La production légale de l`«illégalité» des migrants/ Mexicains

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La production légale de l`«illégalité» des migrants/ Mexicains
La production
légale
de l’«illégalité »
des migrants/
Mexicains
Nicholas De Genova 1
Un apparent paradoxe rarement pris en considération caractérise la migration mexicaine vers les États-Unis. Entre 1965 et aujourd’hui, aucun pays
n’a fourni aux États-Unis autant de migrants que le Mexique ; au cours de
la même période, pourtant, presque toutes les modifications importantes
de la loi sur l’immigration aux États-Unis ont restreint, de manière toujours
plus sévère, la possibilité de migrer légalement depuis le Mexique. Cet
apparent paradoxe présente lui-même un double sens : d’une part, des lois
sur l’immigration à première vue libérales ont, dans les faits, caché des
caractéristiques particulièrement restrictives, notamment pour les Mexicains ; d’autre part, des lois sur l’immigration apparemment restrictives et
supposées décourager les migrations ont fonctionné de manière à favoriser
celles qui venaient du Mexique, non sans avoir modifié leur statut légal en
les transformant en migrations sans titres. Initiées réellement dans les
1 – Remerciements : si j’assume bien évidemment la responsabilité d’éventuels contresens
et erreurs, je reconnais avec gratitude l’apport à l’analyse légale qui suit des années
de connaissances pratiques et engagées dont témoignent les travaux de Kalman Resnick
sur la question de la législation sur l’immigration. Je dois aussi remercier Mike Kearney,
María Lugones, Mae Ngai, Suzanne Oboler, Josh Price, Chris Wright et le Red Line
Working Group – Bill Bissell, Manu Goswami et Gary Wilder pour leurs nombreuses idées.
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années soixante, dans le contexte d’une augmentation spectaculaire des
migrations en provenance du Mexique, et poursuivies depuis lors avec
constance, les réformes législatives ont de fait fermé à la majorité des Mexicains la possibilité de migrer dans les conditions autorisées par la loi,
jouant par là même un rôle fonctionnel dans la constitution d’une main
d’œuvre sans titres, vulnérable au regard de la loi.
Cette étude a pour objet la spécificité historique des migrations contemporaines entre le Mexique et les États-Unis ; la manière dont celles-ci s’inscrivent dans le contexte d’une économie (politique) juridique de l’État-nation
états-unien ; et leur constitution comme objet légal, notamment depuis
1965. Plus précisément, j’examinerai dans ce texte l’histoire des modifications des lois sur l’immigration aux États-Unis sous l’angle spécifique des
effets produits, en particulier sur les Mexicains. Ce n’est qu’à la lumière de
cette histoire socio-juridique qu’on pourra soutenir une perspective critique qui ne se rende pas complice de l’essentialisation de l’« illégalité » des
migrants mexicains, envisagée comme simple fait de la vie, comme la
conséquence objective du franchissement non-autorisé des frontières, ou
de quelque autre violation des lois sur l’immigration. C’est pourquoi, afin
de dénaturaliser clairement ces concepts, je mettrai entre guillemets les
termes « légal » ou « illégal » à chaque fois que, tout au long de cet essai, ils
qualifieront les migrations ou les migrants 2.
L’« illégalité » des migrants ne désigne pas simplement un statut juridique,
du point de vue de l’État-nation états-unien et de ses lois sur l’immigration, sur la naturalisation et la citoyenneté : elle marque également une
condition socio-politique spatialisée. L’« illégalité », pour ceux qui la vivent,
est en effet inséparable du sentiment tangible de l’expulsabilité – de la possibilité d’être expulsé, c’est-à-dire d’être renvoyé hors de l’espace de l’Étatnation états-uniens. La production légale de l’« illégalité » fournit un dispositif apte à renforcer la vulnérabilité et la malléabilité des migrants mexicains – en tant que travailleurs – dont la force de travail, justement parce
qu’elle est expulsable, devient une marchandise hautement disponible.
L’expulsabilité, toutefois, n’est décisive, dans la production légale de l’« illégalité » des migrants / Mexicains (au même titre que la militarisation des
opérations de police à la frontière entre États-Unis et Mexique), que dans la
2 – Par « migrant », nous entendons utiliser ici une catégorie d’analyse qui rompe
avec la téléologie qu’imposait le terme plus conventionnel d’« immigré », toujours
posé depuis le point de vue de l’État-nation états-unien en tant que « pays d’accueil »
[« immigrant receiving »] (cf. De Genova, 2005).
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
mesure où l’expulsion d’un petit nombre de migrants sert à ce que le plus
grand nombre puisse, au final, rester (ne pas être expulsé) en tant que travailleurs dont le statut particulier de migrants devient « illégal ». Ainsi, dans
la vie quotidienne des migrants mexicains, dans d’innombrables lieux à travers les États-Unis, l’« illégalité » est le mode de reproduction des conséquences pratiques du passage de la frontière physique entre les États-Unis
et le Mexique – où se constitue la migration sans titres. En ce sens, l’« illégalité » migrante est une condition sociale spatialisée, inséparable des
modalités particulières selon lesquelles les migrants mexicains sont à la fois
stigmatisés racialement comme « clandestins » – envahisseurs violant la loi,
irréductibles « étrangers » capables de subvertir l’intégrité de la « nation » et
sa souveraineté de l’intérieur même de l’espace de l’État-nation étatsunien. Ainsi, parce qu’elle est une condition sociale à la fois racialisée et
spatialisée, l’« illégalité » migrante devient du même coup une caractéristique centrale de la manière dont la « mexicanité » est redéfinie, à l’intérieur
d’une relation racialisée à l’identité nationale hégémonique de l’« américanité » (De Genova, 2005). Et bien que cette question dépasse les enjeux de
ce texte, il semble fondamental de replacer ces catégories de race, d’espace
et d’« illégalité » dans la perspective d’une archéologie des intersections
entre race et citoyenneté. Cette histoire est liée d’une part à une formulation historique plus large de la suprématie blanche dans son rapport avec
l’« immigration », et de l’autre à l’héritage plus spécifique de l’état de guerre
et de conquête de ce qui s’appellera le « sud-ouest américain » et qui a
donné lieu aux premières délibérations historiques aux États-Unis sur la
citoyenneté et la nationalité des Mexicains.
citoyenneté, race
et racialisation de l’espace
Dans les États dits démocratiques, comme les États-Unis, l’institution de la
citoyenneté désigne un type d’appartenance à l’État, ce qui semble l’apparenter à un processus d’inclusion. Mais elle définit toujours également par
défaut ceux qui ne sont pas citoyens : les « outsiders », les « étrangers », les
« immigrés ». En dépit du postulat libéral officiel d’une « inclusivité » universelle et égalitaire, la citoyenneté, et son apparence d’auto-gouvernement
souverain des insiders, justifie le rôle coercitif de l’État vis-à-vis des exclus.
La citoyenneté est l’instrument au moyen duquel l’État impose et règle un
type d’appartenance officielle pour les personnes membres de sa communauté « nationale » imaginaire, et, en cela, elle confère aux insiders un statut
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juridico-formel d’authentique appartenance à cette « nation ». Pourtant, un
rapide examen de l’histoire de l’institution de la citoyenneté aux États-Unis
révèle beaucoup sur les processus d’inclusion et d’exclusion réels qui ont
donné à l’identité nationale états-unienne la forme de l’« américanité ».
En 1790, le premier Congrès des États-Unis décréta que quiconque voulait
devenir un citoyen naturalisé des États-Unis devait être « blanc » 3, sans que
cela suscite aucune sorte de dissension ou de débat. Avant le Naturalization
Act de 1790, il n’y avait jamais eu de critère officiel déterminant qui pouvait
prétendre à la citoyenneté de la nouvelle nation. Ce fut là la première définition légale de l’accès à la citoyenneté états-unienne et de fait la première
définition officielle de la nationalité aux États-Unis. 4 En somme, il est possible de vérifier l’existence d’un lien intrinsèque entre le fait d’être blanc et
l’accès à la citoyenneté de l’État-nation des États-uniens. Beaucoup d’historiens ont montré que la « blancheur » n’était en rien une catégorie « naturelle » ; cette catégorie a, au contraire, fait l’objet d’une élaboration précise
et d’une production idéologique, et c’est pour cette raison qu’il convient de
la rattacher à une construction historiquement spécifique (voir, par
exemple, Allen, 1994 ; Haney-López, 1996 ; Harris, 1993 ; Roediger, 1991 ;
1994 ; Saxton, 1990). Un tel travail était nécessaire justement parce que la
« blancheur », loin d’être une donnée « naturelle », renvoie au fait socio-politique de la suprématie blanche – à une identité « racialisée » fondée non pas
sur des contenus positifs en soi, mais sur l’affirmation d’un pouvoir et de
privilèges qui s’appuient sur l’existence même de ceux qui en sont exclus
(cf. Roediger, 1994, p. 13). Malgré cela, l’élément le plus significatif de la
politique pour les Blancs instaurée par le Naturalisation Act de 1790, au
regard de l’accès des migrants à la citoyenneté états-unienne, est sans
doute qu’il soit resté en vigueur jusqu’en 1952, date à laquelle fut adopté le
McCarran-Walter Immigration Act. Ainsi, pendant presque les trois quarts
de l’histoire des États-Unis – et bien qu’une citoyenneté apparente (et
subordonnée) ait fini par être concédée aux « minorités » racialisées comme
non-blanches –, la loi a proclamé que les migrants, c’est-à-dire la grande
3 – 1° Cong., Sess. II ; Statutes At Large of the United States of America, 1789-1873
(17 volumes, Washington, D.C., 1850-73), Chap. 3, 1 Stat. 103 (Loi du 26 mars 1790).
Voir Haney López (1995) ; Takaki (1979, p. 14-15) ; cf. Gaden (1945) ; Gold (1935).
4 – La Constitution qui a donné naissance aux États-Unis en 1787 ne définissait nulle part
les caractéristiques de ses citoyens, pas plus que les privilèges ou l’immunité dont
ils auraient dû jouir, laissant à chaque État la prérogative de déterminer les limites
et les droits spécifiques de la citoyenneté.
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majorité de la population mondiale, continueraient à être rigoureusement
dépourvus des conditions nécessaires pour accéder à la citoyenneté étatsunienne, s’ils ne justifiaient pas d’une « appartenance raciale » conforme.
