Thesis - Archive ouverte UNIGE

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Thesis
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l'humanitaire
dans la presse magazine américaine et française (1967-1994)
GORIN, Valérie
Abstract
Cette thèse interroge la circulation d’une mémoire symbolique de la souffrance lors de crises
humanitaires majeures résultants des conflits armés des années 1960 à 1990, en étudiant
principalement les cadrages (framings) du discours d’information de la presse magazine
américaine et française. Réalisée sous forme d’articles, cette thèse démontre dans quelle
mesure les représentations médiatiques marquent une certaine permanence dans la mise en
sens et en scène de la violence de guerre, par des choix visuels et sémantiques de référents
symboliques et historiques. Ces cadrages médiatiques permettent de questionner à quel point
la visibilité et la description des souffrances de guerre au sein des magazines se situent au
croisement de plusieurs rapports, que ce soit du point de vue de la culture visuelle
médiatique, du photojournalisme, de la mémoire collective et de l’histoire des conflits dans le
long 20ème siècle.
Reference
GORIN, Valérie. La mémoire symbolique de la souffrance: représenter l'humanitaire
dans la presse magazine américaine et française (1967-1994). Thèse de doctorat :
Univ. Genève, 2013, no. SES 815
URN : urn:nbn:ch:unige-296150
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:29615
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LA MEMOIRE SYMBOLIQUE DE LA SOUFFRANCE : REPRESENTER
L’HUMANITAIRE DANS LA PRESSE MAGAZINE AMERICAINE ET
FRANCAISE (1967-1994)
Thèse présentée à la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université
de Genève
Par Valérie Gorin
pour l’obtention du grade de
Docteur ès sciences économiques et sociales
mention : sciences de la communication et des médias
Membres du jury de thèse :
Prof. Annik DUBIED, directrice de thèse, Université de Genève
Prof. Patrick BADILLO, président du jury, Université de Genève
Prof. Claudine BURTON-JEANGROS, Université de Genève
Prof. Isabelle GARCIN-MARROU, Université de Lyon II / IEP
M. Hugo SLIM, Oxford University
Thèse N° 815
Genève, le 2 septembre 2013
La Faculté des sciences économiques et sociales, sur préavis du jury, a autorisé
l’impression de la présente thèse, sans entendre, par là, n’émettre aucune opinion
sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la
responsabilité de leur auteur.
Genève, le 2 septembre 2013
Le doyen
Bernard MORARD
Impression d’après le manuscrit de l’auteur
Table des matières
iii
Table des matières
Table des matières ........................................................................................... iii
Résumé .............................................................................................................v
Remerciements ................................................................................................ ix
1. Introduction ................................................................................................... 1
1.1 Méthodologie .......................................................................................... 9
1.2. Tensions critiques et normatives ......................................................... 14
1.3. Médiatiser l’humanitaire dans la presse magazine : un tournant
historique à démontrer .................................................................................... 19
1.4. Structure .............................................................................................. 24
2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War and
Humanitarian Crises in the Prism of American and French Newsmagazines
(1967-1995)” ....................................................................................................... 33
3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des
représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains
(1967-1970) » ..................................................................................................... 55
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (1967-1994) » .. 71
5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le discours
médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie » ..................................... 101
6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and
rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines” ....... 123
7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in
American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (19671994)” ............................................................................................................... 145
8. Remarques conclusives ........................................................................... 163
8.1. Synthèse des analyses ...................................................................... 164
8.1.1. Le Biafra comme « crise matricielle » ......................................... 165
8.1.2. Un discours critique des changements politiques et sociaux ..... 167
8.2. Perspectives futures .......................................................................... 170
8.2.1. Questionner une photographie de type « humanitaire »............. 171
8.2.2. Interroger la visibilité des atrocités .............................................. 173
8.2.3. Explorer l’historicité des pratiques de représentations des
souffrances ................................................................................................ 174
8.2.4. Analyser les figures des médiateurs de la souffrance dans le
discours d’information ............................................................................... 175
Annexes ........................................................................................................ 181
Annexe 1. Grille de codage ...................................................................... 181
Annexe 2. Résultats de l’analyse de contenu (système catégoriel) ......... 182
Annexe 3. Présentation des conflits sélectionnés .................................... 185
La guerre du Biafra (1967-1970) ........................................................... 185
iv
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
La guerre civile du Cambodge (1975-1979) ......................................... 186
La guerre civile du Liban (1975-1990) .................................................. 187
La famine éthiopienne (1984-1985) ...................................................... 188
L’exode kurde (1991) ............................................................................ 189
La famine somalienne (1991-1993) ...................................................... 190
La guerre de Bosnie (1992-1995) ......................................................... 191
Le génocide rwandais (1994) ................................................................ 192
Résumé
v
Résumé
Cette thèse interroge la circulation d’une mémoire symbolique de la souffrance
lors des crises humanitaires majeures des années 1960 aux années 1990, en
étudiant principalement les cadrages (framings) du discours d’information de la
presse magazine américaine et française. Cette perspective historique reste en
effet absente dans la multitude de travaux (en communication, en politique, en
sociologie) sur les liens entre médias et humanitaire qui apparaissent suite aux
grandes crises humanitaires des années 1990. A tel point que nombre d’entre
eux attribuent même la naissance de certains cadrages journalistiques
(l’utilisation de la figure d’enfants innocents, les appels à l’intervention de la
ème
communauté internationale) à la dernière décennie du 20
siècle.
Au contraire, ce « tournant » visuel de la presse magazine, qui serait né lors de
la guerre civile du Biafra (1967-1970), a été exploré dans ce travail de thèse
sous forme d’une collection de six articles interrogeant la mise en sens et en
scène des souffrances et de la violence de guerre, et notamment la place de la
photographie de presse. Sur un corpus basé des quatre newsmagazines
américains et français les plus importants (Time, Newsweek, L’Express et Le
Nouvel Observateur), huit conflits armés et leurs conséquences humanitaires
ont été étudiés via des analyses de contenu, de l’image et de la sémantique.
Outre la guerre civile du Biafra, le corpus comprenait ainsi la guerre civile du
Cambodge (1975-1979), la famine éthiopienne (1984-1985), la guerre civile du
Liban (plus particulièrement entre 1982 et 1984), l’exode kurde (1991), la famine
somalienne (1991-1993), la guerre en Bosnie (plus particulièrement entre 1992
et 1994) et le génocide rwandais (1994). Pour ce faire, deux approches
comparatives ont été adoptées : d’une part, la comparaison des deux sphères
culturelles américaines et françaises. D’autre part, une comparaison interévénementielle, pour repérer la mise en place et la récupération d’une mémoire
symbolique (auto)référentielle dans les représentations médiatiques d’une
guerre à l’autre.
L’objectif du cadre théorique dans lequel s’inscrit cette thèse visait également à
s’éloigner d’études antérieures, américaines ou françaises, trop normatives sur
la thématique. Celles-ci soulignaient le caractère figé et les limites des
représentations médiatiques qui emphatiraient trop le sensationnel et
l’émotionnel. Elles émanaient aussi parfois de journalistes qui soulevaient le
problème de la médiatisation d’événements dramatiques par l’appel à une forme
de « journalisme d’attachement ». Au contraire, l’apport majeur de cette thèse,
qui s’inscrit en sciences de la communication, est sa contribution sur la théorie
et l’opérationnalisation du framing, notamment dans le champ académique
francophone qui a peu récupéré ce concept développé par les Anglo-Saxons. Il
a permis de souligner le rôle spécifique de la photographie dans le visual
framing et le priming. Toutefois, l’intérêt d’étudier le rôle de la photographie a
par nature favorisé une approche interdisciplinaire sur la culture visuelle de la
guerre telle qu’elle s’inscrit dans la sémiologie de l’image de presse et sa
dimension historique. Cette approche croisée, entre photographie, mémoire et
discours d’information, a mis en évidence deux méta-cadrages, la rhétorique
victimaire et la rhétorique accusatoire, deux composantes fondamentales de
cette mise en récit discursive et visuelle de la souffrance, fortement ancrées
vi
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
dans cette mémoire symbolique mais qui se développent au cours des
décennies 1960-1990, associées à des injonctions morales, de justice et
politiques.
Au final, les analyses effectuées au sein des articles montrent dans quelle
mesure les représentations médiatiques de la souffrance en temps de guerre
s’inscrivent en réalité sur une longue durée. Si les contextes politiques et
sociaux des périodes couvertes dans ce travail de thèse ont évolué entre les
années 1960 et 1990, ils se traduisent au sein du discours médiatique par des
choix visuels et linguistiques qui marquent une certaine permanence dans la
mise en sens de la violence de guerre et des souffrances humaines qui en
résultent bien. Ces choix permettent de questionner à quel point la visibilité et la
description de ces souffrances au sein des magazines se situent au croisement
de plusieurs rapports, que ce soit du point de vue de la culture visuelle
médiatique, du photojournalisme, de la mémoire collective et de l’histoire des
ème
conflits dans le long 20
siècle.
Un premier constat montre que le Biafra impose un modèle classique de
médiatisation qui assoit la rhétorique victimaire, dans lequel l’enfant joue un rôle
important, mais qui ne peut être limité à sa simple dimension émotionnelle.
Cette figure de l’innocence, tout comme l’ensemble des victimes et des scènes
exposées (la mort, le quotidien, la survie) sont d’abord et avant tout des réalités
chiffrées, visibles et immédiatement lisibles à la photographie de presse qui ne
saurait travailler en tant que telle sur les causes des crises. Les images de
presse servent comme des « accroches », des « agrégats symboliques » qui
permettent de questionner au-delà dans le texte les dilemmes qui sont en jeu
face à la violence. L’exhibition des enfants permet par exemple d’interroger sa
place au sein des sociétés occidentales mais s’inscrit aussi dans une politisation
du discours autour des atrocités dont ils sont victimes. A l’opposé, la figure du
bourreau au sein de la rhétorique accusatoire questionne la permanence de
certaines violences et la notion de crime de guerre, dont la perception a évolué
depuis le premier procès de Nüremberg où furent jugés les criminels nazis en
1947. Le débat sur la judiciarisation et la nécessité de condamner les violences
de guerre se reflètent dans le discours médiatique et sont en augmentation dans
les guerres des années 1990.
Un deuxième constat important, au sein des analyses effectuées, est le suivi,
dans le discours médiatique, des mutations importantes du champ géopolitique
ème
et humanitaire des dernières décennies du 20
siècle, ce qui renforce l’idée ici
que les magazines ont reflété le monde plus qu’ils n’ont cherché à l’influencer.
Pour le mettre en sens, les journalistes ont eu recours à des cadrages qui
oscillent entre une perception politique, juridique, voire même éthique de l’action
humanitaire, en parallèle des constats établis par les experts de l’aide, du
développement et des famines.
Enfin, troisième constat qui revient à repenser l’utilisation des stéréotypes et des
clichés. Interroger les stéréotypes autrement consisterait à les replacer dans la
généalogie d’images dont ils sont issus pour comprendre comment ils ont
signifié, ou signifient toujours, des univers de référence. La répétition, la
fréquence et le caractère inchangé des modèles de visualisation de la guerre et
de la souffrance, notamment via des mécanismes de cadrage visuels mais aussi
Résumé
vii
par des usages métonymiques et synecdotiques de figures ou scènes
spécifiques des crises représentées indiquent qu’il n’existe pas de modèles
alternatifs ; du moins, si ces modèles alternatifs existent, les éditeurs, directeurs
artistiques, journalistes et photographes ne les considèrent probablement pas
comme faisant suffisamment sens pour illustrer des réalités autrement plus
complexes. Il ne s’agirait donc pas simplement de remplacer une image
« cliché » par une autre qui serait plus réaliste ; il n’existe pas de réalisme dans
la photographie, mais uniquement des perceptions qui en disent beaucoup plus
sur les réalités qu’elles dépeignent et sur les sociétés qui les ont créées.
Remerciements
ix
Remerciements
J’aimerais remercier ici les personnes qui m’ont encouragée, suivie et
accompagnée tout au long de ce projet de thèse.
Mes remerciements vont tout d’abord à ma directrice, la professeure Annik
Dubied Losa, pour avoir véritablement permis à cette thèse d’exister. Elle a su
m’accorder sa confiance à une étape débutante et pourtant cruciale de ce projet,
et a su m’insuffler cette envie d’aller vers les sciences de la communication.
Qu’elle en soit ici remerciée, ainsi que pour tous les projets de recherche passés
ou à venir sur lesquels nous collaborons.
J’aimerais ensuite remercier mon père, sans lequel je n’aurais probablement
pas choisi de faire de la recherche. Merci de m’avoir montré le chemin et d’être
resté un modèle dans tout ce que peut représenter le monde académique.
Merci également à mes jurés, pour le débat d’idées et les conseils importants
qu’ils m’ont adressés.
J’aimerais aussi remercier ici des collègues, historiens et sociologues, qui ont
contribué à élargir les questionnements qui ont mené à ce projet final. Le
professeur Michel Porret, pour m’avoir fait découvrir la contribution des sciences
sociales et historiques sur la violence de guerre. Mes collègues et amis
Sébastien Farré et Jean-François Fayet, qui ont su partager très tôt leur
expérience académique et avec qui nous continuons à développer des
perspectives historiques sur l’humanitaire ; Jean-François Pitteloud, pour avoir
été le seul à ouvrir un séminaire sur l’histoire de l’humanitaire lors de mes
études.
Rien n’aurait été pareil sans l’apport et le soutien continu de mes amis et
ème
collègues du 4
étage. Que les sociologues Magali Dubey, Géraldine Bugnon,
Gaëlle Aeby, Solène Gouilhers, David Gerber, Nadia Ammar, Patricia Naegeli,
Ivan de Carlo, Vanessa Fargnoli soient remerciés ici pour leurs précieux
conseils ; j’adresse d’ailleurs un salut tout particulier au groupe des « doctorants
tâtonnants ». Merci à Maria Caiata Zufferey pour sa première relecture attentive.
Merci également aux étudiants et amis du CERAH, praticiens de l’humanitaire et
valeureux témoins du terrain, pour leur contribution et les débats passionnants
qu’ils ont pu amener en classe et en-dehors.
J’aimerais encore remercier ici le reste de ma famille, mes amis, tous ceux et
celles que j’oublie, et qui ont su s’accommoder d’un agenda bien souvent
perturbé par “La Thèse”. Merci ici pour leur confiance.
Enfin, j’aimerais adresser ce travail à Louis, qui a disparu lors de la rédaction
finale de ce manuscrit.
x
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
1. Introduction
1
1. Introduction
« Lorsqu’on s’intéresse à l’image de presse, non comme dispositif d’enregistrement, mais comme
dispositif d’écriture, force est de constater qu’elle nous dit davantage ce que le monde doit être que
ce qu’il est. Force est de constater, de ce point de vue, son efficacité à agir sur l’imaginaire collectif
par les modèles qu’elle met en place. Des modèles d’images qui, de répétitions en déclinaisons,
finissent par engendrer des stéréotypes par définition facilement assimilables. C’est-là, dans le jeu
des exemplarités que se fabriquent nos mythes. » (Bodson 2005, 10).
Ce projet de thèse est né suite à l’étude que j’ai menée sur la médiatisation de
la guerre du Vietnam dans les magazines d’actualité américains pour mon
mémoire de licence. Historienne de formation, j’interrogeais alors les
représentations de la guerre au travers d’un prisme bien spécifique, celui de la
photographie de presse. Le Vietnam est depuis considéré, dans l’histoire du
reportage de guerre et du photojournalisme, comme un « tournant » important
ayant favorisé l’apparition d’une rhétorique victimaire qui s’est traduite dans les
images de guerre par la figure dominante du civil. Cette victimisation a été
associée dans le discours journalistique, à une rhétorique accusatoire
dénonçant les exactions commises sur les civils et se focalisant, dans l’image,
par une visibilité plus accrue des crimes de guerre, à l’exemple des célèbres
photographies de Nick Ut sur la petite fille brûlée au napalm (1972) ou d’Eddie
Adams immortalisant le général Loan en train d’abattre un suspect Vietcong
dans la rue à Saïgon (1968). Cette forme de dénonciation dans l’image et le
tournant pris à cette époque par le photojournalisme avait constitué mes axes
de recherche ; j’avais alors découvert en parallèle le travail de certains de ces
photographes, comme Don McCullin, au Biafra. Bien que cette guerre civile
(1967-1970) ne puisse être comparée au Vietnam de par son contexte et ses
1
enjeux politiques, elle n’en demeure pas moins un cas d’étude très intéressant
par sa médiatisation et par l’héritage visuel de la souffrance qu’elle a laissé,
notamment dans la photographie. Or, au contraire du Vietnam qui a largement
occupé ces quatre dernières décennies les travaux académiques sur les effets
des médias, les relations entre militaires et journalistes et la géopolitique des
conflits (Hallin 1986 ; Knightley 2004), le Biafra semble occulté des études
majeures en sciences de la communication. Seuls les travaux historiques
(Mesnard 2002 ; Ryfman 2008 ; Barnett 2011) la reconnaissent comme un socle
représentationnel, c’est-à-dire comme un événement dont les représentations
médiatiques servent depuis de références aux crises humanitaires ultérieures. A
tel point que cette guerre a largement imprégné depuis le discours institutionnel
de certaines ONG telles que Médecins sans frontières (MSF), qui revendique le
1
Si l’on peut utiliser le qualificatif de guerre civile pour désigner les deux conflits, la guerre du Biafra
se traduit surtout par une mouvance sécessionniste au sein de la nation nigériane, ancienne colonie
britannique qui a acquis son indépendance en 1960. Le blocus maritime et terrestre du territoire
biafrais par les troupes gouvernementales nigérianes mènera à une famine de grande ampleur,
nécessitant des moyens humanitaires nutritionnels importants, ce qui ne sera pas le cas au Vietnam
(où la majorité des victimes sont des blessés de guerre). De plus, même si le chef du Biafra tente
d’internationaliser le conflit en demandant le soutien des puissances européennes, notamment la
France et l’Angleterre, cette guerre reste avant tout une guerre nationale et locale. Ceci n’est pas le
cas lors de la guerre civile du Vietnam, qui reste une guerre de décolonisation. Les Etats-Unis sont
largement instigateurs du conflit dès le début des années 1960, qui s’inscrit alors dans leur politique
d’endiguement du communisme.
2
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
fait qu’un récit humanitaire dans la couverture médiatique du Biafra aurait été
imposé en grande partie par les organisations de secours auprès d’une majorité
2
de journalistes occidentaux. C’est donc cette mémoire symbolique de la
souffrance qui serait née au Biafra que j’ai voulu interroger, en soulignant son
absence dans la multitude de travaux (en communication, en politique, en
sociologie) sur les liens entre médias et humanitaire qui apparaissent suite aux
grandes crises humanitaires des années 1990. A tel point que nombre d’entre
eux attribuent même la naissance de certains cadrages (framings)
journalistiques (l’utilisation de la figure d’enfants innocents, les appels à
ème
l’intervention de la communauté internationale) à la dernière décennie du 20
siècle.
Ce « tournant » visuel de la presse magazine, que je situais à l’époque aux
années 1960 déjà, a été exploré dans ce travail de thèse sous forme d’une
collection d’articles où j’ai interrogé la place de la photographie de presse dans
la mémoire symbolique de l’humanitaire. Bien que cette thèse se situe en
sciences de la communication, le champ interrogé possède des liens
indéniables avec la science politique (politique de l’aide humanitaire,
géopolitique des conflits, philosophie politique) et l’histoire (histoire des conflits
ème
au 20
siècle, histoire de l’aide humanitaire). Il aurait été impossible, vu le
temps et l’espace circonscrits pour ce travail de thèse, de développer réellement
une interrogation théorique commune à ces trois champs ; ces liens potentiels
ont néanmoins été évoqués dans cette collection d’articles, qui offrent un regard
transversal sur la manière dont histoire, mémoire et politique se reconfigurent au
sein du discours d’information sur la guerre. Plus que la guerre en général, j’ai
voulu questionner la permanence de cette mémoire symbolique au sein des
cadrages relatifs à l’action humanitaire et aux souffrances des civils, à travers
une approche comparative de deux sphères culturelles proches, à savoir les
magazines d’actualité internationale américains et français. Cette dimension
comparative me paraissait importante, afin de sortir d’une vision trop localisée
dans l’analyse médiatique, ce qui permettait de mettre en valeur les similitudes,
les différences, les convergences ou les spécificités nationales dans la
couverture des crises humanitaires. Avec le regard rétrospectif, c’est une
dimension que j’estime avoir toutefois trop peu analysée, et qui mériterait plus
ample approfondissement selon les contextes abordés.
A un deuxième niveau, j’ai choisi de dépasser une comparaison intraévénementielle (une étude de cas factuelle qui ciblerait la mise en scène
médiatique d’une guerre en particulier), telle qu’on en trouve par dizaines sur les
crises en Yougoslavie, en Somalie ou au Rwanda (voir par exemple Girardet
1995 ; Pédon et Walter 2002 ; Hammond 2004), pour une comparaison interévénementielle : comparer les représentations médiatiques d’une guerre à
l’autre permet justement de repérer la mise en place et la récupération d’une
mémoire symbolique (auto)référentielle. A tel point que l’on pourrait parler d’une
2
Le symbole, selon le sémioticien Charles Peirce (1978), appartient à la catégorie des signes qui
entretiennent une relation de convention avec leur référent. La mémoire symbolique peut donc se
qualifier comme une mémoire empreinte d’éléments conventionnels reconnaissables, tels que des
postures, des personnages, des événements historiques, et qui sert à construire du sens sur le
monde.
1. Introduction
3
3
véritable « mémoire interprétative » , ou comment l’interprétation des faits est
rendue possible par les liens mémoriels et symboliques opérés dans le discours
médiatique. Etudier les fluctuations de ces cadrages à long terme m’a donc
amenée à privilégier une approche diachronique, depuis la « crise matricielle »
du Biafra (voir article 2), jusqu’aux crises humanitaires des années 1990, en
insistant sur le rôle de la photographie. Mon objectif principal a été de combler
en partie le manque d’analyses, en Media Studies, portant sur une mémoire
interprétative de l’humanitaire telle qu’elle est construite et appréhendée dans le
discours médiatique occidental. Cela m’a permis de vérifier mon intuition d’alors
en situant la naissance de cette mémoire symbolique et visuelle de la souffrance
dans la période charnière de la fin des années 1950-1960 ; elle est pour moi
profondément liée aux représentations médiatiques et photographiques et le rôle
4
que jouent les médias dans la transmission de la mémoire collective de la
Deuxième Guerre mondiale et du Biafra.
L’apport majeur de cette thèse, qui s’inscrit en sciences de la communication,
est sa contribution sur la théorie et l’opérationnalisation du framing, notamment
dans le champ académique francophone qui a peu récupéré ce concept
développé par les Anglo-Saxons. Toutefois, l’intérêt d’étudier le rôle de la
photographie a par nature favorisé une approche interdisciplinaire sur la culture
visuelle de la guerre telle qu’elle s’inscrit dans la sémiologie de l’image de
presse et sa dimension historique. J’ai par conséquent choisi d’ouvrir sur une
étude qui verrait les images comme des couches superposées de mémoires aux
histoires et origines différentes, mais servant de « moule » identique (cadrage)
d’expression du malheur dans son sens le plus large. Je suis partie du postulat
que ce « déchiffrement symbolique de la douleur » (Mesnard 2002, 55) était une
nécessité dans la construction sémiotique du message d’information et qu’il
reste un univers de référence dans l’imaginaire des photographes. J’ai privilégié
cet aspect, qui a été amorcé récemment par les travaux de Barbie Zelizer sur
les standards photographiques élaborés sur la familiarité, la fréquence et
l’esthétisme des images de presse (2004), mais qui est aussi l’une des seules, à
ma connaissance, à aborder sur la longue durée les liens entretenus entre
l’image et son inscription sémiotique, son indexicalité, sa narration visuelle, ainsi
que sa propension à la connotation (1998).
Cette approche croisée, entre photographie, mémoire et discours d’information,
m’a permis de mettre en évidence deux méta-cadrages, que j’ai nommés
rhétorique victimaire et rhétorique accusatoire. Mes analyses ont démontré que
ce sont deux composantes fondamentales de cette mise en récit discursive et
visuelle de la souffrance, fortement ancrées dans cette mémoire symbolique
3
Je remercie Annik Dubied Losa pour m’avoir suggéré ce terme.
Selon la définition de l’historien Pierre Nora : « En première approximation, la mémoire collective
est le souvenir ou l’ensemble des souvenirs, conscients ou non, d’une expérience vécue et/ou
mythifiée par une collectivité vivante de l’identité de laquelle le passé fait partie intégrante » (1978,
398). En réalité il faut distinguer entre « mémoire historique » et « mémoire collective » (Halbwachs
1997), et donc les usages interprétatifs variables et sujets à caution qui sont faits du passé, selon les
communautés ou les politiques, par rapport à l’interprétation scientifique qui en est faite par les
historiens. Dans ce travail, je prends la notion de mémoire collective comme une vision non
historiographique produite par les médias, qui leur sert à interpréter le présent au regard des
événements du passé ; les médias jouent donc un rôle important dans la transmission de cette
mémoire collective et des représentations privilégiées qui lui sont associées.
4
4
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
mais qui se développent au cours des décennies 1960-1990 ; je les annonce ici
en les définissant, car ces termes marquent mon développement théorique par
la suite. La rhétorique victimaire se caractérise par l’apparition dans le récit
médiatique linguistique et visuel, d’une focale particulière sur des catégories de
souffrants (enfants, femmes, vieillards, mais aussi combattants blessés,
prisonniers ou soldats occidentaux) qui induit une hiérarchie sur le statut de
victime. Ces récits comportent une charge émotionnelle forte marquée par la
5
compassion , accentuée par l’image, et amènent parfois à des injonctions
morales pour inciter les lecteurs à s’investir. Cette injonction morale doit
s’entendre dans le sens d’un discours qui cherche à faire réagir son destinataire,
sous une forme incitative mobilisant des émotions (honte, culpabilité, empathie,
compassion, colère, outrage, etc.).
La rhétorique accusatoire désigne elle des récits médiatiques qui s’intéressent à
la dénonciation du coupable et la description de ses actes. Ces récits
comportent également une forte charge émotionnelle parce qu’ils désignent des
actes de violence, mais s’accompagnent aussi d’une dimension accusatoire et
réparatrice, et ouvrent donc à des injonctions de justice, soit un discours incitatif
qui adopte un ton réprobateur, condamnatoire et soulignant le besoin de justice
(l’appel au jugement des criminels de guerre par exemple). Au final, on peut
même argumenter de la dimension politique de l’ensemble de ces injonctions,
non pas sur le plan géopolitique lui-même (elles n’ont pas une fonction
coercitive), mais comme une critique de l’inaction des gouvernements et de
l’inefficacité de l’aide internationale ; ce qui constituerait en quelque sorte à
ramener, via ces injonctions, une dimension affective dans le politique, si l’on
reprend l’idée d’une « politique de la pitié » selon Arendt (1967).
Je précise aussi que l’une comme l’autre de ces rhétoriques sont qualifiées ainsi
sans connotation normative ; il ne s’agissait pas pour moi de me prononcer sur
leur survenue comme un élément bienvenu ou problématique, mais de saisir
leur dimension de « cadrage ». C’est-à-dire, pour revenir au travail journalistique
opéré derrière de tels choix, comment ces crises humanitaires dont la nature
violente et émotionnelle interpelle forcément journalistes et photographes qui en
sont témoins, sont perçues à travers des schèmes d’interprétation soulignant les
dilemmes entre nécessité de rester neutre ou de s’impliquer.
Ces rhétoriques de la victime et du coupable impliquent aussi un modèle
d’agentialité humaine ; c’est la raison pour laquelle j’ai choisi de limiter ce travail
à une catégorie de « crises humanitaires », les guerres, qui relèvent de
contextes où la causalité du risque est humaine – et non « naturelle », comme le
sont les catastrophes liées au climat ou aux aléas terrestres (tsunamis, typhons,
6
etc.). Les événements étudiés ici (que je décris ci-après) concernent donc
5
Je n’entrerai pas ici dans la longue démarche que serait une analyse à la fois sociologique,
philosophique, sémantique de l’étymologie du mot « compassion ». Je me réfère simplement aux
travaux du sociologue Christopher Williams sur la compassion dans la société moderne, qui définit le
terme dans le sens d’expérimenter "the suffering of others in such a way that we are compelled to
act towards its alleviation." (2008, 8).
6
L’évolution de l’action humanitaire tout au long du 20ème siècle concerne des interventions lors de
catastrophes de tout type, notamment les catastrophes naturelles ou humaines, les épidémies, les
famines, les violations des droits de l’homme, le développement, l’exclusion sociale (Ryfman 2008;
Barnett 2011). Je n’entrerai pas ici dans les débats qui animent une partie des politologues,
1. Introduction
5
uniquement des conflits armés et leurs conséquences (famines, exode des
réfugiés, violences génocidaires ou ethniques) sur l’espace social et civil, et la
manière dont ils ont été mis en scène et en sens dans le discours médiatique.
Cette mise en récit visuelle m’a évidemment amenée à interroger la place du
stéréotype au sein de ce discours, et plus largement à tout l’imaginaire auquel
renvoient les représentations de l’humanitaire. Cette relation triangulaire entre
représentation – imaginaire – stéréotype nécessite un éclairage conceptuel au
préalable, tant elle lie des termes aux contours flottants et aux définitions floues,
tantôt employés comme synonymes, tantôt s’excluant. Notons qu’il y a derrière
ces termes toute une dimension cognitive que la psychologie sociale a
largement développée, notamment dans l’étude des représentations sociales qui
peuvent se définir comme « un ensemble organisé et hiérarchisé des
jugements, des attitudes et des informations qu’un groupe social donné élabore
à propos d’un objet » (Abric 1996, 11). On peut donc lier le contenu de ces
représentations sociales à des opinions, des jugements de valeur mais aussi
des stéréotypes (Moscovici 1961), basés sur des schèmes cognitifs
reconnaissables et partagés par un groupe social donné. Les médias tiennent
d’ailleurs une place importante dans la logique communicative de ces
représentations sociales, puisqu’ils s’y réfèrent pour créer du sens et du
consensus parmi leur public.
Les travaux du linguiste Patrick Charaudeau (2007) sur les liens entre
stéréotypes et imaginaires me semblent à ce niveau intéressants pour
comprendre comment ils s’inscrivent dans le discours d’information. Bien qu’il
soit avant tout un spécialiste du langage, j’estime que les considérations qu’il
pose sur la constitution des stéréotypes s’appliquent plus généralement à un
autre support de la représentation – avec laquelle le verbal entretient un lien fort
– l’image. Pour Charaudeau, qu’il s’agisse de stéréotype ou de représentation,
les deux concepts entretiennent avant tout un rapport avec la réalité ou le réel,
ce qui nécessite une distinction : la réalité pourrait ainsi être désignée comme
« le monde empirique », alors que le réel est « le monde tel qu’il est construit »
(2007, 50). La réalité est donc formatée – dans le discours d’information – pour
devenir réel ; et dans ce processus de formatage, la photographie est
essentielle, puisqu’elle entretient un rapport plus direct avec la réalité dont elle
prétend être le reflet ; c’est toute la dimension analogique de la photographie de
presse que j’aborderai plus bas.
Ces représentations, stéréotypées ou non, s’appuient également sur un
imaginaire. Si Charaudeau situe plusieurs courants à l’origine de diverses
définitions et postures de l’imaginaire, je préfère, comme lui, retenir la
perspective anthropologique, qui voit l’imaginaire comme un rituel social associé
aux mythes et légendes :
L’imaginaire est un mode d’appréhension du monde qui naît dans la mécanique des
représentations sociales, laquelle, on l’a dit, construit de la signification sur les objets
du monde, les phénomènes qui s’y produisent, les êtres humains et leurs
comportements, transformant la réalité en réel signifiant. Il résulte d’un processus de
géologues, climatologues et spécialistes de la sécurité alimentaire sur le caractère « humain »
(human-made disasters en anglais) de certaines catastrophes naturelles, notamment les famines qui
seraient principalement politiques.
6
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
symbolisation du monde d’ordre affectivo-rationnel à travers l’intersubjectivité des
relations humaines, et se dépose dans la mémoire collective. Ainsi, l’imaginaire a
une double fonction de création de valeurs et de justification de l’action. (2007, 53)
On retrouve donc ici une posture qui rejoint le processus de « mémoire
interprétative » évoqué plus haut : les médias véhiculeraient un ensemble de
représentations sociales liées aux crises humanitaires (qui contribuent à la
construction de sens donné à l’événement), en s’appuyant sur un imaginaire (la
symbolique employée ou évoquée), qui se transcrit dans le message
d’information par une logique discursive et iconographique. Le stéréotype –
verbal ou visuel – n’est alors qu’un jugement de valeur en jeu dans les
représentations sociales en circulation.
Encore une fois, je précise ici que je n’ai pas voulu adopter de posture critique
qui irait vers la prise de position. Il me semble au contraire, comme le souligne
Jean-Marc Bodson dans la citation introductive, que le stéréotype est une
conséquence inévitable des modèles d’images qui circulent certaines visions du
monde, et que l’intérêt de l’étude scientifique telle qu’elle est conçue ici consiste
à les décrire précisément pour comprendre comment ils donnent du sens, plus
qu’à les juger. Si les photographies de presse stéréotypisent, particulièrement
dans les représentations liées à des événements violents et traumatiques
comme le sont les guerres ou les famines qui en découlent, c’est bien justement
pour jouer sur des effets de pathos. Je considère donc ici le stéréotype comme
une forme de catégorisation, qui permet de qualifier et comprendre les choses
que nous voyons selon des catégories pré-établies, culturellement inscrites et
de créer des « raccourcis », ou « quelque chose d'immédiatement
communicable et assimilé par les individus » (Villain-Gandossi 2001, 28), et mon
apport a consisté à les décrire comme des catégories de sens et non comme
des catégories de jugement, ce qui avait été peu fait jusque-là.
Cette perspective m’a paru particulièrement intéressante à appliquer au cas des
magazines d’actualité, qui s’appuient en effet sur un imaginaire et une imagerie
(la photographie de presse principalement, mais aussi le dessin de presse et les
logos), qui montrent comment la société occidentale voit le monde et s’y inscrit.
Ils permettent de considérer la photographie de presse, au sein de leurs mises
en récit visuelles, comme un « acte d'écriture », une véritable « mythographie »
qui s’inscrit dans un dialogue entre analogie et symbolisme (Lambert 1986). Or,
l’humanitaire dans sa conception historique s’est construit en référence à des
univers mythiques : la tradition judéo-chrétienne, la solidarité, l’humanisme, la
charité, le secours, la pitié, mais aussi la guerre, la violence, la famine, le
colonialisme, l’ethnocentrisme et le nationalisme. Il s’appuie aussi sur une
imagerie qui alimente cet imaginaire sous la forme d’événements référents et
d’icônes ancrées dans la mémoire collective qui forment le socle de cette
iconographie inscrite dans la photographie de presse.
J’ai par conséquent interrogé ces référents au travers de deux caractéristiques
de la photographie. Premièrement, la tension qui réside en elle entre dénotation
et connotation. Je me situe ici clairement dans la lignée de Roland Barthes, qui
a développé ces deux aspects de la photographie ; je retiendrai donc le concept
de dénotation comme celui de l’image littérale, descriptive et objective, et le
1. Introduction
7
concept de connotation comme celui de l’image symbolique, culturelle (1964,
7
45-51). La photographie de presse a en effet entretenu un lien historique avec
la souffrance et la mort, en servant de moyen privilégié d’enregistrement des
atrocités les plus violentes qui a favorisé son usage dénotatif dans la presse
comme moyen d’illustration (Buton 2002; Gervereau 2003). Ce constat peut
toutefois être nuancé si l’on s’interroge sur les limites référentielles de la
photographie : si elle a contribué à l’inscription dans la mémoire visuelle de très
nombreuses guerres, elle perd complètement sa propension à la
contextualisation sur la longue durée. Ceci est dû à la contradiction entre la
temporalité plus ou moins longue de la catastrophe et la trame de son
enchaînement par rapport à l’éclairage « fragmentaire » qu’offre la
photographie, ce qui appauvrit donc complètement sa capacité d'analyse (la
recherche des causes) sur le phénomène autrement plus complexe que peut
être la guerre. Je pense donc qu’il faut avant tout saisir la signification donnée à
une photographie comme « conditionnée par son contexte » (Solomon-Godeau
2010, 57). La photographie est donc prise dans une tension entre contexte de
production et contexte de diffusion, mais aussi dans sa propension à la
connotation. Le symbolisme dont elle fait preuve, en évoquant ou perpétuant
des scènes mille fois aperçues, fait qu’on peut la voir plutôt comme un produit
culturellement construit, basé sur une familiarité véhiculée par les médias
(Banks 1994; Zelizer 2005).
Deuxième caractéristique de la photographie de presse, son statut d’icône, qui
dépend largement du sens qu’on lui attribue. La notion d’icône doit s’entendre ici
non dans le sens peircien, c’est-à-dire comme un signe qui entretient une
relation de ressemblance avec l’objet (du terme grec eikon, image ou réflexion),
mais comme une icône photojournalistique. Ainsi, toutes les images sont
iconiques mais toutes ne deviennent pas des icônes, à savoir des images ayant
atteint un certain niveau de célébrité, dont on se souvient. Ce sens a été perçu
par certains spécialistes de l’image comme avant tout déterminé par le discours
des élites (politiciens, journalistes, commentateurs, experts) dont l’avis
« impose » en quelque sorte leur perception de telle ou telle image et
l’importance de ce qu’elle représente sur les publics (Perlmutter et Wagner
2004). Il me faut préciser là que je n’ai pas procédé à des études de réception,
qui seules pourraient aider à comprendre comment les publics reçoivent,
comprennent et acceptent le sens attribué à ces icônes. Mais j’ai aussi choisi
d’intégrer dans mon corpus des éditoriaux ou des encarts dans la rubrique du
courrier des lecteurs quand ils apparaissaient dans mon corpus, qui montraient
à quel point l’utilisation de ces icônes pouvait être également un lieu de dispute
pour leur signification, obligeant parfois les rédacteurs des magazines à justifier
leur choix. Au final, j’ai été amenée à travailler sur une catégorie d’icônes, selon
les critères de David Perlmutter (1998, 11) : les icônes « génériques », dans
lesquelles certains éléments sont répétés fréquemment, malgré des
7
Barthes précise cependant qu’il est très rare de voir une image purement littérale, c’est-à-dire
débarrassée de sa dimension connotative, symbolique. J’adhère en ce sens totalement avec lui, et
estime que c’est ce qui renforce la nature polysémique de la photographie, et qui empêche donc un
usage purement dénotatif (illustratif et descriptif) dans le discours d’information.
8
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
sujets/époques/lieux différents, de sorte que cette scène d'origine devient un
8
« cliché » visuel.
L’agencement de l’image de presse et son rôle au sein des cadrages, ou cadres
d’interprétation présents dans la presse magazine émanent par conséquent
d’une approche constructiviste des médias. Celle-ci admet que la réalité est
mise en sens par les journalistes en utilisant des schèmes de perception
facilement repérables et identifiables par les publics, et ceci par deux étapes: la
sélection des informations et leur catégorisation. Je souligne d’ailleurs que
j’utilise indifféremment les termes de « cadrages » ou « schèmes
d’interprétation ». Ce dernier est cité par Goffman lui-même dans Frame
analysis (1974) où il parle indifféremment de cadres ou schèmes interprétatifs.
Entman fait aussi le lien entre les « frames » et les « schemata » en précisant
que les cadres sont renforcés parce qu’ils fonctionnent sur des schèmes
culturels (1993, 52-53). Le schème se rapprocherait donc de l’idée d’une
« formule » ou d’un « scénario », que le linguiste Jean-Louis Dufays distingue
comme des « stéréotypies "neutres" », dans lesquelles il classe les « schémas,
scripts, "frames", structures ». Elles se différencient des « stéréotypes
ordinaires » qui sont « axiologiquement problématiques et réversibles » (2004,
26). Cela me permet d’affirmer encore une fois que ces cadrages, même
considérés comme des stéréotypies, fonctionnent comme des catégories de
sens et non des normes.
Cette vision rejoint complètement la théorie développée par le framing, et m’a
permis de souligner le rôle spécifique de la photographie dans les mécanismes
de cadrage. Elle est elle-même une sélection (un fragment cadré) et une
catégorisation (l’expression d’un point de vue) qui amène un élément
supplémentaire au cadrage du récit médiatique, ou qui insiste sur l’une des
caractéristiques saillantes du cadrage mis en place, de telle sorte que l’on peut
9
dire qu’elle « prime » ou renforce le texte. J’ai donc travaillé sur la construction
de ces cadrages et non sur leur imposition dans les agendas politiques, d’où
découle toute la théorie de l’agenda-setting, connexe au concept de framing.
Cette discussion sur l’agenda médiatique semble en effet monopoliser
l’ensemble des travaux qui s’intéressent à la relation entre médias et
humanitaire ou sur une sociologie politique de la communication (pour une
bonne revue de la littérature produite, voir Boettcher 2004 ; Bloch-Elkon 2007).
Toutefois, je ne peux nier que cet aspect vienne en écho dans mon analyse,
quand j’ai abordé des conflits armés ayant engendré une intervention militarohumanitaire internationale, comme ce fut le cas au Liban et en ex-Yougoslavie
notamment. Mais je n’ai pas eu comme objectif d’évaluer dans quelle mesure
les contenus médiatiques étudiés étaient repris ou non, dans les agendas
politiques américains ou français.
Au final, j’adopte une posture qui voit les mises en scène médiatiques des
événements comme des « révélateurs symboliques » du lien social
(Arquembourg 2006, 16). D’autres critères et intérêts politiques, économiques,
8
Selon Frédéric Lambert, le cliché est une « représentation à l'intérieur d'une photo de presse qui,
sans exclure l'actualité, fait de l'image un lieu commun, du déjà vu. » (1986, 95). J’en retiens ici
l’idée d’une image qui comporte des éléments à la fois reconnaissables et figés dans le temps.
9
Issu du terme anglais priming (voir notamment Griffin 2004).
1. Introduction
9
structurels sont bien entendu en jeu dans l’attention accordée par les médias
aux actualités internationales, mais que je n’ai pas abordés dans ce travail de
thèse qui s’intéresse aux contenus médiatiques, et donc aux choix sémantiques
et visuels faits par la presse magazine. Ces choix s’opèrent notamment via une
sélection (gate-keeping), sur des critères définissant la valeur informative
(newsworthiness) d’un événement, ceux-ci regroupant de manière plus ou
moins consensuelle : l’opportunité, la proximité, l’impact, l’intérêt, le
sensationnel, la saillance, la nouveauté (Chang, Shoemaker, et Brendlinger
1987, 398 ; Palmer 2003 ; Garcia et Golan 2008). Parmi ces critères, la
photographie de presse est centrale parce qu’elle impacte émotionnellement,
parce qu’elle réitère, parce qu’elle est sensationnelle, et ce d’autant plus quand
elle représente le conflit, la violence et la mort. Toutefois, tout fait sur la scène
internationale n’est pas destiné à devenir événement dans le discours
médiatique ; cela dépend pour cela des critères cités plus haut mais aussi de
son lien avec le passé, de sa « nature discursive » et de sa « nature
symbolique » (Garcin-Marrou 1996, 49). Les « crises humanitaires » ne sont
donc pas des événements en soi, mais des situations qui découlent d’une
rupture dans l’ordre des choses (la guerre, la famine ou les déplacements de
population, dans le corpus étudié ici), qui offrent un potentiel pour cette mise en
événement du récit discursif et visuel, avec une temporalité, une causalité et
une agentialité. Elles permettent de travailler sur la nature symbolique du lien
social en jeu, car elles mettent en scène bien souvent des réalités plus ou moins
lointaines dans laquelle une communauté de souffrants (les victimes) s’expose
au regard d’une communauté de spectateurs (les lecteurs des magazines) au
sein d’un discours qui cherche à construire du lien empathique. Elles sont
surtout spectaculaires, car elles impliquent la mort souvent massive d’individus,
d’où leur forte charge affective qui génère « d’autant plus l’émotion et la
sensation » (Lits 1999, 4) et elles s’avèrent donc hautement photogéniques.
Avant d’aborder la structure et la présentation des six articles auxquels ma
démarche empirique a mené, je commencerai par exposer la méthodologie
adoptée pour les recherches empiriques que j’ai menées. Puis je présenterai les
tensions critiques qui fondent une partie des théories sur les représentations
médiatiques de la souffrance, avant d’exposer plus largement l’approche que j’ai
cherché à mettre en place dans ce travail de thèse, qui me permet de dépasser
ce discours théorique en partie normatif pour retravailler sur le fondement des
mécanismes de construction du discours d’information visuel et sémantique.
Enfin, un chapitre conclusif à la fin de cette thèse me permettra de revenir plus
largement sur les implications des résultats obtenus et les perspectives qu’ils
ouvrent.
1.1 Méthodologie
Dans l’optique comparative qui était la mienne, j’ai donc voulu travailler sur un
corpus occidental basé sur une sélection de la presse magazine hebdomadaire
américaine et française, consacrée à l’actualité internationale et nationale. J’ai
sélectionné pour chaque pays concerné les deux titres ayant le plus gros tirage,
10
11
soit les magazines Time et Newsweek pour les Etats-Unis, et les magazines
10
Time est fondé en 1923 par Henry Luce et Britton Hayden, dont l’empire de presse s’agrandira de
10
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
12
13
L’Express et Le Nouvel Observateur pour la France. L’intérêt d’une telle
comparaison repose d’abord sur la similitude des supports ; le format A4,
instauré par le fondateur du Time Henry Luce en 1923, sera repris par
Newsweek en 1933 puis par les deux magazines français dans les années
1960. La structure des magazines est similaire : couverture avec titre en haut et
photographie pleine page, structure divisée ensuite en rubriques internationale,
nationale, économique, politique, culturelle et sociale. Leur table des matières
met en valeur certaines actualités de la semaine par un encart avec photo et
résumé des faits. Ces quatre magazines s’adressent à un lectorat relativement
similaire, composé dans l’ensemble de la classe moyenne et supérieure ainsi
que les cercles politiques (Charon 2001 ; Sumner 2010). Les reportages
s’organisent sous la forme d’un condensé des informations hebdomadaires qui
leur permet de revenir sur les moments-clés de l’actualité passée, mais aussi,
comme le soulève Michael Griffin, de récupérer et renforcer les cadrages visuels
établis précédemment par la presse quotidienne et la télévision (2004, 382). Ils
oscillent donc entre analyse et opinion, favorisant également une certaine
esthétique sur papier glacé, avec une part non négligeable réservée au
photoreportage, ce qui m’a permis de comparer ces contenus dans le temps, en
trouvant parfois des photographies identiques d’un numéro à l’autre.
La récolte du corpus a pu être effectuée grâce aux collections des magazines
disponibles dans les bibliothèques de Genève : la bibliothèque de l’ONU
possède ainsi la collection quasi-complète de Newsweek et de Time, la
Bibliothèque Publique de Genève celle du Nouvel Observateur et de L’Express.
Chaque page a été photographiée pour pouvoir ensuite être archivée et utilisée
plus facilement sur un logiciel d’analyse de contenu. Pour les numéros
manquants, je les ai achetés directement auprès des rédactions concernées ou
sur un site américain spécialisé dans la revente de vieux numéros de
14
magazines. J’ai sélectionné au final l’ensemble des couvertures, des tables
des matières, des éditoriaux, des reportages écrits et photographiques de la
rubrique internationale relatifs aux conflits sélectionnés. Au final, plus de 900
articles ont été analysés, soit 3111 pages.
Ils sont tous relatifs à une série de 8 conflits armés, dont certains ont engendré
des épisodes de famine ou d’épidémies : la guerre civile du Biafra (1967-1970),
la guerre civile du Cambodge (1975-1979) la guerre civile du Liban, et plus
particulièrement l’intervention israélienne lors de l’opération « Paix en Galilée »
(1982-1984), la famine éthiopienne (1984-1985), la guerre au Kurdistan d’Iraq
nombreux titres de presse dont Fortune et Life. Time passe de 1'212'577 exemplaires en 1960, à
4'373'796 exemplaires en 1971 (Sumner 2010).
11
Newsweek est créé en 1933 par Thomays Martyn, ex-journaliste du Time ; racheté en 1961 par le
Washington Post, le magazine voit sa diffusion augmenter : de 1'411'552 exemplaires en 1960, il
passe à 2'698'856 exemplaires en 1971 (Sumner 2010).
12
L’Express naît en 1953 par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud. Transformé en
véritable newsmagazine en 1964, il passe de 199'000 exemplaires en 1961 à 614'000 exemplaires
en 1973, puis à 507'000 exemplaires en 1981. En 1978, le magazine est vendu à James Goldsmith
(Feyel 2001).
13
Le Nouvel Observateur est créé en 1950 par Claude Bourdet sous le nom de France Observateur.
Il adopte son nom actuel dans la refonte du magazine en magazine d’actualité en 1964. Il est alors
dirigé par Jean Daniel. Il diffuse 385'000 exemplaires en 1981 (Feyel 2001).
14
Voir <http://www.pastpaper.com> (dernière consultation le 9 août 2013).
1. Introduction
11
(1991), la guerre en Bosnie, et plus particulièrement le siège de Sarajevo (19921994), la guerre civile et la famine en Somalie (1991-1993), le génocide au
Rwanda (1994). Le choix de ces crises humanitaires tient d’une part pour leur
place dans l’histoire des interventions humanitaires et la médiatisation qui en a
résulté. D’autre part, c’est justement cette transversalité du regard, sur des
espaces géographiques différents mais également espacés dans le temps, qui
m’intéressait pour évaluer la permanence de cette mémoire symbolique, visuelle
et sémantique.
Afin de répondre à mes interrogations tout en nuançant les constats
précédemment établis par les études antérieures, j’ai choisi de m’inspirer d’une
approche qualitative et inductive, partiellement fondée sur la grounded theory
(Strauss et Glaser 1967 ; Corbin et Strauss 1990), qui se définit par un
processus itératif permanent entre la collecte des données, leur exploration et la
constitution des questions de recherche. Celle-ci m’a permis de me fonder sur
une démarche empirique, pour remonter ensuite à la théorie en collectant mon
corpus, tout en définissant les bornes chronologiques et géographiques
adoptées pour cette thèse. Le cas des mécanismes de cadrage par exemple
(Ghanem 1997), que je n’avais pas encore en tête au moment de la récolte du
corpus, s’est imposé de manière intuitive à la lecture exploratoire des premiers
numéros consultés. Il était évident que les titres, images, graphiques et citations,
dans la manière dont ils crochaient immédiatement le regard et orientaient la
lecture des articles, joueraient un rôle dans l’analyse. De même, j’ai aussi
intuitivement repéré les mécanismes de cadrage en-dehors des articles, qui ont
aussi orienté la sélection des rubriques à inclure dans le corpus ; il s’agit
notamment du rôle joué par les couvertures des magazines, quand elles
mettaient à l’agenda médiatique l’un des conflits sélectionnés, ainsi que la table
des matières, quand elle mettait en valeur sous la forme d’un encadré le conflit
en question. Ce qui confirme l’idée de Bandeira de Mello et Gerreau selon
laquelle il n’y a pas de résultats « invalidants » ou « d’incidents négatifs » en
grounded theory (2011, 180), mais plutôt des résultats qui forcent à réorienter la
théorie en fonction des phénomènes observés.
Je ne pouvais toutefois prétendre à une véritable démarche inductive car j’avais
des références conceptuelles applicables. Mais il s’agissait donc d’avancer en
se basant sur des concepts très généraux pour me guider. Ces concepts étaient
plus de l’ordre de la sensibilisation au sujet traité que des lignes claires,
définitives, sur ce que je cherchais. On se rapproche ici de l’idée du « sensitizing
concept » développé par le sociologue Glenn Bowen : « A sensitizing concept
lacks such specification of attributes or bench marks and consequently it does
not enable the user to move directly to the instance and its relevant content. (…)
Whereas definitive concepts provide prescriptions of what to see, sensitizing
concepts merely suggest directions along which to look » (2006, 13‑14). Ces
concepts « sensibilisants » étaient pour moi liés à l’énonciation de la crise (la
labellisation des événements, les thématiques liées à sa mise en récit,
l’utilisation de témoignages du journaliste, des humanitaires, des survivants) ;
aux acteurs présents (journalistes, humanitaires, politiciens, civils, militaires) ; à
la typologie des victimes et des souffrances ; enfin, aux références historiques
utilisées. Je les ai donc plutôt utilisés comme des pistes directives qui m’ont
servi à construire ma grille de codage (voir Annexe 1), qui ont été retravaillées et
12
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
développées en l’espace de deux ans, entre 2007 et 2009, alors que je
collectais le corpus et commençais les premières analyses exploratoires.
Analyser les cadrages médiatiques implique toutefois des risques, notamment
dans la manière de les identifier. Dans l’étude qu’il mène sur l’approche
empirique des cadrages, Tankard tente justement de proposer une méthode qui
permet de gérer la subjectivité du chercheur, que j’ai en grande partie suivie
(2001, 101‑102). En plus des mécanismes de cadrage sur lesquels il convient
particulièrement d’insister, l’analyse des cadres est passée par les étapes
suivantes : faire une liste des cadrages possibles en se basant sur la revue de
littérature disponible ; trouver les mots-clés, expressions et symboles liés aux
cadrages ; utiliser ces cadrages comme catégories pour l’analyse de contenu ;
coder. La méthode décrite par Tankard correspond donc à celle d’une analyse
de contenu inductive, qui permet de vérifier empiriquement la présence – ou non
– et la répétition des concepts.
J’ai donc procédé en premier lieu à une analyse de contenu en disséquant les
éléments des cadrages selon les éléments de la grille de codage citée cidessus. Je précise qu’il ne s’agissait pas d’effectuer une analyse purement
thématique des contenus. Stephen Reese (2007) souligne d’ailleurs les
nombreux mésusages du framing, souvent considéré comme un équivalent de
l'analyse de contenu, où le frame serait employé comme un synonyme pour
repérer les sujets ou thématiques traités. Je reprends donc ici sa définition, qui
insiste d’ailleurs sur l’idée que tout recours empirique à l’analyse du cadre doit
montrer en quoi il organise ou structure, sinon il est inutile d’utiliser ce concept :
News stories must select certain aspect of reality and emphasize them, but Entman's
definition begs the question of how they are organized "in such a way as to promote"
their effects. It is precisely the way that certain attributes come to be associated
with particular issues that should concern framing analysis. Is has been a major step
forward in the empirical tradition to appreciate that there are features that, when
taken together, tell a larger tale than the manifest story. The framing project opens
up more room for interpretation, captures a more dynamic process of negotiating
meaning, and highlights the relationships within discourse. (2007, 152).
C’est précisément cette manière de structurer, les attributs (sémantiques,
visuels, historiques) associés aux contenus que j’ai relevés dans l’analyse de
contenu. Ma démarche incluait donc de repérer à la fois les thématiques
traitées, les acteurs, les faits, mais aussi les qualificatifs employés pour désigner
les crises et les images associées.
