199 LE CONTENTIEUX DES PRELEVEMENTS DOUANIERS EN

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199 LE CONTENTIEUX DES PRELEVEMENTS DOUANIERS EN
LE CONTENTIEUX DES PRELEVEMENTS
DOUANIERS EN TUNISIE
Bassem KARRAY
Maître-assistant à la Faculté
de Droit de Sfax
1- Comme tout le contentieux fiscal, le contentieux des
prélèvements douaniers est au carrefour des deux contentieux privé et
public, puisque même s’il oppose l’administration publique aux
particuliers, il demeure, selon le code des douanes tunisien (CDT), de
la compétence du juge judiciaire. Bien que les contestations
douanières et fiscales aient pour objet commun la créance publique,
leurs régimes contentieux ne sont pas uniformes. Les différences qui
touchent aussi bien la compétence juridictionnelle que les règles de
déroulement du procès s’expliquent essentiellement par la divergence
du système de taxation. Si la matière imposable en matière fiscale est
déterminée par le contribuable lors de l’établissement de sa
déclaration1, la détermination des droits dus à l’importation et à
l’exportation est effectuée en matière douanière par l’administration
des douanes sur la base des déclarations et suite aux opérations de
vérification qu’elle exerce généralement avant l’accomplissement des
formalités de dédouanement2. Le fait générateur des prélèvements
1
2
Néji BACCOUCHE, Droit fiscal, ENA, CREA, 1993, p. 145.
Voir les articles 72, 83, 87, 88, 89, 90,91, 92 et en particulier l’article 95. Ce
dernier qui prévoit que les droits, taxes et autres mesures douanières sont
appliqués d’après les résultats de la vérification et, le cas échéant, conformément à la décision du comité supérieur du tarif des douanes. Il ajoute que
lorsque le service ne procède pas à la vérification des marchandises déclarées,
les droits, taxes et autres mesures douanières sont appliqués d’après les
énonciations qui figurent dans la déclaration.
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Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
douaniers est essentiellement constitué par le franchissement des
frontières3 alors qu’en matière fiscale le fait générateur est constitué
par divers faits et actes4. Ainsi, tout droit perçu à l’occasion de
l’importation ou de l’exportation est régi par CDT dans son régime
d’imposition5, de recouvrement6 et de contestation7. D’ailleurs, le
paragraphe 2 de l’article premier du code des droits et procédures
fiscaux (CDPF) a exclu de son champ d’application « les droits de
douane et autres droits, impôts et taxes perçus à l’importation »8.
2- L’imposition douanière se caractérisait par rapport à
l’imposition fiscale par sa simplicité puisque, pour l’essentiel, elle
consiste à déterminer la classe tarifaire dans laquelle sera rangée la
marchandise9. Les droits de douane proprement dits sont arrêtés en
fonction de leur espèce, leur origine et leur valeur en douane10. Mais
avec la profusion des techniques douanières accessoires à la taxation
(les mesures de défense commerciale à l’importation) et des taxes
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Le franchissement des frontières est une opération physique consistant au
passage des produits par les services douaniers. Cette opération est
accompagnée par une opération juridique qui consiste dans la présentation
d’une déclaration. Le fait générateur est alors constitué en ce qui concerne les
importations régulières par un ensemble indivisible d’éléments physiques et
juridiques. En revanche, l’élément physique est, à lui seul, un fait générateur
pour les importations irrégulières.
Il s’agit, entre autres, de la réalisation d’un revenu, de la possession à une date
d’une fortune, de la constitution d’une société… Voir pour aller plus loin :
Céline BAS, Le fait générateur de l’impôt, l’Harmattan, 2007.
Article 95 du CDT.
Article 193 du CDT.
Article 226 du CDT et suivants.
Les solutions prévues par ce code ne sont pas applicables en matière du
contentieux douanier, laquelle est régie par les dispositions du CDT et le code
de procédure civile et commerciale.
Au montant des droits de douane s’ajoutent des prélèvements perçus par
l’administration de douane comme le RPDI et ceux prélevés au profit de
certains organismes comme le FODEC. Il s’agit également de l’avance du 10%
au titre de l’impôt sur le revenu (AIR) ou de l’impôt sur les sociétés et de la
TVA à l’importation dont le taux varie selon que le produit en question est ou
non assujetti.
Les droits de douane étaient avant la révision de l’article 26 du CDT par la loi
2001-92 du 21/8/2001 arrêtés par l’administration nonobstant les valeurs
présentées par les opérateurs.
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Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
d’effet équivalent à un droit de douane11, la matière est devenue
complexe et difficilement intelligible. Le démantèlement des droits de
douane est souvent accompagné par l’institution d’autres mesures
ayant pour objectif de compenser le manque à gagner. La diversité des
prélèvements effectués par les services de douane a rejailli sur le
régime du contentieux des prélèvements douaniers qui ne se réduit
plus aux droits de douane. Il concerne, en plus, les autres droits,
impôts et taxes perçus à l’importation.
3- En Tunisie, le régime actuel du contentieux des
prélèvements douaniers remonte au CDT, promulgué par le décret
beylical du 29 décembre 1955 portant refonte et codification de la
législation douanière12. Les articles 197 à 309 de ce code portent sur
les différents types de contentieux, pénal, civil et fiscal13. Ce régime
antérieur à la République n’a pas connu une modification d’envergure,
alors même que l’organisation juridictionnelle s’est profondément
évoluée. Actuellement, ce code fait l’objet d’un projet de réforme
soumis au parlement. Même si les prélèvements subissent presque
toujours des révisions ponctuelles et conjoncturelles à l’occasion de
l’adoption des lois de finances, le code est resté imperméable aux
changements occasionnés par l’accession de la Tunisie au GATT dès
1990 et la conclusion de l’accord euro-méditerranéen établissant une
association entre les Communautés européennes et ses Etats membres,
d’une part, et la République Tunisienne, d’autre part, le 17 juillet
1995. La douane tunisienne est appelée à trouver une solution médiane
11
12
13
Il en est par exemple de l’avance au titre de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt
sur les sociétés fixée à 10% de la valeur en douane des produits importés. Cette
mesure a été introduite par la loi de finances pour la gestion de 1996. Son
avènement coïncide avec la signature de l’accord euro-méditerranéen établissant
une association entre les Communautés européennes et ses Etats membres d’une
part, et la République tunisienne, d’autre part, le 17/7/1995. Cet accord prévoit,
entre autres, un démantèlement tarifaire étalé sur 10 ans. Le législateur aurait
voulu à travers l’introduction de cette avance compenser la perte occasionnée
suite à la mise en œuvre de cet accord.
JOT n° 104 du 30/12/1955, p. 1919. Ce code a remplacé l’ancien cadre
juridique qui remonte au décret beylical du 03/10/1884.
Dans le projet du nouveau code (version du 28/4/2007) le contentieux occupe le
15ème titre (de l’article 301 à l’article 411).
201
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
entre un dispositif interne largement dépassé14 et un cadre juridique
international en perpétuelle évolution15.
4- Les règles régissant le contentieux des prélèvements
douaniers portent sur la naissance, le déroulement et la conclusion des
litiges ayant pour objet l’application des règles relevant de la matière
douanière. Elles se doivent, à l’instar des règles du contentieux
administratif, de concilier entre la défense de l’intérêt général et le
respect des droits fondamentaux des justiciables.
5- Le contentieux douanier pourrait être entendu dans son sens
le plus étendu comme le litige auquel l’administration de la douane est
partie. Cette acception qui repose sur un critère organique, présente
l’inconvénient de ne pas délimiter le domaine du contentieux
douanier, d’autant plus que les litiges auxquels l’administration de la
douane est partie n’obéissent pas au même régime. L’administration
de douane peut agir comme une personne privée ou comme une
personne publique en mettant en œuvre ses prérogatives de puissance
publique. On distingue, dès lors, entre le contentieux de la douane et le
contentieux douanier.
6- Le contentieux douanier serait selon une acception moins
extensive, le litige déclenché à l’occasion de l’application des règles
relevant de la matière douanière. Quoi qu’elle détermine l’objet de la
contestation, cette définition est potentiellement extensible du fait
qu’elle repose sur un critère matériel16 englobant les différentes
14
15
16
Le CDT contient des expressions vieillies, des structures impropres ainsi que
des dispositions inconstitutionnelles (notamment les articles 9, 10, 13 et 47).
