empirique ; il pose un regard plutôt mitigé, voire pessimiste, sur la couverture des crises humanitaires par les grands médias. Cette question de la « politique de la pitié » a été théorisée par le sociologue Luc Boltanski dans son ouvrage La souffrance à distance (1993), qui étudie pour sa part la relation supposée qui unit médias et publics via le spectacle de la souffrance. Si cet ouvrage a le mérite de poser la condition sociologique des « souffrants » et des « spectateurs », il reste plus proche d’une philosophie politique que d’une analyse des contenus et des pratiques des médias. Il y développe trois topiques qui questionnent le discours médiatique sous une forme idéalisée, que ce soit les figures de la souffrance (topique du sentiment), du coupable (topique de la dénonciation) et du spectacle (topique esthétique) ; mais il ne les vérifie pas empiriquement par des études de réception, et n’interroge que peu la fonction de l’émotion dans ces représentations. Dans la même logique mais plus récemment, Bruno David, président du groupe Communication sans frontières, a dirigé une recherche empirique qui s’est interrogée sur les représentations humanitaires au sein des 16 productions des ONG. S’il rejoint mes interrogations sur la circulation d’une mémoire culturelle et collective au sein des images, sa perception d’« une mise en récit d’un évangile » qui distribuerait les rôles entre bons et méchants (2010, 2-4) est une vision trop stéréotypée qui ne tient pas compte des limites de la photographie et les manières qu’elle aurait à interroger et construire du sens autrement sur la violence et la guerre. J’ai retenu de ces études leurs apports intéressants sur la rhétorique victimaire, la présence de médiateurs dans le récit d’information et la dimension culturelle et religieuse qui sont à la base de ces représentations, tout en relativisant leur posture normative, en nuançant leurs interrogations par des constats empiriques. Du côté anglophone, l’une des premières études portant sur des actualités internationales impliquant une dimension humanitaire dans les années 1990, a été menée par Susan Moeller (1999). Chercheuse en communication et ancienne journaliste de guerre, elle a comparé plusieurs chaînes télévisées, hebdomadaires, quotidiens et agences de presse américaines. Son travail adopte en réalité une posture critique qui insiste sur les effets négatifs des 16 David reste lacunaire sur le corpus, la temporalité et les méthodes utilisées pour cette recherche : « Communication Sans Frontières a développé empiriquement ses recherches qui entrent aujourd’hui dans une phase théorique. Toutefois, la jeunesse de cette démarche, l’évolution permanente des sciences et techniques de la communication, les freins idéologiques, culturels et sociétaux ne permettent pas encore d’établir une théorisation claire de la pratique communicationnelle des ONG. » (2010, 2). Il m’est donc difficile de démontrer en quoi son étude offre des éléments de comparaison intéressants sur le plan empirique. 16 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) médias (simplification des messages, stéréotypes, manichéisme). A l’instar des travaux ultérieurs du sociologue Keith Tester (2001) qui s’interroge sur le phénomène de banalisation des publics face à la souffrance (compassion fatigue), cette vision part à mon sens d’une vision partisane (pointer une faute « morale » des médias) et ne se donne que peu les moyens de travailler empiriquement sur les contenus médiatiques. Cette même interrogation sur la « banalisation » des images vient en écho au dernier essai de la photographe Susan Sontag sur le rapport à la douleur des autres (2003). Après avoir nié les effets subversifs de la photographie face à un public habitué à une attitude de voyeurisme dans son célèbre ouvrage Sur la photographie (1977), Sontag réaffirme l’impact émotionnel des photographies de presse. Le constat qu’elle livre en 2003 va plus loin dans l’explication des causes de cette compassion fatigue, qui naîtrait selon elle non d’une dérive médiatique, mais d’une position idéologique. Bien souvent pour Sontag, la contemplation de la douleur se figerait, entre un « Nous » (occidental) sécurisé dans des Etats de droit, démocratiques et pacifiés, et un « Ils » lointain, exposé à toutes les barbaries. Un constat qui, s’il a le mérite de questionner la relation de ceux qui regardent à ceux qui sont regardés à travers des stéréotypes ethnocentrés, ne souligne à mon sens qu’une position abstraite, idéalisée du rapport à la souffrance. Sontag travaille en effet sur une philosophie de la photographie et non sur des analyses empiriques ; sa distinction sur la distance des souffrants et des spectateurs interroge les logiques de proximité et les moyens mis en œuvre par les médias pour franchir cette distance symbolique. Toutefois, on ne peut distinguer si facilement cette distance entre une Europe et le reste du monde ; si l’on prend en compte par exemple les violences commises dans des régions européennes ou proches de l’Europe, comme le furent les guerres au Liban et en ex-Yougoslavie, elles ont interrogé la présence – ou la persistance – d’une forme de barbarie dans des Etats de droit, dont la culture reste largement tournée vers l’Occident (voir article 4). Sa position évoque également la loi de la « mort au kilomètre », bien connue par ailleurs, qui signifie que plus le mort est proche de chez nous, plus il a de chance d’être représenté dans les actualités ; par contre, pour les morts lointaines, il faudrait un nombre plus élevé de morts pour que cela fasse l’actualité, ce qui impliquerait que toutes les victimes ne se valent pas (Taylor 1998, 129‑156). On peut toutefois s’interroger sur les limites de la pudeur dans la monstration des corps, sachant aussi que dans certains cas, plus le mort est proche de nous, plus on aura de pudeur à montrer son corps meurtri ou son cadavre, ce qui renvoie encore une fois à la visibilité et la dicibilité de la mort (voir article 3). Cette vision normative est partagée par une partie des chercheurs en médias et africanistes qui critiquent la couverture médiatique des conflits africains par les médias occidentaux. Ceux-ci seraient accusés de n’utiliser que des « clichés » parfaitement « inadaptés » (Franks 2010, 73 ; Kenney 1995 ; Crawford 1996 ; Dupaquier 2002 ; Moumouni 2003), recourant trop fréquemment au « schème de la guerre ethnique » (Pontzeele 2008). Peu affirment au contraire que la couverture sur l’Afrique n’est pas si triviale et négative que cela (Scott 2009). Bien que partiellement fondées empiriquement, ces travaux partent d’un postulat idéologique que je n’ai pas souhaité suivre, préférant me laisser guider par le cheminement inductif qui était le mien. 1. Introduction 17 D’un côté donc, des études qui, qu’elles viennent de France ou des Etats-Unis, soulignent le caractère figé et les limites de telles représentations qui emphatiraient trop le sensationnel et l’émotionnel. D’un autre côté, des journalistes qui soulèvent (bien loin des stéréotypes faits-commentaire ou objectivité-subjectivité) le problème de la médiatisation d’événements dramatiques qui ne leur permettraient pas de passer sous silence, sous peine de trahison, leur dimension émotionnelle. Cela a justifié pour certains, dans la foulée, une prise de position. D’aucuns ont donc appelé à un journalisme dit d’« engagement » ou plus « humanitaire » (Bell 1998 ; Alagiah 1999). Ces arguments renvoient, au final, aux mêmes lieux communs : tendance à l’infotainment, simplification des contenus au détriment des causes des conflits, manichéisme, sensationnalisme. Ils sont d’ailleurs couramment faits aux médias et ne concernent pas uniquement les actualités humanitaires. Plusieurs raisons conjoncturelles, bien connues plus généralement, pourraient expliquer un mode de traitement dit « réducteur » ou « sensationnaliste » de l’information au sein du milieu journalistique : manque de temps ; diminution de l’information au profit du divertissement et de la tabloïdisation ; tension entre la rédaction basée dans le pays d’origine du magazine et ses correspondants locaux, en nette diminution. Il en résulte donc ces séries de critiques contre un appauvrissement des contenus médiatiques et des interrogations quant à la reconfiguration du champ journalistique (Neveu 2009), que je n’aborde pas ici puisque mon travail ne se situe pas en sociologie du journalisme. Il ne faut pas non plus négliger les aspects économiques des médias ; en ce sens, la presse magazine constitue un marché dynamique et fortement concurrentiel, notamment avec la télévision. Sa diffusion (internationale) augmente et son prix de vente diminue grâce à la publicité entre les années 1950-1960 : « Between 1900 and 2000, magazines generally became a business enterprise instead of a literary enterprise. Magazines became defined not as much by their content but by the demographic character of their audience.” (Sumner 2010, 9). Mais les magazines d’information voient toutefois une diminution de leur diffusion depuis les années 1980, au contraire de la presse féminine et de la presse people. La récession publicitaire du début des années 1990, marque un tournant pour les newsmagazines, avec un désintérêt souligné pour la politique des deux côtés de l’Atlantique, surtout parmi les jeunes ; les rédactions s’adaptent en augmentant la taille des photos et en 17 diminuant la taille des textes (Sonnac 2001). Ces considérations économiques sont aussi à mettre en parallèle des mutations sur la scène internationale, qui sont reflétées dans la rubrique internationale des magazines. J’ai en effet privilégié dans ma démarche une étude sur les fondements des représentations médiatiques, et comment elles restent profondément ancrées dans des cultures sociales, politiques et économiques. Ces représentations reflètent des cadres de référence dont les logiques changent, à l’exemple de l’aide humanitaire construite selon des axes Nord-Sud et Est-Ouest, dans des contextes géopolitiques très différents entre les années 17 Il ne m’a pas été possible, malgré mes recherches, de trouver des données présentant les meilleures ventes au numéro pour les quatre magazines concernés. Ceci est probablement dû à l’ancienneté de la période traitée dans cette thèse. 18 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 1960 et 1990 (voir Annexe 3). L’idée de départ de cette thèse était de travailler sur des contextes largement définis comme des « crises humanitaires ». S’il gomme les informations contextuelles – il faudrait lui préférer la mention claire et directe de « tremblement de terre », « guerre » ou « famine » – le terme s’est pourtant imposé dans le discours médiatique, scientifique et le grand public depuis la guerre en ex-Yougoslavie. Il est révélateur d’une évolution conjointe entre histoire de l’humanitaire, stratégies médiatiques et science politique, à prendre en considération si l’on veut comprendre ce qui opère dans les représentations à l’œuvre dans le discours des magazines. Une histoire politique de l’humanitaire divise la deuxième moitié du 20 en trois périodes-clés (Mesnard 2002 ; Barnett 2011) : ème siècle 1. La période post-coloniale (fin des années 1960 aux années 1970), caractérisée par les conflits au Biafra, au Congo, au Bangladesh, où les pouvoirs religieux ou politiques sont dominants pour comprendre ces conflits. 2. La période post-totalitaire (années 1980), marquée par l’exode des boat people, l’émergence des Droits de l'Homme ; c’est à cette période que l’on voit apparaître le paradigme mémoriel de la victime. 3. La période post-guerre froide (années 1990), débutée par la guerre du Golfe, qui voit apparaître le retour de l’ingérence politique avec les opérations militaro-humanitaires. Cette division a ramené le débat sur la politisation de l’aide humanitaire ; elle questionne indéniablement le retour du politique dans la notion de solidarité et la place centrale des gouvernements occidentaux – et leurs intérêts nationaux et stratégiques – dans l’aide internationale, qui ne saurait alors être soumise aux simples diktats de la compassion. Ces cadres de référence auraient renforcé la dichotomie entre pays développés et en développement, en jouant sur les extrêmes, ceux d’une conscience hégémonique de la part de l’Occident sur un ailleurs lointain perçu avec des relents colonialistes, « primitifs », « archaïques », parfois « barbares » (Carruthers 2004). D’une manière générale, c’est le cadre d’interprétation des conflits qui change après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide. Selon certains auteurs (Pieterse 1997 ; ème Gros 2006), l’ethnocentrisme européen se réveille à la fin du 20 siècle pour marquer la différence des brutalités exercées à l’intérieur et l’extérieur du cadre européen. On les verra ressurgir notamment dans les années 1990 avec l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et les violences perpétrées contre les civils (Slim 2001 ; Melander, Öberg, et Hall 2009). D’où mon intérêt, non pas à adopter une posture critique face à ces stéréotypes, mais à comprendre en quoi ils « remplissent aussi une fonction idéologique à l’égard des conflits et des discriminations réelles » (Villain-Gandossi et Boetsch 2001, 18). Il est alors intéressant de se concentrer sur le type d’images qui en résulte, qui permet de mieux nuancer et interpréter la construction de la rhétorique visuelle créée et la manière dont elle vient en écho au texte, créant ainsi une fluctuation de schèmes interprétatifs fournis au public. Compte-tenu de ce contexte historico-politique très évolutif, et au contraire des études précédemment évoquées, je réfute l’argument que les médias 1. Introduction 19 représenteraient l’humanitaire de façon uniformisée, d’autant plus si l’on adopte une posture constructiviste. D’où mon intérêt à nuancer ces constats par une étude transversale, diachronique, sur deux traditions différentes et sur des magazines en particulier. L’enjeu de cette thèse consiste donc à replacer ces critiques au centre d’une analyse empirique des contenus médiatiques, visant à repartir des constats contemporains autour de la dimension émotionnelle, pour mieux les déconstruire. Il s’agit donc ici de changer la focale et de dépasser cette vision normée, pour voir comment, via le « recyclage des associations de sens » et la « juxtaposition visuelle de thématiques parallèles » (Lyford et Payne 2005a, 123), ces magazines tentent de donner du sens à la violence perçue et exposée. 1.3. Médiatiser l’humanitaire dans la presse magazine : un tournant historique à démontrer En m’intéressant à une longue durée, je veux comprendre comment les médias ont recours à certains schèmes interprétatifs face à la violence de guerre. Ne s’intéresser qu’à la guerre civile en Somalie en 1992 ou au génocide rwandais de 1994, comme le font la majorité des études qui se sont penchées sur la médiatisation de l’humanitaire, marque en fait une limite artificielle dans la compréhension du contexte humanitaire, social, politique plus large, et fait l’impasse sur des pratiques rédactionnelles, sémantiques, iconographiques qui ont commencé bien plus tôt, notamment lors du Biafra qui sera la première famine télévisée. Bien au contraire, les conflits des années 1990 marquent une rupture, le début d’une mutation importante dans la géopolitique de l’humanitaire ; le génocide du Rwanda signale aussi l’échec d’une période que l’on croyait toute entière marquée par le « tapage médiatique » (Lavoinne 2005), et dont il vient cruellement illustrer la limite des effets des médias pour soulever l’opinion publique devant les atrocités commises sur une population entière. J’ai donc adopté le cadre chronologique de la guerre civile du Biafra (1967-1970) au génocide rwandais (1994), car il fait sens dans l’histoire de l’humanitaire, pour étudier la variation des récits produits par les journalistes américains et français sur des crises humanitaires majeures survenues pendant ces quelques trente années. Ce cadre permet également de repositionner ce questionnement par rapport à l’évolution parallèle de la photographie de guerre et du regard qu’elle porte sur la mort et la violence. La sous-médiatisation du Rwanda, considérée comme un « échec » par certains, est contemporaine d’un nombre croissant d’études cherchant à comprendre le lien entre information, politique étrangère et opinion publique (Weiss et Minear 1993 ; Minear, Scott, et Weiss 1996 ; Rotberg et Weiss 1996), proposant même des outils, ou du moins des perspectives pour améliorer les concertations entre acteurs concernés. Tout n’est pourtant pas né avec le direct de la guerre du Golfe et l’effet CNN ; aucune étude ne s’intéresse à la longue durée, aux perceptions profondes des représentations et au langage du visuel, bien que plus récemment, l’ouvrage de Yves Lavoinne (2002) retrace une histoire de l’évolution du champ humanitaire et le recours aux médias. Or, si l’on prend comme perspective une histoire du visuel médiatique, la photographie 20 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) offre des bornes temporelles, fixes et régulières, qui permettent de les mettre en « écho ». La photographie de guerre interroge forcément la guerre ; celle-ci, brutale et collective, a toujours entretenu des rapports particuliers avec la société. Parce qu’elle brise le tabou absolu de l’interdiction de tuer, parce qu’elle est facteur de dissolution du lien social, parce qu’elle produit des morts en masse de manière violente, la mort de guerre confronte la société à des attitudes antagonistes. Mais curieusement, qu’elle soit reçue ou donnée, elle constitue un champ à part relativement méconnu en sciences sociales : « (…) Les tués de la guerre hantent la mémoire collective et troublent la paix des vivants. Car bien plus que la mort ordinaire, la mort de guerre est singulière. Héroïque et lamentable, redoutée et attendue, injuste et acceptée, elle ne ressemble en rien à son image anticipée avant la bataille » (Capdevila et Voldman 2002, 7). Ce rapport à la mort et son lien avec le visuel, la manière dont elle fut représentée, ont connu des changements particulièrement importants dans les deux derniers siècles, compte-tenu des évolutions non seulement technologiques, mais aussi des attitudes sociologiques et anthropologiques des sociétés occidentales face à la mort de masse. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de travailler sur cette histoire de la culture visuelle de la mort à travers les représentations de la guerre lors des manifestations d’opposition à la guerre en Iraq en 2003 (voir Gorin 2013a pour 18 un aperçu historique plus large). Avec le tournant induit par la révolution ème industrielle, la pratique de la guerre au 19 siècle est entrée dans l’ère de la ème technologie. Les hécatombes consécutives aux deux conflits mondiaux du 20 19 siècle , produites par l’armement issu de l’âge industriel, notamment les bombardements, ont amené les sociétés dans le schéma de la « mort 20 inversée » cher à Philippe Ariès (1977), une mort de masse avec laquelle les sociétés occidentales ont dû apprendre à vivre et qu’elles considèrent dorénavant comme « obscène » (Gorer 2004) et qui dérange certainement dans son exhibition et son étude. Le manque d’études contemporaines en la matière avait justement mené la revue Questions de communication à publier deux numéros spéciaux sur la mort dans les médias en 2011, à laquelle j’ai participé (voir article 3). La représentation de la mort de guerre, d’autant plus quand il s’agit de civils, est relativement récente. On compte quelques rares témoignages picturaux par le passé, notamment la série de gravures Les misères de la guerre de l’artiste ème Jacques Callot au 16 siècle, ou les Désastres de la guerre, violente diatribe iconographique de Francisco Goya contre la brutalité des campagnes napoléoniennes à la fin du 19ème siècle. Cependant, la rhétorique visuelle à 18 Bien que l’article ne porte pas spécifiquement sur les médias mais plutôt sur les conceptions individuelles de la mort dans les centaines d’affiches créées par des individus dans les mouvements d’opposition à la guerre en Europe et aux Etats-Unis, cet article questionne en parallèle de ce travail de thèse le dicible et le visible des représentations liées à la mort, ainsi que la circulation d’une mémoire visuelle collective des épisodes des violences de masse. 19 Près de 9 millions de morts pour 1914-1918 et plus de 50 millions pour 1939-1945. 20 Dans son ouvrage L’homme devant la mort, Ariès reprend les conclusions de Gorer pour qualifier les attitudes de deuil à l’époque contemporaine. A l’inverse des pratiques médiévales où les hommes prenaient une part active à leur mort en acceptant l’idée de mourir et en s’y préparant (« la mort apprivoisée »), l’homme contemporain semble vouloir refuser toute idée de mourir ; on entre donc dans une mort cachée, taboue, médicalisée. 1. Introduction 21 ème l’œuvre dans la mort de guerre va changer fondamentalement entre le 19 et ème le 20 siècle ; les représentations passent de l’héroïsation du conflit à la perte de sens (Puiseux 1997, 243), montrant un changement profond des mentalités face aux violences de guerre. La mort de guerre est perçue comme quelque chose qui doit être représenté de manière insoutenable: « Plus que les ruines (sauf de bâtiments symboliques), blessés et morts civils forment par exemple un langage en images immédiatement compréhensible, maniant les atteintes aux innocents (enfants, femmes, vieillards, suivant une grammaire accusatrice décroissante). » (Gervereau 2003, 85). C’est cette échelle de la souffrance que j’ai d’ailleurs relevée dans mon corpus. La rhétorique victimaire qu’elle implique s’affirme avec le tournant de la Deuxième Guerre mondiale et le génocide juif ; l’horreur de la découverte des camps nazis en 1945 se diffuse largement dans les photographies des charniers parues dans la grande presse illustrée. Ce tournant inédit dans l’usage des photographies de presse d’atrocités dans l’actualité sera par la suite 21 régulièrement qualifié de « pédagogie de l’horreur » par les historiens. Entre les années 1950 et 1960 se généralise ainsi une représentation de la guerre tournée vers la figure centrale de la victime, la mort de masse, la mort reçue, la douleur, la souffrance et la perte. Cette vision domine d’ailleurs dans les représentations médiatiques que j’ai étudiées. Elle est consécutive au développement de l’action humanitaire moderne et des Conventions de Genève qui visent à protéger des catégories de population de plus en plus vastes et la montée du Droit International Humanitaire (DIH). Nul doute que le récit médiatique suive alors cette réalité statistique, en s’inspirant de la trame du fait divers, qui familiarise depuis les temps modernes déjà les publics à la violence, le drame et la mort. Les récits de fait divers proposent un investissement émotionnel vis-à-vis des abusés et la réprobation des abuseurs (Farge 1992 ; Dubied 2004). Au final, l’usage de la victime innocente occupe une partie des études sur la médiatisation des conflits armés. La théorie de Brauman, qui est le premier à proposer l’idée du « niveau symbolique du ‘statut de la victime’ » qui doit être perçue comme « pure, non participante » (1996, 24), semble être privilégiée dans une partie des études médiatiques sur les guerres en Iraq et en Afghanistan (Moeller 2002 ; Zelizer 2005 ; Wells 2007 ; Konstantinidou 2007 et 2008) ; quoique ces études aient permis des développements intéressants sur les marqueurs sémiotiques de la souffrance exposée, mes propres observations m’ont permis de relativiser l’apparition dite « récente » de l’enfant dans la rhétorique victimaire (voir article 6). De ce fait, cette vision symbolique de la souffrance est concomitante de la présence du journaliste sur le terrain, en tant que bystander. Le marquage visuel de sa présence sur le terrain (le lien est beaucoup plus évident en anglais dans le terme de eyewitness) s’effectue en parallèle, comme j’ai pu le constater, de l’apparition de la rhétorique victimaire et favorise aussi l’utilisation de récits des témoins, notamment ceux des survivants. 21 Le terme fait référence à un acte du général Eisenhower, qui amena une trentaine de membres du Congrès américain pour inspecter les camps de concentration à leur libération en 1945, et qui furent forcés de « regarder l’horreur en face » (Zelizer 1997, 69). 22 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Ces marqueurs sémiotiques traduisent aussi des logiques de proximité créées dans le discours médiatique pour favoriser un investissement émotionnel de la part des publics, comme le soulignent les travaux de Chouliaraki (2006 ; 2013). La pitié serait selon elle un cadre de référence qui donne du sens ; elle présuppose également des sensibilités affectives et cognitives chez ce spectateur. Ce que Chouliaraki évoque sur la description des victimes et des persécuteurs (qui est représenté et comment ?), ainsi que la portée évaluative des énoncés médiatiques (ont-ils une dimension morale ? normative ?) ouvre largement la voie à des analyses de contenu, d’images et de discours, que j’ai effectuées en partie avec ces premières pistes. D’autres travaux en parallèle ont développé la propension de la photographie aux associations analogiques ou à la « métaphore visuelle » (Fahmy 2004 ; Fahmy et Kim 2008), ce qui m’a permis de croiser ici l’approche historique qui m’intéresse, à savoir la notion de mémoire des événements antérieurs dans les médias. J’avais déjà travaillé sur cet aspect dans la photographie humanitaire, même si j’avais préféré évoquer à la place de la métaphore, le terme « d’ellipse 22 référentielle » (Gorin 2009, 145). L’« ellipse référentielle » part du principe que certains « signes » verbaux ou iconographiques fonctionnent comme des raccourcis pour le lecteur-spectateur des médias, faisant appel ou référence à des événements antérieurs connus et fonctionnant comme une échelle de valeur pour comprendre et percevoir l’événement décrit et/ou représenté. L’argument est également appuyé par l’historien Philippe Mesnard qui le place même au centre de son argumentation (2002). Selon lui, la manière de représenter les crises humanitaires est liée à des habitudes ancrées historiquement et fonctionnent en cercle fermé, en autoréférence à d’autres crises qui constituent la mémoire collective de l’action humanitaire. Son étude propose trois événements référentiels principaux : la Deuxième Guerre mondiale, la guerre civile du Biafra et la guerre du Vietnam. L’analyse empirique que j’ai menée démontre que les trois référents de Mesnard sont bien présents, mais qu’ils font concurrence, dans la mémoire collective, à d’autres épisodes du même type présents dans la structure de l’information. D’où l’inscription de cette mémoire dans la photographie, qui permet mieux que d’autres supports de fixer ce sens. Le choix de ne pas inclure de corpus télévisé (à l’exception de l’article 2) part également de mon interrogation sur la relation de la mémoire à l’image fixe, puisque je me suis intéressée avant tout à la construction de ces horizons référentiels iconiques et non à la dimension temporelle de l’information, c’est-à-dire à la vitesse de diffusion et la question du direct. Cette inscription mémorielle dans la photographie est rendue possible d’une part par son usage de la métonymie, c’est-à-dire l’exemplarisation de la généralité par l'unique. L’icône de guerre serait par conséquent présentée comme un résumé, une cristallisation des faits représentés. D’autre part, la photographie a une résonance culturelle, qui s’appuie justement sur ce lien 22 Cet article, publié dans un ouvrage dirigé par Gianni Haver sur la photographie de presse, a permis de poser le fondement de mes axes de recherche pour la thèse, en questionnant l’historicité d’un regard « humanitaire » qui se serait construit sur la violence de guerre via le photoreportage. 1. Introduction intericonique 12‑19). 23 23 avec des icônes dont la valeur est primordiale (Perlmutter 1998, La photographie apparaît dès lors comme un élément essentiel de mécanisme de cadrage de l’information (ou framing), qui vise à privilégier une interprétation particulière des événements. Le framing est un concept utilisé en sciences de la communication qui dérive directement de la théorie des « cadres de l’expérience » de Goffman (1974). Pour Goffman, les interactions sont comprises par les gens selon des « cadrages premiers », ou schèmes interprétatifs, qui leur permettent de classer l'information et de l'interpréter en connaissance de cause. En sciences de la communication, ce concept consiste principalement à repérer les « cadres » d’interprétation construits par les médias autour d’un événement, pour évaluer ce qu’ils donnent à comprendre et à retenir de l’événement à leurs publics, ce qui permet de réduire la complexité d'un objet. Les développements de la théorie du framing ont été multiples ; nous retiendrons ici principalement les études qui portent sur la manière dont les cadrages se construisent (frame building) (Scheufele 1999), en particulier à travers la photographie (voir article 5). Le photographe, en cadrant, effectue déjà un premier choix en choisissant ce qui est mis à l’image et ce qui en est exclus. Ce d’autant plus que la plupart des photographes émanent de la sphère occidentale, et qu’ils font parfois usage de cadres pré-formatés, comme le confirment certains (trop rares) témoignages de photographes. En évoquant sa pratique, Stan Honda indique qu’il aime prendre des « photos qui racontent une histoire » (Lyford et Payne 2005b, 147), ce qui rappelle l’idée du photographe français Jean-Claude Coutausse de construire une « scène emblématique » ou la « tentation du cliché », car il lui faut « réunir parfois beaucoup de signes en une seule image » (2002, 78). Ces considérations faites, le travail exposé ici a donc tenté de répondre à une série de questions transversales : Comment fonctionnent ces dispositifs médiatiques face à la souffrance ? Comment sont-ils inscrits dans les marqueurs sémiotiques et la structure du message d’information ? Jouent-ils uniquement sur un registre émotionnel ou impliquent-ils des considérations politiques, sociales, éthiques, idéologiques ? Quelles figures sont particulièrement mises en avant ? Cette analyse comparative m’a permis aussi de nuancer les différents constats mentionnés, particulièrement l’usage d’images dramatiques, sensationnelles, victimisantes ou simplistes, qu’il a fallu ramener à une véritable analyse des contenus et à étude sémiologique, ainsi qu’à une réflexion sur l’usage des stéréotypes (visuels) : que peut-on dire du rôle joué par la photographie dans les actualités ? Comment fonctionne-t-elle, selon ses capacités d’objectivation, de connotation, de métonymie, voire d’analogie ? Quels sont ses liens avec la mémoire, les événements représentés par le passé, l’imaginaire, les représentations sociales, les « clichés » ? Quel apport amène-t-elle dans la symbolique médiatique ? Quels sont ses référents mémoriels (sa mise en « icône ») ? 23 Je préfère le terme d’intericonicité plutôt que celui de « culture iconique » ou de « citation d’images » également évoqués par Lambert (1986, 97, 103 et 105). Celui-ci mentionne toutefois que toute intericonicité est contruite à la fois sur image mouvante et image fixe ; le rôle du cinéma, de la peinture, de la publicité n’est en ce sens pas négligeable. 24 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 1.4. Structure J’ai abordé dans ces articles une partie relative de ce que permet en réalité l’ampleur du corpus étudié et des questionnements qui en ont émergé. Ma participation à plusieurs colloques m’a guidée dans les choix qui ont été faits de creuser plus spécifiquement certaines approches, avec comme regard commun le rapport entre violences de masse et médias et la représentation des souffrances au sein du discours d’information de la presse magazine. Ce cheminement, qui n’est pas linéaire, se reflète dans les articles présentés ici, qui soulignent la variété des thématiques abordées et leurs ouvertures empiriques et théoriques. Ils reposent tous sur un cheminement particulier au sein du corpus et ouvrent parfois à des questionnements interdisciplinaires. Il me faut préciser qu’ils ne sont pas présentés ici dans l’ordre dans lequel ils ont été conçus. Cela suit d’ailleurs en grande partie la démarche inductive que j’ai suivie ; je retrace donc ici leur agencement et leur structure dans ce parcours scientifique. J’ai en effet commencé mes analyses empiriques avec le premier article en 2009, qui m’a surtout permis de tester mes pistes de recherche sur la mémoire symbolique avec la théorie du framing, et plus particulièrement avec les mécanismes de cadrage. Cette première analyse exploratoire a ensuite été approfondie dans l’article 3 entre 2010 et 2011, en renforçant la dimension comparative et surtout la sémiotique à l’œuvre dans les représentations visuelles et discursives autour de la mort. Entre 2011 et 2012, ce questionnement autour de la visibilité de la mort, et plus précisément celle du bourreau, ont mené à l’écriture du quatrième article qui s’inscrit cette fois dans une perspective plus anthropologique. La prise de distance progressive avec la dimension critique des études sur la pitié, et notamment sur leurs aspects normatifs, ne s’est faite qu’à la fin de la thèse, en 2013, lors de la rédaction des articles 2, 5 et 6. Cette prise de distance est devenue manifeste après la présentation régulière des résultats dans divers colloques, et surtout la vision globale du corpus qui m’a permis de nuancer les critiques apparues dans les travaux précédents. Le point de départ du premier article, An iconography of pity and a rhetoric of compassion : war and humanitarian crises in the prism of American and French newsmagazines (1967-1995) correspond à la phase exploratoire de la 24 recherche. En comparant alors quatre conflits éloignés temporellement et géographiquement (le Biafra, le Liban, la Somalie et la Bosnie), l’étude m’a permis de mettre en place le repérage des cadrages médiatiques, et surtout leur permanence dans le temps. Sur un « échantillon théorique » (le corpus était alors composé d’environ 500 articles), j’ai procédé à une première identification des éléments de cadrage (thématiques, références historiques, acteurs représentés) dans les titres, sous-titres, textes, citations, légendes et images. La démarche a suivi la proposition de Tankard (2001) et m’a permis d’établir la comparaison interculturelle entre deux sphères proches que sont les newsmagazines américains et français. Cette démarche qualitative correspondait au début de l’analyse de contenu, et permettait ainsi de coller les 24 Cet article a été publié sous la forme d’un chapitre dans l’ouvrage collectif Selling War. The Role of the Mass Media in Hostile Conflicts from World War I to the ‘War on Terror’ (Gorin 2013b). Il est issu d’une présentation faite à la conférence “War and the Public Sphere” à Vienne en mars 2009. 1. Introduction 25 concepts (tels que pitié ou victime) aux phénomènes qui relevaient de spécificités identiques, pour créer les premières catégories de codage (typologie des victimes, événements historiques) ; il ne s’agissait pas encore d’une démarche quantitative complète. Le deuxième article, La guerre civile du Biafra comme « crise matricielle » des représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains (1967-1970), a consisté à revenir spécifiquement sur cette guerre significative dans la mémoire collective comme socle représentationnel de l’humanitaire moderne, et donc à approfondir dans ce cas uniquement une analyse intra25 événementielle. Dans ce cadre, c’est non seulement la rhétorique victimaire, particulièrement autour des enfants, qui a été interrogée mais aussi la place de l’acteur humanitaire comme expert/témoin/médiateur au sein du discours d’information, ainsi que les énoncés autour de la labellisation du conflit. Comptetenu de la prégnance de la visibilité télévisuelle du CICR au sein de cette guerre et sa dimension historique et mémorielle dans le paysage humanitaire suisse et français, le corpus a exceptionnellement été élargi dans cette étude à la télévision, et à la Suisse. Au total, 165 émissions et 86 articles ont été étudiés via une analyse de contenu pour repérer les différents cadrages, puis une analyse iconographique et sémantique ont été utilisées sur les parties du corpus relatives à la rhétorique victimaire et la rhétorique accusatoire. Le troisième article, « Le martyre des innocents » : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (1967-1994), s’inscrit dans une perspective d’approfondissement de la construction de sens 26 autour des violences subies et montrées, et particulièrement la mort. Une analyse de contenu a été effectuée sur les 662 articles du corpus relatifs aux quatre conflits étudiés, puis vingt-quatre extraits textuels et six photographies ont été analysés plus finement, par des analyses iconographique et sémantique, compte-tenu de leur représentativité de la mort et/ou la violence de masse. En questionnant encore une fois les différences entre des espaces géographiques et temporels espacés (le Biafra, le Liban, la Bosnie, le Rwanda) sur des violences de masse, cette étude a permis d’appréhender quelles étaient les formes de morts montrées mais aussi cachées, ainsi que les sensibilités en jeu face aux victimes, et surtout les limites entre dicible et visible face à la mort telle qu’elle s’expose dans le discours médiatique. Le quatrième article, Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie, aborde les enjeux 27 liés à la visibilité de la figure du coupable. Dans ce cadre, il ne s’agissait pas d’appliquer une analyse de contenu quantitative ; les analyses sémiologiques et discursives utilisées se sont plutôt concentrées spécifiquement sur deux conflits (le Liban et la Bosnie, soit 498 articles) pour comprendre comment la mise en 25 L’article a été soumis à la revue Le Temps des Médias. Il est issu de la présentation faite dans le panel « L’humanitaire à travers les frontières », lors des Journées suisses d’histoire en février 2010. 26 Cet article a été publié dans la revue Questions de communication (Gorin 2011). Il a été publié dans le cadre d’un numéro spécial sur « Evoquer la mort ». 27 Cet article a été soumis à la revue Emulations, pour un numéro spécial sur « L’anthropologie des violences de masse » ; il est actuellement en cours de révision. Il a fait suite à une présentation au colloque « Anthropologie historique des pratiques de violences de masse » tenu à Paris en novembre 2011. 26 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) mots et en images du « bourreau » a été rendue possible par des événements emblématiques, mais aussi la présence de journalistes sur les lieux. Dans ces contextes où le lien de causalité entre persécutés et persécuteurs a été rendu plus évident, cette analyse a permis d’aborder les enjeux autour de la judiciarisation qui imprègne alors le discours médiatique autour des crimes de guerre, et plus largement, son rapport à une approche anthropologique des violences commises. Le cinquième article, Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines, a servi à revenir à une dimension théorique plus globale à la fin des analyses de cadrage, 28 pour comprendre le rôle spécifique de l’image de presse dans ce dispositif. L’intérêt consistait à proposer une synthèse autour du concept de visual framing et son développement récent en sciences de la communication, en travaillant ici sur l’ensemble des conflits sélectionnés pour ce travail de thèse. Dans cette discussion théorique, la place spécifique des unes de magazines m’a amenée à travailler la condensation des mécanismes de cadrage qu’elles permettent. A ce titre, 143 unes ont été étudiées, tout d’abord via une analyse de contenu thématique pour identifier les éléments visuels et textuels composant chacune des unes ; puis une analyse iconographique portant spécifiquement sur les mécanismes du cadrage visuel, permettant notamment de repérer les figures métonymiques, synecdotiques, symboliques à l’œuvre dans ces représentations visuelles et leur lien avec le texte. Le sixième article, “Suffer the Children”: the metonymic use of youth figures in American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (19671994), propose un regard plus exhaustif sur l’ensemble du corpus et se situe 29 dans la lignée de l’intérêt académique récent pour l’enfance en guerre. Construit sur l’ensemble du corpus, à savoir les 911 articles, il a permis, via l’analyse de contenu, de repérer les images ou les parties des textes traitant spécifiquement des enfants, pour ensuite travailler par des analyses iconographiques ou sémantiques sur des extraits photographiques et discursifs. Cet article permet aussi de proposer un regard plus transversal aux points mis en évidence dans l’article sur le Biafra. En abordant l’un des résultats principaux, à savoir la focale dominante sur la figure des enfants comme symboles absolus de l’innocence, j’ai voulu aussi démontrer en quoi ce cadrage est concomittant de la place des humanitaires dans le discours médiatique, et comment il permet d’interroger la médiatisation de la souffrance de guerre dans son ensemble, que ce soit le choix des images et de l’émotion mais aussi l’interpellation morale qui préfigure bien souvent cette pratique au sein des discours journalistiques. Références Abric, Jean-Claude. 1996. « De l'importance des représentations sociales dans les problèmes d'exclusion sociale ». In Exclusion sociale, insertion et prévention, édité par J.C Abric, 11-17. Ramonville Saint-Agne, France : Érès. 28 29 L’article a été soumis à la revue Visual Communication. Il est actuellement en cours de révision. L’article a été soumis à la revue Journalism. Il est actuellement en cours de révision. 1. Introduction 27 Alagiah, George. 1999. « New light on the Dark Continent ». The Guardian, May 3, sect. media. Arendt, Hannah. 1967. Essai sur la révolution. Paris : Gallimard Ariès, Philippe. 1977. L’homme devant la mort. Paris : Seuil. Arquembourg, Jocelyne. 2006. « De l’événement international à l’événement global : émergence et manifestations d’une sensibilité mondiale ». Hermès 46: 13‑21. Auerbach, Yehudith, and Yaeli Bloch-Elkon. 2005. "Media framing and foreign policy: the elite press vis-à-vis US policy in Bosnia, 1992-1995". Journal of Peace Research 42(1): 83‑99. Bandeira de Mello, Rodrigo, et Lionel Garreau. 2011. « L’utilisation d’Atlas.ti pour améliorer les recherches dans le cadre de la Méthode de la Théorisation Enracinée (MTE) : panacée ou mirage? » Recherches qualitatives 30(2): 175‑ 202. Banks, Anna. 1994. "Images trapped in two discourses: photojournalism codes and the international news flow". Journal of Communication Inquiry 18(1): 118‑ 134. Barnett, Michael. 2011. Empire of Humanity: A History of Humanitarianism. Ithaca, NY: Cornell University Press. Barthes, Roland. 1964. « Rhétorique de l'image ». Communications 4(4): 40-51. Bell, Martin. 1998. "The journalism of attachment". In Media Ethics, M. Kieran, 15‑22. London: Routledge. Bennett, Stephen E., Richard S. Flickinger, John R. Baker, Staci L. Rhine, and Linda L. M. Bennett. 1996. "Citizens’ knowledge of foreign affairs". The International Journal of Press/Politics 1(2): 10‑29. Bloch-Elkon, Yaeli. 2007. "Studying the media, public opinion, and foreign policy in international crises: the USA and the Bosnian crisis, 1992-1995". The International Journal of Press/Politics 12(4): 20‑51. Blumer, Herbert. 1954. "What is wrong with social theory?" American Sociological Review 19(1): 3‑10. Bodson, Jean-Marc. 2005. « Tristes optiques ». Médiatiques (37): 7‑11. Boettcher, William A. 2004. "Military intervention decisions regarding humanitarian crises: framing induced risk behavior". Journal of Conflict Resolution 48(3): 331‑355. Boltanski, Luc. 1993. La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique. Paris : Métailié. Bowen, Glenn. 2006. "Grounded theory and sensitizing concepts". International Journal of Qualitative Methods 5(3): 12‑23. Brauman, Rony, et René Backmann. 1996. Les médias et l’humanitaire. Paris : CFPJ. Buton, Philippe (éd.). 2002. La guerre imaginée. Paris : Seli Arslan. 28 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Capdevila, Luc, et Danièle Voldman. 2002. Nos morts. Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre. Paris : Payot. Carruthers, Susan. 2004. "Tribalism and tribulation: Media constructions of “African savagery” and “Western humantarianism” in the 1990s". In Reporting war. Journalism in wartime, edited by A. Stuart and B. Zelizer, 155‑173. London and New York: Routledge. Chang, Tsan-Kuo, Pamela J. Shoemaker, and Nancy Brendlinger. 1987. "Determinants of international news coverage in the US media". Communication Research 14(4): 396‑414. Charaudeau, Patrick. 2007. « Les stéréotypes c’est bien. Les imaginaires c’est mieux ». In Stéréotypage, stéréotypes: fonctionnements ordinaires et mises en scène, édité par H. Boyer, 49‑62. Paris : L’Harmattan. Charon, Jean-Marie. 2001. « La presse magazine : un média à part entière? » Réseaux 1(105): 53‑78. Chouliaraki, Lilie. 2006. The Spectatorship of Suffering. California: Sage. ———. 2013. The Ironic Spectator: Humanitarianism. Cambridge: Wiley. Solidarity in the Age of Post- Corbin, Juliet, and Anselm Strauss. 1990. "Grounded theory research: Procedures, canons, and evaluation criteria". Qualitative Sociology 13(1): 3‑21. Coutausse, Jean-Claude, et Renaud Ego. 2002. « C’est fragile, une image ». La pensée de midi 3(9): 77‑89. Crawford, Neta C. 1996. "Imag(in)ing Africa". The International Journal of Press/Politics 1(2): 30‑44. David, Bruno. 2010. « Vers un iconoclasme humanitaire? » Humanitaire (25). Delforce, Bernard. 1996. « La responsabilité sociale du journaliste: donner du sens ». Les Cahiers du Journalisme (2): 16‑32. Dubied, Annik. 2004. Les dits et les scènes du fait divers. Genève, Paris : Droz. Dufays, Jean-Louis. 2004. « Rumeur et stéréotypie : l’étrange séduction de l’inoriginé ». Protée 32(3): 25‑31. Dupaquier, Jean-François. 2002. « Informer sur l’Afrique : “Silence, les consommateurs d’informations ne sont pas intéressés, ou ne sont pas solvables” ». Mouvements (21-22): 89‑95. Fahmy, Shahira. 2004. "Picturing Afghan women. A content analysis of AP wire photographs during the Taliban regime and after the fall of the Taliban regime". Gazette: the International Journal for Communication Studies 66(2): 91‑112. Fahmy, Shahira, et Daekyung Kim. 2008. "Picturing the Iraq war. Constructing the image of war in the British and US press". The International Communication Gazette 70(6): 443‑462. Farge, Arlette. 1992. Dire et mal dire, l’opinion publique au XVIIIe siècle. Paris : Seuil. 1. Introduction 29 Franks, Suzanne. 2010. "The neglect of Africa and the power of aid". The International Communication Gazette 72(1): 71‑84. Garcia, Maria, et Guy Golan. 2008. "Not enough time to cover all the news: a study of international news coverage in Time and Newsweek". Journal of Global Mass Communication 1(1-2): 41‑56. Garcin-Marrou, Isabelle. 1996. « L’événement dans l’information sur l’Irlande du Nord ». Réseaux 14(76): 47‑60. Gervereau, Laurent. 2003. « La guerre n’est pas faite pour les images ». Vingtième Siècle. Revue d’histoire 80: 83‑88. Ghanem, Salma. 1997. "Filling in the tapestry: The second level of agenda setting". In Communication and Democracy. Exploring the intellectual frontiers in agenda-setting theory, edited by Maxwell McCombs, Donald Shaw, and David Weaver, 3‑14. New Jersey: Lawrence Erlbaum. Girardet, Edward (éd.). 1995. Somalia, Rwanda, and beyond: the role of international media in wars and humanitarian crises. Crosslines. Dublin. Goffman, Erving. 1974. Frame analysis: An essay on the organization of experience. London: Harper and Row. Gorer, Geoffrey. 2004. Ni pleurs ni couronnes. Précédé de Pornographie de la mort. Paris : E.P.E.L. Gorin, Valérie. 2009. « La photographie de presse au service de l’humanitaire: rhétorique compassionnelle et iconographie de la pitié ». In Photo de presse, edited by Gianni Haver, 141-152. Lausanne : Antipodes. ———. 2011. « “Le martyre des innocents” : Mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (1967-1994) ». Questions de communication 20: 105‑134. ———. 2013a. « 'In war’s eyes we all look alike' : représentations de la mort et corps en souffrance dans les affiches de protestation contre la guerre d’Iraq. » In La mort et le corps dans les arts aujourd'hui, dirigé par Sylvia Girel et Fabienne Soldini. Paris: L'Harmattan. ———. 2013b. "An Iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-95)". In Selling War. The Role of the Mass Media in Hostile Conflicts from World War I to the « War on Terror », edited by Josef Seethaler, Matthias Karmasin, Gabriele Melischek, and Romy Wöhlert, 135‑156. Bristol, Chicago: Intellect. Griffin, Michael. 2004. "Picturing America’s “War on Terrorism” in Afghanistan and Iraq. Photographic motifs as news frames". Journalism 5(4): 381‑402. Gros, Frédéric. 2006. Etats de violence. Essai sur la fin de la guerre. Paris : Gallimard. Halbwachs, Maurice. 1997. La mémoire collective. Paris : Albin Michel. Hallin, Dan. 1986. The Uncensored war: the media and Vietnam. Berkeley and Los Angeles: University of California Press. 30 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) ———. 1994. « Images de guerre à la télévision américaine. Le Vietnam et le Golfe persique ». Hermès 13-14: 121‑132. Hammond, Philip. 2004. "Humanizing war. The Balkans and beyond". In Reporting war. Journalism in wartime, 174 ‑ 189. London and New York: Routledge. Hindell, Keith. 1995. "The influence of the media on foreign policy". International Relations 12: 73‑83. Jakobsen, Peter Viggo. 2000. "Focus on the CNN effect misses the point: the real media impact on conflict management is invisible and indirect". Journal of Peace Research 37(2): 131‑143. Joly, Martine. 1993. Introduction à l'analyse de l'image. Paris: Armand Colin. Kenney, Keith. 1995. "Images of Africa in newsmagazines: is there a Black perspective?" The International Communication Gazette 54: 61‑85. Knightley, Philip. 2004. The First Casualty: The War Correspondent as Hero and Myth-Maker from the Crimea to Iraq. Baltimore: John Hopkins University. Konstantinidou, Christina. 2007. "Death, lamentation, and the photographic representation of the Other during the Second Iraq War in the Greek newspapers". International Journal of Cultural Studies 10(2): 147‑166. ———. 2008. "The spectacle of suffering and death: the photographic representation of war in Greek newspapers". Visual Communication 7(2): 143‑169. Lambert, Frédérc. 1986. Mythographies, la photo de presse et ses légendes. Paris : Edilig. Lavoinne, Yves. 2002. L’humanitaire et les médias. Lyon : Presses universitaires de Lyon. ———. 2005. « Médecins en guerre : du témoignage au "tapage médiatique" (1968-1970). » Le Temps des Médias 1(4): 104-126. Lejeune, Christophe. 2010. « Montrer, calculer, explorer, analyser. Ce que l'informatique fait (faire) à l'analyse qualitative ». Recherches qualitatives (9): 1532. Lits, Marc. 1999. « Sensation, sensationnel et sensationnalisme ». Médiatiques 16: 3‑5. Lyford, Amy, and Carol Payne. 2005a. "Photojournalism, mass media and the politics of spectacle". Visual Resources 21(2): 119‑129. ———. 2005b. "Stan Honda: an interview". Visual Resources 21(2): 147‑154. Melander, Erik, Magnus Öberg, and Jonathan Hall. 2009. "Are “new wars” more atrocious? Battle severity, civilians killed and forced migration before and after the end of the Cold war". European Journal of International Relations 15(3): 505 ‑536. Mesnard, Philippe. 2002. La victime écran. La représentation humanitaire en question. Paris : Textuel. 1. Introduction 31 Minear, Larry, Colin Scott, and Thomas Weiss. 1996. The news media, civil war, and humanitarian action. Boulder/London: Lynne Rienner Publishers. Moeller, Susan. 1999. Compassion fatigue. How the media sell disease, famine, war and death. New York and London: Routledge. ———. 2002. "A hierarchy of innocence: the media’s use of children in the telling of international news". The International Journal of Press/Politics 7(1): 36‑ 56. Moscovici, Serge. 1961. La psychanalyse, son image, son public. Paris : PUF. Moumouni, Charles. 2003. « L’image de l’Afrique dans les médias occidentaux: une explication par le modèle de l’agenda-setting ». Les Cahiers du Journalisme (12): 152‑169. Neveu, Erik. 2009. Sociologie du journalisme. Paris : La Découverte. Nora, Pierre. 1978. « La mémoire collective ». In La nouvelle histoire, dirigé par Jacques Le Goff, 398-401. Paris : Retz-CEPL. Palmer, Michael. 2003. « “Shocking - you can’t publish that!”. De quelques mots sensibles, vus/lus/entendus en traversant la Manche ». Le Temps des Médias 1(1): 139‑147. Pédon, Eric, et Jacques Walter. 2002. « Dossier: Les médias et les guerres en ex-Yougoslavie. Débats, théories, méthodes. » Questions de communication 1: 3‑7. Peirce, Charles. 1978. Ecrits sur le signe. Paris: Seuil. Perlmutter, David. 1998. Photojournalism and Foreign Policy. Icons of Outrage in International Crises. Westport: Praeger Publishers. Perlmutter, David, and Gretchen Wagner. 2004. "The anatomy of a photojournalistic icon: marginalization of dissent in the selection and framing of “a death in Genoa”". Visual Communication 3(1): 91‑108. Pieterse, Jan Nederveen. 1997. "Sociology of humanitarian intervention: Bosnia, Rwanda and Somalia compared". International Political Science Review 18(1): 71‑93. Pontzeele, Sophie. 2008. « Le schème de la “guerre ethnique” dans la médiatisation des crises africaines: Burundi 1972 et Rwanda 1994 ». Les Cahiers du Journalisme (18): 166‑182. Puiseux, Hélène. 1997. Les Figures de la guerre. Représentations et sensibilités, 1839-1996. Paris : Gallimard. Reese, Stephen. 2007. "The framing project: a bridging model for media research revisited." Journal of Communication 57: 148-154. Rotberg, Robert, and Thomas Weiss (eds). 1996. From massacres to genocide. The Media, Public Policy and Humanitarian Crises. Cambridge, Massachussetts: The World Peace Foundation. Ryfman, Philippe. 2008. Histoire de l’humanitaire. Paris : La Découverte. Scott, Martin. 2009. "Marginalized, negative or trial? Coverage of Africa in the UK press". Media Culture & Society 31(4): 533‑557. 32 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Slim, Hugo. 2001. "Violence and humanitarianism: moral paradox and the protection of civilians". Security Dialogue 32(3): 325‑339. Solomon-Godeau, Abigail. 2010. « Photographier la catastrophe ». Terrain (54): 56‑65. Sonnac, Nathalie. 2001. « L'économie des magazines. » Réseaux 1(105): 79100. Sontag, Susan. 1977. Sur la photographie. Paris : Christian Bourgois. ———. 2003. Devant la douleur des autres. Paris : Christian Bourgois. Strauss, Anselm, and Barney Glaser. 1967. The discovery of grounded theory. Strategies for qualitative reseach. Chicago: Aldine. Sumner, David. 2010. The Magazine Century: American Magazines Since 1900. New York: Peter Lang. Tankard, James. 2001. "The empirical approach to the study of media framing". In Framing Public Life, edited by Reese, Gandy and Grant, 95‑106. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum. Taylor, John. 1998. Body horror. Photojournalism, catastrophe and war. New York: New York University Press. Tester, Keith. 2001. Compassion, morality, and the media. Maidenhead, Berkshire: Open University Press. Villain-Gandossi, Christiane. 2001. « La genèse des stéréotypes dans le jeu de l’identité/altérité Nord-Sud ». Hermès 30: 27‑40. Weaver, David. 2007. "Thoughts on agenda setting, framing, and priming". Journal of Communication 57: 142‑147. Weiss, Thomas, and Larry Minear (eds). 1993. Humanitarianism across borders: Sustaining civilians in times of war. Boulder: Lynne Rienner Publishers. Wells, Karen. 2007. "Narratives of liberation and narratives of innocent suffering: the rhetorical uses of images of Iraqi children in the British press". Visual Communication 6(1): 55‑71. Zelizer, Barbie. 1997. « La photo de presse et la libération des camps en 1945 : images et formes de la mémoire. » Vingtième siècle. Revue d'histoire 54(1): 6178. ———. 1998. Remembering to Forget: Holocaust Memory through the Camera’s Eye. Chicago: University Of Chicago Press. ———. 2004. "When war is reduced to a photograph". In Reporting war. Journalism in wartime, edited by Barbie Zelizer et Stuart Allan, 115‑135. London and NY: Routledge. ———. 2005. "Death in wartime: photographs and the “Other War” in Afghanistan". The International Journal of Press/Politics 10(3): 26‑55. 2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-1995)” 33 2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-1995)” In: Selling War: The Role of the Mass Media in Hostile Conflicts from World War I to the "War on Terror", edited by Josef Seethaler et alii, 135-156. Briston: Intellect. 