Cette analyse de contenu qualitative sur l’ensemble des images et des textes
s’est faite via le logiciel Atlas.ti, qui permet de « disséquer » les contenus selon
des catégories thématiques. Atlas.ti est un logiciel dans la catégorie des
CAQDAS. Il permet de traiter une quantité illimitée de données et accepte
quasiment tous les supports de fichiers. Le propre de ce type de logiciel permet
un traitement transversal des données, quelle que soient leur nature, du point de
vue des contenus. Il appartient à la catégorie des logiciels réflexifs (Lejeune
2010), c’est-à-dire qu’il permet d’explorer et d’analyser, et par conséquent
d’assister le chercheur dans sa réflexion au fur et à mesure qu’il analyse son
corpus, questionne les concepts, crée ses questions de recherche. L’opération
de codage et de création des catégories reste donc propre au chercheur. Il
facilite surtout le processus de codage, selon une forme ouverte et sélective
1. Introduction
13
(Strauss et Corbin 2003, 372). Cette analyse par codage, puis par
regroupement, a conduit aux principales catégories de l’analyse de contenu (voir
Figure 1, Annexe 2). Ces catégories ne sont pas des cadrages ; elles
regroupent simplement des thématiques et des attributs communs qui
permettent de les catégoriser comme des éléments récurrents et constitutifs des
cadrages (voir Figures 2 à 5, Annexe 2). Le cadrage est le résultat de la
combinaison de ces différents éléments ; par exemple, ce que je définis comme
un cadrage humanitaire repose à la fois sur l’emploi, la répétition et la mise en
valeur de thématiques et d’éléments relatifs aux acteurs humanitaires et aux
secours, à la typologie des victimes et à la typologie des violences. Un cadrage
peut d’ailleurs alterner, au sein du même article, avec un autre. Au final, j’en ai
identifié cinq :
1. Le cadrage humanitaire (acteurs humanitaire et secours, typologie des
victimes, des violences, des manières de mourir)
2. Le cadrage militaire ou militaro-humanitaire (combats, protagonistes du
combat, ingérence internationale, oppresseurs)
3. Le cadrage politico-diplomatique (intervention internationale, relations
diplomatiques, intérêts politiques, négociations de paix)
4. Le cadrage historique (causes des conflits, protagonistes des conflits,
parallèles historiques)
5. Le cadrage juridique (jugement des crimes de guerre, qualification des
conflits, typologie des violences, oppresseurs)
J’ai employé ensuite en complément une approche sémiotique sur des extraits
spécifiques du corpus (voir la présentation des articles pour une description
détaillée) ; d’une part par une analyse de l’image classique, de type stylistique et
iconique (Joly 1993), tout en insistant sur des éléments sémiotiques spécifiques
de la photographie : sa propension à l’analogie et son indexicalité, à la
synecdoche et à la métonymie, mais aussi ses propriétés dénotatives et
connotatives (Griffin 2004). Cela m’a permis de revenir et d’affiner la théorie sur
le « langage » visuel et le visual framing.
Enfin, dans une moindre mesure (pour les articles 3, 4 et 6), j’ai travaillé plus
spécifiquement sur les titres des articles et certains extraits de récits
journalistiques ou de survivants, au moyen d’une analyse sémantique. Celle-ci
m’a permis de revenir plus finement sur le langage employé pour la description
des violences, notamment en ce qui concerne la dicibilité de la mort et de la
souffrance, et de ceux qui la donnent.
Je précise enfin que je n’ai pas cherché, dans les analyses empiriques menées,
à établir une comparaison entre la réalité « perçue » par les magazines et la
réalité nue, brute, vraie et authentique. Ce n’est pas le but du chercheur en
Media Studies d’estimer ce qui correspond à la réalité, puisqu’il n’existe pas de
réalité en tant que telle (quand bien même il existe des interprétations
historiques et politiques des événements décrits), mais uniquement des
perceptions, des mises en sens, des constructions. Elles sont une interprétation
de la réalité décrite, et peuvent dont s’éloigner plus ou moins de celle-ci, la
façonner :
L'article journalistique est inévitablement le résultat d'une construction: il est à la fois
le produit d'un regard porté sur la réalité et d'une mise en forme discursive
14
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
particulière (un article qui relève d'un genre, inséré dans une rubrique, etc.). [...]
Comment et pourquoi des discours qui résultent pourtant de processus de
fabrication complexes peuvent néanmoins apparaître comme 'naturels' et
'transparents', aux yeux des journalistes qui les ont produits autant qu'aux yeux des
lecteurs qui les lisent? (Delforce 1996, 22)
Bien que Delforce évoque une mise en forme « discursive », nous pouvons faire
les mêmes constats pour la photographie, qui reste une construction. Au final,
un malentendu peut rester présent entre le spectateur et l’image, car si le
premier s’attend à ce qu’elle illustre la vérité « crue » des faits, la seconde est
en réalité une mise en scène et en sens, donc une construction, qui vise
toutefois à rendre les faits plus « authentiques ». Ma démarche reprend la
posture adoptée par Charaudeau, et consiste donc « à voir comment
apparaissent les imaginaires, dans quelle situation communicationnelle ils
s’inscrivent et de quelle vision du monde ils témoignent » (2007, 60). Aussi, loin
de m’intéresser à une démarche historique qui consisterait à rechercher les liens
de causes à effets dans les conflits décrits dans cette thèse, j’ai cherché à
décoder le message d’information. Les cadrages effectués par les journalistes
ne sont en effet pas séparés des représentations sociales, ils s’influencent
mutuellement et se renforcent : « Framing is concerned with the way interests,
communicators, sources, and culture combine to yield coherent ways of
understanding the world, which are developed using all of the available verbal
and visual symbolic resources » (Reese, Gandy, et Grant 2003, 11). En étudiant
les framings qui lui sont appliqués, il est nécessaire de déterminer si ceux-ci
sont nouveaux, s’ils « créent » l’événement, le singularisent, ou au contraire
reposent sur des systèmes antérieurs, des cadres d’interprétation déjà
largement connus du public et régulièrement mobilisés. La démarche du
framing, en permettant de repérer les « symboles condensateurs » scriptovisuels (titres, sous-titres, slogans, citations, mais aussi métaphores,
descriptions, photographies) et les « outils qui permettent un raisonnement »
(causes, conséquences, appels à des principes ou à des causes morales)
(Weaver 2007, 143), permet donc ce passage à l’empirie en évitant l’écueil du
prescriptif.
1.2. Tensions critiques et normatives
La majorité des études qui abordent la représentation des crises humanitaires
dans les médias apparaissent dans les années 90 ; certaines sont ancrées en
Media Studies mais la plupart émanent de praticiens de la communication,
d’historiens, de sociologues ou des humanitaires eux-mêmes. Elles sont
caractéristiques d’un débat qui questionnent alors les pratiques journalistiques
dans une époque marquée d’un côté par l’essor du direct et la croyance en un
15
fameux « effet CNN » , et d’un autre côté par des critiques de professionnels
des médias et de l’humanitaire sur la perpétuation de certains « clichés ».
Certaines se basent sur des constats peu fondés empiriquement ; en s’attachant
trop à discuter des effets éventuels des médias et des représentations qu’ils
15
Le terme est lié à l’idée d’une couverture en temps réel des conflits, telle qu’elle est rendue
possible par l’apparition de chaînes télévisées comme CNN consacrées à l’actualité 24/24, ce qui
aurait la faculté d’alerter l’opinion publique presque instantanément sur les atrocités produites
ailleurs sur le globe.
1. Introduction
15
mettent en place de la souffrance, j’estime que ces études n’ont pas
suffisamment appuyé les processus culturels et sociaux à l’œuvre derrière ces
types de représentation, qui m’ont au contraire intrigués. J’ai néanmoins tenu
compte de ces études dans ce travail car elles ont marqué le champ que
j’entends étudier, même si j’entends pour ma part, dans la logique inductive que
j’ai appliquée, partir de l’empirique pour remonter à la théorie.
Du côté francophone, Rony Brauman, ancien directeur de MSF France, publie
un essai critique sur l'information dite « humanitaire », en collaboration avec
René Backmann, alors grand reporter au Nouvel Observateur (1996). L’ouvrage
n’est et ne se veut pas une étude scientifique et empirique ; il pose un regard
plutôt mitigé, voire pessimiste, sur la couverture des crises humanitaires par les
grands médias. Cette question de la « politique de la pitié » a été théorisée par
le sociologue Luc Boltanski dans son ouvrage La souffrance à distance (1993),
qui étudie pour sa part la relation supposée qui unit médias et publics via le
spectacle de la souffrance. Si cet ouvrage a le mérite de poser la condition
sociologique des « souffrants » et des « spectateurs », il reste plus proche d’une
philosophie politique que d’une analyse des contenus et des pratiques des
médias. Il y développe trois topiques qui questionnent le discours médiatique
sous une forme idéalisée, que ce soit les figures de la souffrance (topique du
sentiment), du coupable (topique de la dénonciation) et du spectacle (topique
esthétique) ; mais il ne les vérifie pas empiriquement par des études de
réception, et n’interroge que peu la fonction de l’émotion dans ces
représentations. Dans la même logique mais plus récemment, Bruno David,
président du groupe Communication sans frontières, a dirigé une recherche
empirique qui s’est interrogée sur les représentations humanitaires au sein des
16
productions des ONG. S’il rejoint mes interrogations sur la circulation d’une
mémoire culturelle et collective au sein des images, sa perception d’« une mise
en récit d’un évangile » qui distribuerait les rôles entre bons et méchants (2010,
2-4) est une vision trop stéréotypée qui ne tient pas compte des limites de la
photographie et les manières qu’elle aurait à interroger et construire du sens
autrement sur la violence et la guerre. J’ai retenu de ces études leurs apports
intéressants sur la rhétorique victimaire, la présence de médiateurs dans le récit
d’information et la dimension culturelle et religieuse qui sont à la base de ces
représentations, tout en relativisant leur posture normative, en nuançant leurs
interrogations par des constats empiriques.
Du côté anglophone, l’une des premières études portant sur des actualités
internationales impliquant une dimension humanitaire dans les années 1990, a
été menée par Susan Moeller (1999). Chercheuse en communication et
ancienne journaliste de guerre, elle a comparé plusieurs chaînes télévisées,
hebdomadaires, quotidiens et agences de presse américaines. Son travail
adopte en réalité une posture critique qui insiste sur les effets négatifs des
16
David reste lacunaire sur le corpus, la temporalité et les méthodes utilisées pour cette recherche :
« Communication Sans Frontières a développé empiriquement ses recherches qui entrent
aujourd’hui dans une phase théorique. Toutefois, la jeunesse de cette démarche, l’évolution
permanente des sciences et techniques de la communication, les freins idéologiques, culturels et
sociétaux ne permettent pas encore d’établir une théorisation claire de la pratique
communicationnelle des ONG. » (2010, 2). Il m’est donc difficile de démontrer en quoi son étude
offre des éléments de comparaison intéressants sur le plan empirique.
16
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
médias (simplification des messages, stéréotypes, manichéisme). A l’instar des
travaux ultérieurs du sociologue Keith Tester (2001) qui s’interroge sur le
phénomène de banalisation des publics face à la souffrance (compassion
fatigue), cette vision part à mon sens d’une vision partisane (pointer une faute
« morale » des médias) et ne se donne que peu les moyens de travailler
empiriquement sur les contenus médiatiques.
Cette même interrogation sur la « banalisation » des images vient en écho au
dernier essai de la photographe Susan Sontag sur le rapport à la douleur des
autres (2003). Après avoir nié les effets subversifs de la photographie face à un
public habitué à une attitude de voyeurisme dans son célèbre ouvrage Sur la
photographie (1977), Sontag réaffirme l’impact émotionnel des photographies de
presse. Le constat qu’elle livre en 2003 va plus loin dans l’explication des
causes de cette compassion fatigue, qui naîtrait selon elle non d’une dérive
médiatique, mais d’une position idéologique. Bien souvent pour Sontag, la
contemplation de la douleur se figerait, entre un « Nous » (occidental) sécurisé
dans des Etats de droit, démocratiques et pacifiés, et un « Ils » lointain, exposé
à toutes les barbaries. Un constat qui, s’il a le mérite de questionner la relation
de ceux qui regardent à ceux qui sont regardés à travers des stéréotypes
ethnocentrés, ne souligne à mon sens qu’une position abstraite, idéalisée du
rapport à la souffrance. Sontag travaille en effet sur une philosophie de la
photographie et non sur des analyses empiriques ; sa distinction sur la distance
des souffrants et des spectateurs interroge les logiques de proximité et les
moyens mis en œuvre par les médias pour franchir cette distance symbolique.
Toutefois, on ne peut distinguer si facilement cette distance entre une Europe et
le reste du monde ; si l’on prend en compte par exemple les violences
commises dans des régions européennes ou proches de l’Europe, comme le
furent les guerres au Liban et en ex-Yougoslavie, elles ont interrogé la présence
– ou la persistance – d’une forme de barbarie dans des Etats de droit, dont la
culture reste largement tournée vers l’Occident (voir article 4). Sa position
évoque également la loi de la « mort au kilomètre », bien connue par ailleurs,
qui signifie que plus le mort est proche de chez nous, plus il a de chance d’être
représenté dans les actualités ; par contre, pour les morts lointaines, il faudrait
un nombre plus élevé de morts pour que cela fasse l’actualité, ce qui
impliquerait que toutes les victimes ne se valent pas (Taylor 1998, 129‑156). On
peut toutefois s’interroger sur les limites de la pudeur dans la monstration des
corps, sachant aussi que dans certains cas, plus le mort est proche de nous,
plus on aura de pudeur à montrer son corps meurtri ou son cadavre, ce qui
renvoie encore une fois à la visibilité et la dicibilité de la mort (voir article 3).
Cette vision normative est partagée par une partie des chercheurs en médias et
africanistes qui critiquent la couverture médiatique des conflits africains par les
médias occidentaux. Ceux-ci seraient accusés de n’utiliser que des « clichés »
parfaitement « inadaptés » (Franks 2010, 73 ; Kenney 1995 ; Crawford 1996 ;
Dupaquier 2002 ; Moumouni 2003), recourant trop fréquemment au « schème
de la guerre ethnique » (Pontzeele 2008). Peu affirment au contraire que la
couverture sur l’Afrique n’est pas si triviale et négative que cela (Scott 2009).
Bien que partiellement fondées empiriquement, ces travaux partent d’un postulat
idéologique que je n’ai pas souhaité suivre, préférant me laisser guider par le
cheminement inductif qui était le mien.
1. Introduction
17
D’un côté donc, des études qui, qu’elles viennent de France ou des Etats-Unis,
soulignent le caractère figé et les limites de telles représentations qui
emphatiraient trop le sensationnel et l’émotionnel. D’un autre côté, des
journalistes qui soulèvent (bien loin des stéréotypes faits-commentaire ou
objectivité-subjectivité) le problème de la médiatisation d’événements
dramatiques qui ne leur permettraient pas de passer sous silence, sous peine
de trahison, leur dimension émotionnelle. Cela a justifié pour certains, dans la
foulée, une prise de position. D’aucuns ont donc appelé à un journalisme dit
d’« engagement » ou plus « humanitaire » (Bell 1998 ; Alagiah 1999).
Ces arguments renvoient, au final, aux mêmes lieux communs : tendance à
l’infotainment, simplification des contenus au détriment des causes des conflits,
manichéisme, sensationnalisme. Ils sont d’ailleurs couramment faits aux médias
et ne concernent pas uniquement les actualités humanitaires. Plusieurs raisons
conjoncturelles, bien connues plus généralement, pourraient expliquer un mode
de traitement dit « réducteur » ou « sensationnaliste » de l’information au sein
du milieu journalistique : manque de temps ; diminution de l’information au profit
du divertissement et de la tabloïdisation ; tension entre la rédaction basée dans
le pays d’origine du magazine et ses correspondants locaux, en nette
diminution. Il en résulte donc ces séries de critiques contre un appauvrissement
des contenus médiatiques et des interrogations quant à la reconfiguration du
champ journalistique (Neveu 2009), que je n’aborde pas ici puisque mon travail
ne se situe pas en sociologie du journalisme.
Il ne faut pas non plus négliger les aspects économiques des médias ; en ce
sens, la presse magazine constitue un marché dynamique et fortement
concurrentiel, notamment avec la télévision. Sa diffusion (internationale)
augmente et son prix de vente diminue grâce à la publicité entre les années
1950-1960 : « Between 1900 and 2000, magazines generally became a
business enterprise instead of a literary enterprise. Magazines became defined
not as much by their content but by the demographic character of their
audience.” (Sumner 2010, 9). Mais les magazines d’information voient toutefois
une diminution de leur diffusion depuis les années 1980, au contraire de la
presse féminine et de la presse people. La récession publicitaire du début des
années 1990, marque un tournant pour les newsmagazines, avec un désintérêt
souligné pour la politique des deux côtés de l’Atlantique, surtout parmi les
jeunes ; les rédactions s’adaptent en augmentant la taille des photos et en
17
diminuant la taille des textes (Sonnac 2001).
Ces considérations économiques sont aussi à mettre en parallèle des mutations
sur la scène internationale, qui sont reflétées dans la rubrique internationale des
magazines. J’ai en effet privilégié dans ma démarche une étude sur les
fondements des représentations médiatiques, et comment elles restent
profondément ancrées dans des cultures sociales, politiques et économiques.
Ces représentations reflètent des cadres de référence dont les logiques
changent, à l’exemple de l’aide humanitaire construite selon des axes Nord-Sud
et Est-Ouest, dans des contextes géopolitiques très différents entre les années
17
Il ne m’a pas été possible, malgré mes recherches, de trouver des données présentant les
meilleures ventes au numéro pour les quatre magazines concernés. Ceci est probablement dû à
l’ancienneté de la période traitée dans cette thèse.
18
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
1960 et 1990 (voir Annexe 3).
L’idée de départ de cette thèse était de travailler sur des contextes largement
définis comme des « crises humanitaires ». S’il gomme les informations
contextuelles – il faudrait lui préférer la mention claire et directe de
« tremblement de terre », « guerre » ou « famine » – le terme s’est pourtant
imposé dans le discours médiatique, scientifique et le grand public depuis la
guerre en ex-Yougoslavie. Il est révélateur d’une évolution conjointe entre
histoire de l’humanitaire, stratégies médiatiques et science politique, à prendre
en considération si l’on veut comprendre ce qui opère dans les représentations
à l’œuvre dans le discours des magazines.
Une histoire politique de l’humanitaire divise la deuxième moitié du 20
en trois périodes-clés (Mesnard 2002 ; Barnett 2011) :
ème
siècle
1. La période post-coloniale (fin des années 1960 aux années 1970),
caractérisée par les conflits au Biafra, au Congo, au Bangladesh, où les
pouvoirs religieux ou politiques sont dominants pour comprendre ces
conflits.
2. La période post-totalitaire (années 1980), marquée par l’exode des boat
people, l’émergence des Droits de l'Homme ; c’est à cette période que
l’on voit apparaître le paradigme mémoriel de la victime.
3. La période post-guerre froide (années 1990), débutée par la guerre du
Golfe, qui voit apparaître le retour de l’ingérence politique avec les
opérations militaro-humanitaires.
Cette division a ramené le débat sur la politisation de l’aide humanitaire ; elle
questionne indéniablement le retour du politique dans la notion de solidarité et la
place centrale des gouvernements occidentaux – et leurs intérêts nationaux et
stratégiques – dans l’aide internationale, qui ne saurait alors être soumise aux
simples diktats de la compassion. Ces cadres de référence auraient renforcé la
dichotomie entre pays développés et en développement, en jouant sur les
extrêmes, ceux d’une conscience hégémonique de la part de l’Occident sur un
ailleurs lointain perçu avec des relents colonialistes, « primitifs »,
« archaïques », parfois « barbares » (Carruthers 2004). D’une manière
générale, c’est le cadre d’interprétation des conflits qui change après la chute du
mur de Berlin et la fin de la guerre froide. Selon certains auteurs (Pieterse 1997 ;
ème
Gros 2006), l’ethnocentrisme européen se réveille à la fin du 20
siècle pour
marquer la différence des brutalités exercées à l’intérieur et l’extérieur du cadre
européen. On les verra ressurgir notamment dans les années 1990 avec
l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et les violences perpétrées contre les civils
(Slim 2001 ; Melander, Öberg, et Hall 2009). D’où mon intérêt, non pas à
adopter une posture critique face à ces stéréotypes, mais à comprendre en quoi
ils « remplissent aussi une fonction idéologique à l’égard des conflits et des
discriminations réelles » (Villain-Gandossi et Boetsch 2001, 18). Il est alors
intéressant de se concentrer sur le type d’images qui en résulte, qui permet de
mieux nuancer et interpréter la construction de la rhétorique visuelle créée et la
manière dont elle vient en écho au texte, créant ainsi une fluctuation de
schèmes interprétatifs fournis au public.
Compte-tenu de ce contexte historico-politique très évolutif, et au contraire des
études précédemment évoquées, je réfute l’argument que les médias
1. Introduction
19
représenteraient l’humanitaire de façon uniformisée, d’autant plus si l’on adopte
une posture constructiviste. D’où mon intérêt à nuancer ces constats par une
étude transversale, diachronique, sur deux traditions différentes et sur des
magazines en particulier. L’enjeu de cette thèse consiste donc à replacer ces
critiques au centre d’une analyse empirique des contenus médiatiques, visant à
repartir des constats contemporains autour de la dimension émotionnelle, pour
mieux les déconstruire. Il s’agit donc ici de changer la focale et de dépasser
cette vision normée, pour voir comment, via le « recyclage des associations de
sens » et la « juxtaposition visuelle de thématiques parallèles » (Lyford et Payne
2005a, 123), ces magazines tentent de donner du sens à la violence perçue et
exposée.
1.3. Médiatiser l’humanitaire dans la presse magazine :
un tournant historique à démontrer
En m’intéressant à une longue durée, je veux comprendre comment les médias
ont recours à certains schèmes interprétatifs face à la violence de guerre. Ne
s’intéresser qu’à la guerre civile en Somalie en 1992 ou au génocide rwandais
de 1994, comme le font la majorité des études qui se sont penchées sur la
médiatisation de l’humanitaire, marque en fait une limite artificielle dans la
compréhension du contexte humanitaire, social, politique plus large, et fait
l’impasse sur des pratiques rédactionnelles, sémantiques, iconographiques qui
ont commencé bien plus tôt, notamment lors du Biafra qui sera la première
famine télévisée. Bien au contraire, les conflits des années 1990 marquent une
rupture, le début d’une mutation importante dans la géopolitique de
l’humanitaire ; le génocide du Rwanda signale aussi l’échec d’une période que
l’on croyait toute entière marquée par le « tapage médiatique » (Lavoinne 2005),
et dont il vient cruellement illustrer la limite des effets des médias pour soulever
l’opinion publique devant les atrocités commises sur une population entière. J’ai
donc adopté le cadre chronologique de la guerre civile du Biafra (1967-1970) au
génocide rwandais (1994), car il fait sens dans l’histoire de l’humanitaire, pour
étudier la variation des récits produits par les journalistes américains et français
sur des crises humanitaires majeures survenues pendant ces quelques trente
années. Ce cadre permet également de repositionner ce questionnement par
rapport à l’évolution parallèle de la photographie de guerre et du regard qu’elle
porte sur la mort et la violence.
La sous-médiatisation du Rwanda, considérée comme un « échec » par
certains, est contemporaine d’un nombre croissant d’études cherchant à
comprendre le lien entre information, politique étrangère et opinion publique
(Weiss et Minear 1993 ; Minear, Scott, et Weiss 1996 ; Rotberg et Weiss 1996),
proposant même des outils, ou du moins des perspectives pour améliorer les
concertations entre acteurs concernés. Tout n’est pourtant pas né avec le direct
de la guerre du Golfe et l’effet CNN ; aucune étude ne s’intéresse à la longue
durée, aux perceptions profondes des représentations et au langage du visuel,
bien que plus récemment, l’ouvrage de Yves Lavoinne (2002) retrace une
histoire de l’évolution du champ humanitaire et le recours aux médias. Or, si l’on
prend comme perspective une histoire du visuel médiatique, la photographie
20
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
offre des bornes temporelles, fixes et régulières, qui permettent de les mettre en
« écho ».
La photographie de guerre interroge forcément la guerre ; celle-ci, brutale et
collective, a toujours entretenu des rapports particuliers avec la société. Parce
qu’elle brise le tabou absolu de l’interdiction de tuer, parce qu’elle est facteur de
dissolution du lien social, parce qu’elle produit des morts en masse de manière
violente, la mort de guerre confronte la société à des attitudes antagonistes.
Mais curieusement, qu’elle soit reçue ou donnée, elle constitue un champ à part
relativement méconnu en sciences sociales : « (…) Les tués de la guerre
hantent la mémoire collective et troublent la paix des vivants. Car bien plus que
la mort ordinaire, la mort de guerre est singulière. Héroïque et lamentable,
redoutée et attendue, injuste et acceptée, elle ne ressemble en rien à son image
anticipée avant la bataille » (Capdevila et Voldman 2002, 7). Ce rapport à la
mort et son lien avec le visuel, la manière dont elle fut représentée, ont connu
des changements particulièrement importants dans les deux derniers siècles,
compte-tenu des évolutions non seulement technologiques, mais aussi des
attitudes sociologiques et anthropologiques des sociétés occidentales face à la
mort de masse. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de travailler sur cette histoire de la
culture visuelle de la mort à travers les représentations de la guerre lors des
manifestations d’opposition à la guerre en Iraq en 2003 (voir Gorin 2013a pour
18
un aperçu historique plus large). Avec le tournant induit par la révolution
ème
industrielle, la pratique de la guerre au 19
siècle est entrée dans l’ère de la
ème
technologie. Les hécatombes consécutives aux deux conflits mondiaux du 20
19
siècle , produites par l’armement issu de l’âge industriel, notamment les
bombardements, ont amené les sociétés dans le schéma de la « mort
20
inversée » cher à Philippe Ariès (1977), une mort de masse avec laquelle les
sociétés occidentales ont dû apprendre à vivre et qu’elles considèrent
dorénavant comme « obscène » (Gorer 2004) et qui dérange certainement dans
son exhibition et son étude. Le manque d’études contemporaines en la matière
avait justement mené la revue Questions de communication à publier deux
numéros spéciaux sur la mort dans les médias en 2011, à laquelle j’ai participé
(voir article 3).
La représentation de la mort de guerre, d’autant plus quand il s’agit de civils, est
relativement récente. On compte quelques rares témoignages picturaux par le
passé, notamment la série de gravures Les misères de la guerre de l’artiste
ème
Jacques Callot au 16
siècle, ou les Désastres de la guerre, violente diatribe
iconographique de Francisco Goya contre la brutalité des campagnes
napoléoniennes à la fin du 19ème siècle. Cependant, la rhétorique visuelle à
18
Bien que l’article ne porte pas spécifiquement sur les médias mais plutôt sur les conceptions
individuelles de la mort dans les centaines d’affiches créées par des individus dans les mouvements
d’opposition à la guerre en Europe et aux Etats-Unis, cet article questionne en parallèle de ce travail
de thèse le dicible et le visible des représentations liées à la mort, ainsi que la circulation d’une
mémoire visuelle collective des épisodes des violences de masse.
19
Près de 9 millions de morts pour 1914-1918 et plus de 50 millions pour 1939-1945.
20
Dans son ouvrage L’homme devant la mort, Ariès reprend les conclusions de Gorer pour qualifier
les attitudes de deuil à l’époque contemporaine. A l’inverse des pratiques médiévales où les hommes
prenaient une part active à leur mort en acceptant l’idée de mourir et en s’y préparant (« la mort
apprivoisée »), l’homme contemporain semble vouloir refuser toute idée de mourir ; on entre donc
dans une mort cachée, taboue, médicalisée.
1. Introduction
21
ème
l’œuvre dans la mort de guerre va changer fondamentalement entre le 19
et
ème
le 20
siècle ; les représentations passent de l’héroïsation du conflit à la perte
de sens (Puiseux 1997, 243), montrant un changement profond des mentalités
face aux violences de guerre. La mort de guerre est perçue comme quelque
chose qui doit être représenté de manière insoutenable: « Plus que les ruines
(sauf de bâtiments symboliques), blessés et morts civils forment par exemple un
langage en images immédiatement compréhensible, maniant les atteintes aux
innocents (enfants, femmes, vieillards, suivant une grammaire accusatrice
décroissante). » (Gervereau 2003, 85). C’est cette échelle de la souffrance que
j’ai d’ailleurs relevée dans mon corpus.
La rhétorique victimaire qu’elle implique s’affirme avec le tournant de la
Deuxième Guerre mondiale et le génocide juif ; l’horreur de la découverte des
camps nazis en 1945 se diffuse largement dans les photographies des charniers
parues dans la grande presse illustrée. Ce tournant inédit dans l’usage des
photographies de presse d’atrocités dans l’actualité sera par la suite
21
régulièrement qualifié de « pédagogie de l’horreur » par les historiens. Entre
les années 1950 et 1960 se généralise ainsi une représentation de la guerre
tournée vers la figure centrale de la victime, la mort de masse, la mort reçue, la
douleur, la souffrance et la perte. Cette vision domine d’ailleurs dans les
représentations médiatiques que j’ai étudiées. Elle est consécutive au
développement de l’action humanitaire moderne et des Conventions de Genève
qui visent à protéger des catégories de population de plus en plus vastes et la
montée du Droit International Humanitaire (DIH). Nul doute que le récit
médiatique suive alors cette réalité statistique, en s’inspirant de la trame du fait
divers, qui familiarise depuis les temps modernes déjà les publics à la violence,
le drame et la mort. Les récits de fait divers proposent un investissement
émotionnel vis-à-vis des abusés et la réprobation des abuseurs (Farge 1992 ;
Dubied 2004).
Au final, l’usage de la victime innocente occupe une partie des études sur la
médiatisation des conflits armés. La théorie de Brauman, qui est le premier à
proposer l’idée du « niveau symbolique du ‘statut de la victime’ » qui doit être
perçue comme « pure, non participante » (1996, 24), semble être privilégiée
dans une partie des études médiatiques sur les guerres en Iraq et en
Afghanistan (Moeller 2002 ; Zelizer 2005 ; Wells 2007 ; Konstantinidou 2007 et
2008) ; quoique ces études aient permis des développements intéressants sur
les marqueurs sémiotiques de la souffrance exposée, mes propres observations
m’ont permis de relativiser l’apparition dite « récente » de l’enfant dans la
rhétorique victimaire (voir article 6). De ce fait, cette vision symbolique de la
souffrance est concomitante de la présence du journaliste sur le terrain, en tant
que bystander. Le marquage visuel de sa présence sur le terrain (le lien est
beaucoup plus évident en anglais dans le terme de eyewitness) s’effectue en
parallèle, comme j’ai pu le constater, de l’apparition de la rhétorique victimaire et
favorise aussi l’utilisation de récits des témoins, notamment ceux des survivants.
21
Le terme fait référence à un acte du général Eisenhower, qui amena une trentaine de membres du
Congrès américain pour inspecter les camps de concentration à leur libération en 1945, et qui furent
forcés de « regarder l’horreur en face » (Zelizer 1997, 69).
22
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Ces marqueurs sémiotiques traduisent aussi des logiques de proximité créées
dans le discours médiatique pour favoriser un investissement émotionnel de la
part des publics, comme le soulignent les travaux de Chouliaraki (2006 ; 2013).
La pitié serait selon elle un cadre de référence qui donne du sens ; elle
présuppose également des sensibilités affectives et cognitives chez ce
spectateur. Ce que Chouliaraki évoque sur la description des victimes et des
persécuteurs (qui est représenté et comment ?), ainsi que la portée évaluative
des énoncés médiatiques (ont-ils une dimension morale ? normative ?) ouvre
largement la voie à des analyses de contenu, d’images et de discours, que j’ai
effectuées en partie avec ces premières pistes. D’autres travaux en parallèle ont
développé la propension de la photographie aux associations analogiques ou à
la « métaphore visuelle » (Fahmy 2004 ; Fahmy et Kim 2008), ce qui m’a permis
de croiser ici l’approche historique qui m’intéresse, à savoir la notion de
mémoire des événements antérieurs dans les médias.
J’avais déjà travaillé sur cet aspect dans la photographie humanitaire, même si
j’avais préféré évoquer à la place de la métaphore, le terme « d’ellipse
22
référentielle » (Gorin 2009, 145). L’« ellipse référentielle » part du principe que
certains « signes » verbaux ou iconographiques fonctionnent comme des
raccourcis pour le lecteur-spectateur des médias, faisant appel ou référence à
des événements antérieurs connus et fonctionnant comme une échelle de
valeur pour comprendre et percevoir l’événement décrit et/ou représenté.
L’argument est également appuyé par l’historien Philippe Mesnard qui le place
même au centre de son argumentation (2002). Selon lui, la manière de
représenter les crises humanitaires est liée à des habitudes ancrées
historiquement et fonctionnent en cercle fermé, en autoréférence à d’autres
crises qui constituent la mémoire collective de l’action humanitaire. Son étude
propose trois événements référentiels principaux : la Deuxième Guerre
mondiale, la guerre civile du Biafra et la guerre du Vietnam. L’analyse empirique
que j’ai menée démontre que les trois référents de Mesnard sont bien présents,
mais qu’ils font concurrence, dans la mémoire collective, à d’autres épisodes du
même type présents dans la structure de l’information.
D’où l’inscription de cette mémoire dans la photographie, qui permet mieux que
d’autres supports de fixer ce sens. Le choix de ne pas inclure de corpus télévisé
(à l’exception de l’article 2) part également de mon interrogation sur la relation
de la mémoire à l’image fixe, puisque je me suis intéressée avant tout à la
construction de ces horizons référentiels iconiques et non à la dimension
temporelle de l’information, c’est-à-dire à la vitesse de diffusion et la question du
direct. Cette inscription mémorielle dans la photographie est rendue possible
d’une part par son usage de la métonymie, c’est-à-dire l’exemplarisation de la
généralité par l'unique. L’icône de guerre serait par conséquent présentée
comme un résumé, une cristallisation des faits représentés. D’autre part, la
photographie a une résonance culturelle, qui s’appuie justement sur ce lien
22
Cet article, publié dans un ouvrage dirigé par Gianni Haver sur la photographie de presse, a
permis de poser le fondement de mes axes de recherche pour la thèse, en questionnant l’historicité
d’un regard « humanitaire » qui se serait construit sur la violence de guerre via le photoreportage.
1. Introduction
intericonique
12‑19).
23
23
avec des icônes dont la valeur est primordiale (Perlmutter 1998,
La photographie apparaît dès lors comme un élément essentiel de mécanisme
de cadrage de l’information (ou framing), qui vise à privilégier une interprétation
particulière des événements. Le framing est un concept utilisé en sciences de la
communication qui dérive directement de la théorie des « cadres de
l’expérience » de Goffman (1974). Pour Goffman, les interactions sont
comprises par les gens selon des « cadrages premiers », ou schèmes
interprétatifs, qui leur permettent de classer l'information et de l'interpréter en
connaissance de cause. En sciences de la communication, ce concept consiste
principalement à repérer les « cadres » d’interprétation construits par les médias
autour d’un événement, pour évaluer ce qu’ils donnent à comprendre et à retenir
de l’événement à leurs publics, ce qui permet de réduire la complexité d'un
objet. Les développements de la théorie du framing ont été multiples ; nous
retiendrons ici principalement les études qui portent sur la manière dont les
cadrages se construisent (frame building) (Scheufele 1999), en particulier à
travers la photographie (voir article 5). Le photographe, en cadrant, effectue déjà
un premier choix en choisissant ce qui est mis à l’image et ce qui en est exclus.
Ce d’autant plus que la plupart des photographes émanent de la sphère
occidentale, et qu’ils font parfois usage de cadres pré-formatés, comme le
confirment certains (trop rares) témoignages de photographes. En évoquant sa
pratique, Stan Honda indique qu’il aime prendre des « photos qui racontent une
histoire » (Lyford et Payne 2005b, 147), ce qui rappelle l’idée du photographe
français Jean-Claude Coutausse de construire une « scène emblématique » ou
la « tentation du cliché », car il lui faut « réunir parfois beaucoup de signes en
une seule image » (2002, 78).
Ces considérations faites, le travail exposé ici a donc tenté de répondre à une
série de questions transversales : Comment fonctionnent ces dispositifs
médiatiques face à la souffrance ? Comment sont-ils inscrits dans les
marqueurs sémiotiques et la structure du message d’information ? Jouent-ils
uniquement sur un registre émotionnel ou impliquent-ils des considérations
politiques, sociales, éthiques, idéologiques ? Quelles figures sont
particulièrement mises en avant ? Cette analyse comparative m’a permis aussi
de nuancer les différents constats mentionnés, particulièrement l’usage
d’images dramatiques, sensationnelles, victimisantes ou simplistes, qu’il a fallu
ramener à une véritable analyse des contenus et à étude sémiologique, ainsi
qu’à une réflexion sur l’usage des stéréotypes (visuels) : que peut-on dire du
rôle joué par la photographie dans les actualités ? Comment fonctionne-t-elle,
selon ses capacités d’objectivation, de connotation, de métonymie, voire
d’analogie ? Quels sont ses liens avec la mémoire, les événements représentés
par le passé, l’imaginaire, les représentations sociales, les « clichés » ? Quel
apport amène-t-elle dans la symbolique médiatique ? Quels sont ses référents
mémoriels (sa mise en « icône ») ?
23
Je préfère le terme d’intericonicité plutôt que celui de « culture iconique » ou de « citation
d’images » également évoqués par Lambert (1986, 97, 103 et 105). Celui-ci mentionne toutefois que
toute intericonicité est contruite à la fois sur image mouvante et image fixe ; le rôle du cinéma, de la
peinture, de la publicité n’est en ce sens pas négligeable.
24
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
1.4. Structure
J’ai abordé dans ces articles une partie relative de ce que permet en réalité
l’ampleur du corpus étudié et des questionnements qui en ont émergé. Ma
participation à plusieurs colloques m’a guidée dans les choix qui ont été faits de
creuser plus spécifiquement certaines approches, avec comme regard commun
le rapport entre violences de masse et médias et la représentation des
souffrances au sein du discours d’information de la presse magazine. Ce
cheminement, qui n’est pas linéaire, se reflète dans les articles présentés ici, qui
soulignent la variété des thématiques abordées et leurs ouvertures empiriques
et théoriques. Ils reposent tous sur un cheminement particulier au sein du
corpus et ouvrent parfois à des questionnements interdisciplinaires.
Il me faut préciser qu’ils ne sont pas présentés ici dans l’ordre dans lequel ils ont
été conçus. Cela suit d’ailleurs en grande partie la démarche inductive que j’ai
suivie ; je retrace donc ici leur agencement et leur structure dans ce parcours
scientifique. J’ai en effet commencé mes analyses empiriques avec le premier
article en 2009, qui m’a surtout permis de tester mes pistes de recherche sur la
mémoire symbolique avec la théorie du framing, et plus particulièrement avec
les mécanismes de cadrage. Cette première analyse exploratoire a ensuite été
approfondie dans l’article 3 entre 2010 et 2011, en renforçant la dimension
comparative et surtout la sémiotique à l’œuvre dans les représentations
visuelles et discursives autour de la mort. Entre 2011 et 2012, ce
questionnement autour de la visibilité de la mort, et plus précisément celle du
bourreau, ont mené à l’écriture du quatrième article qui s’inscrit cette fois dans
une perspective plus anthropologique. La prise de distance progressive avec la
dimension critique des études sur la pitié, et notamment sur leurs aspects
normatifs, ne s’est faite qu’à la fin de la thèse, en 2013, lors de la rédaction des
articles 2, 5 et 6. Cette prise de distance est devenue manifeste après la
présentation régulière des résultats dans divers colloques, et surtout la vision
globale du corpus qui m’a permis de nuancer les critiques apparues dans les
travaux précédents.
Le point de départ du premier article, An iconography of pity and a rhetoric of
compassion : war and humanitarian crises in the prism of American and French
newsmagazines (1967-1995) correspond à la phase exploratoire de la
24
recherche. En comparant alors quatre conflits éloignés temporellement et
géographiquement (le Biafra, le Liban, la Somalie et la Bosnie), l’étude m’a
permis de mettre en place le repérage des cadrages médiatiques, et surtout leur
permanence dans le temps. Sur un « échantillon théorique » (le corpus était
alors composé d’environ 500 articles), j’ai procédé à une première identification
des éléments de cadrage (thématiques, références historiques, acteurs
représentés) dans les titres, sous-titres, textes, citations, légendes et images. La
démarche a suivi la proposition de Tankard (2001) et m’a permis d’établir la
comparaison interculturelle entre deux sphères proches que sont les
newsmagazines américains et français. Cette démarche qualitative
correspondait au début de l’analyse de contenu, et permettait ainsi de coller les
24
Cet article a été publié sous la forme d’un chapitre dans l’ouvrage collectif Selling War. The Role
of the Mass Media in Hostile Conflicts from World War I to the ‘War on Terror’ (Gorin 2013b). Il est
issu d’une présentation faite à la conférence “War and the Public Sphere” à Vienne en mars 2009.
1. Introduction
25
concepts (tels que pitié ou victime) aux phénomènes qui relevaient de
spécificités identiques, pour créer les premières catégories de codage (typologie
des victimes, événements historiques) ; il ne s’agissait pas encore d’une
démarche quantitative complète.
Le deuxième article, La guerre civile du Biafra comme « crise matricielle » des
représentations humanitaires dans les médias français, suisses et américains
(1967-1970), a consisté à revenir spécifiquement sur cette guerre significative
dans la mémoire collective comme socle représentationnel de l’humanitaire
moderne, et donc à approfondir dans ce cas uniquement une analyse intra25
événementielle. Dans ce cadre, c’est non seulement la rhétorique victimaire,
particulièrement autour des enfants, qui a été interrogée mais aussi la place de
l’acteur humanitaire comme expert/témoin/médiateur au sein du discours
d’information, ainsi que les énoncés autour de la labellisation du conflit. Comptetenu de la prégnance de la visibilité télévisuelle du CICR au sein de cette guerre
et sa dimension historique et mémorielle dans le paysage humanitaire suisse et
français, le corpus a exceptionnellement été élargi dans cette étude à la
télévision, et à la Suisse. Au total, 165 émissions et 86 articles ont été étudiés
via une analyse de contenu pour repérer les différents cadrages, puis une
analyse iconographique et sémantique ont été utilisées sur les parties du corpus
relatives à la rhétorique victimaire et la rhétorique accusatoire.
Le troisième article, « Le martyre des innocents » : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (1967-1994),
s’inscrit dans une perspective d’approfondissement de la construction de sens
26
autour des violences subies et montrées, et particulièrement la mort. Une
analyse de contenu a été effectuée sur les 662 articles du corpus relatifs aux
quatre conflits étudiés, puis vingt-quatre extraits textuels et six photographies
ont été analysés plus finement, par des analyses iconographique et sémantique,
compte-tenu de leur représentativité de la mort et/ou la violence de masse. En
questionnant encore une fois les différences entre des espaces géographiques
et temporels espacés (le Biafra, le Liban, la Bosnie, le Rwanda) sur des
violences de masse, cette étude a permis d’appréhender quelles étaient les
formes de morts montrées mais aussi cachées, ainsi que les sensibilités en jeu
face aux victimes, et surtout les limites entre dicible et visible face à la mort telle
qu’elle s’expose dans le discours médiatique.
Le quatrième article, Représentations symboliques des bourreaux dans le
discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie, aborde les enjeux
27
liés à la visibilité de la figure du coupable. Dans ce cadre, il ne s’agissait pas
d’appliquer une analyse de contenu quantitative ; les analyses sémiologiques et
discursives utilisées se sont plutôt concentrées spécifiquement sur deux conflits
(le Liban et la Bosnie, soit 498 articles) pour comprendre comment la mise en
25
L’article a été soumis à la revue Le Temps des Médias. Il est issu de la présentation faite dans le
panel « L’humanitaire à travers les frontières », lors des Journées suisses d’histoire en février 2010.
26
Cet article a été publié dans la revue Questions de communication (Gorin 2011). Il a été publié
dans le cadre d’un numéro spécial sur « Evoquer la mort ».
27
Cet article a été soumis à la revue Emulations, pour un numéro spécial sur « L’anthropologie des
violences de masse » ; il est actuellement en cours de révision. Il a fait suite à une présentation au
colloque « Anthropologie historique des pratiques de violences de masse » tenu à Paris en
novembre 2011.
26
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
mots et en images du « bourreau » a été rendue possible par des événements
emblématiques, mais aussi la présence de journalistes sur les lieux. Dans ces
contextes où le lien de causalité entre persécutés et persécuteurs a été rendu
plus évident, cette analyse a permis d’aborder les enjeux autour de la
judiciarisation qui imprègne alors le discours médiatique autour des crimes de
guerre, et plus largement, son rapport à une approche anthropologique des
violences commises.
Le cinquième article, Understanding visual framing: a discussion on the role and
rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines, a servi à
revenir à une dimension théorique plus globale à la fin des analyses de cadrage,
28
pour comprendre le rôle spécifique de l’image de presse dans ce dispositif.
L’intérêt consistait à proposer une synthèse autour du concept de visual framing
et son développement récent en sciences de la communication, en travaillant ici
sur l’ensemble des conflits sélectionnés pour ce travail de thèse. Dans cette
discussion théorique, la place spécifique des unes de magazines m’a amenée à
travailler la condensation des mécanismes de cadrage qu’elles permettent. A ce
titre, 143 unes ont été étudiées, tout d’abord via une analyse de contenu
thématique pour identifier les éléments visuels et textuels composant chacune
des unes ; puis une analyse iconographique portant spécifiquement sur les
mécanismes du cadrage visuel, permettant notamment de repérer les figures
métonymiques, synecdotiques, symboliques à l’œuvre dans ces représentations
visuelles et leur lien avec le texte.
Le sixième article, “Suffer the Children”: the metonymic use of youth figures in
American and French newsmagazines narratives on humanitarian crises (19671994), propose un regard plus exhaustif sur l’ensemble du corpus et se situe
29
dans la lignée de l’intérêt académique récent pour l’enfance en guerre.
Construit sur l’ensemble du corpus, à savoir les 911 articles, il a permis, via
l’analyse de contenu, de repérer les images ou les parties des textes traitant
spécifiquement des enfants, pour ensuite travailler par des analyses
iconographiques ou sémantiques sur des extraits photographiques et discursifs.
Cet article permet aussi de proposer un regard plus transversal aux points mis
en évidence dans l’article sur le Biafra. En abordant l’un des résultats
principaux, à savoir la focale dominante sur la figure des enfants comme
symboles absolus de l’innocence, j’ai voulu aussi démontrer en quoi ce cadrage
est concomittant de la place des humanitaires dans le discours médiatique, et
comment il permet d’interroger la médiatisation de la souffrance de guerre dans
son ensemble, que ce soit le choix des images et de l’émotion mais aussi
l’interpellation morale qui préfigure bien souvent cette pratique au sein des
discours journalistiques.
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28
29
L’article a été soumis à la revue Visual Communication. Il est actuellement en cours de révision.
L’article a été soumis à la revue Journalism. Il est actuellement en cours de révision.
1. Introduction
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2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric
of Compassion. War and Humanitarian Crises in the
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La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Summary
This chapter explores the rhetoric of compassion in media framings of humanitarian
crises in a historical and cultural perspective across space and time. It shows the first
results of an exploratory analysis of media narratives and images of war between the
1960s and the 1990s. Benefiting from the cover of the mass media, modern
humanitarianism has played a controversial role in raising public opinion and influencing
politics and has contributed to the appearance of the ‘victim’ concept and its
representation in the media throughout the twentieth century, along with images of pain
and death. ‘Victimization’, or the tendency to induce a hierarchy among victims, offers an
immediate reading of such humanitarian crises according to a simplified and Manichean
scheme. But since media representations insist on producing figures of innocent suffering
such as women and children, their narratives and images often fall back on older
collective references and memories. Using ‘framing mechanisms’ as methodological
tools, these results provide representations that favor Christian iconography and historical
parallels such as World War II. These representations act as means of qualifying the
crises and result ultimately in the moral condemnation of them. While there are clear
distinctions in how conflicts are treated when they emerge in western as opposed to Third
World countries, on how the ethnic victims’ background is presented, and on how the
paradigm of distance and proximity is dealt with, these media framings are all aimed at
relieving suffering, are based on universally shared values, but are at the same time at risk
of resorting to reductive schemes.
The Media and Humanitarian Crises: A Growing Sense of Victimization?
At the beginning of 2009, the conflict between Israel and Hamas in the Gaza Strip1
emblematized a recurrent dilemma in how wars are covered on an international level.
While the Israel Defence Forces (IDF) for strategic reasons 2 had limited media access
to Gaza, it had also tried to prevent the international public from seeing too much blood
and death.
Nevertheless, the few journalists who managed to get into the Gaza Strip3 started to send
videos and pictures of wounded men and women and, in doing so, highlighted the
discussion about civilians being taken as targets both by the Israeli army and Hamas
militants. This
2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War
and Humanitarian Crises in the Prism of American and French
Newsmagazines (1967-1995)”
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framing was strengthened even further by the story of Ezzeldeen Abu Al-Aish, a
Palestinian doctor who worked in Israel. He lost three daughters and a niece when they
were killed by an Israeli shell. While he was providing live reports on Channel 10 every
night by phone from the Gaza Strip, his tragedy took place right in front of international
viewers on January 16, 2009. It was widely broadcast by international news organizations,
thus revealing increased media interest in the collective or individual suffering of others.
After the rush of foreign journalists into Gaza immediately following the opening of the
border, it even seemed that the war reporting on Gaza was unusually condensed and
focused mainly on the human costs of the conflict. The resulting stories were focused on
individual, family-scale tragedy, such as this article from Time :
You can measure the destruction in Gaza by the number of bombs dropped or buildings
flattened or the price to rebuild it all, but the real cost lies within people like Abed Rabu,
whose pain and sense of loss are apparent from the moment you meet him. [...] Israel has
begun investigating some of the more egregious allegations about civilian deaths, which
are multiplying as Gaza picks itself up from the rubble. (Tim McGirk and Jebel AlKashif, ‘Voices from the Rubble’, Time, January 29, 2009)4
What is shown by these war ‘anecdotes’ elicits sociological consideration: far more
than a man’s suffering, it is the father figure that is being focused on and the loss of his
children. While this is hardly unique to this war, as we read in recent studies on the use
of children in international news coverage (Moeller, 2002; Wells, 2007), this type of
framing reveals a growing concern for children as ‘innocent victims’:
A story that uses children is seemingly transparent in its meaning. Dead children [...]
have become too familiar icons at the turn of the millennium. Today’s disasters,
which are hard to follow even with a scorecard, are made more comprehensible and
accessible by the media’s referencing of children – even if that focus on children is a
false or distorted consciousness, a simulacrum of the event. (Moeller, 2002: 37)
The ‘media’s referencing of children’ is not new and is part of the history of modern
humanitarianism. Western sensibilities toward the innocent victims of war were already
characteristic of the aftermath of World War I.5 Benefiting from the cover of the mass
media, modern humanitarianism has played a controversial role in arousing public
awareness and influencing politics (Minear et al., 1996; Robinson, 2001). It has thus
contributed to the appearance of the ‘victim’ concept and its representation in the media
during the twentieth century, together with the associated images of pain and death.
‘Victimology’ or ‘victimization’ then offers an immediate reading of the various
types of people involved in humanitarian crises by dividing them into a simplistic
scheme of ‘villains’, ‘victims’ and ‘heroes’ (this refers to humanitarian actors in the
field). This has
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La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
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raised the concern of Rony Brauman, a former head of Médecins Sans Frontières
(MSF);6 who produced a series of documents (Brauman, 1993; Brauman and
Backmann, 1996) in which he discusses the concept of ‘the purity of the victim status’:
[The media insist on] the symbolic level of the ‘victim status’ [...], this one being
considered as a victim only when he or she is seen as an effigy of unfair suffering, of hurt
innocence. Victim of a cruel nature, of an absurd war – others’ wars are always absurd –,
of merciless armed gangs, of a bloody dictator, but pure victim, non-participant.7
(Brauman and Backmann, 1996: 24)
Trapped in what may be considered an insensitive iconography, the media
representations of humanitarian crises insist on compassion ‘clichés’ that have in fact
been perpetuated over time. Therefore, an effort should be made to gain better
historical understanding of these types of framing.
This chapter explores the rhetoric of compassion from a humanitarian perspective
across space and time. If recent works have shown the salience of a sensationalist,
emotional and compassionate discourse in the media reporting of recent conflicts
(Moeller, 1999), they still lack a deeper understanding of the historical and cultural
perspective (Mesnard, 2002). Indeed, if media representations insist on figures of
innocent suffering, such as women and children, their narratives and images often fall
back on older collective references and memories. The media discourses have then
helped to sustain the persistence of stereotypes and ‘clichés’ in social representations
of the ‘self’ and ‘the other’.
The aim of this chapter is to propose the first results of an exploratory analysis of
media narratives and images of war between the 1960s and the 1990s. Four
humanitarian crises resulting from armed conflicts were chosen with the intention of
drawing on a historical and geographical perspective: the Biafra Civil War and famine
(1967–70);8 the Lebanon War (1975–90), which is limited here, however, to the
specific period that involved international military intervention (1982–84);9 the
Bosnian War as part of the general conflict in the Balkans (1992–95);10 and the Somali
Civil War and famine.11
Based on an analysis of ‘framing mechanisms’ (Ghanem, 1996) taken from a
sample composed of major illustrated reports between 1967 and 1993, the analysis will
focus on a particular medium that consists of four international and national
newsmagazines: Time, Newsweek, Le Nouvel Observateur and L’Express. This
empirical comparative study will help us to understand the media representations of
civil wars over time (from the late 1960s to 1970s to the 1990s) and space (western and
African spheres), especially when it comes to conflicts in the Third World. 12 This study
focuses on the concept of framing and its semio-pragmatic applications surrounding the
visibility of the ‘pain of others’ (Sontag, 2002) in order to underline how collective
memory is deeply rooted in the media shaping of international conflicts.
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2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War
and Humanitarian Crises in the Prism of American and French
Newsmagazines (1967-1995)”
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Framing Pity in Media Narratives and Pictures
The frames used by journalists cannot be distinguished from social representations, both of
them influencing each other symbolically in the way they shape and understand events,
especially when they involve distant cultures and worlds: ‘Framing is concerned with the
way interests, communicators, sources, and culture combine to yield coherent ways of
understanding the world, which are developed using all of the available verbal and visual
symbolic resources’ (Reese, 2003: 11). The symbolic aspect in these media representations
of international events, particularly with respect to armed conflicts that generate
humanitarian emergencies, can hardly be underestimated.
Humanitarian action is a modern concept that is closely allied with charity, that is,
those forms of helpful acts that have appeared in older societies since the rise of
Christendom. Christian iconography thus includes countless images illustrating
gestures of pity and devotion, from saints to madonnas, scenes of pietà persistent
throughout the twentieth century. In addition, biblical metaphors of the Apocalypse
have since made their way into contemporary media language, thereby participating on
a broad linguistic scale in the depiction of horror.
Nowadays, talking about humanitarian action involves in fact summoning up a
particular iconic imagery, a sort of factual referent that in words and images
summarizes a given situation at a specific time:
Action is not separable from representation, to the point where the latter is decisive for
the first. Rescuing a victim (or, more modestly, donating so that lives can be saved), or
resorting to media to denounce what civilians are subjected to, ask from me to call at the
threshold of action, before its beginning. Then, during its development, a set of
representations – also of myself – that support my decision, guide my practice and
provide myself and others with the necessary presence for its recognition. (Mesnard,
2002: 8)13
These factual referents that are specific to collective memories have not only been based on
Christian iconography but also on older media events and sensationalist reports that have
involved history since then. Sometimes characterized by a politics of the spectacle and
denounced as a ‘charity business’ by some nongovernmental organizations (NGOs) such
as MSF, these media representations of humanitarian crises are linked to the history of the
live report and the competition between newsmagazines and television. After the first
broadcast wars such as that in Vietnam in the 1960s, the living-room war effect
emphasized the visible aspect of reality, whether it be still or moving images aimed at
summarizing events.
