Les gratuits : presse au rabais, concurrence déloyale et mauvais
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Les gratuits : presse au rabais, concurrence déloyale et mauvais
Mémoire de fin d’études présenté par Sophie ALLARD Directeur : M. Olivier Baisnée Les gratuits : presse au rabais, concurrence déloyale et mauvais journalistes ? Etude empirique de 20 Minutes Toulouse Année universitaire 2009-2010 Cinquième année du diplôme de l’IEP 2 ter, rue des Puits Creusés 31000 Toulouse R EMERCIEMENTS Je remercie en premier lieu mon directeur de mémoire, Olivier Baisnée, pour l’aide qu’il m’a apportée dans la définition de mon sujet, mais aussi pour les cours de sociologie du journalisme qu’il a dispensés à l’IEP qui ont été l’occasion pour moi d’approfondir la vision sociologique de ce microcosme social. Je tiens également à remercier la rédaction toulousaine du 20 Minutes, Hélène Ménal et Béatrice Colin qui sont à l’origine de mon intérêt pour le milieu journalistique. A la fois leur professionnalisme lors de mon stage, ainsi que leurs réponses à mes entretiens et questions m’ont permis de mener à bien mon projet d’étude. Enfin, je souhaite remercier toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont pu participer à ce mémoire. AVERTISSEMENT L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteure. SOMMAIRE Remerciements .................................................................................................................. Avertissement .................................................................................................................... Sommaire…………………………………………………………………………………. Chapitre introductif ........................................................................................................ 1 I Présentation et justification du thème de recherche .................................... 2 II Présentation de 20 Minutes ......................................................................... 7 III Problématique............................................................................................ 12 Chapitre 1....................................................................................................................... 15 Le secteur journalistique français ............................................................................... 15 I Socio-histoire du journalisme français ...................................................... 16 II La crise de la presse et la problématique des gratuits en France ............... 22 Chapitre 2....................................................................................................................... 34 Les effets structurels du système économique de la presse gratuite ......................... 34 I) Le modèle économique ............................................................................. 35 II) Des contraintes en termes de contenu et d’organisation ........................... 41 III) Modes de légitimation et position des journalistes ................................... 50 Chapitre 3....................................................................................................................... 54 Travail journalistique et réception du produit : étude empirique de 20 Minutes Toulouse ......................................................................................................................................... 54 I) Recherche et choix de l’information à traiter ............................................ 55 II) Le traitement des sujets ............................................................................. 61 III) Lectorat et réception : enquête .................................................................. 64 Conclusion ...................................................................................................................... 79 Annexes ............................................................................................................................ I Bibliographie............................................................................................................XXIX Mots clefs ...............................................................................................................XXXIII Table des matières………………………………………………………….……XXXIV CHAPITRE INTRODUCTIF Dans ce premier chapitre, il s’agira en premier lieu de présenter le thème de recherche choisi, la presse gratuite en général et 20 Minutes Toulouse en particulier, tout en justifiant ce choix. Ensuite, préalablement à toute analyse, nous décrirons la démarche sociologique mise en œuvre afin d’obtenir les résultats présentés dans cette étude. Après une présentation de l’entreprise 20 Minutes, nous détaillerons la problématique, les hypothèses de travail ainsi le plan de ce mémoire. 1 I P RESENTATION ET JUSTIFICATION DU THEME DE RECHERCHE L’ OBJET DE LA RECHERCHE : A) 20 M INUTES T OULOUSE Ce mémoire traite de la presse gratuite au travers de l’étude de l’un des quotidiens gratuits d’information générale à déclination locale les plus anciens de la ville de Toulouse, 20 Minutes. Plusieurs axes et questionnements ont guidé ce travail de réflexion : - La presse gratuite a-t-elle une part de responsabilité dans la crise de la presse payante ? - Le mode de financement de 20 Minutes influence-t-il le contenu rédactionnel et l’organisation du travail des journalistes ? - Quelle est la place de la publicité dans les pages de ce quotidien gratuit ? - Le travail des journalistes du quotidien 20 Minutes est-il comparable à celui des autres journalistes de titres payants ? - Comment et par qui ce journal est-il lu ? Il s’agira en effet d’analyser les manières de faire dans cette rédaction. Comment est construit un article ? Comment se fait la recherche d’informations ? Y’a-t-il un type de traitement des sujets spécifique à la presse gratuite ? Le financement par la publicité a-t-il des conséquences sur le choix et le traitement des sujets ? 20 Minutes est entièrement financé par la vente d’espaces publicitaires, ce qui induit un prix nul pour l’acquisition de ce bien par le lecteur. Quels est donc le modèle économique qui sous tend et rend possible une telle situation ? Ce modèle économique met-il en danger les autres titres de presse payante ? D’autre part, je souhaite également aborder le rapport aux sources de l’information. Il s’agit ici de se poser la question des moyens mobilisés afin d’obtenir une information. Quelle technique est employée par cette rédaction de presse gratuite à Toulouse, se distingue-t-elle 2 des techniques utilisées dans la presse payante ? Les réseaux sociaux, les sources institutionnelles ou institutionnalisées, les dépêches d’agence, les articles d’autres journaux, les « bruits de couloirs », l’investigation, sont autant de manières d’avoir accès à des informations qui font le journal. Lesquelles sont les plus mobilisées par ces journalistes ? Enfin, je souhaite également aborder la question du lectorat. Dans quelle mesure peutil être influencé par cette gratuité ? Qu’est-ce qui pousse le lecteur à lire un gratuit, 20 Minutes en particulier ? Les lecteurs de la presse gratuite lisent-t-ils aussi des titres payants, utilisent-ils d’autres sources d’information ? Que lisent-ils exactement au sein des ces journaux ? Cependant, pour réfléchir à toutes ces questions, il est impératif de situer d’abord les journalistes et le titre pour lequel ils travaillent dans le champ journalistique et dans les champs connexes, c'est-à-dire les champs économique et politique. Ainsi, nous nous attacherons à observer le type de hiérarchisation interne aux rédactions, les rapports entretenus avec les collègues d’autres titres payants, les possibilités de carrière et la mobilité des journalistes issus de la presse gratuite. Nous verrons aussi quels moyens met en œuvre cette rédaction de presse gratuite afin de légitimer à la fois son travail aux yeux de ses pairs et de leurs titres respectifs. B) P OURQUOI ? Le choix de mon sujet de mémoire s’est porté directement le domaine journalistique car je porte à ce milieu un intérêt particulier, tant du point de vue sociologique que professionnel. La presse gratuite est largement dénigrée par le lectorat de titres payants, particulièrement par les milieux intellectuels et journalistiques classiques. Elle a les caractéristiques de la « basse culture » pour reprendre les termes des Cultural Studies : son public est important, elle n’est pas vecteur de profits de distinction, la fraction dominante de la société n’est pas la seule lectrice et le marché est donc large pour un produit qui n’a pas de coût de production très élevé et qui ne demande pas une lecture ou une interprétation esthétique. Dans les amphithéâtres, on le lit ouvertement « pour les mot-fléchés », « pour l’horoscope », « pour les sorties » ou « pour le programme télé de la soirée », c’est-à-dire pour un contenu somme toute assez éloigné de la production journalistique en tant que telle. 3 Cette production journalistique est d’ailleurs aussi ouvertement dépréciée que la partie loisir et divertissement est appréciée. On accuse la partie rédactionnelle des journaux gratuits comme Métro ou 20 Minutes de s’inspirer trop largement des dépêches d’agences, de ne faire que de la reprise d’information sans aucune analyse et de faire trop souvent la place au conventionnalisme. Pour autant, 20 Minutes est depuis 2007 le quotidien le plus lu en France. Dans une étude de lectorat, réalisée sur l’année 2008-2009 par l’institut de sondage TNSSofres, 20 Minutes devançait ainsi Métro avec plus de 2 745 000 lecteurs par jour contre 2 534 000, et L’Equipe prenait la troisième place avec 2 400 000 lecteurs par jour1. Tableau mis à disposition sur le site 20 Minutes Médias Si les sondages ne permettent pas de mettre à jour les pratiques de lecture et donc de savoir si le journal est vraiment lu ou pas, cela permet tout de même de donner un ordre d’idée de la pénétration des quotidiens gratuits dans la population française. Il est donc indéniable qu’un grand nombre d’individus feuillète quotidiennement l’un des deux quotidiens gratuits, 20 Minutes ou Métro, qui pourtant, selon certains individus, sont de véritables représentants de « la presse au rabais » que l’on se doit de « mettre à la poubelle ». Mais est-ce vraiment le cas, le caractère gratuit est-il vraiment le seul intérêt de ces publications ? 1 Etude EPIC 2008. 4 Durant plus de quatre mois, d’octobre 2007 à février 2008, j’ai pu découvrir lors d’un stage le fonctionnement interne de la rédaction toulousaine du 20 Minutes. Je m’y suis rendue avec quantité d’a priori concernant la médiocrité du contenu publié. Mais ce stage a en réalité été l’occasion de mettre un premier pas dans le milieu journalistique, et m’a poussée à m’intéresser de plus près aux pratiques qui ont cours dans ce champ d’activité. Beaucoup de mes préjugés sont tombés tandis que je me suis heurtée aux réalités du travail dans cette rédaction. Le fait d’avoir travaillé dans une rédaction de presse gratuite, d’avoir côtoyé des journalistes de presse payante lors de différents stages et entretiens sociologiques, des journalistes de presse gratuite, des lecteurs de tous types de journaux et de souhaiter travailler plus tard dans le milieu journalistique, m’ont poussée à vouloir analyser de plus près le monde de la presse gratuite du point de vue local et toulousain. C) Q UELLE DEMARCHE SOCIOLOGIQUE ? Comme expliqué ci-dessus, j’ai réalisé un stage de quatre mois au sein de la rédaction toulousaine du 20 Minutes qui m’a permis d’appréhender le type de travail fourni par des journalistes de presse gratuite. Parallèlement, j’ai aussi rencontré des journalistes de divers titres régionaux ou nationaux avec lesquels j’ai pu avoir des discussions au sujet du journalisme et de la presse gratuite. Je souhaite donc mobiliser dans un premier temps les ressources que j’ai pu accumuler lors de ma troisième année de mobilité professionnelle à l’IEP de Toulouse. Je m’appuierais donc sur mon expérience personnelle dans une rédaction de presse gratuite et sur les relations que j’ai pu observer sur le terrain entre journalistes issus de milieux différents. D’autre part, ce mémoire a aussi été l’occasion de rencontrer divers journalistes ou responsables de rédactions, pour réaliser des entretiens sociologiques me permettant de mieux analyser les pratiques journalistiques. Trois de ces entretiens figurent en annexe : celui avec Yann Bouffin, celui avec les deux journalistes du 20 Minutes Toulouse ainsi que celui avec Sylviane Beaudois, car ce sont les plus parlants et les plus complets. En effet, Yann Bouffin est rédacteur en chef de La Dépêche du Midi depuis deux ans (il était reporter pour ce même journal depuis 1998), il a commencé à la radio sur Paris puis a été journaliste à Libération. Avant de travailler à La Dépêche du Midi, il était rédacteur en 5 chef des Clefs de l’Actualité. De son côté, Sylviane Beaudois a commencé sa carrière de journaliste il y a environ 30 ans, à Paris en presse économique. Elle a travaillé à la Tribune puis à Milan Presse à Toulouse. De 2000 à 2002, elle s’occupait du titre Tout Toulouse pour Le Monde, puis, de 2002 à 2006, elle est revenue à Paris pour être journaliste au Monde. Elle enseigne à l’IEP de Toulouse dans le parcours journalisme depuis 2004 et s’occupe du journal Satiricon. Elle est également présidente de l’AJT (Association des journalistes de Toulouse). Béatrice Colin et Hélène Ménal sont les deux journalistes en poste à 20 Minutes Toulouse. Elles ont toutes les deux une licence d’histoire et sont toutes les deux diplômées de l’EJT (Ecole de Journalisme de Toulouse). Elles ont ensuite travaillé à la Dépêche du Midi et à Dépêche Mag, avant d’être embauchées à 20 Minutes Toulouse dès la création du journal dans la Ville rose en 2004. Par ailleurs, j’ai poursuivi cette observation du milieu de la production d’information par deux autres stages à Dépêche Mag, au pôle économique et au pôle magazine. Me trouvant dans les locaux de La Dépêche du Midi, j’ai pu également rencontrer des journalistes de presse quotidienne régionale et discuter avec eux du sujet de mon mémoire. Les piges que j’ai réalisées, à Toulouse Mag et pour le magazine Elle m’ont aussi permis de peaufiner ma connaissance professionnelle et mon analyse sociologique du champ journalistique. Ensuite, j’ai réalisé des enquêtes de lectorat, quantitatives et qualitatives qui me permettront d’analyser les pratiques de lectures s’agissant du 20 Minutes. La publicité étant une des caractéristiques des titres de presse gratuite, je m’attarderai aussi à étudier le volume et les tarifs des publicités contenues dans le 20 Minutes dans une perspective comparative. 6 II P RESENTATION DE 20 M INUTES A) E N F RANCE 20 Minutes est un quotidien gratuit qui existe en France, en Espagne et en Suisse où il a été lancé en 1999. 10 ans plus tard, en 2009, le journal existait en 30 éditions papier, les trois pays confondus. Le Président de 20 Minutes France est Pierre-Jean Bozo. Le capital de ce quotidien est détenu à 50% par le groupe Ouest-France (par le biais de ses filiales Spir Communication et Sofiouest qui détiennent un quart du capital chacune) et à 50% par le groupe norvégien Schibsted. Le format du 20 Minutes est le « demi-berlinois ». Le journal est donc à peine plus grand qu’un A4 et est également agrafé, pour faciliter la lecture. Ceci s’explique par son mode de distribution : il est le plus souvent mis à la disposition des usagers des transports en commun. On retrouve ici deux outils marketing : le chrono marketing et le géomarketing. Le chrono marketing permet d’optimiser les horaires de distribution en fonction des objectifs de ciblage : les gratuits ne sont distribués que cinq jours sur sept de 7h à 10h. Le géomarketing est quant à lui un outil d’optimisation dans la sélection des points de distribution. Le choix de ces emplacements résulte des conclusions d’études sociodémographiques afin d’être en adéquation avec la cible visée par les gratuits. Les actualités sont principalement développées par 85 journalistes en contrat et au total 120, pigistes, photographes et correspondants étrangers compris. On dénombre aujourd’hui huit éditions qui correspondent selon 20 Minutes à « huit agglomérations majeures, prioritaires en termes de bassin de population et d’activité économique »2. Ces villes sont les suivantes : - Paris (édition lancée en mars 2002) ; - Lille, Marseille et Lyon (éditions lancées en février 2004) ; - Bordeaux et Toulouse (éditions lancées en septembre 2004) ; - Strasbourg (édition lancée en septembre 2005). 2 Site commercial de 20 Minutes : 20 Minutes Media – Distribution. 7 L’organisation de cette entreprise est décentralisée, c'est-à-dire que chaque antenne locale est détachée mais dépendante du siège de la rédaction à Paris. La rédaction parisienne a pour charge de vérifier les sujets des articles et leur contenu. Les journalistes des « locales » sont généralement trois par rédaction (deux journalistes généralistes et un journaliste sportif). Ils sont partiellement indépendants dans le sens où aucune personne physique ne les supervise sur leur lieu de travail. Ceci leur permet de gérer leur quotidien de la façon dont ils le souhaitent et d’être continuellement à proximité des sources3 d’informations tout en connaissant bien le terrain. En contrepartie, la hiérarchie peut intervenir à tout moment pour imposer un sujet sans connaissance préalable du terrain. Nous reviendrons sur ce point quand nous évoquerons l’organisation de 20 Minutes. Le journal est également disponible en version électronique sur le site Internet 20minutes.fr depuis mars 2007, qui figure en cinquième position des sites français d’information4. Reprenant la plupart des articles de la version papier, ce site propose un suivi en continu de l’actualité alimenté par des dépêches et des articles ainsi que des compléments multimédia au journal (diaporamas, sons, vidéos, liens…). Par ailleurs, il permet également la participation du lecteur qui a la possibilité de réagir sur les sujets développés par de simples commentaires ou par la création de blogs. B) A T OULOUSE La rédaction toulousaine du quotidien 20 Minutes est composée de deux journalistes (la partie sportive étant prise en charge par un journaliste de La Dépêche du Midi). Elles travaillent la plupart du temps de 9h00 le matin à 21h30 le soir et se relaient un weekend sur deux. Elles sont parfois secondées par des pigistes. Cependant, cette possibilité reste très limitée car l’enveloppe mensuelle dédiée à ce type d’externalisation a été drastiquement réduite depuis 2007. La Direction a cependant récemment accepté de faciliter le travail des journalistes en leur allouant des moyens supplémentaires. Rappelons qu’en 2008, 20 Minutes France a dégagé un résultat opérationnel positif pour la première fois de son histoire, les 3 Le terme de « source » est mal adapté à la signification qu’il recouvre car il présuppose que l’information est unidirectionnelle, or, le journaliste ne peut obtenir que l’information qu’on lui donne mais il peut aussi provoquer le processus et la « source » peut aussi livrer des informations en fonction des luttes internes au champ auquel elle appartient. Pour autant, pour plus de simplicité, nous utiliserons tout de même ce mot pour désigner ce type d’agents (individus ou organisations). 4 Résultats d’août 2007 de l’institut de mesures d’audience Nielsen Net Ratings 8 bénéfices enregistrés par le quotidien ayant compensé les pertes des activités internet 5. Forte de ce succès, la direction de 20 Minutes a pris la décision d’embaucher deux photographes pigistes par rédaction début 20106. L’organisation du travail au sein de la rédaction toulousaine obéit à certaines routines intégrées par le personnel. La journée commence avec la revue de presse. Un tour des quotidiens locaux (Métro et La Dépêche du Midi) couplé au visionnage des journaux télévisés (TLT, France 3), permet aux journalistes de voir quelles informations ont été traitées et de quelle manière. Rapidement, il est possible de se rendre compte si la rédaction a fait « un ratage » ou pas. Ensuite, l’équipe rédactionnelle passe à la consultation des mails, contenant des communiqués de presse et les fils d’actualité de l’AFP, puis des fax. Avec l’agenda, ceuxci constituent une banque de données d’informations nécessaire et d’un volume important. Avec les informations collectées antérieurement et les mails du jour, le « menu du jour » est élaboré sur la base du « pré-menu » établi la veille. En cours de journée, ce « menu » peut évoluer à l’initiative des journalistes toulousaines ou de la rédaction parisienne qui se réserve le droit de supprimer ou de commander un article sur un sujet précis, parfois au dernier moment. L’équipe de Toulouse se rend alors sur les différents lieux de reportage et passe les appels téléphoniques nécessaires à l’écriture des articles. En fin d’après-midi, elles commencent à rédiger les papiers qui seront publiés le lendemain après une relecture minutieuse de la part des secrétaires de rédaction basés à Paris. Enfin, les pages relues et éditées en format PDF sont renvoyées à leurs auteurs respectifs pour une dernière vérification puis envoyées à l’imprimeur. Selon l’entreprise, à Toulouse, 42 800 exemplaires7 de ce quotidien sont distribués chaque jour. 5 Voir le blog de Jean-Marc Morandini : http://www.jeanmarcmorandini.com/article-23859-13h38-20minutes-rentable-pour-la-premiere-fois-en-2008.html 6 L’embauche des photographes fait actuellement débat à 20 Minutes car les photographes devraient accepter une clause d’exclusivité qui leur ferait perdre une grande partie de leurs revenus actuels. 7 Statistiques de l’OJD, mai 2008. 9 Source : site commercial de 20 Minutes : 20 Minutes Média. L’édition de Toulouse est organisée comme suit, elle varie entre une vingtaine et une trentaine de pages selon la période de la semaine et le volume des encarts publicitaires : - Une « une » adaptable à l’actualité locale ; - Trois pages « Grand Toulouse » dédiées à l’actualité de la ville et de ses environs. Cette partie est rédigée par les journalistes de la rédaction toulousaine et a été augmentée d’une page au courant du mois de novembre 2008 ; - Deux à quatre pages « France » pour les informations nationales ; - Une à deux pages « Monde » ; - Une page « Economie » (parfois, cette rubrique est absente) ; - Deux pages « Emploi » pour les petites annonces d’entreprises ; - Une à deux pages « Culture » (parfois cette rubrique est absente); - Une page « Guide Toulouse » où sont développées par La Dépêche du Midi les activités culturelles de l’agglomération ; - Une page « Pause » avec les mots fléchés, le sudoku et l’horoscope ; 10 - Une page « Programme TV » ; - Une page « High-tech » ou « Net » ; - Une page « People » ; - Une page « Shopping » (parfois, cette rubrique est absente) ; - Une page « Cinéma » (uniquement le mercredi) ; - Une page « Revue de presse » (uniquement le jeudi) ; - Une à deux pages sur la « TV » ou les « Médias » ; - Une page « Immobilier » (parfois, cette rubrique est absente) ; - Une page « Toulouse Sport » rédigée par un journaliste de La Dépêche du Midi ; - Une à deux pages nationales « Sport ». Il faut cependant remarquer que le rubriquage est assez strict pour la partie qui concerne les informations (locales, nationales, internationales, économiques et sportives) tandis que la dernière partie est plus souple, des rubriques apparaissant ou disparaissant selon les éditions. En effet, les pages « High-tech », « Net » ou « Médias » ne sont, par exemple, pas forcément éditées tous les jours. Il arrive aussi qu’une des rubriques disparaisse pendant plusieurs semaines et réapparaisse ensuite, souvent après que la direction a reçu des plaintes de la part de lecteurs. 11 III A) L ES P ROBLEMATIQUE GRATUITS : PRESSE AU RABAIS , JOURNALISTES ET CONCURRENCE DELOYALE MAUVAIS ? L’apparition des quotidiens gratuits ne s’est pas faite en France sans douleurs. Dès leur mise sur le marché, ces journaux ont dû faire face aux réticences de certains et à l’agressivité de ceux qui se sont vus anéantis par ce qu’ils ont appelé une « concurrence déloyale ». De plus, ces quotidiens entrent sur le marché à un moment où tout le secteur de la presse traverse une période difficile. Depuis 1980, les signaux d’alarme se sont multipliés pour les quotidiens Français ; cette année là, seuls Le Figaro et Les Echos ne sont pas déficitaires. La presse quotidienne payante subit une lourde crise du lectorat accompagnée d’une baisse des recettes publicitaires qui devient actuellement inquiétante pour le maintien de certains titres. Plusieurs journaux se retrouvent dans une situation critique où les recettes dues aux ventes et à la publicité ne suffisent plus à couvrir la masse salariale. Parallèlement, les quotidiens gratuits souffrent d’une bien mauvaise réputation. On les taxe souvent d’être « faits de reprises de dépêches d’agence » et de ne « jamais faire de reportages », ou de proposer un « contenu médiocre sans aucune analyse, sans mise en perspective ». En définitive, les gratuits sont souvent vus comme des journaux « d’amateurs » en proie aux intérêts privés des annonceurs qui les financent. Cependant, au-delà des nombreuses critiques faites à ce type de presse, ces quotidiens n’en restent pas moins un moyen d’information pour des millions de lecteurs français, comme nous avons pu le constater plus haut. Dès lors, on peut se demander si les reproches formulées à l’égard des quotidiens gratuits, 20 Minutes en particulier, sont justifiées par l’analyse sociologique. Il s’agira donc de comprendre dans quelle mesure un contenu journalistique peut être produit pour un journal qui ne se vend qu’aux annonceurs. Parallèlement, nous tenterons de comprendre en quoi la gratuité peut influencer la réception de ce type de produit par le lectorat. 12 B) H YPOTHESES DE DEPART Voici les hypothèses de départ qui ont guidé mon travail de recherche : - Une expérience de quatre mois dans l’antenne locale d’un quotidien gratuit 20 Minutes permet de lever le voile sur des suspicions parfois infondées. Ainsi, il semblerait que les journalistes qui travaillent à la production de ce journal travaillent de façon assez semblable à celle de leurs confrères à la production de l’information. Leur activité, du moins au niveau local, resterait celle d’un journaliste de presse quotidienne régionale. - Cependant, les journalistes de presse quotidienne gratuite semblent aussi être rejetés par leurs confrères de titres payants car ils sont considérés comme non légitimes, tandis que le journal auquel ils appartiennent fait figure de repoussoir. Les journalistes qui travaillent dans des gratuits doivent donc trouver des façons de se légitimer et de légitimer le support pour lequel ils travaillent. - D’autre part, les critiques de la profession correspondraient notamment à une crainte de la part des journalistes de la presse payante de voir fuir leur lectorat vers ces nouveaux titres gratuits. Il semble néanmoins difficile de rendre responsables les quotidiens gratuits d’information de la crise de la presse, si ce n’est par la prise de parts de marché publicitaire. - Par ailleurs, le fort pourcentage de pages de publicité et le mode de financement du journal ne semble pas être pas synonyme d’une instrumentalisation de la part des annonceurs. Les détracteurs de ce type de presse paraissent donc se tromper lorsqu’ils pensent qu’un ou plusieurs annonceurs peuvent faire pression sur la rédaction pour la publication ou la non publication d’une information guidée par des intérêts privés. - Enfin, la gratuité semble avoir un effet sur le lectorat et les pratiques de lectures diffèrent de celles que l’on observe dans la presse payante et le journal n’est pas forcément lu dans une optique informationnelle. Nous tenterons de voir si ces cinq hypothèses sont vérifiées par l’analyse. 