34 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Summary This chapter explores the rhetoric of compassion in media framings of humanitarian crises in a historical and cultural perspective across space and time. It shows the first results of an exploratory analysis of media narratives and images of war between the 1960s and the 1990s. Benefiting from the cover of the mass media, modern humanitarianism has played a controversial role in raising public opinion and influencing politics and has contributed to the appearance of the ‘victim’ concept and its representation in the media throughout the twentieth century, along with images of pain and death. ‘Victimization’, or the tendency to induce a hierarchy among victims, offers an immediate reading of such humanitarian crises according to a simplified and Manichean scheme. But since media representations insist on producing figures of innocent suffering such as women and children, their narratives and images often fall back on older collective references and memories. Using ‘framing mechanisms’ as methodological tools, these results provide representations that favor Christian iconography and historical parallels such as World War II. These representations act as means of qualifying the crises and result ultimately in the moral condemnation of them. While there are clear distinctions in how conflicts are treated when they emerge in western as opposed to Third World countries, on how the ethnic victims’ background is presented, and on how the paradigm of distance and proximity is dealt with, these media framings are all aimed at relieving suffering, are based on universally shared values, but are at the same time at risk of resorting to reductive schemes. The Media and Humanitarian Crises: A Growing Sense of Victimization? At the beginning of 2009, the conflict between Israel and Hamas in the Gaza Strip1 emblematized a recurrent dilemma in how wars are covered on an international level. While the Israel Defence Forces (IDF) for strategic reasons 2 had limited media access to Gaza, it had also tried to prevent the international public from seeing too much blood and death. Nevertheless, the few journalists who managed to get into the Gaza Strip3 started to send videos and pictures of wounded men and women and, in doing so, highlighted the discussion about civilians being taken as targets both by the Israeli army and Hamas militants. This 2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-1995)” 35 framing was strengthened even further by the story of Ezzeldeen Abu Al-Aish, a Palestinian doctor who worked in Israel. He lost three daughters and a niece when they were killed by an Israeli shell. While he was providing live reports on Channel 10 every night by phone from the Gaza Strip, his tragedy took place right in front of international viewers on January 16, 2009. It was widely broadcast by international news organizations, thus revealing increased media interest in the collective or individual suffering of others. After the rush of foreign journalists into Gaza immediately following the opening of the border, it even seemed that the war reporting on Gaza was unusually condensed and focused mainly on the human costs of the conflict. The resulting stories were focused on individual, family-scale tragedy, such as this article from Time : You can measure the destruction in Gaza by the number of bombs dropped or buildings flattened or the price to rebuild it all, but the real cost lies within people like Abed Rabu, whose pain and sense of loss are apparent from the moment you meet him. [...] Israel has begun investigating some of the more egregious allegations about civilian deaths, which are multiplying as Gaza picks itself up from the rubble. (Tim McGirk and Jebel AlKashif, ‘Voices from the Rubble’, Time, January 29, 2009)4 What is shown by these war ‘anecdotes’ elicits sociological consideration: far more than a man’s suffering, it is the father figure that is being focused on and the loss of his children. While this is hardly unique to this war, as we read in recent studies on the use of children in international news coverage (Moeller, 2002; Wells, 2007), this type of framing reveals a growing concern for children as ‘innocent victims’: A story that uses children is seemingly transparent in its meaning. Dead children [...] have become too familiar icons at the turn of the millennium. Today’s disasters, which are hard to follow even with a scorecard, are made more comprehensible and accessible by the media’s referencing of children – even if that focus on children is a false or distorted consciousness, a simulacrum of the event. (Moeller, 2002: 37) The ‘media’s referencing of children’ is not new and is part of the history of modern humanitarianism. Western sensibilities toward the innocent victims of war were already characteristic of the aftermath of World War I.5 Benefiting from the cover of the mass media, modern humanitarianism has played a controversial role in arousing public awareness and influencing politics (Minear et al., 1996; Robinson, 2001). It has thus contributed to the appearance of the ‘victim’ concept and its representation in the media during the twentieth century, together with the associated images of pain and death. ‘Victimology’ or ‘victimization’ then offers an immediate reading of the various types of people involved in humanitarian crises by dividing them into a simplistic scheme of ‘villains’, ‘victims’ and ‘heroes’ (this refers to humanitarian actors in the field). This has 138 36 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) raised the concern of Rony Brauman, a former head of Médecins Sans Frontières (MSF);6 who produced a series of documents (Brauman, 1993; Brauman and Backmann, 1996) in which he discusses the concept of ‘the purity of the victim status’: [The media insist on] the symbolic level of the ‘victim status’ [...], this one being considered as a victim only when he or she is seen as an effigy of unfair suffering, of hurt innocence. Victim of a cruel nature, of an absurd war – others’ wars are always absurd –, of merciless armed gangs, of a bloody dictator, but pure victim, non-participant.7 (Brauman and Backmann, 1996: 24) Trapped in what may be considered an insensitive iconography, the media representations of humanitarian crises insist on compassion ‘clichés’ that have in fact been perpetuated over time. Therefore, an effort should be made to gain better historical understanding of these types of framing. This chapter explores the rhetoric of compassion from a humanitarian perspective across space and time. If recent works have shown the salience of a sensationalist, emotional and compassionate discourse in the media reporting of recent conflicts (Moeller, 1999), they still lack a deeper understanding of the historical and cultural perspective (Mesnard, 2002). Indeed, if media representations insist on figures of innocent suffering, such as women and children, their narratives and images often fall back on older collective references and memories. The media discourses have then helped to sustain the persistence of stereotypes and ‘clichés’ in social representations of the ‘self’ and ‘the other’. The aim of this chapter is to propose the first results of an exploratory analysis of media narratives and images of war between the 1960s and the 1990s. Four humanitarian crises resulting from armed conflicts were chosen with the intention of drawing on a historical and geographical perspective: the Biafra Civil War and famine (1967–70);8 the Lebanon War (1975–90), which is limited here, however, to the specific period that involved international military intervention (1982–84);9 the Bosnian War as part of the general conflict in the Balkans (1992–95);10 and the Somali Civil War and famine.11 Based on an analysis of ‘framing mechanisms’ (Ghanem, 1996) taken from a sample composed of major illustrated reports between 1967 and 1993, the analysis will focus on a particular medium that consists of four international and national newsmagazines: Time, Newsweek, Le Nouvel Observateur and L’Express. This empirical comparative study will help us to understand the media representations of civil wars over time (from the late 1960s to 1970s to the 1990s) and space (western and African spheres), especially when it comes to conflicts in the Third World. 12 This study focuses on the concept of framing and its semio-pragmatic applications surrounding the visibility of the ‘pain of others’ (Sontag, 2002) in order to underline how collective memory is deeply rooted in the media shaping of international conflicts. 139 2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-1995)” 37 Framing Pity in Media Narratives and Pictures The frames used by journalists cannot be distinguished from social representations, both of them influencing each other symbolically in the way they shape and understand events, especially when they involve distant cultures and worlds: ‘Framing is concerned with the way interests, communicators, sources, and culture combine to yield coherent ways of understanding the world, which are developed using all of the available verbal and visual symbolic resources’ (Reese, 2003: 11). The symbolic aspect in these media representations of international events, particularly with respect to armed conflicts that generate humanitarian emergencies, can hardly be underestimated. Humanitarian action is a modern concept that is closely allied with charity, that is, those forms of helpful acts that have appeared in older societies since the rise of Christendom. Christian iconography thus includes countless images illustrating gestures of pity and devotion, from saints to madonnas, scenes of pietà persistent throughout the twentieth century. In addition, biblical metaphors of the Apocalypse have since made their way into contemporary media language, thereby participating on a broad linguistic scale in the depiction of horror. Nowadays, talking about humanitarian action involves in fact summoning up a particular iconic imagery, a sort of factual referent that in words and images summarizes a given situation at a specific time: Action is not separable from representation, to the point where the latter is decisive for the first. Rescuing a victim (or, more modestly, donating so that lives can be saved), or resorting to media to denounce what civilians are subjected to, ask from me to call at the threshold of action, before its beginning. Then, during its development, a set of representations – also of myself – that support my decision, guide my practice and provide myself and others with the necessary presence for its recognition. (Mesnard, 2002: 8)13 These factual referents that are specific to collective memories have not only been based on Christian iconography but also on older media events and sensationalist reports that have involved history since then. Sometimes characterized by a politics of the spectacle and denounced as a ‘charity business’ by some nongovernmental organizations (NGOs) such as MSF, these media representations of humanitarian crises are linked to the history of the live report and the competition between newsmagazines and television. After the first broadcast wars such as that in Vietnam in the 1960s, the living-room war effect emphasized the visible aspect of reality, whether it be still or moving images aimed at summarizing events. Photojournalism had to respond to the competition from television, first by insisting on content, with newsmagazine reporters having a little more time in the field than other reporters to carry out a more detailed analysis of the situation; second, by using visual and title effects to enhance the scoop, such as the famous slogan of Paris Match: ‘The weight of words, the impact of pictures.’ By working in difficult and stressful situations in the context 140 38 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) of armed conflicts, journalists are tempted to use older schemes of perception in order to try and summarize the ins and outs of a crisis: News must be immediate, dramatic and novel. Stories are simplified and personalized, with viewers or readers encouraged to identify with characters or to make judgements about them. There is titillation, in the sexual sense, or in the wider sense of arousing excited curiosity, through emphasis on the horrific – blood, injury and violence. Readers’ responses are affected by language, tone, style and delivery. (Berrington and Jemphrey, 2003: 227–28) One way to measure this emphasis on the horrific aspects of humanitarian crises is to analyze the ‘framing mechanisms’ that have been identified by Salma Ghanem (1996). Pictures, titles, quotes and subheadings reveal a particular mise-en-scène that helps to identify the salient aspects of media representations of an event. Hence, framing mechanisms were systematically analyzed in this empirical comparative study of approximately 500 illustrated reports, all published in the two major newsmagazines in the United States (Time and Newsweek ) and two in France (Le Nouvel Observateur and L’Express ). In an initial step, a classic thematic content analysis done using data analysis software (Atlas.ti) was used to identify the general framings used in newsmagazines, especially those involving the humanitarian side of these conflicts. Then, in a second step, a semio-pragmatic analysis was conducted on those ‘framing mechanisms’ that reenforce the humanitarian aspects, by examining both pictures and the semantics of titles and quotations: ‘through their systematic choices of word and image, the media not only expose audiences to the spectacles of distant suffering but also, in so doing, simultaneously expose them to specific dispositions to feel, think, and act toward each instance of suffering’ (Chouliaraki, 2008: 372). In their reports of suffering, the media – sometimes unconsciously – rely on the proximity-distance paradigm between spectators and victims, thus playing a role in the way the public perceives events: The spectator is, compared to the media, in the position [...] of someone to whom a proposition of commitment is being made. [The statements and images from the media combine] a description of the suffering and an expression of a particular way to be concerned about it, they propose to the spectator a precise mode of emotional, linguistic and conative commitment. (Boltanski, 1993: 215)14 Though we will not insist here on the effect of the media on the public and the implications that media content have for potential action, it is important to underline how these framings involve a graduation, or hierarchy, in the emergency level that is proclaimed and in the characterization of the specific crises. This process is divided by Boltanski into three topics, or schemes of functioning: the topic of denunciation, the topic of sentiment and the esthetic topic (Boltanski, 1993: 91–189). 141 2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-1995)” 39 If esthetics are particularly significant in evoking images of pity, the two other topics function as means of labeling persecutors, provoking moral condemnation, encouraging military intervention (the topic of denunciation) and depicting victims and emotions (the topic of sentiment), as has been stated by Chouliaraki: Two dimensions of the spectator–sufferer relationship are relevant to the analysis of the ‘eloquence’ of pity, its production in meaning. These are the dimensions of proximity-distance and watching-acting. How close or how far away does the news story place the spectator vis-à-vis the sufferer? How is the spectator ‘invited’ by the news story to react vis-à-vis the sufferer’s misfortune – look at it, feel for it, act on it? (Chouliaraki, 2008: 374) Consequently, the following questions derived from these concepts are related to the identification of these specific humanitarian framings: 1. 2. 3. 4. Is there any significance given to the suffering of innocents? Are there any specific visual framings? What about the rhetoric used? Are there any differences between US and French newsmagazines? The ‘Topic of Denunciation’: Crises Qualifications and Moral Condemnation Labeling a conflict with the term ‘massacre’ or ‘genocide’ is scarcely insignificant and often recalls a past event that is still present in people’s memory. As we have pointed out before, historical parallels play an important role in the way journalists characterize conflicts, parallels that are in fact an essential part of the history of humanitarian action. In his study of the representation of victims in collective memory, the French historian Philippe Mesnard (2002) has identified two memorable and disruptive periods in the history of conflicts during the twentieth century. The first one is related to World War II and the genocide of European Jews. Absolute symbols of ‘total war’ and the failure of western democracies to confront barbarism, the large-scale bombings of cities and civilians, the endless sieges and battles, and the massive human losses have been a turning point in the war reporting. Above all, pictures of Nazi concentration and extermination camps and the scale of the Jewish genocide represented a unique moment in history (Zelizer, 1998). As a result of the horror and incredulity this event provoked, any comparison with a previous conflict was made impossible, marking this genocide as the ultimate reference point of atrocity. The second turning point identified by Mesnard occurred in the late 1960s, somewhere between the Biafra Civil War and the Vietnam War. Both of these conflicts took place at a time when newsmagazines were competing with television, thus marking this period as the 142 40 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) ‘golden era’ of photojournalism. Characteristic of these distant wars was that reports of civilians’ slaughter formed a memorable point at a time of an impressive social and political activism in western societies.15 It was emblematic of the appearance of war casualties involving innocents, with iconic images of the starving African child and the Napalm girl in Vietnam.16 References to World War II and the Jewish genocide are frequent in the reports analyzed in this study, both implicitly and explicitly. As the Biafra crisis exploded in media coverage during the summer of 1968, that is, at the height of the famine, the parallels drawn between the situation of Ibos rebels and the Jews were frequent. They were considered ‘the Jews of Africa’ (Le Nouvel Observateur, February 14, 1968: 14) and have been called the victims of ‘the largest pogrom in contemporary African history’ (‘Martyrdom and Birth of a Nation’, Le Nouvel Observateur, August 26, 1968: 18–9). At the same time, a discussion of the definition of genocide arose in political circles in France, mainly due to the activism of young French doctors such as Bernard Kouchner (who will later found MSF). Many pictures, however, by focusing on close-ups of starving children gathered along the walls of huts, played on the limits of the parallels, as this caption in Time indicates: ‘In this land, the choice seems to be between starvation and slaughter’ (‘A Bitter African Harvest’, July 12, 1968: 20). The question of genocide will regularly appear later on, especially in the case of Bosnia and the issue of ethnic cleansing. When it comes to urban and guerrilla fighting, such as in Beirut during the Lebanese War , the parallels were obvious between the situation in Beirut and the famous city sieges and the brutality of World War II. Indeed, at the beginning of the Israeli surprise offensive on Beirut in the summer of 1982, the city was seen as ‘the new Stalingrad’ (‘Beirut: The Palestinian Agony’, L’Express, June 25, 1982: 62–3). At the time of the slaughter in Sabra and Chatila in September 1982, parallels with the atrocities of 1939–45 were re-enforced, and the Palestinian refugee camps were compared with ‘ghettos’, the ‘indiscriminate massacre of women, old people and children’ with a ‘pogrom’ (‘For the Honor of Israel...’, Le Nouvel Observateur, September 25, 1982: 38), and persecutors even tried to erase evidence of the events: ‘And when it was over, they attempted, in a manner reminiscent of World War II, to destroy the evidence by bulldozing the bodies into makeshift common graves’ (‘The New Lebanon Crisis’, Time, September 27, 1982: 8–12). It seems that this explosion of violence is not understandable in the late twentieth century, which has also seen the rise of human rights and the end of long-lasting conflicts in western societies. For European readers, this violence cannot be explained and brings humanity back to its primitive origins, such as it appears again in the massacres and ethnic cleansing during the Bosnian War: ‘Many of Sarajevo’s 300,000 remaining residents are wondering why outside powers are permitting such primitive violence to unfold on the very doorstep of a postmodern Europe that has supposedly outgrown it’ (‘The Siege of Sarajevo’, Newsweek, July 6, 1992: 22–3). Witnesses, particularly aid workers who are sometimes witnesses of daily killings in the field, are not sparing with the parallels, sometimes unbelievable, they draw to the past, when barbarism was common in the practice of war, long before any law of war had been 143 2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-1995)” 41 established. Thus, a Red Cross worker talks of ‘going back to the Middle Ages’ when speaking of the rescue of civilians, while Rony Brauman questions western passivity in the face of ‘butchery [...] at the doors of Europe’ (Le Nouvel Observateur, June 4, 1992: 64–6). Such war crimes, whether they be the slaughter of civilians or ethnic cleansing, demand punishment at a higher level, and hence reenact the memories of World War II and the prosecution for crimes against humanity, which L’Express calls ‘the impossible new Nuremberg’ (L’Express, February 4, 1993: 18–9) of war crimes in Bosnia. This was already the case after the massacre of Sabra and Chatila, all newsmagazines having covered the investigation and its conclusion in 1983. ‘The Verdict is guilty’ (Time, February 2, 1983: 6–14) indicates a clear universal condemnation as pictures of disemboweled bodies remind readers of the intolerable, blind violence against innocents. Later on, parallels with the pictures of Nazi camps are clearly obvious in the case of the so-called ‘death camps’ in Bosnia in August 1992: ‘Life and death in the camps’ (Newsweek, August 17, 1992: 13–4), ‘The spectre of the camps ...’ (Le Nouvel Observateur, August 6, 1992: 40–1), ‘Must it go on?’ (Time, August 17, 1992: cover). These metaphors are clearly amplified by iconic images of emaciated bodies behind wire fences, reminding one of Bergen-Belsen and Auschwitz. Such graphic and semantic violence demands intervention, which is the second step in media discourses. The question of western intervention in such conflicts is fundamental. It did not happen in the case of Biafra; at the time, action was mainly limited to medical and food supplies being provided by humanitarian associations such as the Red Cross. Indeed, western intervention in the form of military-humanitarian operations has occurred more frequently in the 1990s, although they were mainly discussed in political and diplomatic spheres (Price and Thompson, 2002). An increasingly central actor on the international scene, the United Nations (UN), had already sent a coalition of foreign powers to Lebanon in 1978.17 For Bosnia , it was asked, ‘Why Europe is paralysed?’ (Le Nouvel Observateur , June 4, 1992: editorial), or ‘Should the West go to Sarajevo?’, while the Serbian outrages were compared with Nazi atrocities: ‘We don’t even have the strength to look at those pictures of “ethnic cleansing”, that in the past the whole world – or almost – would have fought’ (L’Express , December 18, 1992: editorial).18 Partly influenced by the involvement of Bernard Kouchner, then Secretary of Humanitarian Action in the French government, western nations helped to provide emergency aid through ‘humanitarian corridors’.19 Although a UN coalition had intervened beginning in March 1992, difficult stories of the martyrdom of civilians shot in cross fire and pictures of dead bodies in the streets of Sarajevo during the summer of 1992 made the UNPROFOR (United Nations Protection Force) look ineffective in a place where ‘there’s no peace to keep’ (‘Bosnia: The US Does Little for the War’s Victims’, Newsweek, August 23, 1993: 16). By contrast, while the UNOSOM (United Nations Operation in Somalia) coalition was disregarded because of its useless actions in Somalia at the same time, the continual violence against civilians and the rising famine called for a humanitarian operation that led to the media-glorified US intervention in December 1992.20 Instead of relief aid workers, figures 144 42 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) of soldiers replaced the humanitarian delegates in the field, and big cover pages celebrated the new modern hero: ‘As Operation Restore Hope begins, Somalis want the US to stay long enough to fix not just their diet but also their society’ (‘Great Expectations’, Time special report, December 21, 1992: 32–5). Such stories of US soldiers acting as new aid providers were often accompanied by pictures framing a crowd of young, smiling Somalis, shaking hands with foreigners in fatigues. A silent crowd, one could say, as they waited for food. They were almost never offered a chance to express themselves in the lines of the foreign press, although this was not true of the victims in Sarajevo. This reenforces a perceptible colonialist stereotype in the western media, as Chang et al. (1987) have stressed. According to this stereotype, African conflicts are still considered the result of tribalism. While it already appeared in the coverage of the Biafra crisis, Africans have since then been regarded as a massive crowd of silent and passive sufferers. They are presented as eternal victims who cannot live without foreign support, as if their fate deserved less attention, thus questioning the way the media report on suffering according to the ethnic victims’ background: [T]here has been only a limited amount of news space and time devoted to the coverage of Third World countries in the Western media, especially in the United States. Of the limited amount of news coverage, critics charged, the Western news media tend to treat Third World nations in a negative manner, thus reinforcing stereotypes against those countries. (Chang et al., 1987: 397) Such a framing was widespread in the 1960s, during a period of big conflicts relating to decolonialization. During the Biafra crisis, the explosion of violence between the Ibos and Nigerians would trigger discussion on the prerogative of fury among African tribes, as Time underlines by title ‘On Tribalism as the Black Man’s Burden’ (August 23, 1968: 1819). 25 years later, this postcolonialist perspective is still not completely absent when Newsweek publishes a special issue on ‘Africa: The Curse of Tribal Wars’, linking ‘Africa’s wild profusion of languages, religions and ethnic groups’ to an ‘unparalleled cultural diversity’ that ‘brings with it a constant risk of conflict and bloodshed’ (June 21, 1993: cover). From the French doctors acting as lonely heroes in the Biafra famine to Marines providing shelters and rice bags to those in the beaches of Mogadishu, it seems that Africa is trapped in passivity and plagued with a history of tribal rivalry, in contrast to Europe, where violence was thought to have been erased. The ‘Topic of Sentiment’: Toward a Typology of Victims and Emotions In her study on the ‘discourse of global compassion’, Birgitta Höijer points out the existence of a certain ‘ideal victim’, whereby ‘some victims are “better” than others’ (Höijer, 2004: 516). As we have outlined early on, there is a clear difference in the geographical origin of victims; 145 2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-1995)” 43 the closer they are to Europe, the better chances they have to solicit a response from the western publics and its pity. There is also a defined hierarchy in the sociology of the victim; age and gender play an important role. Men are usually taken as potential combatants and are rarely used in pictures used to illustrate civilian casualties. Women have less opportunity to fight and therefore embody the female incarnation of softness, motherhood and fragility. Weakness is also an attribute of old people, their tired bodies appealing to the cameras. But as Brauman (1993) comments, purity is deeply connected with victimology. Thus, who can be purer or more innocent than a child? ‘This iconicity means that in war reporting, images of children are critical sites on which narratives about the legitimacy, justification and outcomes of war are inscribed’ (Wells, 2007: 55). Because of this, Biafra offers an interesting case study. As the first massively covered African famine, it is because of the appearance of iconic images of starving African children and their associated attributes, such as swollen bellies, blond hair due to kwashiorkor and skeletal bodies. They embody the slow ‘agony’ of the innocents and the ‘living-dead’ at the height of the famine in August 1968 (‘Martyrdom and Birth of a Nation’, Le Nouvel Observateur, August 26, 1968: 18–9). Depicted as a ‘children’s war’ (‘Agony in Biafra’, Time, August 2, 1968: 19), the conflict in Biafra called upon the will of western citizens to endure this tragedy and maybe act to put an end to the injustice. As Wells (2007) argued, Representations of children have a very specific place in the iconography of war. Unlike images of adults that are inscribed into discourses of moral blame and political calculation, images of children may be fitted into a universalizing discourse. In such a discourse, ‘the world’s children’ should be protected from the conflicts of adults (extending from parental conflict through to international conflict), and deserve the care and concern of any adult, regardless of their national or political allegiances. (Wells, 2007: 66) A similar media representation is decisive for conflicts in Europe. At the beginning of 1982, Time had published a special issue on the case of ‘Children of War’ (January 11, 1982: 16–39), its correspondents having visited war-torn countries such as Cambodia, Ireland and Lebanon to meet more than 30 children and their living conditions. Perfect apolitical incarnations, these children at the same time embody the future of a nation: ‘Children are a synecdoche for a country’s future, for the political and social well-being of a culture’ (Moeller, 2002: 39). As a consequence, when Operation Peace of the Galilee started in June 1982, Time was tempted to track down those Lebanese children who were used in its first report in January, to illustrate their lives under a siege: ‘The hope was to find these children alive after three weeks of war; if not to meet them face to face, then at least to learn of their whereabouts’ (‘Seven Days in a Small War’, July 19, 1982: 14–9). The result was a six-page report, written as a diary, which on a daily basis followed the lives of four children in a ruined city, boys and girls, some grieving their dead parents, others playing soldier, one of them being wounded. Through this individualization, their 146 44 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) tragedies in fact personify the future of every child trapped in a situation of violence and act on western viewers at an emotional level. In order to do so, the media choose ‘to position children’s injuries as an exceptional, unforeseen and certainly unintended outcome of war. While the agents of “our side’s” military violence are routinely erased in representations of war, “our” agency in rescuing the child from these unintended consequences is highlighted in more or less dramatic ways’ (Wells, 2007: 66). The choice to write this war report as a diary is quite interesting; more than simply an external account by a journalist-witness, it offers a very specific focus on individualization, thus enhancing the readers’ capacity to get to the very heart of the story and questioning the moral justification of a war: ‘the human presence of the sufferer [...] ranges from an undifferentiated mass of “miserable”, [...] to an individual with a personal biography and a cultural history’ (Chouliaraki, 2008: 383). The same result was produced by the story of the ‘Child of Srebrenica’ in May 1993. The boy, called Sead Bekric, was photographed as blinded, covered in blood, lying on a stretcher. The picture was widely broadcast and made the front cover in publications such as Newsweek (May 10, 1993: cover). The boy became a sort of icon, an innocent target of adults’ savagery. In discussing his story, L’Express explained the necessity of showing such pictures (May 6, 1993: 5) by remaking the whole circle from the ‘bombed child, the blinded child, the saved child’ to ‘the exhibited child’, as if the focus on an individual’s tragedy would be the perfect alibi for refusing such tragedies on a larger scale: ‘Some people fear that this image will trivialize the unbearable. On the contrary, it shows it, and writes it into collective memory. And, without the picture of the wounded child, Srebrenica would have risked being erased.’21 Yet such an increasing focus on the figures of innocence embodied by children must not suppress the fact that civilians, no matter how old they are, are regular targets in armed conflicts: The de facto hierarchy is expressed in how the media report on war crimes, for example. Crowned by the most innocent, the hierarchy begins with infants and then includes, in descending order, children up to the age of 12, pregnant women, teenage girls, elderly women, all other women, teenage boys, and all other men. (Moeller, 2002: 49) Lebanon consecrated the framing of civilians as the first casualties in war, trapped in a city siege under bombardment and taken as the ‘spoils of war’ (Time, June 28, 1982: cover) or ‘as hostages’ (‘The Dark Days of Yasser Arafat’, Le Nouvel Observateur, July 3, 1982: 34–6). This mise-en-scène was even strengthened by pictures of complete destruction, old women crying in the midst of the ruins of the buildings. The story of Beirut later influenced the story of the Sarajevo siege during the Bosnian War, something quite obvious when one compares the covers from French and US newsmagazines in 1982–83 and with those in 1992–95.22 A corresponding recurrence can be seen in the use of language, with the increase in religious semantics during the Bosnian War and the famine in Somalia: civilians are being ‘crucified’ 147 2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-1995)” 45 and ‘sacrificed’ (‘With the Sacrificed in Sarajevo’, Le Nouvel Observateur, June 25, 1992: 52–8) or ‘possessed’ (‘The Possessed in Mogadishu’, Le Nouvel Observateur, September 3, 1992: 48–9), mutilated in an ‘inferno’ (‘A Taste of the Inferno’, Newsweek , September 14, 1992: 14–5), carrying their dead children such as this ‘Pieta of Baidoa’ (‘Landscape of Death’, Time, December 14, 1992: 30–3). Contemplating other people’s suffering implies a distance separating those regarding and those regarded, ‘us’ and ‘them’: The display of a politics of pity then supposes two classes of men, unequal, not with respect to merit, like in a justice issue, but only with respect to happiness. These two classes must be, on the other hand, in touch enough so that happy people can contemplate, directly or indirectly, the suffering of the unfortunates, however distant or unconcerned enough, so that their experiences and their actions can remain clearly separated. (Boltanski, 1993: 18)23 There is a clear difference in the media coverage of victims in a western country compared with that of victims in the Third World, as we have already emphasized. The paradigm of distance and proximity is particularly relevant here and could be seen from our analysis. If the wars in Lebanon and Bosnia were more extensively covered in our sample, the media discourses also called for an immediate denunciation and ending of the slaughter of civilians. This was less in evidence in the Biafra or the Somalia Wars: The more remote or exotic the place, the more likely we are to have full frontal views of the dead and dying. [...] These sights carry a double message. They show a suffering that is outrageous, unjust, and should be repaired. They confirm that this is the sort of thing which happens in that place. (Sontag, 2002: 63f) But the focus on local victims rapidly comes to an end as soon as western countries intervene in a conflict and suffer their first losses, as was the case in Lebanon and Somalia. Right after the suicide attacks on buildings sheltering US and French troops in October 1983, which resulted in the death of 256 Marines and 58 French soldiers, the reports concentrated entirely on the dead soldiers and the call for retaliation.24 Pictures of sobbing civilians in the ruins and wounded children in hospitals were replaced by soldiers carrying the bodies of their dead buddies, on shocking covers all framed in red and black. The coverage was even more extreme in Somalia following the crash of two US helicopters in October 1993. The usual situation of Americans watching Africans starve was suddenly reversed; Americans were then contemplating ‘one’ of their soldiers, the lynched body of a white male being tortured by a savage crowd. Somali militiamen held one of the survivors, the pilot Michael Durant, as a prisoner and broadcast videos of his detention. The new victims became ‘our’ own dead, and the main focus, particularly in the US media, was on putting an end both to the detention of Durant and the military intervention in Somalia. 148 46 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) It seemed as if all of a sudden the glorious humanitarian intervention had turned into a military fiasco, raising doubts about the US ability to maintain peace. ‘Trapped in Somalia’, ‘Bloodbath: What Went Wrong?’, ‘The Making of a Fiasco’, ‘Confronting Chaos’, ‘Anatomy of a Disaster’: such is the litany of titles in Newsweek ’s and Time’s reports on the aftermath (October 18, 1993). Victims were no longer taken as moral justification for humanitarian or military actions; only the safe return of ‘our troops’, framed with several polls that questioned the rightfulness of the intervention in Somalia (‘Do you approve of having US troops in Somalia?’, ‘What should be the main goal of the US in Somalia?’), was now considered in the media discourse, as if the slaughter of civilians had never really taken place. Discussion In this empirical, comparative study of the media representation of humanitarian crises in two different cultural spheres, we noticed similarities and some differences in how the international news is covered and framed. We must underline, however, that this was only an exploratory analysis that would require a more systematic application of more extensive data, for example, by multiplying the comparison of wars over time and space. Moreover, while this study was made using ‘framing mechanisms’, it limited itself to the most obvious semiotic signs in media representations (i.e., pictures, titles, headlines and quotations). A further investigation could be conducted with in-depth discourse analyses. This would help to identify at a more precise level whether the effects that have been observed at a first framing level, that is, one imposed by the impact of images, by titles written in huge letters, and by highlighted quotations, may also be found in the argumentation used in the articles: The familiarity of certain photographs builds our sense of the present and immediate past. Photographs lay down routes of reference, and serve as totems of causes: sentiment is more likely to crystallize around a photograph than around a verbal slogan. (Sontag, 2002: 76) Nonetheless, this analysis does raise a series of thought-provoking issues. The use of a historical perspective in media analysis allows us to consider the persistence of schemes of representation in different discourses. The majority of studies on the coverage of contemporary international conflicts is limited in time and space, thus, for example, the studies on the wars of the 1990s (Pieterse, 1997; Moeller, 1999). Despite this, we need to broaden our media understanding to encompass a longer period, one corresponding to the history of conflicts in the twentieth century. Media representations are, more than anything else, those of the journalists, and they cannot be separated from the more general context of social representations that are promoted on the basis of how they describe and perceive the 149 2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-1995)” 47 world. These social representations often evolve over an extended period of time, some events suddenly crystallizing as absolute reference points in collective memory, as Mesnard (2002) has shown for World War II, Biafra and Vietnam. Consequently, in the four newsmagazines chosen for this study, we have found a recurrence of cultural, traditional codes for western societies, both in pictures and in terms of semantics. These codes function at several levels; first, they act as classification categories, in particular by defining what is a ‘massacre’ or what is ‘genocide’. Second, they indicate a gradation in the distinctiveness and scale of the event and do so by the extensive use of a connoted vocabulary, which makes use of references to the JudeoChristian roots of western societies and the religious semantics (charity) of modern humanitarianism. Finally, they label a crisis by choosing quick shortcuts to past events, thus acting as simplifying summaries: ‘Formulaic coverage of similar types of crises makes us feel that we really have seen this story before. We’ve seen the same pictures, heard about the same victims, heroes and villains, read the same morality play’ (Moeller, 1999: 13). As Moeller has emphasized, this simplifying scheme often functions by using an archaic triangular relation between the victim (‘the good one’), the persecutor (‘the bad one’) and the hero (‘the savior’). The limit of sensibility in the West has developed strongly since the beginning of the twentieth century, revealing new concerns for justice and the well-being of mankind. It is related to what the English sociologist Geoffrey Gorer (1955) has called ‘the pornography of death’ or the unbearable witness of ‘the pornography of pain’ (Halttunen, 1995). The rise of ‘victim status’ can also be explained by the fact that civilians have become the principal casualties in conflicts since World War II , though a trivialization with regard to certain situations has led to ‘compassion fatigue’ (Moeller, 1999). Nonetheless, the victim remains an undefined element. It changes depending on the type of crisis involved: while the focus was largely on children during the Biafra crisis, they appear alongside old women in Lebanon and Bosnia and combine with a crowd of all ages in Somalia. How can we explain a particular focus on a certain kind of victim at a given time? There are still few answers to this question, although some hypotheses can be put forward. Focusing on an individual’s career, instead of on an anonymous crowd, emphasizes the ‘propositions of commitment’ made by the reader (Boltanski, 1993: 215). Thus, they allow identification with, or even indignation concerning, their poor condition. We can see this, for example, in an article of Newsweek published during the Bosnian War in which a multitude of refugees are drowned in the same anonymous voice: ‘All we can do is suffer: the plight of Yugoslavia’s 1.5 million refugees’ (May 25, 1992: 10–1). How do I make the suffering of a people mine? How do I confront an individual’s tragedy with which I can identify? This approach differs radically from the Time article ‘Children of War’ or the story of the ‘Child from Srebrenica’. This seems to be a privileged angle in the media representations of very recent conflicts, as we saw in the case of the war in Gaza, at that moment in the media coverage when the conflict had ended, when it seemed there was only place for laments of the innocent and for rebuilding lives that had been torn apart 150 48 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) In spite of the ethnic differences and their impact on the visibility of victims, this type of framing is quite often chosen in media representations of humanitarian crises as soon as the lives of civilians are at stake, when the international community is called upon because of trampling of fundamental human rights: meanwhile, the fate of the victim (or victims) hangs in the balance. The categorical status of the victim, as Brauman (1993: 150–7) points out, is instrumental in the construction of an ‘international event’ that would command the attention of a mediated public. The ideal, authentic victim is pure inasmuch as he or she has been deprived of their basic rights and meaningful agency. Moreover, the victim is public insofar as the conditions of his or her existence have become an object of discourse (DeChaine, 2002: 362). The more victims are deprived of their rights, the more their innocence is affected, the more they call out for an injustice to be corrected. By headlining ‘Belgrade’s injured innocence’ (June 22, 1992: 12–3), Newsweek chose a metaphor that includes a city and all of its inhabitants, who were trapped in a fury beyond understanding, while the story was illustrated with the picture of a woman ripped open , as all of the ethnic cleansing, local nationalisms and atrocities on all sides25 could be embodied in this hopeless victim. Such stories focus on a feeling that the international community had neglected the civilians and its own ideals of liberty, democracy, security and peace: ‘How Dare You Leave Us Alone to Die!’ (Le Nouvel Observateur, December 9, 1993: 76–8). This feeling is even heightened when children are depicted, victims of men’s fury and adults’ abandonment: Key themes of the discourse of childhood, including the family as the ideal site of childhood, converge so that the image of the lone child symbolizes abandonment. Cutting out of the frame the adults and other children who surround the child places the viewer of the image in the role of these missing carers. Children on their own are abstracted from their culture and society. [...] Rather, if lone children are not rescued then they will be abandoned to their fate. (Wells, 2007: 63–4) The focus of victims’ representations involves imbalances, but it reveals a social imagery concerned with the relief of suffering, based on universally shared values, at the risk of falling into reductive schemes. NGOs have been attacking some of the media, accusing them of sensationalism and trivialization. Such criticism was largely initiated by MSF , though it had itself used media hype in its spectacular humanitarian operations at the end of the 1970s.26 Despite this, MSF has recently been appealing to the Seven Agency, a renowned photographic agency of famous war photographers, in order to inform people about the forgotten crisis in Congo . 27 One result of this was a photo exhibition called ‘Democratic Republic of the Congo: forgotten war’, with endless pitiful scenes in black and white, close-ups of skeletal bodies and mothers watching over their dying children. It shows that the imagery of the victim, which can act both as a mobilizing tool and as a reductive one, is far from being outdated and demands that we redefine how we view and categorize others. 151 2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-1995)” 49 Key Points Framing mechanisms Victimization War Compassion Spectacle of suffering Social representations Collective memory Newsmagazines Study Questions 1. Victimization has been defined as a tendency to induce a hierarchy in the typology of victims. Choose a case study (e.g., a two-week sample of media coverage of a given conflict) and then define the types of victims represented. What is the preferred gender/age of the victims? Are these victims given the right to speak, and if so, who among them? Is there a tendency to use personification in media discourses (i.e., to focus on individuals in a story)? 2. Media framings of humanitarian crises are made understandable for the public by reference to collective memories. Try to spot these historical parallels in media discourses: Is there any mention of past events? Do the journalists use a particular semantics such as a biblical one? 3. Framing mechanisms often function using the ‘double’ language of pictures and words. Using a small sample (such as an illustrated report from a newsmagazine) taken from a humanitarian emergency that resulted from an armed conflict, evaluate the use of pictures compared with words. Do you notice a similar framing in the photographs, titles and captions? Do you observe a narrative based on pictures? If so, do these pictures insist on a particular type of framing (emotional, denunciatory etc.)? Further Reading Allen, Tim and Jean Seaton (1999) The Media of Conflict. War Reporting and Representations of Ethnic Violence. London; New York: Zed Books. Banks, Anna (1994) ‘Images Trapped in Two Discourses: Photojournalism Codes and the International News Flow’, Journal of Communication Inquiry 18(1): 118–34. Domke, David, David Perlmutter and Meg Spratt (2002) ‘The Primes of Our Times? An Examination of the “Power” of Visual Images’, Journalism 3(2): 131–59. Griffin, Michael (2004) ‘Picturing America’s “War on Terrorism” in Afghanistan and Iraq: Photographic Motifs as News Frames’, Journalism 5(4): 381–402. 50 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Howe, Peter (2002) Shooting Under Fire. The World of the War Photographer. New York: Artisan. Kenney, Keith R. (1994) ‘Images of Africa in News Magazines: Is There a Black Perspective?’, International Communication Gazette 54(1): 61–85. Newton, Julianne H. (2001) The Burden of Visual Truth. The Role of Photojournalism in Mediating Reality. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum. Rose, Gillian (2002) Visual Methodologies. An Introduction to the Interpretation of Visual Materials. London; Thousand Oaks, CA: Sage. Rotberg, Robert I. and Thomas G. Weiss (eds) (1996) From Massacres to Genocide. The Media, Public Policy, and Humanitarian Crises. Washington, DC: Brookings Institution. Shaw, Martin (1996) Civil Society and Media in Global Crisis. Representing Distant Violence. London: Pinter. Weissman, Fabrice (ed.) (2004) In the Shadow of ‘Just Wars’. Violence, Politics, and Humanitarian Action. Ithaca, NY: Cornell University Press. Williams, Christopher R. (2008) ‘Compassion, Suffering and the Self: A Moral Psychology of Social Justice’, Current Sociology 56(1): 5–24. Websites International Committee of the Red Cross: ‘Our world. Your move’: www.ourworldyourmove.org VII Photo Agency website: www.viiphoto.com. United Nations Disaster Management Training Program: The News Media and Humanitarian Action: http://iaemeuropa.terapad.com/resources/8959/assets/documents/UN%20DMTP% 20-%20News%20Media%20%20&%20Humanitarian%20Action.pdf References Berrington, Eileen and Ann Jemphrey (2003) ‘Pressures on the Press. Reflections on Reporting Tragedy’, Journalism 4(2): 225–48. Boltanski, Luc (1993) La Souffrance À Distance. Morale Humanitaire, Médias Et Politique. Paris: Editions Métailié; Diffusion Seuil. Brauman, Rony (1993) ‘When Suffering Makes a Good Story’, pp. 149–58 in François Jean (ed.) Life, Death and Aid. The Médecins Sans Frontières Report on World Crisis Intervention. London: Routledge. Brauman, Rony and René Backmann (1996) Les Médias Et l’Humanitaire. Paris: CFPJ. Chang, T.-K., P. J. Shoemaker and N. Brendlinger (1987) ‘Determinants of International News Coverage in the U.S. Media’, Communication Research 14(4): 396–414. Chouliaraki, Lilie (2008) ‘The Mediation of Suffering and the Vision of a Cosmopolitan Public’, Global Media and Communication 9(5): 371–91. 2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-1995)” 51 DeChaine, Robert (2002) ‘Humanitarian Space and the Social Imaginary. Medecins Sans Frontieres/Doctors Without Borders and the Rhetoric of Global Community’, Journal of Communication Inquiry 26(4): 354–69. Ghanem, Salma (1996) ‘Media Coverage of Crime and Public Opinion. An Exploration of the Second Level Agenda Setting’, Dissertation, Austin, University of Texas. Gorer, Geoffrey (1955) ‘The Pornography of Pain’, Encounter 5(4): 49–52. Halttunen, Karen (1995) ‘Humanitarianism and the Pornography of Pain in AngloAmerican Culture’, #e American Historical Review 100(2): 303–34. Höijer, Birgitta (2004) ‘The Discourse of Global Compassion. The Audience and Media Reporting of Human Suffering’, Media, Culture & Society 26(4): 513–31. Mesnard, Philippe (2002) La Victime Ècran. La Représentation Humanitaire En Question. Paris: Textuel. Minear, Larry, Colin Scott and Thomas George Weiss (1996) #e News Media, Civil War, and Humanitarian Action. Boulder, CO: L. Rienner. Moeller, Susan D. (1999) Compassion Fatigue. How the Media Sell Disease, Famine, War, and Death. New York: Routledge. (2002) ‘A Hierarchy of Innocence. The Mediâs Use of Children in the Telling of International News’, Harvard International Journal of Press/Politics 7(1): 36–56. Pieterse, Jan Nederveen (1997) ‘Sociology of Humanitarian Intervention. Bosnia, Rwanda and Somalia Compared’, International Political Science Review 18(1): 71– 93. Price, Monroe E. and Mark Thompson (2002) Forging Peace. Intervention, Human Rights and the Management of Media Space. Edinburgh: Edinburgh University Press. Reese, Stephen (2003) ‘Framing Public Life. A Bridging Model for Media Research’, pp. 7– 32 in Stephen D. Reese, Oscar H. Gandy and August E. Grant (eds) Framing Public Life. Perspectives on Media and Our Understanding of the Social World. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum. Robinson, Piers (2001) ‘Theorizing the Influence of Media on World Politics. Models of Media Influence on Foreign Policy’, European Journal of Communication 16(4): 523–44. Sontag, Susan (2002) Regarding the Pain of Others. New York: Farrar, Straus and Giroux. Wells, Karen (2007) ‘Narratives of Liberation and Narratives of Innocent Suffering. The Rhetorical Uses of Images of Iraqi Children in the British Press’, Visual Communication 6(1): 55–71. Zelizer, Barbie (1998) Remembering to Forget. Holocaust Memory through the Camera’s Eye. Chicago: University of Chicago Press. Notes 1 Called Operation Cast Lead, the Gaza War started on December 27, 2008 and ended on January 18, 2009, with a unilateral cease-fire. 2 Egypt and Israel have had limited access to Gaza since November 2008. Even if the Israeli Supreme Court ruled on December 29, 2008 that foreign journalists should be granted access to Gaza when the border was opened by the military, the IDF refused to comply. 52 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 3 These were journalists who were in Gaza before the military operation started. They were mainly reporters for international broadcast television stations, such as Al Jazeera and the BBC , and for international news organizations. General access for foreign correspondents was only granted on January18, 2009, when the cease-fire was declared. 4 The article relies mainly on the story of Abed Rabu, a father who had two daughters who were wounded and a third one who was shot dead during the war. 5 For example, several charity organizations involved in helping war orphans were founded immediately alter 1918, such as the Save the Children Fund (1919). 6 Also called Doctors without Borders. 7 Translated by the author from the original French text: ‘[Les médias insistent sur] le niveau symbolique du ‘statut de la victime’ [...], celle-ci ne prenant véritablement corps qu’à la condition de pouvoir être vue comme une effigie de la souffrance injuste, de l’innocence meurtrie. Victime d’une nature cruelle, d’une guerre absurde – les guerres des autres sont toujours absurdes -, de bandes armées impitoyables, ou d’un dictateur sanguinaire, mais victime pure, non participante.’ 8 Also known as the Nigerian Civil War, this conflict was the result of an attempted secession of the southern provinces of Nigeria, which are mainly inhabited by the Ibos tribe. 9 Also known as the First Lebanon War, it started with the IDF invasion of southern Lebanon alter violence erupted between the Palestine Liberation Organisation and Israel. 10 It started alter the breakup of the former Yugoslavia into independent republics, the rise of nationalisms in the former country and the increase in ethnic tensions. 11 It started alter the ousting of President Siad Barre , resulting in instability among local warlords. 12 In this chapter, we choose to consider Lebanon as a westernized country. Although it is situated in Middle East, its history, culture and civilization have deep ties with the West, especially the country that colonized it, France (a large percentage of the population speak French). Moreover, the results of this study have shown that Lebanese society and its citizens are included in the same media framings as people of European background. As a result, the media seem to disfavor geographical perspective when it is a matter of establishing a connection between the cities and white citizens of the Middle East who live according to western standards and European societies and their citizens. 13 Translated by the author from the original French text: ‘L’action n’est pas dissociable de la représentation, au point que celle-ci est un des déterminants de celle-là. Secourir une victime, ou, plus modestement, donner pour que des vies soient sauves, ou bien recourir aux médias pour dénoncer ce que des civils subissent, me demandent de convoquer au seuil de l’action, avant de l’entamer, puis durant son déroulement, un ensemble de représentations – y compris de représentations de moi-même – qui étayent ma décision, guident ma pratique et fournissent à celle-ci la présence nécessaire à sa reconnaissance, à mes yeux comme à ceux des autres.’ 14 Translated by the author from the original French text: ‘Le spectateur est, par rapport aux médias, dans la position [...] de celui à qui est faite une proposition d’engagement. Un autre spectateur, qui lui rapporte une histoire et peut se présenter comme un reporter [...] transmet des énoncés et des images [...]. Ces énoncés et ces 2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-1995)” 53 images ne sont pas n’importe quoi. [Ils mêlent] une description de la souffrance et l’expression d’une façon particulière d’en être concerné, ils proposent au spectateur un mode défini d’engagement émotionnel, langagier et conatif.’ 15 This is particularly the case for the United States , where the protest movements against the Vietnam War were at their highest level between 1967 and 1969. As for France , May 1968 saw the mobilization of French youth’s conscience concerning Third World issues and imperialism. 16 The picture was taken by Nick Ut (AP) in Saigon in 1972. 