Dans le plan d’action voisinage du 20 mai 2005, l’Union européenne a exhorté
la Tunisie de réviser son code des douanes sur la base des résultats d’une
consultation menée parmi les utilisateurs et d’adopter des dispositions
d’application en vue de rapprocher son cadre juridique des standards internationaux et du code de douane communautaire.
Le régime du contentieux douanier prévu par le CDT s’applique aux différentes
contestations pouvant naître à l’occasion de l’application de ses dispositions. Ce
régime peut être étendu à d’autres formes de contestations douanières prévues
par des textes spéciaux. Le législateur peut explicitement renvoyer aux
dispositions pertinentes du CDT en insérant l’expression selon laquelle telle
matière sera jugée comme en matière de douane. Il peut procéder, en outre,
d’une manière implicite en reprenant l’essentiel du dispositif du contentieux
douanier prévu par le CDT.
202
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
facettes du contentieux douanier : le contentieux pénal, indemnitaire,
préjudiciel et d’annulation.
On vise par le contentieux des prélèvements douaniers dans le
cadre de cette étude, la contestation portant sur les opérations
d’établissement et de recouvrement des droits perçus par
l’administration des douanes à l’occasion des activités d’importation
et d’exportation.
7- L’état des règles portant sur le contentieux des prélèvements
douaniers est aujourd’hui anachronique eu égard aux évolutions
jurisprudentielles et aux mutations que connaît le droit tunisien.
Principal acteur de la libéralisation économique, la douane exerce une
influence considérable sur la politique économique de l’Etat et sur la
compétitivité du marché tunisien à travers le traitement qu’elle réserve
aux opérateurs et aux opérations du commerce international. La
douane est généralement perçue dans les régimes protectionnistes
comme un facteur de cloisonnement des marchés. En revanche, il lui
incombe dans les régimes reposant sur le libre échange de favoriser
l’ouverture des marchés sans pour autant décliner ses prérogatives en
matière de contrôle. Au renouveau des fonctions de la douane et
l’incontournable émaillage de sa figure, doit correspondre une
meilleure visibilité et accessibilité du juge compétent. L’accessibilité
au juge dépend de l’intelligibilité des règles d’organisation de la
compétence des juridictions17. Un bon procès douanier contribuera à
sécuriser les opérateurs, à fortifier leur confiance et à favoriser le
développement du commerce international.
8- Conçu comme une pièce maîtresse de la reconquête du
pouvoir18 à une époque où le souci des gouvernants fut d’abord de
protéger le pays, le CDT est devenu inadéquat compte tenu de la
libéralisation à la fois de l’économie et du droit qui, quoique l’on dise,
ont réalisé un saut qualitatif considérable. Ce régime vit ses derniers
moments.
17
18
Sami KRAIEM, Le juge compétent en matière fiscale en Tunisie, l’Harmattan,
2007, paragraphe 8, p. 17.
Néji BACCOUCHE, « Les implications de l’accord d’association sur le droit
fiscal et douanier », Mélanges en l’honneur de Habib AYADI, CPU, 2000, p. 9.
203
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
9- Le régime actuel du contentieux des prélèvements douaniers
en Tunisie se caractérise par sa complexité et son laconisme, liés à
son objet et à son organisation, qui risquent de dénigrer l’image de la
justice étatique comme principal dépositaire de la mission sacramentale de dire le droit.
10- L’objet des prélèvements douaniers est devenu, suite à
l’émergence de nouvelles mesures de protection, complexe (I). Les
droits des justiciables sont largement fonction de l’organisation du
contentieux des prélèvements douaniers. Son caractère inachevé (II)
appelle une véritable refonte plutôt qu’un simple toilettage.
I- UN OBJET COMPLEXE
11- L’opération de taxation douanière est fortement intégrée et
complexe. Elle repose sur deux axes : l’imposition (qui couvre les
opérations d’assiette et de liquidation) et le recouvrement19. Bien
qu’ils ne soient pas expressément visés par l’article 227 du CDT, les
éléments d’assiette (A), qui constituent une facette du contentieux
douanier20, sont divers. Quant au contentieux du recouvrement, il se
caractérise par une certaine particularité (B).
A- La diversité des éléments d’assiette
12-Le contentieux de l’assiette porte sur des éléments
qualitatifs (l’espèce et l’origine) et un élément quantitatif (la valeur en
douane). Ce dernier constitue l’élément le plus complexe de l’établissement des droits de douane. La détermination de l’assiette est
nécessaire pour l’application d’un tarif douanier, préférentiel ou non
préférentiel21.
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20
21
Néji BACCOUCHE, Droit fiscal, op. cit., p. 139.
La notion d’affaires en douane prévue par l’article 227 du CDT est englobante.
Elle couvre tout type de contentieux. D’ailleurs, le Tribunal de Conflit français
s’est exprimé sur la portée de l’article 357 du code de douane français dans son
arrêt rendu le 15/1/1990. Cet article porte sur le contentieux « soit de l’assiette
et de recouvrement des droits de douane, soit sur la responsabilité encourue
par l’Etat en raison des faits afférents à des opérations d’assiette ou de
recouvrement de tels droits ». Arrêt cité par Sami KRAIEM, Le juge compétent
en matière fiscale en Tunisie, op. cit., paragraphe 212, p. 120.
L’opération d’asseoir l’impôt consiste dans la détermination des bases d’imposition à travers le traçage de ses périmètres et de ses contours afin d’arrêter sa
consistance. Voir Néji BACCOUCHE, Droit fiscal, op. cit., p.143 et 144.
204
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
13- L’espèce des marchandises est, selon l’article 19 du
CDT , la dénomination attribuée par le tarif de douane. Une fois
dénommée, la marchandise est classée dans une rubrique permettant
de lui appliquer un traitement douanier prédéterminé. Ce traitement
doit être identique par rapport aux marchandises faisant partie de cette
rubrique et différent par rapport aux autres marchandises appartenant à
d’autres rubriques. La classification des marchandises s’effectue
suivant des critères homogènes. Une catégorie de marchandises
s’identifie à travers l’identité du traitement douanier. La détermination
de l’espèce s’effectue soit sur la base d’attribution ou d’assimilation.
La détermination par attribution est celle prévue par le tarif des
douanes alors que la détermination par assimilation est celle établie
par une décision du ministre de finances lorsque la marchandise est
susceptible d’être classée dans plusieurs positions tarifaires.
22
14- Quant à l’origine, deuxième élément de l’assiette, elle
consiste dans la détermination du territoire dans lequel le produit a
subi des opérations de récolte, d’extraction et de fabrication23.
L’origine doit requérir une acception plutôt économique que
géographique dans une économie fortement interdépendante24. Elle est
un élément de rattachement qui permet aux marchandises d’être
assujetties à certains prélèvements et de se soumettre à des normes
techniques et au contrôle sanitaire avant leur mise en consommation25.
15- Le troisième élément d’établissement de l’assiette est la
valeur en douane des produits destinés à l’importation et à
22
23
24
25
Cet article maintiendra son numéro dans le projet du nouveau code (version du
28/4/2007) mais avec un nouveau contenu.
L’article 25 du CDT. Cet article n’a pas été modifié pourtant les règles régissant
la matière aient profondément changé. Il est amélioré dans le projet du nouveau
code (version du 28/4/2007), il devient l’article 21.
Voir Louis DUBOUIS et Claude BLUMANN, Droit matériel de l’UE,
Montchrestien, 2ème éd., p. 192.
Voir pour aller plus loin Bassem KARRAY, « Les règles d’origine dans
l’espace économique euro-méditerranéen », in euro-med integration and the
ring of friends, the mediterranean’s european challenge, Vol VI, edited by Peter
Xuerreb, university of Malta, 2003, pp. 322 et 323.