Depuis son origine, une nation qui s’est forgée et définie elle-même comme
un asile de liberté a exclu préventivement la grande majorité de l’humanité
de toute possibilité de prendre part à sa constitution. Si, dès sa naissance, la
jeune république était déjà imprégnée d’un nationalisme ostensiblement
blanc 5, celui-ci fut étayé par la foi suprême dans la supériorité morale de
son idéal de liberté et de ses institutions républicaines, ainsi que dans sa
mission indiscutée d’expansion et de colonisation. La préoccupation
constante et explicite de l’« Empire » fut une caractéristique typique de la
vision politique des leaders de la révolution américaine (Williams, 1980), et
ces ambitions impériales préfigurèrent ce qui serait dans les années 1840
largement célébré comme une évidence, comme inévitable – ou encore
comme « destin manifeste ». Les discours des États frontaliers sur le « destin
manifeste », qui dominèrent une grande partie du 19 ème siècle, proclamaient
invariablement un soutien sans équivoque à la suprématie blanche, à travers
la célébration expresse du « progrès », consacrée par Dieu, d’une expansion
de la « civilisation américaine », sur la toile de fond de la supériorité morale
des lois égalitaires et des institutions libérales de l’État-nation états-unien.
sanctionner par la loi la « blancheur » mexicaine,
décréter la privation des droits des Mexicains
L’un des moments décisifs dans l’expansion vers l’ouest de l’État-nation
états-unien fut la guerre impérialiste contre le Mexique, qui culmina en
1848 avec l’annexion de la vaste région septentrionale mexicaine – plus
d’un million de milles carrés de territoire (Acuña, 1981, p. 12) qui deviendront le « sud-ouest américain ». Cet épisode particulier de la guerre impérialiste fut crucial pour la consolidation historique de l’espace national des
États-Unis. Il n’y eut alors aucun débat, à aucun niveau que ce soit, qui
mette réellement en discussion le caractère délibéré, plutôt que l’apparente
nécessité de l’expansion territoriale comme objectif général. En effet, à la
veille de l’invasion du territoire et du règne de la terreur perpétrée par les
troupes états-uniennes, un réel débat naquit de la possibilité de l’annexion
5 – J’ai emprunté le terme « nationalisme blanc » à Takaki (1979, p. 15) et à Lubiano
(1997, p. 235).
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complète du Mexique (Acuña, 1981, p. 14-20). Sur la question d’envoyer
ou non les troupes états-uniennes mener ce qui aurait été, de fait, une
longue guérilla, le débat se concentra sur la possibilité pratique de gérer et
de maintenir une administration coloniale sur les territoires mexicains les
plus densément peuplés. Certains avancèrent l’idée de déplacer les Mexicains dans des réserves comme cela avait été fait avec les Indiens. Toutefois, comme le note Neil Foley (1997, p. 22), la position qui finit par prévaloir fut celle d’établir la color line au niveau du Rio Grande, dessinant la
nouvelle frontière entre les États-Unis et le Mexique « de manière à acquérir
le plus de territoire et le moins de Mexicains possibles ». Sur ce point, comme
le suggère Reginald Horsman (1981, p. 236), il n’y eut aucune discussion. À
partir de ce moment, la guerre aurait eu une part toujours plus grande dans
la constitution de l’État nord-américain, et dans la formulation historique
tant de la citoyenneté que de la « blancheur », notamment en ce qui
concernait les Mexicains.
Le traité de Guadalupe Hidalgo en 1848, marquant la fin de la guerre et définissant les termes de la conquête, imposait des conditions sévères pour
l’accès à la citoyenneté. Par la suite, sur les pressions insistantes de la délégation mexicaine pendant la négociation pour y faire inscrire la protection
des droits civils des Mexicains, la nationalisation des territoires conquis
eut, de fait, des répercussions importantes sur la naturalisation (comme
citoyens des États-Unis) des Mexicains qui vivaient alors sur ces terres
(Acuña, 1981, p. 19 ; Griswold del Castillo, 1990, p. 40 ; Gutiérrez, 1995,
p. 17 ; Montejano, 1987, p. 311). L’article VIII du traité établissait en effet
que les Mexicains résidant sur les territoires qui venaient d’être annexés
pourraient soit « se déplacer », soit maintenir leur nationalité mexicaine et
rester sur leurs terres, comme étrangers résidents permanents ; dans le cas
où ils n’auraient accompli aucune de ces démarches au bout d’un an, ils
seraient automatiquement considérés comme ayant « choisi de devenir
citoyens des États-Unis » (Griswold del Castillo, 1990, p. 189-190). L’article
IX, toutefois, spécifiait que ceux qui n’auraient pas maintenu leur nationalité mexicaine « seraient incorporés dans l’Union des États-Unis et admis, au
moment opportun (qui devait être choisi par le Congrès des États-Unis) à
jouir de tous les droits dévolus aux citoyens des États-Unis, en accord avec les
principes de la Constitution » (Ibid., p. 190, souligné par l’auteur). Il faut
souligner qu’il s’agit là d’une modification importante du texte du traité
originellement négocié à Mexico, modification imposée unilatéralement par
le Sénat des États-Unis. Le texte original affirmait en effet que les personnes récemment incorporées seraient « admises le plus vite possible, en
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accord avec les principes de la Constitution fédérale à la jouissance de tous
les droits des citoyens des États-Unis » (Ibid., p. 179, souligné par l’auteur).
Malgré bien des dénégations, ces modifications donnèrent lieu à une série
d’équivoques qui par la suite mirent en cause toutes les apparentes garanties apportées par le traité.
Le glissement, on ne peut plus clair, du « plus vite possible » au « moment
opportun » qu’entraînait la modification de l’article IX fut le signe d’un changement encore plus radical qui reléguait implicitement la citoyenneté mexicaine à la juridiction des Constitutions de chaque État plutôt qu’à la Constitution fédérale (Ibid., p. 66-72). En Californie par exemple, la Constitution
d’État de 1849 restreignait le droit de vote « aux citoyens blancs des ÉtatsUnis de sexe mâle et à tout citoyen blanc du Mexique de sexe mâle qui aurait
choisi de devenir citoyen des États-Unis » (Almaguer, 1994, p. 54-57 ; Griswold del Castillo, 1990, p. 169 ; Menchaca, 1995 ; 2001). De la même
manière, au Nouveau Mexique (qui comprenait l’Arizona), en 1849, une
convention à laquelle participèrent la majorité des représentants de l’élite
hispanique, restreignit l’accès de la citoyenneté à l’intérieur du territoire des
États-Unis aux « hommes libres blancs » (Griswold del Castillo, 1990, p. 70).
Le Texas, au contraire, qui était déjà constitué comme État en 1845, prétendit être exonéré de tous les termes du traité. Bien que le débat sur le suffrage au Texas ait également tourné autour d’une distinction explicite entre
Mexicains « blancs » (ou Spaniards) et « Indiens mexicains », la privation des
droits des Mexicains dans cet État fut surtout le fait de méthodes plus informelles d’intimidation et de violence (Montejano, 1987, p. 38-40). Alors que
la « blancheur » mexicaine était généralement associée à l’idée d’une « descendance espagnole », en pratique, la définition légale selon laquelle ces
Mexicains étaient blancs ou ne l’étaient pas était rarement définie par une
autorité : elle était largement laissée à l’appréciation du « sens commun »
des blancs Anglos qui exerçaient le pouvoir au niveau local. Ainsi, les
hommes de l’élite mexicaine des éleveurs s’assurèrent-ils le statut de
citoyens, non seulement, comme c’était prévisible, aux dépens des femmes,
mais aussi aux dépens des Indiens et des Noirs, et ils n’obtinrent gain de
cause qu’après avoir « racialisé » comme « blanc » leur propre statut légal ; en
sorte qu’ils amoindrirent considérablement la perspective d’atteindre le statut de citoyen pour tous les hommes mexicains qui restaient « racialisés »
comme Indiens ou métis (bien que faisant parfois partie de la même élite).
La grande majorité des premiers citoyens mexicains, qui aurait pu être placée sous la protection apparente du traité, voyait sa propre citoyenneté sys-
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tématiquement bafouée et subvertie. Beaucoup furent privés de leurs terres
et leurs droits civils furent systématiquement violés, souvent au moyen
d’une pure et simple terreur raciste (Acuña, 1981 ; Montejano, 1987). En
définitive, l’application du traité consista en la privation sommaire de
citoyenneté pour presque 100 000 Mexicains, lesquels ne devinrent rien
d’autre que les sujets colonisés des États-Unis. En cela, on peut affirmer que
la triangulation pernicieuse entre blancheur, citoyenneté et Empire préfigura
dès alors tous les principaux motifs des migrations du Mexique vers les
États-Unis qui suivirent, plaçant la production de la différence « nationale »
entre les États-Unis et le Mexique sur un terrain résolument « racialisé ».
Alors que l’expérience de la vie quotidienne de la majorité des Mexicains à
l’intérieur de l’État-nation états-unien a toujours été marquée par leur
« racialisation » comme non-Blancs, la limitation de l’accès à la citoyenneté
pour les migrants précédemment habilités par le traité – aussi instable et
incertain soit-il, même pour les plus privilégiés – n’advint qu’à partir du
moment où l’on exigea que cet accès soit « racialisé » pour protéger les
« hommes blancs ». Cette position fut mise à l’épreuve en 1897, avec la
décision In re Rodriguez, puisqu’une cour fédérale du Texas décida d’accorder la nationalité à un « Mexicain pur sang », qui « n’aurait pu être considéré
comme blanc […] si on avait appliqué strictement la classification scientifique
adoptée par les anthropologues ». Présupposant contre toute apparence que
Ricardo Rodriguez était blanc, comme c’était prévu par le traité pour l’accès
des Mexicains à la citoyenneté, la cour conclut que le candidat réunissait de
fait les conditions requises pour être naturalisé (Haney-López, 1996, p. 61).
