Anne-Yvonne Bureau, artisane et sculptrice en vannerie

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Anne-Yvonne Bureau, artisane et sculptrice en vannerie
Anne-Yvonne Bureau, artisane et sculptrice en vannerie contemporaine, est multirécidiviste dans
la réalisation de missions de compagnonnage artisanal. Partie à trois reprises à Niamey dans le
cadre du projet de renforcement des compétences techniques, entrepreneuriales et commerciales
des artisanes du Niger, elle nous raconte son expérience de terrain, riche en émotions,
interrogations et partage.
Après trois missions au Niger l’habitude prend-elle le dessus sur la découverte ?
Il reste et il y aura toujours une grande part de découverte
pour celui ou celle qui à la curiosité en soi ! Je rencontre des
artisanes qui viennent de régions différentes et en même
temps d’autres méthodes de travail. Ce sont des techniques
que je connais mais que je n’aborde pas forcement de la même
manière. Habituellement, je me réfère aux livres et j’adapte
mes matériaux à la technique. Ici c’est du réel, du concret.
J’adore découvrir et comprendre le comment du pourquoi. Je
suis dans mon élément. Lorsque je suis arrivée pour la
troisième fois au Niger, cela m’a semblé toujours aussi
incroyable d’avoir la chance d’être en Afrique. Mon accueil au village artisanal de Wadata a été
toujours aussi chaleureux. Seul le paysage avait changé, c’était la fin de la période des pluies. Il
faisait chaud mais moins que la dernière fois : 35° seulement. La pluie était venue sublimer la couleur
ocre jaune et rouge de la terre et des maisons, et tous les tons de vert, c’était magnifique… En fait, je
me sens chez moi quand j’arrive à Niamey. Je retrouve ma petite case de passage que l’équipe ne
cesse d’améliorer afin que nous puissions nous sentir au mieux durant nos quelques semaines de
mission. « Anna » c’est mon nom au Niger. Cela veut dire « Maman des Touaregs ». Je suis heureuse,
car je n’ai pas d’enfant et soudain j’en découvre plein autour de moi.
Comment s’établissent les contacts avec les artisans du village artisanal de Wadata ? La présence
d’une artisane française pendant un mois doit susciter quelques curiosités ?
On me dit là bas que pratiquement tout le monde connait ou a entendu parler d’« Anna » la femme
blanche avec son troisième pied. Moi, j’ai honte, j’ai l’impression que tout le monde me connais alors
que moi, non. Je ne connais pas encore tout le monde dans le village, je n’ai pas encore pris le temps
de visiter tous les ateliers ni pris le temps d’aller à la rencontre de tous les artisans. Pour m’aider, j’ai
commencé un petit reportage photographique pour ouvrir une page qui va se nommer « WADATA,
un village pas comme les autres », il sera bientôt en ligne. En attendant, on peut trouver quelques
photos sur facebook. Selon la rumeur, j’aurais parait-il, 400 gardes du corps (c’est le nombre
d’artisan que vous pouvez trouver dans le village) pour me « surveiller » ou prendre soin de moi. Elle
n’est pas belle la vie ?
Les conditions au Niger ne permettent pas l’organisation de missions dans les localités d’origine
des artisanes, le village artisanal de Wadata est-il un lieu adapté pour ce type de projet ?
On doit s’adapter. Je peux dire, en ce qui me concerne, que c’est une aubaine pour moi et une mine
d’or pour ceux et celles qui ont l’âme créative. Qui n’a pas rêvé d’évoluer au cœur même d’un village
où est réuni le plus grand nombre d’artisans dans les domaines les plus divers ? Je dirais plutôt au
cœur d’une ruche car beaucoup d’artisans telles des abeilles semblent ne jamais s’arrêter et sont au
travail parfois jusqu’à plus d’heures. C’est formidable, si j’avais du temps et les finances, je dirais que
c’est un endroit idéal pour mettre en œuvre des projets d’innovation dans différents domaines
d’application. En ce qui concerne les artisanes, pour certaines c’est difficile ! Elles quittent leur
village, leur familles, leur environnement. Pour certaines, c’est une première fois. C’est une porte qui
s’ouvre sur le monde extérieur. C’est bénéfique pour tout le monde.