17 Under the term of UNIFIL, this coalition was placed under the command of the French army. The US army reenforced the coalition in 1982. 18 Translated by the author from the original French text: ‘Nous n’avons même plus la force de regarder en face les images d’une ‘purification ethnique’ qu’en d’autres temps le monde entier – ou presque – combattit.’ 19 This was mainly covered in French news magazines; see ‘With Mitterand in Sarajevo’, Le Nouvel Observateur special report, July 2, 1992 and ‘Yugoslavia: The Limits of Humanitarian Action’, L’Express special report, August 28, 1992. 20 Called Operation Restore Hope, it was conducted by the United Task Force until May 1993. 21 Translated by the author from the original French text: ‘D’aucuns craignent que l’image ne banalise l’insoutenable. A l’inverse, elle le montre, et l’inscrit dans les mémoires collectives. Et, sans l’image de l’enfant blessé, Srebrenica risquait d’être massacre.’ 22 For example, see ‘Lebanon’s Legacy’, Time special report, August 23, 1982; ‘Lebanon’s Partition’, L’Express special report, May 5, 1983; ‘Hate Thy Neighbor’, Newsweek special report on Bosnia, January 4, 1993. 23 Translated by the author from the original French text: ‘Le déploiement d’une politique de la pitié suppose donc deux classes d’hommes, inégaux, non sous le rapport du mérite, comme dans une problématique de la justice, mais uniquement sous celui du bonheur. Ces deux classes doivent être, d’autre part, suffisamment en contact pour que les gens heureux puissent observer, directement ou indirectement, la misère des malheureux, mais pourtant suffisamment distantes ou détachées pour que leurs expériences et leurs actions puissent demeurer nettement séparées.’ 24 For example, see ‘Carnage in Beirut’, Time , October 31, 1983; or ‘Beirut: Who?’, L’Express , November 4, 1983. 25 Although media coverage largely focused on Serbian atrocities during the conflict, later on they also reported on atrocities being committed by the Croatian and Bosnian-Herzegovinian sides. 26 One of them was the launch of an operation to save boat people in 1978. 27 The photographers involved were James Nachtway, Ron Haviv , Gary Knight , Antonin Kratochvil and Joachim Ladefoged . A glimpse of it can be seen on the Seven Agency website: www.viiphoto.com. 54 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains (1967-1970) » 55 3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains (19671970) » Article soumis à la revue Le Temps des Médias. Revu une première fois, actuellement en cours de révision finale. S’il est accepté par la revue, il sera publié dans le N°21 (automne-hiver 2013). 56 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) La guerre civile du Biafra comme « crise matricielle » des représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains (1967-1970) Résumé Cet article se propose d’explorer la médiatisation de la guerre civile du Biafra en montrant comment elle a marqué un « tournant » visuel important dans le reportage de guerre et le photojournalisme. Grâce à une collaboration alors inédite entre acteurs humanitaires, religieux et journalistes, qui utilisent massivement les figures d’enfants affamés, elle est devenue depuis emblématique de l’iconographie de la souffrance et de l’imagerie humanitaire. A travers une analyse comparative entre magazines illustrés et chaînes télévisées américaines, françaises et suisses, cet article démontre quels cadrages médiatiques furent privilégiés lors de cette guerre, et notamment la place des humanitaires dans cette médiatisation. Mots-clés : Biafra, guerre civile, photojournalisme, action humanitaire, presse magazine, télévision, famine Introduction La médiatisation de la guerre civile du Biafra (1967-1970), si elle a marqué la mémoire collective pour avoir été la première grande famine télévisée, a marqué un « tournant » visuel important également dans le reportage de guerre et le photojournalisme. Grâce à une collaboration alors inédite entre acteurs humanitaires, religieux et journalistes, qui utilisent massivement les figures d’enfants affamés, elle est devenue depuis emblématique de l’iconographie de la souffrance et de l’imagerie humanitaire. Si cette collaboration marque l’entrée dans une ère parfois qualifiée de « deuxième âge de l’humanitaire », elle se caractérise surtout par l’apparition d’un nouveau mouvement humanitaire en 1 1971, Médecins sans frontières (MSF) qui utilisera alors le témoignage public comme principe fondamental de son action : « Au cours de la guerre du Biafra, la communication change discrètement. De la logique institutionnelle des conférences de presse régulières et des communiqués (Croix-Rouge), la presse passe à une logique d'individualisation. Cessant d'être seulement des experts, alimentant la rhétorique de l'horreur quantifiée, les médecins sont interviewés et 2 apparaissent hommes aux motivations variées. » Sans rentrer ici dans le débat communicationnel du « tapage médiatique » par 3 Bernard Kouchner, futur MSF, contre le « silence » neutre du CICR à l’époque, 1 Voir Philippe Ryfman, Histoire de l’humanitaire, Paris, La Découverte, 2008 ou Michael Barnett, Empire of humanity, Ithaca, Cornell University Press, 2011. Ancien directeur de MSF France, Rony Brauman en a une dimension plus mesurée en évoquant non la naissance d’une nouvelle manière de faire de l’humanitaire mais celle de nouveaux acteurs, « L’humanitaire par-delà la légende », Etudes, n°3925, 2000, p. 615. 2 Yves Lavoinne, « Médecins en guerre : du témoignage au ‘tapage médiatique’ », Le Temps des Médias, vol. 1, n°4, 2005, p. 124. 3 Voir notamment l’examen nuancé qu’en fait Marie-Luce Desgrandchamps, « Revenir sur le mythe fondateur de Médecins sans Frontières : les relations entre les médecins français et le CICR 3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains (1967-1970) » 57 nous voulons démontrer ici en quoi le Biafra fut une « crise matricielle » pour les représentations médiatiques autour de l’humanitaire moderne, qui serviront à mobiliser différents référents, du droit des peuples aux « haines tribales », en passant par le génocide juif, mais aussi une forme d’« instrumentalisation 4 politique ». Cette guerre civile s’inscrit dans une visibilité de la souffrance des autres et des mises en scène favorisant la victimisation : « Un zèle compassionnel né en 1968 au Biafra pèse ainsi sur notre société et la met en 5 demeure de remédier immédiatement au scandale de la souffrance. » Cette médiatisation place désormais l’acteur humanitaire comme expert médiatique et témoin privilégié des crises ; cette démarche, encore embryonnaire pour les 6 French Doctors au Biafra, est caractéristique d’une série d’organisations humanitaires mais aussi de protagonistes du conflit qui cherchent tour à tour à imposer leur qualification de la guerre dans le discours médiatique. L’objectif de cet article est donc d’élargir les travaux historiques menés jusqu’ici sur la guerre du Biafra, pour établir une analyse médiatique comparative entre magazines illustrés et chaînes télévisées américaines, françaises et suisses, pour comprendre comment les cadrages médiatiques s’imposent autour de cette guerre et qui les impose. Nous aborderons dès lors les trois axes suivants : d’une part, l’ampleur de la couverture médiatique et ses fluctuations en terme de cadrages, notamment la place des humanitaires dans la médiatisation. Deuxièmement, l’apparition d’une focale plus nette autour de l'intervention humanitaire et d’une rhétorique victimaire qui concrétisent notamment l’iconisation de la figure des enfants. Enfin, l'utilisation d'une rhétorique « génocidaire » par le leader du Biafra et la campagne médiatique qu’il met en place, et sa récupération dans le discours journalistique, qui voient circuler des référents historiques de l’horreur dans la mémoire collective et médiatique. Méthodologie et corpus L’ensemble du corpus se compose des chaînes télévisées nationales suisses, françaises et nord-américaines (Télévision Suisse Romande – TSR; Antenne2; NBC, CBS, ABC) ainsi que des magazines hebdomadaires d'actualité internationale (L’Express (EX), Le Nouvel Observateur (NO), Time (TI), 7 Newsweek (NW)). Le choix d’un tel corpus permet la comparaison de deux médias qui s’opposent et se concurrencent à cette période: la télévision, qui joue un rôle décisif dans la médiatisation du Biafra et du Vietnam, notamment dans l’effet du direct; la presse magazine, dont le recours aux grands reportages pendant la guerre du Biafra (1967-1970) », Relations internationales, vol. 2, n°146, 2011, pp. 95-108. 4 Rony Brauman et René Backmann, Les médias et l’humanitaire, Paris, CFPJ, 1996, p.27. L’argument est contestable si l’on établit une échelle historique plus large, notamment la famine ukrainienne de 1921-1922, où le CICR et la SdN seront forcés de négocier avec la Croix-Rouge soviétique qui instrumentalise alors à des fins politiques une véritable campagne médiatique autour de la souffrance des affamés. 5 Denis Maillard, « 1968-2008 : le Biafra ou le sens de l’humanitaire », Humanitaire, vol. 18, 2008, p. 8. 6 Nous utilisons ici le terme de manière anachronique pour désigner les médecins futurs fondateurs de MSF, puisqu’il apparaît dans la presse nord-américaine lors de la guerre en Afghanistan des années 80. 7 Cette démarche fait partie d’un travail de thèse plus étendu qui vise à comprendre l’évolution des représentations et des cadrages médiatiques autour de l’humanitaire dans la presse magazine française et américaine, entre le Biafra et le Rwanda (1967-1994). 58 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) photographiques s’intensifie dans les années 1960, consacrant un certain « âge 8 d’or » du photojournalisme. Les deux médias font une place importante aux images, et notamment aux figures des affamés, comme nous le verrons plus loin. A l’instantané du direct de la télévision, les newsmagazines opposent l’analyse en profondeur car ils disposent d’une périodicité hebdomadaire et l’importance du visuel permet alors de revenir sur l’agenda marquant des 9 actualités de la semaine. L’objectif de la comparaison entre la France entre la Suisse notamment, réside dans la place qu’occupe alors le CICR dans le paysage médiatique francophone ; ses appels aux dons en 1968 seront relayés en France et en Suisse, et il change progressivement sa stratégie médiatique pour apparaître à la télévision suisse. Le parallèle avec les Etats-Unis nous permet d’évaluer la portée de ces représentations victimaires dans les télévisions et magazines américains alors focalisés sur la guerre au Vietnam, établissant des parallèles récurrents avec ce conflit lors de la guerre du Biafra. L’analyse a été menée en deux étapes : tout d’abord une analyse de contenu thématique sur l’ensemble du corpus, puis une analyse iconographique et linguistique. Celle-ci a permis de revenir plus spécifiquement sur les mécanismes de cadrage permettant de mettre en valeur les éléments saillants 10 du discours médiatique. Pour le corpus, tous les émissions et articles réalisés entre le début et la fin de la guerre, soit du 30 mai 1967 au 11 janvier 1970, ont été sélectionnés, avec une extension jusqu’en octobre 1970 pour certains sujets portant sur les conséquences directes de la guerre. Dans l’ensemble, il s’agit d’un total de 165 émissions et 86 articles traitant des actualités internationales 11 ou des émissions politiques abordant spécifiquement du conflit biafrais. La couverture médiatique au regard du travail des journalistes Pics médiatiques La guerre du Biafra se déroule dans un agenda politique chargé sur le plan national et international, que ce soit Mai 68 en France ou la guerre du Vietnam aux USA. Les parallèles sont d’ailleurs établis par les journalistes, dont certains sont aussi envoyés au Vietnam, à l’image d’Olivier Todd, reporter pour Le Nouvel Observateur (30.12.68, p.10). Les violences du conflit indochinois servent dès lors assez logiquement de référent pour mesurer l’intensité des combats au Biafra : « The result has been a conflict second only to the Vietnamese war in its bloody horror » (NW, 03.06.68, p.46C). Toutefois, à la 8 Yves Lavoinne, L’humanitaire et les médias, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2002. Jean-Marie Charon, « La presse magazine : un média à part entière ? », Réseaux, 2001, vol. 1, n°105, p. 64. 10 Cadrage ou théorie du framing, inspirée de la théorie de cadres de Goffman et théorisée en sciences de la communication par Robert Entman, « Framing : toward clarification of a fractured paradigm », Journal of Communication, vol. 43, n°4, 1993, pp. 51-58. 11 Pour les trois chaînes américaines, il s’agit seulement des actualités du soir ; de plus, les archives disponibles ne remontent que jusqu’à 1968, ce qui constitue un biais pour les émissions qui ont pu exister en 1967. Pour la TSR, il s’agit uniquement de l’émission Carrefour, grande émission d'actualité régionale diffusée trois jours par semaine. Pour A2, il s’agit du JT de 13h, de 20h et du JT Nuit, ainsi que des émissions Panorama, Les actualités françaises, Cinq colonne à la une, Point Contrepoint, Le Club de la Presse. 9 3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains (1967-1970) » 59 différence du Vietnam où l’action humanitaire sera très réduite, la guerre du Biafra se caractérise par l’ampleur des secours mis en œuvre, qui constituent le tournant principal de la couverture médiatique pendant l’été 1968 (Figure 1). 80 70 70 60 49 50 41 41 magazines 40 télévision 30 20 20 10 13 12 5 0 1967 1968 1969 1970 Figure 1. Pics médiatiques selon le nombre d’articles/émissions consacrés au Biafra Si la couverture reste moindre pour les premiers mois du conflit en 1967, c’est parce que le sujet intéresse peu les médias qui pensent vraisemblablement que 12 la guerre ne durera pas du fait de la supériorité militaire du Nigéria. Le pic médiatique suivra l’urgence de la famine en 1968, après l’appel des organisations humanitaires dans le courant du printemps. En 1969, les regains de violence et l’étranglement de l’armée biafraise suscitent plusieurs sujets sur la guerre qui se pérennise, pour se terminer sur l’effondrement du Biafra et le bilan sinistre à tirer de la guerre en janvier 1970. Même à la fin de la guerre, la focale reste encore sur les conséquences humaines. L’icône des enfants affamés mobilise encore les rédactions plusieurs mois après la guerre, au titre de la nécessité du maintien de l’aide pour les affamés. L’Express titre ainsi « la défaite des enfants » (14.09.70, p.26), illustré par une photographie d’une infirmière blanche entourant des enfants biafrais dont les corps nus et décharnés rappellent les pires moments de la famine au cœur de l’été 1968. C’est aussi l’objectif de l’émission du Club de la Presse (A2, 16.10.70), que le journaliste Jacques Sallebert débute en citant : « Je pense que vous avez encore en mémoire ces photos, assez atroces, qui ont été assez largement distribuées à travers toute la presse mondiale (…) et ce qui nous a intéressé ce soir c’est de savoir ce que sont devenus, justement, ces enfants du 12 Voir le témoignage qu’en livre Frederick Forsyth, qui couvre le Biafra pour la BBC en 1967 et qui démissionnera par la suite car sa rédaction lui refuse plus de temps pour courir le conflit ; The Biafra story, London, Penguin Books, 1969. 60 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Biafra ». Avec lui, pour répondre à ces questions, sont alignés certains des acteurs humanitaires emblématiques de la guerre, dont Max Récamier, qui créera quelques mois plus tard MSF. La figure victimaire de l’enfant domine et 13 s’impose comme un élément d’amorçage de la couverture et de la mémoire médiatique du Biafra. Elle est en fait le résultat d’un cadrage qui s’est imposé parmi d’autres, que nous allons dès à présent explorer. Labellisation du conflit Les univers sémantiques utilisés sont une première étape dans la qualification et la catégorisation des faits ; les mots jouent ici un rôle essentiel car ils font appel à la mémoire collective en plaçant les faits sur une échelle de la violence et de l’urgence. En choisissant de parler de « guerre civile » ou de « sécession » et « d’indépendantisme », les médias situent alors l’enjeu soit comme une guerre (tribale) qui fait écho avec le passé agité du continent, soit comme « le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » (revendiqué par le chef des Biafrais, le Colonel Ojukwu lui-même) et susceptible d’attirer la sympathie du public sensible aux mouvements d’indépendance tiers-mondiste des années 60. De même que l’usage du terme « massacre » au début comme à la fin du conflit, ancre le conflit dans l’historique de la haine fantasmée des Nigérians sur les 14 Ibos, et permet de laisser planer le spectre d’un « génocide » qui trouve sa place dans le discours médiatique, et sur lequel nous reviendrons plus bas. Aux premiers mois du conflit, les enjeux humanitaires ne sont pas encore présents. Les reportages cadrent sur les causes du conflit, qui sont systématiquement ramenés à l’histoire des nations africaines, aux tensions creusées par les guerres de décolonisation, aux implications des grandes puissances étrangères, notamment de l’ancienne puissance colonisatrice anglaise (Figure 2). Leur but semble être de donner aux lecteurs/spectateurs les clés de lecture des enjeux géopolitiques. Ils s’appuient néanmoins sur des repères stéréotypés, notamment les haines tribales (thème 3 Figure 2) « entre les Yaousas musulmans et les Ibos chrétiens » (NO, 19.01.70, p.17). Ce manichéisme du « schème ethnique » issu d’une haine inscrite dès l’époque coloniale, est frappant dans l’essai du Time sur le « tribalisme comme le fardeau de l’homme noir » (23.08.68, p.18). L’Afrique restera d’ailleurs inscrite les 15 décennies suivantes dans ce socle représentationnel. 13 L’effet d’amorçage vient de la théorie du priming, développée au niveau de l’image par David Domke et alii, « The primes of our times ? An examination of the ‘power’ of visual images », Journalism, vol. 3, n°2, 2002, pp. 131-159. 14 Nom de la majorité ethnique biafraise, de confession catholique, en opposition aux Nigérians du Nord, dominés par l’ethnie des Yaousas de confession musulmane. 15 Sophie Pontzeele, « Le schème de la ‘guerre ethnique’ dans la médiatisation des crises africaines : Burundi 1972 et Rwanda 1994 », Les Cahiers du Journalisme, n°18, 2008, pp. 166-182. 3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains (1967-1970) » 61 14. réconciliation (n=31) 13. relations diplomatiques (n=35) 12. pourparlers (n=76) 11. instrumentalisation de l'aide (n=21) 10. blocage/déni (n=50) 9. urgence humanitaire (n=74) 1970 8. sympathie, mobilisation (n=26) 1969 7. secours humanitaires (n=153) 1968 6. passivité internationale (n=35) 1967 5. intervention occidentale (n=57) 4. guerre, combats (n=153) 3. tribalisme/haines ethniques (n=54) 2. causes politiques (n=58) 1. causes économiques (n=44) 0 20 40 60 80 100 Figure 2. Thématiques abordées autour du conflit biafrais entre 1967 et 1970 (n=867) Ces cadrages sont toutefois fluctuants ; ils se caractérisent par une alternance entre reportage de guerre traditionnel (thèmes 4 et 12) entre 1967 et 1969 et aspects humanitaires (thèmes 7 et 9) entre 1968 et 1970. Il faut attendre le milieu de l’année 1968 pour trouver alors une véritable analyse des causes de la sécession. Cette situation est surtout caractéristique des magazines : alors que les télévisions abordent les causes économiques et politiques du conflit à fin 1967, les magazines développent des articles de fond pendant l’été 1968, au cœur même de l’urgence alimentaire, confirmant par là leur capacité de recul et 16 d’analyse par rapport à la télévision, sur un conflit qui s’éternise. Si l’ensemble des médias utilisés dans le corpus mentionne la question de l’implication des grandes puissances occidentales, condamnant majoritairement leur passivité (thème 6) parce qu’elles ne reconnaissent pas l’Etat du Biafra ou qu’elles soutiennent indirectement la guerre en fournissant des armes au Nigéria, Le Nouvel Observateur se détache des autres. Sa rédaction, proche du Mouvement de Mai 68 et des sympathisants communistes, adopte une ligne éditoriale ouvertement pro-biafraise. Il se montre d’ailleurs le plus engagé parmi les médias sélectionnés, soulignant tôt le désintérêt de l’opinion publique devant le « silence » du Biafra (14.02.68, p.14), et reprenant souvent, sans la critiquer, la victimisation mise en place par Ojukwu, que nous allons aborder ci-après. 16 Time fait sa première analyse le 23 août, Le Nouvel Observateur le 26 août et L’Express le 7 octobre. A titre d’anecdote, Newsweek publie sa première carte du Biafra le 3 juin 1968, soit un an après le début du conflit, en annonçant alors qu’il s’agit "d’une province ouest-africaine qu’un Américain sur un millier pourrait situer sur une carte" (p. 46C). 62 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Présence des journalistes sur le terrain Les fluctuations des pics médiatiques, tout comme des thématiques abordées, dépendent largement des ressources journalistiques engagées sur le terrain. Au début du conflit, les articles et émissions s’intéressent alors à la description des faits (protagonistes et causes du conflit) sans rentrer dans une dimension émotionnelle ou humaine ; cela s’explique en grande partie par le fait qu’ils proviennent de sources provenant pour la plupart d’agences de presse. C’est l’arrivée des reporters sur le terrain courant 1968 qui fera véritablement basculer vers un engagement plus prononcé en faveur du Biafra et des souffrances des Ibos. Elle est consécutive à l’enlisement du conflit dû à la défaite progressive de l’armée biafraise, le repli de sa population dans un réduit et le blocus économique, politique et humanitaire imposé par le Nigéria favorisant l’apparition de la famine ; la focale sur les victimes se met alors en place. Cette victimisation est notamment due à Ojukwu, dont la forte présence médiatique indique une véritable stratégie pour un homme qui se veut en représentation. Majoritairement sollicité dans les entretiens (environ deux fois 17 plus que le Colonel Gowon, chef de l’armée nigériane, dans notre corpus), Ojukwu parvient à imposer un cadrage autour de la persécution des Ibos, centré sur la dualité du faible contre le puissant. Elle est aussi significative de la réalité du terrain, car les journalistes occidentaux ont de la peine à rentrer dans le territoire biafrais, du fait du blocus nigérian, qui renforce la stratégie de 18 victimisation et d’isolement d’Ojukwu. Les médias se font alors le relais des atermoiements du CICR : celui-ci est en effet empêtré dans des négociations longues et difficiles. Son mandat juridique, qui le contraint à obtenir l’accord des belligérants pour intervenir, le limite face à un nouveau type d’action auquel il n’est pas habitué et qui mèneront au pont aérien pour le Biafra, point d’orgue des secours humanitaires qui se mettent en place. Cette instrumentalisation de l’aide humanitaire, à laquelle Ojukwu prend part en utilisant la famine comme moyen de pression politique, est pourtant dénoncée régulièrement par le Général Gowon qui accuse les organisations caritatives de collaborer aveuglément à sa propagande (ABC, 14.01.70 et A2, 31.10.68). Ces enjeux stratégiques sont relevés à quelques reprises par certains médias (thème 11), à l’image de Newsweek qui titre ainsi « Politique de la famine » (22.07.68, pp.41-42). En réalité, peu insistent sur la stratégie interne, aujourd’hui mieux connue, mise en place par Ojukwu, qui dispose d’une radio, La Voix du 19 Biafra, ainsi que d’une machine Télex. Il mandate aussi l’agence de relations publiques Markpress, basée à Genève, qui diffuse notamment les images d’enfants affamés dès 1968. Elle innove en organisant des convois de 17 Ce résultat contredit les recherches de Ken Waters qui affirme qu’Ojukwu donne peu d’entretiens ; « The role of Catholic missionaries in media coverage of the Nigerian Civil War », The Catholic Historical Review, vol. 90, n°4, 2004, p. 709. 18 Le blocus est également diplomatique, puisque le Nigéria empêche l’acheminement des secours autrement que dans les avions Croix-Rouge, craignant qu’ils ne contiennent des armes. Ojukwu entretient également ce blocus, en prétextant que les vivres peuvent être empoisonnés par les Nigérians. 19 Un documentaire de la BBC, Biafra: Fighting a war without guns (1995), a depuis démontré que les services secrets français auraient payé cette propagande, selon les déclarations de Paddy Davies, du Secrétariat de propagande biafraise. Voir aussi Alex de Waal, Famine crimes : politics and the disaster relief industry in Africa, Indiana University Press, 1997, p. 74. 3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains (1967-1970) » 63 journalistes pour les emmener dans le réduit biafrais dès le printemps 1968, comme le signale Time : « The firm has arranged air passage into Biafra for more than 70 newsmen from every West European nation and transmitted eyewitness reports to their publication » (23.08.68, p.27). Car c’est bien du fait de passer de l’autre côté dont il s’agit, puisque les journalistes qui se rendent sur place sont bloqués aux frontières du réduit, effectuant leurs reportages depuis les hôpitaux d’Aba ou les îles de Sao Tomé et de Fernando Pó d’où partent les avions des organisations humanitaires. Ce sont justement ces organisations, notamment les groupes religieux comme Caritas, les Protestants ou les missionnaires irlandais qui vont jouer un rôle 20 important en tentant de faciliter la venue des journalistes. C’est le cas de l’opération menée par les médias suisses en été 1968, qui envoient quatre journalistes radio et télévision suivre les opérations de secours en bordure du Biafra, en collaboration avec Caritas, Terre des Hommes, la Croix-Rouge suisse, le CICR et l’Organisation d’Entraide des Eglises Protestantes. Les propos du directeur général de la Radio Télévision Suisse romande (RTSR) en sont d’ailleurs assez éloquents : Alors on a défini un certain nombre de buts que vous allez, selon les deux équipes, devoir couvrir. (…) Il y a une grande carence en équipes techniques, c’est ce qu’il faudra aller voir. Montrez que ces équipes techniques, il en faut beaucoup, pas seulement maintenant mais pendant des semaines et des mois, parce qu’il y a beaucoup de blessés, il y a beaucoup de maladies, il y a beaucoup de gens qui crèvent de faim là-bas. (…) C’est évidemment important [d’entrer dans le réduit biafrais] parce que c’est une région aussi dans laquelle les gens souffrent. On ne peut pas aller des deux côtés à la fois. Alors tant que la situation politique est la même, (…) vous n’y allez pas. Mais par contre vous cherchez les témoins, il doit y en avoir, qui ont passé de l’autre côté, qui sont revenus, qui peuvent vous dire ce dont on souffre. (TSR, 19.08.68) Cette collaboration inaugure alors ce qui deviendra plus tard une forme de journalisme « embarqué » avec les humanitaires, donnant un accès privilégié aux journalistes à la réalité humanitaire, et une visibilité importante et gratuite pour les organisations caritatives. Pour ceux qui osent aller plus loin, cela consiste à franchir le blocus nigérian dans les avions affrétés par les Eglises jusqu’à l’aéroport d’Uli au Biafra ; leurs récits s’accompagnent donc toujours des conditions rocambolesques de l’arrivée sur place : « Un violent orage secoue l’appareil. Les tirs de DCA nous obligent à changer fréquemment de cap, à plonger dans cette masse cotonneuse qui rend la nuit plus opaque. Et puis, soudain, c’est une éclaircie : le sol apparaît, piqué de flammes » (reportage de Geneviève Chauvel, NO, 26.08.68, p.18). Pour ceux qui réussissent à entrer dans le réduit, le parti pris est assez évident, puisqu’ils assistent alors à un spectacle « sauvage et déprimant » (NW, 03.06.68, p. 46C) ; cela favorise la mise en place d’une rhétorique humanitaire, à savoir l’apparition, dans le récit médiatique linguistique et visuel, d’une focale particulière sur des catégories de souffrants (enfants, femmes, réfugiés). Ces récits comportent une charge émotionnelle marquée par la compassion et amènent parfois à des injonctions morales pour inciter les lecteurs à s’investir. 20 Ken Waters, op. cité, p. 711. 64 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Le tournant « humanitaire » dans le discours médiatique Le tournant médiatique du printemps 1968 se dessine avec la famine qui prend de l’ampleur au sein de la population biafraise ; le chant des armes s’avère moins important que l’agonie d’une population civile. Le cadrage dominant relate 21 l’urgence et les secours humanitaires. Guidés par les organisations caritatives et par les reportages in visu, les journalistes insistent sur les conditions miséreuses de la population biafraise et l’impuissance des secours sur place. Les récits sont ceux de la famine et de ses maux, à travers le symbole reconnaissable du kwashiorkor, la « maladie de la faim » (TSR, 02.09.68), qui provoque ulcères, dépigmentation et ventre gonflé. Entre mai et septembre 1968, la famine au Biafra atteint son pic et touche l’opinion publique, placée face à son « devoir d’assistance ». Le calendrier s’y prête d’ailleurs particulièrement bien : nous sommes en plein été, période où l’actualité internationale est souvent terne. Qui s’exprime ? Ce cadrage humanitaire en 1968 est orchestré par une série d’acteurs, dont le récit médiatique va s’emparer pour distribuer les rôles (Tableau 1). Catégories : Acteurs humanitaires Croix-Rouge, ONG, French doctors Communauté internationale, ONU Missionnaires, religieux Mercenaires, pilotes N= Pourcentage 248 119 79 31 25% 12% 8% 3% 113 57 8 11% 6% 0,5% 173 66 38 20 18 12 8 8 6 5 17% 7% 4% 2% 2% 1% 0,5% 0,5% 0,5% 0% 1009 100% Protagonistes du conflit Chefs politiques, militaires Combattants Prisonniers Victimes Enfants Réfugiés Civils Femmes Soldats Bâtiments Acteurs humanitaires Hommes Personnes âgées Journalistes TOTAL Tableau 1. Acteurs du conflit biafrais 21 Yves Lavoinne souligne également cette gradation dans Le Monde, qui effectue une « macabre comptabilité » ainsi que d’Antenne2 qui mobilise le souvenir des camps de concentration et la sémantique du génocide juif ; op. cité, 2005, pp. 116-117. 3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains (1967-1970) » 65 En première place dans ce tandem victimes-secouristes, on retrouve la figure des « sauveurs », celle des acteurs humanitaires. Le CICR et les sociétés nationales de la Croix-Rouge sont alors sur-représentés dans le discours médiatique (25% des acteurs). Contrairement à ce que lui reprochera ensuite 22 Bernard Kouchner, c’est le CICR qui initie la campagne médiatique autour de la famine par l’opération « SOS Biafra » d’appel aux dons le 23 mai 1968, relayée par les Croix-Rouges nationales. Cette campagne suscite un mouvement de solidarité international durant l’été et devient l’une des premières collaborations réussies entre médias et organisations humanitaires au bénéfice 23 de la famine, à l’exemple de la Chaîne du Bonheur en Suisse. Le Biafra s’invite dans le quotidien des Occidentaux, occultant le silence des premiers mois sur le conflit. Du côté des médias suisses, les délégués du CICR sont aussi plus régulièrement sollicités pour leur expertise sur la situation, à l’image d’Auguste Lindt, chargé des affaires africaines pour le CICR. Dans un souci de neutralité typique de l'organisation et de sa stratégie, leurs propos restent prudents. A la question du journaliste lui demandant de caractériser la situation biafraise, le délégué Mr. Michel répond qu’elle est « (…) très sérieuse, en raison du blocus, en raison donc de la famine épouvantable et des massacres, des très nombreux massacres qui actuellement sévissent autour de ce pays qui est dans un état très critique, je dois le répéter. » (TSR, 12.07.68). Sans utiliser de propos accusatoires mais soulignant les prévisions impressionnantes de « 1000 à 2000 » mourants par jour, le délégué laisse la porte ouverte à ceux qui croient à la thèse d’un génocide programmé par la faim, ce qui poussera le journaliste à titrer son reportage « un hallucinant génocide ». La focale est indéniablement mise sur l’horreur du « malheureux » Biafra, comme le souligne le président de la Croix-Rouge française dans son remerciement aux Français (A2, 01.09.68). Cette attitude prudente change en juillet 1969, après que le Nigéria ait abattu un avion de la Croix-Rouge. Le CICR dénoncera alors l’erreur d’appréciation tragique de certaines grandes puissances qui refusent de se mêler du conflit, constituant une première rupture « avec sa tradition de neutralité » pour « mettre en cause des gouvernements », selon L’Express (07.07.69, p.25). On trouve ensuite dans la liste les organisations caritatives religieuses (8%), dont les missionnaires irlandais. Ceux-ci sont majoritairement utilisés dans les médias américains, par proximité linguistique mais aussi parce qu’ils effectuent de véritables tournées de plaidoyers dans la sphère anglophone, ayant saisi 24 l’utilité de la médiatisation pour mobiliser nourriture et soins. Ils deviennent de véritables icônes de bienfaiteurs devant les caméras, participant à la construction du martyre des enfants biafrais, à l’image du Père Louis qui présente à la caméra des enfants mourants, dans un français parfait, devant 22 « J’étais hanté par Auschwitz (…). Pourquoi la Croix-Rouge ne parlait pas devant le phénomène monstrueux du Biafra ? » (Bernard Kouchner, A2, 30/03/89). 23 Il s’agit d’une émission radiophonique suisse créée en 1946 pour récolter des dons destinés aux miséreux. Cette chaine de solidarité est toujours active, mobilisant les dons du grand public via des collaborations médiatiques, autour de conflits ou de désastres naturels. 24 Voir notamment le rôle qu’aurait joué le Père Kevin Doheny, qui a amené le journaliste anglais Alan Hart, de l’International Televison Network, à s’intéresser au sort des enfants mourant de faim dans le courant du printemps 1968. Ken Waters, op. cité, p. 697. 66 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Jean Martel, l’un des journalistes TSR partis au Biafra en août 1968 : « Cet enfant s’appelle Jean. Il a 2 ans. Il va mourir demain ou bien peut-être ce soir. Il est trop affamé, extrêmement affamé, il n’y a pas de chance, vous voyez les cheveux… C’est un cas extrême ». Autre catégorie importante, les figures politiques ; outre les chefs politiques et militaires (11%) (représentés dans le duel Gowon-Ojukwu), la communauté internationale (12%) est aussi largement citée dans les médias français et américains, au contraire des médias suisses qui délaissent la géopolitique internationale (par désintérêt ? souci de neutralité ?). Pour les médias français, le rôle de leur ancienne puissance coloniale – et le soutien en armes de de Gaulle au gouvernement biafrais – garde une place importante dans le discours médiatique, comme d’ailleurs le support éventuel d’autres nations africaines dans l’échiquier fragile des décolonisations. Du côté des médias américains, c’est la politique interventionniste des Etats-Unis qui est questionnée, ou plutôt leur inaction en faveur du Biafra, au regard de parallèles récurrents avec leur engagement au Vietnam. Curieusement, l’ONU occupe un rôle en retrait dans le discours médiatique, reflétant certainement son implication mitigée sur le terrain. Ce sont plutôt les nouveaux héros de cette drôle de guerre qui apparaissent aussi de manière anecdotique dans le corpus, figures militaires inattendues au service d’une cause ; il s’agit des mercenaires qui dirigent les troupes du côté biafrais (3%), notamment le colonel Steiner, et les pilotes du blocus, notamment le comte Von Rosen. Ces derniers ont été classés dans notre analyse dans la même catégorie que d’autres acteurs humanitaires, les médecins européens ou biafrais, et représentent l’engagement au plus près des besoins de la population biafraise. Leur expertise et surtout leur témoignage sur un terrain difficile d’accès aux journalistes favorise leur apparition devant les médias. Toutefois, il faut noter la présence très minoritaire des French doctors (seulement 16 occurrences dans le corpus, soit 1,5 % des acteurs cités), qui bénéficieront d’une couverture médiatique tardive en janvier 1970 (exceptées les quelques tentatives personnelles des French doctors qui s’expriment dans Le Monde dès 25 novembre 1968) et uniquement dans les médias français, favoritisme national oblige. Cette présence télévisée est peut-être même due à une coïncidence, puisque six médecins français, dont Max Récamier, ne parviennent pas à évacuer avec les derniers avions bondés de la Croix-Rouge lors de l’arrivée des troupes nigérianes en janvier 1970, et se voient contraints d’errer dans la brousse avec 200 enfants qu’ils refusent d’abandonner. Le cas fournit un cadre héroïque pour le journaliste Claude Brovelli qui embarque alors sur le « vol de la dernière chance », opération rocambolesque qui permet un récit à suspens destiné à sauver les docteurs (A2, 15.01.70). Récamier sera finalement retrouvé par hasard par Brovelli devant un hôpital de brousse quelques jours plus tard (A2, 22.01.70). La légende des French doctors est née, mais leur « tapage médiatique » reste très relatif. 25 Yves Lavoinne, op. cité. 3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains (1967-1970) » 67 La pitié en actes Mobilisés par les acteurs des organisations humanitaires, les médias s’alignent assez rapidement sur le sort des Biafrais, leur détermination et le combat inégal qu’ils mènent. Cette dimension victimaire se met en place selon deux modalités. Premièrement, des récits dans lesquels les journalistes eux-mêmes se mettent en scène, sortes de carnets de route qui décrivent leur immersion dans l’enfer biafrais : « des enfants squelettiques que j’ai vus, de mes yeux, mourir de faim devant moi à Uturu » raconte Geneviève Chauvel (NO, 26.08.68, p.19). L’écriture à la première personne du singulier et l’usage de descriptions assez directes de scènes de souffrances renforcent l’impression de réalisme. Les journalistes marqués par l’horreur de la situation, sont d’ailleurs très sollicités à leur retour pour raconter les images qui les hantent, qui restent pour beaucoup les cris des enfants affamés (TSR, 28.08.68). Deuxièmement, ces reportages utilisent une mise en scène linguistique et iconique qui accentue le cadrage de l’urgence humanitaire (Tableau 2). Catégories : Parallèles historiques Avec l’Holocauste Avec la religion Avec la guerre du Vietnam e Avec la 2 Guerre mondiale N= Pourcentage 18 18 11 4 6,5% 6,5% 4% 1% 45 45 37 30 28 20 13 10 16% 16% 13% 11% 10% 7% 5% 4% 279 100% Sémantique utilisée « massacres » « génocide, extermination » « agonie, tragédie, souffrances » « infériorité, innocence » « morts-vivants » « violence primitive, tribalisme » « vautours, camps de la mort » « horreurs, atrocités » TOTAL Tableau 2. Sémantique employée autour du conflit Les récits font usage d’une sémantique qui indique une gradation de l’horreur, évoquant à la fois la violence, le religieux et le macabre. Les parallèles historiques permettent également d’établir une échelle sur les souffrances des e civils, remontant au tournant de la 2 Guerre Mondiale, confirmant ainsi le postulat de l’historien Philippe Mesnard selon lequel le génocide juif, le Biafra et le Vietnam sont devenus les univers de référence principaux des 26 représentations humanitaires. Cette sémantique se double d’une victimisation accentuée par l’iconographie, qui aboutissent à construire une hiérarchie des victimes avec la domination totale de la figure des civils sur les militaires, et la figure de l’innocence absolue des enfants. 26 Philippe Mesnard, La victime écran. La représentation humanitaire en question, Paris, Textuel, 2002, p. 23. 68 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Ces mises en scène procèdent à un véritable « face à face » (gros plans, regards Y-Y) abolissant symboliquement la distance des souffrants avec l’Occident et formant un miroir accusateur appuyé par les commentaires engagés des journalistes qui cherchent à mobiliser l’opinion, au-delà de l’information : « Haunted by those pictures of starving children, their eyes bulging, their bodies blosted or match stick thin, most Americans ask indignantly : Why has the US not done more to relieve such suffering ? » (TI, 03.01.69, p.27). Cette dénonciation morale, qui se double de l’exhibition des souffrants, s’appuie sur un registre de culpabilité, de remords ou de pitié : « Des regards d’enfants, des regards qui ne comprennent plus. Et toujours, comme adressés à chacun de nous personnellement, cette interrogation muette, immuable, résignée : pourquoi ? » (TSR, 12.07.68). Ainsi le journaliste TSR conclut-il son reportage sur l’accusation ultime d’« un hallucinant génocide, ème indigne du 20 siècle », qu’il nous reste désormais à aborder. Rhétorique « génocidaire » et condamnation morale Bien loin d’être une réalité prouvée par les faits car il n’a pas correspondu à la volonté systématique d’exterminer une population, le « génocide » au Biafra 30 sera avant tout « un slogan de communication ». Il est mis en place principalement par Ojukwu, mais sera récupéré par d’autres acteurs, dont les missionnaires, qui l’imposeront comme un cadrage relativement répandu sur le conflit au Biafra (16%). Ojukwu s’appuie sur une mémoire historique, celle des massacres perpétrés par les Nigérians sur les Ibos en 1966 ; plus généralement, il sait qu’il parle à une Europe encore marquée par le souvenir du génocide juif. Sa sémantique consiste donc à reprendre, dès le début de la sécession, les termes de « Juifs de l’Afrique » ou « pogroms » pour décrire la conspiration dont serait victimes les Ibos (A2, 14.07.67 ; NO, 14.02.68, p.14). Le parallèle semble alors tout indiqué pour les journalistes qui reprendront le souvenir de l’Holocauste à plusieurs reprises pour évoquer la « solution finale » du Nigéria (TI, 23.08.68, p.28), quoique ce soit Le Nouvel Observateur qui s’y engage le plus. Il fera d’ailleurs tribune pour Kouchner (« Un médecin accuse… », 19.01.70, pp.19-21), qui maintiendra dès ce moment la théorie que « le massacre des Biafrais est le plus grand massacre de l’histoire moderne après celui des Juifs ». Kouchner n’est pas le seul à reprendre ce parallèle ; autre grande figure de l’accusation, celle du suisse Edmond Kaiser, fondateur de Terre des Hommes en 1960. Il apparaît principalement dans les médias suisses, qui le questionnent à plusieurs reprises sur son expérience au Biafra. Connu pour sa verve, il est le plus virulent sur la dénonciation des « camps d’extermination par la faim » qu’il compare à Dachau (TSR, 28.08.68) dont il a assisté à l’ouverture. C’est un homme qui a parfaitement compris l’impact médiatique des enfants qu’ils qualifient d’« absolument tout seuls, les abandonnés, les laissés-pour-compte, les orphelins totaux, piétinés par tout le monde, qui n’ont rien à manger et qui meurent plus que tous et avant tous » (TSR, 06.09.68). Son but reste donc celui de provoquer un choc parmi l’opinion publique, qu’il cherche à réveiller de sa passivité de manière provocante ; en les comparant à des « bourgeois qui 30 Brauman, op. cité, 2000, p. 616. 3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains (1967-1970) » 69 pensent bassement » (TSR, 28.08.68), il mobilise la symbolique de l’enfance abandonnée sensée placer le spectateur adulte dans sa responsabilité de protecteur, un ressort médiatique qui s’imposera par la suite dans la couverture 31 des conflits. L’accusation de génocide reste toutefois majoritairement un objet de débat parmi les politiques – à l’exception du président gabonais Bongo qui refuse d’être « complice de ce crime international » (A2, 30.08.68) – et les journalistes, qui restent divisés sur la question. Les doutes proviennent notamment de la difficulté d’évaluation du caractère génocidaire des actes ; on le constate dans les estimations fluctuantes du nombre de morts et la confusion entre « massacres » et « extermination ». Certains journalistes soulignent ces doutes en recontextualisant les affirmations d’Ojukwu : « Besides righteousness, however, the Biafran leader possesses a considerable talent for propaganda, and he has skillfully used that talent to promote abroad the notion that Nigeria is waging a genocidal war against the Ibos » (NW, 24.03.69, p.53). Dans cette guerre de propagande, les journalistes ressentent d’autant plus la nécessité d’aller vérifier par eux-mêmes les « massacres » annoncés, en focalisant par exemple sur les bombardements de villages et d’hôpitaux par l’aviation nigériane. Cette crainte est renforcée par le blocus imposé aux journalistes à la fin de la guerre, et la peur de représailles des Nigérians sur les Ibos. Quand 80 journalistes obtiennent la permission d’entrer au Biafra fin janvier 1970, leurs récits sur les émeutes, les viols et la famine viennent ainsi en contradiction avec les autorités et observateurs internationaux, qui annoncent une situation sous contrôle (NBC, 23.01.70). Au final, cette rhétorique génocidaire couplée à la victimisation appuie l'apparition d'injonctions morales dans le discours journalistique qui, en s’en prenant à l’indifférence des puissances occidentales, quitte l’objectivité pour le compassionnel : « Mais le monde, selon toute apparence, n’est pas disposé à écouter cette avertissement. Pour l’avoir cru mort et s’apercevoir soudain qu’il se débat et se défend éperdument dans son malheur, le monde conçoit aujourd’hui qu’il a un devoir moral envers le Biafra, celui de le sauver. » (EX, 12.8.68, p.21). La couverture médiatique du conflit biafrais devient ainsi le 32 modèle d’une « rhétorique de la compassion globale » rendue possible par la télévision et l’essor du photojournalisme de guerre. On la retrouve dans les consignes alors proposées par le directeur de la RTSR : « (…) en montrant bien le côté dramatique des choses, personne derrière un bureau mais le médecin dans son hôpital, les gens qui nourrissent les enfants, les gens qui ont de la peine à trouver à manger (…) » (TSR, 19.08.68). Au-delà des questions qui se posent aux professionnels, on assiste à un usage politique de la famine par l’instrumentalisation de sa médiatisation, comme le firent Ojukwu et les organisations caritatives. Si l’on voit certes émerger les acteurs humanitaires comme témoins et experts privilégiés, le Biafra reste une guerre à part, peut-être idéalisée, dans l’alliance qui s’est créée dans la longue 31 Karin Wells, « Narratives of liberation and narratives of innocent suffering : the rhetorical uses of images of Iraqi children in the British press », Visual Communication, vol. 6, n°1, 2007, pp. 55-71. 32 Robert DeChaine, « Humanitarian space and the social imaginary : MSF and the rhetoric of global community », Journal of Communication Inquiry, vol. 26, n°4, 2002, pp. 354-369. 70 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) durée entre humanitaires et journalistes. Sur le plan médiatique, au-delà du changement indéniable qu’apporte l’effet du direct télévisé, le photojournalisme d’alors prouve qu’il pèse de tout son poids sur la mémoire collective, si l’on tient compte de la pérennité des icônes du Biafra dans les représentations des famines contemporaines. Il reflète également l’évolution du champ humanitaire qui se construit, depuis les guerres du Congo et du Biafra, dans un axe NordSud. Et c’est peut-être tout là l’enjeu, au sein de ces représentations médiatiques, de reconstruire un lien émotionnel symbolique pour franchir la distance géographique entre souffrants et spectateurs. 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 71 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (1967-1994) » Article publié dans : Questions de communication, 2011, n°20, pp. 105-134 72 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) questions de communication, 2011, 20, 105-134 VALÉRIE GORIN Fonds national suisse de la recherche scientifique Université de Genève [email protected] « LE MARTYRE DES INNOCENTS » : MISES EN SCÈNE VISUELLES ET DISCURSIVES DE LA MORT DE MASSE DANS LES CRISES HUMANITAIRES (1967-1994) Résumé. — Le propos se concentre sur les représentations de la mort de guerre dans la presse magazine internationale, à travers quatre conflits armés de la fin du XXe siècle : les génocides biafrais et rwandais, les guerres civiles du Liban et d’exYougoslavie. Ces représentations discursives et visuelles des tués de la guerre révèlent à la fois des différences de traitement selon l’origine ethnique des conflits mais aussi une hiérarchisation des victimes. De plus, que les reportages favorisent des représentations d’une mort brutale et massive, à l’image de massacres emblématiques de ces conflits, ou de l’individualisation de la souffrance des civils, ils en appellent souvent à l’émotionnel et, par-delà, à une intervention de la communauté internationale. Enfin, soulignant l’in-montrable plus que l’indicible, ces représentations cachent à la vue des spectateurs les morts portant atteinte à l’intégrité physique des corps, comme le démembrement et la décomposition. Au-delà des visions macabres, ces manières de dire et de faire voir questionnent aussi nos seuils de sensibilité dans notre rapport à la souffrance des autres, proche ou lointaine. Mots clés. — Mort, représentation, photographie, magazine, guerre, victime, massacre 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 73 A u printemps 1945, les premières photographies des camps de concentration inondent la presse internationale, choquant l’opinion publique devant l’ampleur du crime perpétré contre les Juifs d’Europe. Véritable pédagogie de l’horreur, ces photographies présentent de manière crue des masses de cadavres émaciés dans des articles dont les titres ne cessent de soulever l’horreur et la barbarie des actes commis. Cinquante ans plus tard, ces représentations de la mort dans les camps nazis restent encore le référent absolu des atrocités de guerre dans les mémoires collectives (Zelizer, 1998), alors que le XXe siècle a connu depuis de nombreux conflits sanglants et de nouvelles formes de guerre. Des famines aux génocides et guérillas urbaines, ces violences extrêmes n’ont pas toutes été représentées de la même manière dans les médias de masse. Certaines morts sont tues, cachées, alors que d’autres sont exposées au regard, amplifiées par des discours décrivant parfois des pratiques cruelles de mise à mort. Une seule constante domine néanmoins, celle de l’attention sur le sort des civils qui constituent les principales victimes des conflits armés depuis la Shoah (Melander, Öberg, Hall, 2009)1. Cette injustice criante des réalités de la guerre moderne est régulièrement soulevée dans le discours médiatique sous la symbolique du « martyre des innocents », dans les dernières décennies d’un XXe siècle qui a aussi vu le développement d’un idéal de l’action humanitaire moderne, celui d’apaiser un horizon de souffrances toujours plus vaste. Pourquoi donc les récits journalistiques informent-ils sur les conflits, mais peinent-ils parfois à en représenter les morts en images ? C’est un phénomène complexe à cerner, car les représentations des tués de la guerre sont liées à des sensibilités2 particulières : « Car bien plus que la mort ordinaire, la mort de guerre est singulière. Héroïque et lamentable, redoutée et attendue, injuste et acceptée, elle ne ressemble en rien à son image anticipée avant la bataille » (Capdevila, Voldman, 2002 : 7). C’est sur la base de ce postulat que cette contribution se propose d’avancer, en étudiant les mises en scène et la construction de la signification des représentations de la mort de guerre dans les grands reportages photographiques. Existe-t-il un contexte particulier à mettre en relation avec l’exposition dans les médias occidentaux des morts en temps de guerre, dans des conflits plus ou moins lointains ? Sous quelle(s) forme(s) apparaît-elle ? Peut-on dresser une forme de hiérarchisation et une typologie des tués ? Existe-t-il des différences au niveau des images et du discours, et si oui, lesquelles ? À l’exception du remarquable travail des historiens Luc Capdevila et Danièle Voldman (2002) sur les tués de la guerre au XXe siècle, cette thématique bénéficie de peu d’études approfondies. Toutefois, de récents travaux abordant la médiatisation des conflits armés permettent des comparaisons intéressantes sur plusieurs points. D’abord, les ____________________ 1 Voir le tableau 2 sur la violence ciblant les civils entre 1956 et 2004 (p. 523). Les conclusions des auteurs soulignent toutefois une diminution des pertes civiles dans les conflits armés depuis le milieu des années 90. 2 Nous entendons ici par sensibilité la capacité d’une personne à être réceptive sur le plan psychique et moral, susceptible de réagir par de la compassion, de l’émotion, de la sympathie. La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 74 travaux de Susan Moeller (2002) et de Karen Wells (2007) sur l’utilisation de la figure victimaire des enfants dans les représentations médiatiques des blessés et/ou morts de guerre de cette dernière décennie, nous laissent supposer que leur nombre est en augmentation. De plus, il existe une différence notoire dans les représentations des morts de guerre selon leur origine ethnique, les victimes européennes bénéficiant d’une couverture médiatique plus étendue que les victimes africaines, bien souvent oubliées dans des discours banalisant et réactivant les vieux schèmes du sauvage, de la guerre ethnique et du conflit tribal (Pontzeele, 2008). Enfin, comme le soulignent Christian Delporte, Marie-Anne Matard-Bonucci et Ouzi Elyada (2005), certaines morts restent absentes dans les représentations médiatiques, particulièrement quand il s’agit de génocides. En s’appuyant sur une étude empirique, cet article présente une première analyse des représentations discursives et iconographiques de la mort de guerre dans les médias et son « spectacle victimaire » (Mesnard, 2002 : 8). Pour ce faire, nous avons choisi de nous fonder sur une approche historique, à la fois transversale et diachronique. Transversale d’abord, puisqu’elle entend croiser un corpus international, fondé sur une sélection de la presse magazine constituée de deux titres anglophones – Newsweek (NW) et Time (TI) – et deux titres francophones – L’Express (EX) et Le Nouvel Observateur (NO)3. L’intérêt d’un tel croisement de sources repose d’abord sur la similitude des supports : le modèle du newsmagazine, créé par Henry Luce en 1923 avec le Time, sera repris en France dans les années 604. Les deux titres américains et français bénéficient du plus haut tirage dans leur catégorie5, s’adressant à la classe moyenne et aux cercles politiques sous la forme de reportages illustrés, esthétiques et mis en scène sur papier glacé, qui oscillent entre information, analyse et opinion (Charon, 1999 : 63-64). En usant de la photographie couleur dès les années 60, ce modèle favorise l’utilisation du photoreportage pleine page, soit en dépêchant un photoreporter sous contrat dans une région en conflit, soit en achetant les photographies aux agences ou à des photographes free-lance (ce qui peut conduire à retrouver les mêmes images d’un magazine à l’autre)6. Ces similitudes permettent donc ____________________ Dans le souci d’alléger le texte, ces initiales seront utilisées pour signaler l’origine des sources citées dans l’article. 4 Le format de base A4 américain, sera repris pour les modèles français. Le modèle de la couverture reste le même (titre en haut et photographie pleine page) ainsi que la structure interne du magazine (table des matières divisée en sections internationale, nationale, économique, culturelle, sociale). Le sujet de couverture est mis en valeur dans le magazine dans une section spéciale, intitulée « En couverture » ou « Special report ». À ce sujet, voir notamment la présentation de L’Express que fait J.-M. Charon (1999 : 14). 5 Les quatre magazines sont diffusés à échelle nationale et internationale, avec une nette supériorité de tirages pour les deux titres américains. En 2010, les tirages sont de 3 312 484 exemplaires pour le Time et de 1 610 632 exemplaires pour Newsweek (source Audit Bureau of Circulation); de 643 888 exemplaires pour Le Nouvel Observateur, de 630 678 exemplaires pour L’Express (source OJD). 6 Les magazines ont notamment recours aux plus grands noms de la photographie. À l’époque du Biafra déjà, les quatre magazines achètent les photos de Gilles Caron (Gamma) ; au cours des an3 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 75 de comparer des codes culturels dans les représentations médiatiques autour des tués de la guerre, et d’y repérer d’éventuelles différences, notamment dans la sélection des photographies : « Ces choix sont influencés à la fois par les codes inhérents culturellement aux images et par les pratiques culturelles et organisationnelles qui guident le choix des rédacteurs » (Banks, 1994 : 119)7. Ces manières de dire et de faire voir ont été mises en valeur par une analyse semi-inductive de contenu sur les textes et les images, ainsi qu’une analyse sémiologique plus poussée sur certaines photographies emblématiques. Nous nous sommes notamment appuyé sur les « mécanismes de cadrage » définis par Salma Ghanem (1997), relatifs aux effets de saillance induits par l’utilisation de titres, citations, légendes et images. L’approche choisie se veut également diachronique, puisqu’il s’agit de comparer quatre conflits armés éloignés sur l’échelle spatio-temporelle, dans le but d’y repérer d’éventuelles différences dans le traitement médiatique de cette violence de guerre, selon l’époque et selon les espaces géographiques concernés. Les quatre conflits sélectionnés sont emblématiques du « deuxième âge » de l’humanitaire moderne : la guerre civile du Biafra (1967-1970) ; la guerre civile du Liban, plus particulièrement pendant l’invasion israélienne entre 1982 et 1983 ; la guerre civile en ex-Yougoslavie (1992-1995), surtout l’invasion de la Bosnie-Herzégovine et le siège de Sarajevo ; le génocide du Rwanda (1994). Ces quatre conflits sont caractéristiques de ce qu’on a appelé « les nouvelles guerres » dans la seconde moitié du XXe siècle, se démarquant de conflits armés traditionnels sous plusieurs angles. Tout d’abord, la forme de violence induite par l’armement technologique industriel (notamment les bombardements aériens) qui favorise la destruction de masse, comme le furent les sièges urbains de Beyrouth et Sarajevo. Ensuite, de nouveaux acteurs militaires se démarquent, non plus sous la forme d’armées conventionnelles mais sous forme de milices, dont l’action ne s’aligne pas toujours sur les principes du droit international et favorisant donc des exactions sur les civils. De plus, les logiques génocidaires ou de « nettoyage ethnique » qui se mettent en place dans certains de ces conflits – au Biafra, au Rwanda et en ex-Yougoslavie – s’appuient sur des haines anciennes – y compris au Liban – qui favorisent une violence extrême sur un ennemi déshumanisé dont l’extermination reste le but final8. Le lien à un passé douloureux, aux relents de nationalisme et aux discours ____________________ nées 90, des photographes tels que James Nachtwey (Time), Christopher Morris (Black Star), Ron Haviv (Saba/Réa), Gilles Peress (Magnum), Luc Delahaye (Sipa) verront leurs photoreportages sur l’exYougoslavie ou le Rwanda publiés dans un ou plusieurs des quatre magazines. 