13 C) P LAN Nous nous proposons donc ici de construire la réflexion autour d’un thème précis qui se dégage à la fois de l’expérience personnelle, des lectures effectuées en vue de mieux comprendre le secteur journalistique, ainsi que des différents entretiens réalisés. Il s’agira donc de mettre en perspective les problématiques posées par la presse gratuite en s’appuyant sur des recherches sociologiques et des expériences personnelles au sein de ce type de presse. Le choix ici s’explique par la nécessité de revenir sur certains des aspects qui constituent le contexte dans lequel évolue la presse en général. Pour bien cerner les enjeux de ce secteur d’activité, le contexte et le milieu dans lesquels évoluent les journalistes, il semble nécessaire de bien définir le secteur. En effet, en se basant sur les travaux de sociologie et d’histoire du journalisme, nous nous attacherons dans une première partie à présenter ce secteur tout en mettant en perspective les gratuits et la crise de la presse écrite en France. Ensuite, il s’agira de revenir sur l’influence du système économique de la presse gratuite d’information. Même si le journalisme de presse gratuite ne semble pas être un « nouveau journalisme » différent de celui de la presse payante, il est nécessaire préciser qu’il existe des particularités inhérentes à la gratuité de ce quotidien. Ainsi, son contenu diffère tout de même de celui de ses confrères de la PQR8, tout comme l’organisation du travail dans les rédactions et le mode de légitimation des journalistes. Le support et l’organisation de l’entreprise induisent donc certaines particularités qu’il faut à juste titre souligner. Enfin, l’observation participante et les différents entretiens réalisés permettront de rendre compte du travail fourni par les journalistes de 20 Minutes en prenant en considération les contraintes structurelles qui pèsent sur ces salariés. Il s’agira également dans cette partie empirique de voir comment est reçu le journal gratuit par les lecteurs, et quel type de reproches sont faits au quotidien de la part des lecteurs particuliers et non de la profession journalistique. 8 Presse Quotidienne Régionale 14 CHAPITRE 1 L E SECTEUR JOURNALISTIQUE FRANÇAIS Dans cette première partie, nous nous attacherons à fournir une analyse précise du secteur journalistique. En effet, il semble nécessaire de revenir tout d’abord sur la sociohistoire du journalisme français pour mieux saisir les enjeux de la profession. Nous reviendrons sur la professionnalisation tardive des journalistes puis sur la notion bourdieusienne de « champ » pour expliquer dans quelle situation et sous quelles contraintes ces derniers évoluent. D’autre part, il semble évident de faire un point sur la crise de la presse en France sans faire l’impasse sur les problématiques posées par l’arrivée des quotidiens gratuits. Ainsi, comme précisé ci-dessus, ce secteur subit notamment une crise du lectorat sans précédent. Bien souvent, la presse payante a accusé les gratuits d’être à l’origine de ses problèmes économiques ou de les avoir grandement amplifiés. Nous verrons donc dans quelle mesure la presse gratuite vient modifier la situation du secteur. 15 I S OCIOHISTOIRE DU JOURNALISME FRANÇAIS A) U NE PROFESSIONNALISATION TARDIVE Le journalisme « à la française » a longtemps été au confluent de la littérature et de la politique. Son autonomie s’est construite tardivement, au cours du XXème siècle, avec l’influence des Anglo-Saxons, plus proches de la simple narration des faits préalablement collectés. Cette pratique anglo-saxonne est à l’origine de ce qui constitue pour certains aujourd’hui la norme de référence du métier9. Plusieurs histoires du journalisme font remonter la première publication de type journalistique à la Gazette de Renaudot qui est en fait, selon Jean-Marie Charon, « la première publication officieuse du royaume de France […] qui fut purement et simplement appropriée par le pouvoir royal » dès 176210. Selon ce dernier, le premier vrai quotidien français est Le journal de Paris, créé en 1777, mais il y est rarement fait état de faits politiques. Avec la Révolution Française, la donne change, et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est adoptée en 1789, jetant les bases de la toute nouvelle liberté d’expression et de communication. Entre essor et récession, la liberté de la presse commence à s’affirmer. Cependant, comme le précise Erik Neveu, « la compétence des journalistes est littéraire » et « les titres qui font décoller la presse de masse (La Presse de Girardin en 1839, Le petit journal de Millaud en 1863) jouent d’un produit d’appel qui est le feuilleton rédigé par des plumes célèbres »11. De plus, les rédacteurs de journaux ne vivent pas de ce métier, c’est souvent un passe-temps, ou un instrument de reconnaissance pour briguer les carrières de la littérature ou de la politique. D’ailleurs, la majorité des titres s’identifient à des tendances politiques au point que, jusqu’aux débuts de la Vème République, un journaliste politique est avant tout un porteur d’opinions12. L’institutionnalisation de l’identité professionnelle des journalistes s’est faite tardivement en France. La loi de 1881 sur la liberté de la presse permet enfin que s’installent 9 Schudson, 1978 ; Chalaby, 1998 « La presse quotidienne », Jean-Marie Charon, p. 10 11 « Sociologie du journalisme », Erik Neveu, p. 14 12 Darras, 1997 10 16 une diversité et un pluralisme des journaux, mettant fin aux multiples formes de censure que pouvaient subir les titres. Ce cadre juridique a largement favorisé l’essor de la presse française et le nombre des journalistes a augmenté de 50% entre 1890 et 1900. Même si la profession se développe et tente de s’organiser, son institutionnalisation réelle n’interviendra que pendant l’entre deux guerres. En effet, les journalistes sortent du premier conflit mondial discrédités puisqu’ils ont servi la propagande officielle durant la guerre. En 1918, la décision est prise de créer le Syndicat des journalistes et de rédiger une Charte déontologique permettant de réhabiliter la profession et du même coup d’opérer une hiérarchisation entre les « vrais » (les adhérents) et les « faux » journalistes. Cette professionnalisation « floue »13 s’achèvera avec le vote, par le Parlement en 1935, du statut des journalistes qui met en place « la Commission de la carte d’identité professionnelle », titre remis par les pairs. Les textes législatifs de 1935 et 1936 seront largement repris dans l’actuel code du travail qui stipule que « le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques, ou dans une ou plusieurs agences de presse, et qui en tire le principal de ses ressources »14. Néanmoins, l’institutionnalisation de la profession reste « floue »15 car l’organisation corporatiste qu’est le Syndicat des journalistes ne dispose pas de pouvoir de sanction disciplinaire à l’égard de ses pairs. Par ailleurs, aucun niveau de diplôme n’est officiellement retenu pour entrer dans la profession. B) L A NOTION DE CHAMP JOURNALISTIQUE Il devient pertinent, à ce stade de la réflexion, de développer la théorie bourdieusienne des champs en l’illustrant avec une expérience dans le domaine de la presse pour mettre à jour le fonctionnement de ce secteur. Avec cette notion de champ journalistique, Bourdieu nous invite à penser l’espace du journalisme comme un univers relativement autonome, structuré par des jeux de rivalité, dont la limite est une commune adhésion des participants à des enjeux et des valeurs. Dans cet espace social qui fonctionne comme un marché, des individus ou des groupes sont en compétition pour l’obtention d’un bien particulier appelé « capital ». Ceci produit un système 13 Ruellan, 2007 Article L761-2 du Code du travail. 15 Ruellan, 2007 14 17 de classement et de hiérarchie des acteurs sociaux qui évoluent au sein du champ grâce à « l’habitus », un système de dispositions incorporées et spécifique. L’« illusio » est enfin un système de croyances et de représentations de la fonction exercée. En effet, bien qu’exerçant à priori la même profession, l’éditorialiste du journal Libération ne réalise pas le même travail que le rédacteur de la chronique sportive de La Dépêche du Midi ou que les présentateurs de journaux télévisés (qui ne sont d’ailleurs pas tous journalistes). Cependant, ils ont en commun le fait d’être tous attachés à l’actualité. Les journalistes disposent de capitaux, comme le diplôme, la notoriété ou les contacts qu’ils ont réussi à nouer dans tel ou tel domaine qui leur assurent une collecte d’informations plus aisée. Ensuite, ils mobilisent un savoir-faire professionnel, « l’habitus », qui varie d’un titre à l’autre et que le journaliste débutant tente d’intérioriser par la pratique. Enfin, « l’illusio » renvoie à l’idée que se fait le journaliste de sa propre profession : se représente-t-il son travail comme celui d’un détective justicier ou comme celui d’un simple rapporteur d’informations ? Ainsi, ce champ journalistique s’est constitué, selon Bourdieu, au XIXème siècle autour de l’opposition entre journaux populaires à sensation et journaux intellectuels proposant des analyses et attachés à affirmer des valeurs d’objectivité. Deux principes de légitimation opposent ces deux types de publications : les premiers fondent leur reconnaissance sur le nombre de lecteurs, donc sur le chiffre d’affaires et les seconds sur les « valeurs » de la profession, donc sur la reconnaissance par les pairs. Pour les journalistes du 20 Minutes, nous aurons l’occasion d’y revenir, la reconnaissance par les pairs ne constitue pas un principe de légitimation, pour la bonne raison que le support dans lequel ils écrivent est souvent dénigré par leurs confrères. Par exemple, même si Yann Bouffin, le rédacteur en chef de La Dépêche du Midi, explique16 « il y en a une [journaliste de 20 Minutes] qui est considérée comme une nana plutôt sérieuse, plutôt bonne journaliste, je crois que c’est Colin, j’en sais rien… Peu importe, mais il n’y a pas de dénigrement », il poursuit « Cela dit, c’est vrai qu’aujourd’hui, pour nous ils n’existent pas vraiment, je veux dire, qu’en conférence de rédaction, on ne parle jamais des articles de 20 Minutes. Ils ont dû, depuis qu’ils existent, nous mettre au sac une fois, deux fois, ils ont dû sortir une ou deux fois une info qu’on n’avait pas. Encore, ce n’était pas un scoop phénoménal ». Nous y reviendrons mais en effet, ce ne sont pas les journalistes qui sont dénigrés mais vraiment le support. Ainsi, Sylviane Beaudois17 nous confie « Que ce soit 20 Minutes ou Métro, surtout 20 Minutes, on s’aperçoit 16 17 Voir entretien de Yann Bouffin dans l’annexe p. XIII Voir entretien avec Sylviane Beaudois en annexe p. VIII 18 qu’il y a un effort de donner de l’info locale. On va dire, ce sont les moins médiocres, attention, ce n’est pas une critique, hein. Je pense que leurs moyens sont très limités, c’est souvent du travail d’après dépêches ou d’après communiqués, mais il n’y a pas qu’eux qui font ça. » Elle ajoute un peu plus loin « Ce sont des gens qui font leur travail correctement, l’édition nationale n’est pas mal faite. Est-ce qu’ils ont la possibilité de faire leur travail comme ils le voudraient ? De l’extérieur, c’est tout à fait correct mais je ne connais pas leurs conditions de travail, s’il y a des pressions… Ils ne font pas de reportages ». Leur travail est par ailleurs apparenté à un « journalisme de marché », eut égard au poids des recettes publicitaires dans le fonctionnement de l’entreprise (100%), la légitimation se fait donc par l’audience. La Direction de 20 Minutes tente cependant de contrecarrer ce système de légitimation et a mis en place une charte déontologique 18 très stricte sur laquelle nous reviendrons. A cela s’oppose structurellement le « pôle intellectuel » du champ où « la reconnaissance par les pairs constitue tant un élément d’identité professionnelle qu’un capital collectivement détenu et valorisé par les rédactions », explique Erik Neveu dans son ouvrage « Sociologie du journalisme » 19 . Cela est cependant le cas pour les équipes du « Canard Enchaîné » (0% de recettes publicitaires) ou pour celles d’ « Alternatives Economiques » (10%). La distance aux sources est, selon Erik Neveu, plus aisément obtenue dans le journalisme intellectuel car cela suppose « des investissements contraires à la visée de maximisation du profit : équipes rédactionnelles étoffées et stables, services de documentation autonomes, budgets d’enquêtes ». Or le financement publicitaire impose généralement des dépenses de fonctionnement les plus faibles possibles et privilégie la flexibilité. D’autres oppositions sont également visibles entre différents services d’une même publication. Les services considérés comme « nobles » comme l’économie peuvent prétendre à une supériorité par rapport au service des sports par exemple. De la même manière, des journaux établis de longue date peuvent mobiliser tout un héritage de ressources afin de décrédibiliser les nouveaux entrants, c’est par exemple le cas de La Dépêche du Midi, avantagée par son histoire et son ancienneté par rapport à 20 Minutes. Le lectorat du journal peut également jouer sur le prestige d’une publication, c’est d’ailleurs cela qui rapproche le champ journalistique du champ économique. Le Monde par exemple, met en valeur le profil de ses lecteurs : sur le site internet du Monde Pub, plate-forme d’information pour les 18 19 Voir annexe p. XXI Erik Neveu, « Sociologie du journalisme », p. 40-41 19 annonceurs, on trouve la formule « le profil de lectorat d’un quotidien haut de gamme ». Ce lectorat mixte à tendance masculine se compose de 43% d’actifs PCS+, de 71% de lecteurs ayant fait des études supérieures, de 39% de lecteurs ayant un revenu supérieur à 42K€, de 68% d’urbains d’une moyenne de 46 ans20. La cible qualifiée de « premium », est un argument marketing pour attirer les annonceurs mais sert également le prestige du titre. A ce sujet, 20 Minutes tente également de se mettre en avant en invoquant la qualité de son lectorat, dans des termes assez similaires à ceux du Monde. On trouve sur le site 20 Minutes Média les affirmations suivantes : « n°2 presse quotidienne sur les Hauts Revenus, 491 000 lecteurs Premium Easy » et « n°2 presse quotidienne sur les Cadres & Dirigeants, 358 000 lecteurs Premium Activ »21. Nous reviendrons sur ce sujet plus loin dans le développement. Par ailleurs, pour Bourdieu, « dans la logique spécifique d’un champ orienté vers la production de ce bien hautement périssable que sont les nouvelles, la concurrence pour la clientèle tend à prendre la forme d’une concurrence pour la priorité »22, c'est-à-dire pour le « scoop ». Cette concurrence pour le « scoop » a deux conséquences principales. Tout d’abord, cela favorise une sorte « d’amnésie permanente »23 due à l’exaltation de la nouveauté. Ensuite, cela incite à exercer une surveillance continue des concurrents à la fois pour profiter de leurs erreurs mais également pour vérifier que l’on n’a pas manqué un sujet dont il est impossible de ne pas parler ou pour reprendre une information. Ce cycle de l’information, qui consiste en la vérification de ce qu’ont fait ou pas les autres médias, aboutit à l’uniformisation de l’offre d’information. Ainsi, au 20 Minutes, il est de mise de regarder les journaux télévisés régionaux de France 3 ou de TLT et d’éplucher les quotidiens tels que Métro ou La Dépêche du Midi pour vérifier que l’on n’a commis aucun « ratage », ou pour reprendre une information importante qui aurait échappé à la rédaction. C’est également le cas dans d’autres titres, au sein du mensuel Toulouse Mag par exemple, qui obéit certes à un autre rythme, la reprise d’informations est monnaie courante. Si UFC Que Choisir décide, par exemple, de traiter le sujet du manque de conseil et des prix élevés dans les pharmacies dans son numéro de septembre 2009, cela donne la puce à l’oreille de la rédaction de Toulouse Mag qui sort à son tour dans le numéro d’octobre 2009 une enquête sur les prix et les conseils dans les pharmacies toulousaines. Tous les matins, les rédactions organisent des conférences de rédaction lors desquelles une revue de presse est effectuée, et des sujets sont repris, parfois 20 Voir Le Monde Pub : http://www.mondepub.fr/etudes.php Voir 20 Minutes Média : http://www.20minutes-media.com/spip.php?rubrique7 22 Pierre Bourdieu, « Sur la télévision », p.85 23 Ibid. p.86 21 20 tels quels, parfois sous un autre angle. Très souvent, l’actualité n’est faite que de reprises d’informations, si bien que la concurrence aboutit paradoxalement à l’uniformisation de l’offre d’information. Enfin, il faut préciser que la logique économique à l’œuvre dans le champ journalistique a beaucoup d’influence sur le champ culturel puisque, par les critiques et la promotion de certaines productions, les médias dominants et fonctionnant selon une logique de marché orientent le choix du public et des éditeurs vers des produits généralement « plus vendables ». Cette relative autonomie du champ médiatique s’observe également à l’égard du champ politique, les deux étant intimement liés. En effet, le pôle politique détient souvent le monopole de l’information légitime via les « sources officielles » et par sa capacité à définir l’ordre du jour. A Toulouse, par exemple, cette ingérence déguisée du pouvoir politique peut s’illustrer par la multiplication des événements mettant en valeur la Mairie et le Maire de l’époque Jean-Luc Moudenc en période de campagne électorale. Lors des dernières élections municipales, il était aisé pour le pouvoir en place de déterminer l’agenda des journalistes en créant des événements à ne pas manquer et capables de mettre en valeur son activité. Ce fut le cas avec les multiples inaugurations, actions municipales type Toulouse 2013, et autres mises en place de services, comme VélôToulouse, organisées dès le mois de novembre 2007 par la Mairie de Toulouse. Au niveau national, cette propension du politique à peser sur l’agenda journalistique peut être illustrée par la sur médiatisation de l’actuel président de la République dont les nombreux déplacements et allocutions sont systématiquement couverts. En contrepartie, le pôle journalistique influence les agents politiques à « se soumettre à la pression des attentes et des exigences du plus grand nombre, parfois passionnelles et irréfléchies, et souvent constituées en revendications mobilisatrices par l’expression qu’elles reçoivent dans la presse » qui détient « le monopole de l’expression légitime de l’opinion publique’ »24. Ainsi, selon Bourdieu, le champ journalistique, sous l’emprise des logiques commerciales, exerce une pression sur le champ politique qui est alors tenté d’user de procédés démagogiques. 24 Ibid. p.93 21 II L A CRISE DE LA PRESSE ET LA PROBLEMATIQUE DES GRATUITS EN F RANCE A) L E CONTEXTE : LA CRISE DE LA PRESSE PAYANTE La presse quotidienne d’information générale et politique payante est actuellement en crise. Tous les spécialistes s’accordent à le dire, nous ne sommes plus à l’âge d’or où les Français étaient les plus gros consommateurs de quotidiens au monde. Depuis le début des années 1980, ces quotidiens ont multiplié les signaux d’alarme. Aujourd’hui, moins de 160 journaux sont diffusés en France pour 1 000 habitants contre plus de 620 en Norvège et près de 650 au Japon25. En 1967, selon l’INSEE, 59,7% des Français de plus de 14 ans lisaient régulièrement un quotidien. D’après une étude du même organisme datant de décembre 2000, 72% des Français de 15 ans et plus ne lisent jamais de quotidiens nationaux, contre 37% pour la presse régionale. Au premier abord, on est tenté de penser que les journaux les plus touchés sont les quotidiens nationaux, compte tenu de la proximité qu’entretiennent les journaux locaux avec le lecteur. Cependant, selon les statistiques de l’OJD26, sur la période 1996-2006, c’est la presse quotidienne régionale qui souffre le plus de cette crise et qui a perdu le plus de lecteurs. 25 26 Source : World association of Newspaper Association pour le contrôle de la diffusion des médias 22 Tableau 1 : Evolution de la diffusion payée de la Presse Quotidienne Nationale (PQN) en France Source : OJD Tableau 2 : Evolution de la diffusion payée de la Presse Quotidienne Régionale (PQR) en France Source : OJD Selon le Rapport officiel du Sénat « La presse quotidienne d’information : chronique d’une mort annoncée »27, plus d’un Français sur deux ne lit pas de quotidiens et la quasitotalité des foyers est équipée de plusieurs postes de radio, d’au moins un téléviseur et parfois d’une connexion Internet à haut débit, ce qui induit une concurrence difficile pour la presse française. Les causes avancées de cette crise sont complexes : fuite des recettes publicitaires, concurrence par Internet, la radio, la télévision ou encore par les quotidiens gratuits. Des 27 Rapport d'information n° 13 (2007-2008) de M. Louis de BROISSIA, fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 4 octobre 2007, disponible sur la page : http://www.senat.fr/rap/r07-013/r07013_mono.html 23 responsabilités peuvent aussi être recherchées du côté des syndicats, des éditeurs, des pouvoirs publics mais également du côté des journalistes eux-mêmes. En premier lieu, force est de constater qu’à côté de la baisse du lectorat et de la désaffection du public comme source de financement, les recettes publicitaires diminuent drastiquement. En effet, les annonceurs sont de plus en plus attirés vers d’autres médias plus rentables à leurs yeux. Le marché n’est pas extensible, et les nouveaux entrants captent une part significative des publicités. Cela a tout d’abord pour conséquence la baisse du nombre de publicités mais également la diminution du prix de l’encart publicitaire, qui obéit à la loi de l’offre et de la demande. Pour attirer les annonceurs, des quotidiens gratuits ont même publié des publicités gratuitement, ce qui induit encore une fois une baisse des prix. Seule la presse payante locale semble avoir réussi à échapper à ce phénomène (alors même que le lectorat est en baisse), le support étant plus attrayant pour les annonceurs qui trouvent un avantage à être physiquement proches des consommateurs potentiels. Par ailleurs, selon Natalie Sonnac et Patrick Le Floc28, depuis 2001 et l’éclatement de la bulle Internet, de nombreux annonceurs ont réduit leurs budgets de communication. En 2004, l’investissement avait repris en France, le marché publicitaire français se situait dans la moyenne des marchés européens. La crise économique en cours est venue modifier en profondeur la relance du marché publicitaire français, si bien que quantité de titres ont dû revoir à la baisse le nombre de pages de leurs éditions pour pallier la diminution drastique de leurs revenus publicitaires. Ainsi, la presse quotidienne payante d’information politique et générale est victime d’un effet de ciseau provoqué par la contraction de ses recettes et le maintien de coûts fixes élevés. Ce sont principalement les coûts du papier, de l’impression et plus marginalement ceux engendrés par la distribution qui posent problème. Le prix du papier journal a été orienté à la hausse de façon constante depuis 2002 pour atteindre plus de 670 $ la tonne en juin 2006, soit près de 200 $ de plus en quatre années, d’après les études menées par l’INSEE. Du côté de l’impression, les responsabilités sont, selon le Sénat, à rechercher auprès du Syndicat du Livre qui pratique des « coûts de fabrication trop élevés, [une] organisation du travail improductive » avec des « effectifs pléthoriques à rémunération confortable »29. 28 29 « Economie de la presse », Paris 2005 Ibid. 24 Cependant, les éditeurs ont aussi leur part de responsabilité. Pour le groupe de travail du Sénat sur la crise de la presse30, ils auraient « manqué de discernement en matière de diffusion, manqué de courage en matière éditoriale » et feraient preuve d’un « individualisme exacerbé [ainsi que d’une] obsession du court terme ». Et les pouvoirs publics ne sont pas en reste. Toujours selon le groupe de travail du Sénat, ils n’ont pas réussi à définir « une stratégie cohérente et efficace destinée à préserver un média indispensable à l’information des citoyens et à la diffusion des courants de pensées et d’opinions ». Par ailleurs, le métier même de journaliste semble avoir changé. A la fois la perception que s’en fait le public et la représentation que s’en font les intéressés ont évolué avec le temps. La profession est de plus en plus précarisée et les journalistes doivent lutter pour conserver une indépendance mise à mal par de nombreuses pressions, notamment de la part des grands groupes financiers. La précarisation de ce secteur professionnel se traduit par une réduction drastique des dépenses de fonctionnement, ce qui a pour conséquence une absence de réelles enquêtes journalistiques mais également l’augmentation du recours aux pigistes. Extérieurs à l’entreprise, ils sont plus facilement corvéables et n’ont généralement pas leur mot à dire sur le contenu, le choix et l’angle des papiers qui leur sont commandés. Sur les 37 000 journalistes en activité dans notre pays, la proportion de pigistes est passée en trente ans d’un dixième à un cinquième de l’effectif global. Cette recherche constante de rentabilité maximale affecte aussi la crédibilité du public vis-à-vis des journalistes. Les « affaires » comme le charnier de Timisoara ou encore Outreau ont mis à jour les difficultés de la presse écrite et le changement même du métier de journaliste. Le journaliste n’est plus celui qui instaure une relation civique avec le lecteur, c’est un vulgarisateur qui divertit un public ciblé et qui entérine souvent des informations sans avoir eu le temps de les vérifier correctement. B) M ODIFICATION DE LA SITUATION DU SECTEUR Nous avons bien vu que les gratuits ne sont pas la seule et unique cause de la crise de la presse quotidienne d’information générale et politique, contrairement à ce qu’affirmaient certains journaux il y a quelques années : « Les gratuits attaquent », « Méfiez-vous des contrefaçons », « Journaux gratuits : ceux qui nous ont trahis ». Certains journalistes mécontents sont même allés jusqu’à molester les étudiants distribuant des exemplaires gratuits 30 Rapport d'information n° 13 (2007-2008) de M. Louis de BROISSIA, fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 4 octobre 2007, disponible sur la page : http://www.senat.fr/rap/r07-013/r07013_mono.html 25 aux sorties de bouches de métro. La grogne des quotidiens payants semble s’être affaiblie, en témoigne un article du Monde daté du 25 avril 2002 : « L’arrivée des gratuits d’information n’a pas d’impact vraiment tangible sur les quotidiens payants » (entre-temps, la direction avait trouvé un accord avec 20 Minutes). Cependant, leur arrivée sur le marché de la presse française fait naître de multiples interrogations et vient modifier la situation du secteur. Tout d’abord, cela écarte les idées fausses selon lesquelles les Français se désintéresseraient totalement de la presse écrite. Enfin, ils remettent en cause les canons de la presse écrite, les formats et les styles rédactionnels. Le succès rencontré par les quotidiens gratuits prouve que les Français ne dénigrent pas totalement la presse écrite. Le lectorat est attiré par le concept présenté par les gratuits. En effet, l’information développée se veut neutre, succincte, gratuite et peut être consommée dans un laps de temps relativement court qui correspond généralement à la durée passée dans les transports. Il n’y a pas vraiment d’orientation éditoriale, comme le précise Yvon Mézou31, directeur de la rédaction de 20 Minutes dans un entretien : « notre ligne éditoriale est d’être un journal ouvert à tout le monde, on est aussi un journal citoyen avec des valeurs, c'est-àdire que l’on sait donner notre opinion sur des sujets extrêmes comme par exemple le fait que Le Pen ait été au 2ème tour aux élections présidentielles, mais globalement, on donne des chiffres, des faits, on observe, on rapporte et on laisse au lecteur son libre arbitre. C’est du journalisme factuel, un journal grand public et populaire ». Il faut aussi remarquer qu’il n’y a pas non plus d’ « édito » en début de publication à la façon des autres journaux. Ceci permet de toucher le public le plus large possible. Cette conception de l’information peut être illustrée par les propos tenus par Pierre-Jean Bozo, le président de 20 Minutes France, devant le groupe de travail du Sénat sur la crise de la presse32 : « nous faisons du « hard news », c'est-à-dire des faits sans commentaires, avec une information brute, des chiffres, des faits et un visuel. Nous ne prenons pas position politiquement, nous laissons le lecteur se forger son opinion à partir des faits ». Même si la neutralité est de mise, on sait par ailleurs que l’objectivité journalistique est un leurre, une utopie, car ne serait-ce que dans le choix des sujets et la mise en valeur de tel ou tel angle, le 31 Yvon Mézou est directeur de la rédaction de 20 Minutes depuis le 27 juillet 2009. Il a commencé son parcours journalistique en 1977 par une dizaine d’année de reportage, desk, infirmation régionale informations internationales, courses hippiques, etc. avant de gérer un département géographique dans un quotidien régional puis d’être rédacteur en chef d’un quotidien Bourguignon. Il a ensuite été rédacteur en chef du quotidien Aujourd’hui en France. 