Toutefois, en 1933, la Cour suprême des États-Unis reconsidéra la question
de la blancheur des Mexicains, présupposée par le traité, et mit en discussion ce précédent (Haney-López, 1996, p. 242, note 37). Depuis 1930, en
effet, au début d’une période de migration de masse en provenance du
Mexique, qui allait durer pendant les premières décennies du 20 ème siècle,
le Bureau de recensement des États-Unis avait déjà officiellement désigné
les « Mexicains » comme une catégorie « raciale » distincte et séparée.
la « porte-tambour »
et la construction d’une histoire transnationale
La frontière établie au cours de cette histoire partagée – bien qu’inégalement – d’invasion et de guerre, au cours de laquelle environ la moitié du territoire mexicain fut conquis et colonisé par l’État-nation nord-américain,
resta longtemps soustraite en pratique à toute réglementation qui aurait fait
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obstacle à son franchissement. Pendant les dernières décennies du 19 ème
siècle, alors qu’une politique économique régionale se mettait en place dans
ce qui s’appelait déjà le « sud-ouest » des États-Unis, les chemins de fer,
l’élevage et l’agriculture dépendaient presque exclusivement du recours actif
à la main d’œuvre mexicaine (Acuña, 1981 ; Barrera, 1979 ; GómezQuiñones, 1994). Les Mexicains étaient en effet notoirement encouragés à
traverser librement la frontière et à venir travailler sans autorisation officielle ni titre de séjour (Calavita, 1992 ; García, 1980 ; Samora, 1971). 6
Si le Naturalization Act de 1790 avait restreint l’accès des migrants à la
citoyenneté américaine sur des critères de « blancheur » raciale, il n’avait
pas interdit de manière stricte la migration de travail de groupes considérés
comme non blancs. Toutefois, après des décennies de recours enthousiaste
au travail migrant chinois, la première vraie loi sur l’immigration qu’édictèrent les États-Unis fut le Chinese Exclusion Act de 1882 (22 Stat. 58). Ainsi
débuta une ère de régulation de l’immigration qui ne se donnait plus simplement pour but d’interdire l’accès à la citoyenneté sur des bases raciales,
mais aussi d’exclure des groupes entiers de l’entrée sur le territoire sur des
critères de race ou de nationalité. Finalement, avec l’adoption de l’Immigration Act de 1917 (Loi du 5 février 1917 ; 39 Stat. 874) fut instituée une « All
Asian barred Zone », qui interdisait purement et simplement les migrations
provenant de l’Asie entière (Ancheta, 1998 ; Chang, 1999 ; Haney
López, 1996 ; Hing, 1993 ; Kim, 1994 ; Salyer, 1995). 7 Au moment où s’instaurait une série de restrictions à l’encontre des migrations « asiatiques », le
travail des migrants mexicains devint une nécessité absolue pour l’accumulation capitalistique dans la région frontalière. Entre 1910 et 1930, pendant
les années de la révolution mexicaine, celles de la Première Guerre mondiale
et celles qui suivirent, presque un dixième de la population mexicaine
totale se déplaça au nord de la frontière. On peut partiellement attribuer ce
phénomène à la dégradation de la situation sociale et aux perturbations
internes au pays au cours de cette période de bouleversement politique ;
mais ces migrations, souvent directement orchestrées par les employeurs,
6 – Il est instructif de se souvenir qu’originairement, les « clandestins » étaient
les Blancs des États-Unis dont les incursions sans autorisation sur le territoire
national mexicain avaient constitué le prélude à la guerre (cf. Acuña, 1981, p. 3-5 ;
Vélez-Ibáñez, 1996, p. 57-62).
7 – En raison de leur statut de colonisés, consécutif à l’occupation des États-Unis après
la guerre hispano-américaine de 1898, les Philippins furent considérés comme « nationaux », et constituèrent ainsi une exception notable à l’exclusion de tous les asiatiques.
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étaient principalement motivées par la demande de main-d’œuvre dans les
nouvelles industries et l’agriculture états-uniennes (cf. Cardoso, 1980).
Dans la même période fut élaboré un système terriblement restrictif de
quotas établis en fonction des nationalités d’origine, afin de réguler les
migrations en provenance d’Europe. Ce système, institué par l’adoption de
la Quota Law en 1921 (Loi du 19 mai 1921 ; 42 Stat. 5) fut par la suite
amplifié avec l’Immigration Act de 1924 (Loi du 26 mai 1924 ; 43 Stat. 153,
également connu sous le nom de Johnson-Reed Act). Ce dispositif reposait
sur une formule alambiquée, qui établissait, pays par pays, des maxima
inégaux pour attribution de visas aux immigrés. Dans les faits, cet appareil
réglementaire limita les migrations provenant de tout l’hémisphère oriental à environ 150 000 par an ; en outre, il permettait que 85 % environ des
visas distribués soient réservés aux migrants d’origine européenne nordoccidentale (Higham, 1955 [1988] ; Reimers, 1985 [1992]). En prenant
appui sur les 42 volumes (publiés en 1910 et 1911 par la Commission de
l’immigration des États-Unis) qui compilaient les « découvertes » en
matière de composition « raciale » et de « qualité » de la population étatsunienne, l’Immigration Act de 1924 codifiait toute une gamme de préjugés
populaires relatifs au plus ou moins grand degré d’« assimilabilité » de différents groupes de migrants, stigmatisés sur des bases raciales et nationales. Le Congressional Record témoigne largement de la préoccupation
avouée de maintenir la pureté « blanche / caucasienne » au cœur de l’identité nationale « américaine ». Fait remarquable, malgré les bruyantes objections de certains des plus virulents nativistes, les migrations des pays de
l’hémisphère occidental – principalement du Mexique – ne furent soumises à absolument aucun quota numérique, ce qui témoigne suffisamment de l’absolue dépendance des employeurs au travail des migrants /
Mexicains, surtout dans le Sud-ouest.
Le simple fait que, de 1924 – année où elle fut instituée – à 1940, la police
des frontières des États-Unis ait exercé sous les auspices du département
du Travail est révélateur. À partir de la fin des années 1920, elle a assumé
très rapidement son rôle particulier de force de police spéciale pour la
répression des travailleurs mexicains aux États-Unis (Mirandé, 1987 ; Ngai,
1999 ; 2004). L’application sélective de la loi – coordonnée avec la demande
en travailleurs saisonniers du patronat états-unien – institua une politique
de « porte-tambour », qui rendait les expulsions de masse compatibles avec
l’importation généralisée de travail migrant mexicain, à une large échelle
(Cockcroft, 1986). Bien que, jusqu’en 1965, il n’y ait pas eu de restrictions
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quantitatives (sous la forme de quotas numériques) des migrations mexicaines « légales », dès le début des années 1920, les migrants mexicains
pouvaient néanmoins se voir refuser la possibilité d’entrer aux États-Unis,
ou pouvaient être expulsés sur la base d’une application qualitative de la loi
sur l’immigration.
Durant cette période, le rôle régulateur et disciplinaire des expulsions opéra
contre les migrants mexicains, au moyen d’une série de règles et de règlements, qui établissaient à qui il était permis de migrer, en fonction de quelles
caractéristiques, comment devait se passer la migration, et quelle devait être
la conduite de ceux qui résidaient sur le territoire. Ainsi, les candidats à la
migration pouvaient se voir refuser l’entrée au motif d’infractions telles que :
le non-paiement de la taxe individuelle prélevée sur chaque entrant ou des
droits d’établissement du visa, un « analphabétisme manifeste », une tendance présumée à devenir un « poids pour la société » (pour ceux qui ne pouvaient attester d’une promesse d’embauche), la violation de l’interdiction du
travail à la tâche (pour ceux qui avaient une promesse d’embauche). De la
même manière, les travailleurs mexicains pouvaient être expulsés s’ils
n’étaient pas en mesure de produire un permis de travail en cours de validité,
s’il était établi qu’ils ne s’étaient pas soumis aux contrôles nécessaires, ou
qu’ils étaient devenus des « poids pour la société » (ce qui établissait rétroactivement leur « propension » à le devenir), ou qu’ils avaient enfreint les lois
des États-Unis ou commis des actes pouvant être considérés comme « anarchistes » ou « séditieux ». Tous ces manquements aux conditions qualitatives requises pour résider aux États-Unis faisaient des expulsions un mécanisme crucial de discipline et d’assujettissement au travail, rendu nécessaire
non seulement pour faire face aux vicissitudes du marché, mais aussi pour
contrecarrer la syndicalisation des travailleurs migrants / mexicains (cf.
Acuña, 1981 ; Dinwoodie, 1977 ; Gómez-Quiñones, 1994).
Avec la Grande Dépression des années 1930, le caractère très clairement
raciste de l’« illégalisation » et de l’expulsabilité des Mexicains devint absolument manifeste. Les migrants mexicains et, avec eux, les citoyens mexicains nés aux États-Unis, furent systématiquement exclus de l’emploi et
des aides sociales, devenus l’apanage exclusif des « Américains » censés en
être plus « dignes ». Ces abus culminèrent avec les expulsions massives
d’au moins 415 000 migrants mexicains ainsi que les enfants citoyens américains de beaucoup d’entre eux, à quoi il faut ajouter le rapatriement
« volontaire » de plus de 85 000 autres (Balderrama & Rodríguez, 1995 ;
Guerin-Gonzáles, 1994 ; Hoffman, 1974). Il faut souligner ici que la procé-
215
dure d’expulsion ne tenait aucun compte de leur résidence légale, de leur
citoyenneté ou du fait qu’ils soient nés aux États-Unis – elle était motivée
par le simple fait qu’ils étaient Mexicains.
Toutefois, face aux nouveaux besoins de main d’œuvre générés par l’entrée
des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral,
inversant drastiquement le processus des expulsions de masse des années
1930, eut recours à une importation massive, connue sous le nom de
« Programme Bracero ». Il s’agissait d’une mesure administrative qui tendait à institutionnaliser et à organiser l’approvisionnement en travail
migrant mexicain au profit du capitalisme états-unien (principalement
dans l’agriculture mais aussi dans les chemins de fer). Les accords « Bracero » furent adoptés sans trop de cérémonie par un « comité pour l’importation du travail mexicain » (composé du Service pour l’immigration des
États-Unis, de la War Manpower Commission et du département d’État au
travail et à l’agriculture) spécialement formé pour cela, au moyen d’un
accord bilatéral avec le Mexique. Très logiquement, le département d’État à
l’agriculture avait la haute main sur le programme. Mais alors qu’à son origine, en 1942 (Public Law 45), il se présentait comme une mesure d’urgence consécutive à l’état de guerre, le programme fut renouvelé à plusieurs reprises et extraordinairement amplifié jusqu’à son terme en 1964.
Cette importation légalisée de travail mexicain signifiait que les travailleurs
migrants, une fois sous contrat, devenaient dans les faits une force de travail captive sous la juridiction du gouvernement fédéral des États-Unis, ce
qui garantissait aux employeurs états-uniens un vivier de main d’œuvre
illimitée « à bas prix ». En plus de recourir sur la durée à cette migration
régulière sous contrat de travail, le Programme Bracero favorisait la migration sans titre de séjour dans des proportions de loin supérieures au
nombre des braceros 8 « légaux » – à la fois par le développement d’une
infrastructure migratoire et parce que les employeurs encourageaient les
braceros à rester au-delà de la période prévue par leurs contrats. Les
employeurs préféraient avoir recours à des travailleurs sans titres parce
que cela leur permettait de s’exonérer des obligations contractuelles, des
charges sociales, du respect de la durée minimum des contrats, des salaires
conventionnels et des autres garanties exigées par l’emploi des braceros
(Galarza, 1964 ; cf. López, 1981). Au début de l’année 1949, des procédures de régularisation immédiate des travailleurs sans papiers, appelées
8 – Par bracero, on entend travailleur mexicain admis sur le territoire des États-Unis
pour occuper un emploi dans le secteur agricole.