Photojournalism had to respond to the competition from television, first by insisting on
content, with newsmagazine reporters having a little more time in the field than other
reporters to carry out a more detailed analysis of the situation; second, by using visual and
title effects to enhance the scoop, such as the famous slogan of Paris Match: ‘The weight
of words, the impact of pictures.’ By working in difficult and stressful situations in the
context
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La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
of armed conflicts, journalists are tempted to use older schemes of perception in order
to try and summarize the ins and outs of a crisis:
News must be immediate, dramatic and novel. Stories are simplified and
personalized, with viewers or readers encouraged to identify with characters or to
make judgements about them. There is titillation, in the sexual sense, or in the wider
sense of arousing excited curiosity, through emphasis on the horrific – blood, injury
and violence. Readers’ responses are affected by language, tone, style and delivery.
(Berrington and Jemphrey, 2003: 227–28)
One way to measure this emphasis on the horrific aspects of humanitarian crises is to
analyze the ‘framing mechanisms’ that have been identified by Salma Ghanem (1996).
Pictures, titles, quotes and subheadings reveal a particular mise-en-scène that helps to
identify the salient aspects of media representations of an event. Hence, framing
mechanisms were systematically analyzed in this empirical comparative study of
approximately 500 illustrated reports, all published in the two major newsmagazines in the
United States (Time and Newsweek ) and two in France (Le Nouvel Observateur and
L’Express ).
In an initial step, a classic thematic content analysis done using data analysis software
(Atlas.ti) was used to identify the general framings used in newsmagazines, especially those
involving the humanitarian side of these conflicts. Then, in a second step, a semio-pragmatic
analysis was conducted on those ‘framing mechanisms’ that reenforce the humanitarian
aspects, by examining both pictures and the semantics of titles and quotations: ‘through their
systematic choices of word and image, the media not only expose audiences to the
spectacles of distant suffering but also, in so doing, simultaneously expose them to specific
dispositions to feel, think, and act toward each instance of suffering’ (Chouliaraki, 2008:
372).
In their reports of suffering, the media – sometimes unconsciously – rely on the
proximity-distance paradigm between spectators and victims, thus playing a role in the
way the public perceives events:
The spectator is, compared to the media, in the position [...] of someone to whom a
proposition of commitment is being made. [The statements and images from the
media combine] a description of the suffering and an expression of a particular way
to be concerned about it, they propose to the spectator a precise mode of emotional,
linguistic and conative commitment. (Boltanski, 1993: 215)14
Though we will not insist here on the effect of the media on the public and the implications
that media content have for potential action, it is important to underline how these framings
involve a graduation, or hierarchy, in the emergency level that is proclaimed and in the
characterization of the specific crises. This process is divided by Boltanski into three
topics, or schemes of functioning: the topic of denunciation, the topic of sentiment and the
esthetic topic (Boltanski, 1993: 91–189).
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2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War
and Humanitarian Crises in the Prism of American and French
Newsmagazines (1967-1995)”
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If esthetics are particularly significant in evoking images of pity, the two other topics
function as means of labeling persecutors, provoking moral condemnation, encouraging
military intervention (the topic of denunciation) and depicting victims and emotions
(the topic of sentiment), as has been stated by Chouliaraki:
Two dimensions of the spectator–sufferer relationship are relevant to the analysis
of the ‘eloquence’ of pity, its production in meaning. These are the dimensions of
proximity-distance and watching-acting. How close or how far away does the
news story place the spectator vis-à-vis the sufferer? How is the spectator ‘invited’
by the news story to react vis-à-vis the sufferer’s misfortune – look at it, feel for
it, act on it? (Chouliaraki, 2008: 374)
Consequently, the following questions derived from these concepts are related to the
identification of these specific humanitarian framings:
1.
2.
3.
4.
Is there any significance given to the suffering of innocents?
Are there any specific visual framings?
What about the rhetoric used?
Are there any differences between US and French newsmagazines?
The ‘Topic of Denunciation’: Crises Qualifications and Moral Condemnation
Labeling a conflict with the term ‘massacre’ or ‘genocide’ is scarcely insignificant and
often recalls a past event that is still present in people’s memory. As we have pointed out
before, historical parallels play an important role in the way journalists characterize
conflicts, parallels that are in fact an essential part of the history of humanitarian action.
In his study of the representation of victims in collective memory, the French historian
Philippe Mesnard (2002) has identified two memorable and disruptive periods in the
history of conflicts during the twentieth century.
The first one is related to World War II and the genocide of European Jews.
Absolute symbols of ‘total war’ and the failure of western democracies to confront
barbarism, the large-scale bombings of cities and civilians, the endless sieges and
battles, and the massive human losses have been a turning point in the war reporting.
Above all, pictures of Nazi concentration and extermination camps and the scale of the
Jewish genocide represented a unique moment in history (Zelizer, 1998). As a result of
the horror and incredulity this event provoked, any comparison with a previous conflict
was made impossible, marking this genocide as the ultimate reference point of atrocity.
The second turning point identified by Mesnard occurred in the late 1960s,
somewhere between the Biafra Civil War and the Vietnam War. Both of these conflicts
took place at a time when newsmagazines were competing with television, thus marking
this period as the
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La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
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‘golden era’ of photojournalism. Characteristic of these distant wars was that reports of civilians’
slaughter formed a memorable point at a time of an impressive social and political activism in
western societies.15 It was emblematic of the appearance of war casualties involving innocents,
with iconic images of the starving African child and the Napalm girl in Vietnam.16
References to World War II and the Jewish genocide are frequent in the reports analyzed
in this study, both implicitly and explicitly. As the Biafra crisis exploded in media coverage
during the summer of 1968, that is, at the height of the famine, the parallels drawn between
the situation of Ibos rebels and the Jews were frequent. They were considered ‘the Jews of
Africa’ (Le Nouvel Observateur, February 14, 1968: 14) and have been called the victims of
‘the largest pogrom in contemporary African history’ (‘Martyrdom and Birth of a Nation’,
Le Nouvel Observateur, August 26, 1968: 18–9). At the same time, a discussion of the
definition of genocide arose in political circles in France, mainly due to the activism of
young French doctors such as Bernard Kouchner (who will later found MSF). Many
pictures, however, by focusing on close-ups of starving children gathered along the walls of
huts, played on the limits of the parallels, as this caption in Time indicates: ‘In this land, the
choice seems to be between starvation and slaughter’ (‘A Bitter African Harvest’, July 12,
1968: 20). The question of genocide will regularly appear later on, especially in the case of
Bosnia and the issue of ethnic cleansing.
When it comes to urban and guerrilla fighting, such as in Beirut during the Lebanese
War , the parallels were obvious between the situation in Beirut and the famous city sieges
and the brutality of World War II. Indeed, at the beginning of the Israeli surprise offensive
on Beirut in the summer of 1982, the city was seen as ‘the new Stalingrad’ (‘Beirut: The
Palestinian Agony’, L’Express, June 25, 1982: 62–3). At the time of the slaughter in Sabra
and Chatila in September 1982, parallels with the atrocities of 1939–45 were re-enforced,
and the Palestinian refugee camps were compared with ‘ghettos’, the ‘indiscriminate
massacre of women, old people and children’ with a ‘pogrom’ (‘For the Honor of Israel...’,
Le Nouvel Observateur, September 25, 1982: 38), and persecutors even tried to erase
evidence of the events: ‘And when it was over, they attempted, in a manner reminiscent of
World War II, to destroy the evidence by bulldozing the bodies into makeshift common
graves’ (‘The New Lebanon Crisis’, Time, September 27, 1982: 8–12).
It seems that this explosion of violence is not understandable in the late twentieth
century, which has also seen the rise of human rights and the end of long-lasting conflicts
in western societies. For European readers, this violence cannot be explained and brings
humanity back to its primitive origins, such as it appears again in the massacres and ethnic
cleansing during the Bosnian War: ‘Many of Sarajevo’s 300,000 remaining residents are
wondering why outside powers are permitting such primitive violence to unfold on the
very doorstep of a postmodern Europe that has supposedly outgrown it’ (‘The Siege of
Sarajevo’, Newsweek, July 6, 1992: 22–3).
Witnesses, particularly aid workers who are sometimes witnesses of daily killings in
the field, are not sparing with the parallels, sometimes unbelievable, they draw to the
past, when barbarism was common in the practice of war, long before any law of war
had been
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2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War
and Humanitarian Crises in the Prism of American and French
Newsmagazines (1967-1995)”
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established. Thus, a Red Cross worker talks of ‘going back to the Middle Ages’ when
speaking of the rescue of civilians, while Rony Brauman questions western passivity in the
face of ‘butchery [...] at the doors of Europe’ (Le Nouvel Observateur, June 4, 1992: 64–6).
Such war crimes, whether they be the slaughter of civilians or ethnic cleansing,
demand punishment at a higher level, and hence reenact the memories of World War II
and the prosecution for crimes against humanity, which L’Express calls ‘the impossible
new Nuremberg’ (L’Express, February 4, 1993: 18–9) of war crimes in Bosnia. This was
already the case after the massacre of Sabra and Chatila, all newsmagazines having
covered the investigation and its conclusion in 1983. ‘The Verdict is guilty’ (Time,
February 2, 1983: 6–14) indicates a clear universal condemnation as pictures of
disemboweled bodies remind readers of the intolerable, blind violence against innocents.
Later on, parallels with the pictures of Nazi camps are clearly obvious in the case of the
so-called ‘death camps’ in Bosnia in August 1992: ‘Life and death in the camps’
(Newsweek, August 17, 1992: 13–4), ‘The spectre of the camps ...’ (Le Nouvel Observateur,
August 6, 1992: 40–1), ‘Must it go on?’ (Time, August 17, 1992: cover). These metaphors
are clearly amplified by iconic images of emaciated bodies behind wire fences, reminding
one of Bergen-Belsen and Auschwitz.
Such graphic and semantic violence demands intervention, which is the second step in
media discourses. The question of western intervention in such conflicts is fundamental. It
did not happen in the case of Biafra; at the time, action was mainly limited to medical and
food supplies being provided by humanitarian associations such as the Red Cross. Indeed,
western intervention in the form of military-humanitarian operations has occurred more
frequently in the 1990s, although they were mainly discussed in political and diplomatic
spheres (Price and Thompson, 2002). An increasingly central actor on the international
scene, the United Nations (UN), had already sent a coalition of foreign powers to Lebanon
in 1978.17
For Bosnia , it was asked, ‘Why Europe is paralysed?’ (Le Nouvel Observateur ,
June 4, 1992: editorial), or ‘Should the West go to Sarajevo?’, while the Serbian
outrages were compared with Nazi atrocities: ‘We don’t even have the strength to look
at those pictures of “ethnic cleansing”, that in the past the whole world – or almost –
would have fought’ (L’Express , December 18, 1992: editorial).18
Partly influenced by the involvement of Bernard Kouchner, then Secretary of
Humanitarian Action in the French government, western nations helped to provide
emergency aid through ‘humanitarian corridors’.19 Although a UN coalition had intervened
beginning in March 1992, difficult stories of the martyrdom of civilians shot in cross fire and
pictures of dead bodies in the streets of Sarajevo during the summer of 1992 made the
UNPROFOR (United Nations Protection Force) look ineffective in a place where ‘there’s no
peace to keep’ (‘Bosnia: The US Does Little for the War’s Victims’, Newsweek, August 23,
1993: 16).
By contrast, while the UNOSOM (United Nations Operation in Somalia) coalition was
disregarded because of its useless actions in Somalia at the same time, the continual
violence against civilians and the rising famine called for a humanitarian operation that led
to the media-glorified US intervention in December 1992.20 Instead of relief aid workers,
figures
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La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
of soldiers replaced the humanitarian delegates in the field, and big cover pages
celebrated the new modern hero: ‘As Operation Restore Hope begins, Somalis want the
US to stay long enough to fix not just their diet but also their society’ (‘Great
Expectations’, Time special report, December 21, 1992: 32–5).
Such stories of US soldiers acting as new aid providers were often accompanied by
pictures framing a crowd of young, smiling Somalis, shaking hands with foreigners in
fatigues. A silent crowd, one could say, as they waited for food. They were almost
never offered a chance to express themselves in the lines of the foreign press, although
this was not true of the victims in Sarajevo. This reenforces a perceptible colonialist
stereotype in the western media, as Chang et al. (1987) have stressed. According to this
stereotype, African conflicts are still considered the result of tribalism.
While it already appeared in the coverage of the Biafra crisis, Africans have since then been
regarded as a massive crowd of silent and passive sufferers. They are presented as eternal
victims who cannot live without foreign support, as if their fate deserved less attention, thus
questioning the way the media report on suffering according to the ethnic victims’ background:
[T]here has been only a limited amount of news space and time devoted to the
coverage of Third World countries in the Western media, especially in the United
States. Of the limited amount of news coverage, critics charged, the Western news
media tend to treat Third World nations in a negative manner, thus reinforcing
stereotypes against those countries. (Chang et al., 1987: 397)
Such a framing was widespread in the 1960s, during a period of big conflicts relating to
decolonialization. During the Biafra crisis, the explosion of violence between the Ibos and
Nigerians would trigger discussion on the prerogative of fury among African tribes, as Time
underlines by title ‘On Tribalism as the Black Man’s Burden’ (August 23, 1968: 1819). 25
years later, this postcolonialist perspective is still not completely absent when Newsweek
publishes a special issue on ‘Africa: The Curse of Tribal Wars’, linking ‘Africa’s wild
profusion of languages, religions and ethnic groups’ to an ‘unparalleled cultural diversity’
that ‘brings with it a constant risk of conflict and bloodshed’ (June 21, 1993: cover). From
the French doctors acting as lonely heroes in the Biafra famine to Marines providing shelters
and rice bags to those in the beaches of Mogadishu, it seems that Africa is trapped in
passivity and plagued with a history of tribal rivalry, in contrast to Europe, where violence
was thought to have been erased.
The ‘Topic of Sentiment’: Toward a Typology of Victims and Emotions
In her study on the ‘discourse of global compassion’, Birgitta Höijer points out the existence
of a certain ‘ideal victim’, whereby ‘some victims are “better” than others’ (Höijer, 2004:
516). As we have outlined early on, there is a clear difference in the geographical origin of
victims;
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2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War
and Humanitarian Crises in the Prism of American and French
Newsmagazines (1967-1995)”
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the closer they are to Europe, the better chances they have to solicit a response from the
western publics and its pity. There is also a defined hierarchy in the sociology of the
victim; age and gender play an important role. Men are usually taken as potential
combatants and are rarely used in pictures used to illustrate civilian casualties. Women
have less opportunity to fight and therefore embody the female incarnation of softness,
motherhood and fragility. Weakness is also an attribute of old people, their tired bodies
appealing to the cameras. But as Brauman (1993) comments, purity is deeply connected
with victimology. Thus, who can be purer or more innocent than a child? ‘This iconicity
means that in war reporting, images of children are critical sites on which narratives about
the legitimacy, justification and outcomes of war are inscribed’ (Wells, 2007: 55).
Because of this, Biafra offers an interesting case study. As the first massively covered
African famine, it is because of the appearance of iconic images of starving African children
and their associated attributes, such as swollen bellies, blond hair due to kwashiorkor and
skeletal bodies. They embody the slow ‘agony’ of the innocents and the ‘living-dead’ at the
height of the famine in August 1968 (‘Martyrdom and Birth of a Nation’, Le Nouvel
Observateur, August 26, 1968: 18–9). Depicted as a ‘children’s war’ (‘Agony in Biafra’,
Time, August 2, 1968: 19), the conflict in Biafra called upon the will of western citizens to
endure this tragedy and maybe act to put an end to the injustice. As Wells (2007) argued,
Representations of children have a very specific place in the iconography of war. Unlike
images of adults that are inscribed into discourses of moral blame and political
calculation, images of children may be fitted into a universalizing discourse. In such a
discourse, ‘the world’s children’ should be protected from the conflicts of adults
(extending from parental conflict through to international conflict), and deserve the care
and concern of any adult, regardless of their national or political allegiances. (Wells,
2007: 66)
A similar media representation is decisive for conflicts in Europe. At the beginning of
1982, Time had published a special issue on the case of ‘Children of War’ (January 11,
1982: 16–39), its correspondents having visited war-torn countries such as Cambodia,
Ireland and Lebanon to meet more than 30 children and their living conditions. Perfect
apolitical incarnations, these children at the same time embody the future of a nation:
‘Children are a synecdoche for a country’s future, for the political and social well-being
of a culture’ (Moeller, 2002: 39).
As a consequence, when Operation Peace of the Galilee started in June 1982, Time
was tempted to track down those Lebanese children who were used in its first report in
January, to illustrate their lives under a siege: ‘The hope was to find these children
alive after three weeks of war; if not to meet them face to face, then at least to learn of
their whereabouts’ (‘Seven Days in a Small War’, July 19, 1982: 14–9).
The result was a six-page report, written as a diary, which on a daily basis followed
the lives of four children in a ruined city, boys and girls, some grieving their dead
parents, others playing soldier, one of them being wounded. Through this
individualization, their
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tragedies in fact personify the future of every child trapped in a situation of violence and
act on western viewers at an emotional level. In order to do so, the media choose ‘to
position children’s injuries as an exceptional, unforeseen and certainly unintended outcome
of war. While the agents of “our side’s” military violence are routinely erased in
representations of war, “our” agency in rescuing the child from these unintended
consequences is highlighted in more or less dramatic ways’ (Wells, 2007: 66).
The choice to write this war report as a diary is quite interesting; more than simply
an external account by a journalist-witness, it offers a very specific focus on
individualization, thus enhancing the readers’ capacity to get to the very heart of the
story and questioning the moral justification of a war: ‘the human presence of the
sufferer [...] ranges from an undifferentiated mass of “miserable”, [...] to an individual
with a personal biography and a cultural history’ (Chouliaraki, 2008: 383).
The same result was produced by the story of the ‘Child of Srebrenica’ in May 1993.
The boy, called Sead Bekric, was photographed as blinded, covered in blood, lying on a
stretcher. The picture was widely broadcast and made the front cover in publications such
as Newsweek (May 10, 1993: cover). The boy became a sort of icon, an innocent target of
adults’ savagery. In discussing his story, L’Express explained the necessity of showing
such pictures (May 6, 1993: 5) by remaking the whole circle from the ‘bombed child, the
blinded child, the saved child’ to ‘the exhibited child’, as if the focus on an individual’s
tragedy would be the perfect alibi for refusing such tragedies on a larger scale: ‘Some
people fear that this image will trivialize the unbearable. On the contrary, it shows it, and
writes it into collective memory. And, without the picture of the wounded child,
Srebrenica would have risked being erased.’21
Yet such an increasing focus on the figures of innocence embodied by children must
not suppress the fact that civilians, no matter how old they are, are regular targets in
armed conflicts:
The de facto hierarchy is expressed in how the media report on war crimes, for
example. Crowned by the most innocent, the hierarchy begins with infants and then
includes, in descending order, children up to the age of 12, pregnant women, teenage
girls, elderly women, all other women, teenage boys, and all other men. (Moeller,
2002: 49)
Lebanon consecrated the framing of civilians as the first casualties in war, trapped in a
city siege under bombardment and taken as the ‘spoils of war’ (Time, June 28, 1982: cover)
or ‘as hostages’ (‘The Dark Days of Yasser Arafat’, Le Nouvel Observateur, July 3, 1982:
34–6). This mise-en-scène was even strengthened by pictures of complete destruction, old
women crying in the midst of the ruins of the buildings. The story of Beirut later influenced
the story of the Sarajevo siege during the Bosnian War, something quite obvious when one
compares the covers from French and US newsmagazines in 1982–83 and with those in
1992–95.22 A corresponding recurrence can be seen in the use of language, with the increase
in religious semantics during the Bosnian War and the famine in Somalia: civilians are
being ‘crucified’
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2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War
and Humanitarian Crises in the Prism of American and French
Newsmagazines (1967-1995)”
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and ‘sacrificed’ (‘With the Sacrificed in Sarajevo’, Le Nouvel Observateur, June 25, 1992:
52–8) or ‘possessed’ (‘The Possessed in Mogadishu’, Le Nouvel Observateur, September
3, 1992: 48–9), mutilated in an ‘inferno’ (‘A Taste of the Inferno’, Newsweek , September
14, 1992: 14–5), carrying their dead children such as this ‘Pieta of Baidoa’ (‘Landscape of
Death’, Time, December 14, 1992: 30–3).
Contemplating other people’s suffering implies a distance separating those regarding
and those regarded, ‘us’ and ‘them’:
The display of a politics of pity then supposes two classes of men, unequal, not with
respect to merit, like in a justice issue, but only with respect to happiness. These two
classes must be, on the other hand, in touch enough so that happy people can
contemplate, directly or indirectly, the suffering of the unfortunates, however distant or
unconcerned enough, so that their experiences and their actions can remain clearly
separated. (Boltanski, 1993: 18)23
There is a clear difference in the media coverage of victims in a western country compared
with that of victims in the Third World, as we have already emphasized. The paradigm of
distance and proximity is particularly relevant here and could be seen from our analysis. If
the wars in Lebanon and Bosnia were more extensively covered in our sample, the media
discourses also called for an immediate denunciation and ending of the slaughter of
civilians. This was less in evidence in the Biafra or the Somalia Wars:
The more remote or exotic the place, the more likely we are to have full frontal
views of the dead and dying. [...] These sights carry a double message. They show a
suffering that is outrageous, unjust, and should be repaired. They confirm that this is
the sort of thing which happens in that place. (Sontag, 2002: 63f)
But the focus on local victims rapidly comes to an end as soon as western countries
intervene in a conflict and suffer their first losses, as was the case in Lebanon and Somalia.
Right after the suicide attacks on buildings sheltering US and French troops in October
1983, which resulted in the death of 256 Marines and 58 French soldiers, the reports
concentrated entirely on the dead soldiers and the call for retaliation.24 Pictures of sobbing
civilians in the ruins and wounded children in hospitals were replaced by soldiers carrying
the bodies of their dead buddies, on shocking covers all framed in red and black.
The coverage was even more extreme in Somalia following the crash of two US
helicopters in October 1993. The usual situation of Americans watching Africans starve
was suddenly reversed; Americans were then contemplating ‘one’ of their soldiers, the
lynched body of a white male being tortured by a savage crowd. Somali militiamen held
one of the survivors, the pilot Michael Durant, as a prisoner and broadcast videos of his
detention. The new victims became ‘our’ own dead, and the main focus, particularly in the
US media, was on putting an end both to the detention of Durant and the military
intervention in Somalia.
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(1967-1994)
It seemed as if all of a sudden the glorious humanitarian intervention had turned into a
military fiasco, raising doubts about the US ability to maintain peace.
‘Trapped in Somalia’, ‘Bloodbath: What Went Wrong?’, ‘The Making of a Fiasco’,
‘Confronting Chaos’, ‘Anatomy of a Disaster’: such is the litany of titles in Newsweek ’s
and Time’s reports on the aftermath (October 18, 1993). Victims were no longer taken as
moral justification for humanitarian or military actions; only the safe return of ‘our
troops’, framed with several polls that questioned the rightfulness of the intervention in
Somalia (‘Do you approve of having US troops in Somalia?’, ‘What should be the main
goal of the US in Somalia?’), was now considered in the media discourse, as if the
slaughter of civilians had never really taken place.
Discussion
In this empirical, comparative study of the media representation of humanitarian crises in
two different cultural spheres, we noticed similarities and some differences in how the
international news is covered and framed. We must underline, however, that this was only
an exploratory analysis that would require a more systematic application of more
extensive data, for example, by multiplying the comparison of wars over time and space.
Moreover, while this study was made using ‘framing mechanisms’, it limited itself to the
most obvious semiotic signs in media representations (i.e., pictures, titles, headlines and
quotations).
A further investigation could be conducted with in-depth discourse analyses. This
would help to identify at a more precise level whether the effects that have been
observed at a first framing level, that is, one imposed by the impact of images, by
titles written in huge letters, and by highlighted quotations, may also be found in the
argumentation used in the articles:
The familiarity of certain photographs builds our sense of the present and immediate
past. Photographs lay down routes of reference, and serve as totems of causes:
sentiment is more likely to crystallize around a photograph than around a verbal
slogan. (Sontag, 2002: 76)
Nonetheless, this analysis does raise a series of thought-provoking issues. The use of a
historical perspective in media analysis allows us to consider the persistence of schemes
of representation in different discourses. The majority of studies on the coverage of
contemporary international conflicts is limited in time and space, thus, for example, the
studies on the wars of the 1990s (Pieterse, 1997; Moeller, 1999). Despite this, we need to
broaden our media understanding to encompass a longer period, one corresponding to the
history of conflicts in the twentieth century. Media representations are, more than
anything else, those of the journalists, and they cannot be separated from the more general
context of social representations that are promoted on the basis of how they describe and
perceive the
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2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War
and Humanitarian Crises in the Prism of American and French
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world. These social representations often evolve over an extended period of time, some
events suddenly crystallizing as absolute reference points in collective memory, as
Mesnard (2002) has shown for World War II, Biafra and Vietnam.
Consequently, in the four newsmagazines chosen for this study, we have found a
recurrence of cultural, traditional codes for western societies, both in pictures and in terms
of semantics. These codes function at several levels; first, they act as classification
categories, in particular by defining what is a ‘massacre’ or what is ‘genocide’. Second,
they indicate a gradation in the distinctiveness and scale of the event and do so by the
extensive use of a connoted vocabulary, which makes use of references to the JudeoChristian roots of western societies and the religious semantics (charity) of modern
humanitarianism. Finally, they label a crisis by choosing quick shortcuts to past events,
thus acting as simplifying summaries: ‘Formulaic coverage of similar types of crises makes
us feel that we really have seen this story before. We’ve seen the same pictures, heard
about the same victims, heroes and villains, read the same morality play’ (Moeller, 1999:
13). As Moeller has emphasized, this simplifying scheme often functions by using an
archaic triangular relation between the victim (‘the good one’), the persecutor (‘the bad
one’) and the hero (‘the savior’).
The limit of sensibility in the West has developed strongly since the beginning of the
twentieth century, revealing new concerns for justice and the well-being of mankind. It
is related to what the English sociologist Geoffrey Gorer (1955) has called ‘the
pornography of death’ or the unbearable witness of ‘the pornography of pain’
(Halttunen, 1995). The rise of ‘victim status’ can also be explained by the fact that
civilians have become the principal casualties in conflicts since World War II , though
a trivialization with regard to certain situations has led to ‘compassion fatigue’
(Moeller, 1999).
Nonetheless, the victim remains an undefined element. It changes depending on the
type of crisis involved: while the focus was largely on children during the Biafra crisis,
they appear alongside old women in Lebanon and Bosnia and combine with a crowd of
all ages in Somalia.
How can we explain a particular focus on a certain kind of victim at a given time? There
are still few answers to this question, although some hypotheses can be put forward.
Focusing on an individual’s career, instead of on an anonymous crowd, emphasizes the
‘propositions of commitment’ made by the reader (Boltanski, 1993: 215). Thus, they allow
identification with, or even indignation concerning, their poor condition. We can see this, for
example, in an article of Newsweek published during the Bosnian War in which a multitude
of refugees are drowned in the same anonymous voice: ‘All we can do is suffer: the plight of
Yugoslavia’s 1.5 million refugees’ (May 25, 1992: 10–1).
How do I make the suffering of a people mine? How do I confront an individual’s
tragedy with which I can identify? This approach differs radically from the Time article
‘Children of War’ or the story of the ‘Child from Srebrenica’. This seems to be a privileged
angle in the media representations of very recent conflicts, as we saw in the case of the war
in Gaza, at that moment in the media coverage when the conflict had ended, when it
seemed there was only place for laments of the innocent and for rebuilding lives that had
been torn apart
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In spite of the ethnic differences and their impact on the visibility of victims, this
type of framing is quite often chosen in media representations of humanitarian crises as
soon as the lives of civilians are at stake, when the international community is called
upon because of trampling of fundamental human rights: meanwhile, the fate of the
victim (or victims) hangs in the balance. The categorical status of the victim, as
Brauman (1993: 150–7) points out, is instrumental in the construction of an
‘international event’ that would command the attention of a mediated public. The ideal,
authentic victim is pure inasmuch as he or she has been deprived of their basic rights
and meaningful agency.
Moreover, the victim is public insofar as the conditions of his or her existence have
become an object of discourse (DeChaine, 2002: 362). The more victims are deprived of
their rights, the more their innocence is affected, the more they call out for an injustice to
be corrected. By headlining ‘Belgrade’s injured innocence’ (June 22, 1992: 12–3),
Newsweek chose a metaphor that includes a city and all of its inhabitants, who were
trapped in a fury beyond understanding, while the story was illustrated with the picture of
a woman ripped open , as all of the ethnic cleansing, local nationalisms and atrocities on
all sides25 could be embodied in this hopeless victim.
Such stories focus on a feeling that the international community had neglected the
civilians and its own ideals of liberty, democracy, security and peace: ‘How Dare You
Leave Us Alone to Die!’ (Le Nouvel Observateur, December 9, 1993: 76–8). This feeling is
even heightened when children are depicted, victims of men’s fury and adults’
abandonment:
Key themes of the discourse of childhood, including the family as the ideal site of
childhood, converge so that the image of the lone child symbolizes abandonment.
Cutting out of the frame the adults and other children who surround the child places
the viewer of the image in the role of these missing carers. Children on their own are
abstracted from their culture and society. [...] Rather, if lone children are not rescued
then they will be abandoned to their fate. (Wells, 2007: 63–4)
The focus of victims’ representations involves imbalances, but it reveals a social
imagery concerned with the relief of suffering, based on universally shared values, at
the risk of falling into reductive schemes. NGOs have been attacking some of the
media, accusing them of sensationalism and trivialization. Such criticism was largely
initiated by MSF , though it had itself used media hype in its spectacular humanitarian
operations at the end of the 1970s.26 Despite this, MSF has recently been appealing to
the Seven Agency, a renowned photographic agency of famous war photographers, in
order to inform people about the forgotten crisis in Congo . 27 One result of this was a
photo exhibition called ‘Democratic Republic of the Congo: forgotten war’, with
endless pitiful scenes in black and white, close-ups of skeletal bodies and mothers
watching over their dying children.
It shows that the imagery of the victim, which can act both as a mobilizing tool and
as a reductive one, is far from being outdated and demands that we redefine how we
view and categorize others.
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and Humanitarian Crises in the Prism of American and French
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Key Points








Framing mechanisms
Victimization
War
Compassion
Spectacle of suffering
Social representations
Collective memory
Newsmagazines
Study Questions
1. Victimization has been defined as a tendency to induce a hierarchy in the typology
of victims. Choose a case study (e.g., a two-week sample of media coverage of a
given conflict) and then define the types of victims represented. What is the
preferred gender/age of the victims? Are these victims given the right to speak, and
if so, who among them? Is there a tendency to use personification in media
discourses (i.e., to focus on individuals in a story)?
2. Media framings of humanitarian crises are made understandable for the public by
reference to collective memories. Try to spot these historical parallels in media
discourses: Is there any mention of past events? Do the journalists use a particular
semantics such as a biblical one?
3. Framing mechanisms often function using the ‘double’ language of pictures and
words. Using a small sample (such as an illustrated report from a newsmagazine)
taken from a humanitarian emergency that resulted from an armed conflict,
evaluate the use of pictures compared with words. Do you notice a similar
framing in the photographs, titles and captions? Do you observe a narrative
based on pictures? If so, do these pictures insist on a particular type of framing
(emotional, denunciatory etc.)?
Further Reading
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Notes
1 Called Operation Cast Lead, the Gaza War started on December 27, 2008 and ended
on January 18, 2009, with a unilateral cease-fire.
2 Egypt and Israel have had limited access to Gaza since November 2008. Even if the
Israeli Supreme Court ruled on December 29, 2008 that foreign journalists should be
granted access to Gaza when the border was opened by the military, the IDF refused
to comply.
52
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
3 These were journalists who were in Gaza before the military operation started. They
were mainly reporters for international broadcast television stations, such as Al
Jazeera and the BBC , and for international news organizations. General access for
foreign correspondents was only granted on January18, 2009, when the cease-fire
was declared.
4 The article relies mainly on the story of Abed Rabu, a father who had two daughters
who were wounded and a third one who was shot dead during the war.
5 For example, several charity organizations involved in helping war orphans were
founded immediately alter 1918, such as the Save the Children Fund (1919).
6 Also called Doctors without Borders.
7 Translated by the author from the original French text: ‘[Les médias insistent sur] le
niveau symbolique du ‘statut de la victime’ [...], celle-ci ne prenant véritablement
corps qu’à la condition de pouvoir être vue comme une effigie de la souffrance
injuste, de l’innocence meurtrie. Victime d’une nature cruelle, d’une guerre absurde
– les guerres des autres sont toujours absurdes -, de bandes armées impitoyables, ou
d’un dictateur sanguinaire, mais victime pure, non participante.’
8 Also known as the Nigerian Civil War, this conflict was the result of an attempted
secession of the southern provinces of Nigeria, which are mainly inhabited by the Ibos
tribe.
9 Also known as the First Lebanon War, it started with the IDF invasion of southern
Lebanon alter violence erupted between the Palestine Liberation Organisation and
Israel.
10 It started alter the breakup of the former Yugoslavia into independent republics, the
rise of nationalisms in the former country and the increase in ethnic tensions.
11 It started alter the ousting of President Siad Barre , resulting in instability among
local warlords.
12 In this chapter, we choose to consider Lebanon as a westernized country. Although
it is situated in Middle East, its history, culture and civilization have deep ties with
the West, especially the country that colonized it, France (a large percentage of the
population speak French). Moreover, the results of this study have shown that
Lebanese society and its citizens are included in the same media framings as people
of European background. As a result, the media seem to disfavor geographical
perspective when it is a matter of establishing a connection between the cities and
white citizens of the Middle East who live according to western standards and
European societies and their citizens.
13 Translated by the author from the original French text: ‘L’action n’est pas dissociable de
la représentation, au point que celle-ci est un des déterminants de celle-là. Secourir une
victime, ou, plus modestement, donner pour que des vies soient sauves, ou bien recourir
aux médias pour dénoncer ce que des civils subissent, me demandent de convoquer au
seuil de l’action, avant de l’entamer, puis durant son déroulement, un ensemble de
représentations – y compris de représentations de moi-même – qui étayent ma décision,
guident ma pratique et fournissent à celle-ci la présence nécessaire à sa reconnaissance, à
mes yeux comme à ceux des autres.’
14 Translated by the author from the original French text: ‘Le spectateur est, par
rapport aux médias, dans la position [...] de celui à qui est faite une proposition
d’engagement. Un autre spectateur, qui lui rapporte une histoire et peut se présenter
comme un reporter [...] transmet des énoncés et des images [...]. Ces énoncés et ces
2. Article 1: “An iconography of Pity and a Rhetoric of Compassion. War
and Humanitarian Crises in the Prism of American and French
Newsmagazines (1967-1995)”
53
images ne sont pas n’importe quoi. [Ils mêlent] une description de la souffrance et
l’expression d’une façon particulière d’en être concerné, ils proposent au spectateur
un mode défini d’engagement émotionnel, langagier et conatif.’
15 This is particularly the case for the United States , where the protest movements
against the Vietnam War were at their highest level between 1967 and 1969. As for
France , May 1968 saw the mobilization of French youth’s conscience concerning
Third World issues and imperialism.
16 The picture was taken by Nick Ut (AP) in Saigon in 1972.
17 Under the term of UNIFIL, this coalition was placed under the command of the
French army. The US army reenforced the coalition in 1982.
18 Translated by the author from the original French text: ‘Nous n’avons même plus la
force de regarder en face les images d’une ‘purification ethnique’ qu’en d’autres
temps le monde entier – ou presque – combattit.’
19 This was mainly covered in French news magazines; see ‘With Mitterand in
Sarajevo’, Le Nouvel Observateur special report, July 2, 1992 and ‘Yugoslavia: The
Limits of Humanitarian Action’, L’Express special report, August 28, 1992.
20 Called Operation Restore Hope, it was conducted by the United Task Force until
May 1993.
21 Translated by the author from the original French text: ‘D’aucuns craignent que
l’image ne banalise l’insoutenable. A l’inverse, elle le montre, et l’inscrit dans les
mémoires collectives. Et, sans l’image de l’enfant blessé, Srebrenica risquait d’être
massacre.’
22 For example, see ‘Lebanon’s Legacy’, Time special report, August 23, 1982;
‘Lebanon’s Partition’, L’Express special report, May 5, 1983; ‘Hate Thy Neighbor’,
Newsweek special report on Bosnia, January 4, 1993.
23 Translated by the author from the original French text: ‘Le déploiement d’une
politique de la pitié suppose donc deux classes d’hommes, inégaux, non sous le
rapport du mérite, comme dans une problématique de la justice, mais uniquement
sous celui du bonheur. Ces deux classes doivent être, d’autre part, suffisamment en
contact pour que les gens heureux puissent observer, directement ou indirectement,
la misère des malheureux, mais pourtant suffisamment distantes ou détachées pour
que leurs expériences et leurs actions puissent demeurer nettement séparées.’
24 For example, see ‘Carnage in Beirut’, Time , October 31, 1983; or ‘Beirut: Who?’,
L’Express , November 4, 1983.
25 Although media coverage largely focused on Serbian atrocities during the conflict,
later on they also reported on atrocities being committed by the Croatian and
Bosnian-Herzegovinian sides.
26 One of them was the launch of an operation to save boat people in 1978.
27 The photographers involved were James Nachtway, Ron Haviv , Gary Knight ,
Antonin Kratochvil and Joachim Ladefoged . A glimpse of it can be seen on the
Seven Agency website: www.viiphoto.com.
54
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des
représentations humanitaires dans les médias français, suisses et
américains (1967-1970) »
55
3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise
matricielle’ des représentations humanitaires dans
les médias français, suisses et américains (19671970) »
Article soumis à la revue Le Temps des Médias.
Revu une première fois, actuellement en cours de révision finale.
S’il est accepté par la revue, il sera publié dans le N°21 (automne-hiver 2013).
56
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
La guerre civile du Biafra comme « crise matricielle »
des représentations humanitaires dans les médias
français, suisses et américains (1967-1970)
Résumé
Cet article se propose d’explorer la médiatisation de la guerre civile du Biafra en
montrant comment elle a marqué un « tournant » visuel important dans le
reportage de guerre et le photojournalisme. Grâce à une collaboration alors
inédite entre acteurs humanitaires, religieux et journalistes, qui utilisent
massivement les figures d’enfants affamés, elle est devenue depuis
emblématique de l’iconographie de la souffrance et de l’imagerie humanitaire. A
travers une analyse comparative entre magazines illustrés et chaînes télévisées
américaines, françaises et suisses, cet article démontre quels cadrages
médiatiques furent privilégiés lors de cette guerre, et notamment la place des
humanitaires dans cette médiatisation.
Mots-clés : Biafra, guerre civile, photojournalisme, action humanitaire, presse
magazine, télévision, famine
Introduction
La médiatisation de la guerre civile du Biafra (1967-1970), si elle a marqué la
mémoire collective pour avoir été la première grande famine télévisée, a marqué
un « tournant » visuel important également dans le reportage de guerre et le
photojournalisme. Grâce à une collaboration alors inédite entre acteurs
humanitaires, religieux et journalistes, qui utilisent massivement les figures
d’enfants affamés, elle est devenue depuis emblématique de l’iconographie de
la souffrance et de l’imagerie humanitaire. Si cette collaboration marque l’entrée
dans une ère parfois qualifiée de « deuxième âge de l’humanitaire », elle se
caractérise surtout par l’apparition d’un nouveau mouvement humanitaire en
1
1971, Médecins sans frontières (MSF) qui utilisera alors le témoignage public
comme principe fondamental de son action : « Au cours de la guerre du Biafra,
la communication change discrètement. De la logique institutionnelle des
conférences de presse régulières et des communiqués (Croix-Rouge), la presse
passe à une logique d'individualisation. Cessant d'être seulement des experts,
alimentant la rhétorique de l'horreur quantifiée, les médecins sont interviewés et
2
apparaissent hommes aux motivations variées. »
Sans rentrer ici dans le débat communicationnel du « tapage médiatique » par
3
Bernard Kouchner, futur MSF, contre le « silence » neutre du CICR à l’époque,
1
Voir Philippe Ryfman, Histoire de l’humanitaire, Paris, La Découverte, 2008 ou Michael Barnett,
Empire of humanity, Ithaca, Cornell University Press, 2011. Ancien directeur de MSF France, Rony
Brauman en a une dimension plus mesurée en évoquant non la naissance d’une nouvelle manière
de faire de l’humanitaire mais celle de nouveaux acteurs, « L’humanitaire par-delà la légende »,
Etudes, n°3925, 2000, p. 615.
2
Yves Lavoinne, « Médecins en guerre : du témoignage au ‘tapage médiatique’ », Le Temps des
Médias, vol. 1, n°4, 2005, p. 124.
3
Voir notamment l’examen nuancé qu’en fait Marie-Luce Desgrandchamps, « Revenir sur le mythe
fondateur de Médecins sans Frontières : les relations entre les médecins français et le CICR
3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des
représentations humanitaires dans les médias français, suisses et
américains (1967-1970) »
57
nous voulons démontrer ici en quoi le Biafra fut une « crise matricielle » pour les
représentations médiatiques autour de l’humanitaire moderne, qui serviront à
mobiliser différents référents, du droit des peuples aux « haines tribales », en
passant par le génocide juif, mais aussi une forme d’« instrumentalisation
4
politique ». Cette guerre civile s’inscrit dans une visibilité de la souffrance des
autres et des mises en scène favorisant la victimisation : « Un zèle
compassionnel né en 1968 au Biafra pèse ainsi sur notre société et la met en
5
demeure de remédier immédiatement au scandale de la souffrance. » Cette
médiatisation place désormais l’acteur humanitaire comme expert médiatique et
témoin privilégié des crises ; cette démarche, encore embryonnaire pour les
6
French Doctors au Biafra, est caractéristique d’une série d’organisations
humanitaires mais aussi de protagonistes du conflit qui cherchent tour à tour à
imposer leur qualification de la guerre dans le discours médiatique.
L’objectif de cet article est donc d’élargir les travaux historiques menés jusqu’ici
sur la guerre du Biafra, pour établir une analyse médiatique comparative entre
magazines illustrés et chaînes télévisées américaines, françaises et suisses,
pour comprendre comment les cadrages médiatiques s’imposent autour de cette
guerre et qui les impose. Nous aborderons dès lors les trois axes suivants :
d’une part, l’ampleur de la couverture médiatique et ses fluctuations en terme de
cadrages, notamment la place des humanitaires dans la médiatisation.
Deuxièmement, l’apparition d’une focale plus nette autour de l'intervention
humanitaire et d’une rhétorique victimaire qui concrétisent notamment
l’iconisation de la figure des enfants. Enfin, l'utilisation d'une rhétorique
« génocidaire » par le leader du Biafra et la campagne médiatique qu’il met en
place, et sa récupération dans le discours journalistique, qui voient circuler des
référents historiques de l’horreur dans la mémoire collective et médiatique.
Méthodologie et corpus
L’ensemble du corpus se compose des chaînes télévisées nationales suisses,
françaises et nord-américaines (Télévision Suisse Romande – TSR; Antenne2;
NBC, CBS, ABC) ainsi que des magazines hebdomadaires d'actualité
internationale (L’Express (EX), Le Nouvel Observateur (NO), Time (TI),
7
Newsweek (NW)). Le choix d’un tel corpus permet la comparaison de deux
médias qui s’opposent et se concurrencent à cette période: la télévision, qui
joue un rôle décisif dans la médiatisation du Biafra et du Vietnam, notamment
dans l’effet du direct; la presse magazine, dont le recours aux grands reportages
pendant la guerre du Biafra (1967-1970) », Relations internationales, vol. 2, n°146, 2011, pp. 95-108.
4
Rony Brauman et René Backmann, Les médias et l’humanitaire, Paris, CFPJ, 1996, p.27.
L’argument est contestable si l’on établit une échelle historique plus large, notamment la famine
ukrainienne de 1921-1922, où le CICR et la SdN seront forcés de négocier avec la Croix-Rouge
soviétique qui instrumentalise alors à des fins politiques une véritable campagne médiatique autour
de la souffrance des affamés.
5
Denis Maillard, « 1968-2008 : le Biafra ou le sens de l’humanitaire », Humanitaire, vol. 18, 2008, p.
8.
6
Nous utilisons ici le terme de manière anachronique pour désigner les médecins futurs fondateurs
de MSF, puisqu’il apparaît dans la presse nord-américaine lors de la guerre en Afghanistan des
années 80.
7
Cette démarche fait partie d’un travail de thèse plus étendu qui vise à comprendre l’évolution des
représentations et des cadrages médiatiques autour de l’humanitaire dans la presse magazine
française et américaine, entre le Biafra et le Rwanda (1967-1994).
58
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
photographiques s’intensifie dans les années 1960, consacrant un certain « âge
8
d’or » du photojournalisme. Les deux médias font une place importante aux
images, et notamment aux figures des affamés, comme nous le verrons plus
loin. A l’instantané du direct de la télévision, les newsmagazines opposent
l’analyse en profondeur car ils disposent d’une périodicité hebdomadaire et
l’importance du visuel permet alors de revenir sur l’agenda marquant des
9
actualités de la semaine. L’objectif de la comparaison entre la France entre la
Suisse notamment, réside dans la place qu’occupe alors le CICR dans le
paysage médiatique francophone ; ses appels aux dons en 1968 seront relayés
en France et en Suisse, et il change progressivement sa stratégie médiatique
pour apparaître à la télévision suisse. Le parallèle avec les Etats-Unis nous
permet d’évaluer la portée de ces représentations victimaires dans les
télévisions et magazines américains alors focalisés sur la guerre au Vietnam,
établissant des parallèles récurrents avec ce conflit lors de la guerre du Biafra.
L’analyse a été menée en deux étapes : tout d’abord une analyse de contenu
thématique sur l’ensemble du corpus, puis une analyse iconographique et
linguistique. Celle-ci a permis de revenir plus spécifiquement sur les
mécanismes de cadrage permettant de mettre en valeur les éléments saillants
10
du discours médiatique. Pour le corpus, tous les émissions et articles réalisés
entre le début et la fin de la guerre, soit du 30 mai 1967 au 11 janvier 1970, ont
été sélectionnés, avec une extension jusqu’en octobre 1970 pour certains sujets
portant sur les conséquences directes de la guerre. Dans l’ensemble, il s’agit
d’un total de 165 émissions et 86 articles traitant des actualités internationales
11
ou des émissions politiques abordant spécifiquement du conflit biafrais.
La couverture médiatique au regard du travail des
journalistes
Pics médiatiques
La guerre du Biafra se déroule dans un agenda politique chargé sur le plan
national et international, que ce soit Mai 68 en France ou la guerre du Vietnam
aux USA. Les parallèles sont d’ailleurs établis par les journalistes, dont certains
sont aussi envoyés au Vietnam, à l’image d’Olivier Todd, reporter pour Le
Nouvel Observateur (30.12.68, p.10). Les violences du conflit indochinois
servent dès lors assez logiquement de référent pour mesurer l’intensité des
combats au Biafra : « The result has been a conflict second only to the
Vietnamese war in its bloody horror » (NW, 03.06.68, p.46C). Toutefois, à la
8
Yves Lavoinne, L’humanitaire et les médias, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2002.
Jean-Marie Charon, « La presse magazine : un média à part entière ? », Réseaux, 2001, vol. 1,
n°105, p. 64.
10
Cadrage ou théorie du framing, inspirée de la théorie de cadres de Goffman et théorisée en
sciences de la communication par Robert Entman, « Framing : toward clarification of a fractured
paradigm », Journal of Communication, vol. 43, n°4, 1993, pp. 51-58.
11
Pour les trois chaînes américaines, il s’agit seulement des actualités du soir ; de plus, les archives
disponibles ne remontent que jusqu’à 1968, ce qui constitue un biais pour les émissions qui ont pu
exister en 1967. Pour la TSR, il s’agit uniquement de l’émission Carrefour, grande émission
d'actualité régionale diffusée trois jours par semaine. Pour A2, il s’agit du JT de 13h, de 20h et du JT
Nuit, ainsi que des émissions Panorama, Les actualités françaises, Cinq colonne à la une, Point
Contrepoint, Le Club de la Presse.
9
3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des
représentations humanitaires dans les médias français, suisses et
américains (1967-1970) »
59
différence du Vietnam où l’action humanitaire sera très réduite, la guerre du
Biafra se caractérise par l’ampleur des secours mis en œuvre, qui constituent le
tournant principal de la couverture médiatique pendant l’été 1968 (Figure 1).
80
70
70
60
49
50
41
41
magazines
40
télévision
30
20
20
10
13
12
5
0
1967
1968
1969
1970
Figure 1. Pics médiatiques selon le nombre d’articles/émissions consacrés au Biafra
Si la couverture reste moindre pour les premiers mois du conflit en 1967, c’est
parce que le sujet intéresse peu les médias qui pensent vraisemblablement que
12
la guerre ne durera pas du fait de la supériorité militaire du Nigéria. Le pic
médiatique suivra l’urgence de la famine en 1968, après l’appel des
organisations humanitaires dans le courant du printemps. En 1969, les regains
de violence et l’étranglement de l’armée biafraise suscitent plusieurs sujets sur
la guerre qui se pérennise, pour se terminer sur l’effondrement du Biafra et le
bilan sinistre à tirer de la guerre en janvier 1970.
Même à la fin de la guerre, la focale reste encore sur les conséquences
humaines. L’icône des enfants affamés mobilise encore les rédactions plusieurs
mois après la guerre, au titre de la nécessité du maintien de l’aide pour les
affamés. L’Express titre ainsi « la défaite des enfants » (14.09.70, p.26), illustré
par une photographie d’une infirmière blanche entourant des enfants biafrais
dont les corps nus et décharnés rappellent les pires moments de la famine au
cœur de l’été 1968. C’est aussi l’objectif de l’émission du Club de la Presse (A2,
16.10.70), que le journaliste Jacques Sallebert débute en citant : « Je pense que
vous avez encore en mémoire ces photos, assez atroces, qui ont été assez
largement distribuées à travers toute la presse mondiale (…) et ce qui nous a
intéressé ce soir c’est de savoir ce que sont devenus, justement, ces enfants du
12
Voir le témoignage qu’en livre Frederick Forsyth, qui couvre le Biafra pour la BBC en 1967 et qui
démissionnera par la suite car sa rédaction lui refuse plus de temps pour courir le conflit ; The Biafra
story, London, Penguin Books, 1969.
60
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Biafra ». Avec lui, pour répondre à ces questions, sont alignés certains des
acteurs humanitaires emblématiques de la guerre, dont Max Récamier, qui
créera quelques mois plus tard MSF. La figure victimaire de l’enfant domine et
13
s’impose comme un élément d’amorçage de la couverture et de la mémoire
médiatique du Biafra. Elle est en fait le résultat d’un cadrage qui s’est imposé
parmi d’autres, que nous allons dès à présent explorer.
Labellisation du conflit
Les univers sémantiques utilisés sont une première étape dans la qualification et
la catégorisation des faits ; les mots jouent ici un rôle essentiel car ils font appel
à la mémoire collective en plaçant les faits sur une échelle de la violence et de
l’urgence. En choisissant de parler de « guerre civile » ou de « sécession » et
« d’indépendantisme », les médias situent alors l’enjeu soit comme une guerre
(tribale) qui fait écho avec le passé agité du continent, soit comme « le droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes » (revendiqué par le chef des Biafrais, le
Colonel Ojukwu lui-même) et susceptible d’attirer la sympathie du public
sensible aux mouvements d’indépendance tiers-mondiste des années 60. De
même que l’usage du terme « massacre » au début comme à la fin du conflit,
ancre le conflit dans l’historique de la haine fantasmée des Nigérians sur les
14
Ibos, et permet de laisser planer le spectre d’un « génocide » qui trouve sa
place dans le discours médiatique, et sur lequel nous reviendrons plus bas.
Aux premiers mois du conflit, les enjeux humanitaires ne sont pas encore
présents. Les reportages cadrent sur les causes du conflit, qui sont
systématiquement ramenés à l’histoire des nations africaines, aux tensions
creusées par les guerres de décolonisation, aux implications des grandes
puissances étrangères, notamment de l’ancienne puissance colonisatrice
anglaise (Figure 2). Leur but semble être de donner aux lecteurs/spectateurs les
clés de lecture des enjeux géopolitiques. Ils s’appuient néanmoins sur des
repères stéréotypés, notamment les haines tribales (thème 3 Figure 2) « entre
les Yaousas musulmans et les Ibos chrétiens » (NO, 19.01.70, p.17). Ce
manichéisme du « schème ethnique » issu d’une haine inscrite dès l’époque
coloniale, est frappant dans l’essai du Time sur le « tribalisme comme le fardeau
de l’homme noir » (23.08.68, p.18). L’Afrique restera d’ailleurs inscrite les
15
décennies suivantes dans ce socle représentationnel.
13
L’effet d’amorçage vient de la théorie du priming, développée au niveau de l’image par David
Domke et alii, « The primes of our times ? An examination of the ‘power’ of visual images »,
Journalism, vol. 3, n°2, 2002, pp. 131-159.
14
Nom de la majorité ethnique biafraise, de confession catholique, en opposition aux Nigérians du
Nord, dominés par l’ethnie des Yaousas de confession musulmane.
15
Sophie Pontzeele, « Le schème de la ‘guerre ethnique’ dans la médiatisation des crises
africaines : Burundi 1972 et Rwanda 1994 », Les Cahiers du Journalisme, n°18, 2008, pp. 166-182.
3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des
représentations humanitaires dans les médias français, suisses et
américains (1967-1970) »
61
14. réconciliation (n=31)
13. relations diplomatiques (n=35)
12. pourparlers (n=76)
11. instrumentalisation de l'aide (n=21)
10. blocage/déni (n=50)
9. urgence humanitaire (n=74)
1970
8. sympathie, mobilisation (n=26)
1969
7. secours humanitaires (n=153)
1968
6. passivité internationale (n=35)
1967
5. intervention occidentale (n=57)
4. guerre, combats (n=153)
3. tribalisme/haines ethniques (n=54)
2. causes politiques (n=58)
1. causes économiques (n=44)
0
20
40
60
80
100
Figure 2. Thématiques abordées autour du conflit biafrais entre 1967 et 1970 (n=867)
Ces cadrages sont toutefois fluctuants ; ils se caractérisent par une alternance
entre reportage de guerre traditionnel (thèmes 4 et 12) entre 1967 et 1969 et
aspects humanitaires (thèmes 7 et 9) entre 1968 et 1970. Il faut attendre le
milieu de l’année 1968 pour trouver alors une véritable analyse des causes de la
sécession. Cette situation est surtout caractéristique des magazines : alors que
les télévisions abordent les causes économiques et politiques du conflit à fin
1967, les magazines développent des articles de fond pendant l’été 1968, au
cœur même de l’urgence alimentaire, confirmant par là leur capacité de recul et
16
d’analyse par rapport à la télévision, sur un conflit qui s’éternise.