205
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
l’exportation26. Aux termes de l’article 26 bis du CDT, ajouté par la
loi du 7/8/2001, « la valeur en douane des marchandises importées est
la valeur transactionnelle, c’est-à-dire le prix payé ou à payer pour
les marchandises lorsqu’elles sont vendues pour l’exportation à
destination de la Tunisie »27. En revanche, la valeur à déclarer à
l’exportation est, selon l’article 27 du CDT, celle de la marchandise au
point de sortie majorée, le cas échéant, des frais de transport jusqu’à la
frontière, mais non compris le montant : a) des droits de sortie ; b) des
taxes intérieures et des charges similaires dont il a été donné décharge
à l’exportateur.
16- Le contentieux que pourraient provoquer ces éléments,
porte sur une contestation formée par l’opérateur contre l’appréciation
des services de la douane des énonciations exprimées dans sa
déclaration relative à l’espèce, à l’origine et à la valeur. L’opérateur
peut, ainsi, poursuivre l’administration pour une décision de
classement ou d’assimilation impropre ou pour une décision de refus
ou de rectification des énonciations portant sur l’origine ou pour une
décision de rejet de la valeur transactionnelle déclarée pour son
inexactitude ou sa non représentativité et sa substitution par une autre
valeur suivant des méthodes de réserve. Mais avant l’engagement du
procès, la contestation peut être, selon l’article 92 du CDT, portée
devant le comité supérieur du tarif des douanes, qui est, selon l’article
20 du CDT, une commission administrative28.
26
27
28
« Les actuels articles 26 » (c'est-à-dire de l’article 26 à l’article 26 quaterdecies)
prennent une nouvelle numérotation (de l’article 22 à l’article 36) dans le projet
du nouveau code (version du 28/4/2007).
Voir pour plus de développements, Bassem KARRAY, « Le nouveau cadre
juridique tunisien en matière d’évaluation en douane », Etudes juridiques,
Revue publiée par la Faculté de droit de Sfax, n° 9, 2002, p. 129 et s. et Hatem
ELLOUD, La valeur en douane, mémoire de DEA, Fac. de Droit de Sfax, 2006.
A notre connaissance, ce comité n’a jamais siégé et aucune décision n’est
rendue. Ce comité est remplacé par le comité de transaction et de l’expertise
douanière prévue par les articles de 412 à 421 du projet du nouveau code
(version 28/4/2007). Ce comité est compétent pour trancher les litiges
concernant les éléments d’assiette selon l’article 421.
206
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
17- En plus des droits arrêtés à titre principal, un produit peut
faire l’objet d’une surtaxe douanière29. Il s’agit des mesures de
défense commerciale à l’importation ayant des éléments d’assiette
propres et différents des droits de douane proprement dits. Certaines
de ces mesures (les droits antidumping et les droits compensateurs)
sont adoptées, et par la suite perçues, indépendamment des droits de
douane normalement dus ; alors que les mesures de sauvegarde de
type tarifaire sont établies en fonction des droits de douane déjà
arrêtés. Les droits antidumping et les droits compensateurs sont
calculés à partir de leur fait constitutif. Le droit antidumping est arrêté
en fonction de la marge de dumping établie suivant le rapport entre la
valeur normale du produit et son prix à l’exportation. Ainsi, l’objet de
la contestation peut porter sur la détermination de la marge de
dumping qui constitue l’élément de l’assiette. Quant au droit
compensateur, il est établi pour neutraliser la subvention injectée dans
le produit à l’occasion d’une opération d’exportation. Le montant du
droit arrêté doit être égal au montant de la subvention. L’assiette est
constituée par la marge de subvention qui est déterminée à partir du
prix à l’exportation et du montant de la subvention. En ce qui
concerne la mesure de sauvegarde de type tarifaire30, elle prend, selon
l’article 18 de la loi n° 98-106 du 18 décembre 1998, la forme d’une
majoration des droits de douane. Ces droits ne sont pas, contrairement
aux droits antidumping et aux droits compensateurs, autonomes parce
qu’ils sont établis et recouvrés sur la base des droits de douane
normalement dus.
18- L’avènement des mesures de défense commerciale à
l’importation à vocation purement corrective du préjudice subi par la
branche de production nationale, a eu des retentissements sur les
opérations de taxation douanière longtemps caractérisées par leur
29
30
Dominique CARREAU et Patrick JUILLARD, Droit international économique,
Dalloz, 1ère éd., 2003, p. 196. Ces surtaxes sont également appelées des mesures
douanières accessoires à la taxation (Jean Claude BERR et Bernard TREMAU,
Le droit douanier communautaire et national, op. cit., p. 97 ; Bassem
KARRAY, Les mesures de défense commerciale à l’importation en droit
tunisien, thèse de Doctorat en Droit, Faculté de droit de Sfax, 2005, p. 11.).
Selon les termes de l’article 18 de la loi n° 98-106 du 18/12/1998, la mesure de
sauvegarde est soit tarifaire (majoration des droits de douane) soit non tarifaire
(restriction quantitative).
207
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
simplicité consistant à appliquer à une marchandise les droits qui lui
correspondent au tarif des douanes31. En plus de la diversité des
éléments d’assiette, les opérations de recouvrement des prélèvements
douaniers présente une certaine particularité.
B- La particularité de l’opération du recouvrement
19- Les droits, taxes et autres mesures douanières sont
appliqués par l’administration des douanes au terme du contrôle
qu’elle effectue sur les énonciations exprimées par le contribuable lors
de l’établissement de sa déclaration ou sur la base des résultats de la
vérification. Ils peuvent être établis, en cas de contestation, par une
décision du comité supérieur des douanes32. Après la liquidation des
droits exigibles, opération qui consiste dans le calcul du montant de
l’imposition dû par le contribuable, l’administration passe à la phase
de recouvrement. Le paiement doit s’effectuer « spontanément » par le
contribuable selon les modalités convenues33. Lorsque les droits
arrêtés n’ont pas été payés34, l’administration des douanes est en droit
de procéder au recouvrement forcé. Elle cumule les opérations
d’établissement et de recouvrement des droits dus. La taxation est, par
conséquent, immédiate.
20- Pour procéder au recouvrement forcé, l’administration des
douanes émet des états de liquidation qui forment des titres de
poursuite. Ces titres permettent, aux termes de l’article 219 du CDT35,
de recouvrer des droits et taxes de toute nature que l’administration
31
32
33
34
35
Bassem KARRAY, « Les mesures de défense commerciales à l’importation en
droit tunisien », thèse précitée, p. 272.
Voir l’article 95 du CDT.
La règle est que le paiement s’effectue au comptant (articles 98 et 99 du CDT).
Le code permet à l’administration d’accorder des facilités de paiement à
condition de présenter des obligations dûment cautionnées (article 100 du
CDT). Les facilités de paiement diffèrent de l’octroi de report de paiement,
objet de l’article 102 du CDT. Le report de paiement est octroyé alors que les
opérations de vérification sont pendantes (article 102 du CDT : crédits
d’enlèvement).
L’administration peut arrêter des droits suite à une procédure de contrôle à
posteriori. Le refus du contribuable peut être sanctionné par l’établissement
d’un état de liquidation.
Cet article devient l’article 322 dans le projet du nouveau code (version du
28/4/2007).
208
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
des douanes est chargée de percevoir pour le paiement des droits,
amendes et autres sommes dues en cas d’inexécution des engagements
contenus dans les acquits-à-caution36 et, d’une manière générale, dans
tous les cas où une somme quelconque est due à l’administration des
douanes37. Le titre de poursuite peut être défini comme l’acte
formaliste par lequel est authentifié la créance douanière qui n’a pas
été spontanément exécutée dans les délais légaux38. Même si
l’administration des douanes se charge de l’établissement des
éléments d’assiette et du recouvrement, il est indiqué de distinguer ces
deux opérations en raison de leur différence au niveau des objectifs.
D’une part, l’opération de détermination des éléments de l’assiette
tend à arrêter le montant des droits dus ; c'est-à-dire de procéder à sa
liquidation39. D’autre part, l’opération de recouvrement consiste, par
contre, au passage à la phase de paiement de l’impôt une fois il est
assis, liquidé40 et non payé. Cette particularité au niveau du régime
d’adoption ne justifie pas la particularité de son régime contentieux.
Ce dernier diffère du régime du recouvrement des créances publiques
prévu par le code de la comptabilité publique (CCP).