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
« drying out wetbacks » * vinrent encore avantager les employeurs et les
recruteurs de main d’œuvre états-uniens (Calavita, 1982). On estime
qu’alors, pour un bracero entré régulièrement aux États-Unis, quatre
migrants entraient sans visa. 9 Au début de l’année 1954, au mépris des
requêtes des négociateurs du gouvernement mexicain qui demandaient
l’établissement d’un salaire minimum fixe pour les braceros, le Congrès des
États-Unis autorisa le département du Travail à recruter unilatéralement
des travailleurs mexicains, et ce fut la police des frontières elle même qui
ouvrit la frontière et recruta activement des migrants sans titres (Cockcroft, 1986 ; Galarza, 1964). Cette période d’« ouverture des frontières »
officielle culmina rapidement, comme c’était à prévoir, et en toute cohérence avec la stratégie de la « porte-tambour », par l’expulsion, entre 1954
et 1955, d’au moins 2,9 millions de travailleurs migrants / mexicains « illégaux » tombés dans le filet militarisé et l’hystérie nativiste de l’« opération
wetback » (Garcia, 1980). Les années du Programme Bracero furent donc
caractérisées non seulement par l’augmentation de l’immigration légale
sous contrat de travail, mais aussi par un encouragement fédéral à la
migration sans titres, par un accès accru à la régularisation, en même
temps que par une répression considérable et des expulsions de masse.
la visibilité des étrangers « illégaux »
et l’invisibilité de la loi
En raison de la fonction centrale des expulsions dans la mise en œuvre de la
politique de la « porte-tambour », la distinction ténue entre migration
« légale » et « illégale » fut largement utilisée pour stigmatiser et contrôler les
travailleurs migrants / mexicains pendant la plus grande partie du 19 ème
siècle. L’« illégalité », originellement définie selon des critères qualitatifs –
comme l’exigence d’un permis de travail ou l’alphabétisation, et, dans le cas
* – Wetbacks, littéralement « dos mouillés », est le terme utilisé pour désigner les Mexicains
entrés illégalement aux États-Unis. La formule « drying out wetbacks », qui désigne ici
une opération de régularisation, signifie littéralement « sécher les dos mouillés » ;
on traduira plus loin le terme de drying out par « séchage ». (ndt)
9 – Environ 4,8 millions de contrats furent consentis aux travailleurs mexicains employés
comme braceros pendant les 22 ans au cours desquels le programme fut en vigueur. Pendant la même période, on compta plus de 5 millions d’arrestations de migrants mexicains
sans papiers (Samora, 1971 ; cf. López, 1981). Ces deux chiffres pouvant concerner les
mêmes personnes, ils n’indiquent pas des valeurs absolues, mais révèlent plus généralement la complémentarité des flux contractuels et des flux illégaux.
217
du Programme Bracero, l’exigence d’un contrat de travail et l’interdiction de
s’installer au-delà de la durée du contrat – devint à la longue un élément
constitutif de l’inscription spécifique, « racialisée », des « Mexicains » aux
États-Unis (De Genova, 2005 ; cf. Ngai, 1999 ; 2004). En cela, l’« illégalité »
des migrants / Mexicains en soi n’est pas un fait nouveau. Elle reflète en effet
ce que James Cockcroft (1986) a identifié comme le caractère spécifique des
migrations mexicaines aux États-Unis : le Mexique a fourni au capitalisme
états-unien la seule réserve de main d’œuvre « étrangère » suffisamment
flexible pour ne pouvoir être, en aucun cas, ni complètement remplacée ni
totalement exclue. Cela dit, l’État-nation états-unien a déployé au cours de
son histoire une grande variété de tactiques pour générer et maintenir systématiquement l’« illégalité ». Mieux, il a affiné ces tactiques afin de précariser toujours davantage la situation sociale des migrants sans papiers. L’histoire du débat légal et des actions concernant l’« immigration » est précisément une histoire. Cette étude se fixe avant tout le but de dénaturaliser
l’« illégalité » des migrants / Mexicains, et de poser cette spécificité historique comme un « fait » irréductiblement social, une abstraction réelle produite par la matérialité pratique de la loi. Dans la mesure où j’ai résolument
choisi de m’intéresser à la spécificité de la migration mexicaine, et non aux
autres migrations ou à des « expériences d’immigration » de manière générique, j’insisterai sur les spécificités historiques d’une « illégalité » qui fut
prédominante pour les migrants mexicains. Ces expériences historiquement
spécifiques des migrants mexicains à l’intérieur des régimes légaux de
l’« illégalité » aux États-Unis présentent certainement des analogies significatives et des corrélations importantes avec les conditions sociopolitiques
des autres migrations sans titres, notamment celles en provenance de
l’Amérique latine et des Caraïbes (voir par exemple, Coutin, 2000 ; Hagan,
1994 ; Mahler, 1995), ainsi qu’avec d’autres groupes racialement subordonnés, principalement les Arabes et les autres musulmans pris dans les filets
du Homeland Security State du 11 septembre 2001 (cf. Cole, 2003). Toutefois, de telles comparaisons ne peuvent être intellectuellement convaincantes et politiquement pertinentes que si elles tirent leur force d’un
exposé précis de l’intersection particulière entre des migrations historiquement spécifiques et l’intrication complexe du « légal » et de l’« illégal ».
L’histoire des lois sur l’immigration n’est rien d’autre qu’une histoire d’interventions à la fois assez complexes et délibérées. 10 Il ne s’agit pas pour
10 – Au-delà de la législation, l’histoire des lois sur l’immigration et la citoyenneté impose
également de prendre en considération des cas judiciaires et des décisions administra-
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
autant de croire qu’une stratégie omnisciente, cohérente et unifiée ait, seule,
imposé ses desseins au cours de l’histoire. Ni que cette histoire soit un pur
sous-produit fonctionnel, plus ou moins automatique, d’une « logique » prédéterminée (et donc téléologique) découlant de la « structure », supposée
rigide et fixe, de la société capitaliste. Au contraire, l’histoire complexe du
processus de production législatif se caractérise avant tout par ses turbulences, et par la relative incohérence des divers compromis, stratégies et tactiques contradictoires que l’État-nation états-unien a mis en œuvre à des
moments historiques particuliers, précisément pour s’adapter aux contradictions présentes dans les crises et les luttes sur la question de la subordination du travail. Ainsi, les lois sur l’immigration des États-Unis ont servi
d’instrument pour fournir et affiner tactiquement les paramètres aussi bien
de la discipline que de la coercition. Comme telles, elles sont toujours
conjoncturelles et peuvent être remises en cause à tout moment. En d’autres
termes, les lois sur l’immigration, dans leur effort pour gérer la mobilité du
travail migrant, sont prises dans une lutte pour subordonner le travail, élément constitutif et irréductible du capital – ce que Marx a décrit comme
« une guerre civile, lente et plus ou moins dissimulée » (Marx, 1867 [1975,
p. 363] ; cf. Bonefeld, 1995 ; Holloway, 1995). Comme le suggère John Holloway, « une fois que les catégories de pensées sont comprises comme l’expression,
non de relations sociales objectives, mais de la lutte pour les objectiver, alors
c’est toute une tempête d’imprévisibilité qui souffle à travers elles. Une fois
qu’on a compris que l’argent, le capital, l’État … [et ici, j’ajoute résolument le
droit] ne sont rien d’autre que la lutte pour former, discipliner, structurer […]
les “simples inquiétudes de la vie”, il devient clair que leur développement ne
peut être compris que comme une pratique, comme une lutte indéterminée »
(Holloway, 1995, p. 176 ; cf. Pashukanis, 1929). C’est cette conception du
droit – comme lutte indéterminée – que je veux mettre en relation avec notre
appréhension de l’historicité de la loi sur l’immigration aux États-Unis, et
spécialement avec la manière dont elle a pris pour cible cette « donnée » par
définition mobile, qui constitue le travail migrant / mexicain.
On peut soutenir, en dernier lieu, que l’« illégalité » migrante n’est pas uniquement l’effet de ces interventions légales délibérées, mais qu’elle est
tives, qui influencent les politiques régissant les admissions et les expulsions, ainsi
que l’accès à l’emploi, au logement, à l’éducation, et les conditions d’obtention de
divers droits sociaux (cf. Lee, 1999). Mon propos, néanmoins, porte plus précisément
sur l’histoire législative qui a défini ce qu’était l’« illégalité » pour la migration mexicaine,
dans la mesure où ce sujet a été extrêmement (pour ne pas dire complètement ) négligé.
219
aussi l’effet idéologique d’une production de discours qui recouvre le débat
public au niveau le plus large, et le combat sur le plan politique. La discipline même des sciences sociales qui prend pour objet la migration sans
titres du Mexique aux États-Unis se laisse souvent enfermer dans cette formation discursive de l’« illégalité » (De Genova, 2002). Considérer l’« illégalité » comme une donnée fixe, indifférenciée et transhistorique reste un
trait récurrent dans une grande partie de la recherche universitaire sur les
migrations mexicaines. En parcourant le large champ de la pluridisciplinarité, on note une remarquable visibilité des « migrants illégaux », tournant
énigmatiquement autour de la stupéfiante invisibilité de la loi. La force
matérielle de la loi, son caractère instrumental, sa capacité à produire certains des paramètres les plus significatifs et saillants de la vie sociopolitique, son historicité – tout cela semble, à de rares exceptions, étrangement absent. Cet enchevêtrement à l’intérieur du fétichisme du droit tend
à se vérifier également chez les chercheurs qui critiquent le caractère disciplinaire de la police des frontières. Or, sur la question de l’« illégalité » des
migrants sans papiers, une connaissance scientifique critique viable est
franchement inconcevable sans une analyse approfondie des lois sur l’immigration. En n’examinant pas les pratiques actuelles de production des
catégories qui différencient les statuts légaux des migrants du point de vue
des lois sur l’immigration, cette approche méconnaît dans une large mesure
le droit. En n’examinant pas davantage ces pratiques dans la continuité, au
fur et à mesure de leur promulgation, de leur renforcement et de leurs
transformations, elle traite en effet le droit comme un objet transhistorique
et donc fondamentalement immuable – ce qui a pour conséquence de naturaliser la notion de « transgression du droit ».
sanctionner par la loi l’« illégalité » mexicaine
Avant 1965, comme nous l’avons déjà souligné, aucune restriction quantitative des migrations « légales » depuis le Mexique n’avait jamais été imposée par la loi. Il n’y avait jamais eu auparavant de quota numérique imposé
par voie législative pour limiter les migrations en provenance du Mexique. 11
11 – Je me réfère ici à l’absence de tout quota prescrit par voie législative afin de limiter
la migration « légale » depuis le Mexique, en distinguant ce phénomène des restrictions
numériques imposées officieusement au niveau local lorsque les consulats américains
au Mexique étaient amenés, ponctuellement, à limiter le nombre de visas accordés
aux migrants (cf. Ngai, 1999 ; 2004).