7 « These choices are influenced by both the culturally embedded codes the images contain and the cultural and organizational practices under which the editors operate ». 8 Au Biafra, les accusations de génocide par les Nigérians sur les Ibos ne remontent pas à la sécession mais à des massacres antérieurs, en 1966 notamment. Au Liban, les tensions entre Israéliens et Libanais se mêlent au difficile et douloureux imbroglio du conflit israélo-palestinien depuis 1947-1948, puis avec le début de la guerre civile libanaise en 1975 et les premiers massacres entre Chrétiens, Juifs et Arabes. En exYougoslavie, la haine ethnique entre Bosniaques, Croates et Serbes se nourrit de batailles historiques qui remontent au XIVe siècle, et plus particulièrement aux Première et Seconde Guerres mondiales. Enfin, au Rwanda les tensions entre Hutus et Tutsis – quand bien même elles sont le produit d’une construction racialisée du colonisateur belge – remontent aux premiers massacres de 1959. La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 76 idéologiques se déroule dans des régions au mélange ethnique et/ou religieux, favorisant aussi un « imaginaire de mort », des « fantasmes destructeurs » face à l’anéantissement de l’Autre (Sémelin, 2005 : 33-34). Cet ensemble de facteurs a pour conséquence de cibler les civils, pris au piège d’une violence de guerre massive et meurtrière : entre un et deux millions de civils tués pour le Biafra, environ 150 000 pour l’ex-Yougoslavie, environ 500 000 pour le Rwanda (Smith, 1997) et près de 40 000 pour le Liban (Eckhardt, 1987)9. Nous commencerons par présenter le rôle des journalistes dans les manières de représenter la mort ou dans la couverture des conflits, mais aussi dans le contexte lié à la médiatisation de certains épisodes sanglants. Puis nous aborderons la typologie des représentations de la mort, que cette mort soit collective ou individuelle, très réaliste (notamment l’accentuation qui est faite sur les différentes manières de mourir) ou allusive (son odeur, mais aussi son ombre qui plane). Nous exposerons enfin la typologie des victimes de la guerre, que celles-ci soient humaines (civils ou soldats) ou matérielles (dans la figure particulière des villes-cimetières), victimes qui apparaissent aussi dans le récit des survivants ou les lieux d’exposition des cadavres. Représenter la mort de guerre du point de vue américain et français Il existe relativement peu de différences de traitement entre les pratiques journalistiques américaines et françaises, la plus marquante étant celle du volume rédactionnel dédié aux quatre conflits étudiés10. Celui-ci est plus massif pour les magazines américains qui consacrent des articles plus longs et plus illustrés ___________________ 9 Les chiffres avancés pour la guerre du Liban concernent la période 1982-1987. Toutefois, il faut noter qu’il ne s’agit que d’une estimation pour l’ensemble des chiffres cités, tant le calcul des pertes se révèle parfois difficile et contesté selon les terrains des conflits. 10 Afin de travailler sur une échelle temporelle semblable pour chaque magazine, la sélection du corpus s’est effectuée entre des bornes chronologiques arbitraires qui ne correspondent pas toujours aux dates de début et de fin officielles des conflits, fixées par l’auteur et relatives aux phases de guerre les plus intensives. Pour le Biafra, la période retenue pour la sélection du corpus se situe entre le 30 mai 1967 (début de la sécession biafraise) et le 31 janvier 1970 (fin de la guerre). Pour le Liban, le corpus démarre avec le début de l’opération israélienne « Paix en Galilée » le 6 juin 1982 jusqu’à la fin de l’année 1983, au moment où les troupes américaines et françaises commencent à se retirer du Liban. Pour l’exYougoslavie, le corpus commence au début de la guerre de Bosnie-Herzégovine et le siège de Sarajevo dès le 6 avril 1992 jusqu’aux accords entre Croates et Bosniaques fin mars 1994. Pour le Rwanda, le corpus démarre avec l’assassinat du président Habyarimana le 6 avril 1994 jusqu’aux répercussions de l’épidémie de choléra dans les camps de réfugiés à fin décembre 1994. 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 77 aux conflits présentés, et ce de manière récurrente depuis les années 1960 (tableau 1)11. Rwanda Yougoslavie Liban Biafra Time 24 96 72 32 Newsweek 19 67 71 15 L'Express 17 46 49 30 Le Nouvel Observateur 17 46 51 10 TOTAL 77 255 243 87 Tableau 1 : :Volume rédactionnel (nombre de numéros) consacré aux quatre conflits. Cette différence se manifeste également au niveau des images, puisque les magazines américains semblent favoriser plus volontiers l’utilisation de photographies présentant des scènes de carnage exposant la vue du sang et laissant deviner les mutilations faites aux corps. Ce type de représentation est caractéristique d’une forme de spectacularisation de l’information, particulièrement depuis les conflits des années 90. Cette évolution se constate aussi dans les deux magazines français, au risque de provoquer une banalisation de certaines représentations de la mort, comme le soulève la journaliste Susan Moeller (1999). Ainsi, bien plus que des nuances professionnelles, ce sont surtout des différences de traitement par rapport à la géographie des conflits qui sont apparentes. Les quatre magazines ont couvert plus largement les guerres du Liban et d’ex-Yougoslavie, en y consacrant des articles quasi hebdomadaires, au contraire des génocides biafrais et rwandais qui apparaissent à une fréquence moindre dans les magazines. Ceci a donc une conséquence sur le type de morts représentés, comme nous le verrons plus bas. Ce résultat peut surprendre puisqu’on pourrait penser que c’est l’ampleur des massacres et la durée des conflits (la guerre d’ex-Yougoslavie dure près de trois ans, tout comme la guerre du Biafra) qui déterminent la couverture médiatique, et non l’origine ethnique des victimes. Cela souligne toutefois l’importance de la proximité – à la fois géographique12 et ethnique – des événements quand ils concernent la mort de populations plus ou moins distantes des publics concernés, interrogeant dès lors ____________________ 11 Le tableau présente le nombre de numéros pour chaque magazine, dans lequel est paru un article relatif à l’un des quatre conflits. Dans le corpus, a été retenu tout article relié directement au conflit, que ce soit sous la forme d’un éditorial, d’une brève ou d’un reportage. 12 La question se discute de savoir si l’on peut inclure la population libanaise dans la catégorie « européenne », si l’on considère la large occidentalisation du pays et son passé colonial français, ainsi que sa proximité géographique avec l’Europe. Les résultats de notre analyse laissent toutefois présumer que c’est ce rapprochement culturel et géographique qui prime dans les rédactions des quatre magazines. La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 78 les Occidentaux sur la présence d’une telle « boucherie qui se déroule à [leur] porte » (NO, 04/06/92 : 66), à l’exemple du conflit yougoslave. Présence des journalistes sur le terrain La représentation de la mort dans les conflits étudiés est largement dépendante de la présence sur place de journalistes plus aptes ainsi à constater des faits. Dans les quatre régions concernées, les magazines ont dépêché sur place un envoyé spécial pendant une partie ou la totalité du conflit, souvent un reporter de guerre chevronné et habitué aux scènes de mort13. Leurs récits, souvent tenus sous la forme d’un journal de guerre, favorisent l’emploi du « je » et caractérisent ainsi le point de vue du journaliste qui permet de qualifier et d’évaluer la portée dramatique qu’il veut donner face à la confrontation de scènes de guerre parfois insoutenables : « Ce qui a vraiment dérangé [James] Wilde par rapport à sa mission a été de voir ce qui arrivait aux Biafrais [...]. “L’air est fétide de désespoir et de mort. Rapporter cette histoire est déprimant au-delà de toute description” »14 (TI, 23/08/68 : 3). L’intérêt de leur expérience réside dans le fait qu’ils opèrent souvent des parallèles avec d’autres conflits, dans des récits où la mort de guerre se mesure en comparaison du nombre de morts ou de la brutalité de guerres précédentes. Si la Seconde Guerre mondiale et l’extermination des Juifs d’Europe restent les référents principaux quand il s’agit d’évoquer les civils anéantis dans le siège des villes ou les pratiques d’extermination, la volonté d’accentuer la « barbarie » de certaines mises à mort conduit à des parallèles avec des pratiques d’un autre âge (le Moyen-Âge ou les guerres de religion), au risque de jouer sur les schémas réducteurs. Par leur présence sur place, les journalistes sont surtout des témoins réguliers de l’enfer que vivent les civils et soulignent certains aspects des scènes de guerre auxquelles ils assistent. À la description du chaos total se mêlent ainsi des comptes rendus du choc visuel et sensoriel que peut représenter la mort collective, à l’exemple d’André Pataud se rendant sur les lieux du massacre des camps de Sabra et Shatila au Liban en septembre 1982 : « Déjà l’odeur, fade mais cependant plus forte que la puanteur des ordures. Des cadavres par grappes, que tire, au bout d’une élingue, un tracteur. Noircis, méconnaissables, gonflés au point de faire éclater les vêtements. La mort fige leur dernier geste : celui, notamment, de ces deux enfants – ils avaient moins de 5 ans – serrés l’un contre l’autre comme pour se protéger. Passons... » (EX, 01/10/82 : 39). Si le journaliste ne veut pas s’attarder sur ce qu’il semble considérer comme du voyeurisme morbide (« passons... »), son récit rappelle que la mort a une odeur. Il insiste sur ____________________ Il s’agit notamment d’O. Todd au Biafra pour Le Nouvel Observateur, de V. Hugueux qui arrive de Bosnie au Rwanda en août 1994 pour L’Express, ou encore de J. Hammer, correspondant du bureau africain de Newsweek qui couvrira tout le Rwanda. 14 « What really troubled Wilde about his assignment was what he saw happening to Biafra and its people [...] “The air is fetid with despair and death. Reporting this story is depressing beyond description” ». 13 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 79 deux points : l’état des cadavres comparés à un fruit trop mûr illustre l’horreur de la décomposition et du déni de sépulture, comme de vulgaires végétaux que l’on aurait laissés pourrir au bord de la route ; le scandale de la mort des enfants, symboles d’une innocence fauchée sans raison. À plusieurs reprises dans les quatre conflits étudiés, les journalistes sont donc pris dans le déroulement d’épisodes marquants15. Les représentations qui en sont faites soulignent deux aspects importants. D’une part, cette visibilité du conflit, et donc celle des morts, est dépendante de l’accès au terrain pour les journalistes ; ce n’est pas toujours le cas, à l’exemple du blocus de Sarajevo, qui nécessite « trois jours et deux nuits de marche » pour le photographe danois Jorgen Hildebrandt, dont le témoignage « rompt le silence dont se désole la population » (EX, 14/08/92 : 8). Au Rwanda, très peu de journalistes seront présents au moment même du génocide au printemps 1994, l’essentiel du contingent médiatique arrivant au moment de l’épidémie de choléra en été 1994 et favorisant des représentations autour des charniers où l’on entasse les milliers de victimes. D’autre part, la description de ces épisodes sanglants survient dans un agenda médiatique qui tente de soulever une opinion publique internationale. Un contexte qui favorise l’appel à l’intervention étrangère Les représentations des épisodes mentionnés ne sont pas anodines. Elles sont conditionnées à un regard extérieur, celui du journaliste, de sa rédaction, mais aussi, dans une seconde étape, au lectorat du magazine, qui s’indigne devant le sort des civils et le nombre de morts pour lesquels la communauté internationale ne fait rien. La mise en relief de ces morts, notamment dans les titres des articles et dans les images, cherche bien souvent à appeler à une intervention militaire et/ ou humanitaire, correspondant ainsi aux topiques de l’esthétisation, de l’émotion et de la dénonciation évoquées par Luc Boltanski (1993). Cette interpellation se retrouve dans les quatre conflits, même si elle est majoritaire pour les conflits européens. Les journalistes choisissent donc d’humaniser la guerre, à l’image de l’expression du cri de rage des habitants de Sarajevo : « Comment osez-vous nous laisser crever ! » (no, 09/12/93 : 76). L’usage du terme « crever » manifeste un dédain, comme on le ferait pour un animal qu’on laisse mourir, devant le sort de toute une population exposée à une Europe indifférente. À l’inverse, dès que les possibilités d’une intervention occidentale sont discutées surgit alors le spectre, dans les récits journalistiques, du fiasco d’interventions précédentes. Le Vietnam notamment, et ses quelques 59 000 morts dans les rangs de l’armée américaine, servent à rappeler dans les mémoires collectives à quel point les opinions publiques occidentales restent sensibles devant leurs propres morts. ____________________ Les camps de nutrition biafrais (été 1968), l’assassinat du président libanais B. Gemayel et le massacre des camps de réfugiés de Sabra et Shatila (septembre 1982), les attentats contre les bâtiments français et américains au Liban (octobre 1983), la découverte des camps d’internement serbes (août 1992), l’épidémie de choléra dans les camps de réfugiés rwandais (été 1994). 15 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 80 Quand la mort de guerre se décline sous formes réalistes et allusives Au-delà de la présence des journalistes sur le terrain, ce sont les rédactions qui opèrent un choix sur ce qui est montré et dit de la mort en temps de guerre. Tout n’est pas montrable ; les formes de représentation de la mort de guerre qui en découlent informent sur les sensibilités en cours et sont le produit d’une volonté : « Montrer les cadavres, montrer le champ de bataille “après” relève en effet d’un regard particulier sur la guerre » (Gervereau, 2006 : 92). Cette analyse présente donc les nuances dans les mises en scène de la mort de guerre, qu’elles soient présentées sous des formes réalistes (le nombre de morts, l’origine ethnique des victimes, mais aussi la « monstration » des cadavres et leur décomposition) ou sous des formes plus allusives (la mort en « sursis » ou la mort absente, presque taboue). Mort individuelle/mort collective La mort en temps de guerre est avant tout une mort de masse, puisqu’elle concerne une population à l’échelle d’un territoire et des groupes de combattants. Il n’est dès lors pas étonnant de constater qu’elle se décline sous forme collective dans la majorité des cas, bien que l’ampleur des morts soit variable, allant du simple « décompte » des morts dans une journée de combats, à l’hécatombe consécutive à l’extermination de masse dans un génocide. Toutefois, il existe aussi des représentations discursives et iconographiques focalisant sur la mort individuelle (tableau 2), qui méritent d’être relevées quant à la signification qu’elles donnent à la perte de cet individu. Biafra Liban Yougoslavie Rwanda Individuel 12 50 58 24 Collectif 85 197 142 134 Tableau 2 : Évolution des représentations des morts collectives/individuelles entre 1967 et 199416. On peut constater une différence dans les représentations autour des conflits biafrais et rwandais, dans lesquels prédominent les massacres de grande ampleur liés aux génocides, à la famine et aux épidémies. La mort se décline dans les mots et les images sous le qualificatif de « masse », que ce soit devant la vision de dizaines de corps empilés dans les campagnes rwandaises, ou dans les statistiques ____________________ Ce tableau, ainsi que les suivants (à l’exception du tableau 6), présente des données unifiées qui sont tirées à la fois des analyses de textes et d’images qui ont été menées sur le corpus. 16 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 81 dramatiques tentant de rendre compte du nombre de morts : « Huit millions de Biafrais meurent de faim »17 (TI, 23/08/68 : 20). Dans une guerre africaine, la mort est donc anonyme, noyée dans le vertige des chiffres qui laissent rarement la parole aux victimes. L’accent est mis sur la disparition d’une population à l’échelle d’un pays, et non sur l’exemplarisation du sort d’une personne, comme cela ressort pour les représentations individualisantes de la mort dans les conflits européens. Ce type de représentations rend compte de la réalité des guérillas urbaines, où la mort se décline à plus petite échelle, à l’exemple des « cartons » que font les snipers à Sarajevo : « 10 morts, 42 blessés mercredi dernier ; 11 morts, 62 blessés jeudi ; 3 morts, 16 blessés vendredi, et ainsi de suite »18 (NW, 24/01/94 : 13) ; elle illustre néanmoins une différence notoire entre Blancs et Noirs, puisque plus la victime est proche de l’Europe, plus elle est susceptible de voir sa mort relevée et détaillée dans un discours qui est fait par et pour des Occidentaux. La perte de certains individus aurait ainsi plus de valeur que d’autres, plus encore quand cette personne incarne l’innocence d’un sauveteur dont le geste humanitaire est fauché dans la sauvagerie de la guerre : « Frédéric, un Genevois de 39 ans, est mort dans les bras de ceux qu’il était venu sauver, à l’hôpital de Sarajevo » (NO, 04/06/92 : 64). Enfin, dans de rares cas, la mort ne se décline plus à l’échelle d’un individu ou d’un groupe, mais à celle d’une nation. Dans cette dimension métaphorique, l’espace géographique est ainsi comparé à l’anatomie humaine, à un corps dont l’ennemi dispose pour le mettre à mort en le disloquant : « Et s’il succombait, le Liban ? Bien sûr, aujourd’hui, un pays ne meurt pas vraiment : on le découpe, on le dépèce, on le réduit, faute d’oser l’effacer de la carte, comme jadis » (EX, 23/09/83 : 45). Il semblerait ainsi plus facile d’évoquer le démembrement dans la figure « neutre » du corps national que du corps humain, même si la métaphore ici présente n’est pas sans évoquer la réalité que subissent les populations. En effet, quand L’Express parle du « Rwanda, petit morceau d’Afrique cliniquement mort » (07/07/94 : 6), c’est le futur de toute une nation qui est mis en péril. À l’image d’un électro-encéphalogramme plat, le « cliniquement mort » évoque l’étendue de l’extermination qui a décimé des générations d’habitants, dans un pays où l’on ne trouve presque plus signe de vie. Une représentation allusive qui semble plus parlante que toute statistique citant les centaines de milliers de victimes. Comment meurt-on en temps de guerre ? Evoquer la mort collective ou individuelle est indissociable de la manière dont les victimes sont mortes. Dans les représentations, l’ampleur des victimes dépend largement des moyens utilisés pour les mettre à mort (tableau 3), qui ____________________ 17 « Eight millions Biafrans are starving to death ». « Ten dead, 42 wounded last Wednesday ; 11 dead, 62 wounded Thursday ; 3 dead, 16 wounded Friday ; and so on ». 18 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 82 conditionnent leur exposition dans le discours médiatique, que ce soit dans le texte ou les photographies. Tableau 3 : Types de mort représentés. Ces résultats confirment donc la prédominance des conflits européens dans le discours médiatique, comme en témoignent les nombreuses représentations du Liban et de l’exYougoslavie où l’on meurt par bombardements et par balles. Viennent ensuite ce qu’on pourrait appeler les formes de morts « secondaires » ou collatérales, avec les aléas habituels des guerres que sont la famine et le froid. La mort par la faim reste prédominante dans les représentations du conflit biafrais mais s’atténue par la suite, les médias privilégiant d’autres formes de mort plus spectaculaires19. À l’inverse, la mort par le froid – qui est inexistante dans les conflits africains et libanais pour des raisons climatiques – suscite une plus grande indignation dans les récits journalistiques lors du conflit yougoslave, puisqu’elle concerne un type de mort présent en France : « Le froid a fait dix morts en France cet automne. Combien l’hiver en fera-t-il à Sarajevo ? » (NO, 09/12/93 : 76). La comparaison insiste sur le « eux » et le « nous », laissant ainsi sousentendre que ce qui n’est pas acceptable près de chez nous ne devrait pas l’être un peu plus loin. De plus, les représentations de la mort par épidémie de choléra au Rwanda révèlent un cas intéressant tant il ravive de vieilles peurs liées au spectre de la mort des siècles précédents, autour du terme de « fléau » et de l’image de la Grande Faucheuse. Enfin, l’apparition d’une catégorie telle que celle de l’arme blanche est révélatrice de l’insistance qui est faite dans les représentations ____________________ La famine souffre d’une forme de banalisation dans le discours médiatique, dans les décennies qui suivent le Biafra, à l’exception notoire de la famine éthiopienne en 1984-1985 et de la famine somalienne en 1992. Dans les deux cas, c’est le matraquage médiatique d’images présentant des corps décharnés qui interpelle l’opinion publique internationale et amène à de vastes programmes d’aide humanitaire (voire militaro-humanitaire pour la Somalie, Moeller, 1999 : 97-155). 19 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 83 des morts du conflit rwandais sur l’usage de la machette. Devenue instrument « symbolique » du génocide rwandais, elle souligne dans les récits journalistiques une mort « horrible » accentuée par l’usage d’outils primitifs, tels que « serpes » et autres « gourdins noueux », véritables instruments de mise à mort ou « arsenal d’assassins » (EX, 07/07/94 : 11). À travers ces manières de mourir prédomine dans les représentations toute l’allégorie du massacre et son champ sémantique, dans des qualificatifs qui soulignent la quantité et le sang : « massacre », « carnage », « orgie », « bain de sang », « atrocités », « boucherie ». Aucun mot ne semble suffisant pour décrire à la fois l’ampleur des morts et le choc que leur vision provoque, forme déjà critique face à la représentation de cette mort : « barbarie », « horreur » et « terreur », « cauchemar ». Ces termes prédominent dans des titres ou des légendes qui encadrent des photographies exposant des cadavres lors d’épisodes sanglants, comme en témoigne l’exemple de cette série de photographies du massacre de Sabra et Shatila (photographie 1). 84 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Photographie 1 : Time, 04/10/82, p. 13. L’usage de la couleur n’est pas anodin. Il permet de distinguer sur et autour des corps les traces des blessures, le noir l’emportant sur le rouge, signifiant donc que le sang a séché et que les cadavres sont laissés à l’air libre depuis plusieurs heures. Les vues plongeantes, écrasantes ainsi que les plans moyens resserrés focalisent sur les victimes au centre des images, accentuant par cette vue écrasante et les angles inclinés les corps criblés de balles, comme pour symboliser le vertige de l’horreur. Les visages sont presque tous cachés ou distants, l’accent étant plutôt mis sur la disposition des corps dans leur environnement, et donc les conditions dans lesquelles la mort est survenue. Elle a été brutale, en fauchant des vies vaquant à leur quotidien, dans la rue, laissant des cadavres exposés au regard de tous, y compris à celui des journalistes. Le choix des trois photographies 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 85 expose aussi la variété des victimes, jeunes adultes, femmes, vieillards, jetant ainsi à la face du monde la preuve indéniable que ce sont des civils. Cette impression est renforcée par leurs habits, tels la robe et le voile de la femme ; le vieillard en pyjama, sa canne et ses chaussons visibles, symbolise toute la faiblesse et l’innocence du noncombattant. De telles images soulignent donc les sensibilités évoquées plus haut devant les cadavres laissés à l’abandon et le massacre inacceptable de civils. Autre cas significatif, la mort par balles est surreprésentée dans le conflit yougoslave à l’image des victimes de snipers (photographie 2). Photographie 2 : L’Express, 03/07/92. Ce type d’images, que l’on retrouve régulièrement dans les quatre magazines au cours du conflit yougoslave, emblématise la mort individuelle évoquée plus haut. La photographie se concentre sur la victime au premier plan, dont la forme allongée, horizontale, est accentuée par un plan moyen rapproché. Gisant de tout son long sur le sol, la victime a encore les yeux ouverts, ce qui indique une mort instantanée, la personne ayant été fauchée alors qu’elle se déplaçait. Le cadre laisse deviner des éléments urbains, accentuant le sentiment de mort par surprise et l’incongruité de trouver un individu mort sur le trottoir d’une ville. L’usage de la couleur, qui permet de distinguer les traces de sang sur le visage de la victime, ne montre pas l’entrée de l’impact de la balle qui a tué la personne, ceci étant précisé dans l’article sur le sujet de couverture. L’individu assis à côté, prostré, la main sur le visage, laisse apparaître la présence du vivant au côté du mort, dans une attitude reconnaissable d’abattement et de chagrin. La photographie souligne donc le choc de la mort survenue au milieu des citadins, où la rue est devenue un danger constant face aux snipers jamais montrés, cachés dans La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 86 l’ombre des ruines où la mort rôde, et souligne l’aspect inadmissible de telles circonstances de mise à mort dans le sous-titre qui souligne la proximité de la zone de conflit avec l’Europe, comme si ce type de mort n’était plus acceptable pour l’Occident. L’odeur de la mort Associée aux représentations des corps morts surgit l’odeur de la mort, caractéristique de la puanteur des cadavres, et donc de l’urgence d’enterrer des corps dont la décomposition renvoie aux miasmes malfaisants du XIXe siècle : « On va les enterrer côte à côte, entre deux couches de chaux vive. Vite : il fait chaud, on voudrait en finir... Mais les soldats munis de masque à gaz qui ratissent le dédale du camp signalent constamment de nouvelles découvertes » (EX, 01/10/82 : 39). La chaleur qui attise l’odeur, la chaux vive pour éviter les épidémies, les masques à gaz pour éviter la contamination, tout indique une proximité malfaisante de la mort dont ne s’accommodent plus les vivants. La décomposition des cadavres domine dans des représentations relatives à des Photographie 3 : situations de chaos, face à des populations dont L’Express, 29/12/94, p. 19. le sort importe peu. C’est le cas notamment du Rwanda (49 % des cas) ou des réfugiés palestiniens massacrés à Sabra et Shatila (29 % des cas)20. Affichés comme des sortes de « marqueurs » de l’étendue du désastre (NW, 20/06/94 : 34), ces cadavres décomposés laissent deviner dans les représentations qui en sont faites la désorganisation de la société civile en temps de guerre. L’état de décomposition se mesure parfois sur les images ; le cas est particulièrement flagrant durant le génocide rwandais, qui est le seul à présenter des images de squelettes ou d’état avancé de pourriture des corps (photographie 3). Le plan d’ensemble permet nettement de distinguer un amas de corps dispersés à l’horizon, dans une vue plongeante accentuant l’écrasement des corps fondus, presque intégrés à la poussière du sol, dans un environnement plutôt rural qui rendra familière l’expression des « champs de la mort »21 (NW, 23/05/94 : 28-29) pour le Rwanda. Les os apparents, distinguables sous les vêtements aplatis, présentent donc des corps à l’état de squelettes indiquant un état très avancé ____________________ 20 Les représentations de ce type sont quasiment inexistantes pour le Biafra, ainsi que pour la Yougoslavie où les morts sont enterrés rapidement. Voir la sous-partie « La mort et les lieux où elle s’expose » du présent article. 21 « Killing Fields ». 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 87 de décomposition puisque la chair a disparu. L’état et la disposition des corps, sortes de marionnettes désarticulées, soulignent le grotesque de cette mort brutale, dans une situation où l’on n’arrive pas proprement à distinguer toute l’anatomie des corps, sauf pour le squelette au premier plan dont la tête, les bras, les pieds ainsi que la cage thoracique explosée laissent supposer que la personne a été découpée. Cette forme de mise à mort est d’ailleurs soulignée dans l’article qui accompagne la photographie, expliquant que les bourreaux s’en prennent particulièrement aux membres supérieurs et inférieurs de la victime, ainsi qu’à son visage. Le cadre choisi par le photographe, qui a voulu montrer l’état des corps aussi bien que leur emplacement face à un bâtiment avec une croix, symbole reconnaissable d’une église, accentue l’horreur et l’inacceptable d’une extermination qui ne respecte plus les lieux sacrés22. La mort en sursis La mort de guerre se retrouve aussi sous une forme intermédiaire, dans la symbolique du « mort-vivant », caractéristique d’une mort lente mais sûre, une sorte de mort en sursis. Elle est essentiellement associée à la famine, comme cela ressort pour le Biafra (49 % des cas) où l’image-icône des victimes (photographie 4) en fait des individus qui n’ont « plus d’apparence humaine »23 (TI, 07/03/69 : 23). Photographie 4 : Le Nouvel Observateur, 19/01/70. ____________________ 22 Nous reviendrons sur la question des églises dans la sous-partie « La mort et les lieux où elle s’expose » du présent article. 23 « Did not even look human ». 88 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Cas particulier pour le Biafra, ce type de photographies souligne l’usage exceptionnel de vivants – ou « morts-vivants » – pour figurer les victimes du conflit. En gros plan, nous pouvons distinguer plusieurs petits corps décharnés, notamment le garçon au premier plan dont les bras squelettiques, les côtes apparentes et le visage abattu laissent deviner un état de dénutrition avancé. Le cadre choisi avec le cercle mime un effet de resserrement de l’objectif, dans un horizon que l’on devine peuplé de petits garçons africains (tous n’étant pas forcément en état de mort imminente), comme si les enfants étaient sous la mire d’un fusil et promis à une mort plus ou moins inéluctable à plus ou moins brève échéance. À travers cette photographie, barrée par l’immense titre « La honte », c’est plutôt une mise en accusation à laquelle on assiste. Comment a-t-on pu les laisser mourir, eux les « presque morts », eux les enfants, alors qu’on aurait pu en sauver certains ? Cette couverture du Nouvel Observateur qui annonce la fin de la guerre du Biafra en 1970 fait le choix d’utiliser l’image-icône du conflit d’enfants vivants mais affamés, pour résumer une réalité toute autre soulignée dans l’article : la famine a tué près de deux millions de personnes, majoritairement des enfants. Le souvenir des disparus à l’image vient donc rappeler la culpabilité (et la responsabilité) des Occidentaux. Cet usage de vivants pour figurer la mort est également présent dans la figure de la mort latente venue du ciel, à l’image d’une bombe pouvant tomber à tout moment au milieu des vivants, comme on le retrouve dans le conflit yougoslave (24 % des cas) et, dans une moindre mesure, pour le conflit libanais (9 % des cas). La mort cachée Enfin, il convient également de souligner les formes de mort qui n’apparaissent pas dans les photographies, ou qui n’apparaissent qu’à moitié, questionnant ainsi la volonté de « monstration » de certaines morts que l’on aurait voulu cacher. Cette forme de mort concerne surtout la représentation de corps déchiquetés, démembrés, que ce soit par explosion ou par armes blanches, dont la description n’apparaît que dans les discours : « Épouvantable chasse à l’homme : ici, semblant encore animés d’un mouvement de fuite, cinq frères gisent devant le portail de leur maison ; là, ce sont trois femmes, le crâne éclaté à coups de machette, qui se sont écroulées dans la poussière » (EX, 21/04/94 : 8). Ce type de représentations, dominante notamment dans le cas du Rwanda (29 % des cas) qui fait ressembler la mort à une « chasse à l’homme », se caractérise par une attention accrue sur le corps humain, sorte de gibier qui a été dépecé. Les récits traquent les mutilations infligées, expliquant les parties du corps visées (visage, membres) alors que les images se taisent ; un tel silence iconographique laisse deviner un seuil de tolérance infranchissable face à l’in-montrable d’un corps écrasé, en morceaux (déchiqueté). Ce seuil de sensibilité se constate aussi dans les représentations de corps « démembrés » pour les conflits libanais (42 % des cas) et yougoslave (24 % des cas), pour lesquels les récits exposent le broiement des corps dans les bombardements qui font s’écrouler les immeubles, mais dont les 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 89 photographies cachent le corps. Parfois même, nul besoin de figurer le corps en entier ; une partie suffit à laisser imaginer le reste, comme on le découvre sur la couverture de L’Express (photographie 5). Photographie 5 : L’Express, 14/08/92. Dans ce très gros plan, le photographe a choisi de n’illustrer qu’une main qui émerge au milieu des végétaux, mais dont l’état de décomposition laisse deviner l’état général du corps. La peau flétrie, desséchée, crevassée, et surtout les doigts manquants présentent un corps qui a soit souffert du climat – les feuilles et la boue indiquent que l’on est en extérieur – soit subi des mutilations dont seules les blessures infligées à la main sont présentables. Les couleurs, dans lesquelles se mélangent les tons tristes du gris et du brun, accentuent l’impression de désincarnation de ce bras qui se fond dans la boue autour de lui, comme s’il n’appartenait déjà plus à un corps. Cette main flétrie et déchirée fonctionne par métonymie pour incarner tout le sort d’un peuple, à l’image du titre qui souligne l’abandon des Yougoslaves à leur sort, « damnés de l’Europe » destinés à disparaître cruellement comme cette main déchiquetée disparaît dans le froid et l’humidité. Typologie des tués de la guerre et lieux d’exhibition des cadavres Dans les différentes formes que nous avons constatées autour des mises en scène de la mort de guerre apparaissent les morts eux-mêmes. Qui sont-ils, ou 90 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) plutôt qui est représenté ? Sont-ce toujours des civils, n’y a-t-il pas parfois des combattants, qui devraient logiquement figurer parmi les premières victimes des conflits armés ? Les cadavres sont-ils la seule manière choisie par les magazines pour évoquer la mort ? Il est nécessaire de nuancer, puisque l’on constate qu’au fil des différents conflits, l’usage des récits des survivants survient plus largement dans le discours médiatique pour représenter la mort de guerre que le choix de photographies mettant en scène des cadavres. Qui sont les morts ? À décrire et exposer la mort et le mal, les représentations journalistiques désignent forcément deux catégories, celle des victimes et celle de leurs agresseurs, alors qu’il n’existe pas toujours de distinction nette entre combattants et non-combattants dans le cadre de guerres civiles. Ce dualisme repose sur la rhétorique fondamentale et parfois simpliste (ou réductrice) du fort contre le faible et se traduit par une forme de hiérarchisation victimaire (Brauman, Backmann, 1996) qui apparaît de manière frappante dans les représentations discursives et iconographiques qu’en font les médias (tableau 4). Biafra Liban Yougoslavie Rwanda Prêtres 0 0 0 8 Acteurs humanitaires 2 1 6 2 Soldats 3 93 19 6 Bâtiments 0 103 80 0 Civils 75 143 175 104 Tableau 4 : Typologie des victimes de 1967 à 1994. On constate ainsi la très nette majorité des victimes civiles mises en avant dans les représentations médiatiques des tués de la guerre, au détriment des victimes combattantes. Cela ne signifie pas forcément que les soldats meurent moins en temps de guerre, mais que leur mort est moins scandaleuse que celle des civils et ne figure donc pas nécessairement dans le discours médiatique, à l’exception des pertes étrangères dans le cas d’une intervention internationale, comme nous le verrons plus bas. Surgissent également deux autres catégories mineures et ce de manière sporadique : les acteurs humanitaires, qui périssent essentiellement en Yougoslavie et dont la représentation de la mort souligne les nouveaux contextes périlleux d’intervention humanitaire des années 90 ; les 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 91 prêtres, nouvelles victimes lors du conflit rwandais où les massacres se déroulent dans les églises. Enfin, catégorie particulière mais importante, les bâtiments euxmêmes sont souvent utilisés dans les représentations médiatiques des tués de guerre comme des symboles de la destruction des vivants, incarnant dans les vestiges des ruines des villes devenues des cimetières. De manière générale, les civils évoquent « l’agonie des innocents »24 (TI, 28/06/82 : 20), résumant ainsi l’impuissance du David contre Goliath. Parmi eux se dessine une échelle de l’innocence des victimes, des vieillards aux femmes, des femmes aux enfants, les deux derniers constituant la majorité des victimes (tableau 5). Biafra Liban Yougoslavie Rwanda Vieillards 2 2 6 4 Hommes 2 12 22 10 Femmes 8 23 27 25 Enfants 36 35 45 49 Tableau 5 : Hiérarchie des victimes civiles de 1967 à 1994. Depuis le Biafra, on constate donc que les enfants reçoivent un traitement spécifique, incarnant par leur jeune âge l’innocence absolue de ceux qui ne comprennent pas la folie des adultes et qui ne peuvent donc prendre parti (ni être pris à partie) pour des causes politiques, religieuses, ethniques. Au-delà, c’est aussi le futur d’une nation qui est menacé quand les jeunes générations sont fauchées dans la mort de masse. Il est à noter que la mort des civils prend une forme particulière de désignation dans le discours médiatique sous les termes de « meurtre » et d’« assassinat » tout au long des quatre conflits, basculant ainsi du vocabulaire guerrier du massacre à celui du juridique. De plus, bien que la religion soit pratiquement absente de toutes les formes de représentation de la mort de guerre étudiées dans notre cas, la sémantique religieuse de l’enfer survient ci et là dans les discours pour souligner le calvaire que subissent les civils, certains épisodes bibliques semblant plus à même d’étalonner l’horreur que des faits réels. L’« apocalypse » sert d’échelle pour mesurer l’ampleur de la destruction des villes alors que les assiégés sont présentés comme des « sacrifiés » ou des « crucifiés » injustement détruits dans l’effort de guerre, alors que la masse de réfugiés qui se jette sur les routes au Rwanda fait penser à « un exode de dimension biblique »25 (NW, 16/05/94 : 8). Relativement minoritaire tant la mort des civils l’emporte dans la plupart des représentations autour des tués de la guerre, la mort du soldat apparaît de manière sporadique, en particulier quand les récits se concentrent sur les combats au tout début de la couverture ____________________ 24 25 « Agony of the innocents ». « It was en exodus of biblical sweep ». La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 92 médiatique des conflits. Toutefois, il faut soulever le cas relativement récurrent de photographies de combattants, qui ne représentent pas des tués de la guerre à proprement parler, mais qui sont souvent utilisées dans les mises en scène médiatiques pour désigner la figure de l’agresseur, et par là la potentialité du danger létal qu’il incarne. Qui sont donc les tueurs, les « faiseurs » de mort ? Au long des quatre conflits, les forces armées sont forcément pointées du doigt. Cependant, le cas du conflit yougoslave est très intéressant, parce qu’il est le seul à mettre en scène des victimes à côté de leurs « bourreaux ». Les milices serbes sont nettement désignées, à l’appui d’images condamnant sans appel, comme celle montrant un soldat frappant des morts au visage (photographie 6). Photographie 6 : Time, 20/04/92, p. 37. Ce type de photographies, mimant une sorte de « cruelle danse macabre »26 (NW, 06/07/92 : 22), est propre au conflit yougoslave, pendant lequel le « nettoyage ethnique »27 conduit les combattants à afficher leur haine. Sur cette image, on distingue clairement un individu dont les attributs (fusil à viseur, lance-grenades, bottes de combat, écusson et treillis militaire) indiquent qu’il est un soldat. Le cadre choisi joue sur les axes, le vivant debout et les morts allongés à ses pieds. Le genou levé indique un coup de pied qui semble se diriger dans le visage de la femme. Sous l’un des visages, une flaque de sang laisse deviner que les trois corps allongés sont probablement morts, leurs habits indiquant qu’il s’agit de civils. La ____________________ 26 « Cruel danse macabre ». L’usage du terme « nettoyage ethnique » nécessiterait une étude discursive dans laquelle nous n’entrerons pas ici. Voir à ce sujet A. Krieg-Planque (2003). 27 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 93 position enchevêtrée des corps suppose qu’ils ont été abattus en marchant ou en courant, la photographie pointant le fusil comme arme du crime. Au-delà de l’acte ignominieux de s’acharner sur des cadavres (le coup de pied) s’ajoute un détail sinistre, la cigarette que le soldat tient à la main, non sans une certaine nonchalance. Là s’arrête le langage de l’image, puisqu’il faut la précision de la légende pour comprendre ce qui s’est passé. Le photographe, qui a assisté à la scène, indique qu’il s’agit bien de trois victimes civiles abattues par le soldat et son groupe, la victime tout à droite étant un homme musulman auquel les deux autres femmes ont voulu porter secours28. Même si la légende rapporte le discours des soldats qui affirment que c’était de la légitime défense, l’image met en accusation ce qui passe pour un crime de guerre ; ce type de photographies accompagnera d’ailleurs régulièrement des articles appelant au jugement des exactions commises sur les civils. Enfin, il faut encore noter l’attention particulière qui est mise par le discours médiatique sur les représentations de la mort de soldats étrangers lors d’interventions militaires, comme au Liban et en Yougoslavie. Leur mort, lorsqu’il s’agit d’un seul individu, est toujours mentionnée. Cette mort reste très sobre dans les mises en scène, quand bien même il s’agit de centaines de morts, comme on le remarque lors des attentats contre les soldats américains et français en avril et octobre 1983 au Liban. C’est l’effort de paix qui est ici fauché, dans des articles où la mort est cachée à l’image, à peine évoquée dans les chiffres de comptage des corps et où prédomine la reconnaissance du sacrifice des héros. Une telle attitude interroge sur les sensibilités, et pourrait laisser penser que la sobriété des représentations sert à ne pas choquer les opinions publiques des lecteurs face à leurs propres morts. Les vivants ou les survivants En évoquant les atrocités commises dans les conflits, les journalistes préfèrent souvent dans leurs descriptions laisser la parole aux témoins (tableau 6). Cette pratique peut signifier plusieurs choses : soit combler un déficit d’informations, les journalistes n’étant pas sur le terrain, soit sortir les tués de la guerre de l’anonymat par le récit des survivants en leur donnant un visage humain, soit encore laisser décrire la réalité de la mort en temps de guerre dans les mots de ceux qui l’ont vue. ____________________ 28 « The commandos kick the bodies of dead Muslims. The man in the center died first, shot by the guerrillas. Two women who ran to his aid were also killed, one after the other, by the soldiers, who claimed the civilians were armed and had fired on them » (TI, 20/04/92, p. 36). La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 94 Tableau 6 : Répartition de l’usage des récits de survivants entre 1967 et 199429. Soulignant ainsi les différences déjà remarquées entre conflits africains et européens, la parole semble plus largement accordée aux victimes survivantes blanches. Néanmoins, on constate une augmentation de ce type de discours pour le Rwanda, qui peut venir souligner une réalité du terrain : la majorité des journalistes n’étant pas sur place ou n’ayant pas vu directement les actes du génocide rwandais au moment des faits, le recours aux récits de survivants permet d’illustrer des faits, en même temps qu’il souligne toute la cruauté de la mise à mort in-montrable à l’image. En effet, ce type de récits se concentre largement sur des scènes de sauvagerie. Elles se déroulent souvent à l’échelle individuelle, décrivant une situation que l’on pourrait qualifier d’anecdote de guerre, mais leur multiplication dans le récit journalistique semble déterminer qu’elles représentent une horreur à plus large échelle, comme si chaque individu au final, avait vécu la même situation. C’est du moins cette représentation cruelle de la guerre que les magazines veulent mettre en avant. Les récits sont précis, même si la rigueur journalistique de mise souligne que rien n’est vérifié : « La plupart des histoires horribles étaient impossibles à vérifier et provenaient de personnes blessées, effrayées [...]. Près de Tuzla en Bosnie orientale, un témoin éperdu a vu trois filles musulmanes se faire dénuder jusqu’à la taille et enchainer à une barrière “à l’usage de tous”. Après trois jours de viol, le témoin a raconté, elles ont été arrosées d’essence et brûlées »30 (NW, 17/08/92 : 8). En évoquant le viol répétitif et les victimes brûlées vives, ces discours témoignent de faits crus, ____________________ 29 Ce tableau présente ici uniquement des données issues de l’analyse des textes du corpus. 30 « Most of the horror stories were impossible to confirm and came from hurt, frightened people [...]. Near Tuzla in eastern Bosnia, a distraught eyewitness saw three Muslim girls who were strip-ped to the waist and chained to a fence “for all to use”. After three days of rape, the witness said, they were doused with gasoline and set on fire ». 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 95 où la mort se rapproche d’actes de barbarie, là où bien souvent les images font défaut. Ce récit devient encore plus manifeste quand il s’agit de rencontrer des survivants des « camps de concentration » serbes découverts en ex-Yougoslavie en août 1992. De telles scènes prennent une tournure d’autant plus dramatique qu’elles bénéficient de descriptions détaillées, souvent heure par heure, d’épisodes sanglants dans lesquels on cherche à expliquer la mort en la représentant comme une sorte d’acte de folie des tueurs, à l’exemple du massacre de Sabra et Shatila : « Les premiers rapports étaient fragmentaires mais horrifiants. Un groupe d’hommes armés est entré dans les camps de réfugiés de Sabra et Shatila au sud de Beyrouth et a ouvert le feu sur tous ceux qu’ils rencontraient. Ils ont assassiné des jeunes hommes en groupes de dix ou 20, ont tué des mères, des bébés et des vieillards. Ils ont même tiré sur des chevaux. Et quand ce fut fini, ils ont essayé, dans une manière évoquant la Seconde Guerre mondiale, de détruire l’évidence en poussant les corps par bulldozer dans des fosses communes »31 (TI, 27/09/82 : 8). À travers ce récit la mort est vue comme un acharnement (les jeunes hommes, les femmes, les enfants, les vieillards) qui frôle l’absurde, puisque même les chevaux sont abattus. Une mort sale, incompréhensible, une mort à cacher, dont même les responsables ont honte puisqu’ils tentent de cacher les preuves en les ensevelissant. La mort et les lieux où elle s’expose Un nombre important d’articles offre aussi des représentations de la destruction des villes, particulièrement au Liban et en Yougoslavie (ce n’est pas le cas pour le Rwanda et le Biafra, pour lesquels il n’y pas eu de sièges urbains, même si des bâtiments ont pu être touchés par les combats). Dans ce cas, ce ne sont pas seulement les êtres vivants que la guerre tue, mais aussi tout l’environnement dans lequel ils vivent. D’une certaine manière, le sort des villes incarne le martyre des vivants qui meurent sous le feu des bombes : « Beyrouth : comment meurt une ville » (NO, 07/08/82, couverture). Il n’est pas rare de voir des reportages consacrés à l’allégorie de la ville fantôme, où la disparition du vivant s’inscrit dans les rues désertes, les murs criblés de balles, les ruines laissées à l’abandon. Ce type de représentation va encore plus loin pour le conflit yougoslave puisque l’on en vient à utiliser le terme « urbicide » pour qualifier la destruction des centres urbains, voire même de « mémoricide » tant le « nettoyage ethnique » en place s’efforce de faire disparaître, dans les corps humains et les corps d’habitation, toute trace de la communauté qui y a vécu (EX, 03/07/92 : 38-39). Enfin, les morts sont ____________________ 31 « First reports were fragmentary but horrifying. A group of armed men had entered the Sabra and Shatila refugee camps south of Beirut and opened fire on everyone they could find. They murde-red young men in groups of ten or 20, they killed mothers, babies and old people. They even shot horses. And when it was over, they attempted, in a manner reminiscent of World War II, to destroy the evidence by bulldozing the bodies into makeshift common graves ». 96 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) représentés dans les discours et les photographies, dans des lieux traditionnels d’exposition des cadavres, que ces lieux soient des endroits de passages où il faut préparer les corps, ou des endroits de repos éternel (tableau 7). Rwanda Yougoslavie Liban Biafra 4 44 32 6 22 13 14 4 11 26 32 2 Églises 21 4 3 Morgue 2 14 6 Hôpital 1 15 12 Tombes Fosses commune s Enterrement 4 Tableau 7 : Les lieux traditionnels d’exposition de la mort de 1967 à 1994. L’apparition de ces différents lieux d’exposition dans les représentations des morts selon les quatre conflits révèle des manières différentes de gérer les cadavres. Encore une fois, les cas libanais et yougoslave sont largement surreprésentés, les victimes blanches bénéficiant de tombes individuelles et pour lesquelles le temps du deuil est reconnu et souligné. De nombreuses photographies présentent des scènes d’enterrement dans les cimetières, signifiant qu’on a pris le temps de ramasser le mort, de le pleurer et de lui donner une sépulture décente. Ce n’est pas le cas dans les représentations de fosses communes, plutôt caractéristiques du Rwanda, qui soulignent, d’une part, l’anonymat des corps enterrés dans l’urgence (principalement par risque de contamination), d’autre part, le caractère massif du nombre de morts qui ne permet plus la gestion au corps par corps. Aux fosses communes succèdent parfois les charniers, stigmates indélébiles dans les zones de combat d’une mort violente, qui n’apparaissent pas dans les images mais dans les mots et sont associés à des morts que l’on ne laisse pas en paix. Présent dans la fin du conflit yougoslave, ce type de représentation est associé à la figure du médecinlégiste exerçant dans une morgue et signifie donc une attention particulière autour des victimes, dont la mort injustifiable nécessite la recherche des preuves d’exactions sur les cadavres. Enfin, si la vision de scènes de mort dans les hôpitaux libanais et yougoslaves présente cet endroit traditionnel où l’on tente de lutter contre la mort, elle est représentative d’une société malgré tout organisée qui permet l’évacuation des blessés, alors que cela n’est plus le cas pour le Biafra ou le Rwanda, pour lesquels les églises deviennent des lieux de mort, inversant ainsi ces sanctuaires de protection des vivants en lieux où l’on commet le sacrilège de profaner les asiles. 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 97 Conclusion En survolant ces trois décennies de conflits et les représentations qui en sont faites, on constate plutôt une certaine stabilité dans les mises en scène visuelles et discursives de la mort. Si ces représentations sont plus marquées et plus nombreuses dans les années 90, notamment par une mort esthétisée dans le grand reportage photographique, elles changent peu dans l’essence même de ce qu’elles donnent à voir et à comprendre de la mort. Confirmant la première de nos hypothèses, ces représentations utilisent principalement la figure de la victime civile, d’autant plus quand c’est un enfant symbolisant l’innocence et la perte des générations à venir. Qu’elle soit collective ou individuelle, la représentation de la mort en temps de guerre sert avant tout à évaluer si « un seuil de tolérance a été franchi » devant le « massacre d’innocents » (EX, 17/02/94 : 5). Utilisant « stratégiquement » (Molotch, Lester, 1996) certains événements emblématiques de ces conflits, les rédactions alternent entre la description de la masse des morts pour provoquer l’horreur et récits individualisés des survivants pour favoriser la projection des publics à l’échelle d’une vie. La « loi de la proximité » joue un rôle prépondérant, puisque la victime africaine disparaît au profit de la surmédiatisation de la victime européenne. Toutefois, dans le corpus étudié, les magazines sélectionnés ne sont pas complètement passés à côté du Rwanda. Même en plus petite quantité, l’exhibition des morts rwandais existe et met en scène une mort brutale, massive, où les représentations cherchent à soulever le caractère presque primitif de la mort, à l’exemple de l’usage symbolique de la machette. Ceci est d’autant plus accentué que les représentations font ressurgir des figures plus anciennes de la mort, en usant de comparaisons avec des référents historiques tels que l’Holocauste et la barbarie de l’extermination de masse, la sémantique religieuse apocalyptique ou encore les fléaux millénaires que sont les épidémies et la famine. Quand la mort violente apparaît à l’image, elle est souvent associée à un épisode sanglant qui suscite l’indignation, ou qui est tout du moins mis en scène dans le récit journalistique comme une mise en accusation d’une mort inacceptable. Cela souligne les rapports entre société civile et morts de guerre et leurs évolutions dans les mentalités, qui sont passés d’une héroïsation de la bataille à la victimisation et à la perte de sens (Puiseux, 1997). Si la titraille et les photographies en couleur soulignent l’horreur, les textes s’éloignent d’une description purement formelle des massacres pour tenter de (re)donner du sens à l’absurdité de la mort des civils en appelant à une intervention militaro-humanitaire, voire à un jugement pénal international. Des nuances existent toutefois entre mises en scène discursives et visuelles. Il n’y a pas d’indicible mais il y a de l’in-montrable. Les mots ont donc tendance à être privilégiés quand il s’agit de présenter les manières de mourir, particulièrement dans les scènes de cruauté, en compensant certaines mutilations irreprésentables à l’image. Ainsi, la mort portant une atteinte à l’intégrité physique du corps, que ce soit par amputation, démembrement, explosion, n’est-elle pas visible dans les La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 98 photographies. Les raisons de ce « silence » iconographique sont probablement à mettre en relation avec une forme de pudeur devant les images de broiement des corps, sorte de tabou absolu qui donne un poids relativement important à l’image : « Les photographies constituent un moyen de rendre « réelles » (ou « plus réelles ») des choses que les privilégiés, ceux qui n’ont pas à craindre pour leur sécurité, pourraient préférer ignorer » (Sontag, 2003 : 15). Cette attitude révèle donc des sensibilités tournées vers des publics européens, pour lesquels des scènes de carnage, de pourriture, de puanteur des cadavres et de la mort d’enfants constituent des seuils de tolérance qui peuvent être difficilement franchis, d’autant plus que ce type de scènes n’est plus visible sur la scène occidentale depuis la Seconde Guerre mondiale32. À l’exception des cadavres décomposés, dont on ne distingue plus que les squelettes des charniers du Rwanda, aucune scène identique n’est perceptible pour les morts des conflits libanais et yougoslaves. De telles pratiques soulignent donc des sensibilités orientées à la fois sur la nationalité de la victime et la vision des supplices qu’a subis son corps mais restent néanmoins filtrées par les rédactions. Un tel constat nécessiterait de pouvoir prolonger l’analyse entreprise dans cet article par une étude des pratiques journalistiques, rédactionnelles et photographiques. Comme l’a souligné Anna Banks (1994 : 124)33 dans son étude sur les news internationales, les images produites à l’étranger sont toujours enfermées dans « deux discours » : « [Elles] sont créées dans un contexte et vues dans un autre ». Elles sont révélatrices de sensibilités en jeu à la fois sur le terrain de guerre et dans les rédactions. Le choix de prendre en photo ou de détailler par écrit tel ou tel type de mort ou de victime se fait déjà par le photographe ou le reporter au moment des faits ; ce choix est donc dépendant du système de valeurs et de la perception du conflit du journaliste, comme le souligne Vincent Hugueux (2004 : 231)34 : « Comment vais-je réagir face à la mort, au danger, à la souffrance, à l’injustice ou aux scintillements du pouvoir ? Serai-je capable de mettre en mots l’indicible ? ». En conséquence, montrer la mort dans les médias est-il le résultat d’un voyeurisme obscène, d’une banalisation de la mort, d’un renchérissement de l’horreur face à la concurrence des autres médias ? D’un souci d’objectivité ? D’une intention de montrer la réalité et la complexité des violences de guerre parmi les villes et la population ? D’un simple statut de spectateur compassionnel qui est celui du journaliste témoin ? Ou celui d’un acteur engagé qui pousserait, par la « monstration » des cadavres, à l’intervention de la communauté internationale ? Il est difficile de trancher parmi ces positions. C’est notamment sur ce débat ____________________ 32 Une exception notoire est celle des catastrophes naturelles, qui offrent une profusion de représentations de morts collectives, touchant aussi les enfants et dans lesquelles la décomposition est souvent évoquée puisqu’il faut parfois plusieurs jours pour retrouver les cadavres. Voir à ce sujet G. Clavandier (2004). 