32 Ibid 26 journaliste ne peut s’affranchir de sa subjectivité. Par ailleurs, si cette neutralité est revendiquée, on peut se demander si c’est une bonne chose ou s’il ne vaut pas mieux avoir une presse pluraliste d’opinions et politiquement identifiable pour justement mettre en perspective différentes idées et les opposer ainsi dans un débat public constructif. D’autre part, la cible visée par les journaux gratuits, dont nous parlions plus haut, est jeune, citadine et active. C’est pour cela que les exemplaires sont majoritairement distribués dans les transports en commun et dans les campus universitaires. Ce mode de distribution n’est pas sans poser de problème et est révélateur des nouvelles habitudes des consommateurs. Les individus se déplacent moins et attendent de plus en plus passivement d’avoir accès gratuitement à l’information. Que ce soit sous la forme des gratuits, par Internet, ou par la télévision, les coûts engendrés par le déplacement sont moindres voire nuls. Ceci induit une forte concurrence pour les journaux distribués en kiosque. En effet, en interrogeant un passant qui prend le 20 Minutes à la sortie du Métro, on retrouve une réponse qui justifie cette affirmation. Nicolas, étudiant en troisième année de Licence de Génie Civil, n’achète pas le journal car il n’en a « pas le temps ». Ce mode et ce circuit de distribution mettent également les titres payants en difficulté car les horaires sont adaptés aux habitudes des lecteurs : le matin dans les transports, cela les informe tout en les occupant. On peut encore citer Nicolas, selon qui « Avec le 20 Minutes, c’est mieux parce qu’on le lit quand on n’a rien d’autre à faire, en pause, dans les transports, ça n’empiète pas sur le temps qu’on passe avec nos proches ». Dans son rapport sur la crise de la presse, le Sénat émet à ce propos des suggestions intéressantes. Selon le groupe de travail, la crise de la presse serait en fait « une crise du contenu » et il serait dès lors nécessaire d’opérer « une véritable réflexion en matière éditoriale afin que les titres éveillent à nouveau chez le lecteur potentiel l’envie d’acheter ». La commission sénatoriale propose donc entre autres de « renouveler l’offre éditoriale afin de rompre avec le catastrophisme, l’élitisme, la partialité voire l’impersonnalité trop souvent reprochés aux quotidiens français ». Par ailleurs, le « crédit temps » à consacrer à la presse, selon l’expression d’Anne Baret33, est aujourd’hui très limité, d’autant plus que la lecture est une activité exclusive qui impose une grande attention et une certaine concentration. Il s’agit donc de capter un lecteur 33 « L’impact de la presse gratuite : nouvelle donne économique et changement sociologique ? », Anne Baret, p.61 27 qui n’a pas beaucoup de temps pour lire et dont la culture évolue vers un zapping et une véritable consommation d’information dans un laps de temps très réduit. Or, la presse gratuite s’adresse en particulier aux individus pendant leur temps de transport, moment inexploité par les médias si ce n’est par la radio dans certains types de transport et propose un panorama d’information. La presse payante, impose quant à elle un temps de lecture conséquent, mal adapté pour la plupart des individus. Anne Baret explique ainsi que l’ « un des problèmes de la presse en général est l’évolution des comportements avec le phénomène de zapping : la population peut consulter différents médias, à n’importe quel moment de la journée, et préfère prendre l’essentiel, et approfondir les point qui l’intéressent, notamment en ce qui concerne les informations »34. C) U NE CONCURRENCE DELOYALE ? Les gratuits sont assez mal vus et beaucoup de journalistes estiment qu’ils instaurent une difficile concurrence sur le marché de la presse écrite, en témoignent les remarques de Sylviane Beaudois et de Yann Bouffin. Pour la première, « l’arrivée de la presse gratuite a été perçue comme une menace. On comprend mal la position des pouvoir publics, parce qu’au niveau des journaux papier, on a laissé faire un dumping hallucinant. Les gratuits sont distribués à la sortie du métro ou même devant des kiosques à journaux. C’est comme si quelqu’un se postait devant un magasin et donnait les produits que l’autre vend, c’est inacceptable ! C’est de la concurrence illégale. Or, les patrons de presse sont restés immobiles par rapport à ça et beaucoup impriment les gratuits. » Selon le second, « la presse écrite payante […] a été confronté à un phénomène unique dans les lois de marché, c’est que un jour nous nous sommes retrouvés face à des journaux qui étaient gratuits. C’est comme si vous vendiez des salades et que un jour quelqu’un les offre à l’étal d’à côté, donc voilà… » Ces deux personnes estiment donc que les titres payants sont en concurrence avec les gratuits du point de vue du lectorat. Mais est-ce vraiment le cas ? Peut-on substituer la lecture du Monde, du Figaro, de Libération ou encore de La Dépêche du Midi avec la lecture de 20 Minutes ou de Métro ? Pour trancher cette question, on peut s’appuyer sur l’ouvrage d’Anne Baret, « L’impact de la presse gratuite : nouvelle donne économique et changement 34 « L’impact de la presse gratuite : nouvelle donne économique et changement sociologique ? », Anne Baret, p.98-99 28 sociologique ? ». Selon elle, il n’y a pas de substitution. Voici comment elle représente schématiquement les deux types de presse35 : Presse gratuite Presse payante Gratuité Prix élevé (notamment pour les quotidiens) Ecriture neutre (les gratuits font des études pour Ecriture avec prise de position, opinion s’assurer de leur neutralité) Articles courts, brèves, compacité Articles longs Découpage d’un article en plusieurs sous-articles Grands articles (un sujet est souvent traité en une (6 ou 7 sur un sujet) pour être plus accessible) partie ou deux) Pas de commentaires Commentaires Va chercher le lecteur, met le titre dans la main Démarche volontaire du lecteur Ainsi, Anne Baret souligne qu’il n’y a « pas de substitution possible » entre « l’information brute, basique » et « l’analyse de l’actualité »36. Cela est d’ailleurs souligné par les personnes interviewées. Concernant le contenu rédactionnel, Hélène Ménal et Béatrice Colin37 ont le sentiment de donner « la même info que Libé et Le Monde en beaucoup plus synthétique et avec moins d'analyse », ce qui revient à dire que l’information brute, phare, donnée est identique. Elles pensent concurrencer seulement La Dépêche du Midi, mais « à la marge », car les moyens de cette dernière entreprise de presse sont largement supérieurs aux leurs. Elles rajoutent également qu’on « ne va pas renoncer à Libé parce qu'on lit 20 Minutes » et considèrent donc ne pas être responsables de la crise de la presse payante et ne pas « piquer » des lecteurs aux titres payants. Les autres journalistes de presse payante interrogés (Sylviane Beaudois, Yan Bouffin, Emmanuel Haillot) s’accordent aussi pour dire que le contenu des gratuits est différent, même s’ils considèrent 20 Minutes comme un concurrent. Yann Bouffin affirme que lors de la sortie de 20 Minutes, La Dépêche du Midi a perdu 2% de son lectorat, puis que le nombre de lecteurs est finalement remonté, le gratuit n’a donc pas eu, à Toulouse, de répercution importante sur le principal quotidien payant régional. Le produit est donc différent. 20 Minutes et La Dépêche du Midi par exemple ne proposent pas le même contenu, et les individus qui ne lisent que 20 Minutes n’auraient pour la plupart pas acheté un autre quotidien si le gratuit ne leur avait pas été distribué. 35 « L’impact de la presse gratuite : nouvelle donne économique et changement sociologique ? », Anne Baret, p.45 36 37 Ibid Entretien disponible en annexe p. IV 29 Par ailleurs, Sylviane Beaudois et Yann Bouffin estiment également que la gratuité modifie le comportement des lecteurs. Yann Bouffin s’indigne : « Alors, après qu’est-ce que ça (les gratuits) a eu comme conséquences ? D’abord d’habituer le public à se dire que finalement, l’info était gratuite, l’Internet est venu parachever cette sensation, c’est dramatique pour le modèle économique de la presse écrite, c’est entre autres un facteur aggravant de la crise de la presse écrite qui était déjà en crise avant l’apparition des gratuits ». Sylviane Beaudois ajoute que la gratuité « dévalorise l’information ». Cependant, on peut par exemple se demander si l’individu, lorsqu’il écoute la radio, regarde les chaînes publiques, ou navigue sur le web, a conscience de payer pour cela. D’un autre côté, les chaînes de télévision privées ne sont-elles pas basées sur le même modèle que les journaux gratuits ? C'est-à-dire composé de sociétés cotées en bourses et financées par les recettes publicitaires ? Néanmoins, comme nous l’avons vu, la désaffection du public pour la presse payante ne date pas de l’apparition des gratuits et la situation est très différente dans d’autres pays. Les problèmes rencontrés par la presse écrite payante pourraient par contre être imputés à la presse gratuite dans le sens où cette dernière pourrait participer à la fuite des recettes publicitaires au vu du nombre de publicités contenues dans leurs pages ainsi que de l’attractivité pour les annonceurs en termes de lectorat. Ci –après, un graphique disponible sur le site de 20 Minutes Médias permet d’analyser de plus près le tarif des publicités pratiqué par différents titres de presse. 30 38 20 Minutes s’affiche donc expressément comme le « 4ème titre le moins cher de la presse quotidienne » (sans mentionner ni ses sources, ni le premier titre le moins cher). En recherchant les tarifs des publicités commerciales sur Internet, on retrouve les valeurs suivantes : 117 000€ la pleine page de publicité commerciale nationale dans le 20 Minutes (janvier 2010) contre 105 000€ en moyenne pour une page pleine dans Le Monde (janvier 2010), et 31 073€ (avril 2010) en moyenne pour une page pleine toutes éditions dans La Dépêche du Midi. Ramenés à l’audience, 2 745 000 lecteurs pour 20 Minutes, 1 790 000 pour Le Monde39, et 757 000 pour La Dépêche du Midi40, les tarifs de 20 Minutes sont en effet les moins chers. En ce sens, on peut donc considérer que du côté de la vente d’espaces publicitaires, 20 Minutes peut constituer un concurrent pour les titres payants car, d’une certaine manière, tout nouvel entrant est un danger potentiel pour le devenir d’un autre titre puisqu’il risque de prendre des parts de marché et donc du chiffre d’affaires. Marc Dubois, directeur de la publicité à La Dépêche du Midi affirme néanmoins qu’il n’y eu aucune baisse du tarif des publicités en septembre 2004, lors de l’arrivée de 20 Minutes Toulouse sur le marché. 38 Voir site Internet 20 media.com/pdf/2009/20Minlesincontournables0909.pdf 39 Etude Epic 08/09 40 Etude Epic cumulée 07/09 Minutes Média : http://www.20minutes- 31 Force est de constater que la nature des publicités dans les journaux gratuits d’information diffère de celle des journaux payants. Anne Baret 41 explique ainsi que cette concurrence du point de vue des revenus publicitaires est à nuancer. Selon elle, « bien que l’apparition d’une presse gratuite s’appuyant à 100% sur les recettes publicitaires semble mettre en péril la santé de certains titres, ou du moins semble prendre des parts de marché publicitaire, cette concurrence n’est valable que pour le marché national et parisien », car les annonceurs nationaux et internationaux représentent 90% du chiffre d’affaires des gratuits. Par ailleurs, les gratuits « cherchent à attirer des budgets publicitaires différents, plus proches de la radio ou de l’affichage »42, ou de la publicité événementielle (distribution d’échantillons). De plus, « la nouveauté autorisée par ce type de support est de proposer des formats de publicité originaux avec notamment la couverture comme page publicitaire. Ce genre de format que ne se permet pas la presse payante a convaincu des annonceurs qui déplacent leur budget affichage ou créent un budget spécifique. »43 Cela permet de comprendre que les gratuits ne concurrencent pas la presse locale et régionale du point de vue des recettes publicitaires et ne sont pas non plus des concurrents directs des titres payants, pas plus que les autres médias (affichage, Internet, TV, radio, cinéma) qui engrangent une grande partie des recettes. Comme précisé ci-dessus, et en accord avec différents experts du secteur, l’apparition des gratuits n’est pas l’explication de la crise de la presse dans notre pays. 53% des journalistes pensent d’ailleurs que l’apparition des gratuits représente une chance dans l’évolution de leur métier44. D’autres Etats ne vivent pas cette crise alors que les gratuits y sont distribués depuis longtemps (comme en Norvège, par exemple). Par ailleurs, les gratuits ont montré qu’une nouvelle approche éditoriale pouvait séduire un lectorat en voie de disparition, en utilisant des techniques marketings auparavant réprouvées et en identifiant clairement la cible visée. Ce concept a permis d’attirer vers le média écrit des individus qui n’avaient auparavant jamais ouvert un journal, bien que le contenu d’un gratuit soit à plusieurs égards bien différent de celui des payants. En ce sens, 20 Minutes se targue d’avoir l’exclusivité sur la majeure partie de ses lecteurs. On trouve en effet sur le site 20 Minutes Médias la formulation suivante : « 20 Minutes reste le titre de presse quotidienne qui 41 « L’impact de la presse gratuite : nouvelle donne économique et changement sociologique ? », Anne Baret, p. 43 et 44 42 Ibid 43 Ibid 44 Baromètre CSA/Les assises du journalisme, « Le moral et le jugement des journalistes sur leur métier et leur profession », février 2007 32 rassemble le plus de lecteurs exclusifs. 1 531 000 lecteurs de 20 Minutes ne lisent pas la presse quotidienne payante, soit 7 lecteurs sur 10 »45 (par contre, nous l’avons constaté dans notre enquête de lectorat réalisée à Toulouse, plus de 80% des personnes interrogées lisent aussi Métro). Dans une certaine mesure, les quotidiens gratuits permettent à tous d’avoir accès à l’information. Certains pensent que la lecture du 20 Minutes peut constituer un tremplin vers la lecture d’autres titres d’information pour approfondir un thème particulier ou que les lecteurs du gratuit se tourneront à terme vers des titres proposant une information plus complète, moins édulcorée. . 45 Voir 20 Minutes Média : http://www.20minutes-media.com/spip.php?rubrique7 33 CHAPITRE 2 L ES EFFETS STRUCTURELS DU SYSTEME ECONOMIQUE DE LA PRESSE GRATUITE Il existe certaines particularités inhérentes à la gratuité du journal 20 Minutes. L’équipe rédactionnelle reste réduite, comparée à celles des quotidiens régionaux payants, les articles sont moins nombreux et plus courts, la forme étant en grande partie déterminée, non par la nature des encarts publicitaires, mais par la place qu’ils prennent dans les pages réservées à l’actualité. Il s’agit donc, dans cette partie, de voir en quoi le journal reste différent de ses homologues payants. 34 I) L E MODELE ECONOMIQUE Le fait que le journal 20 Minutes soit gratuitement distribué introduit forcément une différence importante par rapport à d’autres journaux payants. En effet, se pose la question des modes de financement, si le lecteur ne paie pas le produit, c’est donc que la publicité est sa seule source de financement. Il est donc à ce stade nécessaire de faire le point sur le modèle économique de la presse payante pour mieux comprendre le fonctionnement des titres de presse écrite, notamment de 20 Minutes. A) L E MODELE ECONOMIQUE DE LA PRESSE ECRITE Le modèle économique de la presse écrite obéit à deux caractéristiques essentielles. Elles correspondent d’une part aux spécificités du produit de presse et d’autre part à son mode de financement. En effet, un journal ou un magazine est vendu deux fois : le contenu médiatique (articles, rubriquage, photographies, maquette) est vendu aux lecteurs, et le contenu publicitaire est vendu aux annonceurs. Les encarts publicitaires que l’on trouve dans la presse sont issus d’un contrat de vente entre les éditeurs et les annonceurs qui désirent faire la promotion de leurs biens et/ou services auprès de consommateurs potentiels lecteurs du titre en question. Comme rappelé plus haut, exception faite des rares journaux dont les recettes proviennent uniquement de la vente aux lecteurs et des dons que ces derniers font à la société éditrice (Charlie Hebdo, le Canard Enchaîné, etc.), et des journaux gratuits, une publication de presse est donc vendue deux fois. Les travaux de Jean Gabszewicz46, Natalie Sonnac47 et Jérôme Vicente48, permettent de mieux comprendre ce type de marché, appelé en sciences économiques le « two-sided market ». C’est donc un marché dual qui met en relation deux opérateurs distincts par le biais d’un intermédiaire commun : la plate-forme. L’intermédiaire offre donc un bien et/ou service à deux demandeurs. Dans le cas de la presse, cette plate-forme correspond au support média, 46 « L’industrie des médias », Jean Gabszewicz et Natalie Sonnac, 2006 « Economie de la presse », Natalie Sonnac et Patrick Le Floch, 2000 48 Cours sur l’économie de la connaissance à Sciences-Po Toulouse, 2009 47 35 qui met en relation des annonceurs et des lecteurs. C’est le même cas dans une agence immobilière qui met en relation un vendeur ou un loueur avec un acheteur ou un locataire. Dans le cas d’un « two-sided market », les demandes des opérateurs sont interdépendantes, c'est-à-dire que le bien ou service n’offrira d’intérêt pour l’un que s’il est utilisé par l’autre, et réciproquement. Ces interactions sont sources d’effets de réseau. On parle d’effet de réseau simple lorsque la satisfaction des consommateurs qui achètent le bien vendu dépend du nombre d’individus qui le consomment aussi. Par exemple, si j’utilise un téléphone portable, ma satisfaction liée à cette utilisation augmente avec le nombre de consommateurs de cette même technologie, parce que je peux communiquer avec un nombre d’individus de plus en plus important. Dans le cas de la presse écrite, il existe un effet de réseau croisé : « la satisfaction d’un consommateur pour un bien vendu sur un marché dépend de la taille de la demande pour un autre bien sur un marché différent et vice-versa »49. En fait, le marché de la presse peut être considéré comme un ensemble de plateformes (qui correspondent aux différents supports de presse) où coexistent des effets de réseau croisés entre médias et annonceurs d’un côté et entre médias et consommateurs d’un autre côté (voir schéma suivant50). Marché de médias (prix du titre) Editeurs Marché publicitaire (prix de l’encart) Lecteurs Annonceurs L’utilité dépend du contenu médiatique et du volume publicitaire L’utilité dépend de la taille du lectorat et de la cible Le two sided market Il est aisé de comprendre que l’intérêt du lecteur dépend du contenu du média, c'est-àdire du type et de la qualité des articles, des informations, de l’originalité, etc. Mais sa satisfaction dépend aussi du volume de publicité contenu dans les pages du titre qu’il feuillette. Pour les titres de PQR par exemple, l’effet peut être positif dans le cas où la publicité fournit des informations utiles, notamment avec les petites annonces ou les 49 50 « Economie de la presse », Natalie Sonnac et Patrick Le Floch, 2000, page 26 Ibid. page 27 36 informations judiciaires. D’un autre côté s’il y a trop d’encarts publicitaires dans un magazine à notre goût, et que nous sommes particulièrement hostiles à la publicité, nous pouvons choisir de fuir la publication. Finalement, si la publicité est approuvée, une augmentation de son volume peut conduire à une augmentation du nombre de lecteurs mais si elle est désapprouvée, elle peut conduire à une baisse du nombre de lecteurs et donc à une diminution des recettes publicitaires. Par ailleurs, le fait que le journal soit vendu deux fois a pour conséquence qu’il peut être vendu à un prix inférieur à son coût de production, puisque la publicité peut combler la part de financement manquante. Si bien que « la publicité compense la perte supportée par la vente d’information »51. On peut ici utilement citer Girardin qui, dès 1836, écrivait à propos de son journal « tandis que l’abonnement doit payer le papier, l’impression et la distribution, la publicité paiera la rédaction et l’administration et fournira le bénéfice du journal ». L’évolution du journal Le Monde peut venir illustrer ces propos. En 1969, son prix de vente couvrait 94% des couts de productions, tandis qu’en 2002, il n’en couvrait plus que 75%, le reste étant pris en charge par la publicité. Le choix de l’éditeur de privilégier l’un ou l’autre des modes de financement aura un impact à la fois sur l’équilibre du journal et sur les stratégies éditoriales. Ainsi, l’augmentation du volume de publicité peut permettre une baisse du prix de vente et une augmentation de l’audience. Parallèlement, un prix de vente inférieur au coût de production peut s’avérer fatal à une publication si le nombre de lecteurs est trop élevé. Enfin, à l’arbitrage en termes de modes de financements, on doit également rajouter le mode de fonctionnement en termes d’économies d’échelles. Les titres de PQR et de PQN réalisent d’énormes économies en investissant dans des rotatives, en vendant plusieurs éditions départementales avec certains contenus similaires, en éditant des suppléments ou toutes autres sortes de contenus permettant de rentabiliser l’achat des machines. 51 Ibid. page 29 37 B) L E MODELE ECONOMIQUE DE LA PRESSE GRATUITE D ’ INFORMATION A défaut d’économies d’échelle liées à l’acquisition d’une rotative, les gratuits réalisent des économies par d’autres moyens et financent leur publication différemment des titres payants. Economiquement parlant, la presse gratuite d’information se rapproche d’un bien public pur : un bien indivisible et non excluable. En effet, à la différence des titres de presse écrite, personne ne peut être exclu de sa consommation en raison de son prix, puisqu’il est nul. Cela rapproche la presse gratuite d’information de la télévision ou de la radio pour lesquels les individus ne paient pas une émission en particulier et n’ont pas l’impression de payer pour le service en question. Ce principe de non exclusion atteint tout de même ses limites puisque les services marketing des quotidiens gratuits choisissent par avance leur cible, les lieux et horaires de distribution, si bien qu’il peut être difficile pour quelqu’un qui habite le Gers d’avoir accès à ce journal sans avoir par exemple accès à Internet. Par ailleurs, comme le tirage est limité, il existe là aussi une certaine rivalité entre les consommateurs. Cependant, quoi qu’il en soit, la caractéristique des journaux gratuits du point de vue économique, c’est qu’ils ne sont vendus qu’une seule fois. Cela ne change pas pour autant le principe du two-sided market défini plus haut, puisque « l’utilité pour un annonceur dépend de la taille du lectorat, et l’utilité des lecteurs dépend du contenu médiatique du titre et du volume publicitaire »52. Même s’il n’y a pas de relation marchande entre le lecteur et l’éditeur, on ne change donc pas le schéma général qui repose sur le principe d’externalité et de réseau croisé. La vente d’espaces publicitaires aux annonceurs est donc fonction de la cible du journal et réciproquement. On trouve donc par exemple comme précisé précédemment sur le site Internet de 20 Minutes Médias le type de cible que le journal veut mettre en exergue pour attirer les publicitaires. 52 Ibid. page 32 38 Extrait du site Internet 20 Minutes Média, onglet Audience53 Il est étonnant de constater que Le Monde et 20 Minutes mettent en valeur les mêmes cibles et se prévalent donc d’un lectorat assez similaire. Ainsi, sur le site Le Monde Pub, on trouve ce type de présentation Power Point à destination des annonceurs : 53 http://www.20minutes-media.com/spip.php?rubrique7 39 Extraits du site Le Monde Pub, onglet Etudes54 Alors que 20 Minutes « talonne » Le Monde pour les lecteurs « premium », c’est Le Monde qui « talonne les gratuits sur la cible CSP+ ». Rappelons tout de même que si la comparaison avec Le Monde prend du sens pour expliquer le fonctionnement de la vente d’espaces publicitaires, il ne faut pas pour autant perdre de vue que les deux titres ne sont pas en concurrence du point de vue des lecteurs. Même si leurs cibles en viennent à se recouper, un lecteur assidu du Monde ne changera pas de journal pour 20 Minutes, pour la simple raison que le type d’information est différent et que leur traitement n’est pas effectué de la même façon. Si les cibles marketing mises en avant pas les deux titres sont assez similaires, c’est tout d’abord parce qu’elles sont urbaines, et donc potentiellement touchées par la distribution du 20 Minutes, qui fournit aussi une information locale. Du point de vue de la publicité, 20 Minutes et Le Monde se considèrent donc comme concurrents, même s’ils ne le sont pas vraiment du point de vue des annonceurs, et mettent en valeur les tarifs pratiqués pour leurs supports. 54 http://www.mondepub.fr/etudes.php 40 II) D ES CONTRAINTES EN TERMES DE CONTENU ET D ’ ORGANISATION Les routines de travail assimilées par les journalistes du 20 Minutes sont identiques sinon très proches de celles intégrées par le personnel d’autres titres payants. Cependant, le fonctionnement des rédactions reste différent, en témoigne par exemple le coût de production d’un exemplaire de journal en 2002 : avec 1,60€, ce coût est six fois plus élevé au Monde qu’à 20 Minutes avec 0,24€55. Le format du journal, son caractère gratuit, le nombre restreint de salariés dans l’entreprise, impliquent donc forcément un contenu différent de celui des journaux payants. Outre la place importante dédiée aux informations « people », aux pages de loisirs contenant l’horoscope et les mots fléchés, que l’on retrouve beaucoup dans la presse gratuite, un peu moins dans la presse payante, nous nous intéresserons ici davantage aux aspects ayant un rapport avec la rédaction toulousaine. A) U N FORMAT REDUIT POUR UNE EQUIPE REDACTIONNELLE RESTREINTE On reproche généralement à la presse gratuite sa légèreté, ses lacunes, son manque d’analyse et ses choix éditoriaux tournés vers une logique commerciale. Il est certain que le format de 20 Minutes est différent de celui de la plupart des quotidiens payants : c’est un format réduit qui n’est habituellement pas utilisé par la presse quotidienne. Les illustrations ci-dessous sont parlantes : La surface du Monde est deux fois supérieure à celle du 20 Minutes. Le premier quotidien mesure 47 x 32 centimètres (format berlinois) pour une trentaine de pages en moyenne alors que le second mesure 32 x 23,5 centimètres (format demi-berlinois) pour une vingtaine de pages en moyenne. En raison du nombre de pages de chacun des deux quotidiens, la surface du Monde est trois fois plus importante que celle du 20 Minutes. 55 « Economie de la presse », Natalie Sonnac et Patrick Le Floch, 2000, page 30 41 C’est tout d’abord un choix éditorial, la cible du journal est pressée, active. Les lecteurs doivent pouvoir le lire facilement le matin dans les transports en commun. Or, selon un sondage TNS/Sofres publié en juin 2007, les Français passent en moyenne 43 minutes par jour dans les trains, les bus, les métros et les tramways. Par ailleurs, diverses études ont pu constater que la durée moyenne de lecture d’un quotidien régional est de 25 minutes. Le format est donc tributaire de la politique éditoriale et du lectorat qui est visé : un format court pour des lecteurs qui n’ont pas le temps de lire un journal lourd. Dans cette même optique, le 20 Minutes est agrafé, pour pouvoir être lu plus facilement. Il faut également remarquer que ce quotidien cesse de paraître le weekend et pendant les vacances scolaires d’été et de Noël. Ceci est encore une marque de la gratuité puisque les annonceurs n’ont aucun intérêt à investir 42 si le lectorat du journal ne peut pas le réceptionner en allant travailler. On peut considérer que l’on atteint là la limite entre la mission d’information décrite dans la charte de déontologie et l’impératif de rentabilité fixé par les actionnaires. Ce format est aussi la marque de la gratuité de 20 Minutes. Le journal n’est pas financé par la vente en kiosque ou par les abonnements mais par la vente d’espaces publicitaires. Pour obtenir une rentabilité maximale, la Direction emploie donc une équipe rédactionnelle réduite (deux personnes pour les 3 pages Toulouse et au total 85 journalistes) qui ne pourrait assumer à elle seule le travail réalisé par les journalistes du Monde, par exemple, qui sont beaucoup plus nombreux (275). La comparaison prend également son sens avec La Dépêche du Midi où travaillent 40 journalistes et des centaines de correspondants. La stratégie marketing déployée par 20 Minutes a porté ses fruits puisque le quotidien gratuit a été rentable pour la première fois de son histoire en 2007 avec un excédent brut d’exploitation de 0,4 millions d’euros selon Pierre-Jean Bozo56. Par ailleurs, cette recherche de rentabilité se traduit aussi par le profil généraliste des journalistes employés. Ils ne sont effectivement pas spécialistes de chroniques judiciaire, sociale ou économique mais sont susceptibles de traiter n’importe quel sujet qui rentre dans le cadre de la têtière de page dont ils ont la charge. Cela ne signifie pas que chacun n’a pas son domaine de prédilection. Celui qui suit habituellement l’actualité d’une entreprise ou un certain dossier judiciaire en assurera généralement la couverture lorsque l’actualité le permet. Bien que le format du journal 20 Minutes soit plus réduit, il est faux d’opposer presse payante et presse gratuite en invoquant l’argument du nombre d’articles contenus dans ces deux types de journaux. En effet, bien plus que le nombre d’articles, c’est la surface moyenne des informations qui permet de faire apparaître une différence entre Le Monde ou La Dépêche du Midi par exemple et 20 Minutes ou Métro. Les auteurs du « Défi des quotidiens gratuits » ont réalisé une étude au Québec sur ce point. Même si cette enquête n’a pas été réalisée en France et ne traite pas du journal 20 Minutes, elle est révélatrice de la tendance de la presse gratuite : les articles sont plus courts que dans la presse payante. 