Loïs Le Van, tellement plus qu`un chanteur de jazz

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Loïs Le Van, tellement plus qu`un chanteur de jazz
Loïs Le Van, tellement plus qu'un chanteur
de jazz
Par Annie Yanbékian @annieyanbekian Journaliste, responsable de la rubrique JazzMusiques du Monde de Culturebox
Mis à jour le 18/10/2016 à 09H44, publié le 17/10/2016 à 19H09
Loïs Le Van
© Bruno Belleudy
On le compare souvent à Chet Baker, pour le timbre et la vulnérabilité de sa voix. Loïs Le
Van, chanteur de jazz aussi atypique que séduisant, sort son deuxième album, "So much
more" ("tellement plus"), un disque intimiste et envoûtant enregistré avec de formidables
musiciens : le saxophoniste Sylvain Rifflet, le pianiste Bruno Ruder et le contrebassiste Chris
Jennings. Rencontre.
On a du mal à croire qu'il s'est mis au chant à dix-huit ans. Cette révélation tardive ne l'a en
rien inhibé. Loïs Le Van, né le 23 juin 1984 à Lyon, s'est entièrement voué à sa passion,
suivant les enseignements de Roger Letson en Californie, David Linx à Bruxelles, et de
nombreux master-classes. Son talent naturel et son travail ont porté leurs fruits avec une
victoire au concours de jazz vocal Voicingers en Pologne.
Multipliant les projets, Loïs Le Van a sorti un premier disque en leader, "The Other Side", à la
tête d'un sextet, en 2014. Avec le chanteur Manu Domergues, il a cofondé l'ensemble vocal a
cappella Ego System. Avec la pianiste Sandrine Marchetti, il a créé le duo poétique Les Yeux
de Berthe.
Le 12 septembre, il est revenu avec un projet personnel, "So much more" (Hevhetia / Musea),
deuxième album en leader, et dont le titre sonne comme une promesse. Promesse tenue. "So
much more" est une réussite, un recueil musical délicat et raffiné, dont chaque titre pourrait
évoquer un standard tout en étant bien ancré dans notre époque, porté par la personnalité
affirmée et incisive de ses protagonistes. Autour de la voix suave et mystérieuse du chanteur,
Sylvain Rifflet (récent lauréat d'une Victoire du Jazz), Bruno Ruder et le Canadien Chris
Jennings créent un climat d'introspection singulier, mystérieux et captivant, dans une parfaite
synergie.
Le groupe présente cet album mardi 18 octobre 2016 à Paris, au Studio de l'Ermitage.
Teaser de l'album "So much more" de Loïs Le Van, sorti le 12 septembre 2016 chez Hevhetia
- Culturebox : Vous vous êtes lancé dans des études musicales assez tard par rapport à
la plupart des musiciens professionnels. Racontez-nous.
- Loïs Le Van : J'ai découvert le chant lors d'un stage à Crest Jazz Vocal (festival et académie
drômois et aoûtiens de chant, ndlr), que mon père m'avait offert pour mes dix-huit ans. C'était
avec la chanteuse Gildas Solve. J'ai bien aimé chanté, j'avais l'impression que j'étais très bon
et que ça se faisait tout seul (il rit) alors que c'était ridicule ! Mais il y avait une bonne
ambiance, je chantais, les gens appréciaient... Il y avait des jeunes de mon âge parmi lesquels
Manu Domergue qui est devenu un super pote. On a formé une bande d'amis, c'était une
aventure humaine incroyable. Toutes ces rencontres m'ont fait continuer la musique. J'ai
commencé le conservatoire à 19 ans, parallèlement à une année de faculté en communication.
- On compare votre timbre de voix, votre façon de chanter, à Chet Baker. Fait-il partie
de vos grandes sources d'inspiration ?
- Il a été la première source d'inspiration. Mon premier amour obsessionnel, c'était Chet.