Vous avez toujours accompagné des groupes d’artisanes issues de différentes régions, comment
procédez-vous pour qu’elles acceptent de travailler ensemble ?
Tout se fait le plus naturellement du monde ! Nous faisons connaissances. Je sens beaucoup
d’enthousiasme, de motivation. Je leur demande de me montrer leurs travaux respectifs. Même au
bout de la troisième mission, je reste admirative devant l’ampleur de leur savoir-faire et la beauté de
certains objets. Cette première démarche permet à chaque groupe de s’installer, de prendre ses
repères. Je propose ensuite de commencer une vannerie comme elles font habituellement en
utilisant le matériau et leur technique habituelle. A ce moment là j’observe, je prends tout mon
temps, c’est très important pour moi de découvrir comment on va pouvoir continuer et progresser
dans un sens ou dans un autre. J’aurais envie de tout savoir sur elles… Comment elles ont appris,
avec qui, dans quelles conditions. Plus je les regarde, plus je suis admirative !
Une fois que nous nous connaissons mieux, je propose un
échange de savoir-faire entre les groupes : une à une, elles vont
devenir tour à tour élève puis professeur. Je suis tout à fait
consciente de la difficulté de ce que je leur demande, notamment
à cause du langage. D’un autre coté, notre chance est de pouvoir
nous exprimer avec nos mains. Nous pouvons donc enseigner
notre savoir-faire au travers du regard et de la démonstration. J’ai
la chance de pratiquer le même métier. Seule la matière change,
l’échange reste donc possible malgré la frontière du langage. Le
fait que je puisse également reproduire les mêmes gestes, même si je suis moins rapide par manque
de pratique, facilite notre échange.
Je pense que ce travail est un bon moyen, dans un premier temps, pour rompre la glace et dès le
début tenter de créer des liens entre les groupes. C’est un bon moyen aussi pour découvrir ce que
font leurs collègues, et essayer de reproduire leurs techniques. C’est une manière comme une autre
de se dépasser et découvrir que rien n’est acquis, que justement on peut continuer à apprendre et à
s’améliorer. C’est valable aussi pour moi. Pour certaines femmes, c’est bien plus qu’une expérience.
C’est une épreuve. J’ai parfois l’impression de demander l’impossible. Elles ne comprennent pas
toujours l’objectif et l’enjeu de cette manœuvre. Pourtant, c’est ce qui me permet dès le début de
mettre en avant celles qui ont l’envie, la motivation et la détermination. On me parle d’amélioration
de qualité des produits, d’une volonté d’offrir de nouveaux modèles sur le marché, sans parler de la
valorisation de l’objet et la reconnaissance du métier. Cette tentative est donc très intéressante et
déterminante. Les femmes elles-mêmes sont à-même d’en prendre conscience. L’envie on peut tous
l’avoir, la faculté pas toujours et pas forcement dans tous les domaines. C’est une sorte d’évaluation
ou tout le monde peut se remettre en question et aussi, trouver sa place. Le principal, c’est d’essayer
et surtout de se donner une chance. C’est le moment aussi de prendre partie et de se poser des
questions : « Qu’est-ce qu’on attend de cette de cette mission ? », « Pourquoi on a eu envie de
participer ?». C’est comme dans la vie de tous les jours, on ne doit pas se sentir plus faible ou plus
fort. Chacun offre ce qu’il peut donner de meilleur. Travailler ensemble, c’est apprendre à écouter,
partager, s’entraider. C’est avoir l’esprit d’équipe, certainement le seul moyen pour avancer dans de
bonnes conditions.
Quelle est votre secret pour faire émerger la créativité des artisanes ?