21- L’émission d’un état de liquidation constitue une
prérogative de puissance publique dont dispose l’administration41. Il
est décerné par les receveurs de douane territorialement compétents et
arrêté par le ministre des finances42. Ce titre de poursuite est
exécutoire par provision et nonobstant opposition43. Le recouvrement
36
37
38
39
40
41
42
43
Le régime des acquits-à-caution est prévu par les articles 107 et suivants du
CDT.
On a relevé que dans la pratique, l’administration préfère saisir directement le
juge que d’émettre des états de liquidation.
Claude Jean BERR et Bernard TREMAU, Le droit douanier communautaire et
national, op. cit., p. 406.
« Liquider l’impôt c’est calculer la somme due par le contribuable », Néji
BACCOUCHE, Droit fiscal, op. cit., p. 154.
Néji BACCOUCHE, Droit fiscal, op. cit., p. 159.
L’article 26 du code de la comptabilité publique (CCP) considère que l’état de
liquidation constitue le mode de droit commun en matière de recouvrement. Il
prévoit qu’« à défaut d’un mode spécial, le recouvrement a lieu par voie d’états
de liquidation décernés par le comptable chargé de la perception et rendus
exécutoires par le ministre des finances ».
Article 219 du CDT.
Article 26 paragraphe 3 du CCP.
209
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
effectué par l’administration des douanes s’étend aux différents droits
et taxes prévus par le CDT, ainsi que les textes spéciaux. L’article 193
du CDT44 prévoit, à ce titre, qu’outre les droits et taxes de douane,
l’administration des douanes est également chargée de recouvrer ou de
faire garantir la perception des taxes intérieures prévues par la
législation des contributions indirectes et de tous autres droits et taxes
exigibles à l’importation ou à l’exportation. L’administration des
douanes dispose d’une compétence générale illimitée de percevoir
tous les droits et taxes perçus à l’occasion de l’importation et de
l’exportation. Il en est ainsi de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) due
à l’importation45 et de l’avance de 10% au titre de l’impôt sur le
revenu et de l’impôt sur les sociétés dû sur les importations de certains
produits de consommation46. Leur régime de recouvrement et leur
contentieux sont alignés sur ceux prévus en matière des droits de
douane47.
22- L’identification des règles applicables au contentieux de
recouvrement des prélèvements douaniers fait l’objet de positions
doctrinales divergentes. La coexistence de deux textes, l’article 229 du
CDT et l’article 27 du CCP, a provoqué un problème d’interprétation.
Un auteur avait soutenu que les règles portant sur le contentieux du
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46
47
Cet article porte le numéro 297 dans le projet du nouveau code (version du
28/4/2007). Son contenu est amélioré.
Il s’agit du paragraphe 2 de l’article 1er du code de la TVA qui prévoit que
« sont également soumis à la TVA 1/ les importations… ». Le taux diffère selon
que le produit est ou non assujettit à la TVA.
L’article 51 ter du CIR. Bien qu’il soit une modalité de paiement anticipé d’un
impôt conçu pour frapper les revenus, cette avance est liquidée sur la base de la
valeur en douane, c'est-à-dire sur le chiffre d’affaires à l’importation. Son
montant est exorbitant, ce qui fait que l’importateur doit, pour trouver son
compte, se réserver une marge bénéficiaire nette supérieur à 40 %. Le paiement
de cette avance risque, par conséquent, d’être à l’origine d’un crédit d’impôt
qualifié par le Professeur Néji BACCOUCHE de crédit chronique. Ce crédit
n’aboutit-il pas au développement d’un contentieux de restitution en matière
douanière ? On peut le penser. Voir Néji BACCOUCHE, « L’environnement
fiscal de l’entreprise à l’heure de l’internationalisation de l’économie : le cas
tunisien », Etudes Juridiques, Revue publiée par la faculté de droit de Sfax,
n°10, 2003, p. 112, paragraphe 89.
L’article 51 ter paragraphe 2 prévoit que « le recouvrement de l’avance, le
contrôle, la contestation des infractions et le contentieux s’effectuent comme en
matière des droits de douane ».
210
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
recouvrement prévues par le CDT, et qui datent de 1955, sont frappées
de caducité par l’article 27 du CCP, paru en 197348. Par contre,
d’autres distinguent entre d’une part, les dispositions de l’article 27 du
CCP, qui constituent, selon eux, des règles de droit commun et,
d’autre part, les dispositions de l’article 229 du CDT, qui constituent
des règles spéciales applicables à la matière douanière49. Ce
dédoublement injustifié du régime de recouvrement s’explique par
l’antériorité des règles prévues par le CDT qui n’ont pas été
expressément modifié après l’adoption du CCP50. Une unification du
régime est aujourd’hui indispensable51.
23- De même, en matière de recouvrement des mesures de
défense commerciale à l’importation, l’article 31 de la loi n°99-9 du
13 février 1999 prévoit que les droits antidumping ou compensateurs
sont recouvrés comme en matière des droits de douane. Bien que cette
loi n’ait pas déterminé le régime de contestation, ces mesures doivent
obéir au régime de contestation prévu par le CCP.
24- La contestation de l’état de liquidation ne peut être que
juridictionnelle. Le CDT ne consacre pas un droit de recours
administratif à l’encontre de cet acte alors qu’il consacre un droit de
48
49
50
51
Mustapha FILALI,« Le recours en cassation devant le Tribunal Administratif »,
Revue Servir, 1986, n° 38 p. 55.
Voir Sami KRAIEM, Le juge compétent en matière fiscale en Tunisie, op. cit.,
paragraphe 352 et s., p. 184 et s ; Abdallah HLALI, Précis de voies de recours
et de recouvrement forcé des créances de l’Etat, Coopérative internationale
d’impression et de publication, Sfax, 1982 ; Mustapha FILALI, « Le recours en
cassation devant le Tribunal Administratif », article précité , p. 55.
Le législateur aurait pu, en 1956, attribuer l’opposition aux états de liquidation
au Tribunal de l’Ouzara qui était une instance d’appel selon l’article 4 du décret
du 24/10/1910 portant code tunisien de procédure civile (JOT, n° 115 bis du
31/12/1910, p. 1299. Il aurait donc expressément préféré l’attribuer au TPI
parce que le tribunal de l’Ouzara était centralisé à Tunis. Les exigences de
rapprochement de la justice aux justiciables pourraient justifier l’attribution de
ce contentieux au TPI.
Dans le projet du nouveau code (version du 28/4/2007), le législateur semble
opter pour l’unification des voies de recours. Il n’a pas attribué la compétence
en matière d’opposition aux états de liquidation aux TPI dans l’article 331 du
projet (l’équivalent de l’actuel article 227). Dans l’exposé des motifs, le
gouvernement avait suggéré de supprimer les dispositions relatives à cette
matière puisqu’elle est régie par le CCP.
211
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
contestation au cours de la phase de vérification52. Cependant, le code
des douanes français consacre dans ses articles 346 et 347 un droit de
recours administratif contre l’état de liquidation53.
25- L’exercice de cette prérogative est soumis au contrôle
juridictionnel qui s’étend aux autres éléments de la taxation douanière.
En engageant un procès contre l’administration de la douane, le
justiciable est appelé à résoudre un double problème lié à la
détermination du juge compétent et à la détermination des règles de
procédure54.
II- UNE ORGANISATION COMPLIQUEE
26- L’état du droit de l’organisation de la justice douanière se
caractérise par l’ambiguïté des règles attributives de la compétence
juridictionnelle (A) et par l’hétérogénéité du droit applicable au procès
douanier (B).
A- L’ambiguïté des règles attributives de la compétence
juridictionnelle
27- L’article 227 du CDT55 attribue aux tribunaux de première
instance (TPI) une compétence générale couvrant toutes les affaires
de douane56. La compétence du TPI couvre à la fois les contestations
en matière de paiement des droits, les oppositions aux états de
52
53
54
55
56
Articles 92 et suivants du CDT.
Selon le droit français, le Directeur régional des douanes doit statuer dans les
six mois sur les contestations formées par les contribuables. Le législateur
français a été obligé de consacrer ce droit sous la pression du droit européen
(article 243 du règlement (CE) n° 2913/92 du Conseil du 12/10/1992 établissant
le code des douanes communautaire.