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
Ceci était vrai pour tous les pays de l’hémisphère occidental (exception faite
des colonies) et avait des répercussions sur presque tous les groupes de latinos (à l’exception notable des Portoricains), mais aucun de ces pays n’avait
fourni un nombre de migrants ne serait-ce que comparable à celui du
Mexique. En outre, on ne saurait trop insister sur le fait que la reformulation
des caractéristiques légales de l’« illégalité » en 1965 intervint dans le
contexte d’une enthousiaste et presque inépuisable importation de travail
migrant / mexicain – qui était de plus en plus indépendante des flux et reflux
du taux de chômage. La fin du Programme Bracero, en 1964, fut un prélude
immédiat et décisif à la reconfiguration inédite de la loi sur l’immigration de
1965. En effet, à ce moment précis, le gouvernement mexicain, qui voulait
anticiper sur l’explosion du chômage consécutive à la fin du Programme
Bracero, proposa son Border Industrialization Program, qui offrait aux établissements de travail intensif états-uniens (maquiladoras) la possibilité
d’opérer dans une zone de libre-échange le long de la frontière avec les
États-Unis. Il s’en suivit une intensification des migrations internes au
Mexique vers la région frontalière. En 1974, un tiers de la population des
États frontaliers mexicains se composait de personnes qui avaient déjà
migré, mais seuls 3 % d’entre eux étaient employés dans des maquiladoras
(Cockcroft, 1986, p. 109 ; cf. Heyman, 1991). Un flux de migrations du
Mexique vers les États-Unis, ancien, bien organisé, solidement enraciné, en
constante diversification et en augmentation permanente s’était déjà mis
en place avant 1965 et les circonstances qui, dans la région, pouvaient
induire des migrations continuèrent simplement à s’intensifier. Conséquences des changements successifs de la loi sur l’immigration étatsunienne à partir de 1965, ces restrictions quantitatives, auparavant inconnues – et particulièrement l’application apparemment uniforme de quotas
numériques à des migrations historiquement distinctes et absolument
incomparables entre elles – devint centrale dans la production sur le long
terme, amplifiée, et sans précédent, d’une catégorie d’« illégalité » plus
stricte pour les travailleurs migrants / mexicains qu’elle ne l’avait jamais été.
Les travailleurs migrants / mexicains, fraction toujours plus importante de
la classe ouvrière déjà indispensable à l’État-nation états-unien (que ce
soit dans l’agriculture ou dans de nombreuses zones métropolitaines)
furent partout stigmatisés comme « illégaux », objets de spectaculaires et
excessives formes de contrôle, privés des droits humains fondamentaux et
donc circonscrits à une condition sociale toujours incertaine, qui se caractérisait notamment par une capacité de recours minimale ou nulle au
moindre semblant de protection de la part de la loi. Depuis les années
221
1960, le Mexique a fourni entre 7,5 et 8,4 millions de migrants (« légaux »
et sans papiers) résidant aujourd’hui aux États-Unis, auxquels il faut ajouter les innombrables saisonniers et travailleurs migrants à durée déterminée. On estime qu’environ la moitié d’entre eux (49,3 %) seraient arrivés
au cours de la décennie 1990 (Logan, 2001 ; 2002). Depuis mai 2002, sur
la base des estimations du recensement de 2000, des chercheurs ont émis
l’hypothèse que 4,7 millions de ces migrants / Mexicains étaient sans
titres, et que 85 % d’entre eux n’étaient arrivés aux États-Unis qu’au cours
des années 1990 (Passel, 2002). Aucun autre pays, on l’a dit, n’a fourni
aux États-Unis un nombre de migrants seulement comparable ; en effet,
depuis 2000, les migrants mexicains constituent à eux seuls près de 28 %
du total de la population des États-Unis « née étrangère ». Il peut donc
sembler paradoxal que, virtuellement, tous les changements majeurs qui
ont affecté les normes quantitatives de la loi sur l’immigration pendant
cette période aient créé des restrictions toujours plus amples aux conditions de possibilité d’une migration « légale » depuis le Mexique. En fait,
c’est précisément parce qu’aucun autre pays n’a fourni autant de migrants
aux États-Unis dans la même période que les restrictions numériques uniformes introduites par ces révisions législatives ont pesé de manière disproportionnée sur les migrations mexicaines. Aussi, cette histoire légale
constitue un élément déterminant de la spécificité historique – ou pour le
dire mieux, de l’effective singularité – de la migration mexicaine contemporaine vers les États-Unis.
Dans une large mesure, cette énigme apparente dérive du fait que le rôle de
l’« illégalité » migrante pour les Mexicains (comme pour les autres migrations de l’hémisphère occidental) a été redéfinie par ce qu’on peut considérer par beaucoup d’aspects comme une « libéralisation » sans précédent des
politiques de l’immigration. L’Hart-Celler Act de 1965 (Public Law 89-236 ;
79 Stat. 911), qui apportait des amendements à l’Immigration and nationalities Act de 1952 (Public Law 82-414 ; 66 Stat. 163), semblait en effet instituer une législation ostensiblement égalitaire. Cette refonte monumentale
de la loi sur l’immigration démantelait la formulation ouvertement raciste
qui régissait jusque-là le contrôle de l’immigration de l’État-nation étatsunien ; elle renversait de manière spectaculaire l’exclusion explicitement
raciste des migrations asiatiques, qui avait été à peine tempérée depuis
1917 (ou depuis 1882 dans le cas des Chinois) ; pour les pays européens,
elle abolissait le système draconien des quotas par origine nationale adopté
en 1921 et durci en 1924.
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
Comme les amendements de 1965 mettait fin au système des quotas par
nationalités, ils furent salués, de façon prévisible, comme une réforme libérale, la politique migratoire des États-Unis apparut soudain se distinguer par
sa large inclusivité, bien qu’en ce qui concerne le Mexique, le résultat en ait
été sans la moindre équivoque restrictif. Ces mêmes révisions « libérales »
(qui prirent effet en 1968) établirent pour la première fois dans l’histoire des
États-Unis un quota numérique annuel pour limiter les migrations « légales »
en provenance de l’hémisphère occidental. En réalité, les nouveaux maxima
imposés à l’hémisphère occidental furent le résultat d’une sorte de compromis avec les défenseurs du maintien du système des quotas par origine
nationale qu’Aristide Zolberg a décrit comme des « restrictionnistes traditionnels cherchant à faire obstacle à l’immigration des Noirs des Antilles, et plus
généralement, à celle des “Marrons” du sud de la frontière » (1990, p. 321).
Toutefois, David Reimers (1985 [1992, p. 79]) note que parmi eux, rares
furent ceux qui s’autorisèrent une attitude ouvertement raciste, et la restriction, particulièrement pour les Amériques, fut défendue avec un langage
apparemment plus libéral, par souci d’« équité » avec « nos traditionnels amis
et alliés en Europe occidentale » (Ibid., p. 77). Bien que des centaines de milliers de personnes migrent chaque année du Mexique aux États-Unis, et que
le nombre d’arrestations de Mexicains « expulsables » par l’Immigration and
Naturalization Service (INS) fût déjà de 151 000 l’année précédant l’établissement du nouveau quota, le nombre de migrants légaux autorisés à entrer
sur le territoire ne devait pas excéder 120 000 pour la totalité de l’hémisphère occidental. Le quota annuel des migrations légales (hors exceptions
aux quotas) de l’hémisphère oriental était par comparaison supérieur : il
s’élevait à 170 000. À l’échelle planétaire, aucun pays n’a fourni un nombre
de migrants ne serait-ce que comparable à celui du Mexique et ceci ne s’est
jamais démenti depuis. Ainsi, le quota pour les migrants de l’hémisphère
occidental (c’est-à-dire le quota maximum dans lequel s’inscrivent les
migrations mexicaines) avait été établi à un niveau bien inférieur au nombre
de Mexicains ayant déjà migré légalement.
Les amendements de 1965 furent également considérés comme libéraux
parce qu’ils instituaient la possibilité d’un regroupement familial pour les
migrants des deux hémisphères. Certains membres des familles de migrants
étaient considérés comme « exemptés » des restrictions imposées par les
quotas, et pouvaient ainsi migrer sans être considérés comme surnuméraires. Ces « exceptions aux quotas » pour regroupement familial étaient
limitées aux conjoints, aux enfants mineurs non mariés et aux parents des
citoyens américains adultes (en général, des migrants, mais seulement ceux
223
qui avaient déjà été naturalisés). À l’intérieur même des quotas, il est à
noter qu’un système de préférence hiérarchisée jouait en faveur des
conjoints, des enfants mineurs célibataires et des parents de résidents permanents, ainsi qu’en faveur des professionnels ou des travailleurs qualifiés
aux compétences reconnues par le département du Travail. Toutefois, à l’intérieur de chaque quota, les systèmes de préférences étaient notablement
différents. En plus des hiérarchies explicites prévues dans l’hémisphère occidental pour les parents de résidents permanents, le système de préférence de
l’hémisphère oriental favorisait également les enfants adultes non mariés, les
enfants mariés (adultes ou mineurs), et les frères et sœurs (adultes ou
mineurs) de citoyens des États-Unis. Là encore, les normes qui régissaient
l’immigration légale pour l’hémisphère oriental étaient différentes, et en
quelque sorte plus libérales que celles pour l’hémisphère occidental. On
peut les interpréter comme une incitation à la naturalisation pour les
migrants de l’hémisphère oriental, par la concession d’avantages auxquels
ceux de l’hémisphère occidental n’avaient pas accès. Ainsi, les conditions
inégales du regroupement familial imposées pour l’un et l’autre hémisphère
étaient globalement désavantageuses pour les migrations de l’hémisphère
occidental, et de manière particulièrement disproportionnée pour la migration mexicaine. Dans le même ordre d’idée, bien que les conditions du
regroupement familial « hors quota » soient identiques pour les deux hémisphères, ces « exceptions » privilégiaient les parents des citoyens des ÉtatsUnis, ce qui constituait un désavantage pour le Mexique, étant donné la
tendance prononcée et historiquement ancrée de beaucoup de migrants
mexicains à ne pas se faire naturaliser comme citoyens des États-Unis
(González Baker et al., 1998 ; Gutiérrez, 1995 ; 1998 ; Sánchez, 1993). En
somme, les conséquences des nouvelles restrictions numériques pesèrent
lourdement et presque exclusivement sur les migrations en provenance du
Mexique, à cause, évidemment, de la prépondérance écrasante du Mexique
sur toutes les autres migrations et du fait que les conditions assouplies et
apparemment libérales de la nouvelle loi sur le regroupement familial étaient
structurées de manière à être moins facilement accessibles aux Mexicains.