33 « Images created in one context and viewed in another ». 34 V. Hugueux est grand reporter à L’Express. 4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) » 99 autour des difficultés à montrer la mort, plus que de la dire, que Barbie Zelizer (2005 : 27) revient dans son article sur les photographies des tués de guerre en Afghanistan : « Alors que les journalistes ont tendance à relater des histoires de mort dans des comptes rendus élaborés qui détaillent les dimensions les plus complexes du comment et pourquoi un tel est mort, ils n’offrent pas le même traitement détaillé à la visualisation de la mort »35. Ce dilemme sera évoqué par Andrew Purvis, reporter du Time au Rwanda, qui s’interroge sur la nécessité d’inonder l’opinion publique d’images du carnage et le devoir d’information du journaliste36. Car ces photographies sont pour la plupart des publics l’un des lieux uniques de rencontre avec la mort, aussi violente soit-elle. Cela suscite plus que jamais des interrogations à l’heure où les nouvelles pratiques médiatiques, notamment l’usage des blogs et le journalisme amateur, laissent diffuser nombre d’images non censurées et non commentées de morts parfois atroces, antagonisme frappant à une période où la rhétorique de guerre officielle occidentale tente de faire disparaître la mort dans un discours lénifiant de « zéro morts », « frappes chirurgicales » et « dommages collatéraux ». Références Banks A., « Images Trapped in Two Discourses : Photojournalism Codes and the International News Flow », Journal of Communication Inquiry, 18 (1), pp. 118134. Boltanski L., 1993, La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique, Paris, Métailié. Brauman R., Backmann R., 1996, Les médias et l’humanitaire, Paris, cFpj. Capdevila L., Voldman D., 2002, Nos morts. Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre, Paris, Payot. Charon J.-M., 1999, La presse magazine, Paris, Éd. La Découverte. Delporte C., Matard-Bonucci M.-A., Elyada O., dirs, 2005, « Shoah et génocides. Médias, mémoire, histoire », Le Temps des Médias, 2 (5). Gervereau L., 2006, Montrer la guerre ? Information ou propagande, Paris, Éd. Isthme. Ghanem S., 1997, « Filling in the Tapestry : The Second Level of Agenda Setting », pp. 3-14, in : McCombs M., Shaw D., Weaver D., eds, Communication and Democracy : Exploring the Intellectual Frontiers in Agenda-Setting Theory, Mahwah, NJ, Lawrence Erlbaum Associates. ____________________ 35 « For while journalists tend to recount stories of death verbally in elaborated accounts that detail the most intricate dimensions of how or why one died, they do not offer the same detailed treat-ment to death’s visualization ». 36 « The first instinct is to turn away. The images of carnage that continue to emerge from Rwanda’s 10week-old bloodbath invariably leave beholders repelled : some question the need for the publication of such photographs ; others respond by redoubling their calls for intervention. To a reporter attempting to chronicle the events, both reactions make sense. The massacres are profoundly unsettling. Should the world continue to bear witness ? » (Time, 04/07/94, p. 26). 100 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Hugueux V., 2004, « L’éthique des journalistes », Études, 2, pp. 223-236. Melander E., Öberg M., Hall J., 2009, « Are “New Wars” More Atrocious ? Battle Severity, Civilians Killed and Forced Migration Before and After the End of the Cold War », European Journal of Communication, 15 (3), pp. 505-536. Mesnard Ph., 2002, La victime écran. La représentation humanitaire en question, Paris, Éd. Textuel. Moeller S., 1999, Compassion Fatigue. How the Media Sell Disease, Famine, War and Death, New York/ London, Routledge. Moeller S., 2002, « A Hierarchy of Innocence : The Media’s Use of Children in the Telling of International News », The International Journal of Press/Politics, 7 (1), pp. 36-56. Molotch H., Lester M., 1996, « Informer : une conduite délibérée. De l’usage stratégique des événements », Réseaux, 75, pp. 23-41. Pontzeele S., 2008, « Le schème de la “guerre ethnique” dans la médiatisation des crises africaines : Burundi 1972 et Rwanda 1994 », Les Cahiers du journalisme, 18, pp. 166182. Puiseux H., 1997, Les figures de la guerre. Représentations et sensibilités, 18391996, Paris, Gallimard. Sémelin J., 2005, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Éd. Le Seuil. Sivard R., World Military and Social Expenditures, 1987-88, Washington, D.C., World Priorities. Smith D., 1997, The State of War and Peace Atlas, London, Penguin. Sontag S., 2003, Devant la douleur des autres, Paris, Ch. Bourgois. Zelizer B., 1998, Rememberging to Forget. Holocaust Memory through the Camera’s Eye, Chicago/London,The University of Chicago Press. — 2005, « Death in Wartime : Photographs and the “Other War” in Afghanistan », The Harvard International Journal of Press/Politics, 10 (3), pp. 2655. 5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » 101 5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » Article soumis à la revue Emulations. Actuellement en cours de révision. 102 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie Valérie Gorin Assistante et collaboratrice scientifique Département de Sociologie, Université de Genève Centre d’Enseignement et de Recherche en Action Humanitaire (CERAH) Introduction L’objet de cet article est né au cours des recherches menées dans le cadre d’un projet de thèse portant sur la médiatisation des crises humanitaires dans la presse magazine, des années 60 aux années 90. Dans ce contexte, plusieurs études ont souligné le « totem » (Brauman 1996, 24) du duo victime- secouriste, à l’ère de la rhétorique victimaire, ou de la « victime-écran » (Mesnard, 2002). En réalité, il conviendrait plutôt de parler d’une relation triangulaire, celle formée par la configuration victime – secouriste – bourreau. Si nous aimerions laisser ici partiellement de côté l’image du secouriste, c’est la relation entre les deux autres pôles du triangle qui nous intéresse : la « SuperVictime » en appelle en effet au « Super-Bourreau »1. La victime n’existe que parce qu’il y a bourreau ; les atteintes, les mutilations sur son corps marquent l’intention, la violence inscrite par l’autre, l’agresseur : « Il y a le corps des civils. Civils "amis" ou "ennemis", civils présents ou non sur les lieux d’affrontement, exposés au danger ou à l’abri : leur présence, réelle ou 1 Nous choisissons dans cet article d’utiliser indistinctement trois termes, « bourreau », « agresseur » et « oppresseur », comme des synonymes. Il convient bien entendu de souligner que cet usage devrait faire l’objet d’une étude en soi-même tant leur signification pose problème. 5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » 103 symbolique, complique au plus haut point ce qui se joue de physicalité dans le combat. » (Audoin-Rouzeau 2008, 304). Cet article se propose donc de se concentrer sur l’image de l’agresseur en temps de guerre, notamment sa représentation et sa mise en scène dans le discours médiatique, puisqu’il semble effectivement être absent de nombreuses études récentes faites sur les reportages de guerre, face au triomphe de « l’ère des victimes ». Ce qui est d’autant plus curieux à une période où les guerres liées au terrorisme (Afghanistan, Iraq) ont réactivé l’image du combattant en général, et plus particulièrement les figures des « bad guys », du « combattant irrégulier », du terroriste, à l’exemple d’Al-Qaida et des Talibans2. Notre étude porte sur deux conflits dans lesquels apparaît ponctuellement la « figure du bourreau » : la guerre civile au Liban (particulièrement lors de l’opération « Paix en Galilée » lancée par Israël entre 1982 et 1984) et la guerre en ex-Yougoslavie (particulièrement le siège de Sarajevo entre 1992 et 1995). Bien entendu, le choix des deux conflits et leur comparaison doit être effectuée avec prudence ; il ne s’agit pas ici d’admettre que les racines et les causes des deux conflits sont identiques et qu’une grille analytique identique doit leur être appliquée aveuglément. Ce que souligne le politologue Florian Bieber (2000), qui met néanmoins en avant des parallèles évidents entre la pluralité religieuse des deux pays comme facteur ayant mené aux tensions politiques et nationalistes. Toutefois, le type de violences, et surtout les représentations qui en ressortent dans les médias soulignent des similitudes qui méritent que l’on s’interroge sur cette mise en scène médiatique. La comparaison est faite par les journalistes eux-mêmes, pour lesquels le siège de Sarajevo évoque des « réminiscences » du siège de Beyrouth : 2 Nous tenons à signaler ici l’exception notoire de Barbie Zelizer (2005) qui s’est intéressée aux représentations de la mort de combattants Talibans dans les médias américains. 104 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) The images flickering across the TV screens from Bosnia reminded the average media consumer of the war in Lebanon : the destruction, the killings and the seemingly incomprehensible hatred. While the Lebanese conflict was labelled by many commentators as ‘Balkanisation’, the war in Bosnia was described as ‘Lebanisation’. Thus, ‘Balkanisation’ returned to the Balkans through Lebanon, just as some journalists described Sarajevo as the ‘Beirut of the Balkans’. (Bieber 2000, 270) D’où les enjeux pour comprendre cette rhétorique mémorielle faite par les journalistes et la construction symbolique des victimes et de leurs agresseurs. Bien entendu, cette visibilité de l’oppresseur doit être replacée dans son évolution socio-historique. Désigner l’ennemi n’a rien de nouveau ; ce qui change, c’est le contexte dans lequel cette exhibition s’effectue, les objectifs (visés) derrière ce message et la perception de cette violence de guerre. Cela se constate tout d’abord dans la mise en scène de la violence (contexte, acteurs, pratiques). Cette violence est-elle montrée, euphémisée, esthétisée ? Y a-t-il des dimensions anthropologiques dans le discours des journalistes au sujet de la culture de guerre sur le terrain par les combattants et leur degré de brutalité, les méthodes d’exécution et leur symbolique, des violences multiformes ? On peut également s’interroger à un deuxième niveau sur le jugement moral porté par les journalistes sur cette violence, ceux qui la prodiguent, et sur ses implications. Ce jugement se tourne parfois vers une claire dénonciation politique et appelle à une intervention armée, voire à une sanction juridique. La démarche que nous avons effectuée est basée sur un corpus constitué de deux newsmagazines américains (Time et Newsweek) et français (L’Express et Le Nouvel Observateur)3. L’analyse a porté à la fois sur les contenus thématiques, ainsi que sur les usages sémantiques et photographiques. Nous nous 3 Par souci de place, nous emploierons les initiales suivantes pour indiquer les magazines : Time – TI, Newsweek – NW, L’Express – EX, Le Nouvel Observateur – NO. 5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » 105 concentrerons dans cet article sur trois aspects : d’une part la description des pratiques de violence et la désignation des agresseurs ; d’autre part, sur le travail en amont des journalistes et l’utilisation des récits de survivants, mais aussi, en aval, la mobilisation morale dans le discours médiatique. Médias et guerre à la fin du 20ème siècle : une nouvelle configuration ? Les deux guerres mondiales ont principalement permis l’exhibition de l’image des bourreaux dans un discours propagandiste, autour de la dénonciation de la barbarie de l’ennemi (Puiseux 1997 ; Perlmutter 1999). S’il est indéniable aujourd’hui que la Deuxième Guerre mondiale constitue le tournant dans l’inversion du taux de morts militaires et civils, et la claire dénonciation des ravages de la guerre sur la population civile, elle a également constitué une étape importante dans le statut de l’image au sein du message d’information, utilisée tout à la fois pour sa valeur testimoniale, probante, informative (voir notamment les travaux de Barbie Zelizer (1997) sur la publication des photos des camps de concentration). Par la suite, le Vietnam représente une deuxième étape fondamentale dans la médiatisation de la violence de guerre, en montrant que les capacités de détruire, massacrer, torturer, ne sont pas l’apanage de l’Autre, de l’indigène, mais aussi celles du Blanc dit civilisé, se battant pour des idées de progrès et de démocratie. Les médias n’hésitent pas à dénoncer des faits de guerre impliquant des violences commises par les soldats américains, qui interrogent la nécessité de maintenir ce conflit et opposent une partie des médias à la guerre entre 1967 et 1968 (Rougé 1992). Le plus célèbre de ces faits, le massacre de My Lai4, désigne les coupables par les photos et les 4 Plus de 343 civils vietnamiens ont été massacré par les hommes de la compagnie Charlie le 16 mars 1968. 106 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) témoignages des bourreaux qui seront publiés en premier par le magazine Life en 1969, montrant clairement à quel point le débat sur la tolérance de la violence de guerre touche le cœur même de la société américaine5. A la fin du XXe siècle, plusieurs cas (l’Ethiopie en 1984, la Somalie en 1991) ont démontré que les médias peuvent « internationaliser » un conflit en permettant d’alerter l’opinion publique internationale face aux violences sur les civils. Le journaliste occupe une position centrale dans cette médiation, faisant office de témoin, de « bystander » comme le décrit Jacques Sémelin, à la fois spectateur et acteur face à l’indifférence, dans une médiatisation en trois étapes : la résistance à l’information (les faits semblent d’abord trop monstrueux), puis le rapport de forces (la nouvelle s’impose dans le flux médiatique), puis la prise de conscience (souvent par un événement qui « révèle » de ce qu’on savait déjà) (2005, 182-184). Ce déroulement se retrouve dans la médiatisation des deux conflits présentés. Le Liban, puis l’ex-Yougoslavie, occuperont par cycles l’agenda médiatique, selon le récit des affrontements et les premiers témoignages des massacres entre communautés. Les pics médiatiques seront atteints suite à des événements « détonateurs » : le massacre de Sabra et Chatila au Liban en septembre 1982 ; le siège de Sarajevo et notamment le massacre du marché de Markale en février 1994 ; la découverte des « camps d’internement » en 5 A titre d’exemple, le magazine choisit de publier plusieurs courriers de lecteurs qu’il a reçus au sujet du massacre, en accompagnant les lettres d’un court texte introductif : « The American people reacted to the massacre at Mylai – with horror, shame and shock, but also with disbelief, uncaring acceptance and even benumbed lack of interest. In interviews with LIFE correspondents and in letters to the editor, many saw Mylai as an inevitable consequence of war. Others blamed this particular war. Few were willing to place the entire burden of guilt on men of Company C who, by their own accounts, took part in the mass slaying of old men, women, and children. Some accused the press of exaggerating the event or questioned whether it ever really happened. […] », LIFE Atlantique, 19 janvier 1970, p. 170. 5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » 107 août 1992 en ex-Yougoslavie. Au-delà de leur médiatisation, ils soulèvent également plusieurs points communs : - tout d’abord, le fait qu’ils se déroulent dans un espace européen ou à forte influence européenne - le fait qu’ils soient tous les deux considérés comme des guerres civiles, qui exaltent les tensions ethniques et religieuses et les antagonismes en jeu à l’intérieur de la nation - les armées irrégulières ou paramilitaires, nommées simplement milices (phalanges, serbes) ont joué un rôle important dans les massacres - la présence de journalistes et de photographes sur place, dans toute la durée du conflit - l’atteinte claire faite à l’espace civil - l’appel à une intervention étrangère En effet, cette exhibition de la violence de guerre exercée par certains n’est jamais gratuite dans les médias. Même si elle répond d’abord à une volonté de « planter le décor » des faits de guerre, elle répond aussi à un seuil de sensibilité (face aux victimes) et une dénonciation de cette injustice (Boltanski 1993). Ce qui se démarque c’est la sortie des violences de masse hors du champ de bataille, au cœur même de l’urbain et le piège qui se ressert sur les civils (villes prises en siège, martyre des habitants, bombardements), qui semblent désormais une réalité des conflits contemporains6. 6 On notera que cette remarque n’est pas propre aux deux conflits évoqués, bien entendu. Les deux guerres mondiales et la guerre civile espagnole ont démontré à quel point les civils ont été pris comme cibles de guerre volontaires : retraite des armées, occupations, bombardements, déportations (voir les contributions de John Horne et Danièle Voldman dans l’ouvrage de S. Audoin-Rouzeau, A. Becker, C. Ingrao et H. Rousso (2002)) . Ce qui ressort toutefois de cette étude, c’est une accentuation dramatique de cette non-délimitation 108 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) On opposera aussi volontiers les lieux d’affrontement densément peuplés (la ville, par exemple, où le combat, là encore très démodernisé faute de pouvoir déployer en milieu urbain la totalité des ressources technologiques d’une armée moderne, se charge d’affects d’une rare puissance en fonction de la charge symbolique de la cité elle-même, de celle de ses différents quartiers, bâtiments, monuments, en fonction aussi de la présence sur place de ses habitants), à des emplacements dépourvus de toute population civile […]. (Audoin-Rouzeau, 2008 : 250). Toutefois, à la rhétorique de l’innocence, de la pureté, de la victime, les médias semblent ajouter en opposition une contre-rhétorique, celle de la culpabilité, de l’impureté, de l’oppresseur, du barbare. Ainsi, dans des descriptions quasi-anthropologiques des pratiques de guerre, les médias semblent véritablement démontrer un engagement moral vers les publics, face au spectacle de la violence de guerre et ses conséquences, à une période où le discours humanitaire et la justice internationale s’accroissent. Au-delà, c’est bien la crainte de l’impunité des agresseurs qui est en jeu, avec un appel récurrent dans le discours médiatique au jugement des actes de guerre, certainement né avec le procès de Nuremberg7. Présence des journalistes sur le terrain de guerre A l’apparition des premiers signes de massacres, il a fallu pour les journalistes comprendre la nature du conflit et la distinction des types de violences exécutées. Si l’on dispose aujourd’hui de nombreuses analyses historiques et politiques, sur le « nettoyage ethnique » dans les Balkans ou des frontières entre front et arrière, à l’exemple des images des conflits libanais et yougoslaves qui présentent toutes des environnements urbains et des scènes de destruction de la vie civile. 7 Celui-ci reste d’ailleurs un référent permanent lors des conflits libanais et yougoslaves : « Un nouveau procès de Nuremberg » suite au massacre de Sabra et Chatila (EX, 01.10.82, 38), et « L’impossible nouveau Nuremberg » face au nettoyage ethnique en Bosnie (EX, 0402-93, 18-19). 5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » 109 l’« ethnocide » pour le Liban (Chamoun, 2008), on peut aussi parler « d’extermination bilatérale ou réciproque » au Liban comme en exYougoslavie (Kalyvas 2000, 4). En réalité, les processus à l’œuvre dans ces pratiques d’extermination semblent difficiles à comprendre pour les journalistes tentés de qualifier l’origine de cette violence, dont ils dénoncent l’absurdité et l’incompréhension (« La logique d’une guerre de fous », NO, 21.05.92, 98), la perte de sens, le caractère primitif des scènes de guerre (« On revit le Moyen-Age », NO, 04.06.92, 64). Ainsi, la comparaison avec les conflits antérieurs permet de « mesurer » en quelque sorte le degré de brutalité du conflit. Le référent absolu des atrocités reste la Deuxième Guerre mondiale, avec les réminiscences du siège de Stalingrad pour évoquer la guerre urbaine, mais surtout l’Holocauste, évoqué par les barbelés et les corps squelettiques lors de la découverte des « camps de concentration » en Bosnie en août 1992. Car les journalistes sont présents sur les lieux. Ils y sont les témoins réguliers de l’enfer, immergés dans le quotidien des civils, des bombardements, des tirs de snipers, à Beyrouth comme à Sarajevo : « Mourir à Beyrouth » (NO, 26.06.82, 42)8, « Agony of the innocents » (TI, 28.06.82, 20)9, « Avec les sacrifiés de Sarajevo » (NO, 25.06.92, 52)10. Le reportage photographique, en nette augmentation lors du conflit yougoslave, illustre tel un carnet de route la réalité des violences infligées aux habitants et aux villes : « Yougoslavie, au 8 « De notre envoyée spéciale - Kénizé Mourad a vécu parmi les Palestiniens assiégés les heures terribles où chacun s’attendait à l’assaut final. Elle raconte… ». 9 « Such scenes of human displacement and despair had become appallingly commonplace in Lebanon in the aftermath of the Israeli blitz. To look into the plight of the civilians who were in the path of the invasion, TIME sent four journalists into the area […] ». 10 « Malgré les massacres, les bombes et l’impuissance de la communauté internationale, ils espèrent toujours qu’on leur viendra en aide. Gilles Hertzog a rencontré ceux qui se battent pour que survive en Bosnie la cohabitation entre les ethnies et les religions ». 110 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) bout de la haine » (EX, 14.08.92, 8)11, « Sarajevo, Noël en enfer » (EX, 18.01.93, 18)12, « Sarajevo : La Honte » (NO, 23.12.93, 54-55)13. Ils vont aussi parfois directement à la rencontre des assaillants dans les collines entourant Sarajevo (NW, 14.02.94, 15). Dans ces cas-là, les violences de guerre sont alors directement exhibées aux yeux des spectateurs, qui assistent en direct au sort d’une ville assiégée : « C’est ce que font aujourd’hui les Bosniaques qui protègent coûte que coûte leurs tours émettrices, afin d’envoyer chaque jour sur les réseaux internationaux les images des atrocités commises, espérant ainsi obtenir une intervention militaire internationale ». (Mercier 1993, 6) Mais cette visibilité des atrocités dépend de l’accès des journalistes au terrain des combats ; si celui-ci reste urbain, il n’est pas pour autant totalement accessible (alors que Beyrouth est envahie par la presse internationale, Sarajevo reste difficile d’accès par le blocus serbe), particulièrement quand il s’agit d’y perpétrer des violences de masse que les bourreaux veulent cacher : En second lieu, les conditions d’exercice de la guerre font « disparaître » les actes du massacre du champ de vision de l’observateur extérieur. Au nom de la sécurité, le territoire est bouclé, l’accès des journalistes interdit. Mais qui sait ce qui peut se passer là-bas ? La guerre masque le massacre parce qu’elle crée les conditions du huis clos. En mettant tout tiers à distance, elle favorise le face-à-face entre bourreaux et victimes. Dans un tel huis clos, le massacre peut survenir plus facilement. (Sémelin 2005, 179). Dans plusieurs cas lors des conflits libanais et yougoslaves, des atrocités seront commises à l’écart des caméras. Les camps de Sabra et Chatila sont complètement isolés pendant les quarante heures que dure le massacre ; les 11 « Il aura fallu trois jours et deux nuits de marche pour que le photographe danois Jorgen Hildebrandt y parvienne. Son témoignage rompt le silence dont se désole la population ». 12 Reportage photo de Jean-Claude Coutausse. 13 Reportage photo de Gilles Peress. 5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » 111 camps d’internement serbes enferment derrière leurs murs les prisonniers ; des restes humains sont retrouvés dans de nombreux charniers en Bosnie. A chaque fois, les journalistes suivent la découverte des massacres, parfois de quelques heures, comme à Sabra et Chatila (« Beyrouth : enquête sur un massacre », EX, 01.10.82, 39), où les corps des centaines de victimes s’étalent à même les rues des camps. Si les récits journalistiques sont concentrés sur l’odeur de la mort et les mutilations faites aux victimes, dont les corps n’ont pas été cachés (photographie 1) ou simplement les restes humains qui « racontent » l’horreur du massacre de Stupni Do (photographie 2) les images occupent une place centrale dans l’accusation qui est portée, à la fois comme preuve des exactions en cours, mais aussi véritable enquête anthropologique sur les violences faites aux corps. Photographie 1. TI, 27.09.82, 9 112 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Photographie 2. NW, 08.11.93, 12 Dans de très rares cas, les journalistes sont tout simplement invités à assister aux exécutions, et sont à même de publier des photos mettant directement en accusation les coupables. C’est le cas célèbre du photographe Ron Haviv, invité personnellement par Arkan, le chef de la milice serbe des « Tigres », à photographier la « libération » de la ville de Bijeljina au printemps 1992. Il ramènera au péril de sa vie une série de clichés célèbres (photographie 3) qui accusent ouvertement les serbes et témoignera de ce qu’il a vu14. Ses clichés soulignent la gratuité du crime, dans un rapport de force inégal, dans la posture des corps, entre la soumission des victimes non armées, allongées, 14 Ron Haviv s’est exprimé à plusieurs reprises sur cet épisode. Voir notamment son témoignage filmé sur le site du United States Holocaust Memorial Museum : <http://www.ushmm.org/genocide/take_action/gallery/portrait/haviv>, consulté le 12 novembre 2011. 5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » 113 en tenue civile, et la toute-puissance des agresseurs dominants, et armés de leurs fusils. Photographie 3. TI, 20.04.92, 26-27 Dans la majorité des cas où il est impossible aux journalistes de constater les faits par eux-mêmes, il leur faut alors faire appel aux récits de survivants pour comprendre les événements. Cela pose le problème du statut de ces témoignages, puisqu’il est impossible de les vérifier, ce dont les journalistes semblent avoir conscience. Mais l’abondance de ces récits et la cruauté qui y est exprimée semblent vouloir combler les soucis de rigueur de l’enquête face à l’incapacité d’ignorer ce qui est cours, à l’image des témoignages des survivants des camps de concentration serbes : « Les témoignages que personne ne peut réfuter – Camps : ceux qui les ont vus… » (NO, 13.08.92, 32). Ce sont pourtant dans ces discours qu’apparaît une désignation directe des bourreaux, dans les détails mis en avant, les particularités des scènes, le type de victimes. Et la désignation du crime dans l’espace publique par la diffusion médiatique des récits de survivants permet la « condition nécessaire 114 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) de sa perception, de sa "vérité morale" et donc juridique » (Nahoum-Grappe 2002, 604). Description des violences ; entre indignation morale et politique Les récits des survivants permettent d’évoquer la véritable « barbarie » des mises à mort, dont la publication doit provoquer un choc sur les publics, car ils signalent l’incompréhension d’une violence qui fait irruption là où on ne l’attend pas. Les corps portent les stigmates de la bestialisation, de la déshumanisation du bourreau à leur encontre, de la profanation du corps. A Sabra et Chatila d’abord, les survivants racontent les mises à mort: « genitals ripped away », « cut about the neck and face with knives », « lined up against walls and shot with AK-47 rifles » (NW, 04.10.82, 17), « some had been shot in the head at pointblank range. Others had had their throats cut » (TI, 4.10.82, 12). Les mêmes atteintes aux corps se retrouvent en Bosnie, que ce soit les victimes des viols (« un Tchetnik d’une trentaine d’années, nommé Ranko, a violé une femme, mère de deux enfants, sous les yeux de sa propre mère », NO, 14.01.93, 46), ou les survivants des camps, qui parlent de leurs co-détenus « battus à mort », « égorgés », évoquant les « mutilations génitales, cadavres émasculés, rapports forcés entre captifs : l’humiliation par le sexe semble obséder les bourreaux » (EX, 04.02.93, 23). Les accusations portent vis-à-vis de l’agresseur mais aussi de ses armes symboliques : l’armée israélienne, ses chars et ses bombes (« Survivre à Beyrouth », EX, 16.07.82, 46), mais aussi les balles des snipers qui fauchent les corps au milieu des rues à Sarajevo, étalés dans des marres de sang. On y retrouve donc les signes de « physicalité », d’atteintes au corps évoqués par Stéphane Audoin-Rouzeau dans son ouvrage sur la violence de guerre (2008, 239-315). 5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » 115 Au-delà de la litanie des cruautés, c’est aussi la désignation des agresseurs qui est à l’œuvre, aux niveaux macro et micro. Pour le Liban, au moment des massacres de Sabra et Chatila, les magazines mettent en accusation la chaine de commande, du terrain à l’Etat-major israélien, voire la nation toute entière : milices et phalanges chrétiennes, chefs militaires israéliens et libanais, Sharon - le « bourreau » - chef de Tsahal, mais aussi le séisme moral provoqué en Israël avec un « Begin en accusation » (EX, 01.10.82, couverture). Au moment du verdict de la commission d’enquête en février 1983, c’est à la fois cette même chaîne de commandement qui est condamnée (photographie 4) mais aussi un verdict moral : « Pour l’honneur d’Israël, les trois sages de la commission d’enquête sur les massacres de Beyrouth ont rendu un verdict moral implacable » (EX, 18-02-83, 47). Photographie 4. TI, 21.02.83, couverture et p. 7 La violence est ici inexcusable quand elle apparaît comme une violence organisée, commanditée par un Etat démocratique soutenu par l’Occident ; l’impunité des bourreaux est donc dépassée par le désir de jugement et de réparation. 116 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Pour l’ex-Yougoslavie, on retrouve la même accusation contre la chaîne de commande, que ce soit au niveau micro, comme nous l’avons évoqué avec les snipers ou les milices serbes, mais aussi au niveau macro. Slobodan Milosevic collectionne les étiquettes de la figure du tyran, « abominable gredin, un Hitler au petit pied, raciste, impérialiste et tortionnaire » (NO, 13.08.92, 30)15. Le qualificatif de « boucherie », qui désigne aussi bien le dépeçage de la nation et celui des corps, est appliqué également aux penseurs du « nettoyage ethnique », comme Radovan Karadzic le « boucher de Sarajevo » (NO, 16.07.92, 51). Si les bourreaux sont majoritairement désignés du côté serbe, les magazines signalent également les atrocités commises par l’autre côté, notamment les « death platoons » des milices croates (NW, 08.11.93, 12) au moment de la découverte des charniers de Stupni Do Dans l’ensemble, cette rhétorique permanente de désignation du coupable fonctionne comme une véritable liste d’accusations, où sont compilés les crimes de guerre, enregistrés par les preuves visuelles – dont les photos de Ron Haviv évoquées plus haut - et les récits de survivants, évoquant ainsi les preuves juridiques utilisées au procès de Nuremberg (photographie 5). 15 La même démonisation de l’autre a été effectuée sur Saddam Hussein pendant la Guerre du Golfe (Mercier 1993). 5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » 117 Photographie 5. EX, 04.02.93, couverture et p. 24 Par-delà les crimes, c’est donc l’attente d’un jugement pénal international qui est en jeu : « Viols, massacres, tortures : la Yougoslavie défunte semble devenue la terre d’élection de l’horreur. Si chaque camp y prend sa part, les Serbes, par l’ampleur de leurs exactions, atteignent des sommets. Les rapports, accablants, s’entassent. Les atrocités et leurs auteurs sont connus. Témoignages des victimes » (EX, 04.02.93, 20). Mais avant le jugement pénal, c’est avant tout à un appel à l’intervention de la communauté internationale que ces dénonciations oeuvrent. Par l’atteinte au corps symbolique du civil, par la hiérarchie des victimes exposées (dont les plus faibles incarnés par les femmes, les enfants, les vieillards), les médias accusent aussi la passivité des puissances étrangères. Alors que la présence d’une force multinationale depuis l’été 1982 n’empêchera par les massacres de Sabra et Chatila, la médiatisation d’une suite d’événements pourtant dramatiques en Bosnie – dont l’explosion d’un obus serbe sur le marché de Sarajevo le 5 février 1994 – n’amènera qu’une réaction limitée par les bombardements de l’OTAN sur les positions bosno-serbes, au-delà de la 118 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) forte condamnation morale. Les médias participent dès lors à l’indignation mondiale qui demande quelle doit être la limite atteinte, le quota de morts, pour que la communauté internationale réagisse : « Atrocity and outrage. Specters of barbarism in Bosnia compel the US and Europe to ponder : Is it time to intervene ? » (TI, 17.08.92, 15). Conclusion Il paraît difficile de conclure sur un tel sujet, qui ouvre plus de perspectives de réflexion qu’il ne clôt un questionnement de départ. Il est toutefois possible de faire une série de constats qui soulignent la similarité des contenus et des pratiques iconographiques et discursives dans les magazines français et américains, dans la description de la violence de guerre et l’exhibition des bourreaux. Dans l’ensemble, ces deux conflits ont souffert d’un manque de lisibilité quant aux origines et à la compréhension de cette violence de guerre, même s’il y a des tentatives d’explication des racines historico-religieuses, ainsi que l’utilisation des termes « génocide », « massacres religieux ou interethniques », « nettoyage ethnique » dont la connotation est destinée à faire réagir la communauté internationale. Le discours médiatique semble plutôt se diluer derrière des images qui font écran, où les bourreaux se mêlent parfois aux victimes, alors que le discours tente de désigner les coupables dans l’imbroglio des violences réciproques. Il en résulte une simplification parfois flagrante et désignative du rôle du « Méchant » (les milices serbes, les phalanges chrétiennes). Ce qui change par contre, dans les années 1990, c’est la montée en puissance du recours au témoignage (Sémelin 2006, 197). Nous le constatons dans leur usage régulier dans le discours médiatique, à la fois pour combler le déficit 5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » 119 d’information sur les faits de guerre, mais aussi pour témoigner de la réalité des atrocités commises, comme pour souligner l’incompréhension qu’elles suscitent. Les médias participent donc d’un discours sociétal sur la violence. Si cela ressort plus fortement lors du conflit yougoslave, cela apparaît déjà au Liban avec la « faute morale » d’Israël : « Tous ces massacreurs se ressemblent comme des frères. Ils ont en commun, en particulier, de ressusciter l’atroce concept de responsabilité collective qui constitue l’une des plus grandes régressions de cette seconde moitié du XXe siècle, un des plus infamants retours à la barbarie dans sa quintessence » (NO, 25.09.82, 38). Ces considérations opposent les sociétés à la persistance de certaines pratiques de guerre particulièrement horribles face à l’illusion de l’évolution de la civilisation et des mœurs, dans une Europe qui se croit sortie de la barbarie depuis les deux guerres mondiales, et à laquelle les médias rappellent par des parallèles incessants (du XVIe siècle au Vietnam) que l’Autre n’a pas l’apanage de la violence. Toutefois, face à l’inéluctabilité des massacres, le dernier recours reste le jugement moral, s’il n’est pas encore juridique. La désignation des bourreaux, la description des atrocités y participent, comme une formidable liste de crimes dont il faudra rendre compte devant le monde. Car l’expérience de guerre à la fin du XXe siècle est avant tout une expérience à distance, médiatée par le message d’information. Le spectateur peut alors aussi être perçu comme témoin engagé face à un discours moral, à une époque qui oscille entre « ère du témoin » et « société du spectacle ». Un constat qui semble d’autant plus prégnant dans le contexte actuel de l’évolution des conflits civils de faible ou moyenne intensité, où cette focale sur les violations des civils et la nécessité de leur condamnation ne fait qu’augmenter. 120 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Références Audoin-Rouzeau, Stéphane, Combattre. Une anthropologie historique de la guerre moderne (XIXe – XXIe siècle), Paris, Seuil, 2008. Bieber, Florian, « Bosnia-Herzegovina and Lebanon : Historical Lessons of Two Multireligious States », Third World Quarterly, 2000, 21 (2), 269-281. Boltanski, Luc, La souffrance à distance : morale humanitaire, médias et politique, Paris, Métailié, 1993. Brauman, Rony et Backmann, René, Les médias et l’humanitaire, Paris, CFPJ, 1996. Chamoun, Mounir, « Génocide et ethnocide : exterminer pour survivre », Topique, 2008, 1 (102), 41-49. Kalyvas, Stathis, The logic of violence in civil war, New York, 2000. Mercier, Arnaud, « Médias et violence durant la guerre du Golfe », Cultures & Conflits, n°9-10, 1993. Mesnard, Philippe, La victime écran : la représentation humanitaire en question, Paris, Textuel, 2002. Nahoum-Grappe, Véronique, « Anthropologie de la violence extrême : le crime de profanation », Revue internationale des sciences sociales, 2002, 4 (174), 601-609. Puiseux, Hélène, Les figures de la guerre. Représentations et sensibilités, 1839-1996, Paris, Gallimard, 1997. Perlmutter, David, Visions of war. Picturing warfare from the Stone Age to the Cyber Age, New York, St Martin’s Press, 1999. Rougé, Jean-Robert, L’opinion américaine devant la guerre du Vietnam, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1992. 5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » 121 Sémelin, Jacques, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005 Zelizer, Barbie, « La photo de presse et la libération des camps en 1945 : images et formes de la mémoire », Vingtième siècle, 1997, 54 (1), 61-78 Zelizer, Barbie, « Death in Wartime: Photographs and the ‘Other War’ in Afghanistan », The Harvard International Journal of Press/Politics, 2005, 10 (3), 26-55. 122 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” 123 6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” Article soumis à la revue Visual Communication Actuellement en cours de révision. 124 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines Abstract The objective of this paper is to emphasize the necessity of comparative analysis in order to underline the use of visual framings within a historical and collective memory. Though the priming effect of news pictures has been in fact neglected by media scholars, it aims at providing a finer understanding of how visual framings work with respect to a common visual literacy, especially when it comes to pictures of suffering. By synthetizing previous definitions of framing, it demonstrates how pictures can frame depictions of sufferings in the way they select, repeat and use privileged schemes of interpretation and metaframes. This theoretical discussion is illustrated by a cross-cultural content and semiotic analysis of French and U.S. newsmagazines. By underlining the metonymic, synecdochic, analogical and indexical effects of photography, this working approach on visual framing focuses on four aspects: the use of news pictures as socially shared symbols, their necessary categorizations of the world as visual fragments, the multi-modal process they rely on to frame a given issue and their syntactic effect through intericonicity. Keywords: visual framing; priming; news pictures; photography; news narratives; collective memory; suffering; humanitarian crises Introduction News pictures of humanitarian crises, such as civil wars or famines, have long been rooted in media narratives and collective memory as visual motifs of suffering. While they quite often rely on symbolic metaphors to express distant suffering (Boltanski 1999; Chouliaraki 2006a) and the spectacle of the “pain of others” (Sontag 2003), they also participate in the visual literacy (Messaris 1994) of international audiences: “Thus, the photographs communicate the suffering of famine victims in Ethiopia or Somalia to international audiences who have no direct experience with starvation via familiar iconography” (Banks 1994, 126). However, they have rarely been studied as “priming motifs” (Griffin 2004, 397) for visual news narratives. The priming effect of news pictures and their role in media framings have been in fact quite neglected by media scholars, as Domke and alii have suggested in their study on the “power” of visual images (2002). We would like to bring back the argument that news pictures are a frame in themselves, to be taken as visual fragments of reality that rely necessarily in categorizations of the world seen through the camera. To compensate the lack of syntax of images (Messaris et Abraham 2001, 215), which creates their polysemous meaning, we argue that they are indeed chosen by journalists, photographers and editors to create an imaginary syntax from an image to another, thus proposing a dialogue between them. 6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” 125 The neglect of studies on visual framings is quite surprising if we take into consideration that images are more easily remembered than texts, thus participating in the process of frame-building through their repetition and longstanding cognitive and visual knowledge built in the audience by previous exposition to the same visual cues in other pictures. To reflect Zelizer’s considerations on the meaning of war photography (2004), in which she underlines how the visual turn to images in war coverage depends on their frequency, their aesthetic appeal and their familiarity, they could be easily broaden to images of suffering in other contexts: “Relying on particular images, cues, and themes that have proven themselves over time, journalism’s images of war gravitate toward the memorable – as established through frequently depicted, aesthetically appealing, and familiar images – as much as the newsworthy” (Zelizer 2004, 116). The use of children as famine icons, for 1 example, gives an interesting insight on how media representations of suffering can encapsulate fragments of reality in metaframes that rely on iconic memory of earlier famines: “Somalia started as a famine story. It became a war story. But the signature image of the child remained. And that is perhaps one reason why today children have come to headline so many conflicts – indeed, so many international events of any kind” (Moeller 2002, 37). What Moeller is pointing out as a “signature” for the iconic famine in Somalia in 1992 is in fact a priming motif that acts within a frame, or a certain pattern in framing news visual narratives on suffering, though historically dated (Gorin 2013). News pictures can therefore be seen “as a memorable synecdochic stand-in for a variety of complicated public events (...)” (Zelizer 2005, 35), or as perfect condensations, synecdochic framings of memorable events. It therefore interrogates the visual codes and cues on which they are base and how they convey sense in times. The role of pictures in news narratives has been recently developed in studies related to the wars in Iraq and Afghanistan (Griffin 2004; Fahmy 2004; Zelizer 2005; Wells 2007; Konstantinidou 2007; Konstantinidou 2008; Fahmy et Kim 2008; Popp et Mendelson 2010; Parry 2011). Many of these studies have emphasized empirical approaches to identify framing mechanisms within images and media narratives. However, they barely insist on the fact that visual framings deeply rely on cultural codes visually inscribed in collective memory, or symbols rooted in western ideals (Perlmutter 1998). Moreover, it questions as to which extent such practices introduce common ways of framing in different national media, by contrast with what has been shown in some studies which suggest “that even in the age of globalization (…), national media exhibit a range of differences in their signifying practices, their narrative strategies and in their overall recontextualization of events” (Konstantinidou 2008, 147; see also Dimitrova et Strömbäck 2005). Many of these studies have focused on wars of 1 The civil war in Biafra is often considered as the first televised famine which produced the icon of the starving African child. However, this does not take into consideration earlier episodes of famine in Europe, such as the famine in Ukraine in 1921-1922, which produced hundreds of pictures of starving children. Photographic archives of organisations such as the International Committee of the Red Cross or Save the Children show proofs of earlier representations of famine that have more or less disappeared from the global collective memory. We will nevertheless focus in this article on famines of the second half of the 20th century in non-Western countries. 126 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) th st the last decade of the 20 century and early 21 century, and lack some longer historical and memorial perspective. The objective of this paper is therefore to underline and emphasize the necessity of comparative visual analysis on different national media, and to consider the use of visual framing within a historical and collective memory. It aims at providing a finer understanding of how these visual framings work with respect to a common visual literacy that was established long before the Iraq and Afghan wars. We first propose a better working delimitation of visual framing by synthesizing previous definitions, in order to understand how pictures can “frame” depictions of sufferings in the way they select, repeat and use privileged schemes of interpretation and metaframes. We then illustrate this theoretical discussion of visual framing’s properties with empirical examples of a crosscultural and historical analysis of newsmagazines covers, to emphasize how metonymic, synecdochic, analogical and indexical effects of photography frame news on civil wars and famines. Finally, we want to underline that the scenes and figures involved in those narratives have long since been framed with previous references to former events; and so, visual framings of suffering also have to be understood with regards to the concept of “intericonicity”. Towards a working definition of visual framing Among others, Stephen Reese has brought major contributions to the concept and operationalization of framing. In 2001, he proposed a complex definition: “Frames are organizing principles that are socially shared and persistent over time, that work symbolically to meaningfully structure the social world” (S. Reese 2001, 11). His idea of “organizing principles” is related to the concept of “schema” or “schemata” of interpretation mentioned by Goffman (1974) and Entman (1993, 52). For the framing effect to work, it is necessary that the spectators recognize, accept and use the frame as a logical understanding and depiction of the reality they face, therefore using "schemata" or "categories" to "connote mentally stored clusters of ideas that guide individuals‘ processing of information" (Entman 1993, 53). In so doing, images help spectators to decode the reality by convoking certain elements to understand it; these elements are embedded in the image, and we use them to classify and identify what we see. But it is a two-way process; if we go back to Stuart Hall’s well-known scheme of “encoding-decoding” (1973), journalists also convoke these schemata to classify and organize the perception of reality they are building, based on a shared and common knowledge with the audience. When developing on his own definition, Reese explains the “structure” as “a pattern constituted by any number of symbolic devices”, but which can by no way be reduced to a simple “topic” (Reese 2001, 17). The structure is therefore related to what is included and excluded from the frame (Entman 1993). If we adapt it to visual framing, it is undeniable that news pictures, taken as visual fragments, necessarily imply an exclusion in the photographer’s choice, everything he will leave out of the frame. This choice is somehow reinforced by those made by the photo editors, who will pick up one image among others, thus proposing their own perception on a story. Even in a picture story, the visual assemblage can only be understood as a suite of “visual anecdotes” (Perlmutter 1999, 8), a succession of small frames hiding what is out of the frame. 6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” 127 Understanding news pictures as a process of inclusion and exclusion therefore brings us back to Entman’s later definition of framing: “[Framing is] the process of culling a few elements of perceived reality and assembling a narrative that highlights connections among them to promote a particular interpretation.” (2007, 164). If Entman mainly mentions the writing styles, he also points to the journalists’ “bias”, identified either as distortions of reality or positions taken by journalists for one side of the story or another. News picture perfectly fit in this definition, but rather than “bias”, we prefer to see news pictures as “standpoints” expressed by the photographer and, in extension, the news and photographic editors. As visual frames, news pictures depend on their very own rhetoric and effects. In one of the first definition of visual framing, Messaris and Abraham have underlined how the analogy and the indexicality are important qualities; while the former implies a familiarity with past, similar images, the latter is linked to the pretention of reality of pictures, so that at the end: “visual framing may be less obtrusive, more easily taken-for-granted than verbal framing” (Messaris and Abraham 2001, 217). Another important effect is the metonymy, which quite often leads to the synecdoche. It is impossible for a picture to grasp an extensive or exhaustive view on a situation, no matter how wide the frame can be: “More important for our purposes, media also supply (or serve as conduits for) pictures associated with a story. Ascribing metonymy to a news photograph -- for example, ‘This was the scene that summed up Africa's problems’ -- is the most potentially powerful visual framing device” (Perlmutter 1998, 7). Most often photography shows a part as the whole, or substitute an element by another; this is quite obvious in its symbolic, connotative dimension. Finally, even if visual framing was not particularly emphasized in earlier definitions of framing (because they focused more on the text), they still offer interesting comparisons with other framing mechanisms such as titles, subtitles, quotations, captions, slogans (Tankard 2001; Weaver 2007). If we go back to Robert Entman’s first and famous definition of framing, it clearly implies a multimodal process in the framing analysis: Framing essentially involves selection and salience. To frame is to select some aspects of a perceived reality and make them more salient in a communicating text, in such a way as to promote a particular problem definition, causal interpretation, moral evaluation, and/or treatment recommendation for the item described. (…) The text contains frames, which are manifested by the presence or absence of certain keywords, stock phrases, stereotyped images, sources of information, and sentences that provide thematically reinforcing clusters of facts or judgments. (Entman 1993, 52). Therefore, if the framing effect is dependent on the effect of salience, it is undeniable that news pictures have a leading role in so doing, through their repetitive use and their familiarity. Entman also notices it among other framing mechanisms; “stereotyped” images, as he mentions, are indeed a consequence of this repetitive use of common scenes that “sum up” a story, whether for a country, people or a context (Fahmy 2004). Regarding pictures of suffering, the reality they try to encapsulate into frame would be hard to interpret without the emotional impact it had on its author; it explains why most of these images have a dramatic, even shocking content which makes them more memorable. But one could also argue that images do not fulfil other elements of the definition. How 128 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) could an image propose a problem definition or a causal interpretation, given its lack of syntax? While it is true that pictures taken alone can hardly carry such elements, they can still propose a particular interpretation with their immediate linguistic layout such as titles, captions and slogans. A given approach to understand how these framing mechanisms work together is semiotics analysis, which we will now explore through our own empirical analysis of visual and linguistic displays in media framings of humanitarian crises and the sufferings they imply. Notes on methodology Our study used a content analysis of within a comparative study of pictures from Time (TI), Newsweek (NW), l’Express (EX) and Le Nouvel Observateur (NO). Newsmagazines offer a good opportunity to underline the role of news pictures, since these publications rely mainly on the “power” of visual narratives and symbolism. As Michael Griffin has repeatedly shown, they provide more in-depth analyses of events, a sort of “news digest” in which “photographs served to parallel and reinforce patterns of news illustration in other media, offering a set of visual 'highlights' that frequently reiterated news images" (Griffin 2004, 382). The sample focused on one specific category of news pictures, i.e. cover pictures, as they exemplify and condense all the properties of visual framing: they are the results of a process of selection; they are repetitive through time, using the same symbolic compositions and figures; they are best remembered as they appear on the front page, often displayed in international newsstands and libraries around the world to attract attention. The data analysed therefore consisted of 143 covers, made of a selection of civil wars and famines that have impacted or questioned media coverage of humanitarian crises from the 60s and the 90s: the civil war in Biafra (1967-1970), the genocide in Cambodia (19751979), the civil war in Lebanon (more specifically the Israeli operation “Peace to Galilea” from 1982 to 1984), the famine in Ethiopia (1984-1985), the civil war against the Kurds (1991), the famine in Somalia (1992-1993), the civil war in Bosnia (more specifically the siege of Sarajevo between 1992 and 1994) and the 2 genocide in Rwanda (1994). They offer interesting parallels with the more recent study of Katy Parry (2011) on framing the “narratives of liberation” during the Iraq war in the British press. Though only the context of the US militaryhumanitarian intervention in Somalia in 1992 is quite comparable to her own study of the US “humanitarian intervention” in Iraq in 2003, the other events reveal how humanist photography is “the ideal expressive form to promote a 2 Biafra was chosen as the matrix crisis which saw the emergence of the iconic image of the starving African child, up to the famines in Ethiopia and in Somalia. But the story of Biafra was also framed as the first attempted “genocide” after the Holocaust and the privileged interpretative scheme of “ethnic hatred”, which makes it an interesting point of comparison with the genocide in Rwanda or other ethnic-cleansing oriented conflicts such as the retaliation against the Kurds by Saddam Hussein or the war in former Yugoslavia. The genocide in Cambodia, often described as a non-media event, was also included as it happened between these decades. It was also necessary to question such context-based events in Africa with geographical locations closer to Europe, in order to test the “otherness” framing of an event by international media. The civil war in Lebanon during the 80s and the civil war in Yugoslavia in the 90s were therefore included in the corpus. The covers were selected regarding their coverage of the above-mentioned events, corresponding to their historical timeframe. 