56 Article des Echos du 30 janvier 2008 43 Ci-dessous, un tableau57 permet donc de rendre compte de cette différence entre Métro et d’autres quotidiens québécois payants. Journal Surface moyenne d’une Format information (en cm2) Métro 61 Tabloïd Le Journal de Montréal 166 Tabloïd Le Monde 197 Berlinois Le Devoir 249 Grand format La Presse 380 Grand format Il existe aussi un « style » 20 Minutes. En effet, les articles sont relativement courts, les papiers sont compris entre 400 pour le plus petit, et 2100 signes pour le plus long. L’écriture fait appel à des qualités de concision et de synthèse pour aller directement à l’information la plus importante sans élaguer le propos. Dans cette optique, il n’y a pas de place pour les articles orientés politiquement, le quotidien se veut neutre et le revendique car le public visé est très large. Encore une fois, il est nécessaire de préciser qu’un journal ne peut être neutre ou objectif car le choix de traitement de tel ou tel sujet ainsi que l’angle utilisé est déjà porteur de la subjectivité de l’agent à l’origine de ces choix. D’autre part, le temps imparti aux journalistes pour rédiger leurs papiers (habituellement une journée pour remplir deux pages et demie, parfois sans publicité), ne leur permet généralement pas de mener des enquêtes poussées. Les journalistes titulaires n’ont donc pas vraiment la possibilité de se livrer à cet exercice journalistique. Habituellement, ce sont des pigistes qui sont chargés de faire ce travail. Un des reproches fait aux journaux gratuits est également le manque d’analyse dans les articles. Il est vrai que, la place manquant, il n’est pas demandé aux journalistes d’écrire un article poussé qui comprendrait une analyse fine de tous les points de l’actualité comme cela peut se faire dans Le Monde par exemple ou dans les rubriques « dossier » des quotidiens payants. Plus que dans la presse payante, les journalistes de 20 Minutes doivent donc s’habituer à faire une sélection parfois draconienne de l’information qu’ils souhaitent traiter. 57 « Le défi des quotidiens gratuits », page 92 44 Cela est d’ailleurs parfois « un peu frustrant », confie Hélène Ménal58 qui trouve également des bons côtés à cette exercice de synthèse : « ça oblige à angler, parfois c'est bien pour le lecteur et ça permet de se distinguer dans le traitement d'une info » .Mais cela ne signifie pas non plus faire l’impasse sur des pans importants du sujet en question, il s’agit en effet seulement de bien choisir l’angle du papier, préalable à tout travail journalistique. Parfois, les journalistes de 20 Minutes ont la possibilité d’écrire des articles longs qui contiennent des analyses mais ils ne sont publiés que sur le site Internet du journal (pas de limite physique au nombre de caractères). Outre le fait que l’équipe rédactionnelle soit réduite, l’organisation de 20 Minutes reflète aussi la gratuité du journal. En effet, la rédaction est très décentralisée, comme précisé en introduction et la rédaction en chef est basée à Paris. Cela induit une certaine autonomie dans le travail des journalistes mais leur impose également parfois de se plier à des injonctions très éloignées de leur quotidien. Le travail des journalistes de 20 Minutes est donc en ce sens différent de celui de ceux de La Dépêche du Midi par exemple. Comme indiqué dans l’introduction, le menu réalisé par les journalistes du 20 Minutes Toulouse doit être validé par une personne de la rédaction en chef parisienne, qui peut aussi l’invalider partiellement et imposer des sujets (très rarement, généralement, l’imposition des sujets se fait si du point de vue national une actualité est traitée et que la rédaction en chef souhaite avoir un écho dans toutes les éditions régionales). L’organisation est différente à La Dépêche du Midi. Yann Bouffin59, rédacteur en chef, explique : « Moi j’ai 10 départements, je valide mais le boulot n’est pas le même, c’est à dire que les journalistes viennent avec des sujets qu’on valide ou pas mais d’une manière générale, c’est surtout que je ne valide pas, vous voyez ce que je veux dire. C’est que s’il y a un sujet qui ne me plait pas ou que je trouve mal foutu, ou que je ne sens pas, je le dis mais sinon, d’une manière générale, je valide de manière tacite alors que dans ces rédactions là, ce n’est pas comme ça. Quand il y avait Fillou qui était à 20 Minutes, je le connaissais bien parce que nous avons a travaillé à Libé ensemble, lui et ses adjoints regardaient tout. Ils validaient tous les sujets y compris ceux de la province, même s’il n’y avait pas Toulouse, il y avait Lyon, Marseille, je crois, ils validaient tout, les journalistes proposent des sujets mais tout est validé, ce n’est pas du tout le type de rapport que nous avons ici. Par exemple, si vous prenez quelque chose comme M6 et le Six Minutes, […] à l’époque quand ils ont développé ces stratégies là dans les villes, […] chaque bureau 58 59 Voir l’entretien avec Béatrice Colin et Hélène Ménal en annexe p. IV Voir entretien en annexes p. XIII 45 avait son rédacteur en chef. Et lui validait le contenu de son Six Minutes et n’en rendait pas compte à Paris. S’il y avait des problèmes, c’était lui qui rendait des comptes. Alors qu’eux ne bossent pas comme ça, il n’y a pas de délégation, pas de rédacteur en chef, c’est Paris qui valide, donc c’est en cela que c’est un boulot sans doute un peu particulier, parce que c’est quand même… Ils sont certes sur le terrain mais tout est validé à Paris, ce ne sont pas eux qui valident ». Par soucis de rentabilité, l’organisation est donc bien différente puisqu’il n’existe pas de responsable de département ou de locale par exemple, la personne qui gère toutes les locales est le rédacteur en chef adjoint en charge des éditions locales et régionales. Ce rédacteur en chef adjoint a pour charge de prendre connaissance de tous les sujets que les 24 journalistes locaux ont proposés puis de les présenter au directeur de la rédaction (qui assume aussi la fonction de rédacteur en chef), en conférence de rédaction tous les matins. Le directeur de la rédaction valide ou invalide tous les sujets et prend contact, soit lui-même, soit par l’intermédiaire du rédacteur en chef adjoint, avec les journalistes locaux pour expliquer leurs choix s’il y a un souci au sujet d’un article. Ce type d’organisation de la rédaction, tant au niveau de l’imposition de formats courts, de la charge de travail, de la décentralisation et de l’absence de hiérarchie au niveau local fait de 20 Minutes une entreprise peu enviable du point de vue des journalistes de quotidiens payants interrogés. B) L A PLACE DE LA PUBLICITE La part de la publicité est la marque la plus forte de la gratuité du journal. En effet, nous l’avons vu, 20 Minutes est financé à 100% par les recettes publicitaires. Cela a pour conséquence qu’un fort pourcentage de la surface du journal est occupé par les encarts de publicité. Dès lors, on peut se demander à juste titre si cette omniprésence publicitaire a pour pendant une orientation des sujets traités par des intérêts privés. Tout d’abord, ce qui frappe lorsque l’on ouvre le quotidien 20 Minutes, c’est la quantité de pages de publicité qu’il contient. Une comparaison entre le ratio rédactionnel/publicité dans le journal 20 Minutes puis dans Le Monde et La Dépêche du Midi peut venir utilement illustrer le propos. 46 En additionnant les fractions de pages dédiées à la publicité, au contenu journalistique (articles et illustrations), aux jeux, météo, bourse et autres annonces dans chacun des trois quotidiens sur quatre jours, du 27 au 30 avril 2009, on obtient les chiffres suivants : - 20 Minutes : 11,83 pages de publicité par journal de 28 pages en moyenne - Le Monde : 4,67 pages de publicité par journal de 32 pages en moyenne - La Dépêche du Midi : 5,2 pages de publicité par journal de 43 pages en moyenne Ci-après, le résultat graphique exprime cette différence en pourcentage avec prise en compte de tout ce qui ne constitue pas du contenu journalistique à proprement parler. Contenu journalistique, publicité et divers dans 20 Minutes Toulouse du 27 au 30 avril 2009 Publicité Pg TV/bourse 42% 44% Jeux Météo 7% Annonces emploi 1% 3% Contenu journalistique (articles, illustrations) 3% Contenu journalistique, publicité et divers dans La Dépêche du Midi édition Toulouse du 27 au 30 avril 2009 Publicité 12% 4% 2% Pg TV et cinéma / bourse 12% 69% Météo 1% Annonces/carnets Jeux Contenu journalistique (articles, illustrations) 47 Contenu journalistique, publicité et divers dans Le Monde et ses suppléments du 26/27 au 30 avril 2009 Publicité 14% 3% 1% 2% 1% Pg TV et radio / bourse et valeurs Météo 79% Annonces emploi et divers / carnets Jeux Contenu journalistique (articles, illustrations) Il faut également préciser qu’en plus de la part de la publicité, c’est aussi leur nature qui diffère entre les deux publications, nous avons eu l’occasion de le préciser plus haut. En effet, les encarts publicitaires du Monde traitent très souvent des propres publications du groupe (autopromotion), de littérature et de théâtre, on peut remarquer des publicités du même type dans La Dépêche du Midi. Dans le 20 Minutes, on trouve la plupart du temps des publicités pour des films de cinéma, des agences de voyages, des opérateurs de téléphonie mobile, et pour des entreprises ou des événements locaux. Cela s’explique d’une part par le type de support proposé mais aussi par le lectorat du journal, plus large et plus jeune dans le cas du 20 Minutes. Les lecteurs du Monde sont à 42% des cadres, des professions libérales ou des petits patrons et 68% du lectorat a plus de 35 ans60. La Dépêche du Midi, selon Yan Bouffin, a pour sa part un lectorat plutôt masculin, populaire et âgé. La cible du 20 Minutes est beaucoup plus large : les jeunes actifs urbains de 36 ans en moyenne, sachant que 35,9 % des lecteurs sont âgés de 15 à 24 ans61. Tous n’ont pas les mêmes centres d’intérêt, il est donc nécessaire, dans une optique commerciale, que la réclame puisse trouver une adhésion auprès de toute cette population. D’autre part, d’autres médias considérés comme gratuits comme la radio, les sites Internet mais aussi la télévision, tirent la majeure partie de leur revenu des recettes publicitaires et ne font pas l’objet de tels jugements. Roland Cayrol remarque ainsi « qu’il fut un temps où le Figaro était financé à 82% par la publicité. On peut évidemment se demander s’il y a une différence de nature profonde entre un journal financé à 82% par la publicité et 60 61 Selon les comptes du groupe en 2003, disponibles sur le site http://medias.lemonde.fr Le Monde du 05/01/2006, article de Pascale Santi 48 un journal financé à 100% par celle-ci. On pourrait, à la limite, se poser la question pour les journaux financés à 56% par la publicité, ce qui est la moyenne des grands quotidiens français ». Par ailleurs, comparés aux magazines féminins, pourtant payants, les quotidiens gratuits d’information ont une proportion de publicité moindre. Par exemple, dans le magazine Marie Claire de décembre 2009, on trouve 39% de pages de publicité (95 pages sur 246), 3% d’horoscope (7 pages), 31% de contenu journalistique (reportages, photoreportages, interviews, dossiers, brèves culture, people) et quantité de pages de promotion de produits cosmétiques et marques en tous genres. De la même manière, les chaînes d’information continue comme LCI, ITélé ou BFM TV, consacrent pratiquement la moitié du temps disponible à la publicité. En tout état de cause, la part de la publicité dans le 20 Minutes étant très importante, on peut se demander si les intérêts privés n’orientent pas le choix des sujets ou leur traitement. Or, la publicité apparaît dans ce journal bien plus comme un simple moyen de financement pour la production du journal que comme une influence éditoriale sur les articles produits par les journalistes. En effet, ces derniers connaissent évidemment à l’avance la place des encarts publicitaires, donnée dans le « chemin de fer », mais en ignorent totalement la nature. Lors du stage effectué à 20 Minutes, les deux journalistes de la locale toulousaine se sont rendues compte que leur titre avait un partenariat avec le festival « Zoom Arrière » de la Cinémathèque de Toulouse simplement en regardant la programmation de ce cinéma. Ni ce dernier, ni le service de la publicité n’en avait informé la rédaction. D’autres entreprises qui publient des annonces dans le journal demandent aussi parfois de publier « un rédactionnel ». Or, ce type d’articles publicitaires est refusé par la rédaction. Si une entreprise souhaite qu’une information concernant un événement qu’elle organise passe dans les pages du journal, il lui suffit d’envoyer un communiqué de presse et les journalistes décident ensuite si oui ou non, cette information mérite de paraître dans le journal. De la même manière, il est arrivé que des publicitaires critiquent un article ou la couverture d’un événement sous prétexte qu’ils « finançaient » le journal. Ce fut le cas lors de la couverture d’une grève aux Galeries Lafayette le premier jour des soldes en janvier 2008. La Direction n’a pas vu cela d’un bon œil et a immédiatement téléphoné à la rédaction toulousaine, arguant que les Galeries Lafayette étaient « partenaires du journal puisqu’ils le finançaient par leur publicité ». Cependant, Béatrice Colin a refusé de donner suite à cette demande, mettant en avant le fait que les annonceurs ne pouvaient en aucun cas déterminer le contenu du journal. Les deux 49 journalistes de 20 Minutes Toulouse expliquent ainsi cette position62 : « En fait, on a un cloisonnement avec la pub, on n'a pas les commerciaux avec nous, comme ça peut se faire dans d'autres titres payants, on ne sait même pas quelle pub il va y avoir le lendemain. Quand on bossait dans des titres payants, on nous disait « tiens, il faudrait faire un article là-dessus, c'est des gros annonceurs ». Chez nous c'est interdit par la charte déontologique, c'est un cloisonnement très spécifique à 20 Minutes. J'ai travaillé pour deux journaux payants avant et il y avait toujours un commercial qui venait nous embêter pour qu'on traite de tel ou tel sujet ! A la Dépêche; ils le font beaucoup. L'idée de départ pour 20 Minutes, c'est justement une idée de crédibilité, il faut être irréprochable. Même dans la rubrique High Tech où ça peut faire un peu pub, ils font très attention à ça, ils essaient d'équilibrer. Un exemple concret, pour l'ouverture des Portes de Gascogne, on est obligé de citer Carrefour, puisque c'est eux qui s'implantent mais on appelle aussi Leclerc pour avoir leur avis ». La logique du don/contre-don, à l’œuvre dans quantité de titres de presse, semble donc épargner les journalistes du 20 Minutes, mais pourquoi ? III) M ODES DE LEGITIMATION ET POSITION DES JOURNALISTES Du fait des multiples critiques et railleries de la profession vis-à-vis des gratuits, ces derniers ont un fort besoin de légitimation qui se traduit par des obligations déontologiques très poussées et par le respect méticuleux de la pluralité des opinions et des thématiques. A) U NE CHARTE DEONTOLOGIQUE STRICTE Tout d’abord, il est essentiel de rappeler que les journalistes du 20 Minutes se doivent de respecter une charte déontologique très stricte. En effet, comme tous les journalistes, ces derniers sont soumis au respect de la « Charte des devoirs professionnels des journalistes français »63, élaborée en 1918 par le Syndicat National des Journalistes puis révisée et complétée en janvier 1938. Elle précise entre autres qu’un « journaliste digne de ce nom » : 62 63 Voir entretien avec Béatrice Colin et Hélène Ménal en annexe p. IV Voir annexes p. XXI 50 - « ne touche pas d'argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d'être exploitées » ; - « ne commet aucun plagiat, cite les confrères dont il reproduit un texte quelconque » ; - « garde le secret professionnel ». De la même manière, ils doivent respecter la « Déclaration des devoirs et des droits des journalistes »64, adoptée en 1971 à Munich par les représentants des fédérations de journalistes de la Communauté européenne, de Suisse, d'Autriche, ainsi que de diverses organisations internationales de journalistes. Elle précise notamment qu’un journaliste : - ne doit « publier seulement les informations dont l'origine est connue ou les accompagner, si c'est nécessaire, des réserves qui s'imposent, ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents » ; - doit « rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte » ; - ne doit « jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste, n'accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs ». Cependant, un deuxième pan règlementaire vient s’ajouter à cela. La Direction précise que « les journalistes de la rédaction de 20 Minutes s'engagent à respecter le cadre déontologique spécifique à l'entreprise » 65. Cette deuxième partie de la Charte s’explique par un besoin supplémentaire de légitimation de la publication gratuite puisqu’elle est financée par la publicité. L’entreprise a ainsi voulu justifier et entériner son indépendance vis-à-vis des annonceurs. On retrouve donc certaines interdictions propres à cette société. Même si les journalistes peuvent demander des autorisations à la Direction pour collaborer à d’autres publications ou pour exercer d’autres activités, ces dernières sont rejetées automatiquement lorsqu’il s’agit de : « - Collaboration non journalistique (ex. animation de débat pour une entreprise, collaboration à des dossiers de presse, rédaction de rapports annuels, plaquettes etc.) ; - Piges pour des journaux de type " consumer magazine " et/ou journaux d'entreprise. » 64 65 Voir annexes, p. XXI Voir annexes, p. XXI 51 De la même manière, sont strictement interdits les voyages de presse non « susceptibles d'apporter un accès à l'information impossible par les biais classiques ». Les « invitations à déjeuner ou à dîner, [ne sont autorisées] que dans la mesure où celles-ci sont bien liées à une recherche d'informations et ne peuvent être assimilées à une gratification luxueuse. Il en va de même des cadeaux de presse pour lesquels il conviendra de faire un distinguo entre les envois promotionnels courants et les cadeaux dont le caractère disproportionné visera à s'attirer les faveurs du journaliste ; dans ce dernier cas, les envois seront systématiquement retournés à l'expéditeur ». Cette règle est d’autant plus observée pendant la période de Noël et du Nouvel An. En effet, beaucoup d’organismes souhaitent offrir des cadeaux aux journalistes du 20 Minutes qui doivent poliment décliner l’offre, ce qui est parfois difficile et peu compréhensible pour des services ou entreprises qui ont pour habitude un mode de fonctionnement différent avec d’autres journalistes. En effet, dans d’autres rédactions, les cadeaux de presse et autres voyages de presse sont monnaie courante, cela apparaît même comme l’un des « avantages du métier ». En témoigne une discussion de la fin 2009 avec une rédactrice en chef qui m’a confié avec humour que le fait de ne pas accepter les cadeaux de presse pour les journalistes était « bien dommage car c’est quand même l’un des avantages principaux du métier ». Il ressort également qu’en aucun cas, « un journaliste de 20 Minutes ne devra traiter d'entreprises ou d'entités commerciales dans lesquelles il a des intérêts personnels qu'il s'agisse d'actions cotées en bourse ou de participations personnelles directes. De la même façon, le journaliste de 20 Minutes ne pourra traiter d'associations ou d'organisations dont il est membre »66. Contrairement à ce qui est souvent reproché aux journaux gratuits, 20 Minutes est donc un quotidien dont l’indépendance vis-à-vis des intérêts privés est peut-être plus garantie que dans d’autres publications qui s’en prévalent sans disposer de pareilles obligations déontologiques. B) L E RESPECT DE LA PLURALITE 66 Ibid 52 Pour ne pas apparaître comme une publication guidée par de quelconques intérêts privés, 20 Minutes se doit de rendre compte, peut être plus que les autres quotidiens, de la pluralité des thèmes et des courants de pensée. Il est de mise de respecter une certaine équité à l’égard des différents points de vue, même si cela n’est pas une obligation légale. En effet, pendant la campagne municipale par exemple, les journalistes mettent un point d’honneur à ne pas renforcer la position de tel ou tel candidat. Lorsque Jean-Luc Moudenc était Maire de Toulouse, il était aisé pour lui de se donner plus à voir que l’un de ses autres concurrents. Avant les élections, il participait à un grand nombre d’inaugurations, ce qui le rendait plus visible dans les médias. La rédaction toulousaine a donc choisi de relater ces événements sans mettre trop en avant la figure du candidat soutenu par l’UMP et, même lorsqu’il est présent à des événements que la Mairie a organisés, les photographes ont pour consigne d’éviter de le photographier par souci d’équité. Par exemple, lors de l’inauguration de la plaque en l’honneur du résistant étranger Marcel Langer le 5 février 2008, le candidat soutenu par l’UMP était présent mais il n’est apparu ni sur la photo ni dans le texte de l’article paru le lendemain dans le 20 Minutes. Or, certains journaux, soit ouvertement orientés, soit historiquement ancrés d’un côté ou de l’autre de l’échiquier politique, ou s’affichant comme neutres, omettent consciemment certaines informations qui ne correspondent pas à leurs opinions. Ainsi, pendant la campagne électorale de 2008, un journaliste de La Dépêche du Midi m’a confié que dans certaines localités, ses collègues et lui-même avaient pour instruction de ne pas rapporter les propos de candidats opposés politiquement aux opinions revendiquées par le journal. Ces pratiques existent aussi dans d’autres journaux où la contrainte est même parfois intégrée au travail journalistique. Si le directeur de la publication appartient une organisation particulière (religion, parti politique, organisation…) certains journalistes ou la rédaction en chef ellemême va refuser les sujets en invoquant ces intérêts privés qui sont souvent contraires à la mission d’information des journalistes. Par ailleurs, le rédacteur en chef adjoint chargé de toutes les locales et basé à Paris, réalise régulièrement une sorte de bilan rédactionnel. Il établit la liste des sujets abordés ainsi que des personnalités citées au cours des derniers mois pour voir si une certaine pluralité a été respectée. En fonction des résultats, il demande aux locales d’adapter leurs sujets. Cela témoigne d’une rigueur très forte en vue de légitimer le support de la part de la Direction de ce quotidien souvent décrié. 53 CHAPITRE 3 TRAVAIL JOURNALISTIQUE ET RECEPTION DU PRODUIT : ETUDE EMPIRIQUE DE 20 M INUTES T OULOUSE Nous nous attacherons ici à démontrer que le travail du journaliste de 20 Minutes, à Toulouse, s’apparente à celui de ses confrères de la presse quotidienne régionale et de la presse en général. On retrouve en effet les routines de travail développées et expliquées dans les manuels ainsi que dans les ouvrages de sociologie du journalisme. Il s’agit ici de réaliser une étude comparative des rédactions de 20 Minutes et d’autres quotidiens payants, en s’appuyant sur l’observation, des entretiens sociologiques et des lectures de manuels et d’ouvrages de journalisme. Parallèlement, nous analyserons les pratiques de lecture du gratuit 20 Minutes en se basant sur l’observation de lecteurs du journal, sur des entretiens et sur des statistiques issues d’une enquête administrée à des participants anonymes par le biais d’Internet. 54 I) R ECHERCHE ET CHOIX DE L ’ INFORMATION A TRAITER Il s’agit ici de rendre compte du travail de recherche, de choix et de hiérarchisation de l’information à 20 Minutes Toulouse. Mises à part les spécificités organisationnelles que nous avons évoquées, il semble que le quotidien du personnel du 20 Minutes toulousain soit assez similaire à celui des salariés d’autres entreprises de production d’information. A) L E CHOIX DES SUJETS Ainsi, le travail de recherche de l’information s’appuie dans toutes les rédactions sur les dépêches d’agences, dont celles issues de l’agence française la plus connue, l’AFP, par le biais d’un fil RSS67 auquel tous les journaux sont abonnés. Mais ce travail de recherche ne se limite généralement pas à une simple prise en compte des dépêches d’agences paraphrasées en vue de réaliser un article, c’est le cas à 20 Minutes comme dans toutes les rédactions, y compris de presse écrite payante. Ainsi, les journalistes du 20 Minutes Toulouse reçoivent des courriers électroniques, des fax, des appels téléphoniques et entretiennent des relations étroites avec les acteurs sociaux et institutionnels locaux. Sur la base des sollicitations réceptionnées par la rédaction, cette dernière opère des choix. Les mails qui arrivent dans la boîte de réception des journalistes ne donnent pas tous lieu à la rédaction d’un papier. Il en est ainsi des sollicitations à but publicitaire ou commercial qui ne peuvent avoir leur place dans les pages d’un quotidien qui tente de légitimer son indépendance vis-à-vis des annonceurs qui le financent. De cette manière, il arrive que certains services de communication d’entreprises d’œnologie par exemple, ou de réparation de vélo, s’adressent au journal pour demander l’écriture d’un article sur un événement qu’ils souhaitent réaliser dans le but d’obtenir des clients supplémentaires. Pour les journalistes, il s’agit de repérer assez rapidement les manœuvres commerciales de ce type d’entreprises et de les distinguer ainsi des informations qui ont leur place pour un traitement journalistique. 67 Le standard RSS représente un moyen simple d'être tenu informé par mail des nouveaux contenus d'un site web, sans avoir à le consulter. 