Jean VINCENT, S. GUINCHARD, G. MONTAGNIER, A. VARINARD, La
justice et ses institutions, Dalloz, 1991, p. 98.
Cet article change de contenu et devient l’article 331 dans le projet du nouveau
code (version 28/4/2007).
En application de l’article 34 paragraphe 4 de la constitution, seule la loi
détermine les procédures devant les différents ordres de juridiction. Serait
contraire à la constitution, le décret qui aligne le régime contentieux d’une taxe
au régime du contentieux douanier, et ce, faute d’une habilitation
constitutionnelle. Il s’agit notamment de l’article 3 du décret du 9 mars 2004
portant institution d’une taxe à l’occasion de l’exportation. Voir Sami
KRAIEM, Le juge compétent en matière fiscale en Tunisie, op. cit, paragraphe
216, p. 121.
212
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
liquidation57, la non décharge des acquits-à-caution et les autres
affaires de douane58. La notion d’affaires de douane est captive
puisqu’elle englobe tous les litiges douaniers, y compris les droits
perçus par la douane à l’importation et à l’exportation (les droits de
douane proprement dits, les taxes d’effet équivalent et les surtaxes
douanières). L’attribution de la compétence aux TPI est une solution
commode puisqu’elle offre au justiciable le privilège de la proximité
et du rapprochement de la justice. La plénitude de compétence
consacrée par le CDT au profit du TPI, n’a pas exclu la compétence
du TA en matière de recours pour excès de pouvoirs contre des
décisions détachables de nature non fiscale59 et contre une circulaire
57
58
59
Le CCP attribue la compétence en matière de contestation des états de
liquidation à la cour d’appel de la circonscription du bureau d’où émane le titre
de poursuite avec élection de domicile dans la ville où siège la cour. Une
révision des dispositions des articles 227 et 229 paragraphe 2 du CDT est
nécessaire afin de pallier les inconvénients de dédoublement de régime d’une
même voie de recours. C’est d’ailleurs la position du législateur dans le projet
du code. Voir la note de bas de page n° 44 de cette étude.
Cette solution est également prévue par le code de douane français dans son
article 357 bis qui prévoit « les tribunaux d’instance connaissent des
contestations concernant le paiement ou le remboursement des droits, des
oppositions à contrainte et des autres affaires de douane n’entrant pas dans la
compétence des juridictions répressives ». La version arabe est plus claire et ne
prête pas à confusion puisqu’elle utilise la notion des affaires douanières.
Le TA a eu l’occasion de déclarer sa compétence en matière de recours pour
excès de pouvoirs dès 1978 contre une décision prise par l’administration des
douanes (REP, affaire n° 209 du 27/6/1978 Mohamed BOUNENNI contre le
Directeur de la douane, Recueil 1978, p.141). Cette dernière a procédé à la
saisie du véhicule du requerrant et à sa vente. Bien que le commissaire d’Etat ait
soulevé, en application du principe de recours parallèle, l’incompétence de la
juridiction administrative, le TA a reconnu sa compétence sur la base de
l’article 3 de la loi du 1er juin 1972. La position du commissaire d’Etat paraît
discutable. En plus de l’argument tiré de la suprématie des dispositions à
caractère organique de la loi du 1er juin 1972 sur les dispositions de nature
ordinaire du CDT (Sami KRAIEM, Le juge compétent en matière fiscale en
Tunisie, op. cit., paragraphe 675 et suivants, p. 339), le recours pour excès de
pouvoirs est une voie de recours de droit commun qui ne peut être exclue que
par un texte express. Seuls les états de liquidation ne peuvent faire l’objet de
recours pour excès de pouvoirs. Sur d’autres plans, le TA a récemment reconnu
que le recours pour excès de pouvoir ne peut être exclu ou limité que par un
texte ayant au moins une nature organique. Quoique cette décision porte sur le
recours pour excès de pouvoir, elle peut être étendue à la compétence du TA en
213
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
règlementaire de nature fiscale60. En revanche, la reconnaissance de la
compétence du TPI par une loi ordinaire est devenue sur le plan
juridique contestable après la promulgation de la loi organique
n° 96-38 du 3 juin 1996 relative aux conflits de compétence et
l’institution du Conseil des Conflits de Compétence. Si la procédure
devant les différents ordres de juridiction est du domaine de la loi
ordinaire, selon l’article 34 de la constitution, l’attribution des compétences des différents ordres de juridiction doit, en principe, relever du
domaine des lois organiques. Ainsi, l’attribution du contentieux
douanier, branche du contentieux administratif, à un tribunal autre que
le TA doit être faite par une loi organique et non par une simple loi
ordinaire, comme c’est le cas du CDT61.
28- En ce qui concerne la nature du jugement rendu par le TPI
en matière douanière, le législateur avait retenu deux positions
différentes. D’une part, il a gardé le silence dans l’article 227 du CDT.
D’autre part, il a prévu dans le paragraphe 2 de l’article 229 du CDT
que le jugement rendu en matière de contentieux de recouvrement est
en dernier ressort62. Le silence du code quant à la nature du jugement
prononcé par le TPI, en dehors du contentieux de recouvrement, doit
être interprété en fonction des règles du droit commun prévues par le
code de procédure civile et commerciale63.
60
61
62
63
général (Appel, affaire n° 26071 du 4/1/2008 Ministre du domaine public et des
affaires foncières contre Guillain N Marie et autres).
Le TA a eu l’occasion d’annuler une circulaire du Directeur général des
douanes pour incompétence. (REP, affaire n°15424 du 15/7/1998, Héla CHRIF
contre le ministre des finances) inédit.
Ce même raisonnement est applicable en matière fiscale, voir Sami KRAIEM,
Le juge compétent en matière fiscale en Tunisie, op. cit., paragraphe 107 et
suivants, p. 74.
Abdallah HLALI avait curieusement soutenu que l’opposition aux états de
liquidation en matière douanière obéit au principe du double degré de
juridiction. Voir son article, « La fiscalité et le juge judiciaire », Revue de la
Jurisprudence et de la Législation, mars 2002, p. 27 (en arabe).
Le Professeur Mustapha FILALI a reconnu que les TPI rendent un jugement de
dernier ressort. Il s’est référé à un arrêt rendu par le TA dans l’affaire n° 204 du
5/12/1978. Voir son article « Le recours en cassation devant le Tribunal
Administratif », article précité, p. 53.
214
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
29- L’article 40 du CPCC64 prévoit que « le Tribunal de
première instance connaît en premier ressort de toutes les actions sauf
dispositions contraires expresses de la loi ». En l’absence d’une
disposition contraire dans l’article 227 du CDT65, le jugement rendu
par le TPI serait en premier ressort et peut, ainsi, faire l’objet
d’appel66. Le Conseil des Conflits de Compétence avait affirmé sans
équivoque que le TPI, saisi d’un litige douanier relatif à la restitution,
rend un jugement en premier ressort67. Bien avant, et pour l’histoire, le
décret du 24 décembre 1910 relatif au code tunisien de procédure
civile, abrogé à partir du premier janvier 1960 par le CPCC, avait
reconnu le recours en appel devant le Tribunal de l’Ouzara contre les
jugements mal qualifiés en dernier ressort ou non qualifiés68. La
reconnaissance de l’appel pour un jugement non qualifié implique,
selon le décret du 24 décembre 1910, qu’il soit rendu en première
ressort, et partant, il est susceptible d’appel. Le double degré de
juridiction a des fondements historiques en droit tunisien.
64
65
66
67
68
Code de procédure civile et commerciale.
A titre d’exemple, en matière du contentieux administratif, la loi n°72-40 du
1/6/1972 avait manifestement affirmé dans son ancien article 3 (paragraphe
premier) que le Tribunal rend des jugements en premier et en dernier ressort en
matière de recours pour excès de pouvoir, ce qui exclut tout naturellement le
principe du double degré de juridiction.
Cette lecture n’a pas été retenue par le Conseil d’Etat français dans l’affaire
Faveret rendue le 6 juin 1949, dans laquelle il a affirmé « qu’en absence de
toute disposition prévoyant que les décisions (d’une juridiction) sont
susceptibles d’appel, ces décisions doivent être considérées comme rendues en
dernier ressort et ne peuvent par suite faire l’objet que d’un recours en
cassation ». Arrêt cité par René CHAPUS, Droit du contentieux administratif,
Montchrestien, 12ème éd., 2006, p. 1171.