6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” 129 humanitarian-led intervention within a print news discourse” (Parry 2011, 1188). In these cases, many of the frames involved promoted the urgent need for humanitarian assistance (Biafra, Cambodia, Ethiopia, Kurdistan, Rwanda) or peace-keeping interventions (Lebanon, Kurdistan, Somalia, Bosnia, Rwanda) in front of mass starvation or killings. Parry has also provided a methodology to understand how such visual framings work, using “news photograph as the primary unit for analysis” (Parry 2011, 1190). Though, like her, we included linguistic messages as secondary units for analysis, because it is often impossible to take images alone without considering the text and the overall layout which play a role in privileging a particular meaning and framing : “(...) much of the meaning of news narratives may be generated by the relationship between particular images and their verbal components” (Messaris and Abraham 2001, 220). The analysis itself consisted in two processes: first, we used a content thematic analysis to code manifest visual elements throughout the data’s timeframe. Our goal was to understand the broader visual narratives, to compare them in time and not to limit them to an isolated event. We then conducted an iconic analysis, including the “framing mechanisms” such as headlines, quotations and captions (Ghanem 1997). Visual framings as socially shared, persistent and structuring symbols The codes resulting from the content analysis were compiled into metacategories of verbal and iconic contents, which clearly cover several framings which we will explore further on (see Table 1) : the figures (with the “triangle” of victims-benefactors-perpetrators, but also other “protagonists” such as political leaders or soldiers), the settings, the sufferings (“Death and ways of dying”), the roots of the crises (“Causes”) but also the normative dimension in the linguistic rhetoric (“Call for action”) and the way these crises are labelled or categorized, for example as massacres, atrocities, ethnic cleansing or genocides (“Labelling”). 130 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Table 1. Meta-categories for verbal/iconic contents of covers (n=414) Without surprise, the first meta-category is represented by the figure of civilians, who exemplify the victimization. Their exhibition on covers and in the visual rhetoric on sufferings clearly reflects the statistical reality of conflicts. Since the end of the Second World War, the number of civilian deaths has risen up to 90% (Smith 1997), and they are clearly targeted by and trapped in the “inferno” of modern warfare (Slim 2008). This “victimhood” rhetoric is used in visual framings to promote an emotional bond with the spectators, by emphasizing the fate of civilian life in wars and famines in their everyday life and a hierarchy of the most vulnerable which, in turn, open to question as to whether they should be cared for by humanitarian assistance and protected by international forces. This emphasis and repetitive focus on victims could therefore be considered as “metaframe” or, to come back to Reese’s definitions, on symbols “that are socially shared and persistent over time” (Reese 2001, 12). These symbols that circulate through time and from episodes to episodes, are based on strategies that have proven to work over time (Zelizer 2004). One recurring symbol, which appears on half of the covers related to victims (30 out of 54 covers) are the children. It is exposed here in these four covers (Pictures 1 to 4), which not only show that visual cues circulate from editors to their readers, but also within different, though close, cultural journalistic spheres, the French and the American ones. 6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” 131 Pictures 1 to 4. Biafra, “the shame”, 01/19/70; Ethiopia, 11/26/84; Somalia, 09/07/92; Rwanda, 08/04/94 Their similar framings are striking. Those examples clearly express the idea of “transposability” exposed by Perlmutter among his criteria for the iconisation of news pictures : “‘Quoting’ or transposing an icon across media and in many media sources helps to facilitate retention” (1998, 14). Firstly, this “quoting” is embedded in the photographers’ choices, in the angles (usually a face-to-face angle with the victim to create a proximity), distance (a close-up which reinforces the victimization, or even reproduces the camera lens as an accusation in Picture 1) and focus (a lonely child in the foreground with a blurry, decontextualized background) they chose to use, which are clear expressions of their standpoints (Fahmy 2004, 96). Secondly, they show a clear “memorable synecdochic stand-in” (Zelizer 2005, 35), from the iconic “children” famine of Biafra in 1968-1970, which sets the scene for other iconic famines (Ethiopia in 1984, Somalia in 1992), or humanitarian emergencies like the cholera epidemics in Rwanda in 1994, using the same scheme of interpretation of the left-alone child in the chaotic disorganization of civil society. Finally, the tragic atmosphere of such images is echoed through words like “the shame”, “Africa’s nightmare”, “agony of Africa”, “the horror of the world” which clearly categorize and set the tone for interpretation. Photographs can therefore been used as framework ellipses, i.e., both as shortcuts and references to give a fragmented insight on a perceived reality. We deal here with the synecdochic and metonymic properties of photography, of which journalists and photographers are fully aware. A third of them (16 out of 54 covers) also directly refer to an aesthetic and Christian artistic universe with a biblical textual layout. Whether they are images of Madonas or Pietas (Picture 5) or figures of grieving mothers (Picture 6), they embody the timeless and spaceless symbol of universal suffering, establishing a “comparative martyrdom” (Rieff 2003). To some extent, picture 6 also shows that victimization and the decrease of civilian space in armed conflicts is interpreted with the metaphor of a dead city. It is framed with the salient picture of the rumbles of collapsed buildings where civilians are running in the streets of ghost cities to symbolize the urban sieges (7,7% of the data). Religious semantics (26% of the “labelling” meta-category) are also emphasizing the biblical dimension of such events and are only used on covers with civilians or collapsed buildings during urban sieges. They underline how titles and captions can work to anchor the framing of such images by establishing a moral, historical and fantastic scale of horror when using words such as “Hell”, “Apocalypse”, “exodus”, “damned”, “sacrifice” or “martyrdom”. At the very end, death itself (14 132 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) % of the data) is visible in its perfect denotative expression, with skeletons shown in the aftermath of genocides in Cambodia or Rwanda, or with civilian bodies shot by sniper in Bosnia. Picture 5. Cambodia, “the damned of Earth”, 06/30/79 Picture 6. 08/23/82 Yet these long-standing visual framings of suffering can give a feeling of atemporality, as they rely on non-contextualized realities (Didi-Hüberman 2008, 4). Such metaframes are however totally built by and for Westerners, often adapted to distant or culturally different contexts (Konstantinidou 2008, 156157). Their aesthetic appeal reactivate the contemplation effect and the regime of sublime mentioned by Chouliaraki (2006b), but on the contrary of what she found for televised representations of suffering, the pictures exposed here show a real choice of humanizing civil wars. Yet these aesthetic codes show the transculturality of news pictures, as Anna Banks mentions (1994), or how “images are trapped in two discourses”, meaning they are produced within a specific context and received in another. We see the link with Reese’s definition; news pictures are therefore to be seen as cultural products of their context, included in socially shared conventions culturally formatted by photographers and editors, who use visual memories of earlier crises and create a familiarity with such visual codes within their audiences. Ultimately, the meaning comes out of this visual framing: “Because these ‘boundaries’ and ‘frameworks’ become a part of the cultural landscape they frequently remain unchallenged; they become that ‘line’ which editors feel they cannot ‘cross over’, yet cannot articulate and do not recognize until the content or style of a photograph appears to cross it” (Banks 1994, 124). Without mentioning it specifically, Banks’ theory is getting back to Barthes’ studium concept, or how the language of photography is made possible by a culturallyshaped knowledge based on a familiar symbolism embedded in media’s visual frames. Such frames can only be understood if they are known, accepted and used by the audiences. 6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” 133 The place of iconic images in collective memory is therefore inherent to the meanings attributed to the image to be “iconized”. Perlmutter’s model mentions among various criteria the “primordiality and/or cultural resonance” of the image: In short, the icon of outrage may remain a subject of interest long after the events that have spawned it have collapsed, because of this quasi-religious attachment to past archetypes and themes. This process, however, is not unlinear. Once we make a picture an icon, it too becomes a frame to which newer images will be compared. Every icon, therefore, creates a new standard for new icons. (Perlmutter 1998, 18) What we could call “standardization” of icons, in a way, functions with a cumulative effect (of symbols, of memories) that we find in pictures of sufferings. As we have shown previously, it is reinforced by the familiarity created with reference universes (religion, colonialism, history) which place news pictures as “routes of reference” and “totems” (Sontag 2003, 85) to a mediated reality, a reality that is not immediate and contemporary, but rooted in collective, visual memory. Visual framings as a particular interpretation The second dominant meta-category is set by humanitarian actors and relief. However, these categories are quite regularly represented on the cover with the figure of foreign – French and American – soldiers (Picture 7). Once again, these visual framings reflect new realities of the aftermath of the Cold War, which saw an increase of military-humanitarian operations such as peacekeeping missions. Nevertheless, the choice of picking up one metonymic figure, like a foreign soldier or the children or mothers shown in the above examples, give us a good insight on how these figures can be seen as priming motifs, as they include (victims or benefactors) and exclude (non-victimization, other protagonists) to propose a problem definition. Even though Fahmy has demonstrated that the majority of the audience might not be aware of the framing in visual narratives (therefore reinforcing the priming effect of the image), every image implies a selection, and therefore a framing by including a fragmented vision of a perceived reality and excluding the other parts: These visual selections then shape our interpretations of the world by creating shared perceptions, affecting and conditioning real-life understanding. […] A news photograph is only a slice of reality and not the entire whole; it is only a portion of what is really out there. Our interpretation of what is really out there is influenced by media logic. Media logic may include physical characteristics such as camera angles or size dimensions. And based on this media logic, the media have long been criticized for creating and perpetuating stereotypes (Fahmy 2004, 92 and 95) Such figures clearly show one dominant side taken by photographs towards victims and the heroic benefactors, but not exclusively. We will see that some of our results show that the figure of perpetrators (4% of the data) appears on the covers (Picture 8), as photographers and journalists try to balance this tandem between victims and benefactors with a causality link going back to the perpetrators. The following example (Picture 7), which shows an American soldier during the peace-keeping mission in Lebanon in 1982-1984, appears regularly in our data (5% of the data) as soon as an international peacekeeping mission is taking up the lead in a war-torn country, using a recognisable metonymy: a soldier wearing 134 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) the uniform with the national flag in the foreground, sometimes with some tank or helicopter in the background. Picture 7. “Lebanon – the US war”, 12/16/83 News pictures, as much as news texts, always tell more than what they show. These metonymic and synecdochic effects go far beyond denotation; the same observation was also induced by Barthes who noted that the punctum has a “force of expansion” and that it is “often metonymic” (1981). In the case of Picture 7, the figure of the US soldier acts both as a summary and a metaphor of the “americanization” of the war, underlined by the title; there is no greater way to emblematize peace-keeping mission. This case is especially relevant for the war in Lebanon, as the four magazines simultaneously chose to use almost exclusively pictures of American of French soldiers on their covers from the fall of 1983, until both armies pull out of the country in the spring of 1984. This repetition (or “salience”) frames in the sense that it selects but also excludes other perceptions of reality, such as the sufferings of besieged inhabitants of Beirut or the fights, which dominated in covers before the fall of 1983. This shift in the framing is enhanced by the connotative effect of the picture, which emblematizes the “nationalization” of the war (Moeller 1999, 14) and the fact that “‘we’ are constituted as ‘rescuing’” the sufferers (Parry 2011, 1194). This framing is actually highlighting the Western hegemony in such interventions and the North-South or East-West axes of humanitarian and geopolitical relations. It also shows an expected result which supports the imbalance between European and non-European countries (Chang et al. 1987; Garcia and Golan 2008). This is related to the logics of proximity, or how the Western, white figure is privileged and substituted to the now hidden victim figure, even more when foreign soldiers die or are kidnapped. This was the case in two conflicts we have 6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” 135 studied, Lebanon and Bosnia, who had peace-keeping soldiers all along the war in countries culturally close to the West; if the switch in visual framing from victims to foreign soldiers can also be seen in the covers about Somalia, this country never beneficiated from the same amount of coverage, once again confirming the ethnocentrism of media coverage, which is not surprising considering they are Western media reporting on Western soldiers for Western audiences. Table 2. Number of covers per crisis (n=143) However, as we see, even though more covered, European or countries close to Europe are framed the same way than more remote places. This type of visual symbolism tends to show that journalistic codes and conventions in the use of news pictures rely more on their symbolic representations, whether they are temporal, metaphorical and synthetic (Huxford 2001), and for their connotative effects: “Denotation and the truth-value of the photograph, more than connotation, are thought to be critical, because journalism needs photographic realism to enhance its ability to vouch for events in the real world. In reality, however, connotation is as important, if not more, than denotation” (Zelizer 2004, 117). Picturing sufferings also expose photographers to several atrocities (in real time, like in the siege of Sarajevo in 1992, or in the aftermath, like after the massacre of the Palestinian camps of Sabra and Chatila in Beirut in September 1982), which may encourage them to “promote a particular interpretation”, i.e., to 136 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) choose legitimately to expose the victims. In this sense, it is a form of “journalism of engagement”, as some call it (Bell 1998), which can be seen as subjective but is a clearly assumed, considered and disclosed standpoint, moreover when it’s exposed with a picture on a cover. By interpreting such events, they will also try to point at the perpetrator. Their interpretation can be more sensitive, as they have to work in a stressful and emotional environment, with a lack of time in a highly volatile context. Most of the time, news pictures will rely on a mise-en-scène to point at the perpetrator. They are framed either as 3 specific groups or as individuals (see Picture 8). Picture 8. Verdict on the massacre of Sabra and Chatila, Lebanon and Israel, 02/21/83 In this picture, even if the photographer was able to take clear evidence of the killing of civilians (the dead bodies in the background), no perpetrator was pictured during the 40 hours or so that lasted the massacre of Sabra and Chatila, as the camps were blocked by Christian militias and the Israeli army. By the time of this cover in 1983, General Sharon had been condemned, among 3 This was the case with the pictures of Begin and Sharon after the Sabra and Chatila massacres: “General Sharon, are you a thug?” (NO, 09/04/82) – the only accusing cover before the massacre; “Begin in accusation” (EX, 10/01/82); “Israel: a shaken nation” (TI, 10/04/82); “Israel – the malaise of the army” (EX, 10/08/82); “Verdict on the massacre” (TI, 02/21/83). Serbs were also demonized during the war in Bosnia, covers showing Serbian political leaders or clear visual evidences of militia members killing Bosnian civilians: “Yugoslavia – crimes without punishment” (EX, 02/04/93); “Sarajevo – a sniper’s confession” (TI, 03/14/94); “War criminals” (TI, 06/20/94). 6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” 137 others, by the official inquiry following the massacre. The indexical effect of the news picture, where it acts both as illustration of the fact and as validation of the authentic truth (Messaris and Abraham 2001, 215), is made by the superposition of the picture pointing at one of the accused perpetrator; but by choosing only one metonymic figure among the perpetrators, the news and photographic editors clearly expressed their standpoint, or what they want to emphasize. The picture opens once again for connotative meanings; beyond the figure of Sharon (as Israel minister of Defence), it is the moral burden of a democratic nation, which is accused of participating in war crimes on innocents (who come as a reminder in the background of the picture). Some magazines chose a less subjective, more symbolic and connotative effect to express the moral burden of 4 5 the Israeli nation by portraying a cartoon, or simply by removing any picture, which clearly shows that news pictures cannot express a moral evaluation by themselves. It nonetheless reinforces the sense of a “morality play” displayed by media’s verbal and visual narratives (Hammock and Charny 1996). Such framings were only used, in our database, to show perpetrators during the Lebanon and Yugoslavia wars. This can be explained both by the cultural proximity of “white” victims to Europe (these two conflicts were much more covered in the newsmagazines) and the presence of journalists during or 6 immediately after the massacres. The multi-modal process of visual framing The example shown above questions to what extent a picture can frame a perceived reality it itself without other framing mechanisms such as titles or captions. This brings us back to Entman’s earlier definition of a frame (1993, 52). If pictures can “select some aspects of a perceived reality”, make them “more salient”, they can hardly “promote a particular problem definition, causal interpretation, moral evaluation, and/or treatment recommendation”. To do so, they would need to combine different fragments of reality into a visual narrative, and even then, it would be only by connotative meanings that the spectator could link the elements together. Therefore, visual framing cannot be taken apart from its linguistic layout. But a frame can be embedded even in a single cover (Picture 9). 4 “Israel in torment” with a painting of a dead dove over an Israeli flag (NW, 10/04/82). “…For the honor of Israel…” yellow signs on a black empty space without any image (NO, 09/25/82). 6 Famines do not lead do similar scenes of emblematic, direct massacres. Even if all the episodes of famines studied in our database were clearly human-made, they never led in media coverage to a visual denunciation of the human agency behind these disasters. 5 138 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Picture 9. Markale market, Sarajevo, Bosnia, February 14, 1994 After the bombing of Markale, the city market of Sarajevo, by Serbian artillery, Newsweek decided to run the cover shown on picture on February 1994. The framing mechanisms seen here can be adapted to Entman’s definition. 1. The problem statement is embodied and labelled in the title; with a simple word “Bloodbath”, the imagery is referring to the category of massacres and the violence rooted in civil wars. The “verbal image” of the title is repeated by the symbol of the bloody stain on the woman’s face, but the shoulders shot suggest that the frame is hiding more damage. 2. The causal interpretation is done in reverse: if the picture is clearly focusing on the suffering of civilians (we can guess by the clothes), it suggests that there are perpetrators. The caption is not enough to understand that Serbian artillery was responsible for this; it is indicated only in the article. 3. The moral evaluation is suggested by the combination of several framing effects: the bloodbath embodying the “massacre of the innocents”, supported by the image; the use of the word “horror” makes a strong emotional call for people to feel shock and indignation, again emphasized by the bloody stain on the woman’s face. It is reinforced by the lonely standing of these man and women on the cover, as no protector or benefactor can be seen around. 4. The treatment recommendation is given in the title, with a call to the “West”, meaning the international community and the UN who are losing time to decide whether they should intervene or not in Bosnia. What we see here is a multi-modal process in the verbal and visual framing, which works as a dialogue between several devices: the image itself, the title 6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” 139 and subtitle, the caption. It may lead to a connotative meaning as a moral microinjunction: “These civilians (and by extension of the metonymic figure, the people of Sarajevo) are dying, is it the West duty to intervene to save them”. Similar multi-modal framings can be found on other covers, using the same devices: metonymic and synecdochic use of a victim, preferably a child, with an injunction framed in a title related to a biblical dimension or atrocity, and a call for intervention. These multi-modal framings also increase during the conflicts of the 90s, in parallel to the so-called “military-humanitarian interventions”. In our 7 case, most of them are preferably used for the war in Bosnia; this is probably due to the specific nature of the Bosnian war, which happened “at the doors” of Europe, whose denounced “barbarism” echoed from the atrocities of World War 8 II. But if we take a close look back to pictures 1-4, which are all about African countries, we see that they follow this multimodal process. Micro-injunctions are set up by the juxtaposition of words and images: the metonymic figure of the innocent child, who is suffering from war or famine and abandoned; morality is set as a “nightmare” and “shame” should be on us for watching this and letting this “horror” happen, while the “world” should be “reaching out”. However, the treatment recommendation, which could be, as on the picture 9, the intervention of Western powers, is nowhere to be seen on covers. It stays as an open question, a moral imperative intended for the spectator. Conclusion At the end, we can say that such visual framings are not limited to a specific time or context. Such mechanisms function as echoes in time, relying on the power of iconic representations of previous events. This principle of intericonicity, which we borrow from the principle of “visual literacy” (Messaris 1994), was also developed by David Natharius. He adapted the definition of intertextuality - “the cognitive connections we make when we see something and understand that the visual (or written) text references an earlier text” (Natharius 2004, 241) – to the notion of connections between visual references, as a journey from an image to another. These visual framings, reinforce by their verbal components such as the biblical terms, produce a form of narration induced by the image, which can be seen as an “act of writing” or a “mythography”, to put it in the words of French semeiologist Frédéric Lambert (1986). They highlight the role of iconic images which cannot be limited to their simple semiotic components but also to their place in collective memory and their social context: “Journalists rely on photographs to offer aspects of war that words cannot, and often they accomplish this by weaving memorable scenes from the past into their pictures of the present” (Zelizer 2004, 124). However, the historical perspective displayed here show that visuals play a specific role in media narratives, together with their linguistic layouts. Using emotions as a moral leverage, echoing previous events in their semantics and 7 See also “‘Ethnic Cleansing’ – Bosnia’s cry for help” (NW, 08/17/92) with the face of a little girl looking through a window broken by a bullet shot; “The agony of Srebrenica – ‘In the name of God, do something!’ (TI, 04/26/93) with a close-up of a crying mother holding her child. 8 The discovery of the supposed “death camps” in Bosnia also led to similar framings, like “Special Yugoslavia: how to intervene – And our report: the roots of the hatred” (NO, 08/13/92) with the iconic image of two skinny men behind barbed wires. 140 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) visual memories, finding their decoding keys in outrage and Judeo-Christian symbols, news pictures definitely have an important place in the way we categorize and perceive the world through their repetitive, symbolic, metonymic and synecdochic language. Interestingly, one of the most memorable synecdochic use of news picture, the ‘Year in pictures’ section, was deleted in 1999 and then reintroduced in Time in December 2009: If eyes are the windows of the soul, then photojournalism is the window on the most momentous events of our time. Great pictures are a way of arresting significant moments in a fast-changing year — and then framing those moments for history. This year, under the leadership of our new director of photography, Kira Pollack, we've brought back a venerable TIME franchise, the Year in Pictures. […] "I have been a witness," TIME's legendary photographer James Nachtwey once said, "and these pictures are my testimony." We have tried something new this year, and that is to get the literal testimony — the words and voices — of the photographers themselves talking about their pictures. It's a way of taking all of us with them on their mission, seeing their images through their eyes. (Time’s managing editor, 12/10/09, p.5) Labelled as “arresting significant moments” and even considered as important “framing” devices for memory, these pictures are now printed with a new feature, the words of the photographers, so they give their own explanation about the image. This addition deserves consideration: is it a new way to frame the story, by filling gaps in the syntactic weakness of the image? Is it a way to move towards an even narrowed interpretation? Or is it just simply a way to make news more vibrant? The choice of re-introducing that section is nevertheless a proof that, somehow, there is no better way to frame the news than using pictures, and that it has been the case since the growing use of news pictures in the aftermath of World War II: These mnemonic and metonymic functions are crucial to the shorthand of journalism; a picture must stand for a thousand words, but also must replace a thousand other pictures. Which events are witnessed by photojournalists, which pictures they decide to take of which sections of a greater reality, which ones they send to news organizations, which of those are printed with what captioning and contextual framing and, finally, which become icons are political as well as aesthetic and industrial choices. (Perlmutter and Wagner 2004, 114) News pictures therefore act in two ways in media narratives. On the one hand, they frame as they are “political, aesthetic and industrial choices”. Suffering imaging is hence supporting the myths of the Good Samaritan as well as neocolonialism, and shows how Western societies see the world and recognize themselves in it. On the other hand, they act as “shorthands”, or mirrors of our own myths and sensibilities. The universal view on misery is not a particularity of the end of the 20th century, even if magazines tend to rely more on the same photo agencies, which is partly due to the shrinkage of the news picture market. But this remains an open question. Are we going towards a more “nationalized” perspective or “domestication” of the coverage of foreign news? Or towards a transnationalization of discourse and common visual codes on “global” crises (Chouliaraki 2008; Cottle 2009)? Some could pretend that the data explored here might be out of date, but these data definitely interrogate the Western transnational use of framings and how events are perceived through similar schemata, symbols and icons. They show how different generations of images 6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” 141 interact and interweave in news narratives, and shape our memories of previous events. References Banks, Anna. 1994. "Images trapped in two discourses: photojournalism codes and the international news flow". Journal of Communication Inquiry 18(1): 118‑ 134. Barthes, Roland. 1981. Camera Lucida: reflections on photography. New York: Hill and Wang. Bell, Martin. 1998. "The journalism of attachment". In Media Ethics, Routledge, 15‑22. London: M. Kieran. Boltanski, Luc. 1999. Distant Suffering: Morality, Media and Politics. Cambridge: Cambridge University Press. Chang, Tsan-Kuo, Pamela J. Shoemaker, and Nancy Brendlinger. 1987. "Determinants of international news coverage in the US media". Communication Research 14(4): 396‑414. Chouliaraki, Lilie. 2006a. The Spectatorship of Suffering. Sage. ———. 2006b. "The aestheticization of suffering on television". Visual Communication 5(3): 261‑285. ———. 2008. "The symbolic power of transnational media: managing the visibility of suffering". Global Media and Communication 4(3): 329‑351. Cottle, Simon. 2009. "Global crises in the news: staging new wars, disasters, and climate change". International Journal of Communication 3: 494‑516. Didi-Hüberman, Georges. 2008. « Image, événement, durée ». Images re-vues. hors-série n°1. Dimitrova, Daniela, and Jesper Strömbäck. 2005. "Mission accomplished? Framing the Iraq war in the elite newspapers in Sweden and the United States". Gazette: the International Journal for Communication Studies 67(5): 399‑417. Domke, David, David Perlmutter, and Meg Spratt. 2002. "The primes of our times? An examination of the “power” of visual images". Journalism 3(2): 131‑ 159. Entman, Robert. 1993. "Framing: toward clarification of a fractured paradigm". Journal of Communication 43(4): 51‑58. ———. 2007. "Framing bias: media in the distribution of power". Journal of Communication 57: 163‑173. Fahmy, Shahira. 2004. "Picturing Afghan women. A content analysis of AP wire photographs during the Taliban regime and after the fall of the Taliban regime". Gazette: the International Journal for Communication Studies 66(2): 91‑112. Fahmy, Shahira, and Daekyung Kim. 2008. "Picturing the Iraq war. Constructing the image of war in the British and US press". The International Communication Gazette 70(6): 443‑462. 142 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Garcia, Maria, and Guy Golan. 2008. "Not enough time to cover all the news: a study of international news coverage in Time and Newsweek". Journal of Global Mass Communication 1(1-2): 41‑56. Ghanem, Salma. 1997. "Filling in the tapestry: The second level of agenda setting". In Communication and Democracy. Exploring the intellectual frontiers in agenda-setting theory, edited by Maxwell McCombas, Donald Shaw, and David Weaver, 3‑14. New Jersey: Lawrence Erlbaum. Goffman, Erving. 1974. Frame analysis: An essay on the organization of experience. London: Harper and Row. Gorin, Valérie. 2013. "An Iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-95)". In Selling War. The Role of the Mass Media in Hostile Conflicts from World War I to the « War on Terror », edited by Josef Seethaler, Matthias Karmasin, Gabriele Melischek, and Romy Wöhlert, 135‑156. Bristol, Chicago: Intellect. Griffin, Michael. 2004. "Picturing America’s “War on Terrorism” in Afghanistan and Iraq. Photographic motifs as news frames". Journalism 5(4): 381‑402. Hall, Stuart. 1973. "Encoding/decoding". In Culture, Media, Language: Working papers in Cultural Studies, edited by Centre for Contemporary Cultural Studies. London: Hutchinson. Hammock, John, and Joel Charny. 1996. "Emergency response as morality play: the media, the relief agencies, and the need for capacity building". In From massacres to genocide: The media, public policy, and humanitarian crises, 115‑ 135. Washington, DC: Brookings Institution and Cambridge. Huxford, John. 2001. "Beyond the referential. Uses of visual symbolism in the press". Journalism 2(1): 45‑71. Konstantinidou, Christina. 2007. "Death, lamentation, and the photographic representation of the Other during the Second Iraq War in the Greek newspapers". International Journal of Cultural Studies 10(2): 147‑166. ———. 2008. "The spectacle of suffering and death: the photographic representation of war in Greek newspapers". Visual Communication 7(2): 143‑ 169. Lambert, Frédérc. 1986. Mythographies, la photo de presse et ses légendes. Paris: Edilig. Messaris, Paul. 1994. Visual Literacy: Image, Mind, and Reality. Boulder: Westview Press. Messaris, Paul, and Linus Abraham. 2001. "The Role of Images in Framing News Stories". In Framing Public Life, 215 ‑ 226. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum. Moeller, Susan. 1999. Compassion fatigue. How the media sell disease, famine, war and death. New York and London: Routledge. 6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” 143 ———. 2002. "A hierarchy of innocence: the media’s use of children in the telling of international news". The International Journal of Press/Politics 7(1): 36‑ 56. Natharius, David. 2004. "The more we know, the more we see: the role of visuality in media literacy". American Behavorial Scientist 48(2): 238‑247. Parry, Katy. 2011. "Images of liberation? Visual framing, humanitarianism and British press photography during the 2003 Iraq invasion". Media Culture & Society 33(8): 1185‑1201. Perlmutter, David. 1998. Photojournalism and Foreign Policy. Icons of Outrage in International Crises. Westport: Praeger Publishers. ———. 1999. Visions of war: picturing warfare from the Stone Age to the Cyber Age. New York: St. Martin’s Griffin. Perlmutter, David, and Gretchen Wagner. 2004. "The anatomy of a photojournalistic icon: marginalization of dissent in the selection and framing of “a death in Genoa”". Visual Communication 3(1): 91‑108. Popp, Richard, and Andrew Mendelson. 2010. "“X”-ing out enemies: Time magazine, visual discourse, and the war in Iraq". Journalism 11(2): 203‑221. Reese, Stephen. 2001. "Prologue - Framing Public Life: A bridging model for media research". In Framing Public Life, 7‑31. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum. Rieff, David. 2003. A bed for the night: Humanitarianism in crisis. New York: Simon & Schuster. Slim, Hugo. 2008. Killing Civilians: Method, Madness and Morality in War. New York: Columbia University Press. Smith, Dan. 1997. The state of war and peace atlas. London: Penguin. Sontag, Susan. 2003. Regarding the pain of others. New York: Farrar, Strauss and Giroux. Tankard, James. 2001. "The empirical approach to the study of media framing". In Framing Public Life, 95‑106. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum. Weaver, David. 2007. « Thoughts on agenda setting, framing, and priming ». Journal of Communication 57: 142‑147. Wells, Karen. 2007. "Narratives of liberation and narratives of innocent suffering: the rhetorical uses of images of Iraqi children in the British press". Visual Communication 6(1): 55‑71. Zelizer, Barbie. 2004. "When war is reduced to a photograph". In Reporting war. Journalism in wartime, edited by Barbie Zelizer et Stuart Allan, 115‑135. London and NY: Routledge. ———. 2005. "Death in wartime: photographs and the “Other War” in Afghanistan". The International Journal of Press/Politics 10(3): 26‑55. 144 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) 7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (1967-1994)” 145 7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (1967-1994)” Article soumis à la revue Journalism. Actuellement en cours de révision. 146 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) “Suffer the Children”: the metonymic use of youth figures in American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (1967-1994) Abstract This paper explores the narratives on children as a privileged form of representation in newsmagazines narratives on sufferings. Though recent studies on media’s referencing on children have pointed out their increase during the coverage of the wars in Kosovo and Iraq, this paper shows that representations of neglected, wounded or abandoned children have become central figures in humanitarian narratives of newsmagazines since the 1960s and the Nigerian civil war. Their visual exhibition or sometimes vivid depictions of their sufferings by journalists are thought to foster a form of investment, whether humanitarian, political or compassionate, as it calls to broader sensibilities and understandings of the society, at least in the Western hemisphere. Therefore, this paper explores how the metonymic use of children’s figures acts as a symbol of the loss of innocence and the impact on future generations. Through a content and semiotic analysis of a transversal study on American and French newsmagazines, it demonstrates that children are used as historical symbols of absolute innocent victims in order to support emotional calls for humanitarian interventions and mobilize against indifference, and how humanitarian narratives using children’s figures have evolved in a period of important changes in the humanitarian and geopolitical spheres, which are reflected in media discourses. Keywords: framings; visual framings; news pictures; children; symbols; collective memory; victimization; newsmagazines; humanitarian narratives Introduction Often cited as one of the emblematic famines of the 20th century, the 1984-1985 famine in Ethiopia is well known for the legendary BBC report of October 1984 that prompted a massive public response. Among the starving victims shown in the camp of Korem in Northern Ethiopia, the camera stood still on an about-todie young girl in the arms of her father. It was only a short and fragmentary vision of her, in a narrative that spoke of and exhibited mass burials; one could only guess what happened to the girl. The icon could have remained etched in our memories in the moving film; but decades later, the segment was re-run in front of a worldwide audience, during the Live 8 concert in July 2005. And just when nobody expected it, the girl named Birhan Woldu appeared on stage. She had been in fact saved from famine in a feeding center and was by then a healthy young woman. For media scholars, the narrative induced is just another example of a “child rescue” story, which we would like to explore here. Our analysis of 7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (1967-1994)” 147 th newsmagazines frames on children’s sufferings during 20 century humanitarian crises of the last decades will question how they have remained a privileged form of representation through times, especially through news pictures. Often called the “poorest of the poor“ in chaotic situations where normal social bonds are destroyed, children are in fact the most vulnerable in times of emergencies. th They have been largely represented, even since the early 20 century, by humanitarian organizations and the mass media as “a form of representation that is ‘morally privileged’ and more likely than other reports or representations to be taken by the audience to be morally compelling (…)” (Tester 2001, 134). Texts but also many pictures of starving, wounded or neglected children have since become central figures in “humanitarian narratives” where “ameliorative action is represented as possible, effective, and therefore morally imperative” (Laqueur 1989, 178). Their visual exhibition in news pictures or sometimes vivid depictions of their sufferings by journalists are thought to foster a form of investment, whether humanitarian, political or compassionate. But a child figure is more than a simple visual or emotional “teaser” in media framings; it calls to broader sensibilities and understandings of the society, at least in the Western hemisphere: “Part of the answer as to why the suffering of children is compelling and problematic seems to lie within the fact that children are so firmly grounded in the future. The pain surrounding the death of children is heightened by a loss of hope about the larger future of society” (Suski 2009, 203). To save a child ultimately means preserving the social, political and moral integrity of the society facing the disaster (Wells 2007). Part of media studies related to the use of children in media narratives have underlined how they appear in formulaic coverage and the semiotics strategies they rely on. Consequently, the frequent claim by the media to save at any cost, even a single child, would act as “a synecdoche for the country’s future” (Moeller 2002, 39), and using an “injured or dying child” would stand “as a metonymic representation” of helping a whole nation (Konstantinidou 2008, 150). Other studies have also outlined the cultural processes at work behind such representations as they question the sometimes stereotypical view on distant suffering (Campbell 2012). Though it is not the purpose of this article to discuss the visual and cultural perception of the Other, such studies confirm the recent interest on the topic of “childhood in danger“. However, only a small portion (see for example Waters 2004) mentions how such mises-en-scène are not related to new media strategies in covering wars of the last decades. This privileged form of representation therefore needs to be put back in a historical perspective, as it relies on visual symbolic memory to referential events. Media are also keen on using child figures as they are well-proven narrative matrices, which lead to larger interpretation levels of the social, economic, political and ideological realities behind this visible suffering. We will focus here on a specific timeframe, starting from the Biafra war until the genocide in Rwanda (1967-1994), as it allows the assessment of humanitarian narratives and their use of children figures by the time of important shifts in the humanitarian and geopolitical spheres, which are reflected in media discourses. Therefore, the aim of this article is to explore this specific framing on children, based on a retrospective and comparative analysis of French and US 148 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) newsmagazines, covering more than three decades of wars and related 1 famines. By choosing a diachronic and transversal approach on the decades between the 1960s and the 1990s, we intend to discuss how newsmagazines framed child-oriented stories on several geographically distant humanitarian crises and the common standards that were made over the years. We will first start from a case study of a rescued child during the Bosnia war to understand how these types of stories question what is “behind the picture”. We will then explore the perspectives it opens in terms of symbolic memory, victimization, emotional use of pictures and mobilization of empathy. A child named Seak Bekric When arguing that “ten years ago, twenty-five years ago, and fifty years ago, even when conflict had broken out among civilian populations, children were featured less in the news”, Susan Moeller (2002, 43) forgets about collective memory and the connotative power of war photography. The Jewish boy in the Warsow Ghetto during World War II; the napalm girl in Vietnam in 1972; Omayra, whose agony was broadcasted live on TV channels in Colombia in 1985; or, even more recently, the case of Mohammed Al-Durah, killed in 2000 in front of camera during the Second Intifada; all these children have embodied a fragment of the history of a war. In fact, the media’s referencing of children have always been linked to the history of modern humanitarianism: “Western sensibilities toward the innocent victims of war were already characteristic of the aftermath of World War I. (…) It has thus contributed to the appearance of the ‘victim’ concept and its representation in the media during the twentieth century, together with the associated images of pain and death” (Gorin 2013, 138). What is characteristic of the aftermath of the Second World War, however, is that war photographers became major actors of photographic standards on depictions of sufferings, especially during the decolonization process in Asia and Africa. The civil war in Nigeria-Biafra, for example, often remembered as a “children’s famine”, was an important turning point in war journalism: on the other hand, because children were seen as primary victims of the violence and “universal” symbols for international audiences. On the second hand, because the framing on children’s sufferings was at the core of the communication strategy built by relief workers, and it forever changed “the nature of the journalist-source relationship in the reporting on international disasters” (Waters 2004, 698). Since then, as we will see in the results below, children have been a privileged subject by the media, not only to build narratives which are morally compelling, but also to talk about the humanitarian emergency in a context of war and the form of response it should create. Humanitarian action has evolved since Biafra, with the creation in its aftermath of new types of NGOs like Médecins sans frontières (MSF) which clearly use political testimony and media relations as part of their strategy to mobilize civil society and governments. By the end of the Cold War in the 1990s, humanitarian interventions have been more politicized with the return of State humanitarianism and military-relief operations: 1 The results presented here are part of a wider PhD research on the symbolic memory of photography in humanitarian representation from the French and American newsmagazines. 7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (1967-1994)” 149 With the end of the Cold War, the superpowers went off their client, leaving these regimes alone to face their long-suffering societies, and the results were deadly. These were not run-of-the-mill wars. These were ‘new wars’. The simultaneous decline of the state’s ability to provide security or perform basic governance tasks and the rise of paramilitary organizations led to wars with no ‘fronts’, engulfing cities, towns, and villages. Civilians were no longer a tragic consequence of war but rather war’s intended targets. New terminologies were invented to try to capture these obscene developments, including ‘complex humanitarian emergencies’ and ‘ethnic cleansing’, but the categories never did justice to the horrific realities. These patterns of violence produced a shift in the meaning of international peace and security. (Barnett 2011, 162) The motto of “a dying child remains a dying child, no matter why he dies from” has nonetheless remained an unchallenged claim in media narratives to push into a “we must do something” frame, even though studies on agenda-setting have balanced the power influence of media in times of humanitarian crises (Seib 1997; Robinson 2001). Though the majority of these studies have concentrated on television reporting of foreign crises in the 1990s and the socalled CNN effect, we show here that a comparative study of newsmagazines leads to the same “we must do something” framing, in which children’s pictures played if not a central, at least an important role. By focusing on a wide content analysis on American and French newsmagazines (Time (TI), Newsweek (NW), l’Express (EX) and Le Nouvel Observateur (NO)), along with a semiotic analysis th on semantics and news pictures, this study covers eight major 20 century humanitarian crises of the last decade: the civil war in Biafra (1967-1970), the genocide in Cambodia (1975-1979), the civil war in Lebanon (more specifically the Israeli operation “Peace to Galilea” from 1982 to 1984), the famine in Ethiopia (1984-1985), the civil war against the Kurds (1991), the famine in Somalia (1992-1993), the civil war in Bosnia (more specifically the siege of 2 Sarajevo between 1992 and 1994) and the genocide in Rwanda (1994). Before exposing our results, we would like to start with one case study which exemplifies the main outcomes of what we would like to underline. It is related to the story of Sead Bekric, a Bosnian boy who was blinded when Serb artillery 3 bombed his school in Srebrenica on April 12, 1993. Evacuated for care several days later, he was spotted by journalists. The pictures made by James Mason, showing the child with a bloody bandage on his eyes, were printed in several newsmagazines, including L’Express on May 6, 1993 and Newsweek on May 10, 1993. When analyzing the impact of the story, L’Express gives a rare insight on how such stories are perceived and framed: The exhibited child, the picture is there. That of the child wearing a bleeding blindfold will symbolize lastingly the Bosnian horrors. Just as the little napalm girl in Vietnam or the Chinese boy in white shirt on Tiananmen place did. Some fear the image will trivialize the unbearable. On the contrary, it shows the unbearable and imprints it in collective memories. And without the picture of the wounded child, Srebrenica would have probably been massacred. The bombed child, all the hatred is there. None of the people who saw it will ever believe that man is good, naturally good. Auschwitz or the gulag has immunized 2 The content analysis consisted of more than 900 articles analysed by CAQDAS (Atlas.ti), after which a semiotics approach was drawn on coded segments referring to the use of children either in the images or in the texts. 3 He was evacuated to the United States for care, and later gave his testimony in the Hague tribunal for ex-Yugoslavia about the massacre of Srebrenica. 150 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) hardly anybody. At the end of the 20th century, on the shores of the Adriatic Sea, in quasi-democratic countries, men are able to kill and rape their neighbors, to bomb the kids from next door, in order to “purify”. The rescued child, the fact is there. The critics of humanitarian action do not reason soundly when they are not masochistic, political or corporatists. Without the camera and the peace soldier who are coming right behind, the child of Srebrenica would not have been rescued by an UN helicopter, evacuated to Tuzla and looked after by an international doctor. It is true that humanitarian action becomes partially the captive of the perpetrators, when it keeps the Muslims away. But it also prevents the latter from being massacred. Who would prefer humanitarian inaction and the child to be killed instead? The blinded child, the powerlessness is there. This war has been going on for almost two years, a war that all observers saw coming. The Serbs are poor, we are rich. The United States are powerful, Russia is falling apart. Western Europe has been constituted into a common entity, the countries of former Yugoslavia also need it. France is a long-standing friend of Serbia, it was respected. What have we done of our strength, our wealth, our union, or alliances? We have done a great deal by preventing us to fight among ourselves because of the Balkans. We have done so few for them, without preventing others to die besides him and for him to lose his sight. This image should haunt us for a long time. What can we do in order that this does not happen again? (EX, 05/06/93, 5)4 We will therefore follow these arguments as they open up to empirical and theoretical comparisons, given our own analyses, to the collective memory embedded in photography and the history of child’s icons, to the hierarchy of victims and the fate of civilians in modern warfare, to the use of images as emotionally compelling and to media narratives on children as a political and ideological debate. Childhood as a historical symbol in media narratives of suffering By mentioning the necessity to “exhibit” the picture of the wounded child, L’Express heightens the connotative power of war photography and its iconic link with collective memory, by contrast to Stanley Cohen’s claim : “But [the icons of suffering] do leave the mind, and the media regime is ill-suited to remind us of them. This media-driven cultural amnesia is less fateful than denying future risks” (2001, 174). As Barbie Zelizer has shown, photographers and journalists use war photography on the basis of their familiarity, frequency and aesthetic appeal (2004). If newsmagazines may not reprint a familiar icon, they will quite probably set up a scene with familiar iconic and verbal signs, as in the parallel outlined by L’Express with the napalm girl. These signs quite often require the metonymic use of a lonely child, alone and abandoned or wounded and surrounded by adults or care givers. This intericonicity is made possible by similar visual framings, which rely on cultural and social knowledge built by media narratives of previous events (Banks 1994). As our analysis shows, children have featured predominantly in newsmagazine’s depictions of civilian harming (Table 1). 4 Our translation. 7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (1967-1994)” 151 Table 1. Categories of victims 1967-1994 (n=4650) This persistence of children’s referencing in time is also due to the connection they allow to similar framings of past events: “The familiarity of certain photographs builds our sense of the present and immediate past. Photographs lay down routes of reference, and serve as totems to our causes: sentiment is more likely to crystallize around a photograph than around a verbal slogan” (Sontag 2003, 85). According to French historian Philippe Mesnard, there are three important referential wars: Biafra, as explained above, the Holocaust, which was a turning point in exposing mass atrocities as visual evidence, and the war in Vietnam, which exposed civilian sufferings through photojournalism (2002). As we see in Table 1, children are a transversal figure. More specifically, childhood is seen as a way to discuss sensibilities in modern Western societies: “When we encounter an image of a child suffering from hunger with the obvious physical signs of illness and impending death, the image functions to express an ultimately destabilizing rupture with the modern child” (Suski 2009, 207). This idealized image of childhood was a “social construction” in the West (Ariès 1962), and is “regarded as a period of dependency” (Burman 1993, 239). When faced with situations of chaos like wars and famines, which greatly impact the familial and social links, tt is therefore contradicted. This is expressed in our data through the idea of the loss: during periods of famine, the permanent damage done by malnourishment has Newsweek wonder whether it is “Too late to save Africa’s lost generation” in Ethiopia (“We are the children”, 06/03/85, cover); during chaotic disorganization of society in times of exodus, L’Express reflects on long-term trauma for the “Lost children of Rwanda” (09/08/94, 24-25); or during long-enduring urban sieges in civil wars, the newsmagazines publish 152 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) several pictures of children playing with guns (NW, 07/20/92, 09) or “provoking the snipers” in Sarajevo (OBS, 12/23/92, 59) in which they question whether these children are denied the chances of preserving their innocence and 5 carelessness. The focus on permanent physical and psychological damage on young generations also functions as a metaphor of death and destruction. In the case of Sead Bekric, the child symbolizes the slow dying of the besieged city of Srebrenica. This synecdochic exhibition of the child, given the indexical use of the photography in this case, is a mean to testify of the violence of modern warfare, where civilians have become direct targets of enemy armies: “Civilian is the word we now rely on to cradle and preserve the ancient idea that mercy, restraint and protection should have a place in war. The civilian label is thus the mark of a very important distinction between combatants and non-combatants in war, between the weak and the strong, those who are active and implicated in the fight and those who are passive and ‘caught up in it’” (Slim 2001, 1). This depends in particular on the presence of journalists in the field – Sead Bekric became an international icon after appearing on CNN, as reporter Christiane 6 Amanpour recalls. Besieged cities emblematically “localize” the suffering in places where journalists stay or try to go, given they take the risk to pass the blockade imposed by enemy armies. Being trapped with the civilians under fire and experiencing their everyday struggle to survive, journalists and photographers see the impact on the most vulnerable, among which the youngest, occasioning numerous pictures of adults rushing with their wounded 7 children in their arms in places like Beirut, Sarajevo or Srebrenica. Showing them physically harmed is therefore a will to testify of the brutality and nonrespect of the sacred notion of childhood. During famine episodes, feeding centers and refugee camps replace the metonymy of the city as a place of death. In these highly identifiable and symbolic places of the humanitarian imagery, children are easily spotted as they are the ones in urgent need of care. Journalists, but also humanitarian actors and sometimes celebrity figures, provide clear depictions and daily diaries of life 8 and death, where children are prominent figures. The presence of these recollections from journalists and relief workers in the discourse is concomitant of showing and depicting children’s suffering (see “journalists” and “humanitarian actors” in Table 3 below), as they are front witnesses. This experience is quite 5 In 1994, a picture from Christopher Morris is chosen by Time to illustrate the Bosnian war in the ‘Year in pictures’ section. As the photographer recalls, “The kid had a toy gun, and he started mimicking shooting it. People everywhere send their kids out to play, but in Sarajevo it’s like you’re sending them out to play on a superhighway” (TI, 12/26/94, 54-55). Quite interestingly, 1994 was also the year of the Srebrenica massacre; but the magazine chose to remember this war by focusing in this synecdochic condension on the children’s lost innocence. 