55 D’autre part, compte tenu de la masse de sollicitations qui arrivent à la rédaction, il est impossible qu’elle traite de tout. Le lectorat est en grande partie déterminant concernant le choix des sujets à « couvrir ». Cela correspond en partie au respect de la « loi de proximité » enseignée dans les écoles de journalisme et dans les manuels de journalisme. D’une manière générale, ce qui intéresse le public, ce qui le touche et peut lui être utile, est ce qui est le plus proche de lui. Ci-après, un schéma résume ce qu’est cette loi. Plus on s’éloigne du « moi », moins la personne se sent concernée par les faits d’actualité. Le 20 Minutes, comme les autres publications, obéit à cette règle instinctivement. La « loi de la proximité » Support pédagogique de l'Ecole supérieure de journalisme de Lille Il sera en effet plus opportun de rédiger un papier sur les élections municipales dans la proche agglomération, qui intéressent directement les lecteurs, que sur des incidents minimes ayant eu lieu à Foix, où le journal n’est pas distribué. De la même manière, on estime que le lectorat visé sera plus captivé par un papier sur la grève des chauffeurs de taxis et sur les prévisions du trafic routier, que par un autre qui traiterait de la sortie d’un ouvrage scientifique le même jour. Comme dans toutes les rédactions, face à la surabondance d’informations, il est nécessaire d’opérer une sélection parfois sévère car c’est précisément ce que souhaite le lecteur de la part de son quotidien : que l’on fasse un premier tri. En effet, le temps dont il dispose est limité pour lire le journal et lorsqu’il le prend ou l’achète, il s’attend 56 à un certain contenu rédactionnel, auquel il est habitué. Le choix des sujets ne se fait donc pas sans penser au lectorat ou à la politique éditoriale. B) L A RECHERCHE DES INFORMATIONS ET LE RAPPORT AUX SOURCES Cependant, un journal qui accumulerait des informations reçues par mails ou simplement issues de sollicitations extérieures risquerait de perdre son lectorat. Ce dernier recherche justement dans les « nouvelles », de la nouveauté, et dans les articles, de l’originalité. Le journaliste doit donc aller au devant de ces attentes et chercher par lui-même les informations là où elles se trouvent. C’est en partie pour cette raison que les rédactions locales entretiennent de bons rapports avec les acteurs sociaux et institutionnels de la ville ou de l’agglomération. Ainsi, les journalistes du 20 Minutes de Toulouse ont souvent affaire à un nombre d’interlocuteurs limités. Cette tendance est assez générale dans le milieu journalistique, remarque Erik Neveu dans son ouvrage « Sociologie du journalisme »68. En effet, selon lui, « le poids des sources institutionnelles majeures (gouvernement, grandes entreprises) apparaît considérable grâce à la professionnalisation qui se combine au réflexe spontané des journalistes de se tourner vers les autorités ». Cela correspond aux concepts de « définisseurs primaire et secondaire » établi par Stuart Hall qui suggère qu’il existe des sources qui font autorité de par leur représentativité ou leur statut institutionnel. Erik Neveu précise cependant que les journalistes peuvent aussi être des définisseurs primaires « en constituant des faits sociaux en problèmes ou événements », que les définisseurs primaires et secondaires peuvent changer de statut et qu’une initiative d’un définisseur primaire peut échouer « au simple motif d’une surcharge d’informations ». Les journalistes ne sont pas dupes et ils tentent en effet généralement de donner la parole aux individus et organisations concernées. Il n’en reste pas moins que les autorités sont une source privilégiée par la plupart des titres, y compris les payants. Au 20 Minutes Toulouse, les sources sont souvent la Mairie de Toulouse, la Préfecture, la Police, la Direction de la SNCF ou d’Airbus, les syndicalistes les plus actifs ou des militants qui assurent un lien avec la presse... La rédaction se tourne vers 68 « Sociologie du journalisme », Erik Neveu, 2004, p.57 57 ces instances afin d’obtenir des informations plus complètes ou pour simplement se renseigner sur un sujet qui peut faire l’objet d’un article. Du point de vue des sources d’information, il est indéniable que les deux journalistes du 20 Minutes Toulouse, journal qui existe depuis 2004, ont de fait plus de difficultés que les 40 journalistes de La Dépêche du Midi. En effet, avec 10 départements couverts, des centaines de correspondants locaux, une certaine historicité, des réseaux dans lesquels le journal s’inscrit, etc., il est certain que 20 Minutes est désavantagé. En effet, on retrouve cette idée en interrogeant un journaliste de La Dépêche du Midi, Emmanuel Haillot. Pour lui, « les gens pensent Dépêche. Mais ce qui compte ce sont les relations. J'ai tissé un réseau de 50 correspondants et j'ai été obligé d'aller voir les gens, j'ai un carnet d'adresses énorme. Il y a eu une tuerie pendant que j'étais en vacances dans un petit village, le Maire ne voulait pas parler aux journalistes mais quand la personne qui me remplaçait a dit qu'elle était de la Dépêche, ça a marché car je l'avais déjà rencontré. Il y a ce contact qui fait qu'on est connu, il faut aller au contact des gens mais pas que quand ça va mal ». Du point de vue du carnet d’adresses, les journalistes de 20 Minutes ont petit à petit réussi s’en constituer un assez fourni. Par contre, les rédactions étant déconcentrées, elles n’ont pas de services à proprement parler puisqu’elles ne sont que deux. Les journalistes de La Dépêche du Midi peuvent se tourner vers leur propre service, un autre service, ou même une autre publication du titre pour obtenir des informations précises. Ainsi, pour une information sportive, ils pourront se tourner vers le Midi Olympique, interlocuteur privilégié. Un autre exemple : lors du crash du vol RioParis, un journaliste de La Dépêche du Midi est venu à Toulouse Mag pour savoir si quelqu’un avait un contact avec un chef de cabine toulousain d’Air France, car il venait d’apprendre qu’un autre chef de cabine toulousain était dans l’avion. L’un des journalistes de Toulouse Mag a appelé quelqu’un qu’il avait interviewé un mois avant, et il s’est avéré que cette personne connaissait intimement la chef de cabine disparue. On comprend bien qu’à deux, les journalistes de 20 Minutes n’ont d’une part pas ce type de services vers lesquels se tourner (de par la structure et l’organisation de l’entreprise), et n’ont pas non plus le même ancrage populaire que La Dépêche du Midi. Cela ne signifie pas non plus qu’aucune relation ne peut être tissée, il s’agit seulement du fait que le processus est lent, s’inscrit dans la durée et va de pair avec notoriété et crédibilité. De plus, 20 Minutes a rencontré des soucis de crédibilité, ce qui a généré des problèmes avec l’institution judiciaire qui ne souhaitait pas communiquer avec à ses débuts. Certaines personnes interrogées pour la réalisation d’articles lors de mon stage m’ont 58 également répondu ne pas vouloir « parler aux gratuits » et j’ai parfois dû faire face à des insultes. Lorsque l’on demande aux journalistes de 20 Minutes Toulouse si elles ont des difficultés pour l’accès aux sources d’information, voici ce qu’elles répondent : « De moins en moins, sauf pour l'info faits divers. Les canaux institutionnels, les agences de com, on a les mêmes. Après, le citoyen qui est victime de quelque chose, il appelle la Dépêche, ils n’ont pas le réflexe de nous appeler. En plus c'est vrai qu'on ne répond pas à ce genre de demandes. Par exemple, il y a en ce moment une retraitée qui cherche son mari, elle voulait mettre un avis de recherche dans le journal mais on ne fait pas ça, bien sûr, on va demander à Paris, mais ils vont dire non. » Cela correspond à ce que pense Yann Bouffin. Selon lui, « de toute façon ça diffère [de La Dépêche du Midi], parce que ils doivent avoir un système de collecte d’informations un peu compliqué, parce que bon c’est bien beau, ils doivent avoir tout le canal de l’information institutionnelle, officielle, un agenda avec des invitations des trucs comme ça, pour le reste de l’info ils doivent ramer, quand même, ça ne doit pas être évident pour eux, à deux en plus, pff ». Avec leur réseau, certes restreint par rapport à celui de La Dépêche du Midi, les journalistes du 20 Minutes arrivent à avoir accès aux informations par d’autres sources que les sources institutionnelles : par d’autres journalistes, par des particuliers ou par des militants par exemple. Toutefois, il arrive aussi que le journal ne soit pas assez réactif ou que, pour des raisons pratiques, il n’ait pas accès à l’information dans les temps. Deux cas de figure sont envisageables : - Soit il y a un « ratage », c'est-à-dire qu’une nouvelle est publiée par un quotidien concurrent (Métro, La Dépêche du Midi, TLT, France 3) sans que l’on ait pu la faire apparaître dans sa propre publication. Le journal peut alors s’inspirer de cette information pour rebondir le lendemain dans un autre article tout en ayant pris soin de la vérifier et de contacter les acteurs concernés. C’est par exemple ce qui s’est passé plusieurs fois lorsque La Dépêche du Midi a obtenu l’exclusivité pour traiter des sujets comme la première grève des taxis en 2008 ou encore la présentation en avantpremière de l’Aéro Space Campus (information à laquelle ce quotidien a eu accès un jour avant la date fixée). - Soit l’information parvient à la rédaction par le système AFP Direct, un flux RSS d’informations auquel sont abonnés tous les journaux. Dans ce cas, il est rapidement possible de se renseigner à ce sujet et de rédiger un article sans paraphraser la dépêche d’agence. Il est important de préciser que les dépêches AFP servent aussi à vérifier 59 une information déjà traitée. Mais il est important de préciser que les dépêches d’agence servent à toutes les rédactions. Sylviane Beaudois, interrogée sur son travail au Monde déclare « notre premier accès à l’information, ce sont les dépêches d’agence, évidemment. » Cette phrase est très importante car elle est révélatrice d’un phénomène : Il est de bon ton de dénoncer l’utilisation massive des dépêches d’agence par les gratuits alors que tous les journaux les utilisent. Comme j’ai pu m’en rendre compte pendant mes stages, la dépêche d’agence reçue à la rédaction permet aux journalistes d’être au courant de ce qui se passe dans la région. Une fois qu’un événement est signalé, il s’agit pour eux de se rendre sur les lieux, de passer des coups de téléphone aux personnes concernées puis de confronter les informations obtenues. Les recopier mot pour mot sans au moins un appel téléphonique pour vérifier l’information n’aurait aucun intérêt dans un cadre journalistique. 60 II) L E TRAITEMENT DES SUJETS L’impératif de tri rempli, les journalistes de presse écrite se doivent de traiter l’information. Nous aborderons donc ici tout ce qui concerne l’écriture d’un article au sein de la rédaction toulousaine du 20 Minutes : le contenu comme la forme de l’écrit. A) L ES CARACTERISTIQUES DE L ’ ECRITURE JOURNALISTIQUE Tout d’abord, il est nécessaire de souligner que certaines des caractéristiques de l’écriture 20 Minutes sont communes à la plupart des publications. Dans le « Manuel de journalisme » d’Yves Agnès69, un chapitre entier est dédié à « l’écriture efficace », c'est-àdire « une écriture simple et directe »70 qui doit être employée par les journalistes. L’auteur met en évidence l’importance d’écrire des « textes humains » avec des mots faisant référence « aux sens », des mots « extraits de l’univers corporel, personnel et familial », des « citations de propos », ou encore la « mise en scène de personnes ». Par ailleurs, le jeune journaliste y est incité à utiliser un vocabulaire simple. Ainsi, pour Yves Agnès, « le lecteur ne s’approprie aisément le texte que si les mots qu’il contient sont pour lui « en mémoire ». Et comme la plupart des publications veulent s’adresser au plus grand nombre, les journalistes doivent éviter l’emploi de certains termes ou prendre des précautions avec eux ». De cette manière, les mots abstraits, les mots d’origine étrangère non intégrés dans la langue courante, les néologismes, les archaïsmes, les sigles dont on n’est pas sûr que chaque lecteur en comprenne la signification, les jargons d’une population non visée par la publication, les mots scientifiques, le langage recherché voire pédant, les noms propres sans précision de la fonction de l’individu, les abréviations, sauf si elles font partie du langage courant (une auto, un prof…), et les mots à sens multiples sont pour lui à proscrire. En définitive, il faut « choisir des mots courts, des mots simples, et de forme simple (sans préfixes ni suffixes), bien ancrés dans le vocabulaire courant, la langue usuelle ». L’auteur de ce manuel de journalisme conseille d’éviter les « répétitions », les « formules creuses », les « pléonasmes », les « adjectifs ou adverbes censés compléter le mot mais qui, soit n’apportent rien de plus, soit 69 70 Yves Agnès, « Manuel de journalisme », Repères, la Découverte Ibid page 107 61 tentent de pallier le choix d’un mot faible, qui n’explique pas correctement ou mal l’idée », les « locutions alambiquées qui compliquent la phrase (‘revêtir de sa signature’ au lieu de ‘signer’) ». Ce sont autant de réflexes professionnels que les deux journalistes du 20 Minutes toulousain ont intégré dans leurs routines professionnelles. L’écriture journalistique classique est donc de mise dans ce quotidien gratuit, malgré les nombreuses critiques dont il est l’objet : journal simplificateur voire simpliste, vulgarisation trop poussée… B) L A VARIETE DES GENRES L’expression écrite s’inscrit cependant dans une forme, les articles obéissent à des normes et un journal n’est pas une succession de phrases aléatoirement imprimées. Des « gabarits » sont à la disposition des journalistes afin qu’ils déterminent l’apparence et la place que prendront les papiers en fonction de leur importance. Outre cet aspect technique, il est également nécessaire de choisir le style de l’article : l’écrit sera-t-il un reportage, une interview, une brève, une page thématique, une enquête, un portrait ou un simple compte rendu ? Cette diversité a été appréhendée par les concepteurs du journal et a été traduite dans sa maquette par quelques emplacements dédiés à certains genres. Les genres journalistiques sont variés et il est important de les maîtriser pour permettre au lecteur de se divertir en lisant la publication. Ainsi, un même sujet pourra donner lieu à différents types d’écrits. Quelque soit le genre choisi pour la rédaction de l’article, le journaliste se doit de déterminer un angle, c'est-à-dire une manière d’aborder le sujet, de le ramener à un aspect principal bien délimité pour ne pas noyer le lecteur dans une masse d’informations dont le foisonnement nuirait à la perception du sens, concept utilisé par tous les titres de presse. Nous pouvons donc remarquer que les journalistes de ce quotidien gratuit organisent leur travail de la même manière que ceux qui travaillent dans des rédactions de titres payants. Ils ont intégré les mêmes réflexes, récoltent des informations de manière assez similaire et utilisent des genres71 variés pour rendre compte de l’actualité : portraits, reportages, interview, brèves, synthèses, filets, échos, infographies, comptes-rendus, résumés de documents, analyses, articles historiques. Ne sont pas présents dans les pages du 20 Minutes les genres 71 27 genres journalistiques sont décrits dans le « Manuel de journalisme » d’Yves Agnès, p. 187-201 62 suivants : nécrologie, revue de presse, table-ronde, micro-trottoir, tribune libre, communiqués, courrier des lecteurs, bonnes feuilles, éditorial, billet, critique, chronique, dessin de presse. Cependant, force est de constater que tous les journaux n’utilisent pas tous les genres cités, et que l’on trouve dans Métro par exemple des micros-trottoirs, des tribunes libres et des critiques. Par ailleurs, 20 Minutes a des particularités, liées à son caractère gratuit, qui ne sauraient être passées sous silence. Il en est ainsi de la question des reportages et enquêtes poussés. Sylviane Beaudois va jusqu’à dire que 20 Minutes « ne fait pas de reportages », ce qui est erroné puisque le reportage est, selon Yves Agnès qui le définit dans son « Manuel de journalisme », « un article ou ensemble d’articles dans lequel un journaliste relate de manière vivante ce qu’il a vu et entendu […] on appelle communément reporter un journaliste sur le terrain »72. Or les deux journalistes du 20 Minutes Toulouse passent énormément de temps à l’extérieur de la rédaction, pour des conférences de presse évidemment mais également sur le terrain lors d’événements sociaux ou de procès divers. Au vu des moyens dont dispose la rédaction toulousaine du 20 Minutes, il est cependant compliqué de mener des enquêtes poussées et de réaliser de longs reportages, c’est pour cette raison que le plus souvent, ce type d’articles qui imposent un travail assez long est écrit par des pigistes. Des contraintes structurelles induisent des particularités quant au travail fourni par les rédactions de 20 Minutes, comme nous avons pu le constater avec l’exemple de 20 Minutes Toulouse, tant du point de vue des sources que dans le traitement des sujets. Pour autant, les confrères des journalistes qui y travaillent reconnaissent leur professionnalisme. En effet, alors que Yann Bouffin et Sylviane Beaudois dénigrent le support, ils reconnaissent à plusieurs reprises la qualité de leur travail. Pour Yann Bouffin, « ils ont le sens de la titraille ». De son côté, Sylviane Beaudois déclare « ce sont des gens qui travaillent correctement […], ceux qui y travaillent tentent de faire leur travail le mieux possible, il n’y a pas de honte à travailler pour ce genre de support. ». Yann Bouffin explique même : « à titre tout à fait personnel, je ne fais aucun distinguo entre un journaliste de presse gratuite, de presse payante, quelqu’un qui aura eu l’expérience de travailler dans la presse, s’il a un bon profil, ce ne sera pas une condition où je barrerais d’un trait rouge sa candidature ». Cette remarque est encore une fois révélatrice du fait que les journalistes de presse gratuite ne sont 72 Yves Agnès, « Manuel de journalisme », p.244 63 pas mal considérés, le problème se situe au niveau du support et non pas au niveau des savoirfaire professionnels. Emmanuel Haillot, journaliste à La Dépêche du Midi explique quant à lui, au sujet des événements survenus à l’usine Molex et des journalistes de 20 Minutes Toulouse, qu’il a « trouvé des journalistes qui faisaient le même boulot ». Les contraintes d’ordre structurel seraient donc responsables du contenu du journal parfois conçu comme médiocre, sans que le professionnalisme des journalistes du 20 Minutes ne soit remis en question. III) L ECTORAT ET RECEPTION : ENQUETE Nous nous attacherons dans cette partie à analyser la structure du lectorat du journal 20 Minutes ainsi que sa réception par le public. Comment le journal est-il lu ? Par qui ? Pourquoi ? Où ? Quand ? Qu’est-ce qui est lu exactement ? La règle journalistique des 5W+1 nous guidera donc utilement dans ce travail de sociologie. Mais avant toute chose, il est nécessaire d’exposer la méthodologie employée pour aboutir aux résultats présentés. A) M ETHODOLOGIE Pour mener cette analyse, nous nous appuierons sur les résultats rendus disponibles par le site 20 Minutes Média, eux-mêmes issus des études Epic. Cependant, cette seule source ne peut permettre d’analyser correctement les pratiques de lecture du 20 Minutes. Il s’est donc avéré nécessaire de mener une enquête en totale autonomie auprès de lecteurs et de non lecteurs. J’ai réalisé cette enquête par Internet, grâce au site SharingData73 qui permet d’administrer gratuitement des questionnaires, pour un maximum de 30 questions. J’ai choisi de travailler de cette manière car ce système m’a semblé particulièrement intéressant car les réponses sont totalement anonymes. Le biais qui peut exister en face à face dû à la situation enquêteur/enquêté m’a paru être moins important voire même disparaître 73 http://www.satisfactory.fr/ 64 avec ce procédé. J’avais à l’origine pensé administrer les questionnaires dans les stations de métro mais je me suis rapidement rendue compte que les individus étaient très pressés et très peu disponibles pour répondre à mes questions. Par ailleurs, la plupart des utilisateurs du métro sont toulousains, alors que le journal est aussi distribué dans d’autres lieux que les transports en commun et touchent donc d’autres types d’individus qui se déplacent par exemple en voiture. Pour administrer mon questionnaire, j’ai envoyé un mail contenant un lien pour aller le remplir 74 à des listes d’adresses récupérées dans des mailings qui m’avaient été envoyés ainsi que dans mes propres contacts, en demandant de faire suivre au plus grand nombre possible. Je suis consciente que cette démarche introduit un biais d’échantillonnage car ce dernier ne peut pas être vraiment représentatif de la population. Les enquêtés peuvent aussi ne pas répondre à certaines questions puisqu’ils n’en ont pas vraiment l’obligation, étant donné qu’il n’y a pas de personne physique devant eux. Néanmoins, avec les réponses obtenues, il est possible de tirer des statistiques intéressantes qui permettent d’éclairer les pratiques de lecture du journal 20 Minutes. Le questionnaire réalisé a été rédigé en plusieurs étapes. Je me suis tout d’abord posée la question de savoir ce que je souhaitais savoir par rapport à mes hypothèses. Ensuite, j’ai réalisé un test au sein de ma classe de 4ème année à Sciences-Po Toulouse, ce qui m’a permis d’améliorer le questionnaire et de peaufiner la rédaction. Lorsque j’ai décidé de l’administrer par Internet, j’ai encore une fois réétudié les questions. Enfin, quelques discussions avec les personnes ayant rempli le questionnaire m’ont permis de pousser un peu plus mon analyse. J’ai également couplé ce questionnaire avec des observations sur le lieu de mes études, dans le Métro et dans la rue ainsi que par des entretiens pour voir comment le 20 Minutes était lu. 74 Voir le questionnaire en annexe p. XXVI 65 B) R ESULTATS DE RECHERCHE Tout d’abord, il est utile de préciser les résultats de l’enquête Epic 2009 pour avoir une base constituée d’une étude de grande envergure. Le site 20 Minutes Média donne des extraits de cette étude. Voici quelques chiffres : - 34% des lecteurs sont issus de CSP+ - 69% sont actifs - 48% sont des femmes - 77% ont moins de 50 ans - La moyenne d’âge des lecteurs est de 37 ans - 74% des lecteurs ne lisent aucun autre titre de PQN - 42% d’entre eux lisent le 20 Minutes dans les transports, 34% au travail et 16% au domicile Quelques informations complémentaires m’ont été apportées par un chargé de marketing de 20 Minutes, Mathieu de Cointet, contacté par téléphone en septembre 2009. Il s’agit de chiffres nationaux car le service ne dispose pas d’études locales. Les voici : - 56% des lecteurs lisent aussi Métro, 22% lisent aussi Direct Soir, 35 % lisent aussi Direct + - 44,87% des lecteurs se procurent le 20 Minutes par colporteur, 50,38% par présentoir, 4,75% dans leur entreprise ou par portage - 87% des lecteurs lisent le 20 Minutes au moins 3 fois par semaine - La lecture se ferait plutôt le matin - Les lecteurs sont attirés par le format pratique, les informations locales et le ton de 20 Minutes - Ils reprochent au journal de ne pas être assez chaleureux par rapport à Métro - le taux de circulation s’élèverait à 3,5 Dans l’enquête que j’ai réalisée, 46 personnes ont répondu, et une personne a abandonné à la deuxième question. Toutes les personnes n’ont pas répondu à toutes les questions tandis que d’autres ont parfois coché deux cases antagonistes, ceci est dû à l’absence de personne physique face à l’enquêté, comme précisé plus haut. Les résultats obtenus sont néanmoins tout à fait exploitables. 66 Voici les principales caractéristiques sociologiques de l’échantillon75 : - Moyenne d’âge de 30 ans - Sexe : Réponse Homme Femme - Pourcentage 55,6 44,4 Lieu d’habitation : Réponse A Toulouse En proche banlieue toulousaine Autre - Pourcentage des répondants 60 33,3 6,7 Catégorie socioprofessionnelle : Réponse Agriculteur exploitant Artisan, commerçant ou chef d'entreprise Cadres et professions intellectuelles supérieures Profession intermédiaire Employé Ouvrier Retraité Etudiant ou lycéen Au chômage ou sans emploi - Pourcentage des répondants 0 0 26,7 4,4 4,4 0 2,2 62,2 0 Niveau de revenu mensuel : Réponse 0-750€ 750-1000€ 1000-1500€ 1500-2000€ 2000-3000€ 3000-4000€ + de 5000€ Pourcentage des répondants 58,1 4,7 4,7 9,3 20,9 2,3 0 75 Les pourcentages sont indiqués par rapport au nombre de répondants, et non par rapport au nombre de réponses. L’ordre croissant des pourcentages est le même dans les deux cas mais le nombre de réponses donne un chiffre pondéré au nombre total de réponses, ce qui rend moins bien compte des pratiques des individus. 67 - Fréquence de lecture des journaux quotidiens payants : Réponse Jamais Tous les jours 3 à 4 fois par semaine 1 à 2 fois par semaine 2 à 3 fois par mois Moins souvent - Pourcentage des répondants 22,2 11,1 8,9 17,8 26,7 20 Les journaux lus cités sont : Le Monde (48% des lecteurs de quotidiens payants) ; Libération (44%) ; La Dépêche du Midi (37%) ; Le Canard Enchaîné et l’Humanité (7% chacun) ; l’Equipe, Aujourd’hui en France, Le Figaro et Marianne (3% chacun). - Lecture de magazines : Réponse Jamais Chaque mois Chaque semaine Moins souvent - Pourcentage des répondants 11,1 28,9 35,6 33,3 Les magazines lus cités sont très divers : presse généraliste d’information, presse économique, sportive, people, féminine, masculine, scientifique. - Façons de s’informer sur l’actualité : Réponse Par la radio Par la télévision Par Internet Par la presse payante Par la presse gratuite Vous ne vous informez pas sur l'actualité - Pourcentage des répondants 73,3 71,1 77,8 40 68,9 0 Concernant les stations de radio écoutées, les sites Internet d’information ou les chaînes de télévision, les réponses sont très variées mais on remarque une présence forte des stations Radio France (50% des répondants citent au moins une des stations). Le site web de 20 Minutes a été cité par 20% des répondants. 68 - A propos du type d’information recherché, 33 personnes ont répondu, avec une nette préférence pour les informations politiques (citées par 64% des répondants), l’actualité internationale (33%), sociétale (33%), culturelle (30%), sportive (27%), économique (21%). L’actualité locale ne représente que 12% du type d’actualités citées (au même niveau que les informations écologiques et environnementales).Moins de 10% des répondants ont cité les actualités nationales (qui peuvent se confondre avec la politique et la société), juridiques, technologiques et relatives à la mode. - Lecture du 20 Minutes : Réponse Oui Non Pourcentage 82,2 17,8 On remarque qu’il y a autant d’hommes que de femmes qui ne lisent pas le 20 Minutes (4 pour chaque sexe sur l’échantillon), leur moyenne d’âge est de 36 ans, ils vivent majoritairement à Toulouse et en proche banlieue et sont soit cadres et profession intellectuelle supérieure, soit étudiants, soit retraité (une seule personne est retraitée). Ils ont tous des niveaux de revenus inférieurs à 3000€, et la moitié d’entre eux a moins de 750€ par mois. 50% ne lisent jamais de quotidien payant, 13% en lisent tous les jours, 25%, deux à trois fois par mois, et 13% moins de deux fois par mois. Les quotidiens lus sont Le Monde, La Dépêche du Midi, Libération et Le Parisien Aujourd’hui en France. 62% des non lecteurs de 20 Minutes lisent un magazine au moins une fois par mois ou une fois par semaine. Seuls 12% n’en lisent jamais. Les magazines cités sont Le Monde Diplomatique, l’Equipe Magazine, Elle, Courrier International, Marianne, Alternatives Economiques, Politis et le Nouvel Observateur. 88% des non lecteurs de 20 Minutes s’informent par la télévision, 50% par la radio, 63% par Internet. Aucun ne lit la presse gratuite. - Lecture d’un autre quotidien gratuit d’information : Réponse Oui Non Pourcentage des répondants 64,4 35,6 69 - Autre quotidien gratuit d’information lu, à part 20 Minutes : Réponse Métro Direct Toulouse Direct Soir Autre - Pourcentage des répondants 83,3 30 30 0 Mode de procuration du journal 20 Minutes : Réponse Par présentoir Par distributeur Auprès d'un autre lecteur - Lieu où le journal est réceptionné : Réponse Bouche de Métro Lieu de travail Lieu d'études Autre - Pourcentage des répondants 55,3 18,4 42,1 13,2 Fréquence de lecture : Réponse Tous les jours 3 à 4 fois par semaine 1 à 2 fois par semaine 2 à 3 fois par mois Moins souvent - Pourcentage des répondants 54,3 51,4 37,1 Pourcentage des répondants 5,1 23,1 46,2 20,5 7,7 Moment de la lecture : Réponse Matin Soir Midi A n'importe quel moment de la journée - Pourcentage des répondants 48,7 2,6 12,8 43,6 Lieu de lecture : Réponse Dans les transports Sur le lieu de travail Sur le lieu d'études A la maison Autre Pourcentage des répondants 59 17,9 51,3 20,5 5,1 70 - Temps depuis lequel le 20 Minutes est lu : Réponse - d'1 an 1 à 2 ans 2 à 4 ans + de 4 ans - Pourcentage des répondants 2,6 15,4 51,3 30,8 Rubriques préférées dans le 20 Minutes : Réponse Actualité nationale Actualité locale Actualité économique Loisirs Actualité sportive Autre - Les points forts du journal 20 Minutes : Réponse Gratuité Qualité du contenu éditorial Rapidité/facilité de lecture Format pratique Divertissement Point de vue global sur l'actualité Informations locales Informations sportives Informations culturelles Autre - Pourcentage des répondants 56,4 66,7 28,2 41 28,2 12,8 Pourcentage des répondants 86,8 10,5 71,1 52,6 15,8 28,9 28,9 7,9 13,2 5,3 Les points faibles du journal 20 Minutes : Réponse Format Brièveté des informations Publicité Faible qualité du contenu rédactionnel Manque d'analyse et de mise en perspective Pourcentage des répondants 2,9 65,7 34,3 48,6 54,3 71 - Que faire du journal une fois lu ? Réponse Le gardez Le jetez Le laissez là où vous l'avez lu Le donnez à quelqu'un Total - Consultation du site Internet 20 Minutes.fr : Réponse Jamais De temps en temps Souvent Très souvent Total - Pourcentage 2,6 64,1 17,9 15,4 100 Pourcentage des répondants 71,1 21,1 0 7,9 Une seule personne a contacté la rédaction de 20 Minutes Toulouse pour envoyer des informations culturelles. 