Cela ne va pas de soi ! J’ai l’impression que les artisanes ont pour habitude de ne jamais s’arrêter. Il
faut du rendement de la production. Chaque fois qu’elles en ont l’occasion, elles récupèrent leurs
travaux en cours et hop! Les yeux fermés, elles exécutent encore et encore. C’est assez
déstabilisant ! Elles ont des techniques qu’elles pratiquent depuis si longtemps avec une telle rapidité
et dextérité que le fait d’aborder le travail d’une manière différente devient forcément bien moins
motivant. Qui dit : « nouveauté » dit parfois : « manque de maitrise ». Elles ont l’impression de
perdre leur habilité, de ne plus rien savoir faire ni contrôler. La réalisation du travail est plus longue,
c’est tout de suite moins gratifiant. Pour certaines, c’est décourageant. Les finitions, pour d’autres,
une perte de temps…
Bref, j’essaie de faire comprendre que le travail de recherche ne
peut pas être productif tout de suite, que dans l’apprentissage, il
y a des étapes, que si cela ne fonctionne pas dès le début ce n’est
vraiment pas un problème. Je leur propose d’essayer de se
souvenir de leur premier jour d’apprentissage. Tout ne devait pas
être aussi rapide et aussi fluide qu’aujourd’hui. Comme pour
tout, il faut du temps, de la patience et de la persévérance. Il faut
aussi beaucoup d’humilité, car tous les travaux de recherche ne
portent pas forcément de fruits. Je crois que tout peut se dire et
se faire quand il y a de la compréhension, du dialogue et du respect de l’encouragement. Il est vrai
que je viens tout chambouler en procédant de cette manière. Elles souhaitent participer au SIAO,
elles veulent gagner de l’argent et moi je viens ralentir leur production. Elles souhaitent que tout soit
visible, tout de suite, que ce soit beau, qu’il y ait de la quantité puis des chiffres. Moi aussi, mais pour
atteindre ce but, il faut commencer par un bon apprentissage, un gros travail de recherche, de
l’organisation, de la responsabilité. Il faut ensuite trouver des soutiens. Tout est lié.
Je leur propose de se questionner sur le besoin actuel de la vannerie, sur l’utilisation des produits,
sur les matériaux pouvant être utilisés, sur le mariage possible de matières. Nous nous réunissons
chaque fin de semaine pour déterminer ensemble ce qui pour elles semble bien ou pas dans la
progression des travaux. Je les amène à prendre la parole, à observer les détails pour avoir
conscience du problème des finitions. Elles sont tout à fait capables de réagir, de se prendre en main
et de juger les travaux en cours. Elles ne se font pas de cadeaux mais elles s’entraident. C’est ça qui
me plait ! Même si nous ne sommes pas toujours en accord, je sais qu’elles sont en mesure de
pouvoir travailler en équipe et d’aller de l’avant. Ce sera leur force pour demain.
Vous avez beaucoup travaillé autour du thème de la féminité, comment ce thème est-il apparu ?
Au cours de ma première mission, je commençais à m’inquiéter devant le manque général
d’investissement car, par rapport à la forte motivation inscrite sur les fiches suite à la demande des
artisanes, il y a parfois un fossé avec la réalité sur le terrain. J’en ai discuté avec une de mes
assistantes formatrices qui m’a répondu : « On est là pour faire ce que tu nous demandes de faire,
c’est à toi de nous guider ». J’ai compris qu’elles étaient venues uniquement pour exécuter et que
c’était à moi de faire en sorte qu’elles puissent trouver en elles une source d’inspiration… Oui,
chaque chose en son temps. J’ai alors proposé aux assistantes formatrices de lancer l’idée de la
recherche d’un thème sur lequel on allait diriger tout notre travail. J’ai décidé de faire la proposition
suivante en espérant lancer le processus. Nous étions entre femmes, le SAFEM aide les femmes, j’ai
proposé la recherche d’un thème autour de la féminité. Première idée : « La beauté de la femme »
c’était parfait ! Les femmes en Afrique sont belles et portent des couleurs magnifiques. Deuxième
idée de réalisation : « Collier, boucles d’oreilles, bracelet, chapeau… » Ça commençait à se clarifier!
Elles devaient travailler à partir des techniques de leurs travaux habituels ou nouvellement acquis,
me faire des propositions, des dessins ou des échantillons. Mais silence ! Beaucoup ne savaient pas
dessiner ou je dirais plutôt n’osaient pas…
Je leur ai demandé de s’approcher. J’ai fait quelques esquisses pour lancer l’inspiration. J’ai eu droit à
de beaux sourires et pas mal d’interrogations. Je leur ai proposé de se lancer et d’essayer d’imaginer
un bijou, peu importe le résultat. Non sans amusement, elles sont venues présenter les premières
ébauches et tentatives. Ce fut un beau moment de rigolade. Elles n’y croyaient pas un seul instant.