Si l’ensemble des médias utilisés dans le corpus mentionne la question de
l’implication des grandes puissances occidentales, condamnant majoritairement
leur passivité (thème 6) parce qu’elles ne reconnaissent pas l’Etat du Biafra ou
qu’elles soutiennent indirectement la guerre en fournissant des armes au
Nigéria, Le Nouvel Observateur se détache des autres. Sa rédaction, proche du
Mouvement de Mai 68 et des sympathisants communistes, adopte une ligne
éditoriale ouvertement pro-biafraise. Il se montre d’ailleurs le plus engagé parmi
les médias sélectionnés, soulignant tôt le désintérêt de l’opinion publique devant
le « silence » du Biafra (14.02.68, p.14), et reprenant souvent, sans la critiquer,
la victimisation mise en place par Ojukwu, que nous allons aborder ci-après.
16
Time fait sa première analyse le 23 août, Le Nouvel Observateur le 26 août et L’Express le 7
octobre. A titre d’anecdote, Newsweek publie sa première carte du Biafra le 3 juin 1968, soit un an
après le début du conflit, en annonçant alors qu’il s’agit "d’une province ouest-africaine qu’un
Américain sur un millier pourrait situer sur une carte" (p. 46C).
62
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Présence des journalistes sur le terrain
Les fluctuations des pics médiatiques, tout comme des thématiques abordées,
dépendent largement des ressources journalistiques engagées sur le terrain. Au
début du conflit, les articles et émissions s’intéressent alors à la description des
faits (protagonistes et causes du conflit) sans rentrer dans une dimension
émotionnelle ou humaine ; cela s’explique en grande partie par le fait qu’ils
proviennent de sources provenant pour la plupart d’agences de presse. C’est
l’arrivée des reporters sur le terrain courant 1968 qui fera véritablement basculer
vers un engagement plus prononcé en faveur du Biafra et des souffrances des
Ibos. Elle est consécutive à l’enlisement du conflit dû à la défaite progressive de
l’armée biafraise, le repli de sa population dans un réduit et le blocus
économique, politique et humanitaire imposé par le Nigéria favorisant
l’apparition de la famine ; la focale sur les victimes se met alors en place.
Cette victimisation est notamment due à Ojukwu, dont la forte présence
médiatique indique une véritable stratégie pour un homme qui se veut en
représentation. Majoritairement sollicité dans les entretiens (environ deux fois
17
plus que le Colonel Gowon, chef de l’armée nigériane, dans notre corpus),
Ojukwu parvient à imposer un cadrage autour de la persécution des Ibos, centré
sur la dualité du faible contre le puissant. Elle est aussi significative de la réalité
du terrain, car les journalistes occidentaux ont de la peine à rentrer dans le
territoire biafrais, du fait du blocus nigérian, qui renforce la stratégie de
18
victimisation et d’isolement d’Ojukwu. Les médias se font alors le relais des
atermoiements du CICR : celui-ci est en effet empêtré dans des négociations
longues et difficiles. Son mandat juridique, qui le contraint à obtenir l’accord des
belligérants pour intervenir, le limite face à un nouveau type d’action auquel il
n’est pas habitué et qui mèneront au pont aérien pour le Biafra, point d’orgue
des secours humanitaires qui se mettent en place.
Cette instrumentalisation de l’aide humanitaire, à laquelle Ojukwu prend part en
utilisant la famine comme moyen de pression politique, est pourtant dénoncée
régulièrement par le Général Gowon qui accuse les organisations caritatives de
collaborer aveuglément à sa propagande (ABC, 14.01.70 et A2, 31.10.68). Ces
enjeux stratégiques sont relevés à quelques reprises par certains médias
(thème 11), à l’image de Newsweek qui titre ainsi « Politique de la famine »
(22.07.68, pp.41-42). En réalité, peu insistent sur la stratégie interne, aujourd’hui
mieux connue, mise en place par Ojukwu, qui dispose d’une radio, La Voix du
19
Biafra, ainsi que d’une machine Télex. Il mandate aussi l’agence de relations
publiques Markpress, basée à Genève, qui diffuse notamment les images
d’enfants affamés dès 1968. Elle innove en organisant des convois de
17
Ce résultat contredit les recherches de Ken Waters qui affirme qu’Ojukwu donne peu d’entretiens ;
« The role of Catholic missionaries in media coverage of the Nigerian Civil War », The Catholic
Historical Review, vol. 90, n°4, 2004, p. 709.
18
Le blocus est également diplomatique, puisque le Nigéria empêche l’acheminement des secours
autrement que dans les avions Croix-Rouge, craignant qu’ils ne contiennent des armes. Ojukwu
entretient également ce blocus, en prétextant que les vivres peuvent être empoisonnés par les
Nigérians.
19
Un documentaire de la BBC, Biafra: Fighting a war without guns (1995), a depuis démontré que
les services secrets français auraient payé cette propagande, selon les déclarations de Paddy
Davies, du Secrétariat de propagande biafraise. Voir aussi Alex de Waal, Famine crimes : politics
and the disaster relief industry in Africa, Indiana University Press, 1997, p. 74.
3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des
représentations humanitaires dans les médias français, suisses et
américains (1967-1970) »
63
journalistes pour les emmener dans le réduit biafrais dès le printemps 1968,
comme le signale Time : « The firm has arranged air passage into Biafra for
more than 70 newsmen from every West European nation and transmitted
eyewitness reports to their publication » (23.08.68, p.27). Car c’est bien du fait
de passer de l’autre côté dont il s’agit, puisque les journalistes qui se rendent
sur place sont bloqués aux frontières du réduit, effectuant leurs reportages
depuis les hôpitaux d’Aba ou les îles de Sao Tomé et de Fernando Pó d’où
partent les avions des organisations humanitaires.
Ce sont justement ces organisations, notamment les groupes religieux comme
Caritas, les Protestants ou les missionnaires irlandais qui vont jouer un rôle
20
important en tentant de faciliter la venue des journalistes. C’est le cas de
l’opération menée par les médias suisses en été 1968, qui envoient quatre
journalistes radio et télévision suivre les opérations de secours en bordure du
Biafra, en collaboration avec Caritas, Terre des Hommes, la Croix-Rouge
suisse, le CICR et l’Organisation d’Entraide des Eglises Protestantes. Les
propos du directeur général de la Radio Télévision Suisse romande (RTSR) en
sont d’ailleurs assez éloquents :
Alors on a défini un certain nombre de buts que vous allez, selon les deux équipes,
devoir couvrir. (…) Il y a une grande carence en équipes techniques, c’est ce qu’il
faudra aller voir. Montrez que ces équipes techniques, il en faut beaucoup, pas
seulement maintenant mais pendant des semaines et des mois, parce qu’il y a
beaucoup de blessés, il y a beaucoup de maladies, il y a beaucoup de gens qui
crèvent de faim là-bas. (…) C’est évidemment important [d’entrer dans le réduit
biafrais] parce que c’est une région aussi dans laquelle les gens souffrent. On ne
peut pas aller des deux côtés à la fois. Alors tant que la situation politique est la
même, (…) vous n’y allez pas. Mais par contre vous cherchez les témoins, il doit y
en avoir, qui ont passé de l’autre côté, qui sont revenus, qui peuvent vous dire ce
dont on souffre. (TSR, 19.08.68)
Cette collaboration inaugure alors ce qui deviendra plus tard une forme de
journalisme « embarqué » avec les humanitaires, donnant un accès privilégié
aux journalistes à la réalité humanitaire, et une visibilité importante et gratuite
pour les organisations caritatives. Pour ceux qui osent aller plus loin, cela
consiste à franchir le blocus nigérian dans les avions affrétés par les Eglises
jusqu’à l’aéroport d’Uli au Biafra ; leurs récits s’accompagnent donc toujours des
conditions rocambolesques de l’arrivée sur place : « Un violent orage secoue
l’appareil. Les tirs de DCA nous obligent à changer fréquemment de cap, à
plonger dans cette masse cotonneuse qui rend la nuit plus opaque. Et puis,
soudain, c’est une éclaircie : le sol apparaît, piqué de flammes » (reportage de
Geneviève Chauvel, NO, 26.08.68, p.18). Pour ceux qui réussissent à entrer
dans le réduit, le parti pris est assez évident, puisqu’ils assistent alors à un
spectacle « sauvage et déprimant » (NW, 03.06.68, p. 46C) ; cela favorise la
mise en place d’une rhétorique humanitaire, à savoir l’apparition, dans le récit
médiatique linguistique et visuel, d’une focale particulière sur des catégories de
souffrants (enfants, femmes, réfugiés). Ces récits comportent une charge
émotionnelle marquée par la compassion et amènent parfois à des injonctions
morales pour inciter les lecteurs à s’investir.
20
Ken Waters, op. cité, p. 711.
64
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Le tournant « humanitaire » dans le discours médiatique
Le tournant médiatique du printemps 1968 se dessine avec la famine qui prend
de l’ampleur au sein de la population biafraise ; le chant des armes s’avère
moins important que l’agonie d’une population civile. Le cadrage dominant relate
21
l’urgence et les secours humanitaires. Guidés par les organisations caritatives
et par les reportages in visu, les journalistes insistent sur les conditions
miséreuses de la population biafraise et l’impuissance des secours sur place.
Les récits sont ceux de la famine et de ses maux, à travers le symbole
reconnaissable du kwashiorkor, la « maladie de la faim » (TSR, 02.09.68), qui
provoque ulcères, dépigmentation et ventre gonflé. Entre mai et septembre
1968, la famine au Biafra atteint son pic et touche l’opinion publique, placée face
à son « devoir d’assistance ». Le calendrier s’y prête d’ailleurs particulièrement
bien : nous sommes en plein été, période où l’actualité internationale est
souvent terne.
Qui s’exprime ?
Ce cadrage humanitaire en 1968 est orchestré par une série d’acteurs, dont le
récit médiatique va s’emparer pour distribuer les rôles (Tableau 1).
Catégories :
Acteurs humanitaires
Croix-Rouge, ONG, French doctors
Communauté internationale, ONU
Missionnaires, religieux
Mercenaires, pilotes
N=
Pourcentage
248
119
79
31
25%
12%
8%
3%
113
57
8
11%
6%
0,5%
173
66
38
20
18
12
8
8
6
5
17%
7%
4%
2%
2%
1%
0,5%
0,5%
0,5%
0%
1009
100%
Protagonistes du conflit
Chefs politiques, militaires
Combattants
Prisonniers
Victimes
Enfants
Réfugiés
Civils
Femmes
Soldats
Bâtiments
Acteurs humanitaires
Hommes
Personnes âgées
Journalistes
TOTAL
Tableau 1. Acteurs du conflit biafrais
21
Yves Lavoinne souligne également cette gradation dans Le Monde, qui effectue une « macabre
comptabilité » ainsi que d’Antenne2 qui mobilise le souvenir des camps de concentration et la
sémantique du génocide juif ; op. cité, 2005, pp. 116-117.
3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des
représentations humanitaires dans les médias français, suisses et
américains (1967-1970) »
65
En première place dans ce tandem victimes-secouristes, on retrouve la figure
des « sauveurs », celle des acteurs humanitaires. Le CICR et les sociétés
nationales de la Croix-Rouge sont alors sur-représentés dans le discours
médiatique (25% des acteurs). Contrairement à ce que lui reprochera ensuite
22
Bernard Kouchner, c’est le CICR qui initie la campagne médiatique autour de
la famine par l’opération « SOS Biafra » d’appel aux dons le 23 mai 1968,
relayée par les Croix-Rouges nationales. Cette campagne suscite un
mouvement de solidarité international durant l’été et devient l’une des premières
collaborations réussies entre médias et organisations humanitaires au bénéfice
23
de la famine, à l’exemple de la Chaîne du Bonheur en Suisse. Le Biafra
s’invite dans le quotidien des Occidentaux, occultant le silence des premiers
mois sur le conflit.
Du côté des médias suisses, les délégués du CICR sont aussi plus
régulièrement sollicités pour leur expertise sur la situation, à l’image d’Auguste
Lindt, chargé des affaires africaines pour le CICR. Dans un souci de neutralité
typique de l'organisation et de sa stratégie, leurs propos restent prudents. A la
question du journaliste lui demandant de caractériser la situation biafraise, le
délégué Mr. Michel répond qu’elle est « (…) très sérieuse, en raison du blocus,
en raison donc de la famine épouvantable et des massacres, des très nombreux
massacres qui actuellement sévissent autour de ce pays qui est dans un état
très critique, je dois le répéter. » (TSR, 12.07.68). Sans utiliser de propos
accusatoires mais soulignant les prévisions impressionnantes de « 1000 à
2000 » mourants par jour, le délégué laisse la porte ouverte à ceux qui croient à
la thèse d’un génocide programmé par la faim, ce qui poussera le journaliste à
titrer son reportage « un hallucinant génocide ». La focale est indéniablement
mise sur l’horreur du « malheureux » Biafra, comme le souligne le président de
la Croix-Rouge française dans son remerciement aux Français (A2, 01.09.68).
Cette attitude prudente change en juillet 1969, après que le Nigéria ait abattu un
avion de la Croix-Rouge. Le CICR dénoncera alors l’erreur d’appréciation
tragique de certaines grandes puissances qui refusent de se mêler du conflit,
constituant une première rupture « avec sa tradition de neutralité » pour « mettre
en cause des gouvernements », selon L’Express (07.07.69, p.25).
On trouve ensuite dans la liste les organisations caritatives religieuses (8%),
dont les missionnaires irlandais. Ceux-ci sont majoritairement utilisés dans les
médias américains, par proximité linguistique mais aussi parce qu’ils effectuent
de véritables tournées de plaidoyers dans la sphère anglophone, ayant saisi
24
l’utilité de la médiatisation pour mobiliser nourriture et soins. Ils deviennent de
véritables icônes de bienfaiteurs devant les caméras, participant à la
construction du martyre des enfants biafrais, à l’image du Père Louis qui
présente à la caméra des enfants mourants, dans un français parfait, devant
22
« J’étais hanté par Auschwitz (…). Pourquoi la Croix-Rouge ne parlait pas devant le phénomène
monstrueux du Biafra ? » (Bernard Kouchner, A2, 30/03/89).
23
Il s’agit d’une émission radiophonique suisse créée en 1946 pour récolter des dons destinés aux
miséreux. Cette chaine de solidarité est toujours active, mobilisant les dons du grand public via des
collaborations médiatiques, autour de conflits ou de désastres naturels.
24
Voir notamment le rôle qu’aurait joué le Père Kevin Doheny, qui a amené le journaliste anglais
Alan Hart, de l’International Televison Network, à s’intéresser au sort des enfants mourant de faim
dans le courant du printemps 1968. Ken Waters, op. cité, p. 697.
66
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Jean Martel, l’un des journalistes TSR partis au Biafra en août 1968 : « Cet
enfant s’appelle Jean. Il a 2 ans. Il va mourir demain ou bien peut-être ce soir. Il
est trop affamé, extrêmement affamé, il n’y a pas de chance, vous voyez les
cheveux… C’est un cas extrême ».
Autre catégorie importante, les figures politiques ; outre les chefs politiques et
militaires (11%) (représentés dans le duel Gowon-Ojukwu), la communauté
internationale (12%) est aussi largement citée dans les médias français et
américains, au contraire des médias suisses qui délaissent la géopolitique
internationale (par désintérêt ? souci de neutralité ?). Pour les médias français,
le rôle de leur ancienne puissance coloniale – et le soutien en armes de de
Gaulle au gouvernement biafrais – garde une place importante dans le discours
médiatique, comme d’ailleurs le support éventuel d’autres nations africaines
dans l’échiquier fragile des décolonisations. Du côté des médias américains,
c’est la politique interventionniste des Etats-Unis qui est questionnée, ou plutôt
leur inaction en faveur du Biafra, au regard de parallèles récurrents avec leur
engagement au Vietnam.
Curieusement, l’ONU occupe un rôle en retrait dans le discours médiatique,
reflétant certainement son implication mitigée sur le terrain. Ce sont plutôt les
nouveaux héros de cette drôle de guerre qui apparaissent aussi de manière
anecdotique dans le corpus, figures militaires inattendues au service d’une
cause ; il s’agit des mercenaires qui dirigent les troupes du côté biafrais (3%),
notamment le colonel Steiner, et les pilotes du blocus, notamment le comte Von
Rosen. Ces derniers ont été classés dans notre analyse dans la même
catégorie que d’autres acteurs humanitaires, les médecins européens ou
biafrais, et représentent l’engagement au plus près des besoins de la population
biafraise. Leur expertise et surtout leur témoignage sur un terrain difficile
d’accès aux journalistes favorise leur apparition devant les médias. Toutefois, il
faut noter la présence très minoritaire des French doctors (seulement 16
occurrences dans le corpus, soit 1,5 % des acteurs cités), qui bénéficieront
d’une couverture médiatique tardive en janvier 1970 (exceptées les quelques
tentatives personnelles des French doctors qui s’expriment dans Le Monde dès
25
novembre 1968) et uniquement dans les médias français, favoritisme national
oblige. Cette présence télévisée est peut-être même due à une coïncidence,
puisque six médecins français, dont Max Récamier, ne parviennent pas à
évacuer avec les derniers avions bondés de la Croix-Rouge lors de l’arrivée des
troupes nigérianes en janvier 1970, et se voient contraints d’errer dans la
brousse avec 200 enfants qu’ils refusent d’abandonner. Le cas fournit un cadre
héroïque pour le journaliste Claude Brovelli qui embarque alors sur le « vol de la
dernière chance », opération rocambolesque qui permet un récit à suspens
destiné à sauver les docteurs (A2, 15.01.70). Récamier sera finalement retrouvé
par hasard par Brovelli devant un hôpital de brousse quelques jours plus tard
(A2, 22.01.70). La légende des French doctors est née, mais leur « tapage
médiatique » reste très relatif.
25
Yves Lavoinne, op. cité.
3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des
représentations humanitaires dans les médias français, suisses et
américains (1967-1970) »
67
La pitié en actes
Mobilisés par les acteurs des organisations humanitaires, les médias s’alignent
assez rapidement sur le sort des Biafrais, leur détermination et le combat inégal
qu’ils mènent. Cette dimension victimaire se met en place selon deux modalités.
Premièrement, des récits dans lesquels les journalistes eux-mêmes se mettent
en scène, sortes de carnets de route qui décrivent leur immersion dans l’enfer
biafrais : « des enfants squelettiques que j’ai vus, de mes yeux, mourir de faim
devant moi à Uturu » raconte Geneviève Chauvel (NO, 26.08.68, p.19).
L’écriture à la première personne du singulier et l’usage de descriptions assez
directes de scènes de souffrances renforcent l’impression de réalisme. Les
journalistes marqués par l’horreur de la situation, sont d’ailleurs très sollicités à
leur retour pour raconter les images qui les hantent, qui restent pour beaucoup
les cris des enfants affamés (TSR, 28.08.68).
Deuxièmement, ces reportages utilisent une mise en scène linguistique et
iconique qui accentue le cadrage de l’urgence humanitaire (Tableau 2).
Catégories :
Parallèles historiques
Avec l’Holocauste
Avec la religion
Avec la guerre du Vietnam
e
Avec la 2 Guerre mondiale
N=
Pourcentage
18
18
11
4
6,5%
6,5%
4%
1%
45
45
37
30
28
20
13
10
16%
16%
13%
11%
10%
7%
5%
4%
279
100%
Sémantique utilisée
« massacres »
« génocide, extermination »
« agonie, tragédie, souffrances »
« infériorité, innocence »
« morts-vivants »
« violence primitive, tribalisme »
« vautours, camps de la mort »
« horreurs, atrocités »
TOTAL
Tableau 2. Sémantique employée autour du conflit
Les récits font usage d’une sémantique qui indique une gradation de l’horreur,
évoquant à la fois la violence, le religieux et le macabre. Les parallèles
historiques permettent également d’établir une échelle sur les souffrances des
e
civils, remontant au tournant de la 2 Guerre Mondiale, confirmant ainsi le
postulat de l’historien Philippe Mesnard selon lequel le génocide juif, le Biafra et
le Vietnam sont devenus les univers de référence principaux des
26
représentations humanitaires. Cette sémantique se double d’une victimisation
accentuée par l’iconographie, qui aboutissent à construire une hiérarchie des
victimes avec la domination totale de la figure des civils sur les militaires, et la
figure de l’innocence absolue des enfants.
26
Philippe Mesnard, La victime écran. La représentation humanitaire en question, Paris, Textuel,
2002, p. 23.
68
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Ces mises en scène procèdent à un véritable « face à face » (gros plans,
regards Y-Y) abolissant symboliquement la distance des souffrants avec
l’Occident et formant un miroir accusateur appuyé par les commentaires
engagés des journalistes qui cherchent à mobiliser l’opinion, au-delà de
l’information : « Haunted by those pictures of starving children, their eyes
bulging, their bodies blosted or match stick thin, most Americans ask
indignantly : Why has the US not done more to relieve such suffering ? » (TI,
03.01.69, p.27). Cette dénonciation morale, qui se double de l’exhibition des
souffrants, s’appuie sur un registre de culpabilité, de remords ou de pitié : « Des
regards d’enfants, des regards qui ne comprennent plus. Et toujours, comme
adressés à chacun de nous personnellement, cette interrogation muette,
immuable, résignée : pourquoi ? » (TSR, 12.07.68). Ainsi le journaliste TSR
conclut-il son reportage sur l’accusation ultime d’« un hallucinant génocide,
ème
indigne du 20
siècle », qu’il nous reste désormais à aborder.
Rhétorique « génocidaire » et condamnation morale
Bien loin d’être une réalité prouvée par les faits car il n’a pas correspondu à la
volonté systématique d’exterminer une population, le « génocide » au Biafra
30
sera avant tout « un slogan de communication ».
Il est mis en place
principalement par Ojukwu, mais sera récupéré par d’autres acteurs, dont les
missionnaires, qui l’imposeront comme un cadrage relativement répandu sur le
conflit au Biafra (16%). Ojukwu s’appuie sur une mémoire historique, celle des
massacres perpétrés par les Nigérians sur les Ibos en 1966 ; plus
généralement, il sait qu’il parle à une Europe encore marquée par le souvenir du
génocide juif. Sa sémantique consiste donc à reprendre, dès le début de la
sécession, les termes de « Juifs de l’Afrique » ou « pogroms » pour décrire la
conspiration dont serait victimes les Ibos (A2, 14.07.67 ; NO, 14.02.68, p.14). Le
parallèle semble alors tout indiqué pour les journalistes qui reprendront le
souvenir de l’Holocauste à plusieurs reprises pour évoquer la « solution finale »
du Nigéria (TI, 23.08.68, p.28), quoique ce soit Le Nouvel Observateur qui s’y
engage le plus. Il fera d’ailleurs tribune pour Kouchner (« Un médecin
accuse… », 19.01.70, pp.19-21), qui maintiendra dès ce moment la théorie que
« le massacre des Biafrais est le plus grand massacre de l’histoire moderne
après celui des Juifs ».
Kouchner n’est pas le seul à reprendre ce parallèle ; autre grande figure de
l’accusation, celle du suisse Edmond Kaiser, fondateur de Terre des Hommes
en 1960. Il apparaît principalement dans les médias suisses, qui le questionnent
à plusieurs reprises sur son expérience au Biafra. Connu pour sa verve, il est le
plus virulent sur la dénonciation des « camps d’extermination par la faim » qu’il
compare à Dachau (TSR, 28.08.68) dont il a assisté à l’ouverture. C’est un
homme qui a parfaitement compris l’impact médiatique des enfants qu’ils
qualifient d’« absolument tout seuls, les abandonnés, les laissés-pour-compte,
les orphelins totaux, piétinés par tout le monde, qui n’ont rien à manger et qui
meurent plus que tous et avant tous » (TSR, 06.09.68). Son but reste donc celui
de provoquer un choc parmi l’opinion publique, qu’il cherche à réveiller de sa
passivité de manière provocante ; en les comparant à des « bourgeois qui
30
Brauman, op. cité, 2000, p. 616.
3. Article 2 : « La guerre civile du Biafra comme ‘crise matricielle’ des
représentations humanitaires dans les médias français, suisses et
américains (1967-1970) »
69
pensent bassement » (TSR, 28.08.68), il mobilise la symbolique de l’enfance
abandonnée sensée placer le spectateur adulte dans sa responsabilité de
protecteur, un ressort médiatique qui s’imposera par la suite dans la couverture
31
des conflits.
L’accusation de génocide reste toutefois majoritairement un objet de débat
parmi les politiques – à l’exception du président gabonais Bongo qui refuse
d’être « complice de ce crime international » (A2, 30.08.68) – et les journalistes,
qui restent divisés sur la question. Les doutes proviennent notamment de la
difficulté d’évaluation du caractère génocidaire des actes ; on le constate dans
les estimations fluctuantes du nombre de morts et la confusion entre
« massacres » et « extermination ». Certains journalistes soulignent ces doutes
en recontextualisant les affirmations d’Ojukwu : « Besides righteousness,
however, the Biafran leader possesses a considerable talent for propaganda,
and he has skillfully used that talent to promote abroad the notion that Nigeria is
waging a genocidal war against the Ibos » (NW, 24.03.69, p.53).
Dans cette guerre de propagande, les journalistes ressentent d’autant plus la
nécessité d’aller vérifier par eux-mêmes les « massacres » annoncés, en
focalisant par exemple sur les bombardements de villages et d’hôpitaux par
l’aviation nigériane. Cette crainte est renforcée par le blocus imposé aux
journalistes à la fin de la guerre, et la peur de représailles des Nigérians sur les
Ibos. Quand 80 journalistes obtiennent la permission d’entrer au Biafra fin
janvier 1970, leurs récits sur les émeutes, les viols et la famine viennent ainsi en
contradiction avec les autorités et observateurs internationaux, qui annoncent
une situation sous contrôle (NBC, 23.01.70).
Au final, cette rhétorique génocidaire couplée à la victimisation appuie
l'apparition d'injonctions morales dans le discours journalistique qui, en s’en
prenant à l’indifférence des puissances occidentales, quitte l’objectivité pour le
compassionnel : « Mais le monde, selon toute apparence, n’est pas disposé à
écouter cette avertissement. Pour l’avoir cru mort et s’apercevoir soudain qu’il
se débat et se défend éperdument dans son malheur, le monde conçoit
aujourd’hui qu’il a un devoir moral envers le Biafra, celui de le sauver. » (EX,
12.8.68, p.21). La couverture médiatique du conflit biafrais devient ainsi le
32
modèle d’une « rhétorique de la compassion globale » rendue possible par la
télévision et l’essor du photojournalisme de guerre. On la retrouve dans les
consignes alors proposées par le directeur de la RTSR : « (…) en montrant bien
le côté dramatique des choses, personne derrière un bureau mais le médecin
dans son hôpital, les gens qui nourrissent les enfants, les gens qui ont de la
peine à trouver à manger (…) » (TSR, 19.08.68).
Au-delà des questions qui se posent aux professionnels, on assiste à un usage
politique de la famine par l’instrumentalisation de sa médiatisation, comme le
firent Ojukwu et les organisations caritatives. Si l’on voit certes émerger les
acteurs humanitaires comme témoins et experts privilégiés, le Biafra reste une
guerre à part, peut-être idéalisée, dans l’alliance qui s’est créée dans la longue
31
Karin Wells, « Narratives of liberation and narratives of innocent suffering : the rhetorical uses of
images of Iraqi children in the British press », Visual Communication, vol. 6, n°1, 2007, pp. 55-71.
32
Robert DeChaine, « Humanitarian space and the social imaginary : MSF and the rhetoric of global
community », Journal of Communication Inquiry, vol. 26, n°4, 2002, pp. 354-369.
70
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
durée entre humanitaires et journalistes. Sur le plan médiatique, au-delà du
changement indéniable qu’apporte l’effet du direct télévisé, le photojournalisme
d’alors prouve qu’il pèse de tout son poids sur la mémoire collective, si l’on tient
compte de la pérennité des icônes du Biafra dans les représentations des
famines contemporaines. Il reflète également l’évolution du champ humanitaire
qui se construit, depuis les guerres du Congo et du Biafra, dans un axe NordSud. Et c’est peut-être tout là l’enjeu, au sein de ces représentations
médiatiques, de reconstruire un lien émotionnel symbolique pour franchir la
distance géographique entre souffrants et spectateurs.
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
71
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en
scène visuelles et discursives de la mort de masse
dans les crises humanitaires (1967-1994) »
Article publié dans : Questions de communication, 2011, n°20, pp. 105-134
72
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
questions de communication, 2011, 20, 105-134
VALÉRIE GORIN
Fonds national suisse de la recherche scientifique
Université de Genève
[email protected]
« LE MARTYRE DES INNOCENTS » :
MISES EN SCÈNE VISUELLES ET DISCURSIVES DE LA MORT DE
MASSE DANS LES CRISES HUMANITAIRES (1967-1994)
Résumé. — Le propos se concentre sur les représentations de la mort de guerre dans
la presse magazine internationale, à travers quatre conflits armés de la fin du XXe
siècle : les génocides biafrais et rwandais, les guerres civiles du Liban et d’exYougoslavie. Ces représentations discursives et visuelles des tués de la guerre révèlent
à la fois des différences de traitement selon l’origine ethnique des conflits mais aussi
une hiérarchisation des victimes. De plus, que les reportages favorisent des
représentations d’une mort brutale et massive, à l’image de massacres emblématiques
de ces conflits, ou de l’individualisation de la souffrance des civils, ils en appellent
souvent à l’émotionnel et, par-delà, à une intervention de la communauté
internationale. Enfin, soulignant l’in-montrable plus que l’indicible, ces représentations
cachent à la vue des spectateurs les morts portant atteinte à l’intégrité physique des
corps, comme le démembrement et la décomposition. Au-delà des visions macabres,
ces manières de dire et de faire voir questionnent aussi nos seuils de sensibilité dans
notre rapport à la souffrance des autres, proche ou lointaine.
Mots clés. — Mort, représentation, photographie, magazine, guerre, victime,
massacre
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
73
A
u printemps 1945, les premières photographies des camps de concentration
inondent la presse internationale, choquant l’opinion publique devant l’ampleur
du crime perpétré contre les Juifs d’Europe. Véritable pédagogie de l’horreur,
ces photographies présentent de manière crue des masses de cadavres émaciés dans
des articles dont les titres ne cessent de soulever l’horreur et la barbarie des actes
commis. Cinquante ans plus tard, ces représentations de la mort dans les camps nazis
restent encore le référent absolu des atrocités de guerre dans les mémoires collectives
(Zelizer, 1998), alors que le XXe siècle a connu depuis de nombreux conflits
sanglants et de nouvelles formes de guerre. Des famines aux génocides et guérillas
urbaines, ces violences extrêmes n’ont pas toutes été représentées de la même
manière dans les médias de masse. Certaines morts sont tues, cachées, alors que
d’autres sont exposées au regard, amplifiées par des discours décrivant parfois des
pratiques cruelles de mise à mort. Une seule constante domine néanmoins, celle de
l’attention sur le sort des civils qui constituent les principales victimes des conflits
armés depuis la Shoah (Melander, Öberg, Hall, 2009)1. Cette injustice criante des
réalités de la guerre moderne est régulièrement soulevée dans le discours médiatique
sous la symbolique du « martyre des innocents », dans les dernières décennies d’un
XXe siècle qui a aussi vu le développement d’un idéal de l’action humanitaire
moderne, celui d’apaiser un horizon de souffrances toujours plus vaste. Pourquoi
donc les récits journalistiques informent-ils sur les conflits, mais peinent-ils parfois à
en représenter les morts en images ? C’est un phénomène complexe à cerner, car les
représentations des tués de la guerre sont liées à des sensibilités2 particulières : « Car
bien plus que la mort ordinaire, la mort de guerre est singulière. Héroïque et
lamentable, redoutée et attendue, injuste et acceptée, elle ne ressemble en rien à son
image anticipée avant la bataille » (Capdevila, Voldman, 2002 : 7).
C’est sur la base de ce postulat que cette contribution se propose d’avancer, en étudiant
les mises en scène et la construction de la signification des représentations de la mort
de guerre dans les grands reportages photographiques. Existe-t-il un contexte
particulier à mettre en relation avec l’exposition dans les médias occidentaux des morts
en temps de guerre, dans des conflits plus ou moins lointains ? Sous quelle(s) forme(s)
apparaît-elle ? Peut-on dresser une forme de hiérarchisation et une typologie des tués ?
Existe-t-il des différences au niveau des images et du discours, et si oui, lesquelles ? À
l’exception du remarquable travail des historiens Luc Capdevila et Danièle Voldman
(2002) sur les tués de la guerre au XXe siècle, cette thématique bénéficie de peu
d’études approfondies. Toutefois, de récents travaux abordant la médiatisation des
conflits armés permettent des comparaisons intéressantes sur plusieurs points. D’abord,
les
____________________
1
Voir le tableau 2 sur la violence ciblant les civils entre 1956 et 2004 (p. 523). Les conclusions des
auteurs soulignent toutefois une diminution des pertes civiles dans les conflits armés depuis le milieu
des années 90.
2
Nous entendons ici par sensibilité la capacité d’une personne à être réceptive sur le plan psychique et
moral, susceptible de réagir par de la compassion, de l’émotion, de la sympathie.
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
74
travaux de Susan Moeller (2002) et de Karen Wells (2007) sur l’utilisation de la
figure victimaire des enfants dans les représentations médiatiques des blessés et/ou
morts de guerre de cette dernière décennie, nous laissent supposer que leur nombre est
en augmentation. De plus, il existe une différence notoire dans les représentations des
morts de guerre selon leur origine ethnique, les victimes européennes bénéficiant
d’une couverture médiatique plus étendue que les victimes africaines, bien souvent
oubliées dans des discours banalisant et réactivant les vieux schèmes du sauvage, de
la guerre ethnique et du conflit tribal (Pontzeele, 2008). Enfin, comme le soulignent
Christian Delporte, Marie-Anne Matard-Bonucci et Ouzi Elyada (2005), certaines
morts restent absentes dans les représentations médiatiques, particulièrement quand il
s’agit de génocides.
En s’appuyant sur une étude empirique, cet article présente une première analyse des
représentations discursives et iconographiques de la mort de guerre dans les médias et
son « spectacle victimaire » (Mesnard, 2002 : 8). Pour ce faire, nous avons choisi de
nous fonder sur une approche historique, à la fois transversale et diachronique.
Transversale d’abord, puisqu’elle entend croiser un corpus international, fondé sur une
sélection de la presse magazine constituée de deux titres anglophones – Newsweek
(NW) et Time (TI) – et deux titres francophones – L’Express (EX) et Le Nouvel
Observateur (NO)3. L’intérêt d’un tel croisement de sources repose d’abord sur la
similitude des supports : le modèle du newsmagazine, créé par Henry Luce en 1923
avec le Time, sera repris en France dans les années 604. Les deux titres américains et
français bénéficient du plus haut tirage dans leur catégorie5, s’adressant à la classe
moyenne et aux cercles politiques sous la forme de reportages illustrés, esthétiques et
mis en scène sur papier glacé, qui oscillent entre information, analyse et opinion
(Charon, 1999 : 63-64). En usant de la photographie couleur dès les années 60, ce
modèle favorise l’utilisation du photoreportage pleine page, soit en dépêchant un
photoreporter sous contrat dans une région en conflit, soit en achetant les
photographies aux agences ou à des photographes free-lance (ce qui peut conduire à
retrouver les mêmes images d’un magazine à l’autre)6. Ces similitudes permettent donc
____________________
Dans le souci d’alléger le texte, ces initiales seront utilisées pour signaler l’origine des sources citées
dans l’article.
4
Le format de base A4 américain, sera repris pour les modèles français. Le modèle de la couverture reste
le même (titre en haut et photographie pleine page) ainsi que la structure interne du magazine (table des
matières divisée en sections internationale, nationale, économique, culturelle, sociale). Le sujet de
couverture est mis en valeur dans le magazine dans une section spéciale, intitulée « En couverture » ou
« Special report ». À ce sujet, voir notamment la présentation de L’Express que fait J.-M. Charon (1999 :
14).
5
Les quatre magazines sont diffusés à échelle nationale et internationale, avec une nette supériorité de
tirages pour les deux titres américains. En 2010, les tirages sont de 3 312 484 exemplaires pour le
Time et de 1 610 632 exemplaires pour Newsweek (source Audit Bureau of Circulation); de 643 888
exemplaires pour Le Nouvel Observateur, de 630 678 exemplaires pour L’Express (source OJD).
6
Les magazines ont notamment recours aux plus grands noms de la photographie. À l’époque du Biafra
déjà, les quatre magazines achètent les photos de Gilles Caron (Gamma) ; au cours des an3
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
75
de comparer des codes culturels dans les représentations médiatiques autour des tués de
la guerre, et d’y repérer d’éventuelles différences, notamment dans la sélection des
photographies : « Ces choix sont influencés à la fois par les codes inhérents
culturellement aux images et par les pratiques culturelles et organisationnelles qui
guident le choix des rédacteurs » (Banks, 1994 : 119)7. Ces manières de dire et de faire
voir ont été mises en valeur par une analyse semi-inductive de contenu sur les textes et
les images, ainsi qu’une analyse sémiologique plus poussée sur certaines photographies
emblématiques. Nous nous sommes notamment appuyé sur les « mécanismes de
cadrage » définis par Salma Ghanem (1997), relatifs aux effets de saillance induits par
l’utilisation de titres, citations, légendes et images. L’approche choisie se veut
également diachronique, puisqu’il s’agit de comparer quatre conflits armés éloignés sur
l’échelle spatio-temporelle, dans le but d’y repérer d’éventuelles différences dans le
traitement médiatique de cette violence de guerre, selon l’époque et selon les espaces
géographiques concernés. Les quatre conflits sélectionnés sont emblématiques du
« deuxième âge » de l’humanitaire moderne : la guerre civile du Biafra (1967-1970) ;
la guerre civile du Liban, plus particulièrement pendant l’invasion israélienne entre
1982 et 1983 ; la guerre civile en ex-Yougoslavie (1992-1995), surtout l’invasion de la
Bosnie-Herzégovine et le siège de Sarajevo ; le génocide du Rwanda (1994). Ces
quatre conflits sont caractéristiques de ce qu’on a appelé « les nouvelles guerres » dans
la seconde moitié du XXe siècle, se démarquant de conflits armés traditionnels sous
plusieurs angles. Tout d’abord, la forme de violence induite par l’armement
technologique industriel (notamment les bombardements aériens) qui favorise la
destruction de masse, comme le furent les sièges urbains de Beyrouth et Sarajevo.
Ensuite, de nouveaux acteurs militaires se démarquent, non plus sous la forme
d’armées conventionnelles mais sous forme de milices, dont l’action ne s’aligne pas
toujours sur les principes du droit international et favorisant donc des exactions sur les
civils. De plus, les logiques génocidaires ou de « nettoyage ethnique » qui se mettent
en place dans certains de ces conflits – au Biafra, au Rwanda et en ex-Yougoslavie –
s’appuient sur des haines anciennes – y compris au Liban – qui favorisent une violence
extrême sur un ennemi déshumanisé dont l’extermination reste le but final8. Le lien à
un passé douloureux, aux relents de nationalisme et aux discours
____________________
nées 90, des photographes tels que James Nachtwey (Time), Christopher Morris (Black Star), Ron Haviv
(Saba/Réa), Gilles Peress (Magnum), Luc Delahaye (Sipa) verront leurs photoreportages sur l’exYougoslavie ou le Rwanda publiés dans un ou plusieurs des quatre magazines.
7
« These choices are influenced by both the culturally embedded codes the images contain and the
cultural and organizational practices under which the editors operate ».
8
Au Biafra, les accusations de génocide par les Nigérians sur les Ibos ne remontent pas à la sécession mais à
des massacres antérieurs, en 1966 notamment. Au Liban, les tensions entre Israéliens et Libanais se mêlent
au difficile et douloureux imbroglio du conflit israélo-palestinien depuis 1947-1948, puis avec le début de la
guerre civile libanaise en 1975 et les premiers massacres entre Chrétiens, Juifs et Arabes. En exYougoslavie, la haine ethnique entre Bosniaques, Croates et Serbes se nourrit de batailles historiques qui
remontent au XIVe siècle, et plus particulièrement aux Première et Seconde Guerres mondiales. Enfin, au
Rwanda les tensions entre Hutus et Tutsis – quand bien même elles sont le produit d’une construction
racialisée du colonisateur belge – remontent aux premiers massacres de 1959.
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
76
idéologiques se déroule dans des régions au mélange ethnique et/ou religieux,
favorisant aussi un « imaginaire de mort », des « fantasmes destructeurs » face à
l’anéantissement de l’Autre (Sémelin, 2005 : 33-34). Cet ensemble de facteurs a pour
conséquence de cibler les civils, pris au piège d’une violence de guerre massive et
meurtrière : entre un et deux millions de civils tués pour le Biafra, environ 150 000
pour l’ex-Yougoslavie, environ 500 000 pour le Rwanda (Smith, 1997) et près de 40
000 pour le Liban (Eckhardt, 1987)9.
Nous commencerons par présenter le rôle des journalistes dans les manières de
représenter la mort ou dans la couverture des conflits, mais aussi dans le contexte lié
à la médiatisation de certains épisodes sanglants. Puis nous aborderons la typologie
des représentations de la mort, que cette mort soit collective ou individuelle, très
réaliste (notamment l’accentuation qui est faite sur les différentes manières de
mourir) ou allusive (son odeur, mais aussi son ombre qui plane). Nous exposerons
enfin la typologie des victimes de la guerre, que celles-ci soient humaines (civils ou
soldats) ou matérielles (dans la figure particulière des villes-cimetières), victimes qui
apparaissent aussi dans le récit des survivants ou les lieux d’exposition des cadavres.
Représenter la mort de guerre du point de vue
américain et français
Il existe relativement peu de différences de traitement entre les pratiques journalistiques
américaines et françaises, la plus marquante étant celle du volume rédactionnel dédié aux quatre
conflits étudiés10. Celui-ci est plus massif pour les magazines américains qui consacrent des
articles plus longs et plus illustrés
___________________
9
Les chiffres avancés pour la guerre du Liban concernent la période 1982-1987. Toutefois, il faut
noter qu’il ne s’agit que d’une estimation pour l’ensemble des chiffres cités, tant le calcul des pertes se
révèle parfois difficile et contesté selon les terrains des conflits.
10
Afin de travailler sur une échelle temporelle semblable pour chaque magazine, la sélection du corpus
s’est effectuée entre des bornes chronologiques arbitraires qui ne correspondent pas toujours aux dates de
début et de fin officielles des conflits, fixées par l’auteur et relatives aux phases de guerre les plus
intensives. Pour le Biafra, la période retenue pour la sélection du corpus se situe entre le 30 mai 1967
(début de la sécession biafraise) et le 31 janvier 1970 (fin de la guerre). Pour le Liban, le corpus démarre
avec le début de l’opération israélienne « Paix en Galilée » le 6 juin 1982 jusqu’à la fin de l’année 1983,
au moment où les troupes américaines et françaises commencent à se retirer du Liban. Pour l’exYougoslavie, le corpus commence au début de la guerre de Bosnie-Herzégovine et le siège de Sarajevo
dès le 6 avril 1992 jusqu’aux accords entre Croates et Bosniaques fin mars 1994. Pour le Rwanda, le
corpus démarre avec l’assassinat du président Habyarimana le 6 avril 1994 jusqu’aux répercussions de
l’épidémie de choléra dans les camps de réfugiés à fin décembre 1994.
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
77
aux conflits présentés, et ce de manière récurrente depuis les années 1960
(tableau 1)11.
Rwanda
Yougoslavie
Liban
Biafra
Time
24
96
72
32
Newsweek
19
67
71
15
L'Express
17
46
49
30
Le Nouvel
Observateur
17
46
51
10
TOTAL
77
255
243
87
Tableau 1 : :Volume rédactionnel (nombre de numéros) consacré aux quatre conflits.
Cette différence se manifeste également au niveau des images, puisque les magazines
américains semblent favoriser plus volontiers l’utilisation de photographies présentant
des scènes de carnage exposant la vue du sang et laissant deviner les mutilations faites
aux corps. Ce type de représentation est caractéristique d’une forme de
spectacularisation de l’information, particulièrement depuis les conflits des années 90.
Cette évolution se constate aussi dans les deux magazines français, au risque de
provoquer une banalisation de certaines représentations de la mort, comme le soulève
la journaliste Susan Moeller (1999). Ainsi, bien plus que des nuances
professionnelles, ce sont surtout des différences de traitement par rapport à la
géographie des conflits qui sont apparentes. Les quatre magazines ont couvert plus
largement les guerres du Liban et d’ex-Yougoslavie, en y consacrant des articles quasi
hebdomadaires, au contraire des génocides biafrais et rwandais qui apparaissent à une
fréquence moindre dans les magazines. Ceci a donc une conséquence sur le type de
morts représentés, comme nous le verrons plus bas. Ce résultat peut surprendre
puisqu’on pourrait penser que c’est l’ampleur des massacres et la durée des conflits
(la guerre d’ex-Yougoslavie dure près de trois ans, tout comme la guerre du Biafra)
qui déterminent la couverture médiatique, et non l’origine ethnique des victimes. Cela
souligne toutefois l’importance de la proximité – à la fois géographique12 et ethnique
– des événements quand ils concernent la mort de populations plus ou moins distantes
des publics concernés, interrogeant dès lors
____________________
11
Le tableau présente le nombre de numéros pour chaque magazine, dans lequel est paru un article
relatif à l’un des quatre conflits. Dans le corpus, a été retenu tout article relié directement au conflit,
que ce soit sous la forme d’un éditorial, d’une brève ou d’un reportage.
12
La question se discute de savoir si l’on peut inclure la population libanaise dans la catégorie
« européenne », si l’on considère la large occidentalisation du pays et son passé colonial français, ainsi
que sa proximité géographique avec l’Europe. Les résultats de notre analyse laissent toutefois
présumer que c’est ce rapprochement culturel et géographique qui prime dans les rédactions des
quatre magazines.
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
78
les Occidentaux sur la présence d’une telle « boucherie qui se déroule à [leur]
porte » (NO, 04/06/92 : 66), à l’exemple du conflit yougoslave.
Présence des journalistes sur le terrain
La représentation de la mort dans les conflits étudiés est largement dépendante de la
présence sur place de journalistes plus aptes ainsi à constater des faits. Dans les quatre
régions concernées, les magazines ont dépêché sur place un envoyé spécial pendant
une partie ou la totalité du conflit, souvent un reporter de guerre chevronné et habitué
aux scènes de mort13. Leurs récits, souvent tenus sous la forme d’un journal de guerre,
favorisent l’emploi du « je » et caractérisent ainsi le point de vue du journaliste qui
permet de qualifier et d’évaluer la portée dramatique qu’il veut donner face à la
confrontation de scènes de guerre parfois insoutenables : « Ce qui a vraiment dérangé
[James] Wilde par rapport à sa mission a été de voir ce qui arrivait aux Biafrais [...].
“L’air est fétide de désespoir et de mort. Rapporter cette histoire est déprimant au-delà
de toute description” »14 (TI, 23/08/68 : 3). L’intérêt de leur expérience réside dans le
fait qu’ils opèrent souvent des parallèles avec d’autres conflits, dans des récits où la
mort de guerre se mesure en comparaison du nombre de morts ou de la brutalité de
guerres précédentes. Si la Seconde Guerre mondiale et l’extermination des Juifs
d’Europe restent les référents principaux quand il s’agit d’évoquer les civils anéantis
dans le siège des villes ou les pratiques d’extermination, la volonté d’accentuer la «
barbarie » de certaines mises à mort conduit à des parallèles avec des pratiques d’un
autre âge (le Moyen-Âge ou les guerres de religion), au risque de jouer sur les
schémas réducteurs. Par leur présence sur place, les journalistes sont surtout des
témoins réguliers de l’enfer que vivent les civils et soulignent certains aspects des
scènes de guerre auxquelles ils assistent. À la description du chaos total se mêlent
ainsi des comptes rendus du choc visuel et sensoriel que peut représenter la mort
collective, à l’exemple d’André Pataud se rendant sur les lieux du massacre des
camps de Sabra et Shatila au Liban en septembre 1982 : « Déjà l’odeur, fade mais
cependant plus forte que la puanteur des ordures. Des cadavres par grappes, que tire,
au bout d’une élingue, un tracteur. Noircis, méconnaissables, gonflés au point de faire
éclater les vêtements. La mort fige leur dernier geste : celui, notamment, de ces deux
enfants – ils avaient moins de 5 ans – serrés l’un contre l’autre comme pour se
protéger. Passons... » (EX, 01/10/82 : 39). Si le journaliste ne veut pas s’attarder sur ce
qu’il semble considérer comme du voyeurisme morbide (« passons... »), son récit
rappelle que la mort a une odeur. Il insiste sur
____________________
Il s’agit notamment d’O. Todd au Biafra pour Le Nouvel Observateur, de V. Hugueux qui arrive de
Bosnie au Rwanda en août 1994 pour L’Express, ou encore de J. Hammer, correspondant du bureau
africain de Newsweek qui couvrira tout le Rwanda.
14
« What really troubled Wilde about his assignment was what he saw happening to Biafra and its
people [...] “The air is fetid with despair and death. Reporting this story is depressing beyond
description” ».
13
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
79
deux points : l’état des cadavres comparés à un fruit trop mûr illustre l’horreur de la
décomposition et du déni de sépulture, comme de vulgaires végétaux que l’on aurait
laissés pourrir au bord de la route ; le scandale de la mort des enfants, symboles
d’une innocence fauchée sans raison. À plusieurs reprises dans les quatre conflits
étudiés, les journalistes sont donc pris dans le déroulement d’épisodes marquants15.
Les représentations qui en sont faites soulignent deux aspects importants. D’une part,
cette visibilité du conflit, et donc celle des morts, est dépendante de l’accès au terrain
pour les journalistes ; ce n’est pas toujours le cas, à l’exemple du blocus de Sarajevo,
qui nécessite « trois jours et deux nuits de marche » pour le photographe danois
Jorgen Hildebrandt, dont le témoignage « rompt le silence dont se désole la
population » (EX, 14/08/92 : 8). Au Rwanda, très peu de journalistes seront présents
au moment même du génocide au printemps 1994, l’essentiel du contingent
médiatique arrivant au moment de l’épidémie de choléra en été 1994 et favorisant
des représentations autour des charniers où l’on entasse les milliers de victimes.
D’autre part, la description de ces épisodes sanglants survient dans un agenda
médiatique qui tente de soulever une opinion publique internationale.
Un contexte qui favorise l’appel à l’intervention étrangère
Les représentations des épisodes mentionnés ne sont pas anodines. Elles sont
conditionnées à un regard extérieur, celui du journaliste, de sa rédaction, mais aussi,
dans une seconde étape, au lectorat du magazine, qui s’indigne devant le sort des
civils et le nombre de morts pour lesquels la communauté internationale ne fait rien.
La mise en relief de ces morts, notamment dans les titres des articles et dans les
images, cherche bien souvent à appeler à une intervention militaire et/ ou humanitaire,
correspondant ainsi aux topiques de l’esthétisation, de l’émotion et de la dénonciation
évoquées par Luc Boltanski (1993). Cette interpellation se retrouve dans les quatre
conflits, même si elle est majoritaire pour les conflits européens. Les journalistes
choisissent donc d’humaniser la guerre, à l’image de l’expression du cri de rage des
habitants de Sarajevo : « Comment osez-vous nous laisser crever ! » (no, 09/12/93 :
76). L’usage du terme « crever » manifeste un dédain, comme on le ferait pour un
animal qu’on laisse mourir, devant le sort de toute une population exposée à une
Europe indifférente. À l’inverse, dès que les possibilités d’une intervention
occidentale sont discutées surgit alors le spectre, dans les récits journalistiques, du
fiasco d’interventions précédentes. Le Vietnam notamment, et ses quelques 59 000
morts dans les rangs de l’armée américaine, servent à rappeler dans les mémoires
collectives à quel point les opinions publiques occidentales restent sensibles devant
leurs propres morts.
____________________
Les camps de nutrition biafrais (été 1968), l’assassinat du président libanais B. Gemayel et le massacre
des camps de réfugiés de Sabra et Shatila (septembre 1982), les attentats contre les bâtiments français et
américains au Liban (octobre 1983), la découverte des camps d’internement serbes (août 1992), l’épidémie
de choléra dans les camps de réfugiés rwandais (été 1994).
15
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
80
Quand la mort de guerre se décline sous formes
réalistes et allusives
Au-delà de la présence des journalistes sur le terrain, ce sont les rédactions qui
opèrent un choix sur ce qui est montré et dit de la mort en temps de guerre. Tout
n’est pas montrable ; les formes de représentation de la mort de guerre qui en
découlent informent sur les sensibilités en cours et sont le produit d’une volonté :
« Montrer les cadavres, montrer le champ de bataille “après” relève en effet d’un
regard particulier sur la guerre » (Gervereau, 2006 : 92). Cette analyse présente
donc les nuances dans les mises en scène de la mort de guerre, qu’elles soient
présentées sous des formes réalistes (le nombre de morts, l’origine ethnique des
victimes, mais aussi la « monstration » des cadavres et leur décomposition) ou sous
des formes plus allusives (la mort en « sursis » ou la mort absente, presque taboue).
Mort individuelle/mort collective
La mort en temps de guerre est avant tout une mort de masse, puisqu’elle concerne
une population à l’échelle d’un territoire et des groupes de combattants. Il n’est dès
lors pas étonnant de constater qu’elle se décline sous forme collective dans la majorité
des cas, bien que l’ampleur des morts soit variable, allant du simple « décompte » des
morts dans une journée de combats, à l’hécatombe consécutive à l’extermination de
masse dans un génocide. Toutefois, il existe aussi des représentations discursives et
iconographiques focalisant sur la mort individuelle (tableau 2), qui méritent d’être
relevées quant à la signification qu’elles donnent à la perte de cet individu.
Biafra
Liban
Yougoslavie
Rwanda
Individuel
12
50
58
24
Collectif
85
197
142
134
Tableau 2 : Évolution des représentations des morts collectives/individuelles entre 1967 et 199416.
On peut constater une différence dans les représentations autour des conflits biafrais et
rwandais, dans lesquels prédominent les massacres de grande ampleur liés aux
génocides, à la famine et aux épidémies. La mort se décline dans les mots et les images
sous le qualificatif de « masse », que ce soit devant la vision de dizaines de corps
empilés dans les campagnes rwandaises, ou dans les statistiques
____________________
Ce tableau, ainsi que les suivants (à l’exception du tableau 6), présente des données unifiées qui
sont tirées à la fois des analyses de textes et d’images qui ont été menées sur le corpus.