Quand j'ai commencé la musique, je n'écoutais que lui. Par la suite, il y a eu plein de grandes
influences... La première personne qui m'ait fait arrêter d'écouter Chet en boucle, c'est Jeanne
Lee. Elle a enregistré deux disques fantastiques avec le pianiste Ran Blake. Au même
moment, j'ai découvert Shirley Horn, puis Abbey Lincolm, Sidsel Endresen... Il y a eu David
Linx, Kurt Elling, Gábor Winand... Hier (dimanche 16 octobre, ndlr) je suis allé voir Theo
Bleckmann en concert. Fantastique ! Si je me tiens informé sur tout ce qui se passe du côté
des chanteurs masculins - on n'est pas très nombreux ! -, mes grandes influences restent
féminines.
- "So much more", votre deuxième disque, est très intimiste, mystérieux, il sonne
presque comme une confidence... Qu'aviez-vous envie d'exprimer au moment où ce
projet s'est dessiné ?
- On parlait justement du jazz vocal masculin. Avec des artistes comme Kurt Elling, Gregory
Porter, ce jazz a un côté très viril. Il faut mettre les c... sur la table ! C'est très bien, mais de
mon côté, j'ai envie de dire autre chose. J'écoute des artistes plus intimistes et j'ai envie de
l'assumer jusqu'au bout. C'est ce que j'ai fait dans ce disque. Dans le même esprit, j'aime
laisser de la place aux autres musiciens. Je trouve que de cette façon, il y a plus de musique.
J'ai envie de faire une musique que j'aurais moi-même envie d'écouter. Du coup, je n'ai pas
envie de n'entendre que moi, sans arrêt !
- Le moins qu'on puisse dire, c'est que vous n'en faites pas des tonnes, en effet ! Pour
vous, la voix est-elle un instrument comme un autre ?
- Exactement. Dans ce groupe, je voulais que nous soyons tous sur le même plan. Le but
n'était pas d'écraser les autres. La volonté était de faire un album de groupe.
- À l'exception d'une reprise d'une chanson de Robert Wyatt, vous signez toutes les
musiques du disque...
- J'ai écrit des musiques un peu à la façon de standards. Nous avons répété juste avant le
studio. L'objectif, c'était que les musiciens se sentent libres, qu'ils fassent ce qu'ils voulaient.
Bien sûr, j'impose une direction, une volonté artistique, mais elle n'est pas passée par des
mots. Cela s'est fait par une intention musicale. J'ai commencé par chanter, puis chacun a
trouvé sa place.
- N'aviez-vous pas prévu des arrangements pour les morceaux ?
- Au début, je voulais mettre l'accent sur la spontanéité... puis j'ai complètement flippé ! (il rit)
J'ai commencé à écrire plein d'arrangements. Puis je me suis arrêté. J'ai décidé de revenir à
mon idée principale qui consistait à laisser les musiciens libres. C'est pour ça que je les avais
choisis. Finalement, on a enregistré l'album très vite, en un jour et demi, les premières prises
ayant été retenues pour le disque.
- Ce disque a été enregistré comme un vrai album de jazz à l'ancienne ! Ce qui
n'empêche pas vos chansons de sonner très modernes...
- C'était aussi un objectif du disque. Actuellement, dans le jazz vocal, il y a un côté très pop,
très électronique aussi, dans la production. Or, j'ai le sentiment profond que l'on peut faire
quelque chose d'actuel en allant puiser dans les éléments du passé, en jouant de manière très
acoustique.
- Comment avez-vous choisi les musiciens du groupe ?