Conseil des Conflits de Compétence, décision n° 11du 2/3/2000, Recueil,
p. 213.
Le CPCC n’est entré en vigueur que le premier janvier 1960 alors que le CDT
est entré en vigueur bien avant, le premier janvier 1956. Durant ces quatre ans,
les règles de procédure en vigueur demeuraient applicables selon les termes de
l’article 5 de la loi n° 59-130 du 5 octobre 1959 portant promulgation du code
de procédure civile et commerciale (JORT n° 56 des 3,6,10 et 13 novembre
1959). Le texte applicable à l’époque était le code tunisien de procédure civile
promulgué par le décret du 24/12/1910 (JOT, n°105 bis, du 31/12/1910,
p. 1299. L’article 4 de ce code consacre la compétence du tribunal de l’Ouzara
en matière d’appel des jugements rendus en premier ressort.
215
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
30- Le double degré de juridiction a été qualifié par le Conseil
constitutionnel tunisien de principe général de procédure69. Il constitue
une garantie essentielle aux intérêts des plaideurs et à l’intérêt
supérieur de la justice70. Le Professeur Yadh BEN ACHOUR, lui
reconnaît la valeur d’un principe général de droit qui ne peut être,
comme le recours en cassation, écarté que par une disposition
expresse71. L’appel serait, selon une lecture combinée des textes,
possible en matière douanière. Il ne peut être porté, en application de
l’article 32 du CPCC72, que devant la Cour d’appel de Tunis.
31-La création du TA n’avait pas modifié l’ordre de
compétence puisque l’appel n’était consacré, selon l’article 2 ancien
de la loi du premier juin 1972, que dans le cadre du contentieux
indemnitaire. En plus, étant l’unique organe compétent en appel et en
cassation, l’assemblée plénière ne peut pas statuer à deux reprises sur
une même affaire73. En matière de recouvrement74, l’article 11 ancien
(deuxième tiret) reconnaît la compétence du TA en matière de droit de
douane en tant que juge de cassation pour les jugements rendus par les
TPI, ce qui exclut tout naturellement sa compétence en appel.
32- La création des chambres d’appel compétentes en matière
administrative par la loi organique n°96-39 du 3 juin 1996 devrait
69
70
71
72
73
74
Avis 2005-30 concernant projet de loi organique relative à la modification de la
loi n° 67-29 du 14/7/1967 relative aux statuts de la justice, du Conseil Supérieur
de la Magistrature et au statut général des magistrats (JORT, n° 64 du
12/8/2005).
Voir les conclusions du commissaire du gouvernement dans l’affaire Vernon
rendu par le Conseil d’Etat le 2 février 1944, RDPSP, n° 60, p. 179.
Yadh BEN ACHOUR, « Le recours pour excès de pouvoirs dans tous ses
états », in Mélanges en l’honneur de Abdelfattah AMOR, CPU, 2005, p. 166.
L’article 32 du CPCC prévoit que « les actions auxquelles l’Etat est partie, à
l’exception des actions relatives au régime de réparation des accidents de
travail et des maladies professionnelles, sont portées devant les juridictions
siégeant à Tunis ».
TA, affaire chef du contentieux de l’Etat pour le compte du ministère de
Finances contre Florian, du 19/10/1976, Recueil, 1976, p. 99.
Article 11 ancien prévoit que le TA ne statue par voie de cassation que…2/ sur
les recours contre les jugements rendus par les tribunaux de première instance
en matière de contentieux de l’assiette et des droits de mutation et en matière du
contentieux du recouvrement des impôts sur le revenu, sur la patente, des taxes
sur les chiffres d’affaires, des droits de mutation et des droits de douane.
216
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
conduire à une modification de l’ordre de compétence, et ce en
application des nouveaux articles 2 et 19 de la loi du premier juin
1972. L’article 2 consacre une compétence de principe du TA dans
tous les litiges à caractère administratif. Quant à l’article 19, il prévoit
que « les chambres d’appel sont compétentes pour statuer sur …
l’appel interjeté contre les jugements, rendus en premier ressort, par
les tribunaux judiciaires en matière administrative dans le cadre de la
compétence attribuée à ces tribunaux par une loi spéciale, pourvu que
ladite loi n’ait expressément prévu la compétence des juridictions
judiciaires en appel ». Ainsi, l’appel serait de la compétence du TA
dans les affaires douanières relevant de la matière administrative75.
33- Le Conseil des Conflits de Compétence s’est prononcé en
faveur de cette lecture dans une affaire portant sur l’interprétation de
l’article 227 du CDT76. Un litige douanier relatif à la restitution d’un
droit perçu par la douane était porté en première instance devant le
TPI. Le recours en appel avait été exercé devant la Cour d’appel
territorialement compétente avant qu’il soit porté devant la Cour de
cassation. Le Conseil a reconnu que le TPI rend en matière douanière
des jugements en premier ressort. Ainsi, ces jugements sont
susceptibles des recours en appel et en cassation devant le TA. Le
Conseil des Conflits a profité de l’occasion pour reconnaître la
compétence du TA en appel et en cassation sur la base de l’article 2
75
76
Le TA avait appliqué l’article 19 pour défendre sa compétence en appel contre
les jugements rendus par le juge cantonal en matière du contentieux
d’indemnisation des dommages subis par les accidents du travail et les maladies
professionnelles dans le secteur public. (Appel, affaire n° 24411 du 7/4/2005,
Nabil OUERFELLI contre le chef du contentieux de l’Etat pour le compte du
ministre de la santé publique et la caisse nationale de la retraite et de la
prévoyance sociale (inédit)). Le double degré de juridiction exige le réexamen
d’un jugement rendu en premier ressort par une juridiction hiérarchiquement
supérieur à celle qui a rendu le jugement attaqué. (Voir Daniel RICHER, Les
droits du contribuable dans le contentieux fiscal, LGDJ, 1997, p. 141 et Sami
KRAIEM, Le juge compétent en matière fiscale en Tunisie, op. cit, paragraphe
381 et suivants, p. 197). Les chambres d’appel du TA peuvent-elles être
qualifiées de juridiction supérieure aux TPI alors qu’elles n’appartiennent pas
au même ordre de juridiction ?
Il s’agit de la décision n° 11 en date du 2/3/2000, Recueil, p. 213.
217
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
(ancien) de la loi de 197277. Il semble que le Conseil a forcé son
raisonnement afin d’attribuer le contentieux douanier au TA78, qui
connaît une restriction continuelle de ses compétences. La solution
consacrée par le Conseil, en l’espèce, paraît peu soutenable parce
qu’elle porte sur une affaire déclenchée avant la révision de 1996,
c'est-à-dire avant même l’extension du recours en appel.
34- Pour le recours en cassation, l’article 237 CDT prévoit que
les règles en vigueur sur le territoire concernant les pourvois en
cassation en matière civile et criminelle sont applicables aux affaires
de douane79. Avant la création du TA, les jugements rendus en dernier
ressort étaient susceptibles de pourvoi en cassation devant la Cour de
cassation. A partir de 1972, la compétence reconnue à la Cour semble
être retirée au profit du TA conformément aux dispositions de l’article
11 ancien qui lui attribue la compétence en matière des droits de
douane80. Même si l’expression « droits de douane » ne figure plus
dans l’article 11 (nouveau) de la loi du 1er juin 1972 après sa révision
en 1996, la compétence du TA en la matière ne semble pas pour autant
être remise en cause81. D’ailleurs, le Conseil des Conflits de
77
78
79
80
81
Actuellement la compétence du TA en tant que juge de cassation en matière de
restitution est fondée sur l’article 11 tel que révisé en 1996.
Le Conseil des Conflits de compétence aurait voulu trancher la question pour
l’avenir.
L’article 341 du projet du code en date de 28/4/2007 retient presque la même
rédaction.