16
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
81
dramatiques tentant de rendre compte du nombre de morts : « Huit millions de
Biafrais meurent de faim »17 (TI, 23/08/68 : 20). Dans une guerre africaine, la mort
est donc anonyme, noyée dans le vertige des chiffres qui laissent rarement la parole
aux victimes. L’accent est mis sur la disparition d’une population à l’échelle d’un
pays, et non sur l’exemplarisation du sort d’une personne, comme cela ressort pour
les représentations individualisantes de la mort dans les conflits européens. Ce type
de représentations rend compte de la réalité des guérillas urbaines, où la mort se
décline à plus petite échelle, à l’exemple des « cartons » que font les snipers à
Sarajevo : « 10 morts, 42 blessés mercredi dernier ; 11 morts, 62 blessés jeudi ; 3
morts, 16 blessés vendredi, et ainsi de suite »18 (NW, 24/01/94 : 13) ; elle illustre
néanmoins une différence notoire entre Blancs et Noirs, puisque plus la victime est
proche de l’Europe, plus elle est susceptible de voir sa mort relevée et détaillée dans
un discours qui est fait par et pour des Occidentaux. La perte de certains individus
aurait ainsi plus de valeur que d’autres, plus encore quand cette personne incarne
l’innocence d’un sauveteur dont le geste humanitaire est fauché dans la sauvagerie
de la guerre : « Frédéric, un Genevois de 39 ans, est mort dans les bras de ceux qu’il
était venu sauver, à l’hôpital de Sarajevo » (NO, 04/06/92 : 64). Enfin, dans de rares
cas, la mort ne se décline plus à l’échelle d’un individu ou d’un groupe, mais à celle
d’une nation. Dans cette dimension métaphorique, l’espace géographique est ainsi
comparé à l’anatomie humaine, à un corps dont l’ennemi dispose pour le mettre à
mort en le disloquant : « Et s’il succombait, le Liban ? Bien sûr, aujourd’hui, un pays
ne meurt pas vraiment : on le découpe, on le dépèce, on le réduit, faute d’oser
l’effacer de la carte, comme jadis » (EX, 23/09/83 : 45). Il semblerait ainsi plus facile
d’évoquer le démembrement dans la figure « neutre » du corps national que du corps
humain, même si la métaphore ici présente n’est pas sans évoquer la réalité que
subissent les populations. En effet, quand L’Express parle du « Rwanda, petit
morceau d’Afrique cliniquement mort » (07/07/94 : 6), c’est le futur de toute une
nation qui est mis en péril. À l’image d’un électro-encéphalogramme plat, le
« cliniquement mort » évoque l’étendue de l’extermination qui a décimé des
générations d’habitants, dans un pays où l’on ne trouve presque plus signe de vie.
Une représentation allusive qui semble plus parlante que toute statistique citant les
centaines de milliers de victimes.
Comment meurt-on en temps de guerre ?
Evoquer la mort collective ou individuelle est indissociable de la manière dont les
victimes sont mortes. Dans les représentations, l’ampleur des victimes dépend
largement des moyens utilisés pour les mettre à mort (tableau 3), qui
____________________
17
« Eight millions Biafrans are starving to death ».
« Ten dead, 42 wounded last Wednesday ; 11 dead, 62 wounded Thursday ; 3 dead, 16 wounded
Friday ; and so on ».
18
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
82
conditionnent leur exposition dans le discours médiatique, que ce soit dans le
texte ou les photographies.
Tableau 3 : Types de mort représentés.
Ces résultats confirment donc la prédominance des conflits européens dans le discours
médiatique, comme en témoignent les nombreuses représentations du Liban et de l’exYougoslavie où l’on meurt par bombardements et par balles. Viennent ensuite ce qu’on
pourrait appeler les formes de morts « secondaires » ou collatérales, avec les aléas
habituels des guerres que sont la famine et le froid. La mort par la faim reste
prédominante dans les représentations du conflit biafrais mais s’atténue par la suite, les
médias privilégiant d’autres formes de mort plus spectaculaires19. À l’inverse, la mort
par le froid – qui est inexistante dans les conflits africains et libanais pour des raisons
climatiques – suscite une plus grande indignation dans les récits journalistiques lors du
conflit yougoslave, puisqu’elle concerne un type de mort présent en France : « Le froid
a fait dix morts en France cet automne. Combien l’hiver en fera-t-il à Sarajevo ? » (NO,
09/12/93 : 76). La comparaison insiste sur le « eux » et le « nous », laissant ainsi sousentendre que ce qui n’est pas acceptable près de chez nous ne devrait pas l’être un peu
plus loin. De plus, les représentations de la mort par épidémie de choléra au Rwanda
révèlent un cas intéressant tant il ravive de vieilles peurs liées au spectre de la mort des
siècles précédents, autour du terme de « fléau » et de l’image de la Grande Faucheuse.
Enfin, l’apparition d’une catégorie telle que celle de l’arme blanche est révélatrice de
l’insistance qui est faite dans les représentations
____________________
La famine souffre d’une forme de banalisation dans le discours médiatique, dans les décennies qui
suivent le Biafra, à l’exception notoire de la famine éthiopienne en 1984-1985 et de la famine somalienne
en 1992. Dans les deux cas, c’est le matraquage médiatique d’images présentant des corps décharnés qui
interpelle l’opinion publique internationale et amène à de vastes programmes d’aide humanitaire (voire
militaro-humanitaire pour la Somalie, Moeller, 1999 : 97-155).
19
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
83
des morts du conflit rwandais sur l’usage de la machette. Devenue instrument «
symbolique » du génocide rwandais, elle souligne dans les récits journalistiques une
mort « horrible » accentuée par l’usage d’outils primitifs, tels que « serpes » et autres
« gourdins noueux », véritables instruments de mise à mort ou « arsenal d’assassins »
(EX, 07/07/94 : 11). À travers ces manières de mourir prédomine dans les
représentations toute l’allégorie du massacre et son champ sémantique, dans des
qualificatifs qui soulignent la quantité et le sang : « massacre », « carnage », « orgie »,
« bain de sang », « atrocités », « boucherie ». Aucun mot ne semble suffisant pour
décrire à la fois l’ampleur des morts et le choc que leur vision provoque, forme déjà
critique face à la représentation de cette mort : « barbarie », « horreur » et « terreur »,
« cauchemar ». Ces termes prédominent dans des titres ou des légendes qui encadrent
des photographies exposant des cadavres lors d’épisodes sanglants, comme en
témoigne l’exemple de cette série de photographies du massacre de Sabra et Shatila
(photographie 1).
84
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Photographie 1 : Time, 04/10/82, p. 13.
L’usage de la couleur n’est pas anodin. Il permet de distinguer sur et autour des corps
les traces des blessures, le noir l’emportant sur le rouge, signifiant donc que le sang a
séché et que les cadavres sont laissés à l’air libre depuis plusieurs heures. Les vues
plongeantes, écrasantes ainsi que les plans moyens resserrés focalisent sur les victimes
au centre des images, accentuant par cette vue écrasante et les angles inclinés les corps
criblés de balles, comme pour symboliser le vertige de l’horreur. Les visages sont
presque tous cachés ou distants, l’accent étant plutôt mis sur la disposition des corps
dans leur environnement, et donc les conditions dans lesquelles la mort est survenue.
Elle a été brutale, en fauchant des vies vaquant à leur quotidien, dans la rue, laissant des
cadavres exposés au regard de tous, y compris à celui des journalistes. Le choix des
trois photographies
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
85
expose aussi la variété des victimes, jeunes adultes, femmes, vieillards, jetant ainsi à la
face du monde la preuve indéniable que ce sont des civils. Cette impression est
renforcée par leurs habits, tels la robe et le voile de la femme ; le vieillard en pyjama, sa
canne et ses chaussons visibles, symbolise toute la faiblesse et l’innocence du noncombattant. De telles images soulignent donc les sensibilités évoquées plus haut devant
les cadavres laissés à l’abandon et le massacre inacceptable de civils. Autre cas
significatif, la mort par balles est surreprésentée dans le conflit yougoslave à l’image des
victimes de snipers (photographie 2).
Photographie 2 : L’Express, 03/07/92.
Ce type d’images, que l’on retrouve régulièrement dans les quatre magazines au cours
du conflit yougoslave, emblématise la mort individuelle évoquée plus haut. La
photographie se concentre sur la victime au premier plan, dont la forme allongée,
horizontale, est accentuée par un plan moyen rapproché. Gisant de tout son long sur le
sol, la victime a encore les yeux ouverts, ce qui indique une mort instantanée, la
personne ayant été fauchée alors qu’elle se déplaçait. Le cadre laisse deviner des
éléments urbains, accentuant le sentiment de mort par surprise et l’incongruité de
trouver un individu mort sur le trottoir d’une ville. L’usage de la couleur, qui permet
de distinguer les traces de sang sur le visage de la victime, ne montre pas l’entrée de
l’impact de la balle qui a tué la personne, ceci étant précisé dans l’article sur le sujet
de couverture. L’individu assis à côté, prostré, la main sur le visage, laisse apparaître
la présence du vivant au côté du mort, dans une attitude reconnaissable d’abattement
et de chagrin. La photographie souligne donc le choc de la mort survenue au milieu
des citadins, où la rue est devenue un danger constant face aux snipers jamais
montrés, cachés dans
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
86
l’ombre des ruines où la mort rôde, et souligne l’aspect inadmissible de telles
circonstances de mise à mort dans le sous-titre qui souligne la proximité de la
zone de conflit avec l’Europe, comme si ce type de mort n’était plus acceptable
pour l’Occident.
L’odeur de la mort
Associée aux représentations des corps morts
surgit l’odeur de la mort, caractéristique de la
puanteur des cadavres, et donc de l’urgence
d’enterrer des corps dont la décomposition
renvoie aux miasmes malfaisants du XIXe
siècle : « On va les enterrer côte à côte, entre
deux couches de chaux vive. Vite : il fait chaud,
on voudrait en finir... Mais les soldats munis de
masque à gaz qui ratissent le dédale du camp
signalent
constamment
de
nouvelles
découvertes » (EX, 01/10/82 : 39). La chaleur
qui attise l’odeur, la chaux vive pour éviter les
épidémies, les masques à gaz pour éviter la
contamination, tout indique une proximité
malfaisante de la mort dont ne s’accommodent
plus les vivants. La décomposition des cadavres
domine dans des représentations relatives à des
Photographie 3 :
situations de chaos, face à des populations dont
L’Express, 29/12/94,
p. 19.
le sort importe peu. C’est le cas notamment du
Rwanda (49 % des cas) ou des réfugiés
palestiniens massacrés à Sabra et Shatila (29 %
des cas)20. Affichés comme des sortes
de « marqueurs » de l’étendue du désastre (NW, 20/06/94 : 34), ces cadavres
décomposés laissent deviner dans les représentations qui en sont faites la
désorganisation de la société civile en temps de guerre. L’état de décomposition se
mesure parfois sur les images ; le cas est particulièrement flagrant durant le
génocide rwandais, qui est le seul à présenter des images de squelettes ou d’état
avancé de pourriture des corps (photographie 3).
Le plan d’ensemble permet nettement de distinguer un amas de corps dispersés à
l’horizon, dans une vue plongeante accentuant l’écrasement des corps fondus,
presque intégrés à la poussière du sol, dans un environnement plutôt rural qui rendra
familière l’expression des « champs de la mort »21 (NW, 23/05/94 : 28-29) pour le
Rwanda. Les os apparents, distinguables sous les vêtements aplatis, présentent donc
des corps à l’état de squelettes indiquant un état très avancé
____________________
20
Les représentations de ce type sont quasiment inexistantes pour le Biafra, ainsi que pour la Yougoslavie où les morts sont enterrés rapidement. Voir la sous-partie « La mort et les lieux où elle
s’expose » du présent article.
21
« Killing Fields ».
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
87
de décomposition puisque la chair a disparu. L’état et la disposition des corps, sortes
de marionnettes désarticulées, soulignent le grotesque de cette mort brutale, dans une
situation où l’on n’arrive pas proprement à distinguer toute l’anatomie des corps,
sauf pour le squelette au premier plan dont la tête, les bras, les pieds ainsi que la cage
thoracique explosée laissent supposer que la personne a été découpée. Cette forme de
mise à mort est d’ailleurs soulignée dans l’article qui accompagne la photographie,
expliquant que les bourreaux s’en prennent particulièrement aux membres supérieurs
et inférieurs de la victime, ainsi qu’à son visage. Le cadre choisi par le photographe,
qui a voulu montrer l’état des corps aussi bien que leur emplacement face à un
bâtiment avec une croix, symbole reconnaissable d’une église, accentue l’horreur et
l’inacceptable d’une extermination qui ne respecte plus les lieux sacrés22.
La mort en sursis
La mort de guerre se retrouve aussi sous une forme intermédiaire, dans la
symbolique du « mort-vivant », caractéristique d’une mort lente mais sûre, une
sorte de mort en sursis. Elle est essentiellement associée à la famine, comme cela
ressort pour le Biafra (49 % des cas) où l’image-icône des victimes (photographie
4) en fait des individus qui n’ont « plus d’apparence humaine »23 (TI, 07/03/69 :
23).
Photographie 4 : Le Nouvel Observateur, 19/01/70.
____________________
22
Nous reviendrons sur la question des églises dans la sous-partie « La mort et les lieux où elle
s’expose » du présent article.
23
« Did not even look human ».
88
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Cas particulier pour le Biafra, ce type de photographies souligne l’usage exceptionnel
de vivants – ou « morts-vivants » – pour figurer les victimes du conflit. En gros plan,
nous pouvons distinguer plusieurs petits corps décharnés, notamment le garçon au
premier plan dont les bras squelettiques, les côtes apparentes et le visage abattu
laissent deviner un état de dénutrition avancé. Le cadre choisi avec le cercle mime un
effet de resserrement de l’objectif, dans un horizon que l’on devine peuplé de petits
garçons africains (tous n’étant pas forcément en état de mort imminente), comme si
les enfants étaient sous la mire d’un fusil et promis à une mort plus ou moins
inéluctable à plus ou moins brève échéance. À travers cette photographie, barrée par
l’immense titre « La honte », c’est plutôt une mise en accusation à laquelle on assiste.
Comment a-t-on pu les laisser mourir, eux les « presque morts », eux les enfants, alors
qu’on aurait pu en sauver certains ? Cette couverture du Nouvel Observateur qui
annonce la fin de la guerre du Biafra en 1970 fait le choix d’utiliser l’image-icône du
conflit d’enfants vivants mais affamés, pour résumer une réalité toute autre soulignée
dans l’article : la famine a tué près de deux millions de personnes, majoritairement des
enfants. Le souvenir des disparus à l’image vient donc rappeler la culpabilité (et la
responsabilité) des Occidentaux. Cet usage de vivants pour figurer la mort est
également présent dans la figure de la mort latente venue du ciel, à l’image d’une
bombe pouvant tomber à tout moment au milieu des vivants, comme on le retrouve
dans le conflit yougoslave (24 % des cas) et, dans une moindre mesure, pour le conflit
libanais (9 % des cas).
La mort cachée
Enfin, il convient également de souligner les formes de mort qui n’apparaissent pas
dans les photographies, ou qui n’apparaissent qu’à moitié, questionnant ainsi la volonté
de « monstration » de certaines morts que l’on aurait voulu cacher. Cette forme de mort
concerne surtout la représentation de corps déchiquetés, démembrés, que ce soit par
explosion ou par armes blanches, dont la description n’apparaît que dans les discours :
« Épouvantable chasse à l’homme : ici, semblant encore animés d’un mouvement de
fuite, cinq frères gisent devant le portail de leur maison ; là, ce sont trois femmes, le
crâne éclaté à coups de machette, qui se sont écroulées dans la poussière » (EX,
21/04/94 : 8). Ce type de représentations, dominante notamment dans le cas du
Rwanda (29 % des cas) qui fait ressembler la mort à une « chasse à l’homme », se
caractérise par une attention accrue sur le corps humain, sorte de gibier qui a été
dépecé. Les récits traquent les mutilations infligées, expliquant les parties du corps
visées (visage, membres) alors que les images se taisent ; un tel silence iconographique
laisse deviner un seuil de tolérance infranchissable face à l’in-montrable d’un corps
écrasé, en morceaux (déchiqueté). Ce seuil de sensibilité se constate aussi dans les
représentations de corps « démembrés » pour les conflits libanais (42 % des cas) et
yougoslave (24 % des cas), pour lesquels les récits exposent le broiement des corps
dans les bombardements qui font s’écrouler les immeubles, mais dont les
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
89
photographies cachent le corps. Parfois même, nul besoin de figurer le corps en
entier ; une partie suffit à laisser imaginer le reste, comme on le découvre sur la
couverture de L’Express (photographie 5).
Photographie 5 : L’Express, 14/08/92.
Dans ce très gros plan, le photographe a choisi de n’illustrer qu’une main qui émerge
au milieu des végétaux, mais dont l’état de décomposition laisse deviner l’état
général du corps. La peau flétrie, desséchée, crevassée, et surtout les doigts
manquants présentent un corps qui a soit souffert du climat – les feuilles et la boue
indiquent que l’on est en extérieur – soit subi des mutilations dont seules les
blessures infligées à la main sont présentables. Les couleurs, dans lesquelles se
mélangent les tons tristes du gris et du brun, accentuent l’impression de
désincarnation de ce bras qui se fond dans la boue autour de lui, comme s’il
n’appartenait déjà plus à un corps. Cette main flétrie et déchirée fonctionne par
métonymie pour incarner tout le sort d’un peuple, à l’image du titre qui souligne
l’abandon des Yougoslaves à leur sort, « damnés de l’Europe » destinés à disparaître
cruellement comme cette main déchiquetée disparaît dans le froid et l’humidité.
Typologie des tués de la guerre et lieux d’exhibition des
cadavres
Dans les différentes formes que nous avons constatées autour des mises en scène
de la mort de guerre apparaissent les morts eux-mêmes. Qui sont-ils, ou
90
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
plutôt qui est représenté ? Sont-ce toujours des civils, n’y a-t-il pas parfois des
combattants, qui devraient logiquement figurer parmi les premières victimes des
conflits armés ? Les cadavres sont-ils la seule manière choisie par les magazines pour
évoquer la mort ? Il est nécessaire de nuancer, puisque l’on constate qu’au fil des
différents conflits, l’usage des récits des survivants survient plus largement dans le
discours médiatique pour représenter la mort de guerre que le choix de photographies
mettant en scène des cadavres.
Qui sont les morts ?
À décrire et exposer la mort et le mal, les représentations journalistiques désignent
forcément deux catégories, celle des victimes et celle de leurs agresseurs, alors qu’il
n’existe pas toujours de distinction nette entre combattants et non-combattants dans le
cadre de guerres civiles. Ce dualisme repose sur la rhétorique fondamentale et parfois
simpliste (ou réductrice) du fort contre le faible et se traduit par une forme de
hiérarchisation victimaire (Brauman, Backmann, 1996) qui apparaît de manière
frappante dans les représentations discursives et iconographiques qu’en font les
médias (tableau 4).
Biafra
Liban
Yougoslavie
Rwanda
Prêtres
0
0
0
8
Acteurs
humanitaires
2
1
6
2
Soldats
3
93
19
6
Bâtiments
0
103
80
0
Civils
75
143
175
104
Tableau 4 : Typologie des victimes de 1967 à 1994.
On constate ainsi la très nette majorité des victimes civiles mises en avant dans les
représentations médiatiques des tués de la guerre, au détriment des victimes
combattantes. Cela ne signifie pas forcément que les soldats meurent moins en
temps de guerre, mais que leur mort est moins scandaleuse que celle des civils et ne
figure donc pas nécessairement dans le discours médiatique, à l’exception des
pertes étrangères dans le cas d’une intervention internationale, comme nous le
verrons plus bas. Surgissent également deux autres catégories mineures et ce de
manière sporadique : les acteurs humanitaires, qui périssent essentiellement en
Yougoslavie et dont la représentation de la mort souligne les nouveaux contextes
périlleux d’intervention humanitaire des années 90 ; les
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
91
prêtres, nouvelles victimes lors du conflit rwandais où les massacres se déroulent
dans les églises. Enfin, catégorie particulière mais importante, les bâtiments euxmêmes sont souvent utilisés dans les représentations médiatiques des tués de guerre
comme des symboles de la destruction des vivants, incarnant dans les vestiges des
ruines des villes devenues des cimetières. De manière générale, les civils évoquent
« l’agonie des innocents »24 (TI, 28/06/82 : 20), résumant ainsi l’impuissance du
David contre Goliath. Parmi eux se dessine une échelle de l’innocence des victimes,
des vieillards aux femmes, des femmes aux enfants, les deux derniers constituant la
majorité des victimes (tableau 5).
Biafra
Liban
Yougoslavie
Rwanda
Vieillards
2
2
6
4
Hommes
2
12
22
10
Femmes
8
23
27
25
Enfants
36
35
45
49
Tableau 5 : Hiérarchie des victimes civiles de 1967 à 1994.
Depuis le Biafra, on constate donc que les enfants reçoivent un traitement spécifique,
incarnant par leur jeune âge l’innocence absolue de ceux qui ne comprennent pas la
folie des adultes et qui ne peuvent donc prendre parti (ni être pris à partie) pour des
causes politiques, religieuses, ethniques. Au-delà, c’est aussi le futur d’une nation qui
est menacé quand les jeunes générations sont fauchées dans la mort de masse. Il est à
noter que la mort des civils prend une forme particulière de désignation dans le
discours médiatique sous les termes de « meurtre » et d’« assassinat » tout au long des
quatre conflits, basculant ainsi du vocabulaire guerrier du massacre à celui du
juridique. De plus, bien que la religion soit pratiquement absente de toutes les formes
de représentation de la mort de guerre étudiées dans notre cas, la sémantique
religieuse de l’enfer survient ci et là dans les discours pour souligner le calvaire que
subissent les civils, certains épisodes bibliques semblant plus à même d’étalonner
l’horreur que des faits réels. L’« apocalypse » sert d’échelle pour mesurer l’ampleur
de la destruction des villes alors que les assiégés sont présentés comme des
« sacrifiés » ou des « crucifiés » injustement détruits dans l’effort de guerre, alors que
la masse de réfugiés qui se jette sur les routes au Rwanda fait penser à « un exode de
dimension biblique »25 (NW, 16/05/94 : 8). Relativement minoritaire tant la mort des
civils l’emporte dans la plupart des représentations autour des tués de la guerre, la
mort du soldat apparaît de manière sporadique, en particulier quand les récits se
concentrent sur les combats au tout début de la couverture
____________________
24
25
« Agony of the innocents ».
« It was en exodus of biblical sweep ».
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
92
médiatique des conflits. Toutefois, il faut soulever le cas relativement récurrent de
photographies de combattants, qui ne représentent pas des tués de la guerre à
proprement parler, mais qui sont souvent utilisées dans les mises en scène
médiatiques pour désigner la figure de l’agresseur, et par là la potentialité du danger
létal qu’il incarne. Qui sont donc les tueurs, les « faiseurs » de mort ? Au long des
quatre conflits, les forces armées sont forcément pointées du doigt. Cependant, le cas
du conflit yougoslave est très intéressant, parce qu’il est le seul à mettre en scène des
victimes à côté de leurs « bourreaux ». Les milices serbes sont nettement désignées, à
l’appui d’images condamnant sans appel, comme celle montrant un soldat frappant
des morts au visage (photographie 6).
Photographie 6 : Time, 20/04/92, p. 37.
Ce type de photographies, mimant une sorte de « cruelle danse macabre »26 (NW,
06/07/92 : 22), est propre au conflit yougoslave, pendant lequel le « nettoyage
ethnique »27 conduit les combattants à afficher leur haine. Sur cette image, on distingue
clairement un individu dont les attributs (fusil à viseur, lance-grenades, bottes de
combat, écusson et treillis militaire) indiquent qu’il est un soldat. Le cadre choisi joue
sur les axes, le vivant debout et les morts allongés à ses pieds. Le genou levé indique un
coup de pied qui semble se diriger dans le visage de la femme. Sous l’un des visages,
une flaque de sang laisse deviner que les trois corps allongés sont probablement morts,
leurs habits indiquant qu’il s’agit de civils. La
____________________
26
« Cruel danse macabre ».
L’usage du terme « nettoyage ethnique » nécessiterait une étude discursive dans laquelle nous
n’entrerons pas ici. Voir à ce sujet A. Krieg-Planque (2003).
27
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
93
position enchevêtrée des corps suppose qu’ils ont été abattus en marchant ou en
courant, la photographie pointant le fusil comme arme du crime. Au-delà de l’acte
ignominieux de s’acharner sur des cadavres (le coup de pied) s’ajoute un détail sinistre,
la cigarette que le soldat tient à la main, non sans une certaine nonchalance. Là s’arrête
le langage de l’image, puisqu’il faut la précision de la légende pour comprendre ce qui
s’est passé. Le photographe, qui a assisté à la scène, indique qu’il s’agit bien de trois
victimes civiles abattues par le soldat et son groupe, la victime tout à droite étant un
homme musulman auquel les deux autres femmes ont voulu porter secours28. Même si
la légende rapporte le discours des soldats qui affirment que c’était de la légitime
défense, l’image met en accusation ce qui passe pour un crime de guerre ; ce type de
photographies accompagnera d’ailleurs régulièrement des articles appelant au
jugement des exactions commises sur les civils. Enfin, il faut encore noter l’attention
particulière qui est mise par le discours médiatique sur les représentations de la mort de
soldats étrangers lors d’interventions militaires, comme au Liban et en Yougoslavie.
Leur mort, lorsqu’il s’agit d’un seul individu, est toujours mentionnée. Cette mort reste
très sobre dans les mises en scène, quand bien même il s’agit de centaines de morts,
comme on le remarque lors des attentats contre les soldats américains et français en
avril et octobre 1983 au Liban. C’est l’effort de paix qui est ici fauché, dans des articles
où la mort est cachée à l’image, à peine évoquée dans les chiffres de comptage des
corps et où prédomine la reconnaissance du sacrifice des héros. Une telle attitude
interroge sur les sensibilités, et pourrait laisser penser que la sobriété des
représentations sert à ne pas choquer les opinions publiques des lecteurs face à leurs
propres morts.
Les vivants ou les survivants
En évoquant les atrocités commises dans les conflits, les journalistes préfèrent
souvent dans leurs descriptions laisser la parole aux témoins (tableau 6). Cette
pratique peut signifier plusieurs choses : soit combler un déficit d’informations, les
journalistes n’étant pas sur le terrain, soit sortir les tués de la guerre de l’anonymat
par le récit des survivants en leur donnant un visage humain, soit encore laisser
décrire la réalité de la mort en temps de guerre dans les mots de ceux qui l’ont vue.
____________________
28
« The commandos kick the bodies of dead Muslims. The man in the center died first, shot by the
guerrillas. Two women who ran to his aid were also killed, one after the other, by the soldiers, who
claimed the civilians were armed and had fired on them » (TI, 20/04/92, p. 36).
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
94
Tableau 6 : Répartition de l’usage des récits de survivants entre 1967 et 199429.
Soulignant ainsi les différences déjà remarquées entre conflits africains et européens,
la parole semble plus largement accordée aux victimes survivantes blanches.
Néanmoins, on constate une augmentation de ce type de discours pour le Rwanda, qui
peut venir souligner une réalité du terrain : la majorité des journalistes n’étant pas sur
place ou n’ayant pas vu directement les actes du génocide rwandais au moment des
faits, le recours aux récits de survivants permet d’illustrer des faits, en même temps
qu’il souligne toute la cruauté de la mise à mort in-montrable à l’image. En effet, ce
type de récits se concentre largement sur des scènes de sauvagerie. Elles se déroulent
souvent à l’échelle individuelle, décrivant une situation que l’on pourrait qualifier
d’anecdote de guerre, mais leur multiplication dans le récit journalistique semble
déterminer qu’elles représentent une horreur à plus large échelle, comme si chaque
individu au final, avait vécu la même situation. C’est du moins cette représentation
cruelle de la guerre que les magazines veulent mettre en avant. Les récits sont précis,
même si la rigueur journalistique de mise souligne que rien n’est vérifié : « La plupart
des histoires horribles étaient impossibles à vérifier et provenaient de personnes
blessées, effrayées [...]. Près de Tuzla en Bosnie orientale, un témoin éperdu a vu trois
filles musulmanes se faire dénuder jusqu’à la taille et enchainer à une barrière “à
l’usage de tous”. Après trois jours de viol, le témoin a raconté, elles ont été arrosées
d’essence et brûlées »30 (NW, 17/08/92 : 8). En évoquant le viol répétitif et les victimes
brûlées vives, ces discours témoignent de faits crus,
____________________
29
Ce tableau présente ici uniquement des données issues de l’analyse des textes du corpus.
30
« Most of the horror stories were impossible to confirm and came from hurt, frightened people [...]. Near
Tuzla in eastern Bosnia, a distraught eyewitness saw three Muslim girls who were strip-ped to the waist and
chained to a fence “for all to use”. After three days of rape, the witness said, they were doused with gasoline
and set on fire ».
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
95
où la mort se rapproche d’actes de barbarie, là où bien souvent les images font
défaut. Ce récit devient encore plus manifeste quand il s’agit de rencontrer des
survivants des « camps de concentration » serbes découverts en ex-Yougoslavie
en août 1992.
De telles scènes prennent une tournure d’autant plus dramatique qu’elles
bénéficient de descriptions détaillées, souvent heure par heure, d’épisodes
sanglants dans lesquels on cherche à expliquer la mort en la représentant comme
une sorte d’acte de folie des tueurs, à l’exemple du massacre de Sabra et Shatila :
« Les premiers rapports étaient fragmentaires mais horrifiants. Un groupe d’hommes armés est entré
dans les camps de réfugiés de Sabra et Shatila au sud de Beyrouth et a ouvert le feu sur tous ceux qu’ils
rencontraient. Ils ont assassiné des jeunes hommes en groupes de dix ou 20, ont tué des mères, des bébés
et des vieillards. Ils ont même tiré sur des chevaux. Et quand ce fut fini, ils ont essayé, dans une manière
évoquant la Seconde Guerre mondiale, de détruire l’évidence en poussant les corps par bulldozer dans
des fosses communes »31 (TI, 27/09/82 : 8).
À travers ce récit la mort est vue comme un acharnement (les jeunes hommes, les
femmes, les enfants, les vieillards) qui frôle l’absurde, puisque même les chevaux
sont abattus. Une mort sale, incompréhensible, une mort à cacher, dont même les
responsables ont honte puisqu’ils tentent de cacher les preuves en les
ensevelissant.
La mort et les lieux où elle s’expose
Un nombre important d’articles offre aussi des représentations de la destruction des
villes, particulièrement au Liban et en Yougoslavie (ce n’est pas le cas pour le Rwanda
et le Biafra, pour lesquels il n’y pas eu de sièges urbains, même si des bâtiments ont pu
être touchés par les combats). Dans ce cas, ce ne sont pas seulement les êtres vivants
que la guerre tue, mais aussi tout l’environnement dans lequel ils vivent. D’une
certaine manière, le sort des villes incarne le martyre des vivants qui meurent sous le
feu des bombes : « Beyrouth : comment meurt une ville » (NO, 07/08/82, couverture). Il
n’est pas rare de voir des reportages consacrés à l’allégorie de la ville fantôme, où la
disparition du vivant s’inscrit dans les rues désertes, les murs criblés de balles, les
ruines laissées à l’abandon. Ce type de représentation va encore plus loin pour le conflit
yougoslave puisque l’on en vient à utiliser le terme « urbicide » pour qualifier la
destruction des centres urbains, voire même de « mémoricide » tant le « nettoyage
ethnique » en place s’efforce de faire disparaître, dans les corps humains et les corps
d’habitation, toute trace de la communauté qui y a vécu (EX, 03/07/92 : 38-39). Enfin,
les morts sont
____________________
31
« First reports were fragmentary but horrifying. A group of armed men had entered the Sabra and
Shatila refugee camps south of Beirut and opened fire on everyone they could find. They murde-red
young men in groups of ten or 20, they killed mothers, babies and old people. They even shot horses.
And when it was over, they attempted, in a manner reminiscent of World War II, to destroy the
evidence by bulldozing the bodies into makeshift common graves ».
96
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
représentés dans les discours et les photographies, dans des lieux traditionnels
d’exposition des cadavres, que ces lieux soient des endroits de passages où il faut
préparer les corps, ou des endroits de repos éternel (tableau 7).
Rwanda
Yougoslavie
Liban
Biafra
4
44
32
6
22
13
14
4
11
26
32
2
Églises
21
4
3
Morgue
2
14
6
Hôpital
1
15
12
Tombes
Fosses
commune
s
Enterrement
4
Tableau 7 : Les lieux traditionnels d’exposition de la mort de 1967 à 1994.
L’apparition de ces différents lieux d’exposition dans les représentations des morts selon
les quatre conflits révèle des manières différentes de gérer les cadavres. Encore une fois,
les cas libanais et yougoslave sont largement surreprésentés, les victimes blanches
bénéficiant de tombes individuelles et pour lesquelles le temps du deuil est reconnu et
souligné. De nombreuses photographies présentent des scènes d’enterrement dans les
cimetières, signifiant qu’on a pris le temps de ramasser le mort, de le pleurer et de lui
donner une sépulture décente. Ce n’est pas le cas dans les représentations de fosses
communes, plutôt caractéristiques du Rwanda, qui soulignent, d’une part, l’anonymat
des corps enterrés dans l’urgence (principalement par risque de contamination), d’autre
part, le caractère massif du nombre de morts qui ne permet plus la gestion au corps par
corps. Aux fosses communes succèdent parfois les charniers, stigmates indélébiles dans
les zones de combat d’une mort violente, qui n’apparaissent pas dans les images mais
dans les mots et sont associés à des morts que l’on ne laisse pas en paix. Présent dans la
fin du conflit yougoslave, ce type de représentation est associé à la figure du médecinlégiste exerçant dans une morgue et signifie donc une attention particulière autour des
victimes, dont la mort injustifiable nécessite la recherche des preuves d’exactions sur les
cadavres. Enfin, si la vision de scènes de mort dans les hôpitaux libanais et yougoslaves
présente cet endroit traditionnel où l’on tente de lutter contre la mort, elle est
représentative d’une société malgré tout organisée qui permet l’évacuation des blessés,
alors que cela n’est plus le cas pour le Biafra ou le Rwanda, pour lesquels les églises
deviennent des lieux de mort, inversant ainsi ces sanctuaires de protection des vivants en
lieux où l’on commet le sacrilège de profaner les asiles.
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
97
Conclusion
En survolant ces trois décennies de conflits et les représentations qui en sont faites, on
constate plutôt une certaine stabilité dans les mises en scène visuelles et discursives de
la mort. Si ces représentations sont plus marquées et plus nombreuses dans les années
90, notamment par une mort esthétisée dans le grand reportage photographique, elles
changent peu dans l’essence même de ce qu’elles donnent à voir et à comprendre de la
mort. Confirmant la première de nos hypothèses, ces représentations utilisent
principalement la figure de la victime civile, d’autant plus quand c’est un enfant
symbolisant l’innocence et la perte des générations à venir. Qu’elle soit collective ou
individuelle, la représentation de la mort en temps de guerre sert avant tout à évaluer si
« un seuil de tolérance a été franchi » devant le « massacre d’innocents » (EX,
17/02/94 : 5). Utilisant « stratégiquement » (Molotch, Lester, 1996) certains
événements emblématiques de ces conflits, les rédactions alternent entre la description
de la masse des morts pour provoquer l’horreur et récits individualisés des survivants
pour favoriser la projection des publics à l’échelle d’une vie. La « loi de la proximité »
joue un rôle prépondérant, puisque la victime africaine disparaît au profit de la surmédiatisation de la victime européenne. Toutefois, dans le corpus étudié, les magazines
sélectionnés ne sont pas complètement passés à côté du Rwanda. Même en plus petite
quantité, l’exhibition des morts rwandais existe et met en scène une mort brutale,
massive, où les représentations cherchent à soulever le caractère presque primitif de la
mort, à l’exemple de l’usage symbolique de la machette. Ceci est d’autant plus
accentué que les représentations font ressurgir des figures plus anciennes de la mort, en
usant de comparaisons avec des référents historiques tels que l’Holocauste et la
barbarie de l’extermination de masse, la sémantique religieuse apocalyptique ou encore
les fléaux millénaires que sont les épidémies et la famine.
Quand la mort violente apparaît à l’image, elle est souvent associée à un épisode
sanglant qui suscite l’indignation, ou qui est tout du moins mis en scène dans le récit
journalistique comme une mise en accusation d’une mort inacceptable. Cela souligne
les rapports entre société civile et morts de guerre et leurs évolutions dans les
mentalités, qui sont passés d’une héroïsation de la bataille à la victimisation et à la
perte de sens (Puiseux, 1997). Si la titraille et les photographies en couleur
soulignent l’horreur, les textes s’éloignent d’une description purement formelle des
massacres pour tenter de (re)donner du sens à l’absurdité de la mort des civils en
appelant à une intervention militaro-humanitaire, voire à un jugement pénal
international. Des nuances existent toutefois entre mises en scène discursives et
visuelles. Il n’y a pas d’indicible mais il y a de l’in-montrable. Les mots ont donc
tendance à être privilégiés quand il s’agit de présenter les manières de mourir,
particulièrement dans les scènes de cruauté, en compensant certaines mutilations
irreprésentables à l’image. Ainsi, la mort portant une atteinte à l’intégrité physique
du corps, que ce soit par amputation, démembrement, explosion, n’est-elle pas
visible dans les
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
98
photographies. Les raisons de ce « silence » iconographique sont probablement à
mettre en relation avec une forme de pudeur devant les images de broiement des
corps, sorte de tabou absolu qui donne un poids relativement important à l’image :
« Les photographies constituent un moyen de rendre « réelles » (ou « plus réelles »)
des choses que les privilégiés, ceux qui n’ont pas à craindre pour leur sécurité,
pourraient préférer ignorer » (Sontag, 2003 : 15).
Cette attitude révèle donc des sensibilités tournées vers des publics européens, pour
lesquels des scènes de carnage, de pourriture, de puanteur des cadavres et de la mort
d’enfants constituent des seuils de tolérance qui peuvent être difficilement franchis,
d’autant plus que ce type de scènes n’est plus visible sur la scène occidentale depuis
la Seconde Guerre mondiale32. À l’exception des cadavres décomposés, dont on ne
distingue plus que les squelettes des charniers du Rwanda, aucune scène identique
n’est perceptible pour les morts des conflits libanais et yougoslaves. De telles
pratiques soulignent donc des sensibilités orientées à la fois sur la nationalité de la
victime et la vision des supplices qu’a subis son corps mais restent néanmoins
filtrées par les rédactions. Un tel constat nécessiterait de pouvoir prolonger l’analyse
entreprise dans cet article par une étude des pratiques journalistiques, rédactionnelles
et photographiques. Comme l’a souligné Anna Banks (1994 : 124)33 dans son étude
sur les news internationales, les images produites à l’étranger sont toujours
enfermées dans « deux discours » : « [Elles] sont créées dans un contexte et vues
dans un autre ». Elles sont révélatrices de sensibilités en jeu à la fois sur le terrain de
guerre et dans les rédactions. Le choix de prendre en photo ou de détailler par écrit
tel ou tel type de mort ou de victime se fait déjà par le photographe ou le reporter au
moment des faits ; ce choix est donc dépendant du système de valeurs et de la
perception du conflit du journaliste, comme le souligne Vincent Hugueux (2004 :
231)34 : « Comment vais-je réagir face à la mort, au danger, à la souffrance, à
l’injustice ou aux scintillements du pouvoir ? Serai-je capable de mettre en mots
l’indicible ? ».
En conséquence, montrer la mort dans les médias est-il le résultat d’un voyeurisme
obscène, d’une banalisation de la mort, d’un renchérissement de l’horreur face à la
concurrence des autres médias ? D’un souci d’objectivité ? D’une intention de montrer
la réalité et la complexité des violences de guerre parmi les villes et la population ? D’un
simple statut de spectateur compassionnel qui est celui du journaliste témoin ? Ou celui
d’un acteur engagé qui pousserait, par la « monstration » des cadavres, à l’intervention
de la communauté internationale ? Il est difficile de trancher parmi ces positions. C’est
notamment sur ce débat
____________________
32
Une exception notoire est celle des catastrophes naturelles, qui offrent une profusion de représentations de morts collectives, touchant aussi les enfants et dans lesquelles la décomposition est
souvent évoquée puisqu’il faut parfois plusieurs jours pour retrouver les cadavres. Voir à ce sujet G.
Clavandier (2004).
33
« Images created in one context and viewed in another ».
34
V. Hugueux est grand reporter à L’Express.
4. Article 3 : « ‘Le martyre des innocents’ : mises en scène visuelles et
discursives de la mort de masse dans les crises humanitaires (19671994) »
99
autour des difficultés à montrer la mort, plus que de la dire, que Barbie Zelizer
(2005 : 27) revient dans son article sur les photographies des tués de guerre en
Afghanistan : « Alors que les journalistes ont tendance à relater des histoires de mort
dans des comptes rendus élaborés qui détaillent les dimensions les plus complexes
du comment et pourquoi un tel est mort, ils n’offrent pas le même traitement détaillé
à la visualisation de la mort »35. Ce dilemme sera évoqué par Andrew Purvis,
reporter du Time au Rwanda, qui s’interroge sur la nécessité d’inonder l’opinion
publique d’images du carnage et le devoir d’information du journaliste36. Car ces
photographies sont pour la plupart des publics l’un des lieux uniques de rencontre
avec la mort, aussi violente soit-elle. Cela suscite plus que jamais des interrogations
à l’heure où les nouvelles pratiques médiatiques, notamment l’usage des blogs et le
journalisme amateur, laissent diffuser nombre d’images non censurées et non
commentées de morts parfois atroces, antagonisme frappant à une période où la
rhétorique de guerre officielle occidentale tente de faire disparaître la mort dans un
discours lénifiant de « zéro morts », « frappes chirurgicales » et « dommages
collatéraux ».
Références
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Agenda-Setting Theory, Mahwah, NJ, Lawrence Erlbaum Associates.
____________________
35
« For while journalists tend to recount stories of death verbally in elaborated accounts that detail the
most intricate dimensions of how or why one died, they do not offer the same detailed treat-ment to
death’s visualization ».
36
« The first instinct is to turn away. The images of carnage that continue to emerge from Rwanda’s 10week-old bloodbath invariably leave beholders repelled : some question the need for the publication of
such photographs ; others respond by redoubling their calls for intervention. To a reporter attempting to
chronicle the events, both reactions make sense. The massacres are profoundly unsettling. Should the
world continue to bear witness ? » (Time, 04/07/94, p. 26).
100
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
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5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le
discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie »
101
5. Article 4 : « Représentations symboliques des
bourreaux dans le discours médiatique : le cas du
Liban et de l’ex-Yougoslavie »
Article soumis à la revue Emulations.
Actuellement en cours de révision.
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La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Représentations symboliques des bourreaux dans le
discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie
Valérie Gorin
Assistante et collaboratrice scientifique
Département de Sociologie, Université de Genève
Centre d’Enseignement et de Recherche en Action Humanitaire (CERAH)
Introduction
L’objet de cet article est né au cours des recherches menées dans le cadre
d’un projet de thèse portant sur la médiatisation des crises humanitaires dans
la presse magazine, des années 60 aux années 90. Dans ce contexte, plusieurs
études ont souligné le
« totem » (Brauman 1996, 24) du duo victime-
secouriste, à l’ère de la rhétorique victimaire, ou de la « victime-écran »
(Mesnard, 2002).
En réalité, il conviendrait plutôt de parler d’une relation triangulaire, celle
formée par la configuration victime – secouriste – bourreau. Si nous
aimerions laisser ici partiellement de côté l’image du secouriste, c’est la
relation entre les deux autres pôles du triangle qui nous intéresse : la « SuperVictime » en appelle en effet au « Super-Bourreau »1. La victime n’existe que
parce qu’il y a bourreau ; les atteintes, les mutilations sur son corps marquent
l’intention, la violence inscrite par l’autre, l’agresseur : « Il y a le corps des
civils. Civils "amis" ou "ennemis", civils présents ou non sur les lieux
d’affrontement, exposés au danger ou à l’abri : leur présence, réelle ou
1
Nous choisissons dans cet article d’utiliser indistinctement trois termes, « bourreau »,
« agresseur » et « oppresseur », comme des synonymes. Il convient bien entendu de
souligner que cet usage devrait faire l’objet d’une étude en soi-même tant leur signification
pose problème.
5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le
discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie »
103
symbolique, complique au plus haut point ce qui se joue de physicalité dans
le combat. » (Audoin-Rouzeau 2008, 304). Cet article se propose donc de se
concentrer sur l’image de l’agresseur en temps de guerre, notamment sa
représentation et sa mise en scène dans le discours médiatique, puisqu’il
semble effectivement être absent de nombreuses études récentes faites sur
les reportages de guerre, face au triomphe de « l’ère des victimes ». Ce qui est
d’autant plus curieux à une période où les guerres liées au terrorisme
(Afghanistan, Iraq) ont réactivé l’image du combattant en général, et plus
particulièrement les figures des « bad guys », du « combattant irrégulier », du
terroriste, à l’exemple d’Al-Qaida et des Talibans2.
Notre étude porte sur deux conflits dans lesquels apparaît ponctuellement la
« figure du bourreau » : la guerre civile au Liban (particulièrement lors de
l’opération « Paix en Galilée » lancée par Israël entre 1982 et 1984) et la
guerre en ex-Yougoslavie (particulièrement le siège de Sarajevo entre 1992 et
1995). Bien entendu, le choix des deux conflits et leur comparaison doit être
effectuée avec prudence ; il ne s’agit pas ici d’admettre que les racines et les
causes des deux conflits sont identiques et qu’une grille analytique identique
doit leur être appliquée aveuglément. Ce que souligne le politologue Florian
Bieber (2000), qui met néanmoins en avant des parallèles évidents entre la
pluralité religieuse des deux pays comme facteur ayant mené aux tensions
politiques et nationalistes. Toutefois, le type de violences, et surtout les
représentations qui en ressortent dans les médias soulignent des similitudes
qui méritent que l’on s’interroge sur cette mise en scène médiatique. La
comparaison est faite par les journalistes eux-mêmes, pour lesquels le siège
de Sarajevo évoque des « réminiscences » du siège de Beyrouth :
2
Nous tenons à signaler ici l’exception notoire de Barbie Zelizer (2005) qui s’est intéressée
aux représentations de la mort de combattants Talibans dans les médias américains.
104
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
The images flickering across the TV screens from Bosnia reminded the
average media consumer of the war in Lebanon : the destruction, the killings
and the seemingly incomprehensible hatred. While the Lebanese conflict was
labelled by many commentators as ‘Balkanisation’, the war in Bosnia was
described as ‘Lebanisation’. Thus, ‘Balkanisation’ returned to the Balkans
through Lebanon, just as some journalists described Sarajevo as the ‘Beirut of
the Balkans’. (Bieber 2000, 270)
D’où les enjeux pour comprendre cette rhétorique mémorielle faite par les
journalistes et la construction symbolique des victimes et de leurs agresseurs.
Bien entendu, cette visibilité de l’oppresseur doit être replacée dans son
évolution socio-historique. Désigner l’ennemi n’a rien de nouveau ; ce qui
change, c’est le contexte dans lequel cette exhibition s’effectue, les objectifs
(visés) derrière ce message et la perception de cette violence de guerre. Cela
se constate tout d’abord dans la mise en scène de la violence (contexte,
acteurs, pratiques). Cette violence est-elle montrée, euphémisée, esthétisée ?
Y a-t-il des dimensions anthropologiques dans le discours des journalistes au
sujet de la culture de guerre sur le terrain par les combattants et leur degré de
brutalité, les méthodes d’exécution et leur symbolique, des violences
multiformes ? On peut également s’interroger à un deuxième niveau sur le
jugement moral porté par les journalistes sur cette violence, ceux qui la
prodiguent, et sur ses implications. Ce jugement se tourne parfois vers une
claire dénonciation politique et appelle à une intervention armée, voire à une
sanction juridique.
La démarche que nous avons effectuée est basée sur un corpus constitué de
deux newsmagazines américains (Time et Newsweek) et français (L’Express et Le
Nouvel Observateur)3. L’analyse a porté à la fois sur les contenus thématiques,
ainsi que sur les usages sémantiques et photographiques. Nous nous
3
Par souci de place, nous emploierons les initiales suivantes pour indiquer les magazines :
Time – TI, Newsweek – NW, L’Express – EX, Le Nouvel Observateur – NO.
5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le
discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie »
105
concentrerons dans cet article sur trois aspects : d’une part la description des
pratiques de violence et la désignation des agresseurs ; d’autre part, sur le
travail en amont des journalistes et l’utilisation des récits de survivants, mais
aussi, en aval, la mobilisation morale dans le discours médiatique.
Médias et guerre à la fin du 20ème siècle : une nouvelle configuration ?
Les deux guerres mondiales ont principalement permis l’exhibition de
l’image des bourreaux dans un discours propagandiste, autour de la
dénonciation de la barbarie de l’ennemi (Puiseux 1997 ; Perlmutter 1999).
S’il est indéniable aujourd’hui que la Deuxième Guerre mondiale constitue le
tournant dans l’inversion du taux de morts militaires et civils, et la claire
dénonciation des ravages de la guerre sur la population civile, elle a
également constitué une étape importante dans le statut de l’image au sein du
message d’information, utilisée tout à la fois pour sa valeur testimoniale,
probante, informative (voir notamment les travaux de Barbie Zelizer (1997)
sur la publication des photos des camps de concentration).
Par la suite, le Vietnam représente une deuxième étape fondamentale dans la
médiatisation de la violence de guerre, en montrant que les capacités de
détruire, massacrer, torturer, ne sont pas l’apanage de l’Autre, de l’indigène,
mais aussi celles du Blanc dit civilisé, se battant pour des idées de progrès et
de démocratie. Les médias n’hésitent pas à dénoncer des faits de guerre
impliquant des violences commises par les soldats américains, qui
interrogent la nécessité de maintenir ce conflit et opposent une partie des
médias à la guerre entre 1967 et 1968 (Rougé 1992). Le plus célèbre de ces
faits, le massacre de My Lai4, désigne les coupables par les photos et les
4
Plus de 343 civils vietnamiens ont été massacré par les hommes de la compagnie Charlie le
16 mars 1968.
106
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
témoignages des bourreaux qui seront publiés en premier par le magazine
Life en 1969, montrant clairement à quel point le débat sur la tolérance de la
violence de guerre touche le cœur même de la société américaine5.
A la fin du XXe siècle, plusieurs cas (l’Ethiopie en 1984, la Somalie en 1991)
ont démontré que les médias peuvent « internationaliser » un conflit en
permettant d’alerter l’opinion publique internationale face aux violences sur
les civils. Le journaliste occupe une position centrale dans cette médiation,
faisant office de témoin, de « bystander » comme le décrit Jacques Sémelin, à
la fois spectateur et acteur face à l’indifférence, dans une médiatisation en
trois étapes : la résistance à l’information (les faits semblent d’abord trop
monstrueux), puis le rapport de forces (la nouvelle s’impose dans le flux
médiatique), puis la prise de conscience (souvent par un événement qui
« révèle » de ce qu’on savait déjà) (2005, 182-184).
Ce déroulement se retrouve dans la médiatisation des deux conflits
présentés. Le Liban, puis l’ex-Yougoslavie, occuperont par cycles l’agenda
médiatique, selon le récit des affrontements et les premiers témoignages des
massacres entre communautés. Les pics médiatiques seront atteints suite à
des événements « détonateurs » : le massacre de Sabra et Chatila au Liban en
septembre 1982 ; le siège de Sarajevo et notamment le massacre du marché
de Markale en février 1994 ; la découverte des « camps d’internement » en
5
A titre d’exemple, le magazine choisit de publier plusieurs courriers de lecteurs qu’il a
reçus au sujet du massacre, en accompagnant les lettres d’un court texte introductif : « The
American people reacted to the massacre at Mylai – with horror, shame and shock, but also
with disbelief, uncaring acceptance and even benumbed lack of interest. In interviews with
LIFE correspondents and in letters to the editor, many saw Mylai as an inevitable
consequence of war. Others blamed this particular war. Few were willing to place the entire
burden of guilt on men of Company C who, by their own accounts, took part in the mass
slaying of old men, women, and children. Some accused the press of exaggerating the event
or questioned whether it ever really happened. […] », LIFE Atlantique, 19 janvier 1970, p.
170.
5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le
discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie »
107
août 1992 en ex-Yougoslavie. Au-delà de leur médiatisation, ils soulèvent
également plusieurs points communs :
- tout d’abord, le fait qu’ils se déroulent dans un espace européen ou à forte
influence européenne
- le fait qu’ils soient tous les deux considérés comme des guerres civiles, qui
exaltent les tensions ethniques et religieuses et les antagonismes en jeu à
l’intérieur de la nation
- les armées irrégulières ou paramilitaires, nommées simplement milices
(phalanges, serbes) ont joué un rôle important dans les massacres
- la présence de journalistes et de photographes sur place, dans toute la
durée du conflit
- l’atteinte claire faite à l’espace civil
- l’appel à une intervention étrangère
En effet, cette exhibition de la violence de guerre exercée par certains n’est
jamais gratuite dans les médias. Même si elle répond d’abord à une volonté
de « planter le décor » des faits de guerre, elle répond aussi à un seuil de
sensibilité (face aux victimes) et une dénonciation de cette injustice
(Boltanski 1993). Ce qui se démarque c’est la sortie des violences de masse
hors du champ de bataille, au cœur même de l’urbain et le piège qui se
ressert sur les civils (villes prises en siège, martyre des habitants,
bombardements), qui semblent désormais une réalité des conflits
contemporains6.
6
On notera que cette remarque n’est pas propre aux deux conflits évoqués, bien entendu.
Les deux guerres mondiales et la guerre civile espagnole ont démontré à quel point les civils
ont été pris comme cibles de guerre volontaires : retraite des armées, occupations,
bombardements, déportations (voir les contributions de John Horne et Danièle Voldman
dans l’ouvrage de S. Audoin-Rouzeau, A. Becker, C. Ingrao et H. Rousso (2002)) . Ce qui
ressort toutefois de cette étude, c’est une accentuation dramatique de cette non-délimitation
108
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
On opposera aussi volontiers les lieux d’affrontement densément peuplés (la
ville, par exemple, où le combat, là encore très démodernisé faute de pouvoir
déployer en milieu urbain la totalité des ressources technologiques d’une
armée moderne, se charge d’affects d’une rare puissance en fonction de la
charge symbolique de la cité elle-même, de celle de ses différents quartiers,
bâtiments, monuments, en fonction aussi de la présence sur place de ses
habitants), à des emplacements dépourvus de toute population civile […].
(Audoin-Rouzeau, 2008 : 250).
Toutefois, à la rhétorique de l’innocence, de la pureté, de la victime, les
médias semblent ajouter en opposition une contre-rhétorique, celle de la
culpabilité, de l’impureté, de l’oppresseur, du barbare. Ainsi, dans des
descriptions quasi-anthropologiques des pratiques de guerre, les médias
semblent véritablement démontrer un engagement moral vers les publics,
face au spectacle de la violence de guerre et ses conséquences, à une période
où le discours humanitaire et la justice internationale s’accroissent. Au-delà,
c’est bien la crainte de l’impunité des agresseurs qui est en jeu, avec un appel
récurrent dans le discours médiatique au jugement des actes de guerre,
certainement né avec le procès de Nuremberg7.
Présence des journalistes sur le terrain de guerre
A l’apparition des premiers signes de massacres, il a fallu pour les
journalistes comprendre la nature du conflit et la distinction des types de
violences exécutées. Si l’on dispose aujourd’hui de nombreuses analyses
historiques et politiques, sur le « nettoyage ethnique » dans les Balkans ou
des frontières entre front et arrière, à l’exemple des images des conflits libanais et
yougoslaves qui présentent toutes des environnements urbains et des scènes de destruction
de la vie civile.
7
Celui-ci reste d’ailleurs un référent permanent lors des conflits libanais et yougoslaves :
« Un nouveau procès de Nuremberg » suite au massacre de Sabra et Chatila (EX, 01.10.82,
38), et « L’impossible nouveau Nuremberg » face au nettoyage ethnique en Bosnie (EX, 0402-93, 18-19).