Forcement le travail en découlait. Je leur ai juste demandé si elles-mêmes achèteraient ce type de
bijoux. Silence et sourires. Ce n’était pas gagné ! Mais il y a eu un petit vent de complicité… On a
recommencé, c’était beaucoup mieux. Je me suis dit que c’était parti ! Avec certaines, on a abordé
l’idée du chapeau, du sac…. Je les ai laissées libres tout en faisant des suggestions d’autres dessins,
démonstrations… J’ai un jour récupéré un modèle au passage en expliquant que j’allais voir un
bijoutier pour travailler avec lui et faire un prototype. C’est ainsi que je suis passée voir Zakaria, le
bijoutier, ce fut la naissance de notre premier prototype, quelques mises au point et, quelques jours
plus tard, il le termine devant moi et je suis repartie, le collier autour du cou ! A la découverte du
collier ce fut l’euphorie complète. Les artisanes étaient
heureuses! Exclamation, chant… Les yeux pétillaient ! J’ai fait
la même démarche avec Boubacar un maroquinier du village
lors de ma dernière mission. En voyant le résultat finalisé d’un
échantillon de nos prototypes de sacs, une des femmes s’est
exclamée et a dit « si nous avions su !». D’où l’importance du
dialogue ! J’ai pu déjà déceler quelques améliorations, quelques
apports depuis le passage de mes collègues et moi. Ce n’est
qu’un début… Car elles sont capables de continuer !
Quelles seraient vos préconisations pour l’avenir ?
Parfois, on me dit que je perds mon temps en Afrique. Je ne pense
pas, effectivement qu’ « Anna » puisse apporter des solutions
miracles. Par contre, les missions, les organisations, les associations
ont le pouvoir d’apporter aide et soutien. J’ai envie de croire en ce
projet car j’ai rencontré dès ma première mission des femmes qui
ont un rêve commun. Le travail de la vannerie au Niger est
nécessaire dans la vie quotidienne de familles entières. Le fait de
pouvoir faire de la vannerie est pour les artisanes un complément
non négligeable pour améliorer le quotidien. Certaines pourraient
tout à fait en vivre. Les groupements pourraient se transformer en
coopérative. Avec un tant soit peu de moyens on continuera à
protéger à la fois ce savoir-faire ancestral et on aura aussi la chance de voir le travail de la vannerie
se développer. En continuant à leur en donner les moyens, les artisanes contribueront à préserver
l’artisanat, à donner une nouvelle image et une image positive de la vannerie. Elles auront la chance
de participer à son développement avec pourquoi pas l’espoir de toucher un jour le marché du haut
de gamme. Pour cela, il faudra bien un jour ou l’autre relancer le débat sur la propriété intellectuelle
en Afrique et vis-à-vis des pays tiers pour protéger les produits avant même leur exposition et leur
vente. Beaucoup d’idées à étudier, beaucoup d’idées restent à creuser.
Quelles impressions vous laissent ces missions ?
Personnellement, j’ai savouré les trois missions de compagnonnage artisanal que j’ai réalisées à la
demande de l’APCMA, et surtout l’opportunité de faire ce travail au cœur même d’un centre
artisanal. Le temps est passé trop vite! J’aurais eu envie d’offrir tellement plus. Pour moi, c’est juste
une mise en bouche ! J’envisage une exposition sur la vannerie d’Afrique d’hier et d’aujourd’hui.
Peut-être aurais-je le plaisir un jour, de recevoir quelques artisanes chez moi en formation en France
Ce serait une manière de poursuivre notre échange. Je remercie toutes les artisanes avec qui, depuis
ma première mission, j’ai passé de merveilleux moments de partage. Pour moi, c’est positif et
prometteur. Elles ont ouvert un compte épargne pour participer et s’impliquer dans de futurs projets
constructifs pour défendre et protéger et valoriser leur métier. Elles sont déterminées à devenir
financièrement indépendantes et désirent être en mesure de pouvoir se débrouiller à la fois pour
elles-mêmes mais aussi pour leurs enfants. Ce fut une merveilleuse expérience… Merci la vie !