L’article 11 ancien prévoit que « le Tribunal Administratif statue par voie de
cassation : 2) sur les recours contre les jugements rendus par les tribunaux de
1ère instance en matière de contentieux de l’assiette des droits de mutation et en
matière de contentieux du recouvrement des impôts sur le revenu, sur la
patente, des taxes sur les chiffres d’affaires, des droits de mutation, des droits
de douane ». Monsieur Abdallah HLALI avait soutenu que c’est par la révision
de l’article 11 de la loi du 1er juin 1972 par la loi du 3/6/1996 que la compétence
en matière de cassation est passée de la Cour de Cassation au TA. Cette position
nous paraît contestable puisque c’est par l’effet de la version originale de
l’article 11 que ladite compétence est transférée. Voir son article « La fiscalité
et le juge judiciaire », RJL, mars 2002, p. 26 et 27 (en arabe).
Le TA statue par voie de cassation sur : -les recours intentés contre les
jugements rendus en dernier ressort relatifs au contentieux de l’assiette, des
impôts et taxes revenant à l’Etat et aux collectivités locales et contre les
jugements rendus en dernier ressort concernant la restitution desdits impôts et
taxes ; - les recours intentés contre les jugements rendus en dernier ressort
218
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
Compétence aurait dû fonder la compétence du TA, dans l’affaire sus
indiquée, sur la base de l’article 11 ancien en plus de l’article 2 ancien.
En réalité, le Conseil semble avoir voulu reconnaître la compétence du
TA en appel et en cassation uniquement sur la base de l’article 2 qui
prévoit une compétence de principe au profit du TA et non sur l’article
11, qui l’aurait conduit, le cas échéant, à écarter la compétence du TA
en appel. En somme, le TA est, selon cette analyse des textes,
compétent en appel et en cassation en matière du contentieux des
prélèvements douaniers, exception faite du contentieux de recouvrement. En ce qui concerne le contentieux de recouvrement, le TA ne
peut intervenir qu’en tant que juge de cassation82. Cette dissémination
du contentieux est un facteur de complication pour le justiciable.
35- Relativement au contentieux des mesures de défense
commerciale à l’importation, l’article 50 de la loi n°99-9 du 13 février
1999 attribue la compétence en matière de révision des mesures
instituées au TPI compétent83. Il prévoit que « les parties intéressées
peuvent saisir le Tribunal de première instance compétent pour la
révision des décisions prises relatives aux déterminations finales, à
leurs réexamens ainsi qu’aux déterminations concernant le remboursement des droits. Le recours à cette révision judiciaire doit avoir lieu
dans un délai maximum de 20 jours à partir de la date de publication
de l’avis prévu à l’article 22 de la présente loi ». Cette disposition est
à la fois réductrice et lacunaire. Elle limite, d’une part, le domaine des
recours et ne s’est pas prononcée, d’autre part, ni sur la nature du
jugement rendu ni sur les autres voies de recours.
36- L’article 50 limite le domaine de la contestation aux cas de
révision, de réexamen84 et de remboursement85 des droits. Le TPI
82
83
84
concernant les oppositions contre les titres exécutoires relatifs au recouvrement
des créances de l’Etat, des collectivités locales et des établissements publics
habilités par la loi à recouvrer leurs dettes par le biais d’un titre ayant une force
exécutoire.
Voir l’article 11 de la loi du 1/6/1972.
La loi n°98-106 du 18 décembre 1998 n’a rien prévu au titre du contentieux des
mesures de sauvegarde. Ces mesures peuvent prendre la forme d’une restriction
quantitative ou de majoration des droits de douane.
Concernant les déterminations relatives aux procédures de réexamen, on
distingue entre les décisions de maintien des mesures définitives prises à
l’occasion d’un réexamen effectué au titre d’expiration des mesures, les
219
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
devrait statuer, comme en matière douanière, en premier ressort. Ses
jugements sont susceptibles d’appel et de cassation devant le TA en
application des articles 2, 19 et 11 (nouveaux) de la loi de 1972. Le
caractère captif de la notion d’affaires de douane prévue par l’article
227 du CDT permet d’envelopper tout type de contentieux engagé par
l’application de mesures de défense commerciale86. En revanche, le
contentieux du recouvrement de ces mesures n’a pas fait l’objet d’une
disposition dans cette loi87. On doit appliquer les règles prévues par le
CCP. Ainsi, le contentieux des mesures de défense commerciale est, à
l’instar, du contentieux douanier se caractérise par l’éparpillement et
les lacunes.
37- Le caractère lacunaire s’étend également aux règles
régissant la compétence territoriale. Si le législateur a expressément
prévu dans l’article 229.2 du CDT que les oppositions aux états de
liquidation doivent être portées devant le TPI dans le ressort duquel
est situé le bureau de douane où l’état de liquidation a été établi88, il
n’a rien prévu concernant la contestation portant sur les autres
85
86
87
88
décisions d’annulation ou celles portant modification des mesures préexistantes
prises à l’occasion d’un réexamen intermédiaire et les décisions d’exemption
accordées au titre d’un réexamen accéléré.
Concernant les déterminations relatives au remboursement, les décisions sont
les suivantes : les déterminations négatives de ne pas accorder le remboursement, les autorisations positives autorisant le remboursement et le silence de
l’administration après le dépassement des délais prévus par l’article 48 de la loi
n° 99-9 du 13/2/1999.
Si le juge civil décline sa compétence, le justiciable peut porter son litige devant
le TA, étant donné que les affaires mettant en cause l’assiette et le recouvrement
des mesures de défense commerciale à l’importation ont pour objet la
contestation d’un acte administratif faisant grief contre lequel il peut intenter un
recours pour excès de pouvoir, qui est un recours de droit commun ne pouvant
être écarté que par une disposition expresse.
En plus, la loi est restée muette en ce qui concerne le régime contentieux
concernant les déterminations finales, qui sont de trois types : une détermination
finale négative portant clôture de l’enquête sans adoption d’une mesure de
défense commerciale à l’importation ; une détermination finale positive portant
clôture de l’enquête et adoption d’une mesure ; décision d’acceptation des
engagements en matière du prix ou de son expiration.
Cette disposition ne figure pas dans l’article 333 du projet du nouveau code
(version 28/4/2007) de douane puisque le législateur semble préférer
l’unification du régime de recouvrement des créances publiques en alignant les
règles prévues par le CCP.
220
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
matières, notamment le contentieux de l’assiette89. Il serait judicieux
que le législateur intervienne afin de déterminer le juge territorialement compétent. Les impératifs d’une bonne administration de la
justice exigent que le même procès soit jugé par le même juge et
suivant les mêmes règles.
38- Initialement conçu comme une pièce maîtresse dans le
processus de construction de l’Etat nouvellement indépendant90, le
CDT est aujourd’hui le talon d’Achille d’un système qui prétend être
au diapason des standards internationaux. Les règles régissant le
procès douanier pêchent, à leur tour, par leur caractère hétérogène.
B- L’hétérogénéité du droit applicable au déroulement du
procès douanier
39- A l’instar du procès fiscal, le procès douanier est régi
tantôt par des dispositions spéciales tantôt par les dispositions du droit
commun prévues par le CPCC. Les règles spéciales prévues par le
CDT recevront application devant le TPI. En appel et en cassation, les
règles prévues par la loi du 1er juin 1972 seront applicables, mais en
cas de silence ou de renvoi, les dispositions du CPCC prendront le
relais.
40- La technique de renvoi est remarquablement exploitée au
point que les règles du CPCC sont applicables par principe au
contentieux administratif douanier91. Le contexte historique semble
89
90
91
En l’absence d’une solution en matière d’assiette et des déterminations finales,
on appliquera, conformément à l’article 229.3 du CDT, les règles prévues par le
CPCC. Le CPCC prévoit une disposition générale dans l’article 32 selon
laquelle, « les actions auxquelles l’Etat est partie, à l’exception des actions
relatives au régime de réparation des accidents de travail et des maladies
professionnelles, sont portées devant les juridictions siégeant à Tunis ». Cette
solution, empruntée au droit commun, n’est pas commode puisque le
contribuable serait mené à porter ses contestations devant deux juridictions
différentes. Voir Sami KRAIEM, Le juge compétent en matière fiscale en
Tunisie, op. cit., paragraphe 224, p. 124.
Néji BACCOUCHE, « Les implications de l’accord d’association sur le droit
fiscal et douanier », Mélanges en l’honneur de Habib AYADI, CPU, 2000, p. 9.