5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le
discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie »
109
l’« ethnocide » pour le Liban (Chamoun, 2008), on peut aussi parler
« d’extermination bilatérale ou réciproque » au Liban comme en exYougoslavie (Kalyvas 2000, 4). En réalité, les processus à l’œuvre dans ces
pratiques d’extermination semblent difficiles à comprendre pour les
journalistes tentés de qualifier l’origine de cette violence, dont ils dénoncent
l’absurdité et l’incompréhension (« La logique d’une guerre de fous », NO,
21.05.92, 98), la perte de sens, le caractère primitif des scènes de guerre
(« On revit le Moyen-Age », NO, 04.06.92, 64). Ainsi, la comparaison avec
les conflits antérieurs permet de « mesurer » en quelque sorte le degré de
brutalité du conflit. Le référent absolu des atrocités reste la Deuxième
Guerre mondiale, avec les réminiscences du siège de Stalingrad pour évoquer
la guerre urbaine, mais surtout l’Holocauste, évoqué par les barbelés et les
corps squelettiques lors de la découverte des « camps de concentration » en
Bosnie en août 1992.
Car les journalistes sont présents sur les lieux. Ils y sont les témoins réguliers
de l’enfer, immergés dans le quotidien des civils, des bombardements, des
tirs de snipers, à Beyrouth comme à Sarajevo : « Mourir à Beyrouth » (NO,
26.06.82, 42)8, « Agony of the innocents » (TI, 28.06.82, 20)9, « Avec les
sacrifiés de Sarajevo » (NO, 25.06.92, 52)10. Le reportage photographique, en
nette augmentation lors du conflit yougoslave, illustre tel un carnet de route
la réalité des violences infligées aux habitants et aux villes : « Yougoslavie, au
8
« De notre envoyée spéciale - Kénizé Mourad a vécu parmi les Palestiniens assiégés les
heures terribles où chacun s’attendait à l’assaut final. Elle raconte… ».
9
« Such scenes of human displacement and despair had become appallingly commonplace
in Lebanon in the aftermath of the Israeli blitz. To look into the plight of the civilians who
were in the path of the invasion, TIME sent four journalists into the area […] ».
10
« Malgré les massacres, les bombes et l’impuissance de la communauté internationale, ils
espèrent toujours qu’on leur viendra en aide. Gilles Hertzog a rencontré ceux qui se battent
pour que survive en Bosnie la cohabitation entre les ethnies et les religions ».
110
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
bout de la haine » (EX, 14.08.92, 8)11, « Sarajevo, Noël en enfer » (EX,
18.01.93, 18)12, « Sarajevo : La Honte » (NO, 23.12.93, 54-55)13. Ils vont aussi
parfois directement à la rencontre des assaillants dans les collines entourant
Sarajevo (NW, 14.02.94, 15).
Dans ces cas-là, les violences de guerre sont alors directement exhibées aux
yeux des spectateurs, qui assistent en direct au sort d’une ville assiégée :
« C’est ce que font aujourd’hui les Bosniaques qui protègent coûte que coûte
leurs tours émettrices, afin d’envoyer chaque jour sur les réseaux
internationaux les images des atrocités commises, espérant ainsi obtenir une
intervention militaire internationale ». (Mercier 1993, 6) Mais cette visibilité
des atrocités dépend de l’accès des journalistes au terrain des combats ; si
celui-ci reste urbain, il n’est pas pour autant totalement accessible (alors que
Beyrouth est envahie par la presse internationale, Sarajevo reste difficile
d’accès par le blocus serbe), particulièrement quand il s’agit d’y perpétrer des
violences de masse que les bourreaux veulent cacher :
En second lieu, les conditions d’exercice de la guerre font « disparaître » les
actes du massacre du champ de vision de l’observateur extérieur. Au nom de
la sécurité, le territoire est bouclé, l’accès des journalistes interdit. Mais qui
sait ce qui peut se passer là-bas ? La guerre masque le massacre parce qu’elle
crée les conditions du huis clos. En mettant tout tiers à distance, elle favorise
le face-à-face entre bourreaux et victimes. Dans un tel huis clos, le massacre
peut survenir plus facilement. (Sémelin 2005,
179).
Dans plusieurs cas lors des conflits libanais et yougoslaves, des atrocités
seront commises à l’écart des caméras. Les camps de Sabra et Chatila sont
complètement isolés pendant les quarante heures que dure le massacre ; les
11
« Il aura fallu trois jours et deux nuits de marche pour que le photographe danois Jorgen
Hildebrandt y parvienne. Son témoignage rompt le silence dont se désole la population ».
12
Reportage photo de Jean-Claude Coutausse.
13
Reportage photo de Gilles Peress.
5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le
discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie »
111
camps d’internement serbes enferment derrière leurs murs les prisonniers ;
des restes humains sont retrouvés dans de nombreux charniers en Bosnie. A
chaque fois, les journalistes suivent la découverte des massacres, parfois de
quelques heures, comme à Sabra et Chatila (« Beyrouth : enquête sur un
massacre », EX, 01.10.82, 39), où les corps des centaines de victimes
s’étalent à même les rues des camps. Si les récits journalistiques sont
concentrés sur l’odeur de la mort et les mutilations faites aux victimes, dont
les corps n’ont pas été cachés (photographie 1) ou simplement les restes
humains qui « racontent » l’horreur du massacre de Stupni Do (photographie
2) les images occupent une place centrale dans l’accusation qui est portée, à
la fois comme preuve des exactions en cours, mais aussi véritable enquête
anthropologique sur les violences faites aux corps.
Photographie 1. TI, 27.09.82, 9
112
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Photographie 2. NW, 08.11.93, 12
Dans de très rares cas, les journalistes sont tout simplement invités à assister
aux exécutions, et sont à même de publier des photos mettant directement
en accusation les coupables. C’est le cas célèbre du photographe Ron Haviv,
invité personnellement par Arkan, le chef de la milice serbe des « Tigres », à
photographier la « libération » de la ville de Bijeljina au printemps 1992. Il
ramènera au péril de sa vie une série de clichés célèbres (photographie 3) qui
accusent ouvertement les serbes et témoignera de ce qu’il a vu14. Ses clichés
soulignent la gratuité du crime, dans un rapport de force inégal, dans la
posture des corps, entre la soumission des victimes non armées, allongées,
14
Ron Haviv s’est exprimé à plusieurs reprises sur cet épisode. Voir notamment son
témoignage filmé sur le site du United States Holocaust Memorial Museum :
<http://www.ushmm.org/genocide/take_action/gallery/portrait/haviv>, consulté le 12
novembre 2011.
5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le
discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie »
113
en tenue civile, et la toute-puissance des agresseurs dominants, et armés de
leurs fusils.
Photographie 3. TI, 20.04.92, 26-27
Dans la majorité des cas où il est impossible aux journalistes de constater les
faits par eux-mêmes, il leur faut alors faire appel aux récits de survivants
pour comprendre les événements. Cela pose le problème du statut de ces
témoignages, puisqu’il est impossible de les vérifier, ce dont les journalistes
semblent avoir conscience. Mais l’abondance de ces récits et la cruauté qui y
est exprimée semblent vouloir combler les soucis de rigueur de l’enquête
face à l’incapacité d’ignorer ce qui est cours, à l’image des témoignages des
survivants des camps de concentration serbes : « Les témoignages que
personne ne peut réfuter – Camps : ceux qui les ont vus… » (NO, 13.08.92,
32). Ce sont pourtant dans ces discours qu’apparaît une désignation directe
des bourreaux, dans les détails mis en avant, les particularités des scènes, le
type de victimes. Et la désignation du crime dans l’espace publique par la
diffusion médiatique des récits de survivants permet la « condition nécessaire
114
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
de sa perception, de sa "vérité morale" et donc juridique » (Nahoum-Grappe
2002, 604).
Description des violences ; entre indignation morale et politique
Les récits des survivants permettent d’évoquer la véritable « barbarie » des
mises à mort, dont la publication doit provoquer un choc sur les publics, car
ils signalent l’incompréhension d’une violence qui fait irruption là où on ne
l’attend pas. Les corps portent les stigmates de la bestialisation, de la
déshumanisation du bourreau à leur encontre, de la profanation du corps. A
Sabra et Chatila d’abord, les survivants racontent les mises à mort: « genitals
ripped away », « cut about the neck and face with knives », « lined up against
walls and shot with AK-47 rifles » (NW, 04.10.82, 17), « some had been shot
in the head at pointblank range. Others had had their throats cut » (TI,
4.10.82, 12). Les mêmes atteintes aux corps se retrouvent en Bosnie, que ce
soit les victimes des viols (« un Tchetnik d’une trentaine d’années, nommé
Ranko, a violé une femme, mère de deux enfants, sous les yeux de sa propre
mère », NO, 14.01.93, 46), ou les survivants des camps, qui parlent de leurs
co-détenus « battus à mort », « égorgés », évoquant les « mutilations
génitales, cadavres émasculés, rapports forcés entre captifs : l’humiliation par
le sexe semble obséder les bourreaux » (EX, 04.02.93, 23). Les accusations
portent vis-à-vis de l’agresseur mais aussi de ses armes symboliques : l’armée
israélienne, ses chars et ses bombes (« Survivre à Beyrouth », EX, 16.07.82,
46), mais aussi les balles des snipers qui fauchent les corps au milieu des rues
à Sarajevo, étalés dans des marres de sang. On y retrouve donc les signes de
« physicalité », d’atteintes au corps évoqués par Stéphane Audoin-Rouzeau
dans son ouvrage sur la violence de guerre (2008, 239-315).
5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le
discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie »
115
Au-delà de la litanie des cruautés, c’est aussi la désignation des agresseurs qui
est à l’œuvre, aux niveaux macro et micro. Pour le Liban, au moment des
massacres de Sabra et Chatila, les magazines mettent en accusation la chaine
de commande, du terrain à l’Etat-major israélien, voire la nation toute
entière : milices et phalanges chrétiennes, chefs militaires israéliens et
libanais, Sharon - le « bourreau » - chef de Tsahal, mais aussi le séisme moral
provoqué en Israël avec un « Begin en accusation » (EX, 01.10.82,
couverture). Au moment du verdict de la commission d’enquête en février
1983, c’est à la fois cette même chaîne de commandement qui est
condamnée (photographie 4) mais aussi un verdict moral : « Pour l’honneur
d’Israël, les trois sages de la commission d’enquête sur les massacres de
Beyrouth ont rendu un verdict moral implacable » (EX, 18-02-83, 47).
Photographie 4. TI, 21.02.83, couverture et p. 7
La violence est ici inexcusable quand elle apparaît comme une violence
organisée, commanditée par un Etat démocratique soutenu par l’Occident ;
l’impunité des bourreaux est donc dépassée par le désir de jugement et de
réparation.
116
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Pour l’ex-Yougoslavie, on retrouve la même accusation contre la chaîne de
commande, que ce soit au niveau micro, comme nous l’avons évoqué avec
les snipers ou les milices serbes, mais aussi au niveau macro. Slobodan
Milosevic collectionne les étiquettes de la figure du tyran, « abominable
gredin, un Hitler au petit pied, raciste, impérialiste et tortionnaire » (NO,
13.08.92, 30)15. Le qualificatif de « boucherie », qui désigne aussi bien le
dépeçage de la nation et celui des corps, est appliqué également aux penseurs
du « nettoyage ethnique », comme Radovan Karadzic le « boucher de
Sarajevo » (NO, 16.07.92, 51). Si les bourreaux sont majoritairement désignés
du côté serbe, les magazines signalent également les atrocités commises par
l’autre côté, notamment les « death platoons » des milices croates (NW,
08.11.93, 12) au moment de la découverte des charniers de Stupni Do Dans
l’ensemble, cette rhétorique permanente de désignation du coupable
fonctionne comme une véritable liste d’accusations, où sont compilés les
crimes de guerre, enregistrés par les preuves visuelles – dont les photos de
Ron Haviv évoquées plus haut - et les récits de survivants, évoquant ainsi les
preuves juridiques utilisées au procès de Nuremberg (photographie 5).
15
La même démonisation de l’autre a été effectuée sur Saddam Hussein pendant la Guerre
du Golfe (Mercier 1993).
5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le
discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie »
117
Photographie 5. EX, 04.02.93, couverture et p. 24
Par-delà les crimes, c’est donc l’attente d’un jugement pénal international qui
est en jeu : « Viols, massacres, tortures : la Yougoslavie défunte semble
devenue la terre d’élection de l’horreur. Si chaque camp y prend sa part, les
Serbes, par l’ampleur de leurs exactions, atteignent des sommets. Les
rapports, accablants, s’entassent. Les atrocités et leurs auteurs sont connus.
Témoignages des victimes » (EX, 04.02.93, 20).
Mais avant le jugement pénal, c’est avant tout à un appel à l’intervention de
la communauté internationale que ces dénonciations oeuvrent. Par l’atteinte
au corps symbolique du civil, par la hiérarchie des victimes exposées (dont
les plus faibles incarnés par les femmes, les enfants, les vieillards), les médias
accusent aussi la passivité des puissances étrangères. Alors que la présence
d’une force multinationale depuis l’été 1982 n’empêchera par les massacres
de Sabra et Chatila, la médiatisation d’une suite d’événements pourtant
dramatiques en Bosnie – dont l’explosion d’un obus serbe sur le marché de
Sarajevo le 5 février 1994 – n’amènera qu’une réaction limitée par les
bombardements de l’OTAN sur les positions bosno-serbes, au-delà de la
118
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
forte condamnation morale. Les médias participent dès lors à l’indignation
mondiale qui demande quelle doit être la limite atteinte, le quota de morts,
pour que la communauté internationale réagisse : « Atrocity and outrage.
Specters of barbarism in Bosnia compel the US and Europe to ponder : Is it
time to intervene ? » (TI, 17.08.92, 15).
Conclusion
Il paraît difficile de conclure sur un tel sujet, qui ouvre plus de perspectives
de réflexion qu’il ne clôt un questionnement de départ. Il est toutefois
possible de faire une série de constats qui soulignent la similarité des
contenus et des pratiques iconographiques et discursives dans les magazines
français et américains, dans la description de la violence de guerre et
l’exhibition des bourreaux.
Dans l’ensemble, ces deux conflits ont souffert d’un manque de lisibilité
quant aux origines et à la compréhension de cette violence de guerre, même
s’il y a des tentatives d’explication des racines historico-religieuses, ainsi que
l’utilisation des termes « génocide », « massacres religieux ou interethniques », « nettoyage ethnique » dont la connotation est destinée à faire
réagir la communauté internationale. Le discours médiatique semble plutôt
se diluer derrière des images qui font écran, où les bourreaux se mêlent
parfois aux victimes, alors que le discours tente de désigner les coupables
dans l’imbroglio des violences réciproques. Il en résulte une simplification
parfois flagrante et désignative du rôle du « Méchant » (les milices serbes, les
phalanges chrétiennes).
Ce qui change par contre, dans les années 1990, c’est la montée en puissance
du recours au témoignage (Sémelin 2006, 197). Nous le constatons dans leur
usage régulier dans le discours médiatique, à la fois pour combler le déficit
5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le
discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie »
119
d’information sur les faits de guerre, mais aussi pour témoigner de la réalité
des atrocités commises, comme pour souligner l’incompréhension qu’elles
suscitent. Les médias participent donc d’un discours sociétal sur la violence.
Si cela ressort plus fortement lors du conflit yougoslave, cela apparaît déjà au
Liban avec la « faute morale » d’Israël : « Tous ces massacreurs se
ressemblent comme des frères. Ils ont en commun, en particulier, de
ressusciter l’atroce concept de responsabilité collective qui constitue l’une
des plus grandes régressions de cette seconde moitié du XXe siècle, un des
plus infamants retours à la barbarie dans sa quintessence » (NO, 25.09.82,
38). Ces considérations opposent les sociétés à la persistance de certaines
pratiques de guerre particulièrement horribles face à l’illusion de l’évolution
de la civilisation et des mœurs, dans une Europe qui se croit sortie de la
barbarie depuis les deux guerres mondiales, et à laquelle les médias
rappellent par des parallèles incessants (du XVIe siècle au Vietnam) que
l’Autre n’a pas l’apanage de la violence. Toutefois, face à l’inéluctabilité des
massacres, le dernier recours reste le jugement moral, s’il n’est pas encore
juridique. La désignation des bourreaux, la description des atrocités y
participent, comme une formidable liste de crimes dont il faudra rendre
compte devant le monde.
Car l’expérience de guerre à la fin du XXe siècle est avant tout une
expérience à distance, médiatée par le message d’information. Le spectateur
peut alors aussi être perçu comme témoin engagé face à un discours moral, à
une époque qui oscille entre « ère du témoin » et « société du spectacle ». Un
constat qui semble d’autant plus prégnant dans le contexte actuel de
l’évolution des conflits civils de faible ou moyenne intensité, où cette focale
sur les violations des civils et la nécessité de leur condamnation ne fait
qu’augmenter.
120
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Références
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5. Article 4 : « Représentations symboliques des bourreaux dans le
discours médiatique : le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie »
121
Sémelin, Jacques, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides,
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Zelizer, Barbie, « La photo de presse et la libération des camps en 1945 :
images et formes de la mémoire », Vingtième siècle, 1997, 54 (1), 61-78
Zelizer, Barbie, « Death in Wartime: Photographs and the ‘Other War’ in
Afghanistan », The Harvard International Journal of Press/Politics, 2005, 10 (3),
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122
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and
rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines”
123
6. Article 5: “Understanding visual framing: a
discussion on the role and rhetorical use of images
of suffering in French and US newsmagazines”
Article soumis à la revue Visual Communication
Actuellement en cours de révision.
124
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Understanding visual framing: a discussion on the
role and rhetorical use of images of suffering in
French and US newsmagazines
Abstract
The objective of this paper is to emphasize the necessity of comparative
analysis in order to underline the use of visual framings within a historical and
collective memory. Though the priming effect of news pictures has been in fact
neglected by media scholars, it aims at providing a finer understanding of how
visual framings work with respect to a common visual literacy, especially when it
comes to pictures of suffering. By synthetizing previous definitions of framing, it
demonstrates how pictures can frame depictions of sufferings in the way they
select, repeat and use privileged schemes of interpretation and metaframes.
This theoretical discussion is illustrated by a cross-cultural content and semiotic
analysis of French and U.S. newsmagazines. By underlining the metonymic,
synecdochic, analogical and indexical effects of photography, this working
approach on visual framing focuses on four aspects: the use of news pictures as
socially shared symbols, their necessary categorizations of the world as visual
fragments, the multi-modal process they rely on to frame a given issue and their
syntactic effect through intericonicity.
Keywords: visual framing; priming; news pictures; photography; news
narratives; collective memory; suffering; humanitarian crises
Introduction
News pictures of humanitarian crises, such as civil wars or famines, have long
been rooted in media narratives and collective memory as visual motifs of
suffering. While they quite often rely on symbolic metaphors to express distant
suffering (Boltanski 1999; Chouliaraki 2006a) and the spectacle of the “pain of
others” (Sontag 2003), they also participate in the visual literacy (Messaris 1994)
of international audiences: “Thus, the photographs communicate the suffering of
famine victims in Ethiopia or Somalia to international audiences who have no
direct experience with starvation via familiar iconography” (Banks 1994, 126).
However, they have rarely been studied as “priming motifs” (Griffin 2004, 397)
for visual news narratives. The priming effect of news pictures and their role in
media framings have been in fact quite neglected by media scholars, as Domke
and alii have suggested in their study on the “power” of visual images (2002).
We would like to bring back the argument that news pictures are a frame in
themselves, to be taken as visual fragments of reality that rely necessarily in
categorizations of the world seen through the camera. To compensate the lack
of syntax of images (Messaris et Abraham 2001, 215), which creates their
polysemous meaning, we argue that they are indeed chosen by journalists,
photographers and editors to create an imaginary syntax from an image to
another, thus proposing a dialogue between them.
6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and
rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines”
125
The neglect of studies on visual framings is quite surprising if we take into
consideration that images are more easily remembered than texts, thus
participating in the process of frame-building through their repetition and longstanding cognitive and visual knowledge built in the audience by previous
exposition to the same visual cues in other pictures. To reflect Zelizer’s
considerations on the meaning of war photography (2004), in which she
underlines how the visual turn to images in war coverage depends on their
frequency, their aesthetic appeal and their familiarity, they could be easily
broaden to images of suffering in other contexts: “Relying on particular images,
cues, and themes that have proven themselves over time, journalism’s images
of war gravitate toward the memorable – as established through frequently
depicted, aesthetically appealing, and familiar images – as much as the
newsworthy” (Zelizer 2004, 116). The use of children as famine icons, for
1
example, gives an interesting insight on how media representations of suffering
can encapsulate fragments of reality in metaframes that rely on iconic memory
of earlier famines: “Somalia started as a famine story. It became a war story. But
the signature image of the child remained. And that is perhaps one reason why
today children have come to headline so many conflicts – indeed, so many
international events of any kind” (Moeller 2002, 37). What Moeller is pointing out
as a “signature” for the iconic famine in Somalia in 1992 is in fact a priming motif
that acts within a frame, or a certain pattern in framing news visual narratives on
suffering, though historically dated (Gorin 2013). News pictures can therefore be
seen “as a memorable synecdochic stand-in for a variety of complicated public
events (...)” (Zelizer 2005, 35), or as perfect condensations, synecdochic
framings of memorable events. It therefore interrogates the visual codes and
cues on which they are base and how they convey sense in times.
The role of pictures in news narratives has been recently developed in studies
related to the wars in Iraq and Afghanistan (Griffin 2004; Fahmy 2004; Zelizer
2005; Wells 2007; Konstantinidou 2007; Konstantinidou 2008; Fahmy et Kim
2008; Popp et Mendelson 2010; Parry 2011). Many of these studies have
emphasized empirical approaches to identify framing mechanisms within images
and media narratives. However, they barely insist on the fact that visual framings
deeply rely on cultural codes visually inscribed in collective memory, or symbols
rooted in western ideals (Perlmutter 1998). Moreover, it questions as to which
extent such practices introduce common ways of framing in different national
media, by contrast with what has been shown in some studies which suggest
“that even in the age of globalization (…), national media exhibit a range of
differences in their signifying practices, their narrative strategies and in their
overall recontextualization of events” (Konstantinidou 2008, 147; see also
Dimitrova et Strömbäck 2005). Many of these studies have focused on wars of
1
The civil war in Biafra is often considered as the first televised famine which produced the icon of
the starving African child. However, this does not take into consideration earlier episodes of famine in
Europe, such as the famine in Ukraine in 1921-1922, which produced hundreds of pictures of
starving children. Photographic archives of organisations such as the International Committee of the
Red Cross or Save the Children show proofs of earlier representations of famine that have more or
less disappeared from the global collective memory. We will nevertheless focus in this article on
famines of the second half of the 20th century in non-Western countries.
126
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
th
st
the last decade of the 20 century and early 21 century, and lack some longer
historical and memorial perspective.
The objective of this paper is therefore to underline and emphasize the necessity
of comparative visual analysis on different national media, and to consider the
use of visual framing within a historical and collective memory. It aims at
providing a finer understanding of how these visual framings work with respect
to a common visual literacy that was established long before the Iraq and
Afghan wars. We first propose a better working delimitation of visual framing by
synthesizing previous definitions, in order to understand how pictures can
“frame” depictions of sufferings in the way they select, repeat and use privileged
schemes of interpretation and metaframes. We then illustrate this theoretical
discussion of visual framing’s properties with empirical examples of a crosscultural and historical analysis of newsmagazines covers, to emphasize how
metonymic, synecdochic, analogical and indexical effects of photography frame
news on civil wars and famines. Finally, we want to underline that the scenes
and figures involved in those narratives have long since been framed with
previous references to former events; and so, visual framings of suffering also
have to be understood with regards to the concept of “intericonicity”.
Towards a working definition of visual framing
Among others, Stephen Reese has brought major contributions to the concept
and operationalization of framing. In 2001, he proposed a complex definition:
“Frames are organizing principles that are socially shared and persistent over
time, that work symbolically to meaningfully structure the social world” (S. Reese
2001, 11). His idea of “organizing principles” is related to the concept of
“schema” or “schemata” of interpretation mentioned by Goffman (1974) and
Entman (1993, 52). For the framing effect to work, it is necessary that the
spectators recognize, accept and use the frame as a logical understanding and
depiction of the reality they face, therefore using "schemata" or "categories" to
"connote mentally stored clusters of ideas that guide individuals‘ processing of
information" (Entman 1993, 53). In so doing, images help spectators to decode
the reality by convoking certain elements to understand it; these elements are
embedded in the image, and we use them to classify and identify what we see.
But it is a two-way process; if we go back to Stuart Hall’s well-known scheme of
“encoding-decoding” (1973), journalists also convoke these schemata to classify
and organize the perception of reality they are building, based on a shared and
common knowledge with the audience.
When developing on his own definition, Reese explains the “structure” as “a
pattern constituted by any number of symbolic devices”, but which can by no
way be reduced to a simple “topic” (Reese 2001, 17). The structure is therefore
related to what is included and excluded from the frame (Entman 1993). If we
adapt it to visual framing, it is undeniable that news pictures, taken as visual
fragments, necessarily imply an exclusion in the photographer’s choice,
everything he will leave out of the frame. This choice is somehow reinforced by
those made by the photo editors, who will pick up one image among others, thus
proposing their own perception on a story. Even in a picture story, the visual
assemblage can only be understood as a suite of “visual anecdotes” (Perlmutter
1999, 8), a succession of small frames hiding what is out of the frame.
6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and
rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines”
127
Understanding news pictures as a process of inclusion and exclusion therefore
brings us back to Entman’s later definition of framing: “[Framing is] the process
of culling a few elements of perceived reality and assembling a narrative that
highlights connections among them to promote a particular interpretation.”
(2007, 164). If Entman mainly mentions the writing styles, he also points to the
journalists’ “bias”, identified either as distortions of reality or positions taken by
journalists for one side of the story or another. News picture perfectly fit in this
definition, but rather than “bias”, we prefer to see news pictures as “standpoints”
expressed by the photographer and, in extension, the news and photographic
editors.
As visual frames, news pictures depend on their very own rhetoric and effects. In
one of the first definition of visual framing, Messaris and Abraham have
underlined how the analogy and the indexicality are important qualities; while the
former implies a familiarity with past, similar images, the latter is linked to the
pretention of reality of pictures, so that at the end: “visual framing may be less
obtrusive, more easily taken-for-granted than verbal framing” (Messaris and
Abraham 2001, 217). Another important effect is the metonymy, which quite
often leads to the synecdoche. It is impossible for a picture to grasp an
extensive or exhaustive view on a situation, no matter how wide the frame can
be: “More important for our purposes, media also supply (or serve as conduits
for) pictures associated with a story. Ascribing metonymy to a news photograph
-- for example, ‘This was the scene that summed up Africa's problems’ -- is the
most potentially powerful visual framing device” (Perlmutter 1998, 7). Most often
photography shows a part as the whole, or substitute an element by another;
this is quite obvious in its symbolic, connotative dimension.
Finally, even if visual framing was not particularly emphasized in earlier
definitions of framing (because they focused more on the text), they still offer
interesting comparisons with other framing mechanisms such as titles, subtitles,
quotations, captions, slogans (Tankard 2001; Weaver 2007). If we go back to
Robert Entman’s first and famous definition of framing, it clearly implies a multimodal process in the framing analysis:
Framing essentially involves selection and salience. To frame is to select some
aspects of a perceived reality and make them more salient in a communicating text,
in such a way as to promote a particular problem definition, causal interpretation,
moral evaluation, and/or treatment recommendation for the item described. (…) The
text contains frames, which are manifested by the presence or absence of certain
keywords, stock phrases, stereotyped images, sources of information, and
sentences that provide thematically reinforcing clusters of facts or judgments.
(Entman 1993, 52).
Therefore, if the framing effect is dependent on the effect of salience, it is
undeniable that news pictures have a leading role in so doing, through their
repetitive use and their familiarity. Entman also notices it among other framing
mechanisms; “stereotyped” images, as he mentions, are indeed a consequence
of this repetitive use of common scenes that “sum up” a story, whether for a
country, people or a context (Fahmy 2004). Regarding pictures of suffering, the
reality they try to encapsulate into frame would be hard to interpret without the
emotional impact it had on its author; it explains why most of these images have
a dramatic, even shocking content which makes them more memorable. But one
could also argue that images do not fulfil other elements of the definition. How
128
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
could an image propose a problem definition or a causal interpretation, given its
lack of syntax? While it is true that pictures taken alone can hardly carry such
elements, they can still propose a particular interpretation with their immediate
linguistic layout such as titles, captions and slogans. A given approach to
understand how these framing mechanisms work together is semiotics analysis,
which we will now explore through our own empirical analysis of visual and
linguistic displays in media framings of humanitarian crises and the sufferings
they imply.
Notes on methodology
Our study used a content analysis of within a comparative study of pictures from
Time (TI), Newsweek (NW), l’Express (EX) and Le Nouvel Observateur (NO).
Newsmagazines offer a good opportunity to underline the role of news pictures,
since these publications rely mainly on the “power” of visual narratives and
symbolism. As Michael Griffin has repeatedly shown, they provide more in-depth
analyses of events, a sort of “news digest” in which “photographs served to
parallel and reinforce patterns of news illustration in other media, offering a set
of visual 'highlights' that frequently reiterated news images" (Griffin 2004, 382).
The sample focused on one specific category of news pictures, i.e. cover
pictures, as they exemplify and condense all the properties of visual framing:
they are the results of a process of selection; they are repetitive through time,
using the same symbolic compositions and figures; they are best remembered
as they appear on the front page, often displayed in international newsstands
and libraries around the world to attract attention. The data analysed therefore
consisted of 143 covers, made of a selection of civil wars and famines that have
impacted or questioned media coverage of humanitarian crises from the 60s and
the 90s: the civil war in Biafra (1967-1970), the genocide in Cambodia (19751979), the civil war in Lebanon (more specifically the Israeli operation “Peace to
Galilea” from 1982 to 1984), the famine in Ethiopia (1984-1985), the civil war
against the Kurds (1991), the famine in Somalia (1992-1993), the civil war in
Bosnia (more specifically the siege of Sarajevo between 1992 and 1994) and the
2
genocide in Rwanda (1994). They offer interesting parallels with the more
recent study of Katy Parry (2011) on framing the “narratives of liberation” during
the Iraq war in the British press. Though only the context of the US militaryhumanitarian intervention in Somalia in 1992 is quite comparable to her own
study of the US “humanitarian intervention” in Iraq in 2003, the other events
reveal how humanist photography is “the ideal expressive form to promote a
2
Biafra was chosen as the matrix crisis which saw the emergence of the iconic image of the starving
African child, up to the famines in Ethiopia and in Somalia. But the story of Biafra was also framed as
the first attempted “genocide” after the Holocaust and the privileged interpretative scheme of “ethnic
hatred”, which makes it an interesting point of comparison with the genocide in Rwanda or other
ethnic-cleansing oriented conflicts such as the retaliation against the Kurds by Saddam Hussein or
the war in former Yugoslavia. The genocide in Cambodia, often described as a non-media event,
was also included as it happened between these decades. It was also necessary to question such
context-based events in Africa with geographical locations closer to Europe, in order to test the
“otherness” framing of an event by international media. The civil war in Lebanon during the 80s and
the civil war in Yugoslavia in the 90s were therefore included in the corpus. The covers were
selected regarding their coverage of the above-mentioned events, corresponding to their historical
timeframe.
6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and
rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines”
129
humanitarian-led intervention within a print news discourse” (Parry 2011, 1188).
In these cases, many of the frames involved promoted the urgent need for
humanitarian assistance (Biafra, Cambodia, Ethiopia, Kurdistan, Rwanda) or
peace-keeping interventions (Lebanon, Kurdistan, Somalia, Bosnia, Rwanda) in
front of mass starvation or killings.
Parry has also provided a methodology to understand how such visual framings
work, using “news photograph as the primary unit for analysis” (Parry 2011,
1190). Though, like her, we included linguistic messages as secondary units for
analysis, because it is often impossible to take images alone without considering
the text and the overall layout which play a role in privileging a particular
meaning and framing : “(...) much of the meaning of news narratives may be
generated by the relationship between particular images and their verbal
components” (Messaris and Abraham 2001, 220). The analysis itself consisted
in two processes: first, we used a content thematic analysis to code manifest
visual elements throughout the data’s timeframe. Our goal was to understand
the broader visual narratives, to compare them in time and not to limit them to an
isolated event. We then conducted an iconic analysis, including the “framing
mechanisms” such as headlines, quotations and captions (Ghanem 1997).
Visual framings as socially shared, persistent and
structuring symbols
The codes resulting from the content analysis were compiled into metacategories of verbal and iconic contents, which clearly cover several framings
which we will explore further on (see Table 1) : the figures (with the “triangle” of
victims-benefactors-perpetrators, but also other “protagonists” such as political
leaders or soldiers), the settings, the sufferings (“Death and ways of dying”), the
roots of the crises (“Causes”) but also the normative dimension in the linguistic
rhetoric (“Call for action”) and the way these crises are labelled or categorized,
for example as massacres, atrocities, ethnic cleansing or genocides
(“Labelling”).
130
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Table 1. Meta-categories for verbal/iconic contents of covers (n=414)
Without surprise, the first meta-category is represented by the figure of civilians,
who exemplify the victimization. Their exhibition on covers and in the visual
rhetoric on sufferings clearly reflects the statistical reality of conflicts. Since the
end of the Second World War, the number of civilian deaths has risen up to 90%
(Smith 1997), and they are clearly targeted by and trapped in the “inferno” of
modern warfare (Slim 2008). This “victimhood” rhetoric is used in visual framings
to promote an emotional bond with the spectators, by emphasizing the fate of
civilian life in wars and famines in their everyday life and a hierarchy of the most
vulnerable which, in turn, open to question as to whether they should be cared
for by humanitarian assistance and protected by international forces. This
emphasis and repetitive focus on victims could therefore be considered as
“metaframe” or, to come back to Reese’s definitions, on symbols “that are
socially shared and persistent over time” (Reese 2001, 12). These symbols that
circulate through time and from episodes to episodes, are based on strategies
that have proven to work over time (Zelizer 2004).
One recurring symbol, which appears on half of the covers related to victims (30
out of 54 covers) are the children. It is exposed here in these four covers
(Pictures 1 to 4), which not only show that visual cues circulate from editors to
their readers, but also within different, though close, cultural journalistic spheres,
the French and the American ones.
6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and
rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines”
131
Pictures 1 to 4. Biafra, “the shame”, 01/19/70; Ethiopia, 11/26/84; Somalia, 09/07/92; Rwanda,
08/04/94
Their similar framings are striking. Those examples clearly express the idea of
“transposability” exposed by Perlmutter among his criteria for the iconisation of
news pictures : “‘Quoting’ or transposing an icon across media and in many
media sources helps to facilitate retention” (1998, 14). Firstly, this “quoting” is
embedded in the photographers’ choices, in the angles (usually a face-to-face
angle with the victim to create a proximity), distance (a close-up which reinforces
the victimization, or even reproduces the camera lens as an accusation in
Picture 1) and focus (a lonely child in the foreground with a blurry,
decontextualized background) they chose to use, which are clear expressions of
their standpoints (Fahmy 2004, 96). Secondly, they show a clear “memorable
synecdochic stand-in” (Zelizer 2005, 35), from the iconic “children” famine of
Biafra in 1968-1970, which sets the scene for other iconic famines (Ethiopia in
1984, Somalia in 1992), or humanitarian emergencies like the cholera epidemics
in Rwanda in 1994, using the same scheme of interpretation of the left-alone
child in the chaotic disorganization of civil society. Finally, the tragic atmosphere
of such images is echoed through words like “the shame”, “Africa’s nightmare”,
“agony of Africa”, “the horror of the world” which clearly categorize and set the
tone for interpretation. Photographs can therefore been used as framework
ellipses, i.e., both as shortcuts and references to give a fragmented insight on a
perceived reality. We deal here with the synecdochic and metonymic properties
of photography, of which journalists and photographers are fully aware.
A third of them (16 out of 54 covers) also directly refer to an aesthetic and
Christian artistic universe with a biblical textual layout. Whether they are images
of Madonas or Pietas (Picture 5) or figures of grieving mothers (Picture 6), they
embody the timeless and spaceless symbol of universal suffering, establishing a
“comparative martyrdom” (Rieff 2003). To some extent, picture 6 also shows that
victimization and the decrease of civilian space in armed conflicts is interpreted
with the metaphor of a dead city. It is framed with the salient picture of the
rumbles of collapsed buildings where civilians are running in the streets of ghost
cities to symbolize the urban sieges (7,7% of the data). Religious semantics
(26% of the “labelling” meta-category) are also emphasizing the biblical
dimension of such events and are only used on covers with civilians or collapsed
buildings during urban sieges. They underline how titles and captions can work
to anchor the framing of such images by establishing a moral, historical and
fantastic scale of horror when using words such as “Hell”, “Apocalypse”,
“exodus”, “damned”, “sacrifice” or “martyrdom”. At the very end, death itself (14
132
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(1967-1994)
% of the data) is visible in its perfect denotative expression, with skeletons
shown in the aftermath of genocides in Cambodia or Rwanda, or with civilian
bodies shot by sniper in Bosnia.
Picture 5. Cambodia, “the damned of Earth”, 06/30/79
Picture 6. 08/23/82
Yet these long-standing visual framings of suffering can give a feeling of
atemporality, as they rely on non-contextualized realities (Didi-Hüberman 2008,
4). Such metaframes are however totally built by and for Westerners, often
adapted to distant or culturally different contexts (Konstantinidou 2008, 156157). Their aesthetic appeal reactivate the contemplation effect and the regime
of sublime mentioned by Chouliaraki (2006b), but on the contrary of what she
found for televised representations of suffering, the pictures exposed here show
a real choice of humanizing civil wars.
Yet these aesthetic codes show the transculturality of news pictures, as Anna
Banks mentions (1994), or how “images are trapped in two discourses”,
meaning they are produced within a specific context and received in another.
We see the link with Reese’s definition; news pictures are therefore to be seen
as cultural products of their context, included in socially shared conventions
culturally formatted by photographers and editors, who use visual memories of
earlier crises and create a familiarity with such visual codes within their
audiences. Ultimately, the meaning comes out of this visual framing: “Because
these ‘boundaries’ and ‘frameworks’ become a part of the cultural landscape
they frequently remain unchallenged; they become that ‘line’ which editors feel
they cannot ‘cross over’, yet cannot articulate and do not recognize until the
content or style of a photograph appears to cross it” (Banks 1994, 124). Without
mentioning it specifically, Banks’ theory is getting back to Barthes’ studium
concept, or how the language of photography is made possible by a culturallyshaped knowledge based on a familiar symbolism embedded in media’s visual
frames. Such frames can only be understood if they are known, accepted and
used by the audiences.
6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and
rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines”
133
The place of iconic images in collective memory is therefore inherent to the
meanings attributed to the image to be “iconized”. Perlmutter’s model mentions
among various criteria the “primordiality and/or cultural resonance” of the image:
In short, the icon of outrage may remain a subject of interest long after the events
that have spawned it have collapsed, because of this quasi-religious attachment to
past archetypes and themes. This process, however, is not unlinear. Once we make
a picture an icon, it too becomes a frame to which newer images will be compared.
Every icon, therefore, creates a new standard for new icons. (Perlmutter 1998, 18)
What we could call “standardization” of icons, in a way, functions with a
cumulative effect (of symbols, of memories) that we find in pictures of sufferings.
As we have shown previously, it is reinforced by the familiarity created with
reference universes (religion, colonialism, history) which place news pictures as
“routes of reference” and “totems” (Sontag 2003, 85) to a mediated reality, a
reality that is not immediate and contemporary, but rooted in collective, visual
memory.
Visual framings as a particular interpretation
The second dominant meta-category is set by humanitarian actors and relief.
However, these categories are quite regularly represented on the cover with the
figure of foreign – French and American – soldiers (Picture 7). Once again,
these visual framings reflect new realities of the aftermath of the Cold War,
which saw an increase of military-humanitarian operations such as peacekeeping missions. Nevertheless, the choice of picking up one metonymic figure,
like a foreign soldier or the children or mothers shown in the above examples,
give us a good insight on how these figures can be seen as priming motifs, as
they include (victims or benefactors) and exclude (non-victimization, other
protagonists) to propose a problem definition. Even though Fahmy has
demonstrated that the majority of the audience might not be aware of the
framing in visual narratives (therefore reinforcing the priming effect of the
image), every image implies a selection, and therefore a framing by including a
fragmented vision of a perceived reality and excluding the other parts:
These visual selections then shape our interpretations of the world by creating
shared perceptions, affecting and conditioning real-life understanding. […] A news
photograph is only a slice of reality and not the entire whole; it is only a portion of
what is really out there. Our interpretation of what is really out there is influenced by
media logic. Media logic may include physical characteristics such as camera angles
or size dimensions. And based on this media logic, the media have long been
criticized for creating and perpetuating stereotypes (Fahmy 2004, 92 and 95)
Such figures clearly show one dominant side taken by photographs towards
victims and the heroic benefactors, but not exclusively. We will see that some of
our results show that the figure of perpetrators (4% of the data) appears on the
covers (Picture 8), as photographers and journalists try to balance this tandem
between victims and benefactors with a causality link going back to the
perpetrators.
The following example (Picture 7), which shows an American soldier during the
peace-keeping mission in Lebanon in 1982-1984, appears regularly in our data
(5% of the data) as soon as an international peacekeeping mission is taking up
the lead in a war-torn country, using a recognisable metonymy: a soldier wearing
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l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
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the uniform with the national flag in the foreground, sometimes with some tank
or helicopter in the background.
Picture 7. “Lebanon – the US war”, 12/16/83
News pictures, as much as news texts, always tell more than what they show.
These metonymic and synecdochic effects go far beyond denotation; the same
observation was also induced by Barthes who noted that the punctum has a
“force of expansion” and that it is “often metonymic” (1981). In the case of
Picture 7, the figure of the US soldier acts both as a summary and a metaphor of
the “americanization” of the war, underlined by the title; there is no greater way
to emblematize peace-keeping mission. This case is especially relevant for the
war in Lebanon, as the four magazines simultaneously chose to use almost
exclusively pictures of American of French soldiers on their covers from the fall
of 1983, until both armies pull out of the country in the spring of 1984. This
repetition (or “salience”) frames in the sense that it selects but also excludes
other perceptions of reality, such as the sufferings of besieged inhabitants of
Beirut or the fights, which dominated in covers before the fall of 1983. This shift
in the framing is enhanced by the connotative effect of the picture, which
emblematizes the “nationalization” of the war (Moeller 1999, 14) and the fact that
“‘we’ are constituted as ‘rescuing’” the sufferers (Parry 2011, 1194). This framing
is actually highlighting the Western hegemony in such interventions and the
North-South or East-West axes of humanitarian and geopolitical relations.
It also shows an expected result which supports the imbalance between
European and non-European countries (Chang et al. 1987; Garcia and Golan
2008). This is related to the logics of proximity, or how the Western, white figure
is privileged and substituted to the now hidden victim figure, even more when
foreign soldiers die or are kidnapped. This was the case in two conflicts we have
6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and
rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines”
135
studied, Lebanon and Bosnia, who had peace-keeping soldiers all along the war
in countries culturally close to the West; if the switch in visual framing from
victims to foreign soldiers can also be seen in the covers about Somalia, this
country never beneficiated from the same amount of coverage, once again
confirming the ethnocentrism of media coverage, which is not surprising
considering they are Western media reporting on Western soldiers for Western
audiences.
Table 2. Number of covers per crisis (n=143)
However, as we see, even though more covered, European or countries close to
Europe are framed the same way than more remote places. This type of visual
symbolism tends to show that journalistic codes and conventions in the use of
news pictures rely more on their symbolic representations, whether they are
temporal, metaphorical and synthetic (Huxford 2001), and for their connotative
effects: “Denotation and the truth-value of the photograph, more than
connotation, are thought to be critical, because journalism needs photographic
realism to enhance its ability to vouch for events in the real world. In reality,
however, connotation is as important, if not more, than denotation” (Zelizer
2004, 117).
Picturing sufferings also expose photographers to several atrocities (in real time,
like in the siege of Sarajevo in 1992, or in the aftermath, like after the massacre
of the Palestinian camps of Sabra and Chatila in Beirut in September 1982),
which may encourage them to “promote a particular interpretation”, i.e., to
136
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
choose legitimately to expose the victims. In this sense, it is a form of
“journalism of engagement”, as some call it (Bell 1998), which can be seen as
subjective but is a clearly assumed, considered and disclosed standpoint,
moreover when it’s exposed with a picture on a cover. By interpreting such
events, they will also try to point at the perpetrator. Their interpretation can be
more sensitive, as they have to work in a stressful and emotional environment,
with a lack of time in a highly volatile context. Most of the time, news pictures will
rely on a mise-en-scène to point at the perpetrator. They are framed either as
3
specific groups or as individuals (see Picture 8).
Picture 8. Verdict on the massacre of Sabra and Chatila, Lebanon and Israel, 02/21/83
In this picture, even if the photographer was able to take clear evidence of the
killing of civilians (the dead bodies in the background), no perpetrator was
pictured during the 40 hours or so that lasted the massacre of Sabra and
Chatila, as the camps were blocked by Christian militias and the Israeli army. By
the time of this cover in 1983, General Sharon had been condemned, among
3
This was the case with the pictures of Begin and Sharon after the Sabra and Chatila massacres:
“General Sharon, are you a thug?” (NO, 09/04/82) – the only accusing cover before the massacre;
“Begin in accusation” (EX, 10/01/82); “Israel: a shaken nation” (TI, 10/04/82); “Israel – the malaise of
the army” (EX, 10/08/82); “Verdict on the massacre” (TI, 02/21/83). Serbs were also demonized
during the war in Bosnia, covers showing Serbian political leaders or clear visual evidences of militia
members killing Bosnian civilians: “Yugoslavia – crimes without punishment” (EX, 02/04/93);
“Sarajevo – a sniper’s confession” (TI, 03/14/94); “War criminals” (TI, 06/20/94).
6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and
rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines”
137
others, by the official inquiry following the massacre. The indexical effect of the
news picture, where it acts both as illustration of the fact and as validation of the
authentic truth (Messaris and Abraham 2001, 215), is made by the superposition
of the picture pointing at one of the accused perpetrator; but by choosing only
one metonymic figure among the perpetrators, the news and photographic
editors clearly expressed their standpoint, or what they want to emphasize. The
picture opens once again for connotative meanings; beyond the figure of Sharon
(as Israel minister of Defence), it is the moral burden of a democratic nation,
which is accused of participating in war crimes on innocents (who come as a
reminder in the background of the picture). Some magazines chose a less
subjective, more symbolic and connotative effect to express the moral burden of
4
5
the Israeli nation by portraying a cartoon, or simply by removing any picture,
which clearly shows that news pictures cannot express a moral evaluation by
themselves. It nonetheless reinforces the sense of a “morality play” displayed by
media’s verbal and visual narratives (Hammock and Charny 1996). Such
framings were only used, in our database, to show perpetrators during the
Lebanon and Yugoslavia wars. This can be explained both by the cultural
proximity of “white” victims to Europe (these two conflicts were much more
covered in the newsmagazines) and the presence of journalists during or
6
immediately after the massacres.
The multi-modal process of visual framing
The example shown above questions to what extent a picture can frame a
perceived reality it itself without other framing mechanisms such as titles or
captions. This brings us back to Entman’s earlier definition of a frame (1993, 52).
If pictures can “select some aspects of a perceived reality”, make them “more
salient”, they can hardly “promote a particular problem definition, causal
interpretation, moral evaluation, and/or treatment recommendation”. To do so,
they would need to combine different fragments of reality into a visual narrative,
and even then, it would be only by connotative meanings that the spectator
could link the elements together. Therefore, visual framing cannot be taken apart
from its linguistic layout. But a frame can be embedded even in a single cover
(Picture 9).
4
“Israel in torment” with a painting of a dead dove over an Israeli flag (NW, 10/04/82).
“…For the honor of Israel…” yellow signs on a black empty space without any image (NO,
09/25/82).
6
Famines do not lead do similar scenes of emblematic, direct massacres. Even if all the episodes of
famines studied in our database were clearly human-made, they never led in media coverage to a
visual denunciation of the human agency behind these disasters.
5
138
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Picture 9. Markale market, Sarajevo, Bosnia, February 14, 1994
After the bombing of Markale, the city market of Sarajevo, by Serbian artillery,
Newsweek decided to run the cover shown on picture on February 1994. The
framing mechanisms seen here can be adapted to Entman’s definition.
1. The problem statement is embodied and labelled in the title; with a simple
word “Bloodbath”, the imagery is referring to the category of massacres and the
violence rooted in civil wars. The “verbal image” of the title is repeated by the
symbol of the bloody stain on the woman’s face, but the shoulders shot suggest
that the frame is hiding more damage.
2. The causal interpretation is done in reverse: if the picture is clearly focusing
on the suffering of civilians (we can guess by the clothes), it suggests that there
are perpetrators. The caption is not enough to understand that Serbian artillery
was responsible for this; it is indicated only in the article.
3. The moral evaluation is suggested by the combination of several framing
effects: the bloodbath embodying the “massacre of the innocents”, supported by
the image; the use of the word “horror” makes a strong emotional call for people
to feel shock and indignation, again emphasized by the bloody stain on the
woman’s face. It is reinforced by the lonely standing of these man and women
on the cover, as no protector or benefactor can be seen around.
4. The treatment recommendation is given in the title, with a call to the “West”,
meaning the international community and the UN who are losing time to decide
whether they should intervene or not in Bosnia.
What we see here is a multi-modal process in the verbal and visual framing,
which works as a dialogue between several devices: the image itself, the title
6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and
rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines”
139
and subtitle, the caption. It may lead to a connotative meaning as a moral microinjunction: “These civilians (and by extension of the metonymic figure, the
people of Sarajevo) are dying, is it the West duty to intervene to save them”.
Similar multi-modal framings can be found on other covers, using the same
devices: metonymic and synecdochic use of a victim, preferably a child, with an
injunction framed in a title related to a biblical dimension or atrocity, and a call
for intervention. These multi-modal framings also increase during the conflicts of
the 90s, in parallel to the so-called “military-humanitarian interventions”. In our
7
case, most of them are preferably used for the war in Bosnia; this is probably
due to the specific nature of the Bosnian war, which happened “at the doors” of
Europe, whose denounced “barbarism” echoed from the atrocities of World War
8
II. But if we take a close look back to pictures 1-4, which are all about African
countries, we see that they follow this multimodal process. Micro-injunctions are
set up by the juxtaposition of words and images: the metonymic figure of the
innocent child, who is suffering from war or famine and abandoned; morality is
set as a “nightmare” and “shame” should be on us for watching this and letting
this “horror” happen, while the “world” should be “reaching out”. However, the
treatment recommendation, which could be, as on the picture 9, the intervention
of Western powers, is nowhere to be seen on covers. It stays as an open
question, a moral imperative intended for the spectator.
Conclusion
At the end, we can say that such visual framings are not limited to a specific time
or context. Such mechanisms function as echoes in time, relying on the power of
iconic representations of previous events. This principle of intericonicity, which
we borrow from the principle of “visual literacy” (Messaris 1994), was also
developed by David Natharius. He adapted the definition of intertextuality - “the
cognitive connections we make when we see something and understand that the
visual (or written) text references an earlier text” (Natharius 2004, 241) – to the
notion of connections between visual references, as a journey from an image to
another. These visual framings, reinforce by their verbal components such as
the biblical terms, produce a form of narration induced by the image, which can
be seen as an “act of writing” or a “mythography”, to put it in the words of French
semeiologist Frédéric Lambert (1986). They highlight the role of iconic images
which cannot be limited to their simple semiotic components but also to their
place in collective memory and their social context: “Journalists rely on
photographs to offer aspects of war that words cannot, and often they
accomplish this by weaving memorable scenes from the past into their pictures
of the present” (Zelizer 2004, 124).
However, the historical perspective displayed here show that visuals play a
specific role in media narratives, together with their linguistic layouts. Using
emotions as a moral leverage, echoing previous events in their semantics and
7
See also “‘Ethnic Cleansing’ – Bosnia’s cry for help” (NW, 08/17/92) with the face of a little girl
looking through a window broken by a bullet shot; “The agony of Srebrenica – ‘In the name of God,
do something!’ (TI, 04/26/93) with a close-up of a crying mother holding her child.
8
The discovery of the supposed “death camps” in Bosnia also led to similar framings, like “Special
Yugoslavia: how to intervene – And our report: the roots of the hatred” (NO, 08/13/92) with the iconic
image of two skinny men behind barbed wires.
140
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
visual memories, finding their decoding keys in outrage and Judeo-Christian
symbols, news pictures definitely have an important place in the way we
categorize and perceive the world through their repetitive, symbolic, metonymic
and synecdochic language. Interestingly, one of the most memorable
synecdochic use of news picture, the ‘Year in pictures’ section, was deleted in
1999 and then reintroduced in Time in December 2009:
If eyes are the windows of the soul, then photojournalism is the window on the most
momentous events of our time. Great pictures are a way of arresting significant
moments in a fast-changing year — and then framing those moments for history.
This year, under the leadership of our new director of photography, Kira Pollack,
we've brought back a venerable TIME franchise, the Year in Pictures.
[…] "I have been a witness," TIME's legendary photographer James Nachtwey once
said, "and these pictures are my testimony." We have tried something new this year,
and that is to get the literal testimony — the words and voices — of the
photographers themselves talking about their pictures. It's a way of taking all of us
with them on their mission, seeing their images through their eyes. (Time’s
managing editor, 12/10/09, p.5)
Labelled as “arresting significant moments” and even considered as important
“framing” devices for memory, these pictures are now printed with a new feature,
the words of the photographers, so they give their own explanation about the
image. This addition deserves consideration: is it a new way to frame the story,
by filling gaps in the syntactic weakness of the image? Is it a way to move
towards an even narrowed interpretation? Or is it just simply a way to make
news more vibrant? The choice of re-introducing that section is nevertheless a
proof that, somehow, there is no better way to frame the news than using
pictures, and that it has been the case since the growing use of news pictures in
the aftermath of World War II:
These mnemonic and metonymic functions are crucial to the shorthand of
journalism; a picture must stand for a thousand words, but also must replace a
thousand other pictures. Which events are witnessed by photojournalists, which
pictures they decide to take of which sections of a greater reality, which ones they
send to news organizations, which of those are printed with what captioning and
contextual framing and, finally, which become icons are political as well as aesthetic
and industrial choices. (Perlmutter and Wagner 2004, 114)
News pictures therefore act in two ways in media narratives. On the one hand,
they frame as they are “political, aesthetic and industrial choices”. Suffering
imaging is hence supporting the myths of the Good Samaritan as well as neocolonialism, and shows how Western societies see the world and recognize
themselves in it. On the other hand, they act as “shorthands”, or mirrors of our
own myths and sensibilities. The universal view on misery is not a particularity of
the end of the 20th century, even if magazines tend to rely more on the same
photo agencies, which is partly due to the shrinkage of the news picture market.
But this remains an open question. Are we going towards a more “nationalized”
perspective or “domestication” of the coverage of foreign news? Or towards a
transnationalization of discourse and common visual codes on “global” crises
(Chouliaraki 2008; Cottle 2009)? Some could pretend that the data explored
here might be out of date, but these data definitely interrogate the Western
transnational use of framings and how events are perceived through similar
schemata, symbols and icons. They show how different generations of images
6. Article 5: “Understanding visual framing: a discussion on the role and
rhetorical use of images of suffering in French and US newsmagazines”
141
interact and interweave in news narratives, and shape our memories of previous
events.
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144
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in
American and French newsmagazines narratives on humanitarian
crises (1967-1994)”
145
7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic
use of youth figures in American and French
newsmagazines narratives on humanitarian crises
(1967-1994)”
Article soumis à la revue Journalism.
Actuellement en cours de révision.