Un autre aspect de la loi de 1965 eut des conséquences exceptionnellement importantes pour les migrants mexicains sans papiers. Pour les
migrants de l’hémisphère occidental (et pas pour ceux de l’hémisphère
oriental), une nouvelle catégorie privilégiée à l’intérieur des quotas était
établie : celle de parents de citoyens états-uniens mineurs. En d’autres
termes, une procédure de régularisation fut ouverte aux migrants sans
papiers de l’hémisphère occidental qui étaient parents d’enfants nés aux
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
États-Unis (et donc citoyens des États-Unis). Dans les faits, pour un
migrant mexicain sans titres, un enfant né aux États-Unis faisait presque
fonction de « premiers pas » dans le parcours qui pouvait le mener à une
résidence légale. Ainsi, de manière analogue aux premières procédures de
« séchage » des wetbacks, les migrants mexicains étaient contraints à servir
un certain temps comme travailleurs sans papiers après quoi ils pouvaient
être régularisés à condition d’avoir eu un enfant aux États-Unis. 12
Après plus de vingt ans d’importation massive de main d’œuvre mexicaine
orchestrée par le gouvernement fédéral états-unien à travers le Programme
Bracero, l’afflux déjà bien établi des migrants mexicains vers les États-Unis
s’intensifia donc juste avant 1965. S’appuyant sur des réseaux migratoires
complexes et des liens historiques déjà solides, les Mexicains continuèrent à
migrer, mais en raison des sévères restrictions élaborées en 1965 et mises en
œuvre en 1968, un nombre toujours croissant de Mexicains n’avaient plus
d’autre alternative que d’entrer aux États-Unis en tant que travailleurs sans
papiers, relégués à la condition indéfinie de l’« illégalité ». À partir de 1968,
le nombre d’arrestations de Mexicains « expulsables » par l’INS monta en
flèche d’année en année, avec une augmentation qui atteignait 40 % dès la
première année. Bien que les statistiques des arrestations ne soient jamais
des indicateurs fiables du nombre réel de migrants sans papiers, elles font
clairement apparaître ici les modalités d’un contrôle sévère qui perpétuait
en quelque sorte la politique de la « porte-tambour » : l’écrasante majorité
des arrestations perpétrées par l’INS concernaient des entrées subreptices le
long de la frontière mexicaine, et cette proportion ne fit que s’accroître par
la suite. En 1973, par exemple, l’INS affirmait que les Mexicains constituaient 99 % des « étrangers expulsables » arrêtés lors de franchissement
clandestin de la frontière (cf. Cárdenas, 1975, p. 86). Alors que le nombre
total des arrestations pour toutes les autres nationalités se maintenait de
manière stable en dessous des 100 000 par an, les arrestations de Mexicains
ne cessèrent d’augmenter : de 151 000 en 1968, elles passèrent à 781 000
en 1976, année où furent instaurées de nouvelles restrictions. La persistance de ces pratiques coercitives et les statistiques qu’elles produisirent
contribuèrent énormément au renforcement de l’idée diffuse que tous les
« étrangers illégaux » étaient potentiellement des Mexicains. Cette équivalence supposée entre « immigration illégale » et franchissement illégal de la
12 – Cette procédure particulière de « séchage » ne fut finalement accessible
aux parents sans papiers d’enfants nés aux États-Unis qu’entre le 1er juillet 1968
et le 31 décembre 1976 : cette clause fut supprimée par l’Immigration Act de 1976.
225
frontière permit en outre de mettre continuellement en scène la frontière
entre les États-Unis et le Mexique, présentée comme le théâtre d’une
« crise », et de faire systématiquement du mot « mexicain » le synonyme
national de « migrant illégal ».
La nouvelle loi sur l’immigration ne fut certainement pas le seul changement qui advint en 1965. La révision de la politique migratoire de 1965 eut
en effet pour contexte une crise généralisée du libéralisme sur fond de
Guerre froide, dans lequel l’idée « démocratique » chère à l’impérialisme
états-unien était constamment revue à la baisse. La loi fut donc explicitement reformulée de manière à annuler les caractéristiques les plus expressément discriminatoires des textes existants non seulement en raison du
contexte de Guerre froide et des impératifs liés aux relations internationales, mais aussi à cause de l’émergence de luttes sociales contre l’oppression raciale à l’intérieur du territoire, et de mouvements anticoloniaux de
libération nationale à l’étranger. Cette crise fut exacerbée notamment par la
combativité croissante des Noirs en lutte pour les « droits civiques », c’està-dire par un mouvement de masse des Afro-américains qui revendiquaient
leurs droits de citoyens. La lutte pour les droits civiques prit souvent la
forme d’un refus militant de la citoyenneté de « seconde zon e » accordée
aux Afro-américains, à la fin de la Guerre civile avec l’adoption du 14ème
Amendement. Ce mouvement intransigeant dénonçait énergiquement et de
manière articulée la réalité pernicieuse d’une citoyenneté subordonnée à
des critères raciaux. De plus, la fin du Programme Bracero fut liée aux
efforts pour contrecarrer l’organisation des travailleurs, particulièrement les
mouvements d’ouvriers agricoles majoritairement chicanos et philippins.
Ainsi, la conjoncture historique dans laquelle les amendements de 1965
virent le jour était-elle marquée par de profondes crises politiques intérieures et internationales, qui se manifestaient par des mouvements de
protestation des travailleurs soit discriminés sur des critères raciaux soit
colonisés. Apparut alors un type d’« illégalité » radicalement nouveau pour
les migrations de l’hémisphère occidental, qui eut des conséquences exceptionnellement lourdes, particulièrement sur le travail transfrontalier des
migrants mexicains – une sorte d’arrangement transnational pour résoudre
la crise politique de la subordination du travail (cf. De Genova, 1998).
Il est important de rappeler ici que le terme d’« immigration illégale » fut
complètement absent du débat législatif de 1965. David Reimers attire l’attention sur le fait que le Congrès des États-Unis a « prêté peu d’attention aux
immigrés sans papiers au moment où il réformait la politique sur l’immigration
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
en 1965 », alors que « à partir de 1969 » – c’est-à-dire l’année qui suivit l’entrée en vigueur de la loi – « le Congrès commença à s’inquiéter de l’augmentation de l’immigration “illégale” le long de la frontière mexicaine » (1985
[1992], p. 207-208). Mais à partir de 1976, le débat législatif et les révisions
de la loi qui en découlèrent réussirent à faire de l’« immigration illégale » une
catégorie légale totalement nouvelle dans l’économie du régime d’immigration des États-Unis, en en faisant le « problème » explicite qui devait justifier la plupart des choix qui suivirent en matière de politique migratoire.
En 1976, en pleine période électorale, de nouveaux amendements à l’Immigration and Nationalities Act (Public Law 94-571 ; 90 Stat. 2703) furent
adoptés. Ces amendements éliminaient sommairement les possibilités de
régularisation décrites plus haut et appliquaient à l’hémisphère occidental
un ensemble de mesures législatives pour la migration légale très semblables à celles qui avaient déjà été établies pour l’hémisphère oriental.
Chose plus importante encore, les règlements de 1976 imposaient pour la
première fois un quota national fixe pour chaque pays de l’hémisphère occidental, en établissant un nombre maximum (hors exceptions aux quotas)
de 20 000 migrants légaux par an et par nationalité – ce qui frappa à nouveau de plein fouet et de manière absolument disproportionnée le
Mexique. 13 De nouveau (et en ne se privant pas d’avoir recours au vocabulaire libéral de l’« équité »), la loi sur l’immigration subit une réforme drastique, qui limitait la migration « légale » du Mexique (hors exceptions) au
maigre taux de 20 000 unités par an. 14 En outre, après que la législation de
1978 (Public Law 95-412 ; 92 Stat. 107) eut aboli la séparation des quotas
par hémisphère et eut fixé un quota d’immigration maximum au niveau
mondial de 290 000 unités, le Refugee Act de 1980 (Public Law 96-212 ; 94
Stat. 107) réduisit ce quota à 270 000, ce qui diminua du même coup les
quotas nationaux à 18 200 migrants « légaux » pour chaque pays (toujours
hors exceptions aux quotas). En l’espace de moins de douze ans, entre le 1 er
juillet 1968 (date à laquelle les amendements de 1965 furent mis en application) et le moment où furent appliqués les amendements de 1980, la loi
13 – Dans une revue de droit de l’époque, Bonaparte (1975) identifie clairement les effets
pervers des quotas sur la migration mexicaine et les met en rapport avec les évidents
préjugés qui s’expriment à son encontre dans la transcription des délibérations
législatives. Chock (1991) analyse très justement la rhétorique idéologique qui domina
le débat législatif et la production de discours sur le « problème des étrangers illégaux »
pendant les débats au Congrès en 1975, qui aboutirent à la législation de 1976.
14 – Le Mexique passa immédiatement au taux de 60 000 candidats pour 20 000 places
et cette dégradation s’accentua de plus en plus sévèrement au fil des ans.
227
sur l’immigration états-unienne fut donc radicalement reconfigurée pour les
Mexicains. Alors qu’elle autorisait au départ des possibilités presque illimitées de migration légale depuis le Mexique (littéralement sans limitations de
nombre et régulées uniquement par des critères qualitatifs, qui dans la pratique n’étaient pas toujours appliqués), la loi réduisait drastiquement le
nombre de migrants mexicains (hors exceptions) à un quota annuel de
18 200, en même temps qu’elle appliquait aux « exceptions aux quotas » un
système strict de préférences qualitatives. Dans une période où l’on dénombrait (formellement) largement plus d’un million de migrants mexicains
venant chaque année travailler aux États-Unis, l’écrasante majorité d’entre
eux n’avait aucune autre possibilité que de le faire « illégalement ».
L’« illégalité » des migrants sans titres n’est donc pas une donnée de fait. Elle
est, dans sa configuration actuelle, le produit de la loi sur l’immigration des
États-Unis – et pas seulement au sens abstrait selon lequel sans la loi, rien
ne serait « hors-la-loi », ni simplement au sens courant suivant lequel la loi
sur l’immigration constitue, différencie et classe les différentes catégories
d’« étrangers » – mais dans un sens plus profond, qui révèle que l’histoire
des interventions législatives délibérées qui ont révisé et reformulé la loi à
partir 1965 contenait en germe un processus actif d’inclusion par l’« illégalisation » (cf. Bach, 1978 ; Burawoy, 1976 ; Calavita, 1982, p. 13 ; 1998 ; Castells, 1975 ; Coutin, 1996 ; 2000 ; Hagan, 1994, p. 82 ; Joppke, 1999, p. 2631 ; Nikolinakos, 1975 ; Portes, 1978, p. 475). En effet, la production légale
de l’« illégalité » a fait de la migration mexicaine un enjeu, selon des modalités historiquement sans précédent et incroyablement néfastes.