6 See Eyewitness Testimony at the United States Holocaust Memorial Museum’s website, <http://www.ushmm.org/genocide/take_action/gallery/portrait/amanpour>, last checked April 13, 2013. 7 See for example “To die in Beyrouth” (OBS, 06/26/82, 42), “Suffer the children” (NW, 06/28/82, 25), “With the sacrificed of Sarajevo” (OBS, 06/25/92, 52), “City of tears” (TI, 06/22/92, 27), “Sarajevo – Christmas in Hell” (EX, 01/01/93, cover). 8 See for example “A diary of one’s day horrors in the refugee camps at Kibumba” (diary of the journalist Joshua Hammer, NW, 08/08/94, 6-9); “I saw the cholera coming” (diary of a MSF nurse, OBS, 07/28/94, 20-23). 7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (1967-1994)” 153 often sensorial and affective, so their stories are emotionally charged. Face-toface encounters with mass starvation of children is especially challenging for many journalists and photographers, who recall it in heartfelt terms: “As long as I live, I will never forget the screams of the children (…)” (NW, 02/09/70, 33) or the “overwhelming” and “devastating” experience of First Lady Rosalynn Carter’s exceptional trip to Cambodian refugees camps in Thailand (TI, 11/19/79, 44). Children as absolute innocent victims The sometimes very graphic depictions of violence on children are not only emblematic of sensibilities towards children and the realities they face in times of war; it is also indicative of geopolitical and social changes in Western societies, which are now at peace since sixty years. These confrontations to the children’s sufferings reactivate reflections on barbarism and bring back the memories of the Second World War and the Jewish genocide, which are used by the journalists to draw historical parallels and a comparative scale of war atrocities (56% of all the historical parallels made in our data). In front of these atrocities, children are used in the newsmagazines as prime victims, both for factual and symbolic reasons (see Table 2). Table 2. Amount of coverage related to children during each crisis, 1967-1994 Table 2 clearly shows that children are more represented during periods of famines. This is due to a statistical observation on infant mortality: children are the ones who die the most, at least during famines. Their vulnerability is not only a motive for emotional and affective charges in the discourses; most of the articles on famines, for example, give clear medical explanations. From Biafra to Ethiopia to Somalia, children under the age of five are presented as the most vulnerable to parasitic and infectious diseases, but they also appear on pictures 154 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) with attending medical staff or nursing mothers, intubated (EX, 01/11/85, 81) or 9 helped to be fed as they “have forgotten how to eat” (NW, 11/26/84, 50). On the contrary, children are less represented as victims during times of civil wars as in Bosnia or Lebanon, which can be probably explained by the facts that all human beings are equally exposed to the danger of shells and bullets. These urban wars also offer other “scenes” of death or suffering which cannot be limited to infant mortality. But what is embedded behind these statistics is the symbolic vulnerability of the child as an absolute victim. Children are presented as non-participant, apolitical, “pure” (Brauman 1993); therefore, when this innocence is stolen or despised, newsmagazines narratives tend to use children as a privileged framing to promote a causal interpretation (what or who is threatening the child), a moral evaluation (by using connotative words and images that express emotions) and a treatment recommendation (how and who should take care) (see Entman 1993 for definition). The fate of children in periods of mass exodus like in Cambodia in 1979 or in Rwanda in the summer of 1994 is particularly dominant in newsmagazines coverage. The stories focus for example on groups of children who “have walked tens of miles to seek refuge in Thailand, exhausted and starving, and have been systematically turned away” in Cambodia (EX, 07/07/79, 41), or on “orphans, abandoned or simply lost children [who are] thrown on the road by adults’ madness” in Rwanda (EX, 09/08/94, 24). Followed by picture stories which emphasize the young as “left-alones” who have to fight every day for their survival, these children are pictured without any adult presence besides them while, according to Western standards, they should be dependent and protected. This type of coverage, even in short-terms moments of attention, is important as it exemplarizes the concerns for children’s survival skills in times of unpredictable violence. Hence, it is not surprising that Time decided to publish a whole issue on “Children of war” in 1982. As it is exposed by the publisher, this “extraordinary chronicle” is “a unique enterprise for Time and perhaps for journalism. Never before have the thoughts and feelings of children growing up on the world’s battlegrounds been the subject of such encompassing and penetrating exploration” (01/11/82, 7). The project mobilized several correspondents as five war zones were covered by Senior Writer Roger Rosenblatt (Northern Ireland, Lebanon, Israel, Cambodian refugees in Thailand and Vietnamese refugees in Hong Kong). Presented as a “personal account of how children view life when it might explode before their eyes at any moment”, this 23 pages-long story included 30 personal biographies of children who, also quite uniquely, are given a voice: All wars, it is said, are fought for the benefit of future generations. This is a story of how those generations are responding. The responses wary, as you would expect. The five war zones represented here are quite different from one another, and the children in each place have their differences as well. (…) Here are some 30 children 9 Interestingly, two of the four newsmagazines decided to run a same issue on child malnutrition at the same moment (OBS, 06/21/85 and NW, 06/05/85), which tends to prove that they are influenced by the agenda of one another. This is not a single case; at the end of July / beginning of August 1994, the four newsmagazines run a similar cover on Rwanda with a picture of a lost and crying child in the foreground of running refugees, to emblematize the massive exodus to the borders. 7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (1967-1994)” 155 from five warring nations, most of them eager to make and keep the peace. (…) For the moment their power is purely potential. So they go about their business – riding bikes, playing ball, dreaming, doing what they are told, and watching with great care all that is being done for them. (TI, 01/11/82, 16) While the report covered expected issues on child’s experience of violence (death and mourning, loss or remain of the innocence, living conditions, physical and psychological harm), one of Rosenblatt’s concerns was the future of these children and whether they would grow out of this violent surrounding as good or “revenge” people. The hazard of events gave him a good opportunity for a follow-up of the story six months later: when Israel launched its “blitzkrieg” on Lebanon (NW and TI, 06/21/82), Rosenblatt went back to Beirut to find out what happened to four of the children he interviewed there. As it turned out, his story was both “an account of that search, and partly a record of events observed in Lebanon during the week of June 28 to July 4” (TI, 07/19/82, 14). By using narrative mechanisms of suspense, novel and personal diary, it gave a rare inside account of familiar faces (the portrays of the children were printed in before and after), an emotional and human dimension to a brutal invasion (at the same time, war coverage in Time – as in the other newsmagazines – focused a lot on the ravages of the bombings) and a closure perspective on the children’s fate as three of them were spotted alive. Children as emotional call for humanitarian purpose While Rosenblatt’s reporting was quite unique for the time spent (five weeks), energy and money that were spent to cover it and the place devoted to the children, it is not exceptional in terms of moral engagement. More generally, other shorter narratives make effective use of a “morality play” (Hammock and Charny 1996, 115), which can be considered as a form of storytelling with a priming effect (the emergency of the situation symbolized in the child’s vulnerability), roles (usually the international community and relief organizations), dramatic developments (troubles for the aid to get through) and outcomes (protection, evacuation or care). In this sense, this morality play is close to Thomas Laqueur’s “humanitarian narrative”, which can be characterized by “its reliance on detail”, “the personal body”, “the lineaments of causality and of human agency” (1989, 177 ‑ 178). While filled with gruesome details on children’s survival or agony, as in Rosenblatt’s report, these stories imply that something can be done to “repair” the pain, therefore calling on a moral imperative. Saving children can therefore be seen as a noble cause. The case of Sead is a good example, as where other child stories during the Bosnia war (see Perlmutter 1998, 22 and Burman 1993 for a similar study on the Irma Hadzimuratovic story). This focus on the “rescued child” seems in fact to increase in the 1990s, along with personification of the victims. It is supported by the metonymic and connotative use of a picture and figure of a child – which works as a call for a whole civilian population to save – and can be compared to 10 the more recent case of Ali Abbas in Iraq. The visual narrative of his suffering until his complete recovery, was presented in printed media as a Christian metaphor of martyrdom and resilience: "This picture of Ali - being 'attentively' 10 This young Iraqi boy was wounded by a US missile. 156 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) taken care of, lying on clean white sheets with a surgical bonnet on his head, can be seen as a metonym of the boy's transitional trajectory, from the helplessly dying victim of war in a poor foreign country to his recovery towards a new life" (Konstantinidou 2008, 158; see also Wells 2007, 66-67). The same metonymy of the trajectory “towards a new life” was told in the aftermath of Sead’s rescue. This is due to the co-presence of humanitarian relief organizations and the media, as it is underlined in L’Express article. Sead’s evacuation is even more significant of the changing nature of humanitarian interventions in the 1990s, which consecrated the new type of peace-keeping operations, where the soldiers play, or act besides, relief workers, as in Somalia or with the Kurds. This was quite obvious in our analysis, as the exhibition of children in the newsmagazines was always associated with a humanitarian framing (Table 3). Table 3. Main categories of framing elements related to humanitarian crises covered by American and French newsmagazines, 1967-1994 (n=22218) Though this new type of Western intervention and its possible instrumentalization is questioned by L’Express, it also puts into perspective the dramatic and sensational spectacle such scenes may create. This is undeniable, as these narratives expose atrocities and shocking situations. The personification on one child’s story also favors emotional investment, as victimization in general participates to the “humanitarian narrative” in order to mobilize empathy. But as mentioned by Laqueur, the human agency in these narratives is embodied in specific roles: victims call for perpetrators and benefactors, which clearly appear in our results. So the “who has acted or should act, when and where, so as to make a difference” in the victim’s life “are 7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (1967-1994)” 157 key narrative elements” (Chouliaraki 2008, 384) which explicit the large media’s referencing on relief workers as key symbols and mediators which help to label the event as “a matter of life and death” and also bring their expertise on children’s needs. This is also due to the fact that the media – and especially newsmagazines who depend on news pictures – often arrive when it’s too late and are not eager to cover early signs of wars or famines, which are hard to picture and not as visually attractive as excess or evident mortality (Campbell 2012, 90 ‑ 91). This was the case in our data: stories reporting children’s suffering tended to increase at the core of humanitarian emergencies (which also led all magazines to publish fundraising appeals for relief organizations) and were correlated with the peak in the coverage. A majority of pictures of children portrayed them as stand-alone, as it was underlined in previous studies: “(…) children have to be portrayed as needing help, for example, not as independent actors” (Moeller 2002, 51). This, in turns, favors “(…) a universalizing discourse”, in which “‘the world’s children’ should be protected from the conflicts of adults (extending from parental conflict through to international conflict), and deserve the care and concern of any adult, regardless of their national or political allegiances” (Wells 2007, 66). However, all of these child pictures do not become war or famine icons. To do so, it would not only depend on their personification, as in Sead’s story, but also on their emplacement, their celebrity, their transposability or the debate they generated in the public and political spheres, among other criteria (Perlmutter 1998, 11‑ 19). More generally, these pictures remain “generic icons” of voiceless and nameless children which fill the imagery of suffering: “There is a void of agency and history with the victim arrayed passively before the lense so their suffering can be appropriated. As appropriations of suffering, photographs are affective rather than simply illustrative” (Campbell 2012, 84). As pure innocent victims, their dominant place in humanitarian narratives is only challenged by the death of foreign soldiers (9% of all the victims in our data, see Table 1) which replace local victims (as in Lebanon and Somalia for example), therefore questioning the well-known balance between “our” deaths versus “their” deaths. Showing children to mobilize against indifference? One last point to develop is related to the idea that Sead’s picture became a war icon, as it is argued in L’Express article, because his story fueled the international debate on the “we must do something” injunction. His blinding is compared in the article as a metaphor for Western powerlessness and/or indifference. This plays a huge role in the moral outcome of the framing on children, which will either emphasizes the need for such graphic pictures or, as we have already mentioned above, their correlate use with injunctions for solidarity or collective action to put an end to their misery. These moral imperatives are expressed at various levels. Firstly, by insisting on the uniquely disturbing or shocking aspect of photographs in graphic, aesthetic pictures stories, in front of a world filled by horrifying images and fears of compassion fatigue in the audiences. This was used for example by Time and Newsweek editors in the core of the Somalia famine: “Yet the pictures coming out of famine-stricken Somalia are uniquely shocking. Can anything be more 158 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) painful than the sight of a starving child in the arms of a mother who, herself, has become a walking skeleton? (NW, 09/28/92, 23) or “The harrowing faces of starvation, the inert shapes of death. (…) It is easy to argue that policymakers should not wait for gruesome television footage before they respond. But if images like these are what it takes to bring mercy to even one people in peril, so be it” (TI, 12/14/92). Secondly, by using relief worker testimonies, newsmagazines favor medical observations and precise descriptions which focus on the most acute, desperate cases. It emphasizes the feeling of impending death, which comes in echo of the vocabulary of horrors; in our case, the many uses of “agony”, “tragedy” (see "labelling" in Table 3; see also Moeller 1999, 120). However, if the words express quite often the experience of death, pictures address it too. This direct visibility of death opens to new interrogations on ethical limits and sensitivity levels. It was the case during the Kurdish exodus during the spring of 1991, in which many children died from the cold and harsh conditions of living in mountains. The four newsmagazines published dramatic pictures of collective burials of little bodies with vivid verbal emphasis of the shocking presence of 11 death among the youngest, under the same catchphrase “Burying the babies”. If all pictures showed small bodies covered by blankets, Time decided to publish a full-page frontal picture of a woman cleaning the naked dead body of her child, which prompted outraged reactions from the readers and forced the editors to publish an insert in the “Letters” section: “(…) One reader complained that we ‘overstepped the bounds of responsible journalism…. Don’t exploit their pain.’ But such images also touched hearts and helped mobilize a belated, lifesaving US intervention. ‘We cannot stop showing what’s happening in the world,’ says Time picture editor Michele Stephenson. But it is difficult to establish guidelines” (TI, 06/03/91, 6). If the editors try to justify themselves over what should be “responsible” journalism, they also indicate that there are hardly any useful standards when it comes to showing death, which “pushes journalists into debates over whether, where, and how they should publish images of death, debates that often result in narrowed set of imaging practices” (Zelizer 2005, 27). These practices are often related to exposing international crises that cause mass killings or dying, even more when they happen far away (Taylor 1998). But the ethical debate is heightened when it comes to exposing a picture of a dead child, because it disrupts Western ideals of childhood as a time of hope and carelessness, and the choice should be made taking into account public interest. This leads us to our third category, in which public interest is based for the editors on the belief that images can lead to social and political action. The same kind of justifications appeared after the publication of Sead’s picture in Newsweek: (…) Why did we select such a disturbing cover? We did not make the choice lightly, and took very seriously the prospect that it might offend some readers. But we also believe strongly that the purpose of photojournalism, like all the journalism we do, is to stimulate, provoke thought – and inform. We felt that the image of this boy (…) 11 “Men are burying a one-year old child, wrapped like a Russian doll” (“The camp of shame”, OBS, 04/18/91, 76); “Three-quarters were only tiny packages thrown in the mud. Babies” (“The oasis from hell”, EX, 05/03/91, 30); “Burying the babies” (NW, 04/22/91, 24); “In the morning, men dug three small holes…” (“Death every day”, TI, 04/22/91, 12). 7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (1967-1994)” 159 conveyed the inescapable horror in Bosnia that was coming home to Americans as they watched TV news and had started to push the Clinton administration toward stronger action. (…) And for Sead Bekric, the 12-year-old boy in the picture, the media exposure had a happy result: after seeing his picture on CNN, Tony and Claire Maglica, a wealthy Croatian-American couple, paid to have Bekric located and evacuated to California, where, after an unsuccessful operation to save his eyesight, doctors are working to rebuild his face and restore him to otherwise normal health. (05/24/93) The outcome of Sead’s Bekric was a happy one and his example reinforces the idea that media can act at an international level; as it is mentioned in the extract, this was largely influenced in the 1990s by the so-called CNN effect, which is now more balanced in terms of real effects on politics (see Jakobsen 2000). But this belief was a common perception all through our data and led very often to the juxtaposition of children as innocents from the “moral stain” of adults’ madness, not “contaminated” by political or ideological adherence to the causes of the crisis, with a more reflexive discourse in the articles: "Children are used in such instances as nonpartisan subjects who invoke an audience's sympathy on a plane that appears apolitical or suprapolitical - "purely" moral. This objective alliance of images may then help reformulate or reframe a policy issue, although most recognize that moving policy elites to action is not typically accomplished solely by shoving children into the spotlight." (Moeller, 2002 : 48). This “objective alliance” of images and policy issues is especially true in the cohabiting mise-enscène, on the same page, of pictures of wounded or starving children, with more elaborated stories on the root of the crises. As an example, Le Nouvel Observateur ran a special issue on the Ethiopian famine, which starts with a half-page picture of a two naked children together with an introduction which 12 insists on the political aspects of famine (11/23/84, 38). But the moral imperatives embedded in this type of framing have to be reconsidered as limited in terms of impact; they do not always create outrage in public opinion. Or this outrage may be directed towards other targets. The now famous story of the picture of the African girl with the vulture taken in Sudan in 1993, has been largely analyzed because of the critics it raised against the photographer Kevin Carter (Perlmutter 1998, 23‑28; Pollock 2012, 77). The picture was first published in Time (04/05/93) on a simple “Camera angle” section with this only line: “In extremis: A million southern Sudanese face starvation. Here, a child falters en route to a feeding center while a vulture hovers”. Because it was more illustrative than context-based, because it provided no development on the “who, why and how”, and because the simple picture was a fragmented vision suspended in time, its narrative force logically led to wonder what happened “out of the frame”. To bring it back to the metonymy of the child’s symbol, the impending threat suggested by the vulture in the background had readers wonder what happened to the girl and if she survived. Time gave an answer three weeks later, providing more information this time after the flow of worried letters sent to the editor: “Some people found the photo of questionable taste, while others thought it told a whole, poignant story concisely; one letter even included a check. More than 60 readers have 12 The report is made of several sections, including medical concerns for children, the failure of the global relief system, the political responsibility of the Ethiopian regime, and the moral concern for European countries to put an end to global hunger. 160 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) asked what happened to the child or what they could do to help. (…) Carter is not sure what happened to the little girl, who was moving toward the nearby relief center when he saw her, but he is hopeful that she received food and treatment” (TI, 04/26/93, 13). Like in this example, editors quite often believe that pictures can change action. Critics against this belief in a “power” of photography have been developed by Barbie Zelizer who explained how it was based on assumptions created by four specific groups: the journalists, which appreciate the indexical value of the picture; the publishers, who think it’s a good way to compel attention; the politicians, who see pictures as a tool to shape public opinion; and audiences themselves who see images as a way to understand the world as it is (2005, 29‑ 30). Though the effects of such stories might still be debated, we argue that they remain nonetheless important condensing symbols of perceptions of the world. The repetitive use of children figures by newsmagazines has in fact proven to be an effective standard as it is persistent and socially shared over times and events. Picturing children and selecting their sufferings among other human beings is certainly a frame of a perceived interpretation of atrocities, but it is a frame that opens to further reflections on dilemmas facing the international community and civil society. More than stereotypes or clichés, these children’s representations are in fact meaningful aggregates of depicted events, actions and actors, and their presence has a historical sense for Western audiences as they call to a historical and symbolic memory, at least back to the Second World War. Nevertheless to fully apprehend their historical meaning through times, it would be necessary to explore former use of news photography picturing th th atrocities in the late 19 century and the first half of the 20 century. References Ariès, Philippe. 1962. Centuries of childhood: A social history of family life. New York: Vintage. Banks, Anna. 1994. "Images trapped in two discourses: photojournalism codes and the international news flow". Journal of Communication Inquiry 18(1): 118‑ 134. Barnett, Michael. 2011. Empire of Humanity: A History of Humanitarianism. Ithaca, NY: Cornell University Press. Brauman, Rony. 1993. "When suffering makes a good story". In Life, Death and Aid. The Médecins sans frontières Report on World Crisis Intervention, edited by François Jean, 149‑158. New York and London: Routledge. Burman, Erica. 1993. "Innocents abroad: Western fantasies of childhood and the iconography of emergencies". Disasters 18(3): 238‑253. Campbell, David. 2012. "The iconography of famine". In Picturing atrocity, 79‑ 91. London: Reaktion Books. Chouliaraki, Lilie. 2008. "The mediation of suffering and the vision of a cosmopolitan public". Television & New Media 9(5): 371‑391. 7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (1967-1994)” 161 Cohen, Stanley. 2001. States of Denial: Knowing about Atrocities and Suffering. Wiley. Entman, Robert. 1993. "Framing: toward clarification of a fractured paradigm". Journal of Communication 43(4): 51‑58. Gorin, Valérie. 2013. "An Iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines (1967-95)". In Selling War. The Role of the Mass Media in Hostile Conflicts from World War I to the « War on Terror », edited by Josef Seethaler, Matthias Karmasin, Gabriele Melischek, and Romy Wöhlert. Bristol, Chicago: Intellect. Hammock, John, and Joel Charny. 1996. "Emergency response as morality play: the media, the relief agencies, and the need for capacity building". In From massacres to genocide: The media, public policy, and humanitarian crises, 115‑ 135. Washington, DC: Brookings Institution and Cambridge. Jakobsen, Peter Viggo. 2000. "Focus on the CNN effect misses the point: the real media impact on conflict management is invisible and indirect". Journal of Peace Research 37(2): 131‑143. Konstantinidou, Christina. 2008. "The spectacle of suffering and death: the photographic representation of war in Greek newspapers". Visual Communication 7(2): 143‑169. Laqueur, Thomas. 1989. "Bodies, details, and the humanitarian narrative". In The New Cultural History, edited by Lynn Hunt, 176‑204. Berkeley: University of California Press. Mesnard, Philippe. 2002. La victime écran. La représentation humanitaire en question. Paris: Textuel. Moeller, Susan. 1999. Compassion fatigue. How the media sell disease, famine, war and death. New York and London: Routledge. ———. 2002. "A hierarchy of innocence: the media’s use of children in the telling of international news". The International Journal of Press/Politics 7(1): 36‑ 56. Perlmutter, David. 1998. Photojournalism and Foreign Policy. Icons of Outrage in International Crises. Westport: Praeger Publishers. Pollock, Griselda. 2012. "Photographing atrocity: Becoming iconic?" In Picturing atrocity, 64‑78. London: Reaktion Books. Robinson, Piers. 2001. "Theorizing the influence of media on world politics: models of media influence on foreign policy". European Journal of Communication 16(4): 523‑544. Seib, Philip M. 1997. Headline diplomacy: how news coverage affects foreign policy. Westport: Praeger Publishers. Slim, Hugo. 2008. Killing Civilians: Method, Madness and Morality in War. New York: Columbia University Press. Sontag, Susan. 2003. Regarding the pain of others. New York: Farrar, Strauss and Giroux. 162 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Suski, Laura. 2009. "Children, suffering, and the humanitarian appeal". In Humanitarianism and suffering. The mobilization of empathy, edited by Richard Wilson and Brown, 202‑222. Cambridge: Cambridge University Press. Taylor, John. 1998. Body horror. Photojournalism, catastrophe and war. New York: New York University Press. Tester, Keith. 2001. Compassion, morality, and the media. Maidenhead, Berkshire: Open University Press. Waters, Ken. 2004. "Influencing the message: the role of Catholic missionaries in media coverage of the Nigerian civil war". The Catholic Historical Review 90(4): 697‑718. Wells, Karen. 2007. "Narratives of liberation and narratives of innocent suffering: the rhetorical uses of images of Iraqi children in the British press". Visual Communication 6(1): 55‑71. Zelizer, Barbie. 2004. "When war is reduced to a photograph". In Reporting war. Journalism in wartime, edited by Barbie Zelizer and Stuart Allan, 115 ‑ 135. London and NY: Routledge. ———. 2005. "Death in wartime: photographs and the “Other War” in Afghanistan". The International Journal of Press/Politics 10(3): 26‑55. 8. Remarques conclusives 163 8. Remarques conclusives « Et la photographie n'est pas censée remédier à notre ignorance quant à l'histoire et aux causes de la souffrance qu'elle choisit de cadrer. Ces images ne peuvent guère faire plus que nous inviter à prêter attention, à réfléchir, à apprendre, à examiner les rationalisations par lesquelles les pouvoirs établis justifient la souffrance massive. A qui doit-on ce que l'image montre? Qui est responsable? Est-ce excusable? Etait-ce inévitable? Y a-t-il un état des choses que nous avons accepté jusqu'à présent et qu'il faille désormais contester? » (Sontag 2003, 125). Les analyses effectuées au sein des articles ci-devant présentés soulignent dans quelle mesure les représentations médiatiques de la souffrance en temps de guerre s’inscrivent en réalité sur une longue durée. Si les contextes politiques et sociaux des périodes couvertes dans ce travail de thèse ont évolué entre les années 1960 et 1990, ils se traduisent au sein du discours médiatique par des choix visuels et linguistiques qui marquent une certaine permanence dans la mise en sens de la violence de guerre et des souffrances humaines qui en résultent bien. Ces choix permettent de questionner à quel point la visibilité et la description de ces souffrances au sein des magazines se situent au croisement de plusieurs rapports, que ce soit du point de vue de la culture visuelle médiatique, du photojournalisme, de la mémoire collective et de l’histoire des ème conflits dans le long 20 siècle, pour reprendre le croisement disciplinaire évoqué dans l’introduction de cette thèse. J’ai voulu démontrer en quoi l’image de presse avait une place particulière et privilégiée au sein de ces mises en scène et en sens, non seulement pour sa dimension émotionnelle première mais aussi pour son lien particulier avec la mémoire. En cela, il ne s’agissait pas de répondre à une question qui a motivé un grand nombre de recherches en communication de ces deux dernières décennies, à savoir si l’exposition d’images violentes – et particulièrement par la télévision – pouvait susciter une réaction dans les agendas politiques. En choisissant de revenir à de l’image fixe avec la photographie, j’ai voulu travailler spécifiquement sur l’icône et son inscription mémorielle et démontrer comment celle-ci entretient des liens historiques plus profonds avec le framing ; plus particulièrement, si je reprends les catégories de cadrages développées par Scheufele dans sa classification du concept, dans le frame-building, pour comprendre quels facteurs influencent la manière dont les journalistes cadrent certains problèmes, et la manière dont ces processus s’agencent au sein du discours d’information (1999, 108). J’espère avoir démontré en quoi l’image de presse tient un rôle plus important dans ces mécanismes de construction de sens, bien qu’elle ait été un peu délaissée par les chercheurs ayant produit des définitions classiques sur le framing, ceux-ci se concentrant alors sur le texte et reléguant l’image à une fonction périphérique (Gitlin 1980 ; Entman 1993 ; Reese, Gandy, et Grant 2001). Je pense au contraire que sa place est centrale dans les schèmes d’interprétation développés dans le reportage de guerre, dont le plus important reste le sort des civils, premières victimes de la violence de la guerre moderne. Elle entretient ce lien émotionnel évident avec la souffrance humaine parce qu’elle est elle-même le résultat d’un choix qui a d’abord été celui du photographe présent sur les lieux et exposé à cette réalité de la guerre. Elle l’est ensuite dans les choix opérés par les directeurs artistiques et 164 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) rédacteurs pour publication, derrière lesquels se cachent les perceptions et sensibilités de ceux qui tentent de donner du sens à une violence plus ou moins proche de la sphère occidentale. L’augmentation, dans les dernières années de mon corpus, de la place réservée aux reportages photos (et non plus simplement à l’unique photographie illustrative), est certainement un indice de la place accordée au visible, plutôt qu’au dicible, pour symboliser et raconter l’horreur. Compte-tenu de l’importance du corpus, il resterait toutefois de nombreuses exploitations possibles à en faire. En choisissant de présenter une thèse sous forme d’articles, cela m’a nécessairement amenée à choisir des focales en tenant compte de la spécificité thématique des revues sélectionnées, que ce soit sur le corpus, l’angle d’analyse ou le cadre théorique. Plusieurs projets d’articles restent à élaborer à ce jour pour valoriser la richesse des données et des analyses. J’ai peu abordé notamment l’articulation des cadrages entre eux et leurs liens de corrélation, qui serait exploitable si je voulais travailler sur les liens de causalité. Deuxièmement, j’ai évoqué à plusieurs reprises dans les articles l’utilisation de récits et de témoignages personnels, que ce soit de la part de survivants ou d’acteurs humanitaires, mais aussi des journalistes eux-mêmes. Ces derniers mériteraient une analyse affinée sur les enjeux de leur utilisation (comment leur validité est perçue, quand ils apparaissent et de quoi ils attestent au sein du discours journalistique) et de leur inscription sémiotique (notamment parce qu’ils sont marqueurs d’une subjectivité) ; cela nécessiterait cette fois une analyse textuelle plus précise sur les parties du corpus où ils se manifestent. Enfin, un troisième aspect que je souhaite encore exploiter est la comparaison entre la typologie des crises évoquées, que ce soit entre les famines (Biafra, Cambodge, Ethiopie, Somalie) ou entre les violences dites de type ethnique ou génocidaire (Biafra, Cambodge, Liban, Rwanda). Au-delà de ces exploitations ultérieures envisageables, je présente ici la synthèse des résultats développés dans mes articles, puis je termine en évoquant les perspectives plus globales, à la fois empiriques et théoriques, auxquelles ce travail m’a menée. 8.1. Synthèse des analyses Je reviens particulièrement ici sur la réflexion développée dans le dernier article sur l’utilisation des figures d’enfants, qui me permet d’évoquer les résultats transversaux de ce parcours empirique. En travaillant sur la rhétorique victimaire et la hiérarchie qu’elle dessine au sein de l’ensemble des civils, j’ai été amenée à m’interroger sur la permanence d’un « récit de morale » face aux souffrances (Hammock et Charny 1996). Si les politologues y voient une forme de script établi au sein des discours médiatiques pour favoriser des rebondissements et des rôles emblématiques du déroulement de l’intervention humanitaire, je conçois ce récit de morale plutôt comme une matrice symbolique utilisée par les magazines pour reconfigurer la perception de sociétés en guerre en établissant des liens symboliques (la mémoire des conflits par la métaphore des mots ou l’utilisation d’icônes), des liens de causalité (la contextualisation de cette souffrance par une alternance de cadrages sur les enjeux géopolitiques, 8. Remarques conclusives 165 économiques, humanitaires) et des liens d’agentialité (la triangulation entre victime, bienfaiteur et coupable). Cela s’est marqué au sein des mises en scène des magazines par diverses catégories récurrentes repérées à travers l’analyse de contenu : - d’une part des catégories contextuelles, qui exposent à la fois les espaces géographiques concernés et leurs spécificités, les causes et les protagonistes (politiques, humanitaires) en jeu, mais aussi les ressources journalistiques sur le terrain qui sont les vecteurs de cette visibilité médiatique ; - d’autre part des catégories de sens, liées à la convocation de la mémoire symbolique (plus particulièrement l’usage de termes à la connotation religieuse ou des parallèles historiques) mais aussi aux formes de violence exposées (indiquant une incidence négative qui justifie une réparation) et la réponse humanitaire qu’elles sont amenées à susciter ; - enfin, des catégories morales, qui s’exposent dans la manière de hiérarchiser les victimes et de désigner les coupables, souvent accompagnée de propos accusatoires ou injonctifs visant à amener une intervention humanitaire ou militaire. Cette dernière « injonction à l’intervention » (Seib 1997) serait apparue lors des crises humanitaires des années 1990, selon la majorité des études en communication qui se sont concentrées sur cette période ; ces études questionnent alors les relations de pouvoir entre médias, humanitaires et militaires à une période où la médiatisation télévisée tend à faire croire que le direct et l’utilisation d’images violentes favoriseraient l’intervention politique des gouvernements occidentaux pour mettre un terme aux abus commis sur les civils notamment, comme cela a régulièrement été discuté pour le cas de la Somalie en 1992 (Mermin 1997 ; Carruthers 2000). Or, les analyses effectuées au sein de mes articles montrent que cette injonction à l’intervention au sein du discours médiatique trouve ses racines dans la guerre civile du Biafra, pendant laquelle se construit une collaboration inédite entre acteurs humanitaires, religieux et journalistes. 8.1.1. Le Biafra comme « crise matricielle » Le Biafra impose un modèle classique de médiatisation qui assoit la rhétorique victimaire, dans lequel l’enfant joue un rôle important, mais qui ne peut être limité à sa simple dimension émotionnelle. Cette figure de l’innocence, tout comme l’ensemble des victimes et des scènes exposées (la mort, le quotidien, la survie) sont d’abord et avant tout des réalités chiffrées, visibles et immédiatement lisibles à la photographie de presse qui ne saurait travailler en tant que telle sur les causes des crises, comme le rappelle la citation de Sontag en introduction de cette conclusion. Elles servent comme des « accroches » qui permettent de questionner au-delà dans le texte les dilemmes qui sont en jeu face à la violence. L’exhibition des enfants permet d’interroger sa place au sein des sociétés occidentales mais s’inscrit aussi dans une politisation du discours autour des atrocités dont ils sont victimes. A l’opposé, la figure du bourreau au sein de la rhétorique accusatoire questionne la permanence de certaines violences et la notion de crime de guerre, dont la perception a évolué depuis le premier procès de Nüremberg où furent jugés les criminels nazis en 1947. Le 166 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) débat sur la judiciarisation et la nécessité de condamner les violences de guerre se reflètent dans le discours médiatique et sont en augmentation dans les dernières guerres traitées dans mon corpus. Toutefois, au contraire du postulat de l’historien Philippe Mesnard (2002), le Biafra ne fait pratiquement pas référence en tant que parallèle établi et référencé dans les discours des magazines, bien qu’il le soit au contraire pour nombre d’historiens de l’humanitaire ayant travaillé sur les représentations des organisations de secours (Rufin 1994 ; Ryfman 2008a ; David 2010 ; Barnett 2011). Comme mes analyses le démontrent, ce sont plutôt le Vietnam, l’Holocauste et la Seconde Guerre mondiale qui prédominent comme référents pour deux raisons différentes (voir Figure 4, Annexe 2). Dans les guerres urbaines, la Deuxième Guerre prédomine via les parallèles opérés dans les images et les descriptions entre sièges et bombardements des villes avec ceux des villes allemandes entre 1943 et 1945 ou le siège de Stalingrad entre 1942 et 1943 ; dans les famines ou les processus de nettoyage ethnique, elle est surtout un socle référentiel important dans les parallèles historiques établis avec le souvenir du génocide juif. Le lexique de l’horreur associé au génocide, tel que Holocauste ou Auschwitz, est notamment utilisé comme métaphore, y compris dans des contextes pourtant fort éloignés, à l’exemple de la tragédie des boat people. Le Vietnam, parce qu’il reste synonyme d’un échec militaire et d’un enlisement qui a rendu cette guerre impopulaire au sein des médias et de l’opinion publique internationale (Hallin 1994). Ces deux guerres restent des parallèles historiques régulièrement établis par les magazines ; mais elles fonctionnent au sein de la mémoire collective en concurrence avec d’autres guerres. Ainsi, le Cambodge des années 1975-1979 s’inscrit dans la lignée des violences génocidaires et l’exode qui en résulte, médiatisé via le fameux emblème des boat people, sera un univers de référence pour le sort des Kurdes en 1991 ou lors du génocide rwandais et l’exode massif qui suivra dans l’été 1994. De même, la famine éthiopienne, quelque fois comparée dans les magazines au Biafra, deviendra elle-même un référent lors de la famine somalienne. Enfin, les combats urbains et les bombardements caractéristiques de l’invasion israélienne au Liban entre 1982 et 1984 sont régulièrement évoqués en comparaison des sièges de Sarajevo et Srebrenica lors de la guerre d’ex-Yougoslavie. Les crises des années 1990 sont apparemment devenues elles-mêmes des référents dès lors qu’il s’agit de discuter des interventions militaro-humanitaires qu’elles ont provoquées, comme le souligne d’ailleurs Susan Carruthers (2004, 155). Cette mémoire autoréférentielle de la violence de guerre ne peut que souligner à quel point elle s’appuie sur des standards désormais établis dans les pratiques rédactionnelles, ce qui confirme les thèses de Barbie Zelizer sur la photographie de presse (1997 ; 2004 ; 2005). Bien que Zelizer ne se soit que partiellement intéressée au concept de cadrage, je pense qu’il y a là un lien absolument fondamental et certain entre standards journalistiques, mémoire et framing, surtout dans l’utilisation des photographies, qui mériterait plus ample développement dans d’autres études comparatives. La limitation d’une partie des études sur le framing à des études de cas ponctuelles ne permet pas en effet d’évaluer comment les cadrages relevés sont récupérés ou créés par les journalistes en fonction des contextes qu’ils décrivent. Par-delà le 8. Remarques conclusives 167 questionnement sur la mise en sens mémorielle, étudier les framings sur une plus longue durée permettrait également d’évaluer leur caractère transculturel (Banks 1994). Je l’ai en partie remarqué en étudiant deux sphères culturelles distinctes mais proches, mais il serait intéressant de l’étendre à la sphère occidentale. Pourrait-on toujours trouver des similitudes dans les mises en scène opérées autour des guerres actuelles, compte-tenu des contraintes actuelles sur le marché de la presse magazine et du photojournalisme ? A titre anecdotique toutefois, soulignons le débat récent produit sur le site de la revue Columbia Journalism Review par la pigiste italienne Francesca Borri sur la difficulté de couvrir le conflit syrien. Au contraire de ses collègues qui prônèrent le « journalisme d’attachement » dans les années 1990, cette journaliste évoque le besoin de complexification, en soulignant notamment les tensions entre choix rédactionnels, contraintes économiques, complexité de l’analyse et attentes du lectorat : « The crisis today is of the media, not of the readership. Readers are still there, and contrary to what many editors believe, they are bright readers who ask for simplicity without simplification. They want to understand, not simply 1 to know. » Les belles images demeurent donc – l’esthétisation reste d’ailleurs une constante dans la photographie de guerre, si l’on regarde les images produites en Syrie ou celles qui gagnent chaque année le World Press Photo – mais la tension persiste entre capacité de dire, de montrer et d’expliquer. 8.1.2. Un discours critique des changements politiques et sociaux Un autre constat important au sein des analyses effectuées est le suivi, dans le discours médiatique, des mutations importantes du champ géopolitique et ème humanitaire des dernières décennies du 20 siècle, ce qui renforce l’idée ici que les magazines ont reflété le monde plus qu’ils n’ont cherché à l’influencer. Pour le mettre en sens, les journalistes ont eu recours à des cadrages qui oscillent entre une perception politique, juridique, voire même éthique de l’action humanitaire, en parallèle des constats établis par les experts de l’aide, du développement et des famines (Brunel 2001). Des articles qui interrogent la 33 34 « moralité internationale » , les « limites de l’aide humanitaire » et les dangers 35 36 « des bonnes intentions » , ou « l’indifférence du monde » , illustrent en réalité les dilemmes et mutations géopolitiques, stratégiques et économiques de l’aide ème internationale de la fin du 20 siècle. L'ingérence humanitaire qui y est discutée, et qui s'applique aux opérations au Kurdistan, en Yougoslavie, en Somalie et au Rwanda, marque une nouvelle configuration de l’espace humanitaire ; celle-ci se traduit dans les faits – et dans le discours médiatique – par la limite de la protection des civils (et des humanitaires qui sont aussi 1 “Woman’s work : the twisted reality of an Italian freelancer in Syria”, par Francesca Borri, publié le 1er juillet 2013 sur le site de la CJR. Voir : <http://www.cjr.org/feature/womans_work.php?page=all>. Suite aux nombreuses réactions, Francesca Borri a répondu via le Guardian : <http://www.theguardian.com/commentisfree/2013/jul/26/syria-freelance-journalist-response> (dernière consultation le 13 août 2013). 33 « Comment intervenir » (Le Nouvel Observateur, 13.08.92, p. 30). 34 « Yougoslavie : les limites de l’aide humanitaire » (L’Express, 28.08.92, p. 06), 35 « The perils of good intentions : humanitarian aid is proving no substitute for action in post-cold war conflicts » (Time, 07.02.94, p. 20). 36 « When the world shrugs : why black-on-black violence is so often blacked out » (Newsweek, 25.04.94, p. 18). 168 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) menacés), et par la remise en cause des principes fondamentaux de l’humanitaire (neutralité et impartialité) avec les interventions militarohumanitaires. Hugo Slim résume cette période tendue sous la forme de deux problèmes : d’une part la passivité ressentie par les acteurs sur le terrain qui se sentent comme des « bystanders » - reflétée dans les injonctions à l’intervention des journalistes, des témoins ou des victimes ; d’autre part le fait que malgré elle, l’action humanitaire aide aussi les bourreaux et contribue à la violence, comme ce fut le cas lors du Biafra, de l’Ethiopie et du Rwanda (2001 : 328-330), reflétée elle aussi dans les accusations d’instrumentalisation de l’humanitaire au sein des articles. Au sein du discours journalistique, ces tensions ressortent dans les liens opérés entre aide, politique et morale : l’action humanitaire n’est plus vue comme un simple geste secourable aux blessés de guerre mais une géopolitique économique de l’humanitaire et des droits de l’homme. Le vocabulaire notamment se spécialise, les journalistes parlent de « corridors humanitaires » ou de « droit d’ingérence » pour qualifier les nouvelles formes d’interventions humanitaires dans les années 1990. Cela se constate particulièrement dans le cas des famines, dont la dimension politique, organisée, est soulignée depuis l’Ethiopie, en parallèle des critiques présentes dans les magazines sur l’échec du système de l’aide internationale. On peut y voir ici un éventuel rapprochement entre journalistes et acteurs humanitaires depuis le Biafra, du moins dans la sphère française ; René Backmann, qui cosigne l’un des premiers ouvrages sur les relations médias-humanitaires avec Rony Brauman, ne s’en cache pas (1996). Il couvre d’ailleurs une partie des guerres étudiées dans ce travail de thèse. De même, la question se pose devant la circulation des parallèles avec « Auschwitz » qui sont opérés par les quatre magazines pendant l’exode des boat people au Cambodge, alors que les études historiques ont depuis prouvé que le parallèle avait été imposé par les intellectuels français proches du mouvement MSF pour dénoncer les dérives génocidaires du gouvernement communiste des Khmers rouges (Ryfman 2008b). Dans tous ces cas, une étude des sources journalistiques serait indispensable pour exploiter cette hypothèse. Cette analyse me permet donc de relativiser l’affirmation de certains chercheurs qui ont démontré que les médias oscillaient entre deux cadrages lors des crises humanitaires : l’un sur l’empathie, l’autre sur la distance (voir notamment Robinson 2001). Cette vision, tout comme celle de Boltanski et des trois topiques qu’il théorise (1993), est trop réduite par rapport à la multitude de cadrages qui sont proposés au sein du discours médiatique, dont certains s’éloignent clairement de la rhétorique victimaire pour débattre politiquement du contexte et des conséquences des crises traitées, comme l’ont démontré mes analyses. Si les études citées en introduction insistent sur l’injonction morale de tels récits, je souligne ici qu’il faut repenser ces injonctions sous une forme politique. En somme, elles ne sont pas uniquement des appels à la compassion, mais des critiques politiques sur la stratégie de non-intervention de la communauté internationale, voire sur l’échec des options humanitaires mises en place. Ce qu’il faut retenir de l’étude empirique présentée dans ce travail de thèse, c’est que bien plus que dans une politique de la pitié, nous sommes dans une représentation du monde multimodale par les magazines. Pour qu’il y ait pitié et mobilisation humanitaire, il faut aussi exposer les intérêts géopolitiques 8. Remarques conclusives 169 en jeu pour les grandes puissances ; les magazines ne sauraient faire l’économie de cette présentation du contexte et des options possibles, d’autant plus s’ils cherchent l’adhésion du public à une position interventionniste. Cela réfute aussi la critique avancée par Susan Moeller sur les formules réductrices développées par les médias américains sur les guerres et famines de la fin du ème 20 siècle (1999) qui découleraient selon elle d’un scénario identique entre un Bon Samaritain, une Victime parfaite et le Mal absolu et qui rejoint ici l’idée d’un « récit de la morale » évoqué plus haut. Si cette triangulation existe, elle ne peut être réduite à cette simple dimension. Ceci me permet de revenir sur les tensions évoquées dans l’introduction de ce travail de thèse entre praticiens de l’humanitaire et journalistes, notamment autour de la formation et de la circulation des « clichés » stéréotypés de l’humanitaire, qui seraient, selon le communicateur Bruno David, « historiquement exemplaires et révélateurs de la manière dont journalisme et humanitaire se sont liés pour donner naissance à une imagerie compassionnelle » (2010, 3). Cette collaboration historique se confirme au vu des analyses effectuées, mais il me semble qu’il faille aller au-delà du débat critique entre humanitaires et médias. Je n’ai pas eu la prétention au sein de ce travail de thèse de proposer des recommandations ou des solutions pour établir « une meilleure correspondance entre les vrais besoins humanitaires et les intérêts médiatiques » (Eberwein et Grossrieder 2005, 150). Cette question aurait nécessité d’autres moyens, d’autres analyses et un autre corpus. Mais il me semble que ce débat est biaisé car il laisse de côté la nature propre de l’image, de l’icône et de son fonctionnement. Plutôt que de condamner les stéréotypes sans réfléchir à leurs nuances ni à leur éventuelle utilité, il faut, à mon sens, les interroger autrement, et j’adopte ici le point de vue du photographe Jean-Marc Bodson : « Les racines de notre perception, il faut aller les chercher dans les strates de l'imaginaire collectif, non par une archéologie des choses ou des faits, mais par une archéologie de leurs représentations, non dans la chronologie du récit, mais dans la généalogie des familles d'images » (2005, 11). Interroger les stéréotypes autrement consiste donc à les replacer dans cette généalogie d’images dont ils sont issus pour comprendre comment ils ont signifié, ou signifient toujours, des univers de référence. Si l’on peut reprocher à l’imagerie humanitaire de véhiculer des visions parfois paternalistes ou colonialistes, elles n’en sont pas moins, justement, des révélateurs symboliques de rapports de pouvoir entre nations et les rapports entre ceux qui observent et ceux qui sont observés. Ces visions permettent aussi de travailler les perceptions du monde qui s’y cachent, et il faut rappeler ici les contributions des historiens de l’image de guerre, qui soulignent à quel point l’impossibilité de représenter la guerre a mené à son esthétisation (Puiseux 1997). En tant qu’historienne, c’est de considérer les photographies comme des « reflets circonstanciels » d’une « réalité prismatique » (Gervereau 2002, 252‑253) qui m’a justement intéressée, car l’image permet de condenser symboliquement un nombre de significations et d’expériences face à un événement et une époque donnés. Au final, j’espère avoir prouvé qu’il est nécessaire d’appréhender l’image de presse dans une vision plus large qui est celle de la culture visuelle et de sa mémoire. Je reprends ici les termes du photographe David Campbell, qui a 170 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) longuement travaillé sur l’iconographie de la famine, car il me semble que ses propos se prêtent parfaitement à ce que j’ai essayé de démontrer par ce travail : [We need to move] towards an appreciation of the need for visual strategies that, by being reflexive and penetrating, understand what the stereotypes are and how they can be contested. (…) While their persistence and problems need to be analyzed, this means we need to be less concerned about the presence of famine icons and more concerned about the absence of alternative, critical visualizations that can assist in capturing the political context of crises, thereby potentially shifting the scopic regime from the colonial to the postcolonial. (Campbell 2012, 89) Ce qu’il constate pour la photographie des famines peut parfaitement s’étendre à la photographie de guerre en général. La répétition, la fréquence et le caractère inchangé des modèles de visualisation de la guerre et de la souffrance, notamment via des mécanismes de cadrage visuels mais aussi par des usages métonymiques et synecdotiques de figures ou scènes spécifiques des crises représentées indiquent qu’il n’existe pas de modèles alternatifs ; du moins, si ces modèles alternatifs existent, les éditeurs, directeurs artistiques, journalistes et photographes ne les considèrent probablement pas comme faisant suffisamment sens pour illustrer des réalités autrement plus complexes. Il ne s’agirait donc pas simplement de remplacer une image « cliché » par une autre qui serait plus réaliste ; il n’existe pas de réalisme dans la photographie, mais uniquement des perceptions qui en disent beaucoup plus sur les réalités qu’elles dépeignent et sur les sociétés qui les ont créées. Faire savoir ou « éduquer » autrement par la photographie reviendrait à repenser la culture sociale et politique inscrite dans le cliché, ce miroir auquel l’Occident aime à se contempler. Ceci ramène aux considérations de Susan Sontag citées en introduction entre un « Ils » et un « Nous » duquel il semble difficile de s’éloigner. Quand Le Nouvel Observateur se demande comment « prendre le temps et les moyens de sauver non seulement la Somalie mais le reste du 37 continent africain » , ce sous-titre vient en écho de la couverture du Time sur 38 l’« agonie » de l’Afrique représentée par un petit enfant abandonné en pleurs. De telles représentations peuvent aussi interroger sur la volonté des magazines de renvoyer ainsi à l'Occident le miroir de ses clichés sur l'Afrique. Cela questionne du moins les politiques occidentales, en même temps que cela maintient le stéréotype. 