146
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
“Suffer the Children”: the metonymic use of youth
figures in American and French newsmagazines
narratives on humanitarian crises (1967-1994)
Abstract
This paper explores the narratives on children as a privileged form of
representation in newsmagazines narratives on sufferings. Though recent
studies on media’s referencing on children have pointed out their increase
during the coverage of the wars in Kosovo and Iraq, this paper shows that
representations of neglected, wounded or abandoned children have become
central figures in humanitarian narratives of newsmagazines since the 1960s
and the Nigerian civil war. Their visual exhibition or sometimes vivid depictions
of their sufferings by journalists are thought to foster a form of investment,
whether humanitarian, political or compassionate, as it calls to broader
sensibilities and understandings of the society, at least in the Western
hemisphere. Therefore, this paper explores how the metonymic use of children’s
figures acts as a symbol of the loss of innocence and the impact on future
generations. Through a content and semiotic analysis of a transversal study on
American and French newsmagazines, it demonstrates that children are used as
historical symbols of absolute innocent victims in order to support emotional
calls for humanitarian interventions and mobilize against indifference, and how
humanitarian narratives using children’s figures have evolved in a period of
important changes in the humanitarian and geopolitical spheres, which are
reflected in media discourses.
Keywords: framings; visual framings; news pictures; children; symbols;
collective memory; victimization; newsmagazines; humanitarian narratives
Introduction
Often cited as one of the emblematic famines of the 20th century, the 1984-1985
famine in Ethiopia is well known for the legendary BBC report of October 1984
that prompted a massive public response. Among the starving victims shown in
the camp of Korem in Northern Ethiopia, the camera stood still on an about-todie young girl in the arms of her father. It was only a short and fragmentary
vision of her, in a narrative that spoke of and exhibited mass burials; one could
only guess what happened to the girl. The icon could have remained etched in
our memories in the moving film; but decades later, the segment was re-run in
front of a worldwide audience, during the Live 8 concert in July 2005. And just
when nobody expected it, the girl named Birhan Woldu appeared on stage. She
had been in fact saved from famine in a feeding center and was by then a
healthy young woman.
For media scholars, the narrative induced is just another example of a “child
rescue” story, which we would like to explore here. Our analysis of
7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in
American and French newsmagazines narratives on humanitarian
crises (1967-1994)”
147
th
newsmagazines frames on children’s sufferings during 20 century humanitarian
crises of the last decades will question how they have remained a privileged
form of representation through times, especially through news pictures. Often
called the “poorest of the poor“ in chaotic situations where normal social bonds
are destroyed, children are in fact the most vulnerable in times of emergencies.
th
They have been largely represented, even since the early 20 century, by
humanitarian organizations and the mass media as “a form of representation
that is ‘morally privileged’ and more likely than other reports or representations
to be taken by the audience to be morally compelling (…)” (Tester 2001, 134).
Texts but also many pictures of starving, wounded or neglected children have
since become central figures in “humanitarian narratives” where “ameliorative
action is represented as possible, effective, and therefore morally imperative”
(Laqueur 1989, 178). Their visual exhibition in news pictures or sometimes vivid
depictions of their sufferings by journalists are thought to foster a form of
investment, whether humanitarian, political or compassionate.
But a child figure is more than a simple visual or emotional “teaser” in media
framings; it calls to broader sensibilities and understandings of the society, at
least in the Western hemisphere: “Part of the answer as to why the suffering of
children is compelling and problematic seems to lie within the fact that children
are so firmly grounded in the future. The pain surrounding the death of children
is heightened by a loss of hope about the larger future of society” (Suski 2009,
203). To save a child ultimately means preserving the social, political and moral
integrity of the society facing the disaster (Wells 2007). Part of media studies
related to the use of children in media narratives have underlined how they
appear in formulaic coverage and the semiotics strategies they rely on.
Consequently, the frequent claim by the media to save at any cost, even a single
child, would act as “a synecdoche for the country’s future” (Moeller 2002, 39),
and using an “injured or dying child” would stand “as a metonymic
representation” of helping a whole nation (Konstantinidou 2008, 150). Other
studies have also outlined the cultural processes at work behind such
representations as they question the sometimes stereotypical view on distant
suffering (Campbell 2012).
Though it is not the purpose of this article to discuss the visual and cultural
perception of the Other, such studies confirm the recent interest on the topic of
“childhood in danger“. However, only a small portion (see for example Waters
2004) mentions how such mises-en-scène are not related to new media
strategies in covering wars of the last decades. This privileged form of
representation therefore needs to be put back in a historical perspective, as it
relies on visual symbolic memory to referential events. Media are also keen on
using child figures as they are well-proven narrative matrices, which lead to
larger interpretation levels of the social, economic, political and ideological
realities behind this visible suffering. We will focus here on a specific timeframe,
starting from the Biafra war until the genocide in Rwanda (1967-1994), as it
allows the assessment of humanitarian narratives and their use of children
figures by the time of important shifts in the humanitarian and geopolitical
spheres, which are reflected in media discourses.
Therefore, the aim of this article is to explore this specific framing on children,
based on a retrospective and comparative analysis of French and US
148
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
newsmagazines, covering more than three decades of wars and related
1
famines. By choosing a diachronic and transversal approach on the decades
between the 1960s and the 1990s, we intend to discuss how newsmagazines
framed child-oriented stories on several geographically distant humanitarian
crises and the common standards that were made over the years. We will first
start from a case study of a rescued child during the Bosnia war to understand
how these types of stories question what is “behind the picture”. We will then
explore the perspectives it opens in terms of symbolic memory, victimization,
emotional use of pictures and mobilization of empathy.
A child named Seak Bekric
When arguing that “ten years ago, twenty-five years ago, and fifty years ago,
even when conflict had broken out among civilian populations, children were
featured less in the news”, Susan Moeller (2002, 43) forgets about collective
memory and the connotative power of war photography. The Jewish boy in the
Warsow Ghetto during World War II; the napalm girl in Vietnam in 1972;
Omayra, whose agony was broadcasted live on TV channels in Colombia in
1985; or, even more recently, the case of Mohammed Al-Durah, killed in 2000 in
front of camera during the Second Intifada; all these children have embodied a
fragment of the history of a war.
In fact, the media’s referencing of children have always been linked to the
history of modern humanitarianism: “Western sensibilities toward the innocent
victims of war were already characteristic of the aftermath of World War I. (…) It
has thus contributed to the appearance of the ‘victim’ concept and its
representation in the media during the twentieth century, together with the
associated images of pain and death” (Gorin 2013, 138). What is characteristic
of the aftermath of the Second World War, however, is that war photographers
became major actors of photographic standards on depictions of sufferings,
especially during the decolonization process in Asia and Africa. The civil war in
Nigeria-Biafra, for example, often remembered as a “children’s famine”, was an
important turning point in war journalism: on the other hand, because children
were seen as primary victims of the violence and “universal” symbols for
international audiences. On the second hand, because the framing on children’s
sufferings was at the core of the communication strategy built by relief workers,
and it forever changed “the nature of the journalist-source relationship in the
reporting on international disasters” (Waters 2004, 698). Since then, as we will
see in the results below, children have been a privileged subject by the media,
not only to build narratives which are morally compelling, but also to talk about
the humanitarian emergency in a context of war and the form of response it
should create. Humanitarian action has evolved since Biafra, with the creation in
its aftermath of new types of NGOs like Médecins sans frontières (MSF) which
clearly use political testimony and media relations as part of their strategy to
mobilize civil society and governments. By the end of the Cold War in the 1990s,
humanitarian interventions have been more politicized with the return of State
humanitarianism and military-relief operations:
1
The results presented here are part of a wider PhD research on the symbolic memory of
photography in humanitarian representation from the French and American newsmagazines.
7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in
American and French newsmagazines narratives on humanitarian
crises (1967-1994)”
149
With the end of the Cold War, the superpowers went off their client, leaving these
regimes alone to face their long-suffering societies, and the results were deadly.
These were not run-of-the-mill wars. These were ‘new wars’. The simultaneous
decline of the state’s ability to provide security or perform basic governance tasks
and the rise of paramilitary organizations led to wars with no ‘fronts’, engulfing cities,
towns, and villages. Civilians were no longer a tragic consequence of war but rather
war’s intended targets. New terminologies were invented to try to capture these
obscene developments, including ‘complex humanitarian emergencies’ and ‘ethnic
cleansing’, but the categories never did justice to the horrific realities. These patterns
of violence produced a shift in the meaning of international peace and security.
(Barnett 2011, 162)
The motto of “a dying child remains a dying child, no matter why he dies from”
has nonetheless remained an unchallenged claim in media narratives to push
into a “we must do something” frame, even though studies on agenda-setting
have balanced the power influence of media in times of humanitarian crises
(Seib 1997; Robinson 2001). Though the majority of these studies have
concentrated on television reporting of foreign crises in the 1990s and the socalled CNN effect, we show here that a comparative study of newsmagazines
leads to the same “we must do something” framing, in which children’s pictures
played if not a central, at least an important role. By focusing on a wide content
analysis on American and French newsmagazines (Time (TI), Newsweek (NW),
l’Express (EX) and Le Nouvel Observateur (NO)), along with a semiotic analysis
th
on semantics and news pictures, this study covers eight major 20 century
humanitarian crises of the last decade: the civil war in Biafra (1967-1970), the
genocide in Cambodia (1975-1979), the civil war in Lebanon (more specifically
the Israeli operation “Peace to Galilea” from 1982 to 1984), the famine in
Ethiopia (1984-1985), the civil war against the Kurds (1991), the famine in
Somalia (1992-1993), the civil war in Bosnia (more specifically the siege of
2
Sarajevo between 1992 and 1994) and the genocide in Rwanda (1994).
Before exposing our results, we would like to start with one case study which
exemplifies the main outcomes of what we would like to underline. It is related to
the story of Sead Bekric, a Bosnian boy who was blinded when Serb artillery
3
bombed his school in Srebrenica on April 12, 1993. Evacuated for care several
days later, he was spotted by journalists. The pictures made by James Mason,
showing the child with a bloody bandage on his eyes, were printed in several
newsmagazines, including L’Express on May 6, 1993 and Newsweek on May
10, 1993. When analyzing the impact of the story, L’Express gives a rare insight
on how such stories are perceived and framed:
The exhibited child, the picture is there. That of the child wearing a bleeding
blindfold will symbolize lastingly the Bosnian horrors. Just as the little napalm girl in
Vietnam or the Chinese boy in white shirt on Tiananmen place did. Some fear the
image will trivialize the unbearable. On the contrary, it shows the unbearable and
imprints it in collective memories. And without the picture of the wounded child,
Srebrenica would have probably been massacred.
The bombed child, all the hatred is there. None of the people who saw it will ever
believe that man is good, naturally good. Auschwitz or the gulag has immunized
2
The content analysis consisted of more than 900 articles analysed by CAQDAS (Atlas.ti), after
which a semiotics approach was drawn on coded segments referring to the use of children either in
the images or in the texts.
3
He was evacuated to the United States for care, and later gave his testimony in the Hague tribunal
for ex-Yugoslavia about the massacre of Srebrenica.
150
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
hardly anybody. At the end of the 20th century, on the shores of the Adriatic Sea, in
quasi-democratic countries, men are able to kill and rape their neighbors, to bomb
the kids from next door, in order to “purify”.
The rescued child, the fact is there. The critics of humanitarian action do not reason
soundly when they are not masochistic, political or corporatists. Without the camera
and the peace soldier who are coming right behind, the child of Srebrenica would not
have been rescued by an UN helicopter, evacuated to Tuzla and looked after by an
international doctor. It is true that humanitarian action becomes partially the captive
of the perpetrators, when it keeps the Muslims away. But it also prevents the latter
from being massacred. Who would prefer humanitarian inaction and the child to be
killed instead?
The blinded child, the powerlessness is there. This war has been going on for
almost two years, a war that all observers saw coming. The Serbs are poor, we are
rich. The United States are powerful, Russia is falling apart. Western Europe has
been constituted into a common entity, the countries of former Yugoslavia also need
it. France is a long-standing friend of Serbia, it was respected. What have we done
of our strength, our wealth, our union, or alliances? We have done a great deal by
preventing us to fight among ourselves because of the Balkans. We have done so
few for them, without preventing others to die besides him and for him to lose his
sight. This image should haunt us for a long time. What can we do in order that this
does not happen again? (EX, 05/06/93, 5)4
We will therefore follow these arguments as they open up to empirical and
theoretical comparisons, given our own analyses, to the collective memory
embedded in photography and the history of child’s icons, to the hierarchy of
victims and the fate of civilians in modern warfare, to the use of images as
emotionally compelling and to media narratives on children as a political and
ideological debate.
Childhood as a historical symbol in media narratives of
suffering
By mentioning the necessity to “exhibit” the picture of the wounded child,
L’Express heightens the connotative power of war photography and its iconic
link with collective memory, by contrast to Stanley Cohen’s claim : “But [the
icons of suffering] do leave the mind, and the media regime is ill-suited to remind
us of them. This media-driven cultural amnesia is less fateful than denying future
risks” (2001, 174). As Barbie Zelizer has shown, photographers and journalists
use war photography on the basis of their familiarity, frequency and aesthetic
appeal (2004). If newsmagazines may not reprint a familiar icon, they will quite
probably set up a scene with familiar iconic and verbal signs, as in the parallel
outlined by L’Express with the napalm girl. These signs quite often require the
metonymic use of a lonely child, alone and abandoned or wounded and
surrounded by adults or care givers. This intericonicity is made possible by
similar visual framings, which rely on cultural and social knowledge built by
media narratives of previous events (Banks 1994). As our analysis shows,
children have featured predominantly in newsmagazine’s depictions of civilian
harming (Table 1).
4
Our translation.
7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in
American and French newsmagazines narratives on humanitarian
crises (1967-1994)”
151
Table 1. Categories of victims 1967-1994 (n=4650)
This persistence of children’s referencing in time is also due to the connection
they allow to similar framings of past events: “The familiarity of certain
photographs builds our sense of the present and immediate past. Photographs
lay down routes of reference, and serve as totems to our causes: sentiment is
more likely to crystallize around a photograph than around a verbal slogan”
(Sontag 2003, 85). According to French historian Philippe Mesnard, there are
three important referential wars: Biafra, as explained above, the Holocaust,
which was a turning point in exposing mass atrocities as visual evidence, and
the war in Vietnam, which exposed civilian sufferings through photojournalism
(2002).
As we see in Table 1, children are a transversal figure. More specifically,
childhood is seen as a way to discuss sensibilities in modern Western societies:
“When we encounter an image of a child suffering from hunger with the obvious
physical signs of illness and impending death, the image functions to express an
ultimately destabilizing rupture with the modern child” (Suski 2009, 207). This
idealized image of childhood was a “social construction” in the West (Ariès
1962), and is “regarded as a period of dependency” (Burman 1993, 239). When
faced with situations of chaos like wars and famines, which greatly impact the
familial and social links, tt is therefore contradicted. This is expressed in our data
through the idea of the loss: during periods of famine, the permanent damage
done by malnourishment has Newsweek wonder whether it is “Too late to save
Africa’s lost generation” in Ethiopia (“We are the children”, 06/03/85, cover);
during chaotic disorganization of society in times of exodus, L’Express reflects
on long-term trauma for the “Lost children of Rwanda” (09/08/94, 24-25); or
during long-enduring urban sieges in civil wars, the newsmagazines publish
152
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
several pictures of children playing with guns (NW, 07/20/92, 09) or “provoking
the snipers” in Sarajevo (OBS, 12/23/92, 59) in which they question whether
these children are denied the chances of preserving their innocence and
5
carelessness.
The focus on permanent physical and psychological damage on young
generations also functions as a metaphor of death and destruction. In the case
of Sead Bekric, the child symbolizes the slow dying of the besieged city of
Srebrenica. This synecdochic exhibition of the child, given the indexical use of
the photography in this case, is a mean to testify of the violence of modern
warfare, where civilians have become direct targets of enemy armies: “Civilian is
the word we now rely on to cradle and preserve the ancient idea that mercy,
restraint and protection should have a place in war. The civilian label is thus the
mark of a very important distinction between combatants and non-combatants in
war, between the weak and the strong, those who are active and implicated in
the fight and those who are passive and ‘caught up in it’” (Slim 2001, 1). This
depends in particular on the presence of journalists in the field – Sead Bekric
became an international icon after appearing on CNN, as reporter Christiane
6
Amanpour recalls. Besieged cities emblematically “localize” the suffering in
places where journalists stay or try to go, given they take the risk to pass the
blockade imposed by enemy armies. Being trapped with the civilians under fire
and experiencing their everyday struggle to survive, journalists and
photographers see the impact on the most vulnerable, among which the
youngest, occasioning numerous pictures of adults rushing with their wounded
7
children in their arms in places like Beirut, Sarajevo or Srebrenica. Showing
them physically harmed is therefore a will to testify of the brutality and nonrespect of the sacred notion of childhood.
During famine episodes, feeding centers and refugee camps replace the
metonymy of the city as a place of death. In these highly identifiable and
symbolic places of the humanitarian imagery, children are easily spotted as they
are the ones in urgent need of care. Journalists, but also humanitarian actors
and sometimes celebrity figures, provide clear depictions and daily diaries of life
8
and death, where children are prominent figures. The presence of these
recollections from journalists and relief workers in the discourse is concomitant
of showing and depicting children’s suffering (see “journalists” and “humanitarian
actors” in Table 3 below), as they are front witnesses. This experience is quite
5
In 1994, a picture from Christopher Morris is chosen by Time to illustrate the Bosnian war in the
‘Year in pictures’ section. As the photographer recalls, “The kid had a toy gun, and he started
mimicking shooting it. People everywhere send their kids out to play, but in Sarajevo it’s like you’re
sending them out to play on a superhighway” (TI, 12/26/94, 54-55). Quite interestingly, 1994 was
also the year of the Srebrenica massacre; but the magazine chose to remember this war by focusing
in this synecdochic condension on the children’s lost innocence.
6
See Eyewitness Testimony at the United States Holocaust Memorial Museum’s website,
<http://www.ushmm.org/genocide/take_action/gallery/portrait/amanpour>, last checked April 13,
2013.
7
See for example “To die in Beyrouth” (OBS, 06/26/82, 42), “Suffer the children” (NW, 06/28/82, 25),
“With the sacrificed of Sarajevo” (OBS, 06/25/92, 52), “City of tears” (TI, 06/22/92, 27), “Sarajevo –
Christmas in Hell” (EX, 01/01/93, cover).
8
See for example “A diary of one’s day horrors in the refugee camps at Kibumba” (diary of the
journalist Joshua Hammer, NW, 08/08/94, 6-9); “I saw the cholera coming” (diary of a MSF nurse,
OBS, 07/28/94, 20-23).
7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in
American and French newsmagazines narratives on humanitarian
crises (1967-1994)”
153
often sensorial and affective, so their stories are emotionally charged. Face-toface encounters with mass starvation of children is especially challenging for
many journalists and photographers, who recall it in heartfelt terms: “As long as I
live, I will never forget the screams of the children (…)” (NW, 02/09/70, 33) or
the “overwhelming” and “devastating” experience of First Lady Rosalynn Carter’s
exceptional trip to Cambodian refugees camps in Thailand (TI, 11/19/79, 44).
Children as absolute innocent victims
The sometimes very graphic depictions of violence on children are not only
emblematic of sensibilities towards children and the realities they face in times of
war; it is also indicative of geopolitical and social changes in Western societies,
which are now at peace since sixty years. These confrontations to the children’s
sufferings reactivate reflections on barbarism and bring back the memories of
the Second World War and the Jewish genocide, which are used by the
journalists to draw historical parallels and a comparative scale of war atrocities
(56% of all the historical parallels made in our data). In front of these atrocities,
children are used in the newsmagazines as prime victims, both for factual and
symbolic reasons (see Table 2).
Table 2. Amount of coverage related to children during each crisis, 1967-1994
Table 2 clearly shows that children are more represented during periods of
famines. This is due to a statistical observation on infant mortality: children are
the ones who die the most, at least during famines. Their vulnerability is not only
a motive for emotional and affective charges in the discourses; most of the
articles on famines, for example, give clear medical explanations. From Biafra to
Ethiopia to Somalia, children under the age of five are presented as the most
vulnerable to parasitic and infectious diseases, but they also appear on pictures
154
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
with attending medical staff or nursing mothers, intubated (EX, 01/11/85, 81) or
9
helped to be fed as they “have forgotten how to eat” (NW, 11/26/84, 50). On the
contrary, children are less represented as victims during times of civil wars as in
Bosnia or Lebanon, which can be probably explained by the facts that all human
beings are equally exposed to the danger of shells and bullets. These urban
wars also offer other “scenes” of death or suffering which cannot be limited to
infant mortality.
But what is embedded behind these statistics is the symbolic vulnerability of the
child as an absolute victim. Children are presented as non-participant, apolitical,
“pure” (Brauman 1993); therefore, when this innocence is stolen or despised,
newsmagazines narratives tend to use children as a privileged framing to
promote a causal interpretation (what or who is threatening the child), a moral
evaluation (by using connotative words and images that express emotions) and
a treatment recommendation (how and who should take care) (see Entman 1993
for definition). The fate of children in periods of mass exodus like in Cambodia in
1979 or in Rwanda in the summer of 1994 is particularly dominant in
newsmagazines coverage. The stories focus for example on groups of children
who “have walked tens of miles to seek refuge in Thailand, exhausted and
starving, and have been systematically turned away” in Cambodia (EX,
07/07/79, 41), or on “orphans, abandoned or simply lost children [who are]
thrown on the road by adults’ madness” in Rwanda (EX, 09/08/94, 24). Followed
by picture stories which emphasize the young as “left-alones” who have to fight
every day for their survival, these children are pictured without any adult
presence besides them while, according to Western standards, they should be
dependent and protected.
This type of coverage, even in short-terms moments of attention, is important as
it exemplarizes the concerns for children’s survival skills in times of
unpredictable violence. Hence, it is not surprising that Time decided to publish a
whole issue on “Children of war” in 1982. As it is exposed by the publisher, this
“extraordinary chronicle” is “a unique enterprise for Time and perhaps for
journalism. Never before have the thoughts and feelings of children growing up
on the world’s battlegrounds been the subject of such encompassing and
penetrating exploration” (01/11/82, 7). The project mobilized several
correspondents as five war zones were covered by Senior Writer Roger
Rosenblatt (Northern Ireland, Lebanon, Israel, Cambodian refugees in Thailand
and Vietnamese refugees in Hong Kong). Presented as a “personal account of
how children view life when it might explode before their eyes at any moment”,
this 23 pages-long story included 30 personal biographies of children who, also
quite uniquely, are given a voice:
All wars, it is said, are fought for the benefit of future generations. This is a story of
how those generations are responding. The responses wary, as you would expect.
The five war zones represented here are quite different from one another, and the
children in each place have their differences as well. (…) Here are some 30 children
9
Interestingly, two of the four newsmagazines decided to run a same issue on child malnutrition at
the same moment (OBS, 06/21/85 and NW, 06/05/85), which tends to prove that they are influenced
by the agenda of one another. This is not a single case; at the end of July / beginning of August
1994, the four newsmagazines run a similar cover on Rwanda with a picture of a lost and crying child
in the foreground of running refugees, to emblematize the massive exodus to the borders.
7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in
American and French newsmagazines narratives on humanitarian
crises (1967-1994)”
155
from five warring nations, most of them eager to make and keep the peace. (…) For
the moment their power is purely potential. So they go about their business – riding
bikes, playing ball, dreaming, doing what they are told, and watching with great care
all that is being done for them. (TI, 01/11/82, 16)
While the report covered expected issues on child’s experience of violence
(death and mourning, loss or remain of the innocence, living conditions, physical
and psychological harm), one of Rosenblatt’s concerns was the future of these
children and whether they would grow out of this violent surrounding as good or
“revenge” people. The hazard of events gave him a good opportunity for a
follow-up of the story six months later: when Israel launched its “blitzkrieg” on
Lebanon (NW and TI, 06/21/82), Rosenblatt went back to Beirut to find out what
happened to four of the children he interviewed there. As it turned out, his story
was both “an account of that search, and partly a record of events observed in
Lebanon during the week of June 28 to July 4” (TI, 07/19/82, 14). By using
narrative mechanisms of suspense, novel and personal diary, it gave a rare
inside account of familiar faces (the portrays of the children were printed in
before and after), an emotional and human dimension to a brutal invasion (at the
same time, war coverage in Time – as in the other newsmagazines – focused a
lot on the ravages of the bombings) and a closure perspective on the children’s
fate as three of them were spotted alive.
Children as emotional call for humanitarian purpose
While Rosenblatt’s reporting was quite unique for the time spent (five weeks),
energy and money that were spent to cover it and the place devoted to the
children, it is not exceptional in terms of moral engagement. More generally,
other shorter narratives make effective use of a “morality play” (Hammock and
Charny 1996, 115), which can be considered as a form of storytelling with a
priming effect (the emergency of the situation symbolized in the child’s
vulnerability), roles (usually the international community and relief
organizations), dramatic developments (troubles for the aid to get through) and
outcomes (protection, evacuation or care). In this sense, this morality play is
close to Thomas Laqueur’s “humanitarian narrative”, which can be characterized
by “its reliance on detail”, “the personal body”, “the lineaments of causality and
of human agency” (1989, 177 ‑ 178). While filled with gruesome details on
children’s survival or agony, as in Rosenblatt’s report, these stories imply that
something can be done to “repair” the pain, therefore calling on a moral
imperative. Saving children can therefore be seen as a noble cause.
The case of Sead is a good example, as where other child stories during the
Bosnia war (see Perlmutter 1998, 22 and Burman 1993 for a similar study on the
Irma Hadzimuratovic story). This focus on the “rescued child” seems in fact to
increase in the 1990s, along with personification of the victims. It is supported by
the metonymic and connotative use of a picture and figure of a child – which
works as a call for a whole civilian population to save – and can be compared to
10
the more recent case of Ali Abbas in Iraq. The visual narrative of his suffering
until his complete recovery, was presented in printed media as a Christian
metaphor of martyrdom and resilience: "This picture of Ali - being 'attentively'
10
This young Iraqi boy was wounded by a US missile.
156
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
taken care of, lying on clean white sheets with a surgical bonnet on his head,
can be seen as a metonym of the boy's transitional trajectory, from the
helplessly dying victim of war in a poor foreign country to his recovery towards a
new life" (Konstantinidou 2008, 158; see also Wells 2007, 66-67). The same
metonymy of the trajectory “towards a new life” was told in the aftermath of
Sead’s rescue.
This is due to the co-presence of humanitarian relief organizations and the
media, as it is underlined in L’Express article. Sead’s evacuation is even more
significant of the changing nature of humanitarian interventions in the 1990s,
which consecrated the new type of peace-keeping operations, where the
soldiers play, or act besides, relief workers, as in Somalia or with the Kurds. This
was quite obvious in our analysis, as the exhibition of children in the
newsmagazines was always associated with a humanitarian framing (Table 3).
Table 3. Main categories of framing elements related to humanitarian crises covered by American
and French newsmagazines, 1967-1994 (n=22218)
Though this new type of Western intervention and its possible
instrumentalization is questioned by L’Express, it also puts into perspective the
dramatic and sensational spectacle such scenes may create. This is undeniable,
as these narratives expose atrocities and shocking situations. The
personification on one child’s story also favors emotional investment, as
victimization in general participates to the “humanitarian narrative” in order to
mobilize empathy. But as mentioned by Laqueur, the human agency in these
narratives is embodied in specific roles: victims call for perpetrators and
benefactors, which clearly appear in our results. So the “who has acted or
should act, when and where, so as to make a difference” in the victim’s life “are
7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in
American and French newsmagazines narratives on humanitarian
crises (1967-1994)”
157
key narrative elements” (Chouliaraki 2008, 384) which explicit the large media’s
referencing on relief workers as key symbols and mediators which help to label
the event as “a matter of life and death” and also bring their expertise on
children’s needs. This is also due to the fact that the media – and especially
newsmagazines who depend on news pictures – often arrive when it’s too late
and are not eager to cover early signs of wars or famines, which are hard to
picture and not as visually attractive as excess or evident mortality (Campbell
2012, 90 ‑ 91). This was the case in our data: stories reporting children’s
suffering tended to increase at the core of humanitarian emergencies (which
also led all magazines to publish fundraising appeals for relief organizations)
and were correlated with the peak in the coverage.
A majority of pictures of children portrayed them as stand-alone, as it was
underlined in previous studies: “(…) children have to be portrayed as needing
help, for example, not as independent actors” (Moeller 2002, 51). This, in turns,
favors “(…) a universalizing discourse”, in which “‘the world’s children’ should be
protected from the conflicts of adults (extending from parental conflict through to
international conflict), and deserve the care and concern of any adult, regardless
of their national or political allegiances” (Wells 2007, 66). However, all of these
child pictures do not become war or famine icons. To do so, it would not only
depend on their personification, as in Sead’s story, but also on their
emplacement, their celebrity, their transposability or the debate they generated
in the public and political spheres, among other criteria (Perlmutter 1998, 11‑
19). More generally, these pictures remain “generic icons” of voiceless and
nameless children which fill the imagery of suffering: “There is a void of agency
and history with the victim arrayed passively before the lense so their suffering
can be appropriated. As appropriations of suffering, photographs are affective
rather than simply illustrative” (Campbell 2012, 84). As pure innocent victims,
their dominant place in humanitarian narratives is only challenged by the death
of foreign soldiers (9% of all the victims in our data, see Table 1) which replace
local victims (as in Lebanon and Somalia for example), therefore questioning the
well-known balance between “our” deaths versus “their” deaths.
Showing children to mobilize against indifference?
One last point to develop is related to the idea that Sead’s picture became a war
icon, as it is argued in L’Express article, because his story fueled the
international debate on the “we must do something” injunction. His blinding is
compared in the article as a metaphor for Western powerlessness and/or
indifference. This plays a huge role in the moral outcome of the framing on
children, which will either emphasizes the need for such graphic pictures or, as
we have already mentioned above, their correlate use with injunctions for
solidarity or collective action to put an end to their misery.
These moral imperatives are expressed at various levels. Firstly, by insisting on
the uniquely disturbing or shocking aspect of photographs in graphic, aesthetic
pictures stories, in front of a world filled by horrifying images and fears of
compassion fatigue in the audiences. This was used for example by Time and
Newsweek editors in the core of the Somalia famine: “Yet the pictures coming
out of famine-stricken Somalia are uniquely shocking. Can anything be more
158
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
painful than the sight of a starving child in the arms of a mother who, herself, has
become a walking skeleton? (NW, 09/28/92, 23) or “The harrowing faces of
starvation, the inert shapes of death. (…) It is easy to argue that policymakers
should not wait for gruesome television footage before they respond. But if
images like these are what it takes to bring mercy to even one people in peril, so
be it” (TI, 12/14/92).
Secondly, by using relief worker testimonies, newsmagazines favor medical
observations and precise descriptions which focus on the most acute, desperate
cases. It emphasizes the feeling of impending death, which comes in echo of the
vocabulary of horrors; in our case, the many uses of “agony”, “tragedy” (see
"labelling" in Table 3; see also Moeller 1999, 120). However, if the words
express quite often the experience of death, pictures address it too. This direct
visibility of death opens to new interrogations on ethical limits and sensitivity
levels. It was the case during the Kurdish exodus during the spring of 1991, in
which many children died from the cold and harsh conditions of living in
mountains. The four newsmagazines published dramatic pictures of collective
burials of little bodies with vivid verbal emphasis of the shocking presence of
11
death among the youngest, under the same catchphrase “Burying the babies”.
If all pictures showed small bodies covered by blankets, Time decided to publish
a full-page frontal picture of a woman cleaning the naked dead body of her child,
which prompted outraged reactions from the readers and forced the editors to
publish an insert in the “Letters” section: “(…) One reader complained that we
‘overstepped the bounds of responsible journalism…. Don’t exploit their pain.’
But such images also touched hearts and helped mobilize a belated, lifesaving
US intervention. ‘We cannot stop showing what’s happening in the world,’ says
Time picture editor Michele Stephenson. But it is difficult to establish guidelines”
(TI, 06/03/91, 6).
If the editors try to justify themselves over what should be “responsible”
journalism, they also indicate that there are hardly any useful standards when it
comes to showing death, which “pushes journalists into debates over whether,
where, and how they should publish images of death, debates that often result in
narrowed set of imaging practices” (Zelizer 2005, 27). These practices are often
related to exposing international crises that cause mass killings or dying, even
more when they happen far away (Taylor 1998). But the ethical debate is
heightened when it comes to exposing a picture of a dead child, because it
disrupts Western ideals of childhood as a time of hope and carelessness, and
the choice should be made taking into account public interest. This leads us to
our third category, in which public interest is based for the editors on the belief
that images can lead to social and political action. The same kind of justifications
appeared after the publication of Sead’s picture in Newsweek:
(…) Why did we select such a disturbing cover? We did not make the choice lightly,
and took very seriously the prospect that it might offend some readers. But we also
believe strongly that the purpose of photojournalism, like all the journalism we do, is
to stimulate, provoke thought – and inform. We felt that the image of this boy (…)
11
“Men are burying a one-year old child, wrapped like a Russian doll” (“The camp of shame”, OBS,
04/18/91, 76); “Three-quarters were only tiny packages thrown in the mud. Babies” (“The oasis from
hell”, EX, 05/03/91, 30); “Burying the babies” (NW, 04/22/91, 24); “In the morning, men dug three
small holes…” (“Death every day”, TI, 04/22/91, 12).
7. Article 6: “’Suffer the Children’”: the metonymic use of youth figures in
American and French newsmagazines narratives on humanitarian
crises (1967-1994)”
159
conveyed the inescapable horror in Bosnia that was coming home to Americans as
they watched TV news and had started to push the Clinton administration toward
stronger action. (…) And for Sead Bekric, the 12-year-old boy in the picture, the
media exposure had a happy result: after seeing his picture on CNN, Tony and
Claire Maglica, a wealthy Croatian-American couple, paid to have Bekric located and
evacuated to California, where, after an unsuccessful operation to save his eyesight,
doctors are working to rebuild his face and restore him to otherwise normal health.
(05/24/93)
The outcome of Sead’s Bekric was a happy one and his example reinforces the
idea that media can act at an international level; as it is mentioned in the extract,
this was largely influenced in the 1990s by the so-called CNN effect, which is
now more balanced in terms of real effects on politics (see Jakobsen 2000). But
this belief was a common perception all through our data and led very often to
the juxtaposition of children as innocents from the “moral stain” of adults’
madness, not “contaminated” by political or ideological adherence to the causes
of the crisis, with a more reflexive discourse in the articles: "Children are used in
such instances as nonpartisan subjects who invoke an audience's sympathy on
a plane that appears apolitical or suprapolitical - "purely" moral. This objective
alliance of images may then help reformulate or reframe a policy issue, although
most recognize that moving policy elites to action is not typically accomplished
solely by shoving children into the spotlight." (Moeller, 2002 : 48). This “objective
alliance” of images and policy issues is especially true in the cohabiting mise-enscène, on the same page, of pictures of wounded or starving children, with more
elaborated stories on the root of the crises. As an example, Le Nouvel
Observateur ran a special issue on the Ethiopian famine, which starts with a
half-page picture of a two naked children together with an introduction which
12
insists on the political aspects of famine (11/23/84, 38).
But the moral imperatives embedded in this type of framing have to be
reconsidered as limited in terms of impact; they do not always create outrage in
public opinion. Or this outrage may be directed towards other targets. The now
famous story of the picture of the African girl with the vulture taken in Sudan in
1993, has been largely analyzed because of the critics it raised against the
photographer Kevin Carter (Perlmutter 1998, 23‑28; Pollock 2012, 77). The
picture was first published in Time (04/05/93) on a simple “Camera angle”
section with this only line: “In extremis: A million southern Sudanese face
starvation. Here, a child falters en route to a feeding center while a vulture
hovers”. Because it was more illustrative than context-based, because it
provided no development on the “who, why and how”, and because the simple
picture was a fragmented vision suspended in time, its narrative force logically
led to wonder what happened “out of the frame”. To bring it back to the
metonymy of the child’s symbol, the impending threat suggested by the vulture
in the background had readers wonder what happened to the girl and if she
survived. Time gave an answer three weeks later, providing more information
this time after the flow of worried letters sent to the editor: “Some people found
the photo of questionable taste, while others thought it told a whole, poignant
story concisely; one letter even included a check. More than 60 readers have
12
The report is made of several sections, including medical concerns for children, the failure of the
global relief system, the political responsibility of the Ethiopian regime, and the moral concern for
European countries to put an end to global hunger.
160
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
asked what happened to the child or what they could do to help. (…) Carter is
not sure what happened to the little girl, who was moving toward the nearby
relief center when he saw her, but he is hopeful that she received food and
treatment” (TI, 04/26/93, 13).
Like in this example, editors quite often believe that pictures can change action.
Critics against this belief in a “power” of photography have been developed by
Barbie Zelizer who explained how it was based on assumptions created by four
specific groups: the journalists, which appreciate the indexical value of the
picture; the publishers, who think it’s a good way to compel attention; the
politicians, who see pictures as a tool to shape public opinion; and audiences
themselves who see images as a way to understand the world as it is (2005, 29‑
30). Though the effects of such stories might still be debated, we argue that they
remain nonetheless important condensing symbols of perceptions of the world.
The repetitive use of children figures by newsmagazines has in fact proven to be
an effective standard as it is persistent and socially shared over times and
events. Picturing children and selecting their sufferings among other human
beings is certainly a frame of a perceived interpretation of atrocities, but it is a
frame that opens to further reflections on dilemmas facing the international
community and civil society. More than stereotypes or clichés, these children’s
representations are in fact meaningful aggregates of depicted events, actions
and actors, and their presence has a historical sense for Western audiences as
they call to a historical and symbolic memory, at least back to the Second World
War. Nevertheless to fully apprehend their historical meaning through times, it
would be necessary to explore former use of news photography picturing
th
th
atrocities in the late 19 century and the first half of the 20 century.
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8. Remarques conclusives
163
8. Remarques conclusives
« Et la photographie n'est pas censée remédier à notre ignorance quant à l'histoire et aux causes de
la souffrance qu'elle choisit de cadrer. Ces images ne peuvent guère faire plus que nous inviter à
prêter attention, à réfléchir, à apprendre, à examiner les rationalisations par lesquelles les pouvoirs
établis justifient la souffrance massive. A qui doit-on ce que l'image montre? Qui est responsable?
Est-ce excusable? Etait-ce inévitable? Y a-t-il un état des choses que nous avons accepté jusqu'à
présent et qu'il faille désormais contester? » (Sontag 2003, 125).
Les analyses effectuées au sein des articles ci-devant présentés soulignent
dans quelle mesure les représentations médiatiques de la souffrance en temps
de guerre s’inscrivent en réalité sur une longue durée. Si les contextes politiques
et sociaux des périodes couvertes dans ce travail de thèse ont évolué entre les
années 1960 et 1990, ils se traduisent au sein du discours médiatique par des
choix visuels et linguistiques qui marquent une certaine permanence dans la
mise en sens de la violence de guerre et des souffrances humaines qui en
résultent bien. Ces choix permettent de questionner à quel point la visibilité et la
description de ces souffrances au sein des magazines se situent au croisement
de plusieurs rapports, que ce soit du point de vue de la culture visuelle
médiatique, du photojournalisme, de la mémoire collective et de l’histoire des
ème
conflits dans le long 20
siècle, pour reprendre le croisement disciplinaire
évoqué dans l’introduction de cette thèse.
J’ai voulu démontrer en quoi l’image de presse avait une place particulière et
privilégiée au sein de ces mises en scène et en sens, non seulement pour sa
dimension émotionnelle première mais aussi pour son lien particulier avec la
mémoire. En cela, il ne s’agissait pas de répondre à une question qui a motivé
un grand nombre de recherches en communication de ces deux dernières
décennies, à savoir si l’exposition d’images violentes – et particulièrement par la
télévision – pouvait susciter une réaction dans les agendas politiques. En
choisissant de revenir à de l’image fixe avec la photographie, j’ai voulu travailler
spécifiquement sur l’icône et son inscription mémorielle et démontrer comment
celle-ci entretient des liens historiques plus profonds avec le framing ; plus
particulièrement, si je reprends les catégories de cadrages développées par
Scheufele dans sa classification du concept, dans le frame-building, pour
comprendre quels facteurs influencent la manière dont les journalistes cadrent
certains problèmes, et la manière dont ces processus s’agencent au sein du
discours d’information (1999, 108). J’espère avoir démontré en quoi l’image de
presse tient un rôle plus important dans ces mécanismes de construction de
sens, bien qu’elle ait été un peu délaissée par les chercheurs ayant produit des
définitions classiques sur le framing, ceux-ci se concentrant alors sur le texte et
reléguant l’image à une fonction périphérique (Gitlin 1980 ; Entman 1993 ;
Reese, Gandy, et Grant 2001). Je pense au contraire que sa place est centrale
dans les schèmes d’interprétation développés dans le reportage de guerre, dont
le plus important reste le sort des civils, premières victimes de la violence de la
guerre moderne. Elle entretient ce lien émotionnel évident avec la souffrance
humaine parce qu’elle est elle-même le résultat d’un choix qui a d’abord été
celui du photographe présent sur les lieux et exposé à cette réalité de la guerre.
Elle l’est ensuite dans les choix opérés par les directeurs artistiques et
164
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
rédacteurs pour publication, derrière lesquels se cachent les perceptions et
sensibilités de ceux qui tentent de donner du sens à une violence plus ou moins
proche de la sphère occidentale. L’augmentation, dans les dernières années de
mon corpus, de la place réservée aux reportages photos (et non plus
simplement à l’unique photographie illustrative), est certainement un indice de la
place accordée au visible, plutôt qu’au dicible, pour symboliser et raconter
l’horreur.
Compte-tenu de l’importance du corpus, il resterait toutefois de nombreuses
exploitations possibles à en faire. En choisissant de présenter une thèse sous
forme d’articles, cela m’a nécessairement amenée à choisir des focales en
tenant compte de la spécificité thématique des revues sélectionnées, que ce soit
sur le corpus, l’angle d’analyse ou le cadre théorique. Plusieurs projets d’articles
restent à élaborer à ce jour pour valoriser la richesse des données et des
analyses. J’ai peu abordé notamment l’articulation des cadrages entre eux et
leurs liens de corrélation, qui serait exploitable si je voulais travailler sur les liens
de causalité. Deuxièmement, j’ai évoqué à plusieurs reprises dans les articles
l’utilisation de récits et de témoignages personnels, que ce soit de la part de
survivants ou d’acteurs humanitaires, mais aussi des journalistes eux-mêmes.
Ces derniers mériteraient une analyse affinée sur les enjeux de leur utilisation
(comment leur validité est perçue, quand ils apparaissent et de quoi ils attestent
au sein du discours journalistique) et de leur inscription sémiotique (notamment
parce qu’ils sont marqueurs d’une subjectivité) ; cela nécessiterait cette fois une
analyse textuelle plus précise sur les parties du corpus où ils se manifestent.
Enfin, un troisième aspect que je souhaite encore exploiter est la comparaison
entre la typologie des crises évoquées, que ce soit entre les famines (Biafra,
Cambodge, Ethiopie, Somalie) ou entre les violences dites de type ethnique ou
génocidaire (Biafra, Cambodge, Liban, Rwanda).
Au-delà de ces exploitations ultérieures envisageables, je présente ici la
synthèse des résultats développés dans mes articles, puis je termine en
évoquant les perspectives plus globales, à la fois empiriques et théoriques,
auxquelles ce travail m’a menée.
8.1. Synthèse des analyses
Je reviens particulièrement ici sur la réflexion développée dans le dernier article
sur l’utilisation des figures d’enfants, qui me permet d’évoquer les résultats
transversaux de ce parcours empirique. En travaillant sur la rhétorique victimaire
et la hiérarchie qu’elle dessine au sein de l’ensemble des civils, j’ai été amenée
à m’interroger sur la permanence d’un « récit de morale » face aux souffrances
(Hammock et Charny 1996). Si les politologues y voient une forme de script
établi au sein des discours médiatiques pour favoriser des rebondissements et
des rôles emblématiques du déroulement de l’intervention humanitaire, je
conçois ce récit de morale plutôt comme une matrice symbolique utilisée par les
magazines pour reconfigurer la perception de sociétés en guerre en établissant
des liens symboliques (la mémoire des conflits par la métaphore des mots ou
l’utilisation d’icônes), des liens de causalité (la contextualisation de cette
souffrance par une alternance de cadrages sur les enjeux géopolitiques,
8. Remarques conclusives
165
économiques, humanitaires) et des liens d’agentialité (la triangulation entre
victime, bienfaiteur et coupable).
Cela s’est marqué au sein des mises en scène des magazines par diverses
catégories récurrentes repérées à travers l’analyse de contenu :
- d’une part des catégories contextuelles, qui exposent à la fois les espaces
géographiques concernés et leurs spécificités, les causes et les protagonistes
(politiques, humanitaires) en jeu, mais aussi les ressources journalistiques sur le
terrain qui sont les vecteurs de cette visibilité médiatique ;
- d’autre part des catégories de sens, liées à la convocation de la mémoire
symbolique (plus particulièrement l’usage de termes à la connotation religieuse
ou des parallèles historiques) mais aussi aux formes de violence exposées
(indiquant une incidence négative qui justifie une réparation) et la réponse
humanitaire qu’elles sont amenées à susciter ;
- enfin, des catégories morales, qui s’exposent dans la manière de hiérarchiser
les victimes et de désigner les coupables, souvent accompagnée de propos
accusatoires ou injonctifs visant à amener une intervention humanitaire ou
militaire.
Cette dernière « injonction à l’intervention » (Seib 1997) serait apparue lors des
crises humanitaires des années 1990, selon la majorité des études en
communication qui se sont concentrées sur cette période ; ces études
questionnent alors les relations de pouvoir entre médias, humanitaires et
militaires à une période où la médiatisation télévisée tend à faire croire que le
direct et l’utilisation d’images violentes favoriseraient l’intervention politique des
gouvernements occidentaux pour mettre un terme aux abus commis sur les
civils notamment, comme cela a régulièrement été discuté pour le cas de la
Somalie en 1992 (Mermin 1997 ; Carruthers 2000). Or, les analyses effectuées
au sein de mes articles montrent que cette injonction à l’intervention au sein du
discours médiatique trouve ses racines dans la guerre civile du Biafra, pendant
laquelle se construit une collaboration inédite entre acteurs humanitaires,
religieux et journalistes.
8.1.1. Le Biafra comme « crise matricielle »
Le Biafra impose un modèle classique de médiatisation qui assoit la rhétorique
victimaire, dans lequel l’enfant joue un rôle important, mais qui ne peut être
limité à sa simple dimension émotionnelle. Cette figure de l’innocence, tout
comme l’ensemble des victimes et des scènes exposées (la mort, le quotidien,
la survie) sont d’abord et avant tout des réalités chiffrées, visibles et
immédiatement lisibles à la photographie de presse qui ne saurait travailler en
tant que telle sur les causes des crises, comme le rappelle la citation de Sontag
en introduction de cette conclusion. Elles servent comme des « accroches » qui
permettent de questionner au-delà dans le texte les dilemmes qui sont en jeu
face à la violence. L’exhibition des enfants permet d’interroger sa place au sein
des sociétés occidentales mais s’inscrit aussi dans une politisation du discours
autour des atrocités dont ils sont victimes. A l’opposé, la figure du bourreau au
sein de la rhétorique accusatoire questionne la permanence de certaines
violences et la notion de crime de guerre, dont la perception a évolué depuis le
premier procès de Nüremberg où furent jugés les criminels nazis en 1947. Le
166
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
débat sur la judiciarisation et la nécessité de condamner les violences de guerre
se reflètent dans le discours médiatique et sont en augmentation dans les
dernières guerres traitées dans mon corpus.
Toutefois, au contraire du postulat de l’historien Philippe Mesnard (2002), le
Biafra ne fait pratiquement pas référence en tant que parallèle établi et
référencé dans les discours des magazines, bien qu’il le soit au contraire pour
nombre d’historiens de l’humanitaire ayant travaillé sur les représentations des
organisations de secours (Rufin 1994 ; Ryfman 2008a ; David 2010 ; Barnett
2011). Comme mes analyses le démontrent, ce sont plutôt le Vietnam,
l’Holocauste et la Seconde Guerre mondiale qui prédominent comme référents
pour deux raisons différentes (voir Figure 4, Annexe 2). Dans les guerres
urbaines, la Deuxième Guerre prédomine via les parallèles opérés dans les
images et les descriptions entre sièges et bombardements des villes avec ceux
des villes allemandes entre 1943 et 1945 ou le siège de Stalingrad entre 1942 et
1943 ; dans les famines ou les processus de nettoyage ethnique, elle est surtout
un socle référentiel important dans les parallèles historiques établis avec le
souvenir du génocide juif. Le lexique de l’horreur associé au génocide, tel que
Holocauste ou Auschwitz, est notamment utilisé comme métaphore, y compris
dans des contextes pourtant fort éloignés, à l’exemple de la tragédie des boat
people. Le Vietnam, parce qu’il reste synonyme d’un échec militaire et d’un
enlisement qui a rendu cette guerre impopulaire au sein des médias et de
l’opinion publique internationale (Hallin 1994).
Ces deux guerres restent des parallèles historiques régulièrement établis par les
magazines ; mais elles fonctionnent au sein de la mémoire collective en
concurrence avec d’autres guerres. Ainsi, le Cambodge des années 1975-1979
s’inscrit dans la lignée des violences génocidaires et l’exode qui en résulte,
médiatisé via le fameux emblème des boat people, sera un univers de référence
pour le sort des Kurdes en 1991 ou lors du génocide rwandais et l’exode massif
qui suivra dans l’été 1994. De même, la famine éthiopienne, quelque fois
comparée dans les magazines au Biafra, deviendra elle-même un référent lors
de la famine somalienne. Enfin, les combats urbains et les bombardements
caractéristiques de l’invasion israélienne au Liban entre 1982 et 1984 sont
régulièrement évoqués en comparaison des sièges de Sarajevo et Srebrenica
lors de la guerre d’ex-Yougoslavie. Les crises des années 1990 sont
apparemment devenues elles-mêmes des référents dès lors qu’il s’agit de
discuter des interventions militaro-humanitaires qu’elles ont provoquées, comme
le souligne d’ailleurs Susan Carruthers (2004, 155).
Cette mémoire autoréférentielle de la violence de guerre ne peut que souligner à
quel point elle s’appuie sur des standards désormais établis dans les pratiques
rédactionnelles, ce qui confirme les thèses de Barbie Zelizer sur la photographie
de presse (1997 ; 2004 ; 2005). Bien que Zelizer ne se soit que partiellement
intéressée au concept de cadrage, je pense qu’il y a là un lien absolument
fondamental et certain entre standards journalistiques, mémoire et framing,
surtout dans l’utilisation des photographies, qui mériterait plus ample
développement dans d’autres études comparatives. La limitation d’une partie
des études sur le framing à des études de cas ponctuelles ne permet pas en
effet d’évaluer comment les cadrages relevés sont récupérés ou créés par les
journalistes en fonction des contextes qu’ils décrivent. Par-delà le
8. Remarques conclusives
167
questionnement sur la mise en sens mémorielle, étudier les framings sur une
plus longue durée permettrait également d’évaluer leur caractère transculturel
(Banks 1994). Je l’ai en partie remarqué en étudiant deux sphères culturelles
distinctes mais proches, mais il serait intéressant de l’étendre à la sphère
occidentale. Pourrait-on toujours trouver des similitudes dans les mises en
scène opérées autour des guerres actuelles, compte-tenu des contraintes
actuelles sur le marché de la presse magazine et du photojournalisme ? A titre
anecdotique toutefois, soulignons le débat récent produit sur le site de la revue
Columbia Journalism Review par la pigiste italienne Francesca Borri sur la
difficulté de couvrir le conflit syrien. Au contraire de ses collègues qui prônèrent
le « journalisme d’attachement » dans les années 1990, cette journaliste évoque
le besoin de complexification, en soulignant notamment les tensions entre choix
rédactionnels, contraintes économiques, complexité de l’analyse et attentes du
lectorat : « The crisis today is of the media, not of the readership. Readers are
still there, and contrary to what many editors believe, they are bright readers
who ask for simplicity without simplification. They want to understand, not simply
1
to know. » Les belles images demeurent donc – l’esthétisation reste d’ailleurs
une constante dans la photographie de guerre, si l’on regarde les images
produites en Syrie ou celles qui gagnent chaque année le World Press Photo –
mais la tension persiste entre capacité de dire, de montrer et d’expliquer.
8.1.2. Un discours critique des changements politiques et sociaux
Un autre constat important au sein des analyses effectuées est le suivi, dans le
discours médiatique, des mutations importantes du champ géopolitique et
ème
humanitaire des dernières décennies du 20
siècle, ce qui renforce l’idée ici
que les magazines ont reflété le monde plus qu’ils n’ont cherché à l’influencer.
Pour le mettre en sens, les journalistes ont eu recours à des cadrages qui
oscillent entre une perception politique, juridique, voire même éthique de l’action
humanitaire, en parallèle des constats établis par les experts de l’aide, du
développement et des famines (Brunel 2001). Des articles qui interrogent la
33
34
« moralité internationale » , les « limites de l’aide humanitaire » et les dangers
35
36
« des bonnes intentions » , ou « l’indifférence du monde » , illustrent en réalité
les dilemmes et mutations géopolitiques, stratégiques et économiques de l’aide
ème
internationale de la fin du 20
siècle. L'ingérence humanitaire qui y est
discutée, et qui s'applique aux opérations au Kurdistan, en Yougoslavie, en
Somalie et au Rwanda, marque une nouvelle configuration de l’espace
humanitaire ; celle-ci se traduit dans les faits – et dans le discours médiatique –
par la limite de la protection des civils (et des humanitaires qui sont aussi
1
“Woman’s work : the twisted reality of an Italian freelancer in Syria”, par Francesca Borri, publié le
1er juillet 2013 sur le site de la CJR. Voir : <http://www.cjr.org/feature/womans_work.php?page=all>.
Suite aux nombreuses réactions, Francesca Borri a répondu via le Guardian :
<http://www.theguardian.com/commentisfree/2013/jul/26/syria-freelance-journalist-response>
(dernière consultation le 13 août 2013).
33
« Comment intervenir » (Le Nouvel Observateur, 13.08.92, p. 30).
34
« Yougoslavie : les limites de l’aide humanitaire » (L’Express, 28.08.92, p. 06),
35
« The perils of good intentions : humanitarian aid is proving no substitute for action in post-cold
war conflicts » (Time, 07.02.94, p. 20).
36
« When the world shrugs : why black-on-black violence is so often blacked out » (Newsweek,
25.04.94, p. 18).
168
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
menacés), et par la remise en cause des principes fondamentaux de
l’humanitaire (neutralité et impartialité) avec les interventions militarohumanitaires. Hugo Slim résume cette période tendue sous la forme de deux
problèmes : d’une part la passivité ressentie par les acteurs sur le terrain qui se
sentent comme des « bystanders » - reflétée dans les injonctions à l’intervention
des journalistes, des témoins ou des victimes ; d’autre part le fait que malgré
elle, l’action humanitaire aide aussi les bourreaux et contribue à la violence,
comme ce fut le cas lors du Biafra, de l’Ethiopie et du Rwanda (2001 : 328-330),
reflétée elle aussi dans les accusations d’instrumentalisation de l’humanitaire au
sein des articles. Au sein du discours journalistique, ces tensions ressortent
dans les liens opérés entre aide, politique et morale : l’action humanitaire n’est
plus vue comme un simple geste secourable aux blessés de guerre mais une
géopolitique économique de l’humanitaire et des droits de l’homme.