L’adoption de l’Immigration Reform and Control Act (IRCA) en 1986 (Public
Law 99-603 ; 100 Stat. 3359), marque un nouveau tournant dans l’histoire
de la loi sur l’immigration des États-Unis, justement parce qu’elle se donne
pour principale préoccupation l’immigration sans titres. L’IRCA fut adoptée
au terme d’années de recommandations (édictées d’abord par une commission spéciale sur les politiques de l’immigration et de l’asile nommée par le
Congrès en 1978, puis par une Task Force au niveau du cabinet présidentiel
en 1981) et suite aux tentatives répétées des deux chambres du Congrès,
pendant plus de quatre ans, pour faire passer différents projets de loi visant
à réformer la politique de l’immigration. Les amendements de 1986 prévoyaient une « amnistie » sélective et la régularisation du statut de certains
migrants sans papiers. 15 Là encore, la loi instituait une procédure de régu15 – Les travailleurs agricoles sans papiers pouvaient obtenir le statut de résident temporaire
en prouvant qu’ils avaient travaillé dans l’agriculture de denrées périssables pendant
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
larisation favorisant les travailleurs sans papiers qui avaient fait de manière
certaine (et sans interruption manifeste) leurs « classes » dans l’« illégalité », ce qui avait pour conséquence d’accroître la vulnérabilité légale des
autres. En effet, l’IRCA ferma presque toutes les possibilités de régularisation pour tous ceux qui ne remplissaient pas ces conditions, et pour tous
ceux qui arrivèrent par la suite. De plus, les décisions de l’INS liées à la mise
en application des procédures de régularisation de l’IRCA contribuèrent à
renforcer l’équation diffuse qui assimilait « étrangers illégaux » et « Mexicains ». L’INS se battait avec persévérance dans les tribunaux pour que
l’amnistie soit réservée aux migrants dont le statut de sans-papiers remontait à leur entrée illégale sur le territoire (c’est-à-dire à ceux qui avaient traversé clandestinement la frontière) plutôt qu’à ceux qui s’étaient maintenus sur le territoire après l’expiration de leur titre de séjour. L’INS semblait
donc vouloir exclure de l’amnistie les résidents qui correspondaient le
moins au profil typique de l’« illégalité » des migrants mexicains sans titres
(Gonzalez Baker, 1997, p. 11-12). Le résultat prévisible fut que, en dépit
des estimations qui avaient précédé l’application des dispositions de
l’IRCA et qui évaluaient le nombre des migrants mexicains à environ la
moitié des migrants sans papiers, les migrants mexicains représentèrent
70 % des candidats à la régularisation, avec des pourcentages encore plus
hauts en Californie, en Illinois, au Texas et dans les zones de forte concentration de migrants / Mexicains (Ibid., p. 13).
L’Immigration Reform and Control Act de 1986 avait également établi pour
la première fois des sanctions fédérales contre les employeurs qui embauchaient en connaissance de cause des travailleurs sans papiers. Néanmoins, la loi prévoyait la possibilité d’une « défense affirmative » pour tous
les employeurs qui étaient en mesure de démontrer qu’ils avaient respecté
les procédures de vérification des titres de séjour. Ainsi, les employeurs
pouvaient-ils échapper à toute sanction simplement en observant et en
consignant par écrit une procédure de routine attestant du contrôle des
papiers, sans qu’il leur soit demandé aucune vérification de la légitimité des
documents présentés lors du contrôle. Dans la pratique, les sanctions préau moins 90 jours au cours de l’année précédente, et pouvaient demander le statut
de résidents permanents après un ou deux ans, en fonction du temps qu’ils avaient
passé comme employés dans ce secteur. Par ailleurs, ceux qui pouvaient établir qu’ils
avaient résidé sans interruption aux États-Unis depuis le 1er janvier 1982 étaient
reconnus comme pouvant accéder au statut de résidents temporaires, et pouvaient
demander le statut de résidents permanents après une période de 18 mois.
229
vues à l’encontre des employeurs générèrent une florissante industrie de
faux papiers, ce qui entraîna pour les travailleurs migrants à la fois des
dépenses supplémentaires et une plus grande responsabilité vis-à-vis de la
loi, alors même que les employeurs jouissaient d’une protection presque
sans faille (Chávez, 1992, p. 169-171 ; Cintron, 1997, p. 51-60 ; Coutin,
2000, p. 49-77 ; Mahler, 1995, p. 159-187 ; cf. U.S. Department of Labor,
1991, p. 124). De la même manière, au regard du caractère immensément
profitable de l’exploitation du travail légalement vulnérable (c’est-à-dire à
« bas prix ») des travailleurs sans papiers, les pénalités financières établies
par l’IRCA relevaient tout au plus, lorsqu’elles étaient appliquées, de coûts
opératoires sans conséquences pour les employeurs. Étant donné par
ailleurs que pour appliquer les sanctions prévues, l’INS aurait dû multiplier
les contrôles surprise sur les lieux de travail, il fut demandé aux inspecteurs
de notifier aux employeurs avec trois jours d’avance le contrôle de leurs
registres d’embauche, dans le but de rendre « pragmatiquement simple »
pour eux le fait d’être en règle avec la lettre de la loi (Calavita, 1992,
p. 169). Grâce à ce préavis et pour éviter les amendes associées aux sanctions, les employeurs avaient l’habitude de licencier ou de suspendre temporairement, juste avant le contrôle, les travailleurs qu’ils savaient être
sans papiers. C’est ainsi que ces dispositions servirent en premier lieu à
instaurer une grande instabilité dans les parcours des travailleurs migrants
sur le marché de l’emploi, en instituant en quelque sorte une « porte-tambour » interne. L’effet réel de ces apparentes « sanctions patronales » fut
donc d’aggraver les conditions de vulnérabilité et de pénaliser encore
davantage les travailleurs migrants sans papiers eux-mêmes.
L’Immigration Act de 1990 (Public Law 101-649 ; 104 Stat. 4978) n’avait
pas pour principal objet la migration clandestine, mais il introduisit néanmoins de nouvelles règles qui ne firent que peser davantage sur les enjeux
portés par la catégorie d’« illégalité ». Cette législation multipliait les motifs
d’expulsion des migrants sans papiers, en établissant de nouvelles sanctions punitives et en limitant les possibilités de recours judiciaire dans les
procédures d’expulsion. Entre autres dispositions 16, la législation de 1990
créa un programme spécial d’attribution de titres de séjour afin de favoriser
– au nom de la « diversité » – les migrations en provenance des pays qui
avaient envoyé jusque-là relativement peu de migrants (en clair : pas le
Mexique !). Par ailleurs, cette loi restreignait la juridiction sur la naturalisa16 – La loi de 1990 augmentait le quota national pour les migrations (hors exceptions)
et redéfinissait largement le système des préférences.
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
tion des migrants qui demandaient à devenir citoyens des États-Unis en
abrogeant une pratique en vigueur depuis 1795 qui permettait aux tribunaux d’accorder la nationalité et en réservant cette compétence au bureau
fédéral du Procureur général.
le caprice de la souveraineté
et la tyrannie du « Rule of Law »
Lorsque les migrants sans titres sont criminalisés et stigmatisés comme
« illégaux », leur « illégalité » ne porte préjudice à personne ; l’« illégalité » des migrants relève d’une transgression vis-à-vis de la seule autorité
souveraine de l’État-nation. En ce qui concerne les politiques de l’immigration et de la naturalisation, la souveraineté (telle qu’elle s’exerce dans l’autoritarisme forcené du contrôle des frontières, dans la détention, dans l’expulsion, etc.) revêt un caractère clairement absolutiste (Simon, 1998 ; cf.
Dunn, 1996). Et un semblable exercice absolutiste du pouvoir d’État
dépend sans conteste largement de la notion de « consensus démocratique », au nom de laquelle l’État s’autorise lui-même, à travers la fiction
politique du « contrat social », à agir dans l’intérêt de ses citoyens souverains, ou du moins, de « la majorité » d’entre eux. Aux États-Unis, la
logique circulaire de la souveraineté élude avec facilité l’histoire « racialisée » de la loi sur la citoyenneté, exactement de la même manière que cette
forme de « majoritarisme » esquive complètement l’histoire laborieuse qui a
produit une majorité « racialisée » comme « blanche ». L’image « racialisée »
de l’« illégalité » des migrant s / Mexicains peut en outre être rapprochée de
manière instructive de ce qui s’avère être dans les faits le caractère « racialisé » de la loi de l’État « démocratique ». À partir du moment où la culture
politique du libéralisme aux États-Unis fait du rule of law (« l’autorité de la
loi ») un symbole pour « la nation », le rôle instrumental de la loi dans la
production et le maintien des catégories de « racialisation » révèle quelque
chose de fondamental sur la figure glorifiée de la souveraineté « américaine » et de la « culture nationale », qui se conjuguent invariablement
dans le discours dominant du « contrôle de l’immigration ».
L’« illégalité » a historiquement été rendue à ce point inséparable de l’expérience des migrants que certains Mexicains ont, par provocation, revendiqué leur identité d’« illégaux ». Néanmoins, les possibilités de régularisation
prévues par l’amnistie de 1986 ont offert aux migrants mexicains une occasion tellement rare de « se mettre en règle » ou d’« arranger » (« arreglar »)
leur statut que, parmi ceux qui étaient en position d’y prétendre, peu déci-
231
dèrent de les ignorer. Le statut de « résident permanent légal » a largement
joué en faveur des aspirations des migrants qui avaient été arrêtés ou entravés par les risques considérables et les lourds désagréments du franchissement illégal de la frontière. Toutefois on note que, par exemple, dans l’État
de l’Illinois à partir de 1990, 75,6 % des migrants mexicains « légaux » sont
restés de manière significative non-citoyens (Paral, 1997, p. 8). En d’autres
termes, la course effrénée pour devenir migrant « légal » ne s’est pas transformée en un désir ardent de devenir citoyen des États-Unis. Néanmoins, à
partir du milieu des années 1990, dans un climat politique de nativisme
croissant et de racisme anti-immigrés largement liés à l’adoption de l’initiative référendaire californienne connue sous le nom de « Proposition 187 »,
les migrants mexicains commencèrent à considérer sérieusement la perspective de la naturalisation, et ce dans une proportion jusque-là inégalée.