72 - Propositions d’améliorations (retranscription intégrale des 23 réponses obtenues) : Répondants anonyme_12 anonyme_14 anonyme_16 anonyme_18 anonyme_20 anonyme_21 anonyme_78 anonyme_81 anonyme_87 anonyme_88 anonyme_91 anonyme_93 anonyme_103 anonyme_104 anonyme_106 anonyme_110 anonyme_111 anonyme_122 anonyme_123 anonyme_125 anonyme_126 anonyme_130 anonyme_131 Réponse Rien, il est suffisant pour ce que j'en attends Tout Enlever la publicité en première page Tout dépend de ce que le journal souhaite viser comme public. Mettre quelques articles de qualité avec analyses sur des sujets importants de l'actualité (nationale ou internationale). (Comme dans le Direct Toulouse, qui reprend des articles du Monde ou du Courrier International) Plus de contenu L'orthographe, la ponctualité de l'information, bref rappel d'information de base sur certains sujets traités depuis une longue période L'actualité locale Pas assez d'actualité sportive. Dans sa forme actuelle pas mal : bon aperçu, synthèses courtes mais bonnes. Facilité de lecture. Mettre plus d'informations sport La couverture locale L'esprit critique (je suis aussi une lectrice occasionnelle du Canard enchainé...) C’est difficile à dire, ce qui me manque dans 20 Minutes ce sont des mises en perspective solides. Le journal est plutôt adapté à l'usage dans les transports en commun et je le trouve ailleurs. Toutefois, on pourrait peut-être imaginer des renvois vers des dossiers plus approfondis sur le site internet (et là en écrivant ceci j'ai un doute car cela existe peut-être déjà, non?). Un dossier par jour cela pourrait être une bonne idée. Bon courage pour l'exploitation de l'enquête. Je donnerais davantage de contenu rédactionnel, mais est ce possible pour un gratuit ? Les informations locales Qu'il délaisse l'évènementiel pour augmenter la part de faits concrets et originaux par rapport aux autres journaux Contenu, plus de réflexion, moins de pub Il faudrait des articles de fond, vraiment. Pas que de l'information. Il faudrait des opinions, des enquêtes. Le contenu éditorial Pas grand-chose à améliorer selon moi, c'est un format à part Images plus petites La qualité des articles, qu'il y ait 1 ou 2 pages comparables à des journaux d'actualité 73 - Remarques sur le journal (retranscription intégrale des 17 réponses) : Répondants anonyme_8 anonyme_9 anonyme_14 anonyme_16 anonyme_18 anonyme_21 anonyme_78 anonyme_82 anonyme_87 anonyme_88 anonyme_104 anonyme_106 anonyme_111 anonyme_116 anonyme_123 anonyme_126 anonyme_130 Réponse Juste une remarque : je ne sais pas si les gens font la différence entre les diverses presses gratuites. Personnellement, lire Métro, 20 Minutes ou Direct Soir, pour moi c'est la même chose. Je prends le premier qui me tombe sous la main. Ceci dit, c'est plus pratique de lire 20 Minutes que Métro dans les transports en commun (format mieux adapté). Bon journal, qui surpasse ses concurrents en termes de qualité rédactionnelle, de mise en page, de format et de ton C'est la mort de la presse ce genre de canard Merci Je ne pense pas que ce journal ait pour vocation de vraiment traiter de façon poussée l'actualité, à lire simplement à titre informatif sans grandes ambitions, si un thème nous plait, il faut chercher ailleurs. Cela fait passer le temps dans les transports, et donne à certains l'illusion d'être informés. - Ce n'est pas un avis négatif, car cela me semble normal vu que c'est un quotidien gratuit, les moyens doivent manquer pour aller plus loin dans l'analyse de l'information. Très pratique, ergonomique, parfait pour s'intéresser à l'actualité rapidement et constitue donc un tremplin pour s'intéresser à des sujets plus précis via internet par la suite. Bien qu'il ne suffise pas pour une prise d'information de fond et une analyse du contexte etc. (ce n'est pas son objectif) je pense que le 20 Minutes répond relativement bien à une prise d'information rapide sur les sujets d'actualité. il permet d'en connaître les titres et quelques bribes d'informations pour ceux traités par les médias, en général, du pays de distribution Articles peu objectifs, abondance de sport (foot, rugby). - Orientation politique non négligeable ! Il révolutionne la presse par sa gratuité. Présentation agréable. lecture facile. Bon aperçu local. Voir réponse précédente, et aussi il faudrait travailler sur les encres : on se sent comme Sartre après la lecture des vieux Libé gras : les mains sales! Pourquoi ne pas organiser une récupération des journaux pour récupérer le papier ? Qu'il continue ainsi J'aimais beaucoup les mots croisés quand j'allais en psycho à la fac du Mirail (...!) C'est un journal gratuit et le fait que tout le monde ait accès à l'information gratuitement est très important. Peut-être qu'avec ce journal, les gens sont plus au fait de l'actualité. Et tant mieux. Par contre, ce n'est pas assez un journal d'investigation ou d'opinions (quitte à avoir plusieurs opinions dans le journal hein, vu qu'il s'adresse à tout le monde et pas à un seul type de lectorat, genre lectorat de gauche pour l'Huma, de droite pour Le Figaro). Du fait de sa gratuité, il touche un large public. Donc il ne peut pas se permettre d'être trop idéologique. Mais des articles de fond de tous bords seraient les bienvenus. Il est bien pour avoir un aperçu rapide de l'actualité mais ne permet pas vraiment la réflexion (mais pour ça il y a les grands quotidiens nationaux). Parfois la qualité rédactionnelle laisse à désirer (enfin surtout les unes et les titres d'articles qui ont des jeux de mots pas franchement drôles parfois même douteux). Facile d'accès (pour sensibiliser les élèves à l'actualité) 74 C) A NALYSE ET INTERPRETATION DES RESULTATS Les informations obtenues par l’enquête de lectorat sur Toulouse ne se recoupent pas totalement avec celles obtenues en lisant l’enquête Epic 2009 ou même avec les informations obtenues au service marketing de 20 Minutes. En effet, la moyenne d’âge de l’enquête de lectorat toulousaine est de 30 ans, contre 37 ans au niveau national, ce qui peut être dû à un biais d’échantillonnage, mais aussi au fait que Toulouse est la deuxième plus grande ville étudiante de France avec plus de 90 000 étudiants, ce qui a pour conséquence que la population est plus jeune que dans d’autres villes françaises. Ces deux raisons peuvent aussi expliquer conjointement la forte proportion d’étudiants ou lycéens dans le pourcentage des répondants ainsi que la grande proportion de faibles revenus qui va de pair avec le statut des personnes interrogées. Cependant, les apports les plus intéressants de l’enquête toulousaine sont plutôt ceux concernant les modes et les raisons de lecture ou de non lecture du 20 Minutes. Tout d’abord, il est intéressant de remarquer qu’il n’y a pas de relation entre la lecture ou non de magazine et la lecture ou non du 20 Minutes. Les non lecteurs de 20 Minutes ne s’informent pas forcément sur l’actualité par la presse payante. Comme les autres personnes interrogées, ils s’informent aussi par la télévision, la radio et Internet et ne sont pas des lecteurs réguliers de la presse payante (13% la lisent tous les jours contre 10% chez ceux qui lisent le 20 Minutes). Intéressons-nous maintenant exclusivement aux lecteurs du 20 Minutes en nous basant sur l’enquête de lectorat quantitative réalisée à Toulouse mais aussi sur les différents entretiens réalisés aux abords des bouches de métro et à l’université. La plupart des lecteurs du 20 Minutes lisent aussi Métro, contrairement à ce que Mathieu de Cointet, chargé de marketing à 20 Minutes, affirmait. La lecture d’un quotidien gratuit ne semble donc pas exclusive, car le prix n’exclut pas la consommation d’un autre journal, plusieurs de ces titres peuvent donc être lus simultanément. Cependant, on remarque que les journaux les plus anciens jouissent d’une plus grande notoriété auprès du public interrogé (Direct Toulouse et Direct Soir ne sont lus que par 30% des lecteurs de 20 Minutes interrogés). 75 D’autre part, on remarque que les lecteurs sont fidèles au journal 20 Minutes et le lisent pour leur majorité (82%) depuis plus de 2 ans, sachant que près d’un tiers des personnes interrogées le lisent depuis plus de 4 ans. Cependant, sur un ci court laps de temps, il est difficile de parler de réelle fidélité et les enquêtes sur 10 ans sauront nous renseigner de façon plus probante. Ainsi, on remarque que la lecture du journal s’arrête très souvent lorsque les lecteurs ne passent plus devant les lieux de distribution. Lorsque les anciens étudiants qui pourtant lisaient quotidiennement le 20 Minutes trouvent un emploi qui ne leur impose plus de prendre les transports en commun ou de passer devant un présentoir contenant le quotidien, la lecture s’arrête. Le 20 Minutes cesse d’être lu au moment même où sa facilité d’acquisition disparaît. Or, les habitués des quotidiens payants font pour leur part la démarche volontaire d’aller chercher leur journal en kiosque ou s’y abonnent pour le recevoir tous les jours. Reste à savoir si 20 Minutes pourrait obtenir des lecteurs supplémentaires dans le cas d’une proposition d’abonnement à prix réduit. Dans le cas des personnes interrogées, cela paraît peu probable puisque très peu d’entre eux consultent ou ont consulté le site Internet du 20 Minutes qui permet pourtant de télécharger les numéros gratuitement. La gratuité a également un autre effet : généralement, lorsque l’on achète un journal, on le conserve un certains temps puis on le jette. Dans le cas du 20 Minutes, le journal n’est que très rarement conservé, la plupart du temps, il est jeté ou laissé à l’endroit de la lecture. On remarque le même phénomène dans les aéroports lorsque les quotidiens habituellement payants sont distribués gratuitement, ce qui peut signifier que c’est la gratuité et non le contenu qui pousse à ce type de comportement. Une autre des spécificités de 20 Minutes est que le journal se lit la plupart du temps dans les transports en commun. On retrouve ici l’idée que le journal est court, fait pour être consommé rapidement, pour « passer le temps ». Il est également beaucoup lu sur le lieu des études, généralement pendant les pauses ou avant l’arrivée des professeurs. Par ailleurs, la rubrique préférée des lecteurs de ce quotidien est l’actualité locale, alors même que ce n’est pas ce type d’actualité qui les intéresse le plus de façon générale. Ce la peut signifier que le 20 Minutes est une source d’information pertinente concernant l’actualité locale. L’actualité nationale semble aussi être une rubrique importante pour la plupart des lecteurs interrogés. Dans les amphithéâtres, le 20 Minutes est souvent lu pour sa rubrique Pause, qui contient l’horoscope et les mots fléchés. Cependant, cette remarque est issue de l’observation et n’est pas vérifiée dans l’enquête quantitative, cette rubrique n’étant pas signalée comme l’une des plus intéressantes par les personnes interrogées. 76 Les points forts cités par les lecteurs interrogés sont en premier lieu la gratuité du quotidien, sa facilité de lecture puis son format. Le lecteur ne prend en effet pas de risque quand il saisit le 20 Minutes, il sait qu’il ne dépense pas d’argent, il ne se déplace pas pour l’acquérir, il peut le lire facilement dans un laps de temps bref, il peut également fractionner sa lecture vu que le contenu est simple et très court. D’un autre côté, les points faibles du journal sont la brièveté des informations, le manque d’analyse et de mise en perspective ainsi que la faible qualité du contenu rédactionnel. La publicité est en quatrième position et est citée par 34,3% des lecteurs. Les points forts du journal deviennent donc quelque part ses points faibles. Ainsi, la facilité de lecture, qui recoupe en un sens la brièveté des informations, elle-même responsable du manque d’analyse et de mise en perspective, se retourne contre le quotidien. Une information attire également l’attention : très peu de particuliers appellent directement la rédaction locale de 20 Minutes, alors que La Dépêche du Midi reçoit continuellement des sollicitations de lecteurs qui souhaitent raconter une histoire particulière ou commenter un article. Ce quotidien gratuit n’est donc pas un journal populaire qui remporte l’adhésion des lecteurs au point qu’ils contactent la rédaction pour s’exprimer dans ou à propos du quotidien. Enfin, lorsque l’on demande aux lecteurs du 20 Minutes de s’exprimer librement sur le quotidien, dans les propositions d’amélioration et dans les remarques générales, ou lors d’entretiens, les commentaires sont plutôt négatifs. On retrouve l’idée que le journal manque d’analyses, d’enquêtes, de réflexion, d’articles de fond, et qu’il n’est pas comparable à un quotidien payant. D’un autre côté, les lecteurs interrogés affirment aussi qu’il est « suffisant pour ce que l’on peut en attendre », qu’il donne seulement un « aperçu » de l’actualité. Puisqu’il est gratuit, les lecteurs ne s’attendent en effet pas à des analyses approfondies, la gratuité. Le journal est considéré comme « synthétique », avec « peu de contenu » et « adapté à l’usage dans les transports ». C’est un format « à part » qui « n’a pas pour vocation de vraiment traiter de façon poussée l’actualité », il fait « passer le temps dans les transports » et il ne « suffit pas pour une prise d’informations de fond et une analyse du contexte » car « ce n’est pas son objectif ». Certains lecteurs s’accordent à dire que « les synthèses sont courtes mais bonnes » ou que le journal « surpasse ses concurrents » gratuits et est « parfait pour s’intéresser à 77 l’actualité rapidement ». Une personne va même jusqu’à affirmer que le 20 Minutes permet à tous d’avoir accès à l’information et que cela est très important. Le 20 Minutes est donc pour ses lecteurs un journal à part, pris comme un « tremplin » qui permet de façon rapide d’accéder à l’information comme le permettrait un flash info à la radio ou sur les chaînes d’information en continu. Les individus interrogés semblent conscients qu’un quotidien gratuit ne peut pas traiter l’information à la façon des journaux classiques car les rédactions manquent de moyens et de place pour s’exprimer à la manière de leurs collègues d’autres titres payants. D’autre part, de par son financement par la publicité et ses impératifs de rentabilité, le 20 Minutes s’adresse à une cible large et « ne peut donc pas se permettre d’être trop idéologique » et de laisser des lecteurs de côté. Ce qui ressort de cette étude de lectorat ainsi que des entretiens réalisés est que 20 Minutes, tout comme ses concurrents gratuits, n’est pas un journal classique que l’ont lit pour s’informer de façon complète. Un complément semble donc nécessaire aux lecteurs pour obtenir une vision plus exhaustive et argumentée de l’actualité. 78 CONCLUSION Plusieurs questionnements nous ont guidés tout au long de ce mémoire de recherche, dont la problématique principale peut se résumer ainsi « Les gratuits : presse au rabais, mauvais journalistes et concurrence déloyale ? ». Voici les interrogations majeures qui ont constitué la trame de ce travail : - La presse gratuite a-t-elle une part de responsabilité dans la crise de la presse payante ? - Le mode de financement de 20 Minutes influence-t-il le contenu rédactionnel et l’organisation du travail des journalistes ? - Quelle est la place de la publicité dans les pages de ce quotidien gratuit ? - Le travail des journalistes du quotidien 20 Minutes est-il comparable à celui des autres journalistes de titres payants ? - Comment et par qui ce journal est-il lu ? Afin de répondre de façon satisfaisante à ces questions, nous sommes partis du constat suivant : 20 Minutes est le quotidien le plus lu en France, pourtant il jouit d’une très faible notoriété tant de façon interne au champ que de façon externe. Ce qui nous a conduits à nous demander pourquoi, à nous interroger sur l’intérêt de ce quotidien pour les lecteurs et au travail des journalistes qui nourrissent son contenu. La méthodologie de recherche a été constituée de plusieurs démarches. Tout d’abord, des lectures en sociologie du journalisme ont permis de mieux appréhender le milieu. Ensuite, une observation participante au sein de la rédaction toulousaine du 20 Minutes a permis d’étudier les pratiques de ces journalistes. D’autres observations participantes dans la presse 79 payante ont également permis de recouper et de comparer les informations obtenues. D’autre part, des entretiens avec des journalistes de presse payante et gratuite, avec des rédacteurs en chef, des enseignants en journalisme, des lecteurs et des non lecteurs du 20 Minutes ont permis d’obtenir des données pertinentes pour répondre aux questionnements initiaux. Enfin, une enquête quantitative de lectorat administrée de manière anonyme a été l’occasion de récolter des informations intéressantes pour mieux comprendre les pratiques ainsi que les freins à la lecture de ce quotidien gratuit. Après avoir présenté l’entreprise 20 Minutes en détail, ainsi que la rédaction toulousaine, nous avons décliné les hypothèses issues des principaux questionnements ayant guidé ce travail de recherche. Elles ont pour certaines été validées, pour d’autres invalidées. Les voici, en quelques mots : - Les journalistes de presse gratuite travaillent comme ceux de presse payante. - Les journalistes de presse gratuite sont rejetés par leurs confrères de titres payants. - Les gratuits ne sont pas responsables de la crise de la presse payante concernant la fuite du lectorat mais peuvent l’être pour la fuite des recettes publicitaires. - Les annonceurs du gratuit 20 Minutes ne font pas pression sur les journalistes et n’ont pas d’influence sur le contenu éditorial. - Un journal gratuit n’est pas forcément lu dans une optique informationnelle. Dans le premier chapitre, nous avons défini le secteur journalistique de façon théorique et illustrée. Nous avons pu constater que pour 20 Minutes, la reconnaissance par les pairs ne constitue pas un principe de légitimation mais que cette légitimation se fait plutôt par l’audience du journal. Le capital dont jouit le 20 Minutes Toulouse en tant que nouvel entrant est beaucoup moins important que celui dont jouit La Dépêche du Midi, par exemple, qui est un journal historique. Par ailleurs, on remarque que la notion bourdieusienne de circulation de l’information, qui aboutit finalement à l’uniformisation de l’offre, se vérifie autant chez les journaux payants que chez les gratuits puisque l’un des habitus intégrés des professionnels est justement la veille sur les informations des autres titres et la reprise des thèmes. Ensuite, la définition du secteur nous a amenés à analyser la crise de la presse payante depuis les années 80, qui se caractérise par d’une part la fuite du lectorat, et d’autre part par la fuite des recettes publicitaires. Le marché n’étant pas extensible, tout nouvel entrant peut effectivement capter des parts de marché publicitaire. Pour la presse payante historique, un effet de ciseau constitué par la contraction des recettes publicitaires et par maintien de coûts fixes élevés 80 aboutit à une situation précaire pour le maintien de certains titres. Mais les gratuits ne sont ni les seuls, ni les principaux responsables de la crise de la presse qui a commencé bien avant leur arrivée sur le marché, Internet emmagasinant par exemple une part non négligeable des investissements publicitaires. Les gratuits et leur succès remettent également en cause les canons de la presse payante avec un format court, une information facilement et rapidement « consommable ». Pour reprendre Anne Baret, le « crédit temps » à consacrer à la presse est aujourd’hui très limité, d’autant plus que la lecture est une activité exclusive qui impose attention et concentration. Or, la presse gratuite s’adresse à l’individu dans un laps de temps auparavant inexploité par les titres payants : le temps de transport. Cela va de pair avec l’évolution des comportements vers un phénomène de zapping, également illustré avec les chaînes d’information continues, ou encore l’utilisation d’Internet, pour ne mentionner que les médias ayant rapport avec l’actualité. Enfin lorsque se pose la question de la concurrence déloyale, se pose également celle de la possibilité de substitution de deux produits, un titre payant et un titre gratuit. Or, Le Monde, Libération et Le Figaro ne sont pas substituables avec le 20 Minutes ou Métro, tout simplement parce que leur contenu est très différent. Par exemple, si je souhaite obtenir une analyse poussée sr la crise en Grèce, je vais lire Le Monde, si je souhaite avoir des informations sur l’actualité politique à Toulouse, je vais lire La Dépêche du Midi, par contre, si je souhaite avoir un aperçu succinct de l’actualité nationale ou internationale, je vais regarder BFMTV ou lire le 20 Minutes. Dans un second chapitre, nous avons examiné les effets structurels du système économique de la presse gratuite. Effectivement, ce qui frappe chez les gratuits est leur mode de financement : la publicité. Les titres payants sont pour leur part vendus deux fois, une fois aux annonceurs et une fois aux lecteurs, c’est ce que l’on appelle le « two-sided market ». Pour la presse gratuite, cela est quelque peu différent puisque le journal n’est vendu qu’une seule fois, aux annonceurs. Cependant, le fonctionnement reste celui du « two-sided market » car l’utilité de l’annonceur est liée à la taille du lectorat tandis que l’utilité du lectorat dépend du contenu du média et de son volume publicitaire. Néanmoins, ce financement par la publicité uniquement impose des contraintes, en termes de contenu et d’organisation, aux journalistes de presse gratuite. Même si les routines de travail intégrées par les journalistes des gratuits sont identiques sinon très proches de celles de leurs homologues de titres payants, le fonctionnement des rédactions est très différent, en témoignent les faibles coûts de production des journaux gratuits. En effet, le format des gratuits est réduit, ces journaux cessent de paraître le week-end et pendant les vacances scolaires car les annonceurs n’ont 81 aucun intérêt à investir si le lectorat du journal ne peut le réceptionner en allant travailler. Par ailleurs, les journalistes employés dans les gratuits sont la plupart du temps des généralistes, tendance qui s’observe tout de même également dans les titres payants. Les articles des gratuits restent très courts, les enquêtes ne sont pas poussées par manque de temps et sont souvent l’œuvre de pigistes. La rédaction est décentralisée, et les sujets sont validés par la rédaction en chef au siège du journal à Paris. Ce type d’organisation avec imposition de formats courts, charge de travail accrue et absence de hiérarchie au niveau local fait de 20 Minutes une entreprise peu enviable du point de vue des journalistes de titres payants interrogés. Malgré la forte proportion de publicité contenue dans les pages du 20 Minutes, il est nécessaire de préciser que les journalistes ne sont pas influencés par les annonceurs car il existe un cloisonnement entre la régie publicitaire et la rédaction. Il en va ainsi d’un impératif de crédibilité, les gratuits doivent être irréprochables car ils ont un fort besoin de légitimation qui se traduit également par le respect d’une charte déontologique très stricte. Dans le dernier chapitre de cette étude, nous avons analysé en détail de façon empirique le travail journalistique fourni par les journalistes du 20 Minutes Toulouse tout en mettant en parallèle la réception du produit qu’est le journal par le public. Il en ressort que le travail de recherche et de hiérarchisation de l’information semblent assez similaire chez 20 Minutes Toulouse et chez d’autres journalistes de presse payante. Les routines journalistiques ont été intégrées de la même façon par les professionnels, ce qui peut s’expliquer entre autres par le passage par des écoles de journalisme. Parallèlement, le poids des sources institutionnelles majeures est très important pour les gratuits, mais aussi pour les titres payants. Cependant, cela est d’autant plus vrai pour 20 Minutes que c’est un journal récent qui n’a pas les moyens d’avoir un maillage territorial aussi conséquent que La Dépêche du Midi par exemple. Précisons tout de même que toutes les informations collectées par 20 Minutes ne sont pas issues de sources institutionnelles, cependant, le journal a rarement des « scoops » que les autres journaux n’ont pas et obtient très rarement l’exclusivité sur une information. D’autre part, les gratuits, comme les payants utilisent des genres variés pour s’exprimer dans leurs colonnes. Néanmoins, à la façon des autres journaux, tous les genres journalistiques ne sont pas mobilisés. Ainsi, il est difficile voire impossible pour les journalistes du 20 Minutes de réaliser des enquêtes poussées ou de longs reportages, principalement pour des raisons de moyens. Des contraintes structurelles induisent donc des particularités du point de vue de l’accès aux sources de l’information et du traitement des sujets. Les journalistes de presse payante interrogés s’accordent en ce sens à dire que les journalistes de presse gratuite ne sont 82 pas de mauvais professionnels, mais dénigrent le support. Les particularités du journal induisent également des pratiques de lecture différentes. Une étude quantitative et qualitative du lectorat permet de mettre à jour certains usages différents de ceux de la presse payante. En effet, la lecture d’un quotidien gratuit n’est pas exclusive car le prix n’écarte pas la consommation d’un autre journal. D’autre part, on peut aussi observer un autre effet de la gratuité : le journal gratuit est la plupart du temps jeté et très rarement conservé par les lecteurs. Or, généralement, les individus conservent leur journal payant. Par ailleurs, alors que les lecteurs de titres payants sont souvent attachés à leur quotidien, la lecture des gratuits s’arrête la plupart du temps lorsque leur facilité d’acquisition disparaît. Si les lecteurs attribuent à 20 Minutes les avantages d’être gratuit, facile à lire et d’un format pratique, ils lui reprochent en même temps sa brièveté, son manque d’analyse, de mise en perspective et la faible qualité de son contenu rédactionnel. Il en ressort donc que les points forts du journal en deviennent ses points faibles. Un journal gratuit est effectivement avant tout synthétique, avec peu de contenu et adapté à l’usage dans les transports. Il ne contient pas d’analyses poussées car « ce n’est pas sa vocation » précise l’un des lecteurs interrogé, ce qui résulte du manque de moyens et de la ligne éditorial voulue par la direction de l’entreprise. Les journaux gratuits comme 20 Minutes ne sont donc pas des journaux classiques que l’on consulte pour s’informer de manière exhaustive, c’est un tremplin, et un complément reste nécessaire pour obtenir des éléments complets sur l’actualité. Ceci est également remarquable au sujet des flashes info radiophoniques ou télévisuels. En conclusion, nous pouvons donc constater que des contraintes d’ordre structurel pèsent sur les journalistes de presse gratuite et leur imposent de travailler différemment de leurs homologues de titres payants. Leur professionnalisme n’est pas remis en cause, à l’inverse du support de leur prose qui reste mal vu par la plupart des journalistes de presse payante, à la fois par crainte de la concurrence mais aussi par conscience des impératifs économiques des titres gratuits. Enfin, il semblerait que les gratuits ne soient pour le moment pas considérés par les lecteurs comme une source d’information majeure puisque leur lecture est couplée à la consultation d’autres médias. A l’issue de ce travail de recherche, des questions restent cependant ouvertes car l’étude entreprise ne concerne qu’un titre de presse gratuite et qu’une seule localité. Par ailleurs, le secteur journalistique est en pleine évolution. La crise de la presse, l’arrivée d’Internet comme nouvelle source d’information, les contraintes économiques qui pèsent sur la profession tout comme sa précarisation poussent à s’interroger sur le développement futur 83 du secteur. De nouvelles recherches sur la presse gratuite apporteront sans nul doute des résultats complémentaires car ce type de journaux est assez récent. Des études sur le long terme dans une perspective pluridisciplinaire au sujet des gratuits pourront sans nul doute enrichir la recherche en sociologie du journalisme. 