Le vocabulaire notamment se spécialise, les journalistes parlent de « corridors
humanitaires » ou de « droit d’ingérence » pour qualifier les nouvelles formes
d’interventions humanitaires dans les années 1990. Cela se constate
particulièrement dans le cas des famines, dont la dimension politique,
organisée, est soulignée depuis l’Ethiopie, en parallèle des critiques présentes
dans les magazines sur l’échec du système de l’aide internationale. On peut y
voir ici un éventuel rapprochement entre journalistes et acteurs humanitaires
depuis le Biafra, du moins dans la sphère française ; René Backmann, qui cosigne l’un des premiers ouvrages sur les relations médias-humanitaires avec
Rony Brauman, ne s’en cache pas (1996). Il couvre d’ailleurs une partie des
guerres étudiées dans ce travail de thèse. De même, la question se pose devant
la circulation des parallèles avec « Auschwitz » qui sont opérés par les quatre
magazines pendant l’exode des boat people au Cambodge, alors que les études
historiques ont depuis prouvé que le parallèle avait été imposé par les
intellectuels français proches du mouvement MSF pour dénoncer les dérives
génocidaires du gouvernement communiste des Khmers rouges (Ryfman
2008b). Dans tous ces cas, une étude des sources journalistiques serait
indispensable pour exploiter cette hypothèse.
Cette analyse me permet donc de relativiser l’affirmation de certains chercheurs
qui ont démontré que les médias oscillaient entre deux cadrages lors des crises
humanitaires : l’un sur l’empathie, l’autre sur la distance (voir notamment
Robinson 2001). Cette vision, tout comme celle de Boltanski et des trois
topiques qu’il théorise (1993), est trop réduite par rapport à la multitude de
cadrages qui sont proposés au sein du discours médiatique, dont certains
s’éloignent clairement de la rhétorique victimaire pour débattre politiquement du
contexte et des conséquences des crises traitées, comme l’ont démontré mes
analyses. Si les études citées en introduction insistent sur l’injonction morale de
tels récits, je souligne ici qu’il faut repenser ces injonctions sous une forme
politique. En somme, elles ne sont pas uniquement des appels à la compassion,
mais des critiques politiques sur la stratégie de non-intervention de la
communauté internationale, voire sur l’échec des options humanitaires mises en
place. Ce qu’il faut retenir de l’étude empirique présentée dans ce travail de
thèse, c’est que bien plus que dans une politique de la pitié, nous sommes dans
une représentation du monde multimodale par les magazines. Pour qu’il y ait
pitié et mobilisation humanitaire, il faut aussi exposer les intérêts géopolitiques
8. Remarques conclusives
169
en jeu pour les grandes puissances ; les magazines ne sauraient faire
l’économie de cette présentation du contexte et des options possibles, d’autant
plus s’ils cherchent l’adhésion du public à une position interventionniste. Cela
réfute aussi la critique avancée par Susan Moeller sur les formules réductrices
développées par les médias américains sur les guerres et famines de la fin du
ème
20
siècle (1999) qui découleraient selon elle d’un scénario identique entre un
Bon Samaritain, une Victime parfaite et le Mal absolu et qui rejoint ici l’idée d’un
« récit de la morale » évoqué plus haut. Si cette triangulation existe, elle ne peut
être réduite à cette simple dimension.
Ceci me permet de revenir sur les tensions évoquées dans l’introduction de ce
travail de thèse entre praticiens de l’humanitaire et journalistes, notamment
autour de la formation et de la circulation des « clichés » stéréotypés de
l’humanitaire, qui seraient, selon le communicateur Bruno David,
« historiquement exemplaires et révélateurs de la manière dont journalisme et
humanitaire se sont liés pour donner naissance à une imagerie
compassionnelle » (2010, 3). Cette collaboration historique se confirme au vu
des analyses effectuées, mais il me semble qu’il faille aller au-delà du débat
critique entre humanitaires et médias. Je n’ai pas eu la prétention au sein de ce
travail de thèse de proposer des recommandations ou des solutions pour établir
« une meilleure correspondance entre les vrais besoins humanitaires et les
intérêts médiatiques » (Eberwein et Grossrieder 2005, 150). Cette question
aurait nécessité d’autres moyens, d’autres analyses et un autre corpus. Mais il
me semble que ce débat est biaisé car il laisse de côté la nature propre de
l’image, de l’icône et de son fonctionnement.
Plutôt que de condamner les stéréotypes sans réfléchir à leurs nuances ni à leur
éventuelle utilité, il faut, à mon sens, les interroger autrement, et j’adopte ici le
point de vue du photographe Jean-Marc Bodson : « Les racines de notre
perception, il faut aller les chercher dans les strates de l'imaginaire collectif, non
par une archéologie des choses ou des faits, mais par une archéologie de leurs
représentations, non dans la chronologie du récit, mais dans la généalogie des
familles d'images » (2005, 11). Interroger les stéréotypes autrement consiste
donc à les replacer dans cette généalogie d’images dont ils sont issus pour
comprendre comment ils ont signifié, ou signifient toujours, des univers de
référence. Si l’on peut reprocher à l’imagerie humanitaire de véhiculer des
visions parfois paternalistes ou colonialistes, elles n’en sont pas moins,
justement, des révélateurs symboliques de rapports de pouvoir entre nations et
les rapports entre ceux qui observent et ceux qui sont observés. Ces visions
permettent aussi de travailler les perceptions du monde qui s’y cachent, et il faut
rappeler ici les contributions des historiens de l’image de guerre, qui soulignent
à quel point l’impossibilité de représenter la guerre a mené à son esthétisation
(Puiseux 1997). En tant qu’historienne, c’est de considérer les photographies
comme des « reflets circonstanciels » d’une « réalité prismatique » (Gervereau
2002, 252‑253) qui m’a justement intéressée, car l’image permet de condenser
symboliquement un nombre de significations et d’expériences face à un
événement et une époque donnés.
Au final, j’espère avoir prouvé qu’il est nécessaire d’appréhender l’image de
presse dans une vision plus large qui est celle de la culture visuelle et de sa
mémoire. Je reprends ici les termes du photographe David Campbell, qui a
170
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
longuement travaillé sur l’iconographie de la famine, car il me semble que ses
propos se prêtent parfaitement à ce que j’ai essayé de démontrer par ce travail :
[We need to move] towards an appreciation of the need for visual strategies that, by
being reflexive and penetrating, understand what the stereotypes are and how they
can be contested. (…) While their persistence and problems need to be analyzed,
this means we need to be less concerned about the presence of famine icons and
more concerned about the absence of alternative, critical visualizations that can
assist in capturing the political context of crises, thereby potentially shifting the
scopic regime from the colonial to the postcolonial. (Campbell 2012, 89)
Ce qu’il constate pour la photographie des famines peut parfaitement s’étendre
à la photographie de guerre en général. La répétition, la fréquence et le
caractère inchangé des modèles de visualisation de la guerre et de la
souffrance, notamment via des mécanismes de cadrage visuels mais aussi par
des usages métonymiques et synecdotiques de figures ou scènes spécifiques
des crises représentées indiquent qu’il n’existe pas de modèles alternatifs ; du
moins, si ces modèles alternatifs existent, les éditeurs, directeurs artistiques,
journalistes et photographes ne les considèrent probablement pas comme
faisant suffisamment sens pour illustrer des réalités autrement plus complexes.
Il ne s’agirait donc pas simplement de remplacer une image « cliché » par une
autre qui serait plus réaliste ; il n’existe pas de réalisme dans la photographie,
mais uniquement des perceptions qui en disent beaucoup plus sur les réalités
qu’elles dépeignent et sur les sociétés qui les ont créées. Faire savoir ou
« éduquer » autrement par la photographie reviendrait à repenser la culture
sociale et politique inscrite dans le cliché, ce miroir auquel l’Occident aime à se
contempler. Ceci ramène aux considérations de Susan Sontag citées en
introduction entre un « Ils » et un « Nous » duquel il semble difficile de
s’éloigner. Quand Le Nouvel Observateur se demande comment « prendre le
temps et les moyens de sauver non seulement la Somalie mais le reste du
37
continent africain » , ce sous-titre vient en écho de la couverture du Time sur
38
l’« agonie » de l’Afrique représentée par un petit enfant abandonné en pleurs.
De telles représentations peuvent aussi interroger sur la volonté des magazines
de renvoyer ainsi à l'Occident le miroir de ses clichés sur l'Afrique. Cela
questionne du moins les politiques occidentales, en même temps que cela
maintient le stéréotype.
8.2. Perspectives futures
Ce questionnement sur les perceptions du monde, des contextes et des guerres
qui se décodent dans l’icône est régulièrement apparu au sein du corpus ; il
portait dans le discours des journalistes sur les atrocités qui se déroulaient dans
des régions plus ou moins lointaines de l’Europe. Leur exposition des
souffrances était une manière d’interroger la persistance de pratiques jugées
comme barbares ou primitives au regard d’une Europe pacifiée depuis soixante
ans, véhiculant donc par-delà la croyance d’une évolution des mœurs et des
civilisations dans le berceau occidental, face à ce que le philosophe Frédéric
Gros nomme les « états de violence » : « Barbarisation. Côté éthique, les
37
38
« Le sauvetage ou la honte », 10.12.92, p. 69.
7 septembre 1992.
8. Remarques conclusives
171
nouvelles violences seraient résolument sauvages: elles voueraient ceux qui s'y
livrent au chaos nu d'instincts primitifs qu'on croyait révolus, au moins chez les
peuples civilisés. » (2006, 219).
On retrouve le même type de questionnement sur un discours idéologique entre
barbarie et civilisation réactivé depuis le 11 Septembre, dans les études en
communication qui portent sur la guerre au terrorisme, notamment en Iraq et en
Afghanistan. D’une part, ces études ont permis de développer l’étude du framing
(Kellner 2004 ; Christie 2006 ; Melkote 2009 ; Reese et Lewis 2009), et des
analyses comparatives entre médias de différents pays (Dimitrova et Strömbäck
2005 ; Dimitrova et al. 2005 ; Ting Lee, Maslog, et Shik Kim 2006 ; Kolmer et
Semetko 2009). D’autre part, elles ont permis d’approfondir les critères qui
guident le choix des photos au sein des rédactions et leur effet sur le priming
(Griffin 2004 ; Fahmy 2005 ; Fahmy et Kim 2008). Enfin, elles questionnent les
nouvelles stratégies visuelles et discursives à l’œuvre dans la représentation
des victimes et des coupables, à une époque où la censure de guerre
américaine a mené à une certaine déshumanisation des combats et des pertes
(Ramel 2004 ; Kuttab 2007 ; Popp et Mendelson 2010). Outre les
développements théoriques qu’elles ont amenés, ces études viennent souligner
des points ou intérêts renouvelés avec ce que j’ai essayé de démontrer, et
permettraient des comparaisons intéressantes avec la période antérieure que
j’ai analysée, pour évaluer la permanence ou les éventuels changements dans
la récupération des cadrages, ainsi que des pratiques journalistiques et
rédactionnelles face au débat toujours renouvelé de la violence des images de
guerre.
Outre ces parallèles évidents sur des guerres plus récentes, qui viennent nourrir
a posteriori ce travail de thèse, plusieurs perspectives s’ouvrent quant aux
développements ultérieurs possibles, en lien avec le cadre théorique et
empirique de cette thèse.
8.2.1. Questionner une photographie de type « humanitaire »
Une première perspective concerne la photographie elle-même, et plus
particulièrement sa dimension humanitaire. J’avais déjà développé cette
question au sein d’un article en interrogeant la longue histoire de la relation
entre photographie et action humanitaire (Gorin 2009), puis plus récemment sur
le travail des photoreporters lors du tremblement de terre en Haïti (Gorin 2012).
Au vu des débats actuels dont elle fait l’objet dans le monde du
photojournalisme et de la communication des organisations humanitaires, la
question porte surtout sur la possibilité de montrer autrement ou différemment
les réalités dans lesquelles l’image s’inscrit. On en revient ici à l’argument
évoqué plus haut, à savoir s’il existe une alternative aux standards
photographiques répétés dans le temps, ce qui équivaudrait à créer d’autres
cadrages et de perturber, en quelque sorte, le lien intericonique qui relie ces
images dans le temps et l’espace. Serait-il possible de construire une autre
« mythographie » de l’humanitaire par l’image ? Et à quelles conditions ?
Ces questionnements ont émergé au sein des stratégies de marketing des
ONG, sur lesquels je n’ai pas travaillé mais qui reprennent les mêmes
questionnements que ce qui est souvent reproché aux médias. Pour exemple,
172
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
ces réflexions récentes de la présidente de MSF Canada, qui soulignait en
2011, alors que la corne de l’Afrique traversait une nouvelle période de famine :
We’re also struggling to define responsible fundraising within a discourse that relies
on guilt and superficial messages. Fundraising experts warn us that offering a more
complex picture of the difficulties of delivering aid will lead to cynicism and donor
fatigue: it’s shock value that works. (…) Some of our colleagues from other NGOs
have chafed against our criticism, going so far as to call it “not helpful.” We in the aid
industry seldom openly criticize one another’s practices out of concern that it merely
denigrates the entire sector in the public’s mind. There are times, however, when
lifting the cone of silence on debates like this will help influence our philanthropic
culture so that Canadians can make informed and meaningful choices. 2
La question me semble intéressante car elle s’inscrit ici dans la possibilité de
créer de nouveaux univers de références, ce qui nécessiterait bien évidemment
de travailler dans la longue durée, tant l’on sait que les cadrages proposés aux
publics dépendent de leur familiarité avec des symboles. Selon les critiques qui
ont émergé des Africanistes ou des humanitaires, il s’agirait de favoriser une
vision locale ; soit en focalisant sur des stratégies de résilience communautaire
et non sur des scènes de violence ou de dépendance ; soit en proposant plus de
place aux journalistes et photographes locaux pour les laisser eux-mêmes
représenter la réalité dans laquelle ils vivent, et contrebalancer ainsi le
« journalisme parachute » des reporters occidentaux qui couvrent un sujet en
24h et manquent parfois de connaissances sur la complexité du milieu dans
lequel ils ne font que passer. Toutefois, ces choix doivent être mis en
considération des limites culturelles de tels cadres pour un public européen. La
stratégie doit aussi être interrogée au regard des tendances actuelles au sein
des médias qui diminuent notamment le nombre de bureaux à l’étranger et la
couverture internationale au profit des sujets nationaux (Dupaquier 2002). C’est
néanmoins une problématique qui est au cœur des questionnements
développés par un nouveau projet de recherche à l’Université de Birkbeck à
Londres qui m’intéresse particulièrement, portant cette fois sur des études de
réception pour comprendre ce à quoi les publics réagissent dans des cadrages
humanitaires, et qui permettraient d’aller au-delà des propositions de Boltanski,
3
par exemple.
Quelques pistes ont été ouvertes non dans le domaine de l’information, mais
dans celle de la mémoire. Plusieurs expositions muséographiques au Musée
International de la Croix-Rouge (MICR) notamment, ont permis d’interroger le
travail des photojournalistes en amont et soulever comment certains d’entre eux
tentent de bouleverser les clichés en changeant les cadres de référence. Ce fut
4
5
le cas des expositions « Stigmates » et « Modestes » , dans lesquels des
photographies de guerre ont construit un regard différent sur les à-côtés de la
guerre, ou les faces plus cachées, moins visibles dans les discours médiatiques.
A l’heure où le marché de la photo de presse est sinistré, c’est une posture que
2
Voir le site web de MSF Canada : <http://www.msf.ca/news-media/news/2011/09/somalia-crisisdemands-more-realistic-portrayal-by-aid-groups/> (dernière consultation le 29 avril 2013).
3
Mediated humanitarian knowledge : audiences’ responses and moral actions, voir :
<http://www2.lse.ac.uk/media@lse/documents/Shani_Orgad_research.pdf> (dernière consultation le
29 avril 2013).
4
Exposition tenue du 4 au 26 juillet 2009 au MICR.
5
Exposition tenue du 23 septembre 2009 au 24 janvier 2010 au MICR.
8. Remarques conclusives
173
j’aimerais analyser. On passe alors à une dimension artistique de l’image qui
perd sa valeur informative telle qu’elle prétend encore l’être dans la presse, mais
qui interroge aussi la manière dont naît l’émotion.
Dans une autre approche liée à la problématique de « montrer autrement » la
guerre, la célèbre agence de photographies Seven, sur laquelle j’avais déjà
6
travaillé pour un colloque, a instauré une série de collaborations avec MSF et le
7
CICR, dont la stratégie communicationnelle a été très différente jusqu’alors. Les
photographes en question, dont James Nachtwey ou Christopher Morris, pour
ne citer qu’eux, ont été des photographes largement représentés au sein de
mon corpus. Or, dans ces collaborations avec ces deux organisations
humanitaires, ils ont été soumis à des exigences et des limites qui les ont forcés
à interroger la guerre autrement ; la charte éthique de ces organisations ne leur
permettait par exemple pas de photographier frontalement la mort ou les
exactions. J’ai déjà abordé une partie de ce résultat dans de nouvelles
recherches sur les archives photographiques des ONG, en traitant notamment la
médiatisation des famines d’avant 1960, ce qui permet de repenser
historiquement la politique mémorielle et visuelle des acteurs humanitaires
8
(Gorin 2013). Mais il serait intéressant de comparer de façon plus systématique
les stratégies de communication mises en place par MSF et le CICR, en
analysant notamment l’esthétique développée dans ces photographies, le
rapport à la souffrance, les choix opérés par les photographes sur les figures et
les scènes représentées, et leur manière de questionner les « clichés »
différemment.
8.2.2. Interroger la visibilité des atrocités
Une deuxième perspective à laquelle ce travail pourrait mener touche cette fois
à la question éthique et historique sur la manière d’exposer les atrocités. Pour
reprendre les propos de Susan Sontag cités en ouverture de cette conclusion,
montrer l’atrocité questionne avant tout celui qui l’a commise mais aussi la
nécessité ou la volonté de l’exhiber. Cela me permettrait d’étendre les
questionnements que j’ai développés dans mes articles sur la visibilité de la
mort et du bourreau, qui interrogeaient en partie la nécessité de montrer la
violence tout en soulignant les limites imposées par les journalistes au sein du
6
« L’Agence Seven, ou comment offrir un autre regard sur le monde. Etude sémiologique et
sociologique des pratiques journalistiques d’une agence de photographies au 21ème siècle »,
conférence présentée au colloque La photographie au regard des théories de la communication, 30
mai-2 juin 2007, Université de Louvain-la-Neuve.
7
Pour le CICR, ces collaborations avec Seven ont été instaurées lors d’une campagne mondiale
"Our world, your move" en 2009. Les photographies sont désormais inclues dans la collection
photographie du CICR. Pour MSF, le projet est toujours en cours ; on peut en voir les premiers
résultats sur le site du programme « Starved for attention » : <http://www.starvedforattention.org>
(dernière consultation le 29 avril 2013).
8
Ces recherches m’ont menées à utiliser d’abord les archives photographiques du CICR, parmi les
mieux conservées dans le patrimoine humanitaire, à l’occasion du 150ème anniversaire de la CroixRouge. Elles m’ont permis d’organiser un colloque tenu à l’Université de Genève en avril 2013 et
intitulé « Face à la famine : mobilisations, opérations et pratiques humanitaires ». Parmi les
différentes perspectives abordées, la médiatisation de la famine a été traitée comme une stratégie
politique importante des organisations humanitaires et leurs relations aux médias. Ce nouveau
regard sur l’histoire médiatique des famines est également traité par un projet de recherche inscrit à
l’Université de Lucerne.
174
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
discours journalistique. Je me rapproche ici, encore une fois, des travaux plus
récents de Barbie Zelizer sur les récits de « mort imminente » ou l’usage
métonymique de la mort à l’image (2005 ; 2012) et comment ils interrogent des
critères fluctuants au sein des pratiques médiatiques. Comme elle l’affirme ellemême, la mort reste probablement l’un des derniers tabous dans la visibilité de
la violence et amène à un traitement différencié selon les médias et selon les
régions. Il reste difficile d’établir des critères standards, même si, à l’instar de
mon analyse sur les mises en scène visuelles et discursives de la mort dans les
conflits que j’ai traités (Gorin 2011), j’ai relevé que les violences lointaines sont
plus facilement exposées que les violences locales.
Ici aussi, des comparaisons plus larges pourraient être menées, notamment
dans l’exposition du corps du bourreau, comme cela a été initié dans le projet
9
européen sur les Corpses of Mass Violence and Genocide débuté en 2012, qui
s’interroge sur ce rapport à la mort et la place du bourreau dans la mémoire,
notamment dans sa médiatisation. Les cas récents de mort de dictateurs ou de
terroristes (tels que Ben Laden, Kadhafi, ou Saddam Hussein) offrent des
perspectives intéressantes sur la judiciarisation des criminels de guerre, la mise
en images de leur exécution, le refus de cette visibilité ou l’apparition de
nouvelles technologies comme les réseaux sociaux et les téléphones portables
qui ont favorisé la diffusion des images de leur mort. La photographie amateur a
donc remplacé la photographie professionnelle, et les flux de diffusion ont
complètement changé le mode de circulation de ces icônes et les acteurs qui
contrôlent leur publication. Les magazines n’ont dorénavant plus une place
importante dans l’instauration de limites éthiques quant à la circulation de
photographies violentes.
Explorer l’historicité des pratiques de représentations des
souffrances
Une troisième ouverture reste la piste de l’interdisciplinarité et particulièrement
la perspective historique. En travaillant sur les deux derniers articles de cette
thèse, j’ai été particulièrement frustrée d’aboutir à une limite temporelle que je
trouve au final quelque peu superficielle. Il faudrait une ouverture historique
encore plus large à mon sens, car l’idée de considérer le Biafra comme un socle
représentationnel me semble en fait un faux tournant. S’il a son sens pour
l’apparition de l’image de presse sur le Tiers-Monde, il est complètement relatif
pour les changements qu’il induirait dans la construction des référents visuels,
notamment en ce qui concerne les enfants. Il n’est que l’appropriation par les
journalistes de codes visuels développés plus tôt et pas forcément par des
professionnels. Même si cette mémoire antérieure est totalement oubliée dans
les univers de référence des magazines (aucun ne cite les grandes famines qui
déchirent l’Europe avant la Deuxième Guerre mondiale par exemple), elle ne
l’est pas au niveau des pratiques photojournalistiques, ce qui pourrait m’amener
à travailler du côté des pratiques cette fois.
8.2.3.
Une grande partie des premières photographies de la souffrance ont été
ème
produites par les humanitaires eux-mêmes au début du 20
siècle, à une
9
Voir le site européen du projet : <http://www.corpsesofmassviolence.eu/> (dernière consultation le
29 avril 2013).
8. Remarques conclusives
175
époque où les photographes professionnels n’existaient pratiquement pas. C’est
cette histoire des premières pratiques et collaborations entre organisations
humanitaires et médias de masse (notamment la presse et le cinéma) qui
mériterait d’être interrogée dans une étude véritablement historique cette fois,
sur les matériaux des archives photographiques du CICR, de Save the Children
ou de l’American Relief Administration, et leurs actions au cours des années
1920-1930. Cette analyse permettrait non seulement de revenir sur la rhétorique
ème
victimaire telle qu’elle se met en place au début du 20
siècle et l’utilisation
des enfants au sein d’un discours que les humanitaires veulent apolitique (voir
notamment le cas de Save the Children, Breen 1993), mais aussi de travailler
sur les rapports naissants entre marketing, humanitaire et photographie de
guerre. En effet, les photographes du magazine Life ou ceux de Magnum
recevront des mandats de ces organisations aux alentours des années 1940, et
c’est probablement à ce moment-là que l’univers visuel développé par les
humanitaires dans les médias locaux ou leurs journaux d’abonnés rencontre et
se mélange avec le regard développé par les photographies professionnels sur
le terrain ; il influence alors probablement ce que l’historien Thomas Laqueur
appelle le « récit humanitaire » (1989). Si lui y voit des racines culturelles et
ème
philosophiques profondes remontant au 18
siècle, je pense que ce récit
humanitaire dans sa version moderne est né de la rencontre du
photojournalisme et des premières organisations humanitaires qui ont utilisé la
photographie à des fins de fundraising et de mobilisation.
8.2.4. Analyser les figures des médiateurs de la souffrance dans le
discours d’information
Enfin, dernière perspective à envisager, celle du médiateur. Je l’ai abordé
notamment dans l’article sur le Biafra, en montrant à quel point les humanitaires
vont apparaître durant cette guerre comme des médiateurs imposant d’une
certaine façon le cadrage de l’urgence humanitaire. L’idée d’un médiateur
comme condition nécessaire pour la visibilité de la crise avait déjà été
développée par Brauman (1993) ; je l’ai constatée à plusieurs reprises au sein
de mon corpus comme un élément fondamental du récit humanitaire et de
l’accès privilégié des journalistes aux réalités empiriques de la souffrance. Ces
médiateurs peuvent aussi être incarnés par des personnalités politiques : la
présence de la Première dame Rosalynn Carter au Cambodge en décembre
1979 ou du président Mitterrand à Sarajevo en juillet 1992 entraine dans leur
sillage les journalistes. Cette capacité des médias de fonctionner sur le grand
pouvoir d’attraction de certains individus mène inévitablement à une troisième
catégorie de personnalités, les célébrités, dont la présence plus récente (en
augmentation ?) sur le terrain humanitaire suscite depuis peu un intérêt en
sciences de la communication (Cooper 2008 ; Chouliaraki 2013). Là aussi, des
études de cadrages pourraient se révéler intéressantes, ou de travailler sur les
stratégies de communication au sein des organisations pour mener à des récits
humanitaires centrés non sur la victime, mais sur le bienfaiteur, dont la fonction
première n’est pas de sauver, mais d’attirer l’attention.
176
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Références
Allan, Stuart, and Barbie Zelizer (eds). 2004. Reporting war. Journalism in
wartime. London and New York: Routledge.
Banks, Anna. 1994. "Images trapped in two discourses: photojournalism codes
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180
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Annexes
Annexes
Annexe 1. Grille de codage
181
182
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Annexe 2. Résultats de l’analyse de contenu (système
catégoriel)
Figure 1. Catégories principales de l’analyse de contenu (n=22218)
Figure 2. Subdivision de la catégorie « Contextes des conflits » (n=3079)
Annexes
183
Figure 3. Subdivision de la catégorie « Labellisation des conflits » (n=2500)
Figure 4. Subdivision de la sous-catégorie « Parallèles historiques », appartenant à la catégorie
« Labellisation des crises » (n=460)
184
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
Figure 5. Subdivision de la catégorie « Action humanitaire » (n=2387)
Annexes
185
Annexe 3. Présentation des conflits sélectionnés
La guerre du Biafra (1967-1970)
A l’origine une guerre civile, celle-ci s’est trouvée rapidement accompagnée
d’épisodes de famine et dénoncée comme un génocide. Aussi connue sous le
nom de guerre civile nigériane, elle a résulté de la sécession de la province de
l’Est, le Biafra, le 30 mai 1967, dont l’indépendance a été déclarée par le
Colonel Ojukwu. Cette province est habitée par l’ethnie des Ibos, de religion
catholique, qui constitue alors 12 millions d’habitants pour 60 millions sur tout le
Nigéria en 1967. Le pays est en effet divisé entre plusieurs provinces, peuplées
par des centaines d’ethnies, de confessions différentes. Outre les Ibos à l’Est, le
Nord est composé par l’ethnie majoritaire des Haoussa-Fulanis, de confession
musulmane, et l’Ouest par les Yorouba, de confession protestante. Ancienne
colonie anglaise, le pays a obtenu son indépendance en 1960, mais l’ancien
pouvoir colonial, comme bien souvent pour plusieurs pays africains, a joué sur
les différentes ethnies pour assoir son gouvernement. Au Nigéria, les Anglais
ont ainsi distingué la tribu des Ibos qui a obtenu des postes-clés dans
l’administration et le commerce ; la province de l’Est est ainsi plus développée
que le reste du pays, concentre les meilleurs salaires et surtout l’essentiel des
richesses du pays, le charbon et le pétrole.
Au moment de l’indépendance, l’ethnie des Haoussa-Fulanis souhaite alors
instaurer un système politique plus fédérateur, qui diminue ainsi les pouvoirs
régionaux. Des tensions entre ethnies poussent à un regroupement entre
Haoussa et Yorouba, opposés aux Ibos qui se sentent isolés et méprisés par
leurs voisins. Ils réagissent par un coup d’Etat le 15 janvier 1966 en plaçant à la
tête du gouvernement le général Ibo, Ironsi, qui freine la tendance au
fédéralisme et centralise le pouvoir. Les tensions augmentent, ce qui amène les
Ibos à fuir dans leur province à l’Est et à l’assassinat d’Ironsi le 29 juillet 1966.
Lors de ce deuxième coup d’Etat, la junte militaire à majorité musulmane qui le
dirige instaure un nouveau chef, le général Gowon. Celui-ci est chrétien. Malgré
des appels à la paix, des massacres sont perpétrés par les Haoussa durant l’été
envers la population Ibo. Les chiffres varient, mais on tourne autour de 30'000
Ibos massacrés. Les richesses pétrolières du delta du Niger excitent également
les convoitises, accentuées par les intérêts des grandes compagnies
occidentales telles que Shell et BP. Craignant qu’on ne les dépossède de leurs
terres et que les massacres continuent à leur égard, les Ibos votent la sécession
en mai 1967, sous l’égide de leur gouverneur militaire, le général Ojukwu. La
République du Biafra est née. L’armée fédérale nigériane s’engage alors dans la
guerre, dont les enjeux sont autant nationaux (réintégrer la province
sécessioniste dans l’unité nationale) qu’économiques (ne pas risquer de perdre
les territoires les plus riches en pétrole).
La guerre va durer trois ans. L’armée Ibo s’organise rapidement ; des
mercenaires sont recrutés pour former les troupes, et le général Ojukwu mène
même quelques incursions sur Lagos, la capitale. L’armée fédérale reste
cependant supérieure en hommes et en moyens ; après un an de guerre, elle
gagne du terrain et le Biafra, dont le territoire touchait alors l’Atlantique, se
retrouve alors encerclé. La guerre s’enfonce dans la guérilla, les pertes
186
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
importantes. En perdant son accès à la mer, le Biafra perd toute route
d’acheminement de nourriture et de renforts extérieurs. L’armée fédérale impose
alors un blocus économique et refuse toute aide humanitaire ; seul le pont
aérien permet de ravitailler le Biafra depuis l’île de Sao Tomé.
Au cœur de l’été 1968, le Biafra s’enfonce alors dans une situation de famine.
N’ayant plus assez de ressources pour nourrir plusieurs millions de personnes
qui se retrouvent dans un territoire minuscule, le Biafra se transforme en camps
d’affamés. Le CICR est alors la principale organisation humanitaire qui tente
d’acheminer vivres et médicaments ; d’autres organisations sont également
présentes, notamment les organisations caritatives religieuses, ainsi que les
missionnaires présents dans le pays depuis longtemps, particulièrement une
série de monastères tenus par des Pères irlandais. Mais lorsqu’un avion de la
Croix-Rouge est abattu par les Nigérians, le CICR se voit obligé de terminer ses
négociations juridiques pour obtenir l’accès au territoire biafrais par les
Nigérians. Les grandes puissances sont divisées et n’interviennent pas
directement. Si la Grande-Bretagne soutient le pouvoir fédéral, seule la France
soutient le Biafra en armes et en vivres. Etranglés par la famine qui a fait alors
environ un million de morts, les Biafrais capitulent le 11 janvier 1970.
La guerre civile du Cambodge (1975-1979)
La guerre civile du Cambodge, particulièrement sa phase entre 1975-1979, est
régulièrement présentée comme un génocide. Elle ne correspond en fait
juridiquement pas à la définition du génocide et ne fait en réalité pas partie des
trois génocides reconnus à ce jour (Arménie, Juifs et Rwanda). Une partie des
actes commis a tout de même été désignée comme crimes contre l’humanité.
Les faits sont liés à l’apparition d’un nouveau groupe d’aspiration communiste et
pro-Vietminh, ces guerrilleros vietnamiens qui se battent de l’autre côté de la
frontière contre l’impérialisme américain. Ce groupe s’appelle les « Khmers
rouges », apparus dans les années 1960. Ceux-ci se lancent dans un
mouvement de guérilla uni avec le roi cambodgien déchu et réfugié en Chine en
1970, Norodom Sihanouk. Après de multiples incursions sur le territoire
cambodgien, et malgré l’intervention américaine qui tente de couper la route aux
Khmers alors qu’eux-mêmes sont embourbés au Vietnam, les Khmers prennent
la capitale Phnom Penh le 17 avril 1975. Le Cambodge devient alors « Etat du
Kampuchéa démocratique », et leur leader Pol Pot devient Premier Ministre. Si
le régime en place reste toujours une monarchie, les Khmers rouges procèdent
à une véritable redistribution du pouvoir en adoptant un régime de terreur qui
vise à débarrasser la société cambodgienne de tout élément dissident ou
résistant à l’idéologie communiste. Les élites économiques et intellectuelles sont
massacrées, déportées, et les villes sont ainsi vidées de la plupart de leurs
habitants. Des camps de travaux forcés sont montés, dans lesquels on inculque
l’idéologie khmère aux récalcitrants. Au total, près de deux millions de
personnes auraient été victimes des Khmers dans ces purges.
La situation humanitaire et économique se détériore dans un pays qui a fermé
ses frontières et refuse tout contact avec l’extérieur, malgré les protestations de
la communauté internationale. En décembre 1978, les autorités vietnamiennes,
poussées par leurs alliés communistes de Moscou, décident d’intervenir
militairement. En janvier 1979, le Vietnam qui a réussi à repousser les Khmers,
Annexes
187
installe un nouveau régime communiste modéré sous le nom de République
populaire du Kampuchéa. C’est à ce moment que le monde réalise l’ampleur du
désastre humanitaire au Cambodge, par la masse de réfugiés qui se précipitent
aux frontières du pays, notamment dans des camps bondés sur la frontière
thaïlandaise. La situation empire dans le courant de l’été 1979, puisque près
d’un million de Cambodgiens se réfugient en Thaïlande, poussés par la famine
qui ravage alors le Kampuchéa. D’autres s’échappent par la mer sur des
bateaux de fortune, participant alors à l’exode des boat people, qui fuient aussi
les régimes communistes du Laos et du Vietnam, et pour lesquels une réponse
internationale autant humanitaire que politique (accorder l’asile à une partie
d’entre eux) est débattue à la fin de 1979. La jeune organisation humanitaire
MSF organise alors un événement médiatique : à bord d’un bateau baptisé
« L’Ile de Lumière », Bernard Kouchner et le philosophe français André
Glucksmann partent en mer de Chine porter secours aux bateaux des naufragés
sous l’œil des journalistes internationaux, attirant alors l’attention de la
communauté internationale sur le crime de non-assistance.
La guerre civile du Liban (1975-1990)
La guerre civile du Liban désigne le conflit intercommunautaire qui a déchiré le
pays entre 1975 et 1990. 17 communautés composent la pluralité religieuse de
la nation, dont onze communautés chrétiennes (dont l’une des plus importantes
sont les Chrétiens maronites) et six communautés musulmanes, parmi
lesquelles des druzes, des chiites et des sunnites. Depuis son indépendance en
1943, le pays reste marqué par des tensions religieuses entre les Libanais
chrétiens qui cherchent à se rapprocher des Occidentaux et qui constituent
parmi les classes les plus aisées du pays, et les musulmans qui se sentent plus
concernés par les événements entre Israël et les pays arabes. Le Liban est
directement concerné par le conflit israélo-palestinien puisqu’il héberge une
grande communauté réfugiée palestinienne depuis la création de l’Etat d’Israël
en 1948, ce qui aggrave la balance démographique entre chrétiens et
musulmans, ces derniers devenant majoritaires. L’Organisation de libération de
la Palestine (OLP), dirigée par Yasser Arafat, apparaît ainsi au Sud-Liban et
accentue les tensions militaires avec Israël. Ce sont les heurts entre les
chrétiens maronites conservateurs, les phalangistes, et les combattants
palestiniens, les feddayin, qui déclenchent la guerre civile en 1975. Elle démarre
suite à un épisode sanglant où vingt-sept habitants du camp palestinien de
Sabra sont exécutés dans un bus par des milices phalangistes, ce qui
déclenche l’affrontement armé des différents partis politiques.
Un cessez-le-feu est signé en 1976 après de violents affrontements dans
plusieurs grandes villes libanaises. Mais cela n’empêche pas les feddayin de
pénétrer régulièrement sur le territoire israélien pour commettre des attentats.
En réponse à ces attaques, l’armée israélienne déclenche cette fois l’opération
« Paix en Galilée » en juin 1982 en envahissant tout le Liban. Un nouveau
président maronite, Béchir Gemayel, est nommé sous la protection des
Israéliens ; c’est le fils du fondateur des phalangistes. Mais cette direction
politique ne plaît pas à la Syrie qui a des vues sur le pays, au vu de sa grande
communauté chiite ; elle s’oppose au traité de paix signé avec Gemayel et
pousse à la continuation de la lutte armée des combattants musulmans en
188
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
soutenant le Hezbollah chiite au sud du Liban. La terreur est présente par les
enlèvements ou attentats suicides commis par les commandos musulmans ou
les bombardements de l’armée israélienne qui font 30'000 morts parmi les
habitants de Beyrouth. Béchir Gemayel est assassiné et remplacé par son frère
Amine le 21 septembre 1982.
Entre le 16 et le 17 septembre 1982, plusieurs centaines de Palestiniens sont
massacrés par les milices phalangistes dans les camps de Sabra et Chatila,
responsables de l’inspection des camps en vue de l’évacuation possible des
réfugiés. Le massacre suscite un tollé dans la communauté internationale et
interroge sur la responsabilité de la chaîne de commandement, notamment au
sein de l’armée israélienne et son ministre de la Défense, Ariel Sharon. Malgré
cet incident tragique, plusieurs milliers de Palestiniens et l’OLP seront déplacés
vers la Syrie et la Tunisie. La FINUL, Force Internationale des Nations Unies au
Liban composée de soldats américains, français, italiens et anglais, entre en
scène en septembre 1982, pour superviser ce départ. L’année 1983 voit les
combats continuer entre musulmans et chrétiens, et la FINUL est victime de
plusieurs graves attentats qui font plusieurs centaines de victimes parmi les
soldats étrangers. En octobre 1983, le quartier général des Marines et le
quartier des parachutistes français sont détruits par des voitures piégées ; 239
Américains et 58 Français meurent sous les gravats. Ces attentats marquent le
début du désengagement de la force internationale, dont les derniers éléments
partent en avril 1984.
Après plusieurs cessez-le-feu et des ingérences syriennes et israéliennes, le
pays se réunifie et trouve la paix en 1990.
La famine éthiopienne (1984-1985)
Cette famine se déroule dans le cadre d’une guerre civile qui oppose le
gouvernement éthiopien d’origine marxiste, dirigé par Mengistu Hailé Mariam,
avec le Front de libération des peuples du Tigré au nord et avec le Front de
libération Oromo au sud. Dès 1983, les premiers signes de famine sont visibles
dans le nord du pays, dans un pays alors largement dépendant de ses revenus
agricoles. Au milieu de l’année 1984, dans un contexte aggravé par la
sécheresse et les combats sur la frontière érythréenne qui empêchent
l’acheminement des secours, la famine se durcit. Le gouvernement éthiopien se
révèle incapable de subvenir aux besoins de la population affamée, d’autant
plus qu’il entreprend alors une réforme agraire sur le modèle communiste. En
provoquant des déplacements forcés de populations d’agriculteurs du nord vers
des régions du sud, sans anticiper le manque de vivres et la sécheresse qui
s’aggrave, il provoque des milliers de morts. Cette politique veut rassembler les
agriculteurs autour de villages d’Etat pour les employer à la collectivisation
forcée ; mais les agriculteurs fuient par milliers et s’entassent dans des camps
de misère, dont le camp de Korem au nord du pays.
Bien que les organisations humanitaires présentes tentent d’alerter les médias
de la catastrophe humanitaire en devenir dès 1983, c’est un reportage de la
BBC diffusé le 23 octobre 1984 qui déclenche la vague de compassion
internationale. La communauté internationale s’organise alors pour envoyer des
centaines de tonnes de vivres ; c’est également la période faste de la charité-
Annexes
189
business, parmi laquelle les célébrités jouent un rôle important. Des groupes de
chanteurs (le Band Aid en Angleterre, Chanteurs sans frontières en France,
USA for Africa aux Etats-Unis) participent à la frénésie médiatique, suivie du
Live Aid le 13 juillet 1985, concert géant organisé en simultané à Londres et à
Philadelphie qui rassemblera plus de 1,5 milliards de spectateurs.
La quantité d’aide amenée sur place ne fait en réalité qu’entretenir la politique
menée par le gouvernement éthiopien, qui peut dorénavant bénéficier de l’aide
internationale pour nourrir sa population. Peu d’organisations critiquent cette
instrumentalisation de l’aide, à l’exception de MSF qui met en danger sa
neutralité en dénonçant les mouvements forcés de population. Son président
Rony Brauman, en prenant la parole publiquement, franchit ainsi la ligne entre
témoignage et dénonciation ; l’organisation est expulsée du pays en décembre
1985.
L’exode kurde (1991)
Le peuple kurde est disséminé entre l’est de la Turquie, le nord-est de l’Iraq et le
nord-ouest de l’Iran ainsi que l’ouest de la Syrie. De confession musulmane
sunnite, il lutte depuis plusieurs siècles pour la création d’un Kurdistan
ème
indépendant. Les révoltes au cours du 20
siècle furent nombreuses au sein
des différentes nations dont ils font partie ; les Kurdes sont donc victimes de
nombreuses exactions en représailles. Au sein de l’Iraq notamment, Saddam
Hussein a utilisé des gaz chimiques contre des populations civiles kurdes en
mars 1988.
Les militants kurdes pour l’indépendance, regroupés au sein du PKK, Parti des
travailleurs du Kurdistan, constituent une base de combattants contre les
autorités turques, iraniennes ou irakiennes. Ce sont les conséquences de la
Guerre du Golfe de 1991 et l’affaiblissement de l’armée irakienne qui relancent
les Kurdes d’Irak dans le combat armé contre Saddam Hussein, d’autant plus
que les Etats-Unis encouragent les minorités du pays au soulèvement. Les
Kurdes profitent du cessez-le-feu signé entre l’Irak et les Américains et se
lancent dans une guerre civile le 2 mars 1991. L’armée irakienne toutefois
nettement supérieure en hommes et en moyens inflige de sévères défaites à la
révolte kurde ; la population civile, alors terrorisée des représailles, fuit
massivement en direction des frontières turques et iraniennes, via des régions
montagneuses. Des milliers de personnes dont des femmes et des enfants se
retrouvent bloquées à la frontière turque en plein hiver, dans le froid et en haute
altitude, avec peu de moyens.
Le 5 avril 1991, l’ONU adopte alors la résolution 688 qui inaugure le « droit
d’ingérence humanitaire », en autorisant une force multinationale à apporter des
secours humanitaires à la population kurde. L’opération « Provide Comfort »,
composée essentiellement des Américains, Français et Anglais, consiste à
cheminer par voie aérienne des vivres et des abris aux Kurdes. Le 14 avril, une
zone de sécurité est mise en place au nord de l’Irak, sous contrôle américain.
Cette zone de sécurité signifie que la région est placée sous protection
américaine et qu’elle est interdite de vol aux avions irakiens.
190
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
La famine somalienne (1991-1993)
La famine somalienne est également la conséquence d’une guerre civile et d’un
vide politique qui déchirent le pays depuis les années 1980. Le président
somalien Siad Barre s’oppose en effet à un mouvement de rebelles somaliens
financés par l’Ethiopie qui s’accentue à la fin des années 1980. Différents clans
prennent alors les armes, et le pays passe sous contrôle des milices et des
chefs de guerre. L’un d’entre eux, le général Mohammed Farah Aideed, prend le
dessus en 1991. Siad Barre est destitué et le pays sombre alors en plein chaos ;
sans Etat fort, le pays est la proie des seigneurs de guerre et des milices qui se
font la guerre par appât du gain et pillage. Cette guerre clanique détruit la
plupart des centres urbains, l’ensemble des institutions politiques et les
ressources économiques ; quand surgit alors une sécheresse fin 1991 dans la
corne de l’Afrique, la population somalienne est particulièrement vulnérable. Les
quelques organisations humanitaires dans la région ont pourtant appelé à l’aide,
leurs réserves et leurs infrastructures étant régulièrement pillées par les milices,
ce qui empêche la distribution de vivres et de médicaments à la population
civile. Plusieurs milliers d’agriculteurs migrent pourtant vers la capitale
Mogadiscio en 1992, ce qui aggrave la vulnérabilité de la population.
Les organisations humanitaires sont partagées par un dilemme : soit rester mais
continuer à se faire piller et rançonner, parfois au péril de leur vie, sans parvenir
à acheminer l’aide à ceux qui en ont le plus besoin ; soit engager des
mercenaires pour protéger les infrastructures et les véhicules lors des
déplacements, ce qui risque de remettre en cause leur neutralité ; soit partir,
renonçant ainsi au principe d’assistance. La solution semble trouvée quand
l’ONU décide d’envoyer une force internationale sur place, l’ONUSOM, chargée
de protéger les secours. Ils ne peuvent avoir recours aux armes sauf s’ils sont
directement menacés. Cette force internationale se révèle relativement
impuissante à contrer les pillages et les exactions sur les civils et les
humanitaires ; plusieurs soldats sont même tués. Les Etats-Unis décident
finalement d’intervenir dans le pays en décembre 1992 en envoyant 25'000
Marines en Somalie. L’opération « Restore Hope », qui n’est pas sans évoquer
les opérations effectuées en faveur des Kurdes en 1991, est l’une des premières
opérations militaro-humanitaires de ce type ; elle est d’ailleurs fortement
médiatisée, plusieurs dizaines de journalistes attendant les Marines au moment
de leur débarquement sur la plage de Mogadiscio. Fondée sur le droit
d’ingérence, elle doit pacifier la région en désarmant les principaux clans et en
assurant le bon déroulement des opérations de secours et de reconstruction du
pays, favorisée par l’aide économique de la communauté internationale.
Cette opération se révélera néanmoins problématique, puisqu’il n’est pas aisé
aux Marines d’intervenir dans un contexte de guerre clanique où la population,
malgré l’aide amenée, leur est hostile. Il semble en effet difficile de concilier des
objectifs à la fois militaires et humanitaires. Le point culminant reste la défaite
militaire, le 3 et le 4 octobre 1993, des Marines à Mogadiscio. Alors que les
soldats américains sont envoyés dans la capitale pour capturer le général
Aideed, responsable de plusieurs accrochages avec l’armée américaine,
l’opération tourne court quand deux hélicoptères américains sont abattus sur la
ville. Les pilotes et les soldats encore en vie au moment du crash seront battus
à mort par la population et les milices, devant la caméra d’un jeune journaliste
Annexes
191
somalien qui diffusera par la suite sa bande sur les chaînes télévisées
internationales. L’opinion publique internationale voit ainsi en direct le lynchage
de jeunes soldats américains. Seul le pilote Michael Durant, gravement blessé,
sera gardé en captivité par les miliciens à la solde de Aideed pendant onze jours
avant d’être libéré après négociation avec l’ambassadeur américain Robert
Oakley. Cette opération signe toutefois la fin de l’intervention américaine en
Somalie ; effrayé par la perte de 19 soldats dans la bataille et par la peur d’un
nouveau « Vietnam », Bill Clinton ordonne le désengagement progressif des
troupes. Les derniers soldats américains quittent la Somalie en mars 1995.
La guerre de Bosnie (1992-1995)
A la mort du maréchal Tito en 1980, la Yougoslavie entre dans une ère de
tensions exacerbées par la diminution du pouvoir central et les revendications
nationalistes des différentes minorités, dont les Serbes et les Croates. En 1989,
un nationaliste serbe, Slobodan Milosevic, est alors élu président en Serbie.
Celui-ci n’aura de cesse d’encourager les velléités nationalistes autour de l’idée
d’une « Grande Serbie », dans le fantasme d’une nation serbe qui serait
« ethniquement pure », c’est-à-dire débarrassée de ses minorités musulmanes.
L’indépendance des Républiques de Slovénie et de Croatie sont proclamées le
25 juin 1991, puis celle de la République de Macédoine le 8 septembre 1991.
Alors que Milosevic entend préserver le pouvoir central en maintenant une
fédération yougoslave, la guerre se déclenche entre les troupes fédérales
serbes et la Croatie. La guerre dure sept mois, jusqu’au cessez-le-feu en janvier
1992 où la Croatie perd un tiers de son territoire. Entre 1991 et 1992, la BosnieHerzégovine se déchire entre la minorité serbe, qui souhaite rester dans la
fédération et qui a créé une « République des Serbes de Bosnie-Herzégovine »
en octobre 1991 sous la présidence du leader serbe Radovan Karadzic, non
reconnue par le gouvernement officiel ; les Croates de leur côté ont fondé
« l’Union croate de Bosnie-Herzégovine ». L’indépendance de la BosnieHerzégovine, plébiscitée par référendum en 1991, est finalement reconnue par
la communauté internationale en 1992. La Serbie envahit alors la Bosnie le 6
avril, aux côtés des milices serbes de Bosnie dirigées par le chef militaire Radko
Mladic.
La « purification ethnique » en œuvre, qui consiste à déporter les populations
non désirées des territoires que l’on veut unifier, implique des mouvements
massifs de la population bosniaque musulmane. Des atrocités sont aussi
commises par Serbes et Croates, notamment de nombreux massacres sur des
civils, des viols ainsi que la création de camps d’internement où les conditions
de détention sont extrêmement sévères (malnutrition, exécutions, tortures). Au
cours de l’année 1992, les Serbes parviennent à contrôler une large majorité du
territoire bosniaque. La communauté internationale et l’ONU interviennent alors
de manière modérée, en imposant des embargos économiques sur la Serbie.
Les casques bleus de la FORPRONU envoyés en 1992 sont particulièrement
démunis devant le siège de Sarajevo, puisque les Serbes qui entourent la ville
refusent de laisser passer les convois de secours à la population affamée qui vit
sans eau et électricité sous le feu des snipers. Ce n’est qu’en 1993 que l’ONU
vote une résolution qui permet aux casques bleus de riposter ; en mai 1993 des
zones de sécurité sous contrôle de la FORPRONU sont établies à Sarajevo et
192
La mémoire symbolique de la souffrance: représenter
l’humanitaire dans la presse magazine américaine et française
(1967-1994)
sur d’autres villes bosniaques qui vivent le même enfer que Sarajevo, dont
Srebrenica. A la même période, le Tribunal pénal international pour l’exYougoslavie est également créé, et des émissaires commencent à compiler les
preuves sur les crimes de guerre.
Malgré plusieurs tentatives pour des négociations de paix, les propositions de
découpage de la Bosnie-Herzégovine sont systématiquement refusées par les
Croates et les Serbes qui ne veulent pas de la partition de la Bosnie. La
communauté internationale se refuse toujours à intervenir militairement dans le
conflit ; toutefois, l’explosion d’un obus sur le marché de Markale à Sarajevo le 5
février 1994 (qui fait plus d’une soixantaine de morts), pousse l’Otan à ordonner
des bombardements sur les troupes serbes autour de la ville. L’étau se
desserre, en même temps qu’un cessez-le-feu est accepté. Les combats
continuent néanmoins entre troupes croates, serbes et bosniaques ; au cours de
juillet 1995, plusieurs milliers d’hommes bosniaques musulmans de la ville de
Srebrenica sont tués par les troupes serbes de Radko Mladic et des unités
paramilitaires, constituant l’un des plus gros massacres de la guerre. La paix est
finalement acceptée avec les accords de Dayton signés en novembre 1995, qui
provoquent la partition de la Bosnie-Herzégovine entre une Fédération croatomusulmane et une République serbe.
Le génocide rwandais (1994)
Bien qu’il ait obtenu son indépendance en 1961, le Rwanda reste profondément
divisé entre l’ethnie Hutu et l’ethnie Tutsi. Sous la colonisation belge, les Tutsis,
d’origine guerrière, occupent en effet des postes importants dans
l’administration coloniale, par rapport aux Hutus, composés plutôt d’agriculteurs.
Les violences ethniques restent manifestes dans les années 1970, jusqu’à la
prise de pouvoir par le hutu Juvénal Habyarimana, qui instaure alors un régime
autoritaire. En octobre 1990, le Front Patriotique Rwandais (FPR) composé de
Tutsis réfugiés hors du Rwanda, notamment en Ouganda, passe à la lutte
armée pour reconquérir le pouvoir. La guerre civile dure trois ans, durant
lesquels la France défend ses intérêts diplomatiques et stratégiques dans la
région en envoyant une force armée de 600 hommes pour veiller sur ses
ressortissants et tenter de négocier la paix entre les deux factions. La MINUAR
prend la place des Français en octobre 1993.
C’est l’assassinat du président Habyarimana le 6 avril 1994 qui déclenche le
génocide. Son avion, qui transporte aussi le président burundais, est abattu audessus de Kigali. Les rumeurs font état d’extrémistes hutus qui jugent
Habyarimana trop ouvert à la conciliation avec les Tutsis. Les troupes
gouvernementales, aidées par les milices hutues Interhamwe, bloquent alors la
capitale et le massacre de milliers de Tutsis est lancé. Encouragés à la haine
par des membres extrémistes du régime et la Radio des Milles Collines, ces
milices tuent aussi les Hutus modérés. La MINUAR reçoit l’ordre de n’évacuer
que les ressortissants occidentaux. Ce n’est qu’en mai 1994 que l’ONU décide
d’envoyer 5500 casques bleus supplémentaires ; la France décide également
d’intervenir militairement. L’opération « Turquoise » est déclenchée le 23 juin
1994 avec l’arrivée des parachutistes français sur les zones frontières du
Rwanda. Ils ont pour mission d’assurer des zones de sécurité pour les civils
Annexes
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tutsis qui fuient les massacres, mais également pour les civils hutus qui fuient
les représailles du FPR qui gagne du terrain sur le pouvoir hutu.
La population qui échappe au massacre se précipite alors aux frontières
ougandaises, burundaises et zaïroises. Le flot de réfugiés est incessant pendant
les deux mois que dure le génocide, de début avril à mi-juin 1994. Entre 500'000
et un million de personnes seront victimes des massacres. Au début de l’été,
dans les camps de réfugiés bondés, dont celui de Goma à la frontière
congolaise qui abrite plus de 600'000 réfugiés, les conditions de vie miséreuses
provoquent l’apparition de maladies infectieuses, dont le choléra. C’est le début
d’une opération humanitaire d’envergure durant l’été 1994, qui pose néanmoins
des problèmes éthiques aux humanitaires. En effet, une partie des génocidaires
s’est mêlée aux réfugiés et bénéficie de l’aide dans les camps ; les massacres
se perpétuent même au sein de certains camps. La fin de la guerre le 17 juillet
1994 avec la victoire du FPR et l’établissement d’un nouveau gouvernement
tutsi ne calment pas les choses. Il faut alors penser au retour de quatre millions
de réfugiés dans un pays complètement désorganisé, dans des communautés
détruites, pour lesquelles la peur de massacres et de représailles reste présente
bien longtemps après la fin du génocide. Un tribunal pénal international pour le
Rwanda est d’ailleurs mis en place par l’ONU en 1994 pour juger les criminels
de guerre, dont le nombre s’élèverait à plus de 100'000.