8.2. Perspectives futures Ce questionnement sur les perceptions du monde, des contextes et des guerres qui se décodent dans l’icône est régulièrement apparu au sein du corpus ; il portait dans le discours des journalistes sur les atrocités qui se déroulaient dans des régions plus ou moins lointaines de l’Europe. Leur exposition des souffrances était une manière d’interroger la persistance de pratiques jugées comme barbares ou primitives au regard d’une Europe pacifiée depuis soixante ans, véhiculant donc par-delà la croyance d’une évolution des mœurs et des civilisations dans le berceau occidental, face à ce que le philosophe Frédéric Gros nomme les « états de violence » : « Barbarisation. Côté éthique, les 37 38 « Le sauvetage ou la honte », 10.12.92, p. 69. 7 septembre 1992. 8. Remarques conclusives 171 nouvelles violences seraient résolument sauvages: elles voueraient ceux qui s'y livrent au chaos nu d'instincts primitifs qu'on croyait révolus, au moins chez les peuples civilisés. » (2006, 219). On retrouve le même type de questionnement sur un discours idéologique entre barbarie et civilisation réactivé depuis le 11 Septembre, dans les études en communication qui portent sur la guerre au terrorisme, notamment en Iraq et en Afghanistan. D’une part, ces études ont permis de développer l’étude du framing (Kellner 2004 ; Christie 2006 ; Melkote 2009 ; Reese et Lewis 2009), et des analyses comparatives entre médias de différents pays (Dimitrova et Strömbäck 2005 ; Dimitrova et al. 2005 ; Ting Lee, Maslog, et Shik Kim 2006 ; Kolmer et Semetko 2009). D’autre part, elles ont permis d’approfondir les critères qui guident le choix des photos au sein des rédactions et leur effet sur le priming (Griffin 2004 ; Fahmy 2005 ; Fahmy et Kim 2008). Enfin, elles questionnent les nouvelles stratégies visuelles et discursives à l’œuvre dans la représentation des victimes et des coupables, à une époque où la censure de guerre américaine a mené à une certaine déshumanisation des combats et des pertes (Ramel 2004 ; Kuttab 2007 ; Popp et Mendelson 2010). Outre les développements théoriques qu’elles ont amenés, ces études viennent souligner des points ou intérêts renouvelés avec ce que j’ai essayé de démontrer, et permettraient des comparaisons intéressantes avec la période antérieure que j’ai analysée, pour évaluer la permanence ou les éventuels changements dans la récupération des cadrages, ainsi que des pratiques journalistiques et rédactionnelles face au débat toujours renouvelé de la violence des images de guerre. Outre ces parallèles évidents sur des guerres plus récentes, qui viennent nourrir a posteriori ce travail de thèse, plusieurs perspectives s’ouvrent quant aux développements ultérieurs possibles, en lien avec le cadre théorique et empirique de cette thèse. 8.2.1. Questionner une photographie de type « humanitaire » Une première perspective concerne la photographie elle-même, et plus particulièrement sa dimension humanitaire. J’avais déjà développé cette question au sein d’un article en interrogeant la longue histoire de la relation entre photographie et action humanitaire (Gorin 2009), puis plus récemment sur le travail des photoreporters lors du tremblement de terre en Haïti (Gorin 2012). Au vu des débats actuels dont elle fait l’objet dans le monde du photojournalisme et de la communication des organisations humanitaires, la question porte surtout sur la possibilité de montrer autrement ou différemment les réalités dans lesquelles l’image s’inscrit. On en revient ici à l’argument évoqué plus haut, à savoir s’il existe une alternative aux standards photographiques répétés dans le temps, ce qui équivaudrait à créer d’autres cadrages et de perturber, en quelque sorte, le lien intericonique qui relie ces images dans le temps et l’espace. Serait-il possible de construire une autre « mythographie » de l’humanitaire par l’image ? Et à quelles conditions ? Ces questionnements ont émergé au sein des stratégies de marketing des ONG, sur lesquels je n’ai pas travaillé mais qui reprennent les mêmes questionnements que ce qui est souvent reproché aux médias. Pour exemple, 172 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) ces réflexions récentes de la présidente de MSF Canada, qui soulignait en 2011, alors que la corne de l’Afrique traversait une nouvelle période de famine : We’re also struggling to define responsible fundraising within a discourse that relies on guilt and superficial messages. Fundraising experts warn us that offering a more complex picture of the difficulties of delivering aid will lead to cynicism and donor fatigue: it’s shock value that works. (…) Some of our colleagues from other NGOs have chafed against our criticism, going so far as to call it “not helpful.” We in the aid industry seldom openly criticize one another’s practices out of concern that it merely denigrates the entire sector in the public’s mind. There are times, however, when lifting the cone of silence on debates like this will help influence our philanthropic culture so that Canadians can make informed and meaningful choices. 2 La question me semble intéressante car elle s’inscrit ici dans la possibilité de créer de nouveaux univers de références, ce qui nécessiterait bien évidemment de travailler dans la longue durée, tant l’on sait que les cadrages proposés aux publics dépendent de leur familiarité avec des symboles. Selon les critiques qui ont émergé des Africanistes ou des humanitaires, il s’agirait de favoriser une vision locale ; soit en focalisant sur des stratégies de résilience communautaire et non sur des scènes de violence ou de dépendance ; soit en proposant plus de place aux journalistes et photographes locaux pour les laisser eux-mêmes représenter la réalité dans laquelle ils vivent, et contrebalancer ainsi le « journalisme parachute » des reporters occidentaux qui couvrent un sujet en 24h et manquent parfois de connaissances sur la complexité du milieu dans lequel ils ne font que passer. Toutefois, ces choix doivent être mis en considération des limites culturelles de tels cadres pour un public européen. La stratégie doit aussi être interrogée au regard des tendances actuelles au sein des médias qui diminuent notamment le nombre de bureaux à l’étranger et la couverture internationale au profit des sujets nationaux (Dupaquier 2002). C’est néanmoins une problématique qui est au cœur des questionnements développés par un nouveau projet de recherche à l’Université de Birkbeck à Londres qui m’intéresse particulièrement, portant cette fois sur des études de réception pour comprendre ce à quoi les publics réagissent dans des cadrages humanitaires, et qui permettraient d’aller au-delà des propositions de Boltanski, 3 par exemple. Quelques pistes ont été ouvertes non dans le domaine de l’information, mais dans celle de la mémoire. Plusieurs expositions muséographiques au Musée International de la Croix-Rouge (MICR) notamment, ont permis d’interroger le travail des photojournalistes en amont et soulever comment certains d’entre eux tentent de bouleverser les clichés en changeant les cadres de référence. Ce fut 4 5 le cas des expositions « Stigmates » et « Modestes » , dans lesquels des photographies de guerre ont construit un regard différent sur les à-côtés de la guerre, ou les faces plus cachées, moins visibles dans les discours médiatiques. A l’heure où le marché de la photo de presse est sinistré, c’est une posture que 2 Voir le site web de MSF Canada : <http://www.msf.ca/news-media/news/2011/09/somalia-crisisdemands-more-realistic-portrayal-by-aid-groups/> (dernière consultation le 29 avril 2013). 3 Mediated humanitarian knowledge : audiences’ responses and moral actions, voir : <http://www2.lse.ac.uk/media@lse/documents/Shani_Orgad_research.pdf> (dernière consultation le 29 avril 2013). 4 Exposition tenue du 4 au 26 juillet 2009 au MICR. 5 Exposition tenue du 23 septembre 2009 au 24 janvier 2010 au MICR. 8. Remarques conclusives 173 j’aimerais analyser. On passe alors à une dimension artistique de l’image qui perd sa valeur informative telle qu’elle prétend encore l’être dans la presse, mais qui interroge aussi la manière dont naît l’émotion. Dans une autre approche liée à la problématique de « montrer autrement » la guerre, la célèbre agence de photographies Seven, sur laquelle j’avais déjà 6 travaillé pour un colloque, a instauré une série de collaborations avec MSF et le 7 CICR, dont la stratégie communicationnelle a été très différente jusqu’alors. Les photographes en question, dont James Nachtwey ou Christopher Morris, pour ne citer qu’eux, ont été des photographes largement représentés au sein de mon corpus. Or, dans ces collaborations avec ces deux organisations humanitaires, ils ont été soumis à des exigences et des limites qui les ont forcés à interroger la guerre autrement ; la charte éthique de ces organisations ne leur permettait par exemple pas de photographier frontalement la mort ou les exactions. J’ai déjà abordé une partie de ce résultat dans de nouvelles recherches sur les archives photographiques des ONG, en traitant notamment la médiatisation des famines d’avant 1960, ce qui permet de repenser historiquement la politique mémorielle et visuelle des acteurs humanitaires 8 (Gorin 2013). Mais il serait intéressant de comparer de façon plus systématique les stratégies de communication mises en place par MSF et le CICR, en analysant notamment l’esthétique développée dans ces photographies, le rapport à la souffrance, les choix opérés par les photographes sur les figures et les scènes représentées, et leur manière de questionner les « clichés » différemment. 8.2.2. Interroger la visibilité des atrocités Une deuxième perspective à laquelle ce travail pourrait mener touche cette fois à la question éthique et historique sur la manière d’exposer les atrocités. Pour reprendre les propos de Susan Sontag cités en ouverture de cette conclusion, montrer l’atrocité questionne avant tout celui qui l’a commise mais aussi la nécessité ou la volonté de l’exhiber. Cela me permettrait d’étendre les questionnements que j’ai développés dans mes articles sur la visibilité de la mort et du bourreau, qui interrogeaient en partie la nécessité de montrer la violence tout en soulignant les limites imposées par les journalistes au sein du 6 « L’Agence Seven, ou comment offrir un autre regard sur le monde. Etude sémiologique et sociologique des pratiques journalistiques d’une agence de photographies au 21ème siècle », conférence présentée au colloque La photographie au regard des théories de la communication, 30 mai-2 juin 2007, Université de Louvain-la-Neuve. 7 Pour le CICR, ces collaborations avec Seven ont été instaurées lors d’une campagne mondiale "Our world, your move" en 2009. Les photographies sont désormais inclues dans la collection photographie du CICR. Pour MSF, le projet est toujours en cours ; on peut en voir les premiers résultats sur le site du programme « Starved for attention » : <http://www.starvedforattention.org> (dernière consultation le 29 avril 2013). 8 Ces recherches m’ont menées à utiliser d’abord les archives photographiques du CICR, parmi les mieux conservées dans le patrimoine humanitaire, à l’occasion du 150ème anniversaire de la CroixRouge. Elles m’ont permis d’organiser un colloque tenu à l’Université de Genève en avril 2013 et intitulé « Face à la famine : mobilisations, opérations et pratiques humanitaires ». Parmi les différentes perspectives abordées, la médiatisation de la famine a été traitée comme une stratégie politique importante des organisations humanitaires et leurs relations aux médias. Ce nouveau regard sur l’histoire médiatique des famines est également traité par un projet de recherche inscrit à l’Université de Lucerne. 174 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) discours journalistique. Je me rapproche ici, encore une fois, des travaux plus récents de Barbie Zelizer sur les récits de « mort imminente » ou l’usage métonymique de la mort à l’image (2005 ; 2012) et comment ils interrogent des critères fluctuants au sein des pratiques médiatiques. Comme elle l’affirme ellemême, la mort reste probablement l’un des derniers tabous dans la visibilité de la violence et amène à un traitement différencié selon les médias et selon les régions. Il reste difficile d’établir des critères standards, même si, à l’instar de mon analyse sur les mises en scène visuelles et discursives de la mort dans les conflits que j’ai traités (Gorin 2011), j’ai relevé que les violences lointaines sont plus facilement exposées que les violences locales. Ici aussi, des comparaisons plus larges pourraient être menées, notamment dans l’exposition du corps du bourreau, comme cela a été initié dans le projet 9 européen sur les Corpses of Mass Violence and Genocide débuté en 2012, qui s’interroge sur ce rapport à la mort et la place du bourreau dans la mémoire, notamment dans sa médiatisation. Les cas récents de mort de dictateurs ou de terroristes (tels que Ben Laden, Kadhafi, ou Saddam Hussein) offrent des perspectives intéressantes sur la judiciarisation des criminels de guerre, la mise en images de leur exécution, le refus de cette visibilité ou l’apparition de nouvelles technologies comme les réseaux sociaux et les téléphones portables qui ont favorisé la diffusion des images de leur mort. La photographie amateur a donc remplacé la photographie professionnelle, et les flux de diffusion ont complètement changé le mode de circulation de ces icônes et les acteurs qui contrôlent leur publication. Les magazines n’ont dorénavant plus une place importante dans l’instauration de limites éthiques quant à la circulation de photographies violentes. Explorer l’historicité des pratiques de représentations des souffrances Une troisième ouverture reste la piste de l’interdisciplinarité et particulièrement la perspective historique. En travaillant sur les deux derniers articles de cette thèse, j’ai été particulièrement frustrée d’aboutir à une limite temporelle que je trouve au final quelque peu superficielle. Il faudrait une ouverture historique encore plus large à mon sens, car l’idée de considérer le Biafra comme un socle représentationnel me semble en fait un faux tournant. S’il a son sens pour l’apparition de l’image de presse sur le Tiers-Monde, il est complètement relatif pour les changements qu’il induirait dans la construction des référents visuels, notamment en ce qui concerne les enfants. Il n’est que l’appropriation par les journalistes de codes visuels développés plus tôt et pas forcément par des professionnels. Même si cette mémoire antérieure est totalement oubliée dans les univers de référence des magazines (aucun ne cite les grandes famines qui déchirent l’Europe avant la Deuxième Guerre mondiale par exemple), elle ne l’est pas au niveau des pratiques photojournalistiques, ce qui pourrait m’amener à travailler du côté des pratiques cette fois. 8.2.3. Une grande partie des premières photographies de la souffrance ont été ème produites par les humanitaires eux-mêmes au début du 20 siècle, à une 9 Voir le site européen du projet : <http://www.corpsesofmassviolence.eu/> (dernière consultation le 29 avril 2013). 8. Remarques conclusives 175 époque où les photographes professionnels n’existaient pratiquement pas. C’est cette histoire des premières pratiques et collaborations entre organisations humanitaires et médias de masse (notamment la presse et le cinéma) qui mériterait d’être interrogée dans une étude véritablement historique cette fois, sur les matériaux des archives photographiques du CICR, de Save the Children ou de l’American Relief Administration, et leurs actions au cours des années 1920-1930. Cette analyse permettrait non seulement de revenir sur la rhétorique ème victimaire telle qu’elle se met en place au début du 20 siècle et l’utilisation des enfants au sein d’un discours que les humanitaires veulent apolitique (voir notamment le cas de Save the Children, Breen 1993), mais aussi de travailler sur les rapports naissants entre marketing, humanitaire et photographie de guerre. En effet, les photographes du magazine Life ou ceux de Magnum recevront des mandats de ces organisations aux alentours des années 1940, et c’est probablement à ce moment-là que l’univers visuel développé par les humanitaires dans les médias locaux ou leurs journaux d’abonnés rencontre et se mélange avec le regard développé par les photographies professionnels sur le terrain ; il influence alors probablement ce que l’historien Thomas Laqueur appelle le « récit humanitaire » (1989). Si lui y voit des racines culturelles et ème philosophiques profondes remontant au 18 siècle, je pense que ce récit humanitaire dans sa version moderne est né de la rencontre du photojournalisme et des premières organisations humanitaires qui ont utilisé la photographie à des fins de fundraising et de mobilisation. 8.2.4. Analyser les figures des médiateurs de la souffrance dans le discours d’information Enfin, dernière perspective à envisager, celle du médiateur. Je l’ai abordé notamment dans l’article sur le Biafra, en montrant à quel point les humanitaires vont apparaître durant cette guerre comme des médiateurs imposant d’une certaine façon le cadrage de l’urgence humanitaire. L’idée d’un médiateur comme condition nécessaire pour la visibilité de la crise avait déjà été développée par Brauman (1993) ; je l’ai constatée à plusieurs reprises au sein de mon corpus comme un élément fondamental du récit humanitaire et de l’accès privilégié des journalistes aux réalités empiriques de la souffrance. Ces médiateurs peuvent aussi être incarnés par des personnalités politiques : la présence de la Première dame Rosalynn Carter au Cambodge en décembre 1979 ou du président Mitterrand à Sarajevo en juillet 1992 entraine dans leur sillage les journalistes. Cette capacité des médias de fonctionner sur le grand pouvoir d’attraction de certains individus mène inévitablement à une troisième catégorie de personnalités, les célébrités, dont la présence plus récente (en augmentation ?) sur le terrain humanitaire suscite depuis peu un intérêt en sciences de la communication (Cooper 2008 ; Chouliaraki 2013). Là aussi, des études de cadrages pourraient se révéler intéressantes, ou de travailler sur les stratégies de communication au sein des organisations pour mener à des récits humanitaires centrés non sur la victime, mais sur le bienfaiteur, dont la fonction première n’est pas de sauver, mais d’attirer l’attention. 176 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Références Allan, Stuart, and Barbie Zelizer (eds). 2004. Reporting war. Journalism in wartime. London and New York: Routledge. Banks, Anna. 1994. "Images trapped in two discourses: photojournalism codes and the international news flow". Journal of Communication Inquiry 18(1): 118‑ 134. Barnett, Michael. 2011. Empire of Humanity: A History of Humanitarianism. Ithaca, NY: Cornell University Press. Bodson, Jean-Marc. 2005. « Tristes optiques ». Médiatiques (37): 7‑11. Boltanski, Luc. 1993. La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique. Paris : Métailié. Brauman, Rony. 1993. "When suffering makes a good story". In Life, Death and Aid. The Médecins sans frontières Report on World Crisis Intervention, edited b< François Jean, 149‑158. New York and London: Routledge. Brauman, Rony, et René Backmann. 1996. Les médias et l’humanitaire. Paris : CFPJ. Breen, Rodney. 1993. "Saving enemy children: Save the Children’s Russian Relief Operation, 1921-23". Disasters 18(3): 221‑237. Brunel, Sylvie. 2001. « L’humanitaire, nouvel acteur des internationales ». Revue internationale et stratégique 1(41): 93‑110. relations Campbell, David. 2012. "The iconography of famine ». In Picturing atrocity, 79‑ 91. London: Reaktion Books. Carruthers, Susan. 2000. The media at war: communication and conflict in the twentieth century. Basingstoke: Macmillan/Palgrave. ———. 2004. "Tribalism and tribulation: Media constructions of “African savagery” and “Western humantarianism” in the 1990s". In Reporting war. Journalism in wartime, 155‑173. London and New York: Routledge. Chouliaraki, Lilie. 2013. The Ironic Spectator: Solidarity in the Age of PostHumanitarianism. Wiley. Christie, Thomas. 2006. "Framing rationale for the Iraq war. The interaction of public support with mass media and public policy agendas". The International Communication Gazette 68(5-6): 519‑532. Cooper, Andrew Fenton. 2008. Celebrity diplomacy. Boulder: Paradigm Publishers. David, Bruno. 2010. « Vers un iconoclasme humanitaire? » Humanitaire (25). Dimitrova, Daniela, Lynda Lee Kaid, Andrew Paul Williams, and Kaye D. Trammell. 2005. "War on the web: The immediate news framing of Gulf War II". The International Journal of Press/Politics 10(1): 22‑44. Dimitrova, Daniela, and Jesper Strömbäck. 2005. "Mission accomplished? Framing the Iraq war in the elite newspapers in Sweden and the United States". Gazette: the International Journal for Communication Studies 67(5): 399‑417. 8. Remarques conclusives 177 Dupaquier, Jean-François. 2002. « Informer sur l’Afrique : “Silence, les consommateurs d’informations ne sont pas intéressés, ou ne sont pas solvables” ». Mouvements (21-22): 89‑95. Eberwein, Wolf-Dieter, et Paul Grossrieder. 2005. « L’ordre humanitaire en disparition? Entretien avec Paul Grossrieder ». Cultures et Conflits (60): 149‑ 158. Entman, Robert. 1993. "Framing: toward clarification of a fractured paradigm". Journal of Communication 43(4): 51‑58. Fahmy, Shahira. 2005. "Emerging alternatives or traditional news gates. Which news sources were used to picture the 9/11 attack and the Afghan war?" Gazette: the International Journal for Communication Studies 67(5): 381‑398. Fahmy, Shahira, and Daekyung Kim. 2008. "Picturing the Iraq war. Constructing the image of war in the British and US press". The International Communication Gazette 70(6): 443‑462. Gervereau, Laurent. 2002. « La guerre invisible ». In La guerre imaginée, 248‑ 259. Paris: Seli Arslan. Gitlin, Todd. 1980. The whole world is watching: Mass media in the making & unmaking of the New Left. Berkeley: University of California Press. Gorin, Valérie. 2009. « La photographie de presse au service de l’humanitaire : rhétorique compassionnelle et iconographie de la pitié ». In Photo de presse, dirigé par Gianni Haver. Lausanne : Antipodes. ———. 2011. « “Le martyre des innocents” : Mises en scène visuelles et discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (1967-1994) ». Questions de communication 20: 105‑134. ———. 2012. « Le poids des mots, le choc des photos ». In Haïti, réinventer l’avenir, édité par Jean-Daniel Rainhorn. Paris, Port au Prince: Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, Editions de l’Université d’Etat d’Haïti. ———. 2013 (à paraître). « 150 ans de regard sur l'humanitaire: les archives photographiques du CICR. » Revue Internationale de la Croix-Rouge (888). Griffin, Michael. 2004. "Picturing America’s “War on Terrorism” in Afghanistan and Iraq. Photographic motifs as news frames". Journalism 5(4): 381‑402. Gros, Frédéric. 2006. Etats de violence. Essai sur la fin de la guerre. Paris : Gallimard. Hallin, Dan. 1994. « Images de guerre à la télévision américaine. Le Vietnam et le Golfe persique ». Hermès 13-14: 121‑132. Hammock, John, and Joel Charny. 1996. "Emergency response as morality play: the media, the relief agencies, and the need for capacity building". In From massacres to genocide: The media, public policy, and humanitarian crises, 115‑ 135. Washington, DC: Brookings Institution and Cambridge. Kellner, Douglas. 2004. "Media propaganda and spectacle in the war on Iraq: a critic of US broadcasting networks". Cultural Studies <=> Critical Methodologies 4(3): 329‑338. 178 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Kolmer, Christian, and Holli Semetko. 2009. "Framing the Iraq war: perspectives from American, U.K., Czech, German, South African, and Al-Jazeeran news". American Behavorial Scientist 52(5): 643‑656. Kuttab, Daoud. 2007. "The media and Iraq: blood bath for and gross dehumanization of Iraqis". International Review of the Red Cross 89(868): 879‑ 891. Laqueur, Thomas. 1989. "Bodies, details, and the humanitarian narrative". In The New Cultural History, edited by Lynn Hunt, 176‑204. Berkeley: University of California Press. Melkote, Srinivas. 2009. "News framing during a time of impending war. An examination of coverage in the New York Times prior to the 2003 Iraq War". The International Communication Gazette 71(7): 547‑559. Mermin, Jonathan. 1997. "Television news and American intervention in Somalia: the myth of a media-driven foreign policy". Political Science Quarterly 112(3): 385‑403. Mesnard, Philippe. 2002. La victime écran. La représentation humanitaire en question. Paris : Textuel. Moeller, Susan. 1999. Compassion fatigue. How the media sell disease, famine, war and death. New York and London: Routledge. Popp, Richard, and Andrew Mendelson. 2010. "“X”-ing out enemies: Time magazine, visual discourse, and the war in Iraq". Journalism 11(2): 203‑221. Puiseux, Hélène. 1997. Les Figures de la guerre. Représentations et sensibilités, 1839-1996. Paris : Gallimard. Ramel, Frédéric. 2004. « Presse écrite et traitement immédiat du 11 septembre : un imaginaire occidental réactivé? » Mots. Les langages du politique (76). Reese, Stephen D., and Seth C. Lewis. 2009. "Framing the War on Terror: the internalization of policy in the US press". Journalism 10(6): 777‑797. Reese, Stephen, Oscar Gandy, and August Grant (eds). 2001. Framing Public Life. Perspectives on media and our understanding of the social world. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum. Robinson, Piers. 2001. "Theorizing the influence of media on world politics: models of media influence on foreign policy". European Journal of Communication 16(4): 523‑544. Rufin, Jean-Christophe. 1994. L’aventure humanitaire. Paris : Gallimard. Ryfman, Philippe. 2008a. « Tournant symbolique, crise de l’humanitaire ou crise de la représentation? » Humanitaire (18). ———. 2008b. Histoire de l’humanitaire. Paris : La Découverte. Scheufele, Dietram. 1999. "Framing as a theory of media effects". Journal of Communication: 103‑122. Seib, Philip M. 1997. Headline diplomacy: how news coverage affects foreign policy. Westport: Praeger Publishers. 8. Remarques conclusives 179 Slim, Hugo. 2001. "Violence and humanitarianism: moral paradox and the protection of civilians". Security Dialogue 32(3): 325‑339. Sontag, Susan. 2003. Devant la douleur des autres. Paris : Christian Bourgois. Ting Lee, Seow, Crispin Maslog, and Hun Shik Kim. 2006. "Asian conflicts and the Iraq war. A comparative framing analysis". The International Communication Gazette 68(5-6): 499‑518. Zelizer, Barbie. 1997. « La photo de presse et la libération des camps en 1945 : images et formes de la mémoire ». Vingtième Siècle. Revue d’histoire 54(1): 61‑ 78. ———. 1998. Remembering to Forget: Holocaust Memory through the Camera’s Eye. Chicago: University Of Chicago Press. ———. 2005. "Death in wartime: photographs and the “Other War” in Afghanistan". The International Journal of Press/Politics 10(3): 26‑55. ———. 2012. "Atrocity, the “as if”, and impending death from the Khmer Rouge". In Picturing atrocity, 155‑166. London: Reaktion Books. 180 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Annexes Annexes Annexe 1. Grille de codage 181 182 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Annexe 2. Résultats de l’analyse de contenu (système catégoriel) Figure 1. Catégories principales de l’analyse de contenu (n=22218) Figure 2. Subdivision de la catégorie « Contextes des conflits » (n=3079) Annexes 183 Figure 3. Subdivision de la catégorie « Labellisation des conflits » (n=2500) Figure 4. Subdivision de la sous-catégorie « Parallèles historiques », appartenant à la catégorie « Labellisation des crises » (n=460) 184 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) Figure 5. Subdivision de la catégorie « Action humanitaire » (n=2387) Annexes 185 Annexe 3. Présentation des conflits sélectionnés La guerre du Biafra (1967-1970) A l’origine une guerre civile, celle-ci s’est trouvée rapidement accompagnée d’épisodes de famine et dénoncée comme un génocide. Aussi connue sous le nom de guerre civile nigériane, elle a résulté de la sécession de la province de l’Est, le Biafra, le 30 mai 1967, dont l’indépendance a été déclarée par le Colonel Ojukwu. Cette province est habitée par l’ethnie des Ibos, de religion catholique, qui constitue alors 12 millions d’habitants pour 60 millions sur tout le Nigéria en 1967. Le pays est en effet divisé entre plusieurs provinces, peuplées par des centaines d’ethnies, de confessions différentes. Outre les Ibos à l’Est, le Nord est composé par l’ethnie majoritaire des Haoussa-Fulanis, de confession musulmane, et l’Ouest par les Yorouba, de confession protestante. Ancienne colonie anglaise, le pays a obtenu son indépendance en 1960, mais l’ancien pouvoir colonial, comme bien souvent pour plusieurs pays africains, a joué sur les différentes ethnies pour assoir son gouvernement. Au Nigéria, les Anglais ont ainsi distingué la tribu des Ibos qui a obtenu des postes-clés dans l’administration et le commerce ; la province de l’Est est ainsi plus développée que le reste du pays, concentre les meilleurs salaires et surtout l’essentiel des richesses du pays, le charbon et le pétrole. Au moment de l’indépendance, l’ethnie des Haoussa-Fulanis souhaite alors instaurer un système politique plus fédérateur, qui diminue ainsi les pouvoirs régionaux. Des tensions entre ethnies poussent à un regroupement entre Haoussa et Yorouba, opposés aux Ibos qui se sentent isolés et méprisés par leurs voisins. Ils réagissent par un coup d’Etat le 15 janvier 1966 en plaçant à la tête du gouvernement le général Ibo, Ironsi, qui freine la tendance au fédéralisme et centralise le pouvoir. Les tensions augmentent, ce qui amène les Ibos à fuir dans leur province à l’Est et à l’assassinat d’Ironsi le 29 juillet 1966. Lors de ce deuxième coup d’Etat, la junte militaire à majorité musulmane qui le dirige instaure un nouveau chef, le général Gowon. Celui-ci est chrétien. Malgré des appels à la paix, des massacres sont perpétrés par les Haoussa durant l’été envers la population Ibo. Les chiffres varient, mais on tourne autour de 30'000 Ibos massacrés. Les richesses pétrolières du delta du Niger excitent également les convoitises, accentuées par les intérêts des grandes compagnies occidentales telles que Shell et BP. Craignant qu’on ne les dépossède de leurs terres et que les massacres continuent à leur égard, les Ibos votent la sécession en mai 1967, sous l’égide de leur gouverneur militaire, le général Ojukwu. La République du Biafra est née. L’armée fédérale nigériane s’engage alors dans la guerre, dont les enjeux sont autant nationaux (réintégrer la province sécessioniste dans l’unité nationale) qu’économiques (ne pas risquer de perdre les territoires les plus riches en pétrole). La guerre va durer trois ans. L’armée Ibo s’organise rapidement ; des mercenaires sont recrutés pour former les troupes, et le général Ojukwu mène même quelques incursions sur Lagos, la capitale. L’armée fédérale reste cependant supérieure en hommes et en moyens ; après un an de guerre, elle gagne du terrain et le Biafra, dont le territoire touchait alors l’Atlantique, se retrouve alors encerclé. La guerre s’enfonce dans la guérilla, les pertes 186 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) importantes. En perdant son accès à la mer, le Biafra perd toute route d’acheminement de nourriture et de renforts extérieurs. L’armée fédérale impose alors un blocus économique et refuse toute aide humanitaire ; seul le pont aérien permet de ravitailler le Biafra depuis l’île de Sao Tomé. Au cœur de l’été 1968, le Biafra s’enfonce alors dans une situation de famine. N’ayant plus assez de ressources pour nourrir plusieurs millions de personnes qui se retrouvent dans un territoire minuscule, le Biafra se transforme en camps d’affamés. Le CICR est alors la principale organisation humanitaire qui tente d’acheminer vivres et médicaments ; d’autres organisations sont également présentes, notamment les organisations caritatives religieuses, ainsi que les missionnaires présents dans le pays depuis longtemps, particulièrement une série de monastères tenus par des Pères irlandais. Mais lorsqu’un avion de la Croix-Rouge est abattu par les Nigérians, le CICR se voit obligé de terminer ses négociations juridiques pour obtenir l’accès au territoire biafrais par les Nigérians. Les grandes puissances sont divisées et n’interviennent pas directement. Si la Grande-Bretagne soutient le pouvoir fédéral, seule la France soutient le Biafra en armes et en vivres. Etranglés par la famine qui a fait alors environ un million de morts, les Biafrais capitulent le 11 janvier 1970. La guerre civile du Cambodge (1975-1979) La guerre civile du Cambodge, particulièrement sa phase entre 1975-1979, est régulièrement présentée comme un génocide. Elle ne correspond en fait juridiquement pas à la définition du génocide et ne fait en réalité pas partie des trois génocides reconnus à ce jour (Arménie, Juifs et Rwanda). Une partie des actes commis a tout de même été désignée comme crimes contre l’humanité. Les faits sont liés à l’apparition d’un nouveau groupe d’aspiration communiste et pro-Vietminh, ces guerrilleros vietnamiens qui se battent de l’autre côté de la frontière contre l’impérialisme américain. Ce groupe s’appelle les « Khmers rouges », apparus dans les années 1960. Ceux-ci se lancent dans un mouvement de guérilla uni avec le roi cambodgien déchu et réfugié en Chine en 1970, Norodom Sihanouk. Après de multiples incursions sur le territoire cambodgien, et malgré l’intervention américaine qui tente de couper la route aux Khmers alors qu’eux-mêmes sont embourbés au Vietnam, les Khmers prennent la capitale Phnom Penh le 17 avril 1975. Le Cambodge devient alors « Etat du Kampuchéa démocratique », et leur leader Pol Pot devient Premier Ministre. Si le régime en place reste toujours une monarchie, les Khmers rouges procèdent à une véritable redistribution du pouvoir en adoptant un régime de terreur qui vise à débarrasser la société cambodgienne de tout élément dissident ou résistant à l’idéologie communiste. Les élites économiques et intellectuelles sont massacrées, déportées, et les villes sont ainsi vidées de la plupart de leurs habitants. Des camps de travaux forcés sont montés, dans lesquels on inculque l’idéologie khmère aux récalcitrants. Au total, près de deux millions de personnes auraient été victimes des Khmers dans ces purges. La situation humanitaire et économique se détériore dans un pays qui a fermé ses frontières et refuse tout contact avec l’extérieur, malgré les protestations de la communauté internationale. En décembre 1978, les autorités vietnamiennes, poussées par leurs alliés communistes de Moscou, décident d’intervenir militairement. En janvier 1979, le Vietnam qui a réussi à repousser les Khmers, Annexes 187 installe un nouveau régime communiste modéré sous le nom de République populaire du Kampuchéa. C’est à ce moment que le monde réalise l’ampleur du désastre humanitaire au Cambodge, par la masse de réfugiés qui se précipitent aux frontières du pays, notamment dans des camps bondés sur la frontière thaïlandaise. La situation empire dans le courant de l’été 1979, puisque près d’un million de Cambodgiens se réfugient en Thaïlande, poussés par la famine qui ravage alors le Kampuchéa. D’autres s’échappent par la mer sur des bateaux de fortune, participant alors à l’exode des boat people, qui fuient aussi les régimes communistes du Laos et du Vietnam, et pour lesquels une réponse internationale autant humanitaire que politique (accorder l’asile à une partie d’entre eux) est débattue à la fin de 1979. La jeune organisation humanitaire MSF organise alors un événement médiatique : à bord d’un bateau baptisé « L’Ile de Lumière », Bernard Kouchner et le philosophe français André Glucksmann partent en mer de Chine porter secours aux bateaux des naufragés sous l’œil des journalistes internationaux, attirant alors l’attention de la communauté internationale sur le crime de non-assistance. La guerre civile du Liban (1975-1990) La guerre civile du Liban désigne le conflit intercommunautaire qui a déchiré le pays entre 1975 et 1990. 17 communautés composent la pluralité religieuse de la nation, dont onze communautés chrétiennes (dont l’une des plus importantes sont les Chrétiens maronites) et six communautés musulmanes, parmi lesquelles des druzes, des chiites et des sunnites. Depuis son indépendance en 1943, le pays reste marqué par des tensions religieuses entre les Libanais chrétiens qui cherchent à se rapprocher des Occidentaux et qui constituent parmi les classes les plus aisées du pays, et les musulmans qui se sentent plus concernés par les événements entre Israël et les pays arabes. Le Liban est directement concerné par le conflit israélo-palestinien puisqu’il héberge une grande communauté réfugiée palestinienne depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948, ce qui aggrave la balance démographique entre chrétiens et musulmans, ces derniers devenant majoritaires. L’Organisation de libération de la Palestine (OLP), dirigée par Yasser Arafat, apparaît ainsi au Sud-Liban et accentue les tensions militaires avec Israël. Ce sont les heurts entre les chrétiens maronites conservateurs, les phalangistes, et les combattants palestiniens, les feddayin, qui déclenchent la guerre civile en 1975. Elle démarre suite à un épisode sanglant où vingt-sept habitants du camp palestinien de Sabra sont exécutés dans un bus par des milices phalangistes, ce qui déclenche l’affrontement armé des différents partis politiques. Un cessez-le-feu est signé en 1976 après de violents affrontements dans plusieurs grandes villes libanaises. Mais cela n’empêche pas les feddayin de pénétrer régulièrement sur le territoire israélien pour commettre des attentats. En réponse à ces attaques, l’armée israélienne déclenche cette fois l’opération « Paix en Galilée » en juin 1982 en envahissant tout le Liban. Un nouveau président maronite, Béchir Gemayel, est nommé sous la protection des Israéliens ; c’est le fils du fondateur des phalangistes. Mais cette direction politique ne plaît pas à la Syrie qui a des vues sur le pays, au vu de sa grande communauté chiite ; elle s’oppose au traité de paix signé avec Gemayel et pousse à la continuation de la lutte armée des combattants musulmans en 188 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) soutenant le Hezbollah chiite au sud du Liban. La terreur est présente par les enlèvements ou attentats suicides commis par les commandos musulmans ou les bombardements de l’armée israélienne qui font 30'000 morts parmi les habitants de Beyrouth. Béchir Gemayel est assassiné et remplacé par son frère Amine le 21 septembre 1982. Entre le 16 et le 17 septembre 1982, plusieurs centaines de Palestiniens sont massacrés par les milices phalangistes dans les camps de Sabra et Chatila, responsables de l’inspection des camps en vue de l’évacuation possible des réfugiés. Le massacre suscite un tollé dans la communauté internationale et interroge sur la responsabilité de la chaîne de commandement, notamment au sein de l’armée israélienne et son ministre de la Défense, Ariel Sharon. Malgré cet incident tragique, plusieurs milliers de Palestiniens et l’OLP seront déplacés vers la Syrie et la Tunisie. La FINUL, Force Internationale des Nations Unies au Liban composée de soldats américains, français, italiens et anglais, entre en scène en septembre 1982, pour superviser ce départ. L’année 1983 voit les combats continuer entre musulmans et chrétiens, et la FINUL est victime de plusieurs graves attentats qui font plusieurs centaines de victimes parmi les soldats étrangers. En octobre 1983, le quartier général des Marines et le quartier des parachutistes français sont détruits par des voitures piégées ; 239 Américains et 58 Français meurent sous les gravats. Ces attentats marquent le début du désengagement de la force internationale, dont les derniers éléments partent en avril 1984. Après plusieurs cessez-le-feu et des ingérences syriennes et israéliennes, le pays se réunifie et trouve la paix en 1990. La famine éthiopienne (1984-1985) Cette famine se déroule dans le cadre d’une guerre civile qui oppose le gouvernement éthiopien d’origine marxiste, dirigé par Mengistu Hailé Mariam, avec le Front de libération des peuples du Tigré au nord et avec le Front de libération Oromo au sud. Dès 1983, les premiers signes de famine sont visibles dans le nord du pays, dans un pays alors largement dépendant de ses revenus agricoles. Au milieu de l’année 1984, dans un contexte aggravé par la sécheresse et les combats sur la frontière érythréenne qui empêchent l’acheminement des secours, la famine se durcit. Le gouvernement éthiopien se révèle incapable de subvenir aux besoins de la population affamée, d’autant plus qu’il entreprend alors une réforme agraire sur le modèle communiste. En provoquant des déplacements forcés de populations d’agriculteurs du nord vers des régions du sud, sans anticiper le manque de vivres et la sécheresse qui s’aggrave, il provoque des milliers de morts. Cette politique veut rassembler les agriculteurs autour de villages d’Etat pour les employer à la collectivisation forcée ; mais les agriculteurs fuient par milliers et s’entassent dans des camps de misère, dont le camp de Korem au nord du pays. Bien que les organisations humanitaires présentes tentent d’alerter les médias de la catastrophe humanitaire en devenir dès 1983, c’est un reportage de la BBC diffusé le 23 octobre 1984 qui déclenche la vague de compassion internationale. La communauté internationale s’organise alors pour envoyer des centaines de tonnes de vivres ; c’est également la période faste de la charité- Annexes 189 business, parmi laquelle les célébrités jouent un rôle important. Des groupes de chanteurs (le Band Aid en Angleterre, Chanteurs sans frontières en France, USA for Africa aux Etats-Unis) participent à la frénésie médiatique, suivie du Live Aid le 13 juillet 1985, concert géant organisé en simultané à Londres et à Philadelphie qui rassemblera plus de 1,5 milliards de spectateurs. La quantité d’aide amenée sur place ne fait en réalité qu’entretenir la politique menée par le gouvernement éthiopien, qui peut dorénavant bénéficier de l’aide internationale pour nourrir sa population. Peu d’organisations critiquent cette instrumentalisation de l’aide, à l’exception de MSF qui met en danger sa neutralité en dénonçant les mouvements forcés de population. Son président Rony Brauman, en prenant la parole publiquement, franchit ainsi la ligne entre témoignage et dénonciation ; l’organisation est expulsée du pays en décembre 1985. L’exode kurde (1991) Le peuple kurde est disséminé entre l’est de la Turquie, le nord-est de l’Iraq et le nord-ouest de l’Iran ainsi que l’ouest de la Syrie. De confession musulmane sunnite, il lutte depuis plusieurs siècles pour la création d’un Kurdistan ème indépendant. Les révoltes au cours du 20 siècle furent nombreuses au sein des différentes nations dont ils font partie ; les Kurdes sont donc victimes de nombreuses exactions en représailles. Au sein de l’Iraq notamment, Saddam Hussein a utilisé des gaz chimiques contre des populations civiles kurdes en mars 1988. Les militants kurdes pour l’indépendance, regroupés au sein du PKK, Parti des travailleurs du Kurdistan, constituent une base de combattants contre les autorités turques, iraniennes ou irakiennes. Ce sont les conséquences de la Guerre du Golfe de 1991 et l’affaiblissement de l’armée irakienne qui relancent les Kurdes d’Irak dans le combat armé contre Saddam Hussein, d’autant plus que les Etats-Unis encouragent les minorités du pays au soulèvement. Les Kurdes profitent du cessez-le-feu signé entre l’Irak et les Américains et se lancent dans une guerre civile le 2 mars 1991. L’armée irakienne toutefois nettement supérieure en hommes et en moyens inflige de sévères défaites à la révolte kurde ; la population civile, alors terrorisée des représailles, fuit massivement en direction des frontières turques et iraniennes, via des régions montagneuses. Des milliers de personnes dont des femmes et des enfants se retrouvent bloquées à la frontière turque en plein hiver, dans le froid et en haute altitude, avec peu de moyens. Le 5 avril 1991, l’ONU adopte alors la résolution 688 qui inaugure le « droit d’ingérence humanitaire », en autorisant une force multinationale à apporter des secours humanitaires à la population kurde. L’opération « Provide Comfort », composée essentiellement des Américains, Français et Anglais, consiste à cheminer par voie aérienne des vivres et des abris aux Kurdes. Le 14 avril, une zone de sécurité est mise en place au nord de l’Irak, sous contrôle américain. Cette zone de sécurité signifie que la région est placée sous protection américaine et qu’elle est interdite de vol aux avions irakiens. 190 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) La famine somalienne (1991-1993) La famine somalienne est également la conséquence d’une guerre civile et d’un vide politique qui déchirent le pays depuis les années 1980. Le président somalien Siad Barre s’oppose en effet à un mouvement de rebelles somaliens financés par l’Ethiopie qui s’accentue à la fin des années 1980. Différents clans prennent alors les armes, et le pays passe sous contrôle des milices et des chefs de guerre. L’un d’entre eux, le général Mohammed Farah Aideed, prend le dessus en 1991. Siad Barre est destitué et le pays sombre alors en plein chaos ; sans Etat fort, le pays est la proie des seigneurs de guerre et des milices qui se font la guerre par appât du gain et pillage. Cette guerre clanique détruit la plupart des centres urbains, l’ensemble des institutions politiques et les ressources économiques ; quand surgit alors une sécheresse fin 1991 dans la corne de l’Afrique, la population somalienne est particulièrement vulnérable. Les quelques organisations humanitaires dans la région ont pourtant appelé à l’aide, leurs réserves et leurs infrastructures étant régulièrement pillées par les milices, ce qui empêche la distribution de vivres et de médicaments à la population civile. Plusieurs milliers d’agriculteurs migrent pourtant vers la capitale Mogadiscio en 1992, ce qui aggrave la vulnérabilité de la population. Les organisations humanitaires sont partagées par un dilemme : soit rester mais continuer à se faire piller et rançonner, parfois au péril de leur vie, sans parvenir à acheminer l’aide à ceux qui en ont le plus besoin ; soit engager des mercenaires pour protéger les infrastructures et les véhicules lors des déplacements, ce qui risque de remettre en cause leur neutralité ; soit partir, renonçant ainsi au principe d’assistance. La solution semble trouvée quand l’ONU décide d’envoyer une force internationale sur place, l’ONUSOM, chargée de protéger les secours. Ils ne peuvent avoir recours aux armes sauf s’ils sont directement menacés. Cette force internationale se révèle relativement impuissante à contrer les pillages et les exactions sur les civils et les humanitaires ; plusieurs soldats sont même tués. Les Etats-Unis décident finalement d’intervenir dans le pays en décembre 1992 en envoyant 25'000 Marines en Somalie. L’opération « Restore Hope », qui n’est pas sans évoquer les opérations effectuées en faveur des Kurdes en 1991, est l’une des premières opérations militaro-humanitaires de ce type ; elle est d’ailleurs fortement médiatisée, plusieurs dizaines de journalistes attendant les Marines au moment de leur débarquement sur la plage de Mogadiscio. Fondée sur le droit d’ingérence, elle doit pacifier la région en désarmant les principaux clans et en assurant le bon déroulement des opérations de secours et de reconstruction du pays, favorisée par l’aide économique de la communauté internationale. Cette opération se révélera néanmoins problématique, puisqu’il n’est pas aisé aux Marines d’intervenir dans un contexte de guerre clanique où la population, malgré l’aide amenée, leur est hostile. Il semble en effet difficile de concilier des objectifs à la fois militaires et humanitaires. Le point culminant reste la défaite militaire, le 3 et le 4 octobre 1993, des Marines à Mogadiscio. Alors que les soldats américains sont envoyés dans la capitale pour capturer le général Aideed, responsable de plusieurs accrochages avec l’armée américaine, l’opération tourne court quand deux hélicoptères américains sont abattus sur la ville. Les pilotes et les soldats encore en vie au moment du crash seront battus à mort par la population et les milices, devant la caméra d’un jeune journaliste Annexes 191 somalien qui diffusera par la suite sa bande sur les chaînes télévisées internationales. L’opinion publique internationale voit ainsi en direct le lynchage de jeunes soldats américains. Seul le pilote Michael Durant, gravement blessé, sera gardé en captivité par les miliciens à la solde de Aideed pendant onze jours avant d’être libéré après négociation avec l’ambassadeur américain Robert Oakley. Cette opération signe toutefois la fin de l’intervention américaine en Somalie ; effrayé par la perte de 19 soldats dans la bataille et par la peur d’un nouveau « Vietnam », Bill Clinton ordonne le désengagement progressif des troupes. Les derniers soldats américains quittent la Somalie en mars 1995. La guerre de Bosnie (1992-1995) A la mort du maréchal Tito en 1980, la Yougoslavie entre dans une ère de tensions exacerbées par la diminution du pouvoir central et les revendications nationalistes des différentes minorités, dont les Serbes et les Croates. En 1989, un nationaliste serbe, Slobodan Milosevic, est alors élu président en Serbie. Celui-ci n’aura de cesse d’encourager les velléités nationalistes autour de l’idée d’une « Grande Serbie », dans le fantasme d’une nation serbe qui serait « ethniquement pure », c’est-à-dire débarrassée de ses minorités musulmanes. L’indépendance des Républiques de Slovénie et de Croatie sont proclamées le 25 juin 1991, puis celle de la République de Macédoine le 8 septembre 1991. Alors que Milosevic entend préserver le pouvoir central en maintenant une fédération yougoslave, la guerre se déclenche entre les troupes fédérales serbes et la Croatie. La guerre dure sept mois, jusqu’au cessez-le-feu en janvier 1992 où la Croatie perd un tiers de son territoire. Entre 1991 et 1992, la BosnieHerzégovine se déchire entre la minorité serbe, qui souhaite rester dans la fédération et qui a créé une « République des Serbes de Bosnie-Herzégovine » en octobre 1991 sous la présidence du leader serbe Radovan Karadzic, non reconnue par le gouvernement officiel ; les Croates de leur côté ont fondé « l’Union croate de Bosnie-Herzégovine ». L’indépendance de la BosnieHerzégovine, plébiscitée par référendum en 1991, est finalement reconnue par la communauté internationale en 1992. La Serbie envahit alors la Bosnie le 6 avril, aux côtés des milices serbes de Bosnie dirigées par le chef militaire Radko Mladic. La « purification ethnique » en œuvre, qui consiste à déporter les populations non désirées des territoires que l’on veut unifier, implique des mouvements massifs de la population bosniaque musulmane. Des atrocités sont aussi commises par Serbes et Croates, notamment de nombreux massacres sur des civils, des viols ainsi que la création de camps d’internement où les conditions de détention sont extrêmement sévères (malnutrition, exécutions, tortures). Au cours de l’année 1992, les Serbes parviennent à contrôler une large majorité du territoire bosniaque. La communauté internationale et l’ONU interviennent alors de manière modérée, en imposant des embargos économiques sur la Serbie. Les casques bleus de la FORPRONU envoyés en 1992 sont particulièrement démunis devant le siège de Sarajevo, puisque les Serbes qui entourent la ville refusent de laisser passer les convois de secours à la population affamée qui vit sans eau et électricité sous le feu des snipers. Ce n’est qu’en 1993 que l’ONU vote une résolution qui permet aux casques bleus de riposter ; en mai 1993 des zones de sécurité sous contrôle de la FORPRONU sont établies à Sarajevo et 192 La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française (1967-1994) sur d’autres villes bosniaques qui vivent le même enfer que Sarajevo, dont Srebrenica. A la même période, le Tribunal pénal international pour l’exYougoslavie est également créé, et des émissaires commencent à compiler les preuves sur les crimes de guerre. Malgré plusieurs tentatives pour des négociations de paix, les propositions de découpage de la Bosnie-Herzégovine sont systématiquement refusées par les Croates et les Serbes qui ne veulent pas de la partition de la Bosnie. La communauté internationale se refuse toujours à intervenir militairement dans le conflit ; toutefois, l’explosion d’un obus sur le marché de Markale à Sarajevo le 5 février 1994 (qui fait plus d’une soixantaine de morts), pousse l’Otan à ordonner des bombardements sur les troupes serbes autour de la ville. L’étau se desserre, en même temps qu’un cessez-le-feu est accepté. Les combats continuent néanmoins entre troupes croates, serbes et bosniaques ; au cours de juillet 1995, plusieurs milliers d’hommes bosniaques musulmans de la ville de Srebrenica sont tués par les troupes serbes de Radko Mladic et des unités paramilitaires, constituant l’un des plus gros massacres de la guerre. La paix est finalement acceptée avec les accords de Dayton signés en novembre 1995, qui provoquent la partition de la Bosnie-Herzégovine entre une Fédération croatomusulmane et une République serbe. Le génocide rwandais (1994) Bien qu’il ait obtenu son indépendance en 1961, le Rwanda reste profondément divisé entre l’ethnie Hutu et l’ethnie Tutsi. Sous la colonisation belge, les Tutsis, d’origine guerrière, occupent en effet des postes importants dans l’administration coloniale, par rapport aux Hutus, composés plutôt d’agriculteurs. Les violences ethniques restent manifestes dans les années 1970, jusqu’à la prise de pouvoir par le hutu Juvénal Habyarimana, qui instaure alors un régime autoritaire. En octobre 1990, le Front Patriotique Rwandais (FPR) composé de Tutsis réfugiés hors du Rwanda, notamment en Ouganda, passe à la lutte armée pour reconquérir le pouvoir. La guerre civile dure trois ans, durant lesquels la France défend ses intérêts diplomatiques et stratégiques dans la région en envoyant une force armée de 600 hommes pour veiller sur ses ressortissants et tenter de négocier la paix entre les deux factions. La MINUAR prend la place des Français en octobre 1993. C’est l’assassinat du président Habyarimana le 6 avril 1994 qui déclenche le génocide. Son avion, qui transporte aussi le président burundais, est abattu audessus de Kigali. Les rumeurs font état d’extrémistes hutus qui jugent Habyarimana trop ouvert à la conciliation avec les Tutsis. Les troupes gouvernementales, aidées par les milices hutues Interhamwe, bloquent alors la capitale et le massacre de milliers de Tutsis est lancé. Encouragés à la haine par des membres extrémistes du régime et la Radio des Milles Collines, ces milices tuent aussi les Hutus modérés. La MINUAR reçoit l’ordre de n’évacuer que les ressortissants occidentaux. Ce n’est qu’en mai 1994 que l’ONU décide d’envoyer 5500 casques bleus supplémentaires ; la France décide également d’intervenir militairement. L’opération « Turquoise » est déclenchée le 23 juin 1994 avec l’arrivée des parachutistes français sur les zones frontières du Rwanda. Ils ont pour mission d’assurer des zones de sécurité pour les civils Annexes 193 tutsis qui fuient les massacres, mais également pour les civils hutus qui fuient les représailles du FPR qui gagne du terrain sur le pouvoir hutu. La population qui échappe au massacre se précipite alors aux frontières ougandaises, burundaises et zaïroises. Le flot de réfugiés est incessant pendant les deux mois que dure le génocide, de début avril à mi-juin 1994. Entre 500'000 et un million de personnes seront victimes des massacres. Au début de l’été, dans les camps de réfugiés bondés, dont celui de Goma à la frontière congolaise qui abrite plus de 600'000 réfugiés, les conditions de vie miséreuses provoquent l’apparition de maladies infectieuses, dont le choléra. C’est le début d’une opération humanitaire d’envergure durant l’été 1994, qui pose néanmoins des problèmes éthiques aux humanitaires. En effet, une partie des génocidaires s’est mêlée aux réfugiés et bénéficie de l’aide dans les camps ; les massacres se perpétuent même au sein de certains camps. La fin de la guerre le 17 juillet 1994 avec la victoire du FPR et l’établissement d’un nouveau gouvernement tutsi ne calment pas les choses. Il faut alors penser au retour de quatre millions de réfugiés dans un pays complètement désorganisé, dans des communautés détruites, pour lesquelles la peur de massacres et de représailles reste présente bien longtemps après la fin du génocide. Un tribunal pénal international pour le Rwanda est d’ailleurs mis en place par l’ONU en 1994 pour juger les criminels de guerre, dont le nombre s’élèverait à plus de 100'000.