84 ANNEXES I L EXIQUE DES TERMES JOURNALISTIQUES Accroche : petit texte en gras placé dans un article pour inciter à la lecture. Agenda : planning des événements à couvrir par une équipe rédactionnelle. Angle : façon d’aborder un sujet, d’en valoriser un aspect particulier. Appel de une : petit titre en première page qui renvoie à un article du journal. Bouclage : dernières vérifications avant l’envoi du journal pour l’impression. Brève : le plus petit des articles. Chemin de fer : représentation du journal indiquant la place, le nombre et le sujet des articles et des espaces publicitaires. Embargo : lorsqu’une information est donnée avec embargo, le journaliste ne doit pas la publier avant une certaine date et/ou heure. Erratum : petit texte rectifiant une erreur d’une édition précédente. Infographie : information sous forme d’illustration. Lead : attaque d’un article qui condense en peu de place l’essentiel de l’information. A 20 Minutes, c’est le plus gros article d’une page. Locale : pages d’informations sur une zone géographique déterminée dans un journal local ou régional. Marbre : articles qui n’ont pas pu être publiés et qui sont « en réserve ». Menu : A 20 Minutes, c’est le descriptif des articles à paraître dans le journal. En premier lieu, un « pré-menu » est envoyé à la rédaction parisienne l’avant-veille de la parution. Ensuite, la veille de la parution, un « menu » est envoyé, entérinant la programmation déjà établie ou la modifiant quelque peu. Enfin, des rectificatifs peuvent être apportés tout au long de la journée en fonction de l’actualité. II Monter un titre ou une information : grossir ce titre ou cette information, on dit aussi « monter en une » quand le sujet revêt une importance capitale. Ours : sorte de carte d’identité de la publication qui apparaît toujours à la même place dans le journal. Dans 20 Minutes, il est publié au bas de la page « Pause ». PQR : Presse Quotidienne Régionale. Pigiste : journaliste rémunéré « à la pige », c'est-à-dire à la tâche. Ratage : information manquée par un journal et publiée par un concurrent. SR : Secrétaire de Rédaction chargé de la relecture des papiers avant le bouclage. III E NTRETIENS E NTRETIEN AVEC DEUX JOURNALISTES DU 20 M INUTES , H ELENE M ENAL ET B EATRICE C OLIN , LE 30 JUIN 2009 Ambiance : L'entretien a plus pris la forme d'une discussion que d'un entretien à proprement parler. Nous avons en effet mangé au restaurant en compagnie d'un autre étudiant de l'IEP qui avait réalisé une pige pour 20 Minutes Toulouse. Je n'ai pas enregistré l'entretien car cela aurait pu paraître dérangeant et je me suis efforcée de prendre des notes par rapport aux propos échangés, notamment en rapport avec les questions contenues dans ma grille d'entretien préparée au préalable. Le ton était assez amical, complice, puisque je connais ces deux journalistes pour avoir travaillé avec elles pendant plus de 4 mois. Eléments de biographie : Béatrice Colin et Hélène Ménal ont toutes les deux une licence d’histoire et sont toutes les deux diplômées de l’EJT (Ecole de Journalisme de Toulouse). Elles ont ensuite travaillé à la Dépêche et à Dépêche Mag, avant d’être embauchées à 20 Minutes Toulouse dès la création du journal dans la Ville rose. Entretien Vous faites partie de l'AJT ? Non, déjà, on n'a pas le temps d'y aller et puis on n'a pas l'esprit corporatiste, parce que c'est très corporatiste quand même l'AJT. C'est intéressant pour les pigistes et tout ça parce qu'ils font des conférences sur leurs droits. Mais bon après on connait des gens qui y sont, Philippe Font de Métro en a été président à un moment. Qu'est-ce que vous pensez des critiques par rapport à 20 Minutes ? Lesquelles ? Ben par exemple, par rapport à l'utilisation de dépêches d'agence, à la critique comme quoi ce n’est pas du journalisme et tout ça... Ben tu le sais très bien puisque tu as travaillé avec nous ! IV Oui justement je voudrais savoir ce que vous en pensez... On s'en sert pour des brèves ou pour des infos qu'on n'a pas nous mais ça nous alerte c'est tout. On ne les reprend pas telles quelles, évidemment, on vérifie, on prend même parfois des angles différents, quitte à rater une partie de l'info pour ne pas les reprendre ! Souvent, les gens qui tiennent ce type de discours, c'est une posture politique, contre la gratuité et tout ça. On donne la même info que Libé et Le Monde en beaucoup plus synthétique et avec moins d'analyse. On est aussi critiqué parce qu'il y a une sorte d'amalgame avec Métro qui n'avait pas de journalistes au début. Après, nous, on a travaillé dans du payant avant et on fait le même métier, on vérifie, on rappelle derrière pour confirmer les chiffres, les lieux... C'est vrai que c'est moins valable pour le web parce que c'est dans la rapidité, comme beaucoup de sites internet, c'est de l'AFP. Ensuite, très souvent, ce sont des critiques de la part de gens qui ne nous lisent pas. Oui et aussi, de toute façon, l'AFP ne produirait pas assez de dépêches pour remplir nos pages. Bon, vous m'avez déjà un peu répondu mais... Comment vous considérez votre travail à la rédaction, c'est différent par rapport à la presse payante ? Non, c'est pareil, sauf que chez nous, il y a une charte déontologique très stricte, il faudrait qu'on te la donne... Oui je l'avais récupérée pendant mon stage... Oui donc tu sais ce qu'il y a dedans... En fait, on a un cloisonnement avec la pub, on n'a pas les commerciaux avec nous, comme ça peut se faire dans d'autres titres payants, on ne sait même pas quelle pub il va y avoir le lendemain. Quand on bossait dans des titres payants, on nous disait « tiens, il faudrait faire un article là-dessus, c'est des gros annonceurs ». Chez nous c'est interdit par la charte déontologique, c'est un cloisonnement très spécifique à 20 Minutes. J'ai travaillé pour deux journaux payants avant et il y avait toujours un commercial qui venait nous emmerder pour qu'on traite de tel ou tel sujet ! A la Dépêche; ils le font beaucoup. L'idée de départ pour 20 Minutes, c'est justement une idée de crédibilité, il faut être irréprochable. Même dans la rubrique High Tec où ça peut faire un peu pub, ils font très attention à ça, ils essaient d'équilibrer. Un exemple concret, pour l'ouverture des Portes de V Gascogne, on est obligé de citer Carrefour, puisque c'est eux qui s'implantent mais on appelle aussi Leclerc pour avoir leur avis. Par rapport aux critiques, les étudiants, par exemple, s'ils veulent suivre la politique locale, ce n’est pas Le Monde qui va leur apprendre, par exemple pour la campagne électorale, les transports à Toulouse... A la limite, on peut concurrencer la Dépêche à la marge mais pas les nationaux, de toute façon, on ne va pas renoncer à Libé parce qu'on lit 20 Minutes. Les chiffres des enquêtes montrent que la majorité des gens qui lisent 20 Minutes ne lisaient pas d'autres quotidiens. Le format court imposé pour les articles, est-ce que ça vous déçoit, qu'est-ce que vous en pensez ? Des fois, c'est chiant, mais maintenant, au bout de 5 ans, on a du mal à écrire long. La semaine dernière, j'ai écrit un papier sur AZF, et je n’ai pas pu caser les réactions, du coup, j'ai mis ça dans le papier que j'ai fait pour le web. C'est un peu frustrant. Mais bon, ça oblige à angler, parfois c'est bien pour le lecteur et ça permet de se distinguer dans le traitement d'une info. Est-ce que vous avez des difficultés pour accéder aux infos, par rapport à La Dépêche du Midi par exemple ? De moins en moins, sauf pour l'info faits divers. Les canaux institutionnels, les agences de com, on a les mêmes. Après, le citoyen qui est victime de quelque chose, il appelle la Dépêche, ils n’ont pas le réflexe de nous appeler. En plus c'est vrai qu'on ne répond pas à ce genre de demandes. Par exemple, il y a en ce moment une retraitée qui cherche son mari, elle voulait mettre un avis de recherche dans le journal mais on ne fait pas ça, bien sûr, on va demander à Paris, mais ils vont dire non. Avant, on avait des problèmes avec l'institution judiciaire mais on a gagné leur confiance. Est-ce que les débuts ont été difficiles ? Non, pas vraiment, on avait déjà les contacts parce qu'on travaillait déjà à Toulouse. En plus, Métro avait ouvert 6 mois plus tôt donc les gens savaient déjà ce qu'était un gratuit. VI Et par rapport aux enseignants chercheurs et à Molex, comment vous avez traité ces deux sujets ? Pour Molex, on a eu un communiqué de la direction qui annonçait comme ça un plan social, personne n'était au courant, ils ont fait une grosse erreur, ils ont pensé que ce serait mieux de le faire comme ça mais ils ont eu tort. Pour les enseignants chercheurs, on a eu l'avantage d'avoir Monthubert qui était président du collectif Sauvons la recherche, donc on l'appelait chaque fois qu'il se passait quelque chose. On n’a pas parlé de toutes les manifs, c'est assez compliqué, d'autres revendications se greffent dessus... Vous m'avez déjà un peu répondu mais est-ce que vous avez des contacts avec les annonceurs, est-ce qu'il y a des tentatives de pression de leur part ? Ben ça arrive mais on leur explique que la pub c'est une chose et que nous, c'en est une autre. De toute façon, s'ils prennent de la pub, c'est qu'ils ont un intérêt à le faire. Par exemple, l'Iseg arrête pas de nous emmerder, on aurait préféré qu'ils ne mettent pas de pub, c'est du harcèlement ce type ! Ensuite, on sait que parfois la Mairie veut pas nous donner de pub mais en donne plein à la Dépêche, pour des grosses campagnes, donc on se pose des questions, pourquoi eux et pas nous ? Qui sont vos concurrents gratuits, Direct Soir, Métro... ? Direct Soir, non, y'a pas d'info locale. Métro, on lit tous les matins pour voir ce qu'ils ont fait. Mais on essaie d'avoir des infos en concurrence avec la Dépêche, même s'ils sont beaucoup plus nombreux que nous. A Paris, ils ne lisent même pas Métro, ils les méprisent, ils ont l'impression d'être en concurrence avec le Monde [rires]. Vous comptez rester à 20 Minutes ? On ne sera pas toujours là, à terme, là, à un moment, on sera épuisées, il faudra qu'on fasse un truc moins usant. Mais après c'est vrai qu'on aime bien ce rythme, pour le moment ça nous plait bien. VII E NTRETIEN AVEC LA PRESIDENTE DE L ’A SSOCIATION DES JOURNALISTES DE T OULOUSE , S YLVIANE B EAUDOIS , LE 18 JUIN 2009 Ambiance : L’entretien a eu lieu par téléphone parce que nous n’avons pas réussi à trouver de créneau nous convenant. La discussion se déroule sur un ton cordial, le vouvoiement est de mise. Je me sens un peu prise de haut, avec l’impression qu’elle veut expliquer quelque chose à quelqu’un qui ne connaît strictement rien au journalisme, c’est un peu gênant. Eléments de biographie : Elle a commencé sa carrière de journaliste il y a environ 30 ans, à Paris en presse économique. Elle a travaillé à la Tribune puis à Milan Presse à Toulouse. De 2000 à 2002, elle s’occupait du titre Tout Toulouse pour Le Monde, puis, de 2002 à 2006, elle revient à Paris est journaliste au Monde. Elle enseigne à l’IEP dans le parcours journalisme depuis 2004 et s’occupe du journal Satiricon. Elle adhère à l’AJT (Association des journalistes de Toulouse), dont elle est présidente, depuis très longtemps. Entretien Quel est votre rôle au sein de l’AJT ? Je représente l’AJT vis-à-vis des instances locales, je n’ai pas de rôle particulier, je participe à des réunions, j’écris quelques articles par exemple récemment sur Médiapart j’ai fait quelque chose sur Hadopi et le droit d’auteur des journalistes. Je m’occupe aussi de la lettre bimensuelle de l’AJT et parallèlement je prends des initiatives. Il y a des gros bouleversements dans la presse et il y a eu les états généraux de la presse, nous avons voulu ouvrir l’association sur la société civile. On ne veut pas se concentrer sur les problèmes des journalistes mais que ça concerne tout le monde. C’est une profession souvent mal considérée, rendue responsable des nouvelles, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, mais ça ne date pas d’aujourd’hui, c’est juste renforcé par le pouvoir politique à cause de la position du président de la République vis-à-vis des journalistes. C’est vrai qu’il y a beaucoup de dérapages, surtout au niveau TV, sinon, la majorité fait son travail de façon correcte dans la mesure où on leur donne les moyens de le faire, en temps et en argent. Le temps, on en a besoin pour faire des enquêtes, vérifier des infos, faire de la relecture,… Mais, y compris dans les grands VIII quotidiens, on se rapporte de plus en plus à des dépêches d’agence. Mais il existe un code déontologique, vous savez ? Oui oui je sais. Parce que ça, tout le monde l’ignore. Il y a aussi la loi de 1881, qui est très contraignante au niveau du respect de la vie privée, du droit à l’image… cela évite certains dérapages. C’est donc un travail relativement encadré. Au niveau de l’AJT, on veut montrer l’implication des journalistes en tant que citoyens. Quelque part en soutenant les journalistes dans l’exercice de leur métier. D’ailleurs, nous organisons des rencontres de façon régulière avec par exemple Edwi Plennel de Médiapart. Oui je sais. [Explication et description de la conférence]. On est content parce qu’on a eu 200 personnes qui sont venues s’intéresser et on eu d’autres sujets comme le secret des sources, la responsabilité pénale du journaliste, la loi Hadopi,… Du point de vue de votre représentativité sur le paysage toulousain, vous représentez combien ? Heu… 1/5 des journalistes de Midi-Pyrénées environ. Est-ce que des journalistes de 20 Minutes en font partie ? Oui, oui, il y a Philippe Font par exemple. Il travaille à Métro… Ah oui eh bien, il y a des pigistes de 20 Minutes mais pas des salariés à plein temps. Par exemple, Julie Rimbert, Amandine Rancoule, Martin Venzal… Heu… je ne sais pas. Une question un peu plus personnelle, que pensez-vous des journaux gratuits et de 20 Minutes plus particulièrement ? Que ce soit 20 Minutes ou Métro, surtout 20 Minutes, on s’aperçoit qu’il y a un effort de donner de l’info locale. On va dire, ce sont les moins médiocres, attention, ce n’est pas une critique, hein. Je pense que leurs moyens sont très limités, c’est souvent du travail d’après IX dépêches ou d’après communiqués, mais il n’y a pas qu’eux qui font ça. Par rapport à la gratuité, pour les journaux papiers et internet, on se pose la même problématique : l’info peutelle être gratuite ? Fabriquer de l’information demande un certain nombre de moyens : des journalistes, des photos, l’impression…, ça représente un coût. Donc on voit mal comment avoir une info fiable, surtout sur Internet car il n’y a pas forcément des journalistes derrière et tout un tas de bobards circulent sur les blogs, les forums… Dans la multiplicité des informations d’internet, il faut faire du tri, c’est ce que font en particulier les journalistes. Mais comment faire le tri ? C’est assez impossible. Le modèle gratuit dévalorise l’information, je n’y crois pas du tout ! Si elle est totalement gratuite, ce n’est pas de l’information, ce n’est pas vérifié, à un moment donné, il faut bien la payer. Donc dans 20 Minutes, c’est payé par la pub mais sur internet, c’est plus compliqué, après quand il y a des problèmes de publicité, comme en ce moment, ce modèle ne marche plus. Par exemple, 20 Minutes a annoncé un plan social parce que le volume de publicité a diminué de 14%, je crois. Donc ce modèle ne marche pas. Les quotidiens nationaux sont trop chers, c’est sûr, par contre, sur internet, il y a des sites comme Médiapart qui sont payants, mais c’est des sommes minimes, tout le monde peut payer, il faut faire l’effort de payer un minimum. A côté de ça, l’arrivée de la presse gratuite a été perçue comme une menace. On comprend mal la position des pouvoir publics, parce que les journaux papier, on a laissé faire un dumping hallucinant. Les gratuits sont distribués à la sortie du Métro ou même devant des kiosques à journaux. C’est comme si quelqu’un se postait devant un magasin et donnait les produits que l’autre vend, c’est inacceptable ! C’est de la concurrence illégale. Or, les patrons de presse sont restés immobiles par rapport à ça et beaucoup impriment les gratuits. Par exemple, la radio et la télévision ne sont pas gratuites, on paie la redevance et pour les chaînes privées, c’est vrai, là, heu… c’est la pub. Pour l’indépendance, il faut que les lecteurs paient parce que les publicitaires peuvent faire pression. D’accord, toujours d’un point de vue personnel, que pensez-vous du travail journalistique fourni par la rédaction toulousaine ? Ce sont des gens qui font leur travail correctement, l’édition nationale n’est pas mal faite. Est-ce qu’ils ont la possibilité de faire leur travail comme ils le voudraient ? De l’extérieur, c’est tout à fait correct mais je ne connais pas leurs conditions de travail, s’il y a des pressions… Ils ne font pas de reportages. X Les deux journalistes de 20 Minutes Toulouse sont toute la journée sur le terrain… Oui, bon, très peu… 20 Minutes est le moins mauvais exemple de la presse gratuite car ils embauchent de vrais journalistes avec un savoir-faire… Mais ils ne sont pas à l’abri plus que les autres. Vous qui êtes présidente de l’association des journalistes de Toulouse, vous êtes bien placée pour connaître les points de vue de vos collègues sur ce type de quotidiens. Quels sentiments sont la plupart du temps véhiculés par les journalistes toulousains ? Ceux qui y travaillent tentent de faire leur travail le mieux possible, y’a pas de honte à travailler pour ce genre de support. L’offre toulousaine est réduite, là où ça pourrait être intéressant, ce serait d’apporter un plus à la Dépêche. C’est une offre supplémentaire, mais est-ce que ça apporte un plus à la Dépêche ? Maintenant, je vois mal un journaliste qui dise : « maintenant on arête tel ou tel titre » mais bon je suis contre cette concurrence déloyale, en dehors de toute considération en termes de qualité. Si l’info est gratuite, l’offre va diminuer et ce n’est pas bon pour la démocratie. En fait on regrette un grand hebdo régional qui fasse concurrence à la Dépêche. Après, les critiques, bon, des jugements de cet ordre là, on ne peut pas vraiment en parler, ce serait rentrer dans ce qu’on peut reprocher justement. Quand on trouve un travail là-dedans, on le prend. Je m’adresse maintenant à la journaliste qui a travaillé au Monde. Pouvez-vous décrire en quelques mots le travail effectué par un rédacteur de ce type de presse ? Notre premier accès à l’information, ce sont les dépêches d’agence, évidemment. Le carnet d’adresses est important aussi : ça peut être des syndicalistes, des politiques, des institutionnels, des acteurs culturels… Chaque journaliste a son réseau et bénéficie du réseau dans lequel il travail, parce que les rédactions sont organisées en services. Après ça, il y a les communiqués dont il faut tenir compte mais il faut aussi faire un tri. Les sources ne sont pas différentes de celles de tout le monde. Les dépêches d’agence, c’set aussi les photos. Justement, quel rôle jouent les dépêches d’agence dans le travail journalistique, habituellement ? XI Pour l’étranger, ça a un grand rôle, ils ont des correspondants dans tous les pays, ce que n’ont pas les autres journaux. Mais en France, parfois, l’Etat envoie des communiqués à l’AFP pour que ça passe chez tous les journaux, mais l’AFP trie. Il y a les photos aussi. Du point de vue des sources, il y a aussi les participations des lecteurs. Oui un exemple typique, Rue 89… Oui Rue 89, Médiapart, avec des liens vers des blogs… Pensez-vous qu’il est plus difficile pour un journaliste de presse gratuite d’avoir accès à des sources pertinentes, institutionnelles ou pas ? Pas forcément, non, je ne vois pas pourquoi mais c’est sûr que des titres sont privilégiés : quelqu’un préfère se faire interviewer par le Monde que par 20 Minutes, question de notoriété. Les formations en journalisme sont-elles aujourd’hui adaptées à la multiplicité des supports informationnels ? On travaille tous pareil ! Il ne faut pas confondre support et fondamentaux de la profession ! C'est-à-dire comment aller chercher l’information, la vérifier, la mettre en valeur, comment faire un enquête, un reportage… Quelque soit le support, on doit retrouver ces fondamentaux. L’objectivité, heu… la neutralité plutôt fait qu’on ne doit pas mélanger le fait et le commentaire, rapporter la véritable interview, ne pas sortir les choses de leur contexte. Le reste, c’est de la technique. XII E NTRETIEN AVEC LE REDACTEUR EN CHEF DE L A D EPECHE DU M IDI , Y ANN B OUFFIN , LE 17 MAI 2009 Ambiance : Yann Bouffin me reçoit dans son bureau sur une table ronde différente de sa table de travail. Je l’ai déjà rencontré une fois lors d’un travail en sociologie sur la popularité de Nicolas Sarkozy. Il est très sympathique, pas du tout condescendant et ouvert à toutes les questions. Eléments de biographie : rédacteur en chef de La Dépêche du Midi depuis un an et demi (il était reporter pour ce même journal depuis 1998), il a commencé à la radio sur Paris puis a été journaliste à Libération. Avant de travailler à La Dépêche du Midi, il était rédacteur en chef des Clefs de l’Actualité. Il n’a pas fait d’école de journalisme. Entretien Bonjour, je reviens vers vous car je fais un mémoire sur 20 Minutes et le paysage journalistique toulousain. Sur la presse gratuite… Parce qu’il y en a un nouveau là, Direct… Oui Direct Toulouse mais il n’y a pas de rédaction à Toulouse Oui les deux seuls avec une rédaction, c’est Métro et 20 Minutes. 20 Minutes d’ailleurs, nous on leur livre du rédactionnel. Oui je sais les pages culture et sport, j’ai fait un stage de 4 mois là-bas donc je sais à peu près comment ça se passe. Ah d’accord… Alors en fait je voulais savoir si vous vous considérez comme un concurrent de 20 Minutes Toulouse ? Disons, moi je vais renverser la question, c’est surtout le fait que la presse écrite payante, je commence de manière générale, a été confronté à un phénomène unique dans les lois de marché, un jour on s’est retrouvé face à des journaux qui étaient gratuits. C’est comme si vous vendiez des salades et qu’un jour quelqu’un les offre à l’étal d’à côté, donc voilà… Hahahahah ! Voilà le rapport de…, la donne que nous avons eue à subir, la presse écrite, il y a XIII maintenant quelques années déjà. Alors, après qu’est-ce que ça a eu comme conséquences ? D’abord d’habituer le public à se dire que finalement, l’info était gratuite, l’Internet est venu parachever cette sensation, c’est dramatique pour le modèle économique de la presse écrite, c’est entre autres un facteur aggravant de la crise de la presse écrite qui était déjà en crise avant l’apparition des gratuits. Mais en tous cas, le modèle économique fonctionnait quand même encore. Ca c’est de manière générale, l’approche du lecteur : « l’info est gratuite donc pourquoi je vais payer pour en avoir ? ». Bien sûr. Et deuxièmement donc un phénomène de marché unique, on se retrouve avec des gens qui donnent de l’info alors que nous on la fabrique, alors qu’on sait très bien que donner de l’info, ça a un coût, évidemment ça a un coût très cher en plus. Donc voilà dans quoi on a été confronté. Au niveau de la concurrence pure, de la diffusion… Heu, en fait moi je ne parle pas de la presse en général, c’est plutôt au niveau de la Dépêche… Oui mais, oui mais, heu… C’est lié. Je descends du plus large au plus petit, c’est… Tout est lié. Alors, au niveau de la concurrence pure, les premières expériences de presse gratuite écrite ont été faites à Paris et ensuite à Lyon. Les nationaux à Paris ont ramassé, notamment on considère aujourd’hui que la grosse victime de la presse écrite payante par rapport à Métro et 20 Minutes à Paris, c’est Libé, qu’a perdu un public jeune, citadin qui s’est mis à prendre un journal dans le Métro et qui donc l’a pas acheté dans un kiosque. Bon, moi j’étais encore à l’époque à Libé, on avait déjà les premiers chiffres là-dessus. Donc ça c’est le premier truc. Par rapport à La Dépêche du Midi, vous dire qu’ils ne nous piquent pas des lecteurs serait évidemment un mensonge. Cela dit, on s’attendait à ce qu’ils nous volent beaucoup de lecteurs et en fait ils ne nous en ont pas volé beaucoup et même les deux dernières années on a remonté notre audience en termes de diffusion, de nombre de ventes à Toulouse. Pourquoi ? Parce que ce genre de presse, autant ils peuvent faire mal à un quotidien national, autant sur un terrain local, ils n’ont pas et ils n’auront jamais la puissance de frappe qu’on a nous. Eh oui. XIV Je dis La Dépêche mais c’est valable à Sud Ouest, c’est valable à partir du moment où on a le savoir faire de l’information régionale et de proximité, on a la bonne maîtrise de la circulation de l’information de proximité. Partant de là, logiquement, on a des chances de pouvoir s’en sortir. En plus, les lectorats ne sont pas les mêmes, ils se chevauchent très à la marge, c'est-à-dire que nous avons un lectorat plutôt masculin, âgé, et populaire, et eux ont plutôt un lectorat jeune, citadin et pas friqué… Oui, ou friqué, ils ont pas mal de cadres apparemment, mais après sur Toulouse, il n’y a pas de chiffres donc je ne sais pas. Eh mais le cadre il va chercher des infos dans La Dépêche qu’il n’a pas, enfin il a besoin d’infos qui sont dans La Dépêche et qui sont pas là-bas. Voilà, le rapport de concurrence est là, c'est-à-dire que bon, ils existent, sans doute qu’ils nous privent d’un renouvellement de jeunes lecteurs. Ce qui est emmerdant, on n’aime pas bien évidemment mais il y a une partie du jeune lectorat qui s’est mis à lire des gratuits et qui sans cela nous liraient peut-être de temps en temps. Voilà, le rapport de concurrence est là. Ok. Est-ce que vous avez eu vent de baisses de vente au moment de la mise sur le marché de 20 Minutes, donc c’était en 2004. Heu…. Est-ce qu’en 2004, ils nous ont mis un tir au niveau de la diffusion quand ils sont sortis ? J’aurais plutôt tendance à dire que oui je pense, oui ça correspond en effet à un moment où on avait baissé sur l’édition de Toulouse oui 2004-2005, on a repris à partir de 2007-2008. Et, c’est qui qui est responsable de la diffusion, que je trouve des chiffres ? Philippe Christophe. Je lui passerai un petit coup de fil… Oui vous l’appelez de ma part. Ou on essaiera de l’appeler après. D’accord. Alors ensuite, c’est à peu près ce que vous me disiez tout à l’heure, estce que vous pensez être avantagé en tant que quotidien d’information payant du point de vue de vos sources d’information et de votre crédibilité ? C’est ce que je vous disais tout à l’heure, c’est justement à mon sens la plus-value qu’on ne cesse de développer, on est en train de travailler sur un gros chantier, une nouvelle XV version de La Dépêche 2010-2015, avec une priorité à une information de proximité, sa valorisation, enfin bon, on est dans tous ces schémas là … C’est notre force et notre distinction et c’est la force de la marque. C’est aussi le fait que, enfin, du point de vue, parce que j’imagine que pour vous c’est beaucoup plus facile d’avoir les infos. C’est ce que j’ai pu voir pendant mon stage. Bien sûr, on est sur 10 départements, on a des correspondants enfin c’est… C’est l’historicité du journal… Voilà tout à fait. Ensuite, une question plus d’ordre personnel, qu’est ce que vous pensez vous, globalement, de la presse gratuite d’information ? Je trouve que Métro ce n’est pas bien, je n’aime pas du tout ce canard, sa maquette, je n’aime pas, je déteste ce canard, vraiment. Pff, aucun intérêt. 