Khalil FENDRI, Procédure administrative contentieuse et procédure civile et
commerciale (recherche sur l’autonomie du procès administratif tunisien),
thèse précitée, p. 376.
221
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
expliquer le renvoi explicite du CDT au CPCC92. Préparée et
promulguée dès 1955 sous l’empire du protectorat français, la
réglementation douanière tunisienne reprend pour l’essentiel le
dispositif en vigueur à l’époque en France.
41- Les articles 230 et 231 du CDT renvoient aux dispositions
du code de procédure civile en ce qui concerne respectivement la
citation à comparaître et le jugement93. En matière d’instruction, les
règles semblent être moins rigoureuses que celles prévues par le
CPCC dans la mesure où elle est verbale, sur simple mémoire et sans
frais de justice à répéter de part ni d’autre94. Le caractère sommaire de
la procédure permet de distinguer le procès douanier du procès civil et
de le rapprocher du procès administratif. L’instruction de l’affaire, en
matière civile, est effectuée sur la base des rapports écrits95.
42- Se démarquant des règles du CPCC, l’article 238
paragraphe 2 du CDT reconnaît une prérogative à l’administration des
finances empruntée au décret beylical du 27 novembre 1888 selon
laquelle ses agents ont la faculté de suivre devant les tribunaux, sans
pouvoir spécial, les affaires contentieuses de douane. Ces agents sont
également habilités à effectuer, en matière de douane, tous exploits, et
autres actes de justice que les huissiers sont accoutumés de faire. Cette
prérogative de puissance publique est connue dans le contentieux
fiscal.
43- En matière de jugement, le CPCC est applicable dans la
limite des dispositions contraires prévues par le CDT96. Quant à la
signification des jugements et autres actes de procédures, l’article 232
du CDT prévoit qu’elle doit être faite à personne ou à domicile élu. Si
l’intéressé n’y est pas trouvé, la signification peut être verbalement
92
93
94
95
96
Khalil FENDRI soutient que le renvoi au CPCC s’explique par le fait que le
CDT a été promulgué sous l’empire de l’unité juridictionnelle. Khalil FENDRI,
Procédure administrative contentieuse et procédure civile et commerciale
(recherche sur l’autonomie du procès administratif tunisien), thèse précitée,
p. 376.
Le contenu de ces deux articles est maintenu dans les articles 334 et 335 du
projet du nouveau code (version du 28/4/2007).
Article 238 du CDT.
Article 76 et suivants du CPCC.
Article 231 du CDT.
222
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
faite à une personne majeure demeurant avec lui, sinon, à l’autorité
municipale ou gubernatoriale. Les règles prévues par les paragraphes
2 et 3 de l’article 8 CPCC sont écartées.
44- En matière d’opposition aux états de liquidation, le CDT se
contente de déclarer la compétence du TPI. Le régime du recours
intenté à l’encontre de ce titre reste lacunaire. En effet, le législateur a
gardé le silence quant au délai d’exercice de ce recours. Ce délai est
fixé dans l’article 27 du CCP à 3 mois à partir de la date de
notification. Cette disposition nous parait transposable en matière
douanière surtout que l’application des règles prévues par le CCP ne
pourrait être écartées que par des dispositions contraires. L’établissement d’un état de liquidation interrompt, selon les termes de l’article
225 du CDT, les délais de prescription97.
45- Le procès douanier implique une confrontation entre
l’administration qui jouit des prérogatives de puissance publique et le
contribuable objet d’une décision rendue à son encontre ou auteur
d’une fausse déclaration. Le juge doit, en principe, utiliser tous les
moyens et les pouvoirs qui lui sont reconnus par le CPCC.
Malheureusement, le juge siégeant en matière douanière, se trouve
empêtré dans une série d’interdictions qui limitent considérablement
ses pouvoirs.
46- L’article 241 du CDT prévoit une interdiction générale
selon laquelle « les juges ne peuvent, à peine d’en répondre en leur
propre et privé nom, modérer ni les droits ni les confiscations et
amendes, non plus qu’ordonner l’emploi au préjudice de l’administration ». L’article 243 du CDT prévoit une interdiction spécifique aux
instances portant sur les états de liquidation. Il prévoit qu’ « il est
défendu à tous juges sous peine d’être déclarés responsables en leur
propre et privé nom de donner contre les états de liquidation aucune
défense ou sur séance, qui seront nulles et de nul effet, sauf les
dommages et intérêts de l’administration »98. Ces interdictions sont
97
98
La matière de cet article fait l’objet des articles 328 et 329 dans le projet du
nouveau code (version 28/4/2007).
L’interdiction de surseoir à statuer met en échec des règles de procédure
normalement prononcées par le juge pour le bon déroulement de l’instance, telle
que la décision de différer ou de suspendre le jugement d’une affaire. Monsieur
Abdallah HILALI s’est demandé si l’interdiction de différer concerne la
223
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
beaucoup plus pesantes que celles prévues par le décret du 27
novembre 1888 dans ses articles 3 et 4 et actuellement reprises par
l’article 3 de la loi n° 38 du 3 juin 1996 portant sur la répartition des
compétences entre les tribunaux judiciaires et le Tribunal administratif
et instituant le Conseil des conflits de compétence.
47- Ces dispositions, qui n’ont pas d’équivalent en droit
douanier français, découragent le contribuable désireux de poursuivre
l’administration des douanes. Elles ne garantissent pas au justiciable
un procès équitable et juste dans la mesure où le juge serait amené à
développer une attitude plus rigoureuse contre « la partie faible » du
procès et à se sentir soumis à des menaces dans les affaires
susceptibles de condamner l’administration. Dans le procès douanier,
le juge civil risque d’être le juge de l’administration qui cherche à
défendre sa cause plutôt que de juger l’affaire en toute impartialité.
Ces menaces expresses prennent en revers l’indépendance de
l’autorité judiciaire solennellement proclamée par la constitution
tunisienne et la fonction naturelle des juges qui consiste dans
l’application des lois et de ne pas se porter comme défenseur d’une
partie99. Ces dispositions inconstitutionnelles doivent disparaître
du CDT100.
48- Le juge ne peut également, selon l’article 242 du CDT,
ordonner la mainlevée des marchandises saisies qu’en jugeant
définitivement le tout, sous peine de nullité des jugements et des
dommages et intérêts de l’administration. Les jugements qu’ils
rendent sont non suspensifs.
99
100
décision de surseoir à statuer ou l’obligation de recouvrer les droits dus. Cette
interdiction pourrait concerner cette dernière obligation parce que le CDT ne
contient pas l’équivalent du paragraphe 4 de l’article 26 du CCP selon lequel,
les états de liquidation sont exécutoires par provision et nonobstant opposition.
Abdallah HILALI, «La fiscalité et le juge judiciaire», article précité, p. 36 et s.
En pratique, les prétentions de l’administration lient le juge par ses demandes
qui se trouve condamné à entériner ses vœux.
Le projet du nouveau code (version du 28/4/2007) ne prévoit pas ces dispositions.
224
Le contentieux des prélèvements douaniers en Tunisie
********
49- Le dispositif inachevé prévu par le CDT est justifié par les
circonstances de l’époque pré-républicaine caractérisée par la quête
d’un pouvoir fort. Toutefois, les évolutions qu’a connues la Tunisie en
matière d’organisation juridictionnelle durant la deuxième moitié du
vingtième siècle justifient une refonte en profondeur du contentieux
des prélèvements douaniers. En absence d’une politique législative
cohérente et stable, la cascade des textes complique un état du droit
déjà vétuste. Une meilleure organisation du procès douanier est
devenue d’autant plus nécessaire avec l’auto-proclamation de la
constitution tunisienne, depuis la révision de 2002, de son attachement
aux principes de l’Etat de droit. Le procès douanier n’est-il pas, pour
l’investisseur étranger, la marque de la justice dans l’Etat où il entend
investir ? La prétendue tracasserie de l’administration douanière
conjuguée avec une organisation vieillie de la justice risque de
discréditer l’image d’un pays dont l’économie est de plus en plus
ancrée à l’extérieur.
Sfax, le 30 décembre 2007.
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