- Si je voulais un album très acoustique, je n'en suis pas moins un chanteur de mon temps. Je
voulais donc m'entourer de musiciens qui s'expriment dans un langage très actuel. J'ai
contacté en premier Sylvain Rifflet. Je suis complètement fan. Il a regardé mes partitions et il
m'a dit : "Ok, on le fait." Ensuite, il y a Bruno Ruder. J'ai mis un peu plus de temps à le
trouver. J'ai l'habitude de travailler avec la pianiste Sandrine Marchetti et je n'entendais qu'elle
au piano ! Mais je voulais rechercher autre chose. Bruno a quelque chose qui est à la fois très
jazz et contemporain, très éclaté, très libre. Il saisit une idée et la transcende complètement
avec son langage. Sylvain a un côté plus rock, inspiré par la musique répétitive. Enfin, Chris
Jennings possède un jeu un peu inspiré de la musique du monde. Mais les trois viennent
profondément du jazz, ce qui explique que nous n'ayons pas eu besoin de communiquer. Et ils
ont tous développé quelque chose de très personnel à partir du jazz.
© Bruno Belleudy
- Votre groupe ne comprend pas de batterie ! Pourquoi ce choix ?
- Afin que nous puissions tous être dans l'interaction et nous entendre parfaitement. Je voulais
aussi que l'auditeur puisse tous nous entendre à la manière d'un contrepoint à quatre. Je vais
généraliser, mais dans un groupe de jazz avec batteur, il y aura toujours un peu de bruit,
quelque chose qui se passe en fond sonore, on entendra moins la voix ou la contrebasse. Dès
qu'on enlève le batteur, on n'est obligé de tous "se capter", et rythmiquement, on gagne une
certaine souplesse.
- Les textes des chansons sont signés de François Vaiana... Quelques mots à son sujet ?
- C'est un chanteur américano-belge que j'ai connu quand nous étions tous les deux élèves de
David Linx à Bruxelles. Il a déjà écrit des textes pour mon premier CD. Je lui envoie les
musiques, il y colle des mots. Je voulais des textes en anglais. On se connaît très bien. Il écrit
divinement bien. Ses textes sont très poétiques tout en étant terre à terre, c'est incroyable... Je
les ai réappris pour le concert parisien. J'ai réalisé que je n'en avais pas compris tous les
niveaux de lecture. À chaque fois que je travaille ses textes, je découvre de nouvelles choses !
Cela donne à ma musique une dimension que je n'ai même pas encore atteinte moi-même.
- Quels sont les thèmes évoqués dans vos chansons ?
- Pour chaque titre, il y a un côté très concret et un autre très abstrait. Je pense par exemple à
"The Old Father and the Polaroid". C'est l'histoire d'une vieille dame qui accueille quelqu'un
chez elle, pour le repas. Elle demande à pouvoir appeler cette personne par un nom
particulier... En fait, elle attend certainement son mari qui est décédé, et l'invité se fait passer
pour le défunt pour profiter de la table et de la dame. Chaque chanson est comme un petit
court métrage poétique, avec des choses très imagées.
- C'est aussi le cas pour "Redwood Meadows", avec son clip un peu étrange ?
- (Il rit) Exactement ! Redwood Meadows est le nom d'une ville fictive, aujourd'hui déserte.
Quelqu'un y conduit une voiture et s'interroge sur la vie, les choses qu'il y avait là avant. La
chanson décrit une ambiance.
- Vous présentez ce disque ce mardi soir à Paris. Êtes-vous heureux du travail accompli
?
- Oui ! C'est un sentiment... (il soupire) J'étais si stressé au départ... C'est tellement
d'investissement. Puis on dit enfin "Wow ! On vient d'enregistrer tout ça en une prise, deux
prises..." Je suis vraiment heureux de ce CD. Je le réécoute avec plaisir, je n'en enlèverais pas
une note. Donc c'est gagné.
Loïs Le Van "So much more" en concert
Mardi 18 octobre 2016, 21H, à Paris
Studio de l'Ermitage
8, rue de l'Ermitage, Paris 20e
Tél : 01 44 62 02 86
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Loïs Le Van : voix, compositions
Sylvain Rifflet : saxophone
Bruno Ruder : piano
Chris Jennings : contrebasse

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