20 Minutes, est plutôt bien fait mais quand je vous dis ça, je me fais un clin d’œil puisque les mecs qui ont monté 20 Minutes France sont des anciens de Libération… Hahahahah ! Donc ils se sont largement inspirés de concepts comme ça city news, donc c’est vrai que c’est plutôt bien fait, ils ont le sens de la titraille, ils ont le sens de la une. Il y a une mise en scène de la une qui n’est pas mal mais après sur le fond c’est quand même de l’info extrêmement, enfin, c’est du France Info, du mauvais France Info imprimé. Je veux dire, c’est très court quoi ! Cela dit voilà, les gens font de la consommation d’information, donc partant de là c’est un produit gratuit, en 5 minutes, les gens font le tour du monde ! Alors évidemment ce n’est pas de l’information qui va les aider dans une démarche de compréhension ou je ne sais pas trop quoi, c’est vraiment du zapping d’information. France Info c’est court aussi, pourquoi « du mauvais France Info » ? Parce que France Info a quand même le temps sur une journée de développer des sujets, ils développent des sujets, des thématiques, des choses comme ça. Là il n’y a même pas ça, c’est vraiment du flash info de France Info. Ensuite, ça c’est un peu plus du point de vue du milieu journalistique toulousain, qu’est-ce que vous vous pensez du milieu journalistique toulousain, est-ce que déjà vous XVI les avez rencontrées celles de Toulouse ? Et est-ce que dans le milieu elles sont bien considérées ou considérées comme de « fausses » journalistes ? D’abord je ne les connais pas. Qui c’est ? Hélène Ménal et Béatrice Colin, deux jeunes femmes. Colin j’ai dû la croiser déjà… Par contre ici j’ai eu des stagiaires qui on travaillé comme vous là-bas. Je les connais pas et en plus je suis un mauvais témoin pour vous parce que je suis journaliste mais je fréquente le moins possible les journalistes à l’extérieur de ma vie professionnelle. Hahahahahahah ! Pour être tranquille ?... Oui parce que, en général ça va quoi, je me les fais toute la journée donc après je n’ai pas envie de les revoir.... Les journalistes parisiens c’est quelque chose mais les journalistes de province ils ont toujours des attitudes de petits notables… Donc ce n’est pas mon milieu. J’en connais quelques uns comme ça mais après comment ils sont perçus alors là, je vous avoue que franchement, à titre tout à fait personnel, je ne fais aucun distinguo entre un journaliste de presse gratuite, de presse payante, quelqu’un qui aura eu l’expérience de travailler dans la presse, s’il a un bon profil, ce ne sera pas une condition où je barre d’un trait rouge sa candidature. Vous n’avez pas entendu des rumeurs, je sais que des bruits courent, les journalistes qui travaillent ici, vous n’avez pas eu… C’est un peu délicat comme question. Non, non, je pense que déjà ils n’ont pas d’opinion, en général et après je sais, est-ce que c’est Colin, je ne sais pas, il y en a une qui est assez bien perçue ici. Elles ont travaillé ici, à Hima Média, quand c’était Portarieu… A ben c’est ça, voilà c’est peut-être pour ça donc elles sont connues donc je sais qu’il y en a une qui est considérée comme une nana plutôt sérieuse, plutôt bonne journaliste, je crois que c’est Colin. Peu importe, mais il n’y a pas de dénigrement. Cela dit, c’est vrai qu’aujourd’hui, pour nous ils n’existent pas vraiment, en conférence de rédaction, on ne parle jamais des articles de 20 Minutes. Ils ont dû, depuis qu’ils existent, nous mettre au sac une XVII fois, deux fois, ils ont dû sortir une ou deux fois une info qu’on n’avait pas. Encore, ce n’était pas un scoop phénoménal. Alors ça c’est plus par rapport au métier de l’encadrement dans le journalisme. Vous qui avez cette expérience, qu’est-ce que vous pensez de la décentralisation des rédactions de 20 Minutes ? Qu’est-ce que ça peut avoir comme conséquences ? Je pense qu’ils travaillent de manière extrêmement centralisée eux aussi. Il y a les bureaux en province des éditions 20 Minutes et Métro mais c’est formaté au millimètre près leur boulot. Ils ont des pages, ils doivent les rendre à telle heure, ils ne créent pas les pages, … C’est vraiment un boulot extrêmement, enfin tout passe par la rédaction à Paris, il n’y a aucune autonomie, ce n’est pas eux qui choisissent les sujets qu’ils mettent dans les pages. Si. Non. Enfin quand j’y étais… Mais c’est validé. Ah oui c’est validé c’est sûr. Et vous vous ne validez pas, par rapport au travail que vous faites vous ? Moi j’ai 10 départements, je valide mais le boulot n’est pas le même, c’est à dire que les journalistes viennent avec des sujets qu’on valide ou pas mais d’une manière générale, c’est surtout que je ne valide pas, vous voyez ce que je veux dire. C’est que s’il y a un sujet qui ne me plait pas ou que je trouve mal foutu, ou que je ne sens pas, je le dis mais sinon, d’une manière générale, je valide de manière tacite alors que dans ces rédactions là, ce n’est pas comme ça. Quand il y avait Fillou qui était à 20 Minutes, je le connaissais bien parce qu’on a travaillé à Libé ensemble, lui et ses adjoints regardaient tout. Ils validaient tous les sujets y compris ceux de la province, même s’il n’y avait pas Toulouse, il y avait Lyon, Marseille, je crois, ils validaient tout, les mecs proposent des sujets mais tout est validé, ce n’est pas du tout le type de rapport qu’on a ici. Par exemple, si vous prenez quelque chose comme M6, il y est toujours ici le décrochage ? Je crois que non. XVIII Ouais, à l’époque quand ils ont développé ces stratégies là avec le Six Minutes, dans les villes, chaque bureau avait son rédacteur en chef. Et lui validait le contenu de son Six Minutes et n’en rendait pas compte à Paris. S’il y avait des merdes, c’était lui qui rendait des comptes. Alors qu’eux ne bossent pas comme ça, il n’y a pas de délégation, pas de rédacteur en chef, c’est Paris qui valide, donc c’est en cela que c’est un boulot sans doute un peu particulier… Ils sont certes sur le terrain mais tout est validé à Paris, ce ne sont pas eux qui valident. Je reviens dessus parce que je n’ai pas bien saisi, là, comment… Je vais vous expliquer comment on fonctionne, ici à Toulouse, chaque matin il y a une conférence de rédaction. Viennent ici à Toulouse, le représentant de la locale, du 31, les informations générales plus un certain nombre de journalistes. Sont passés en revue les sujets Toulouse et ceux du premier cahier, dont les événements. A l’issue de cette réunion, j’ai une autre réunion, on l’appelle le 11 30, où il y a le directeur général de La Dépêche du Midi, moi, le chef de service du 31, le chef de service du premier cahier et le responsable des départements. Lui, pendant la conférence de rédaction, il fait la tournée de tous les départements, il appelle tous les responsables des départements et il prend leurs principaux sujets et il vient au 11 30 et il nous dit « voilà le 46 fait ci fait ça, le 64 fait ci fait ça… ». C’est ce que je vous disais, nous c’est de la validation tacite et on ne dit que « oh non, ils ne vont pas ouvrir avec ça, ça ne le vaut pas ça ne vaut rien ». Voilà, vous voyez ce que je veux dire on travaille pas du tout de la même manière, je ne valide pas, imaginez s’il fallait que je valide l’ensemble des pages produites. J’y passerais la vie entière, déjà que j’y passe pas mal d’heures… Au niveau des pratiques professionnelles des journalistes, est-ce que vous pensez qu’à 20 Minutes, ça diffère par rapport à La Dépêche du Midi ? Alors vous m’avez dit oui… Oui de toute façon ça diffère, parce qu’ils doivent avoir un système de collecte d’informations un peu compliqué, parce que bon c’est bien beau, ils doivent avoir tout le canal de l’information institutionnelle, officielle, un agenda avec des invitations des trucs comme ça, pour le reste de l’info ils doivent ramer quand même, ça ne doit pas être évident pour eux, à deux en plus, pff, donc, je pense qu’ils doivent beaucoup piller La Dépêche du Midi. XIX Pas tant que ça en fait. Enfin s’il y a des infos, moi je vois… Ah oui, les infos en fait elles les prennent quand elles font la revue de presse du matin. Ah oui, ça la revue de presse elles prennent, ça j’ai vu, par exemple, ils avaient le fait que la prof ait été poignardée, c’est passé à la radio, à l’AFP, donc elles ont dû l’avoir mais… Par exemple, vous avez eu un truc exactement en même temps qu’elles, c’est le crash d’un Airbus… Oui pendant le vol d’essai. Oui parce qu’il y a le coup des sources, des réseaux d’informateurs et tout ça, elles les ont aussi, pour le coup ça a marché. Oui ils doivent avoir leur réseau mais bon je veux dire, c’est quand même… On ne joue pas dans la même cour. Enfin, ils sont deux journalistes, là il y en a 40, enfin, on n’est pas dans la même technique journalistique de pêche à l’info. XX L A C HARTE DE DEONTOLOGIE DE 20 M INUTES Cette Charte est extraite du site internet www.20minutes.fr. C ADRE GENERAL Les journalistes de la rédaction de 20 Minutes s'engagent à respecter la Charte des devoirs professionnels des journalistes français, élaborée en 1918 par le Syndicat National des Journalistes puis révisée et complétée en janvier 1938. Ce texte est reconnu par l'ensemble des syndicats de journalistes et plus généralement par l'ensemble des journalistes français : " Un journaliste digne de ce nom, * prend la responsabilité de tous ses écrits, même anonymes ; * tient la calomnie, les accusations sans preuves, l'altération des documents, la déformation des faits, le mensonge pour les plus graves fautes professionnelles ; * ne reconnaît que la juridiction de ses pairs, souveraine en matière d'honneur professionnel ; * n'accepte que des missions compatibles avec la dignité professionnelle ; * s'interdit d'invoquer un titre ou une qualité imaginaires, d'user de moyens déloyaux pour obtenir une information ou surprendre la bonne foi de quiconque ; * ne touche pas d'argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d'être exploitées ; * ne signe pas de son nom des articles de réclame commerciale ou financière ; * ne commet aucun plagiat, cite les confrères dont il reproduit un texte quelconque ; * ne sollicite pas la place d'un confrère, ni ne provoque son renvoi en offrant de travailler à des conditions inférieures ; * garde le secret professionnel ; * n'use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée ; XXI * revendique la liberté de publier honnêtement ses informations ; * tient le scrupule et le souci de la justice pour des règles premières ; * ne confond pas son rôle avec celui de policier. " Les journalistes de la rédaction de 20 Minutes, ainsi que la direction de 20 Minutes France SAS, s'engagent également à observer strictement, sans dérogation aucune, la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes adoptée en 1971 à Munich par les représentants des fédérations de journalistes de la Communauté européenne, de Suisse, d'Autriche, ainsi que de diverses organisations internationales de journalistes. " Déclaration des devoirs * respecter la vérité, quelles qu'en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public à de connaître ; * défendre la liberté de l'information, du commentaire et de la critique ; * publier seulement les informations dont l'origine est connue ou les accompagner, si c'est nécessaire, des réserves qui s'imposent, ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents ; * ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents ; * s'obliger à respecter la vie privée des personnes ; * rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte ; * garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ; * s'interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement, ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d'une information ; * ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste, n'accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs ; XXII * refuser toute pression et n'accepter de directives rédactionnelles que des responsables de la rédaction. " " Déclaration des droits * les journalistes revendiquent le libre accès à toutes les sources d'information et le droit d'enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique. Le secret des affaires publiques et privées ne peut en ce cas être opposé au journaliste que par exception en vertu de motifs clairement exprimés ; * le journaliste a le droit de refuser toute subordination qui serait contraire à la ligne générale de son entreprise, telle qu'elle est déterminée par écrit dans son contrat d'engagement, de même que toute subordination qui ne serait pas clairement impliquée par cette ligne générale ; * le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte professionnel ou à exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction ou sa conscience ; * l'équipe rédactionnelle doit être obligatoirement informée de toute décision importante de nature à affecter la vie de l'entreprise. Elle doit être au moins consultée, avant décision définitive, sur toute mesure intéressant la composition de la rédaction : embauche, licenciement, mutation et promotion de journaliste ; * en considération de sa fonction et de ses responsabilités, le journaliste a droit non seulement au bénéfice des conventions collectives, mais aussi à un contrat personnel assurant sa sécurité matérielle et morale ainsi qu'une rémunération correspondant au rôle social qui est le sien et suffisante pour garantir son indépendance économique. " C ADRE SPECIFIQUE A 20 M INUTES Les journalistes de la rédaction de 20 Minutes s'engagent enfin à respecter le cadre déontologique spécifique à l'entreprise. Collaborations extérieures Les contributions extérieures des journalistes de 20 Minutes (articles, livres, émissions de TV…) doivent faire l'objet d'une autorisation de la rédaction en chef de 20 Minutes. XXIII Elles seront systématiquement rejetées dans les cas suivants : - Collaboration non journalistique (ex. animation de débat pour une entreprise, collaboration à des dossiers de presse, rédaction de rapports annuels, plaquettes etc.) - Piges pour des journaux de type " consumer magazine " et/ou journaux d'entreprise. - Collaboration à des organes entrant en concurrence avec une des activités de 20 Minutes France quel qu'en soit le support. Voyages de presse Par principe, les journalistes de 20 Minutes ne participeront pas à des voyages de presse. Les seules dérogations concerneront les voyages de presse susceptibles d'apporter un accès à l'information impossible par les biais classiques (accès à un site d'ordinaire fermé aux journalistes, déplacement avec une personnalité, etc.). D'une façon générale toute participation à un voyage de presse doit faire l'objet d'une autorisation de la rédaction en chef qui en définira les modalités avec le journaliste. Invitations, cadeaux de presse Le journaliste de 20 Minutes n'acceptera, dans le cadre de son travail, d'invitations à déjeuner ou à dîner, que dans la mesure où celles-ci sont bien liées à une recherche d'informations et ne peuvent être assimilées à une gratification luxueuse. Il en va de même des cadeaux de presse pour lesquels il conviendra de faire un distinguo entre les envois promotionnels courants et les cadeaux dont le caractère disproportionné visera à s'attirer les faveurs du journaliste ; dans ce dernier cas, les envois seront systématiquement retournés à l'expéditeur. Services de presse Si, dans un but professionnel, le journaliste a besoin d'un objet du type livre, cassette vidéo, CD, DVD, logiciel, il s'assurera qu'ils entrent bien dans la catégorie des services de presse courants (opérations promotionnelles) et ne s'apparentent pas à une faveur consentie au journaliste. Dans ce dernier cas, soit il s'assurera que l'article est bien facturé à 20 Minutes, soit il effectuera une demande de prêt. L'achat comme le prêt doivent êtres approuvés par la rédaction en chef. Conflits d'intérêts XXIV En aucun cas, un journaliste de 20 Minutes ne devra traiter d'entreprises ou d'entités commerciales dans lesquelles il a des intérêts personnels qu'il s'agisse d'actions cotées en bourse ou de participations personnelles directes. De la même façon, le journaliste de 20 Minutes ne pourra traiter d'associations ou d'organisations dont il est membre. D'une façon générale, le journaliste de 20 Minutes a l'obligation expresse de signaler à la rédaction en chef toute source de conflit d'intérêt potentiel. XXV Q UESTIONNAIRE ADMINISTRE 1) Quel âge avez-vous ? …………………………………………………………………………………………………………………………………… 2) Vous êtes … Une femmeUnhomme 3) Vous vivez… A Toulouse Autre : précisez……………………………………………….. 4) Précisez votre catégorie socioprofessionnelle : Agriculteur exploitant Artisan, commerçant ou chef d’entreprise Cadres et professions intellectuelles supérieures Employé Ouvrier Retraité Au chômage ou sans emploi Profession intermédiaires Etudiant ou lycéen 5) Quel est votre niveau de revenu mensuel ? - de 750€750-1000€ 2000-3000€ 3000-4000€ 1000-1500€ 4000-5000€ 1500-2000€ +de 5000€ 6) Lisez-vous des journaux quotidiens payants ? Jamais Tous les jours 3 à 4 fois par semaine 1 à 2 fois par semaine 2 à 3 fois par mois Moins souvent 7) Si vous lisez des journaux quotidiens veuillez préciser lesquels : …………………………………………………………………………………………………………………………………… 8) Lisez-vous des magazines ? Jamais Chaque semaine Chaque mois Moins souvent 9) Si vous lisez des magazines, veuillez préciser lesquels : …………………………………………………………………………………………………………………………………… 10) Vous vous informez sur l’actualité… Par la radio Par la télévision Ni par la radio, ni par la télévision 11) Si vous écoutez la radio ou que vous regardez la télévision, précisez quelle(s) chaîne(s) : XXVI …………………………………………………………………………………………………………………………………… 12) Quel type d’actualité vous intéresse en général ? ……………………………………………………………………………………………………………………………………. 13) Lisez-vous le quotidien 20 Minutes ? Oui Non 14) Lisez-vous un autre quotidien gratuit d’information ? Oui Non 15) Si oui, lequel ? Métro Direct Toulouse Direct Soir Autre, précisez : …………………………………….. Si vous ne lisez pas 20 Minutes, vous pouvez arrêter de répondre à ce questionnaire 16) Comment vous procurez-vous le 20 Minutes ? Par présentoir Par distributeur Auprès d'un autre lecteur 17) Dans quel lieu précisément ? Bouche de Métro Lieu de travail Lieu d’études Autre, précisez :………………………………….. 18) A quelle fréquence lisez-vous 20 Minutes ? Tous les jours 3 fois par mois 3 à 4 fois par semaine 1 à 2 fois par semaine 2à Moins souvent 19) A quel moment de la journée ? Matin Après-midi Soir A n’importe quel moment de la journée 20) Où lisez-vous habituellement le 20 Minutes ? Dans les transports Au travail Sur le lieu des études A la maison Autre, précisez : …………………………….. 21) Depuis combien de temps lisez-vous le 20 Minutes ? - d’1 an 1 à 2 ans 2 à 4 ans + de 4 ans 22) Parmi les différents types de rubriques du journal, placez sur une échelle de 1 à 4 celles que vous préférez lire : Local National International Economique Autre (précisez) :…………... Loisirs Sport XXVII 23) De votre point de vue, quels sont les points forts de ce journal (4 réponses maximum) ? Gratuité Qualité du contenu rédactionnel Format pratique Divertissant Rapidité/facilité Vue globale sur l’actualité quotidienne de lecture Informations locales Informations sportives Informations culturelles ………………………………….. Autres, précisez : 24) De votre point de vue, quels sont les points faibles du journal (4 réponses maximum) ? Format Brièveté des informations Publicité Faible qualité du contenu rédactionnel Manque d’analyse et de mise en perspective Autre, précisez :………………………………………………. 25) Lorsque vous avez fini de lire le journal… lu Vous le gardez Vous le donnez Vous le jetez à la poubelle Vous le laissez là où vous l’avez 26) Vous consultez le site web de 20 Minutes… Jamais De temps en temps Souvent Très souvent 27) Si vous avez déjà envoyé un mail, un courrier, un fax ou si vous avez déjà téléphoné à 20 Minutes, précisez à quel sujet et à quelle rédaction : …………………………………………………………………………………………………………………………………… 28) Qu’amélioreriez-vous dans le journal ? …………………………………………………………………………………………………………………………………… Avez-vous des remarques à faire sur le journal 20 Minutes ? …………………………………………………………………………………………………………………………………… ……………………………………………………………………………………………………………………………………………… ……………………………………………………………………………………………………………………………………………… Acceptez-vous de laisser vos coordonnées (mail ou téléphone) en vue d’un éventuel contact ? …………………………………………………………………………………………………………………………………… MERCI DE VOTRE PARTICIPATION ! XXVIII B IBLIOGRAPHIE O UVRAGES ACCARDO Alain, Journalistes précaires, Agone, 2007 BARET Anne, L'impact de la presse gratuite, nouvelle donne économique et changement sociologique ?, Connaissances et Savoirs, Paris, 2006 BERNOUX Pierre, La sociologie des organisations, Paris : Seuil, 1990, 382 pages. BOURDIEU Pierre, Sur la télévision, suivi de L’emprise du journalisme, Paris : Raisons d’agir, 1996, 95 pages. CHARON Jean-Marie, La presse quotidienne, Paris : La Découverte, 2005, 122 pages HIRTZMANN Ludovic et MARTIN François, Montréal-Paris, Le défi des quotidiens gratuits, Québec : MultiMondes, 2004, 190 pages LE BOHEC Jacques, Les mythes professionnels des journalistes, L’Harmattan, 2000 LE FLOCH Patrick et SONNAC Natalie, Economie de la presse, La Découverte, 2005 LEGARVE Jean Baptiste, La presse écrite : objets délaissés, L’Harmattan, 2004 MABILON-BONFILS Béatrice et SAADOUN Laurent, Le mémoire de recherche en sciences sociales, Paris : Ellipses, 252 pages MARCHIETTI Dominique et RUELLAN Denis, Devenir journaliste. Sociologie de l’entrée sur le marché du travail, La Documentation Française, 2001 MATTELART Armand, Histoire de la société de l’information, Paris : La Découverte, Repères, 2006, 122 pages XXIX NEVEU Erik, Sociologie du journalisme, Paris : La Découverte, 2004, 123 pages NEVEU Erik, RUELLAN Denis, RIEFFEL Rémy, Les journalistes spécialisés, Réseaux n°111, Hermès Science Publications, 2002 RUFFIN François, Les petits soldats du journalisme, Les Arènes, 2003 YVES Agnès, Manuel de journalisme, Ecrire pour le journal, Paris : La Découverte, 2004, 447 pages XXX R APPORTS OFFICIELS DE BROSSIA Louis, Presse quotidienne d’information : chronique d’une mort annoncée ? Rapport d’information du Sénat fait au nom de la commission des Affaires culturelles sur la crise de la presse, 4 octobre 2007, 58 pages. Baromètre CSA /Les Assises du journalisme, Le moral et le jugement des journalistes sur leur métier et leur profession, février 2007, 46 pages. DELBARRE Roger, Développement de la presse gratuite d’information et mutations de l’espace public, Premiers résultats d’une enquête semi -directive sur les usages et pratiques d’un échantillon d’un lectorat étudiant , Université Paris 13-LabSic, Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord, 2006, 11 pages. S ITES I NTERNET Site commercial du 20 Minutes : www.20minb2b.com/ Site du journal 20 Minutes : www.20minutes.fr/ Site de Rue 89 : www.rue89.com Site de l’OJD : www.ojd.com/ Site de l’encyclopédie en ligne Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/ Site du Sénat : www.senat.fr Site du Conseil supérieur de l’audiovisuel : www.csa.fr/ Site de la Direction du développement des médias : www.ddm.gouv.fr Site de l’Insee : www.insee.fr Site d’Acrimed : www.acrimed.org Site du Nouvel Observateur : www.nouvelobs.com XXXI Site de la Direction du Développement des Médias : www.ddm.gouv.fr Site de l’Observatoire des Médias : www.observatoiredesmedias.com Site de Médiapart : www.mediapart.fr XXXII M OTS CLEFS Presse gratuite, journalisme, presse quotidienne régionale, routines de travail, sociologie, 20 Minutes, Métro, lectorat, pratiques de lecture, enquête. XXXIII TABLE DES MATIERES Remerciements .................................................................................................................. Avertissement .................................................................................................................... Sommaire…………………………………………………………………………………. Chapitre introductif ........................................................................................................ 1 I II III Présentation et justification du thème de recherche .................................... 2 A) L’objet de la recherche : 20 Minutes Toulouse .................................... 2 B) Pourquoi ? ............................................................................................ 3 C) Quelle démarche sociologique ? .......................................................... 5 Présentation de 20 Minutes ......................................................................... 7 A) En France ............................................................................................. 7 B) A Toulouse ........................................................................................... 8 Problématique............................................................................................ 12 A) Les gratuits : presse au rabais, mauvais journalistes et concurrence déloyale ? ……………………………………………………………………….12 B) Hypothèses de départ ......................................................................... 13 C) Plan .................................................................................................... 14 Chapitre 1....................................................................................................................... 15 Le secteur journalistique français ............................................................................... 15 I II Socio-histoire du journalisme français ...................................................... 16 A) Une professionnalisation tardive ........................................................ 16 B) La notion de champ journalistique ..................................................... 17 La crise de la presse et la problématique des gratuits en France ............... 22 A) Le contexte : la crise de la presse payante ......................................... 22 B) Modification de la situation du secteur .............................................. 25 C) Une concurrence déloyale ? ............................................................... 28 XXXIV Chapitre 2....................................................................................................................... 34 Les effets structurels du système économique de la presse gratuite ......................... 34 I) II) III) Le modèle économique ............................................................................. 35 A) Le modèle économique de la presse écrite ........................................ 35 B) Le modèle économique de la presse gratuite d’information .............. 38 Des contraintes en termes de contenu et d’organisation ........................... 41 A) Un format réduit pour une équipe rédactionnelle restreinte .............. 41 B) La place de la publicité ...................................................................... 46 Modes de légitimation et position des journalistes ................................... 50 A) Une charte déontologique stricte ....................................................... 50 B) Le respect de la pluralité .................................................................... 52 Chapitre 3....................................................................................................................... 54 Travail journalistique et réception du produit : étude empirique de 20 Minutes Toulouse ......................................................................................................................................... 54 I) II) III) Recherche et choix de l’information à traiter ............................................ 55 A) Le choix des sujets ............................................................................. 55 B) La recherche des informations et le rapport aux sources ................... 57 Le traitement des sujets ............................................................................. 61 A) Les caractéristiques de l’écriture journalistique................................. 61 B) La variété des genres .......................................................................... 62 Lectorat et réception : enquête .................................................................. 64 A) Méthodologie ..................................................................................... 64 B) Résultats de recherche ........................................................................ 66 C) Analyse et interprétation des résultats ............................................... 75 Conclusion ...................................................................................................................... 79 Annexes ............................................................................................................................ I Lexique des termes journalistiques .............................................................................. II Entretiens ……………………………………………………………………………IV XXXV Entretien avec deux journalistes du 20 Minutes, Hélène Ménal et Béatrice Colin, le 30 juin 2009 ......................................................................................................... IV Entretien avec la présidente de l’Association des journalistes de Toulouse, Sylviane Beaudois, le 18 juin 2009 ...................................................................... VIII Entretien avec le rédacteur en chef de La Dépêche du Midi, Yann Bouffin, le 17 mai 2009 …………………………………………………………………….XIII La Charte de déontologie de 20 Minutes .................................................................. XXI Cadre général ............................................................................................ XXI Cadre spécifique à 20 Minutes .............................................................. XXIII Questionnaire administré ....................................................................................... XXVI Bibliographie............................................................................................................XXIX Ouvrages ………………………………………………………………………..XXIX Rapports officiels .................................................................................................. XXXI Sites Internet .......................................................................................................... XXXI Mots clefs ...............................................................................................................XXXIII Table des matières……………………………………………………………….XXXIV XXXVI