Véritable point culminant de ces campagnes contre l’immigration, l’Illégal
Immigration Reform et l’Immigrant Responsability Act de 1996 (Public Law
104-208 ; 110 Stat. 3009) sont, dans l’absolu et jusqu’à présent, les législations les plus punitives qui aient jamais été adoptées, surtout en ce qui
concerne la migration sans titres (cf. Fragomen, 1997, p. 438). Elles prévoyaient des dispositifs de grande envergure pour criminaliser, arrêter, détenir, sanctionner par des amendes, expulser mais aussi punir de peines de
prison une longue liste d’« infractions ». Elles contribuèrent en cela à la fois
à amplifier significativement la production législative de l’« illégallité » et à
en approfondir la portée qualitative pour les migrants sans papiers et pour
les autres, qui leur étaient associés. De plus, ces lois excluaient les
migrants sans papiers de la possibilité de bénéficier de toute une série de
droits sociaux ainsi que des aides fédérales pour les étudiants. En effet,
l’Immigration Reform (ratifiée le 30 septembre 1996) avait été annoncée par
les vastes accords anti-immigrés de l’Anti-terrorism and Effective Death
Penality Act – AEDPA (Public Law 104-132 ; 110 Stat. 1214, adoptée le 24
avril 1996), ainsi que par la Welfare Reform, autrement appelée Personal Responsibility and Work Opportunty Reconciliation Act (Public Law 104-193 ;
110 Stat. 2105, votée le 22 août 1996). L’AEDPA imposa une « restriction
sans précédent des droits constitutionnels et des ressources traditionnellement
dévolues aux résidents légaux » (Solbakken, 1997, p. 1382). La Welfare
Reform promulgua des restrictions extraordinairement rigoureuses, qui
limitaient l’accès de la grande majorité des migrants « légaux » à presque
tous les droits sociaux qui dépendaient de la loi fédérale, autorisant ainsi
les États à restreindre leurs propres programmes sociaux de manière analogue. Sans s’étendre sur les nombreux détails de ces actes, qui, du reste,
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
n’introduisirent pas de nouvelles restrictions quantitatives, il suffit de dire
que leurs longs articles (qui concernaient en premier lieu les mesures coercitives et les sanctions pour séjour irrégulier) témoignaient d’une sévérité
sans précédent qui contribua à repousser les limites et à développer les
ramifications de la production légale d’« illégalité » migrante. En pénalisant
l’accès aux services publics et aux droits sociaux, ces dispositions frappèrent particulièrement les femmes migrantes sans papiers – et leurs enfants
– parce qu’elles étaient assimilées à la famille, à la reproduction, à l’installation à long terme des migrants latinos et donc à l’expansion spectaculaire
d’un « groupe minoritaire » (Chock, 1996 ; Coutin & Chock, 1995 ; Roberts,
1997). Étant donné les procédures déjà bien établies dont l’action se
concentrait déjà contre la migration sans papiers et particulièrement contre
les migrants mexicains, il y a peu de doute quant au fait que ces actes, au
moins avant le 11 septembre 2001, pesèrent de manière extraordinaire sur
les Mexicains comme minorité. Car le texte de la législation de 1996, pour
ce qui regardait son application, était truffé de références à « la » frontière,
signe révélateur d’une volonté disciplinaire vis-à-vis de la migration mexicaine en particulier. 17
le spectacle de la frontière
On fit donc de la migration mexicaine le synonyme d’une supposée « perte
de contrôle » sur les frontières de l’État-nation états-unien ; cela constitua
un excellent prétexte à la continuelle intensification, dans les faits, d’un
contrôle toujours plus militarisé (Andreas, 1998 ; 2000 ; Dunn, 1996 ; Nevins, 2002 ; cf. Chávez, 1992 ; Durand & Massey, 2003 ; Heyman, 1991 ;
1999 ; Kearney, 1991). C’est précisément « la frontière » qui fournit le
théâtre exemplaire pour donner le spectacle de l’« étranger illégal » qu’avait
produit la loi. En effet, l’« illégalité » semble être davantage et positivement
une transgression – et peut en cela être assimilée au comportement des
migrants mexicains plutôt qu’à l’action instrumentale de la loi sur l’immigration – justement quand elle est l’objet de contrôles de police à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Le caractère vague de la loi et sa
relative invisibilité dans la production de l’« illégalité » ont besoin de ce
17 – En termes strictement légaux, « la frontière » est constituée non seulement du périmètre
territorial de l’espace physique de l’État-nation mais aussi des points d’entrée dans
le territoire, par exemple les aéroports (Bosniak, 1996, p. 594, note 95). L’Immigration
Act de 1996 spécifiait toutefois qu’un nombre accru d’agents de la police des frontières
et de personnel auxiliaire serait déployé « le long de la frontière proportionnellement au
degré de franchissement illégal » (Titre I, Section 101 [c] ; souligné par l’auteur).
233
spectacle qui consiste à « rendre effective » la frontière, justement parce que
celle-ci rend visible l’« illégalité » racialisée des migrants / Mexicains, et lui
confère le sens commun d’un fait « naturel ».
L’opération de la « porte-tambour » à la frontière, nécessaire pour maintenir
l’effet d’« illégalité », conjugue toujours le spectacle de plus en plus militarisé des arrestations, des détentions, des expulsions – de même que les
conditions du franchissement toujours plus dangereuses et parfois mortelles pour échapper au contrôle – avec la banalité d’une importation quasi
permanente de travail migrant sans titres. 18 On retrouve fréquemment ce
paradoxe apparent dans les récits de nombreux Mexicains (surtout des
hommes) sur leur passage de la frontière dans lesquels, aux histoires de
grandes épreuves succède souvent la narration d’un parcours à peu près
sans embûches (Chávez, 1992 ; Davis, 1990 ; De Genova, 2005 ; Kearney,
1991 ; Martínez, 1994). En effet, bien que la police des frontières ait depuis
son institution désigné les entrées non autorisées comme « une offense
continue » ne pouvant se résumer au simple acte de franchissement, ce qui
lui permit d’établir sa juridiction effective sur le territoire intérieur dans son
entier (Ngai, 2004, p. 56), au cours du 19 ème siècle, les efforts des ÉtatsUnis pour entraver l’immigration se sont concentrés de manière massive et
permanente sur la frontière entre les États-Unis et le Mexique, tout en
maintenant une zone de tolérance relativement élevée à l’intérieur du territoire (Chávez, 1992 ; Delgado, 1993). La production légale de l’« illégalité »
des migrants / Mexicains a besoin du spectacle qui « rend effective » la frontière entre les États-Unis et le Mexique pour que la différence spatialisée
entre l’État-nation des États-Unis et le Mexique soit durablement inscrite
sur la figure des migrants mexicains, à travers leur statut spatialisé (et
« racialisé ») d’« étrangers illégaux ». Les catégories d’espace et de race sont
toutes deux centrales dans la construction de la spécificité de classe de la
migration de travail mexicaine. C’est pour cette raison qu’il est plutôt habituel d’entendre les migrants mexicains conclure expressément le récit de
leur franchissement de la frontière par des commentaires sur la faiblesse
des salaires. Ces récits des aventures et des mésaventures, mais aussi de
pures et simples catastrophes, survenus pendant le franchissement de la
frontière sont presque inévitablement interrompus par des considérations
récurrentes sur la vie aux États-Unis, singulièrement caractérisée par la
dureté du travail et l’exploitation généralisée (De Genova, 2005 ; Kearney,
1991 ; Martínez, 1994 ; cf. Mahler, 1995).
18 – Voir le propos de Heyman sur le « complexe de départ volontaire » (1995, p. 266-267).
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
Le spectacle qui consiste à « rendre effective » la frontière n’est toutefois pas
le seul spectacle de la frontière que génère et que perpétue l’« illégalité » des
migrants / Mexicains dans la vie quotidienne. L’effet de l’« illégalité », qui
engendre une vulnérabilité prolongée, doit être réactivé beaucoup plus souvent qu’à la simple occasion du franchissement de la frontière. On a dit que
la législation de 1986, qui prévoyait l’institution (au niveau fédéral) de
« sanctions » pour les donneurs d’ordres, fonctionnait comme l’extension
de la « porte-tambour » au niveau du marché du travail interne à chaque
entreprise employant des travailleurs migrants sans papiers. De la même
manière, le contrôle par la police des espaces publics en dehors des lieux de
travail, servit à discipliner les travailleurs migrants / mexicains en surveillant
leur « illégalité » et en exacerbant leur sentiment de permanente vulnérabilité (Chávez, 1992 ; De Genova, 2005 ; Heyman, 1998 ; Rouse, 1992 ; Coutin, 2000 ; Mahler, 1995). Les « illégalités » de la vie de tous les jours tiennent souvent au fait de ne pas posséder certains documents administratifs
qui sont des marqueurs de la position de chacun à l’intérieur ou à l’extérieur
des dispositions prévues par la loi (Cintron, 1997 ; Coutin, 2000 ; Hagan,
1994 ; Mahler, 1995). Le défaut de permis de conduire, par exemple, fut
habituellement considéré par la police des États-Unis, au moins pendant les
années 1990, comme un indicateur automatique de la condition plus généralement sans titres des latinos (cf. Mahler, 1995). 19 Car dépourvus de permis de conduire, ou d’attestation d’assurance automobile, les migrants
sans papiers peuvent être immédiatement contraints à payer des centaines
de dollars de pots de vin, conséquence aléatoire de la corruption diffuse et
des abus de la police, sur la base du présupposé cynique que ceux qui sont
vulnérables au regard de la loi peuvent être exploités plus facilement. En
effet, il n’y a presque aucun moyen pour les migrants sans papiers de ne pas
être toujours déjà coupables de quelque infraction à la loi. Leur condition,
en définitive, intensifie leur assujettissement à des formes quotidiennes
d’intimidation et de vexation. C’est précisément une telle forme d’« illégalité » qu’affrontent beaucoup de migrants latinos sans papiers en butte à des
expériences presque quotidiennes de surveillance et de répression. À cela
s’ajoutent les « illégalités » qui concernent plus généralement le contrôle
19 – Avant le 11 septembre 2001, seuls quatre États accordaient le permis de conduire
à tout résident ayant passé l’examen de conduite sans considération pour leur statut
légal (New York Times, 4 août 2001). En octobre 2003, toutefois, les lobbies antiimmigration comme la Federation for American Immigration Reform affirmaient que
24 États ne demandaient pas formellement aux migrants de résider légalement sur
le territoire pour obtenir le permis de conduire.
235
accru sur les corps, sur les mouvements et sur les espaces dévolus aux
pauvres – et particulièrement aux pauvres « racialisés » comme « nonBlancs ». Dans la mesure où la moindre confrontation avec les autorités
légales est déjà déterminée par la discipline que leur impose la peur de l’expulsion, de telles formes quotidiennes de vexation servent inexorablement
à renforcer la vulnérabilité des Mexicains et autres latinos sans papiers, en
tant qu’ils sont une force de travail hautement exploitable.
Par ailleurs, on ne peut réduire l’opération disciplinaire liée à un dispositif
de production quotidienne de l’« illégalité » migrante à l’intention supposée
de réaliser l’objectif apparent de l’expulsion. C’est l’expulsabilité, et non
l’expulsion en soi qui a fait du travail mexicain une marchandise hautement
disponible. Je voudrais m’attacher ici à mettre en valeur ce qu’ont été les
effets réels de l’histoire des révisions de la loi sur l’immigration aux ÉtatsUnis. Il ne s’agit bien sûr ni d’avoir l’inconscience de dédouaner la loi, en
considérant par exemple que ses conséquences puissent être « involontaires » ou « imprévisibles », ni de perdre du temps à jouer aux devinettes
complotistes pour faire la lumière sur ses véritables – bonnes ou mauvaises
– intentions. Mais si l’on veut être à la hauteur des ambitions d’une véritable enquête critique et d’une analyse sociale pertinente, il faut commencer par poser la question de ce que produisent réellement ces politiques.
Bien que leurs travaux ne tiennent pas suffisamment compte du rôle instrumental de la loi dans la production de l’« illégalité », Douglas Massey et
ses collègues ont très justement nommé la période qui suivit 1965 « l’ère de
la migration sans titres » et ils ont qualifié les opérations concrètes de la
police de l’immigration états-unienne en direction du Mexique de « programme de facto pour l’importation de travailleurs immigrés » (2002, p. 4145). Car bien sûr, les fonds qui auraient été nécessaires à l’expulsion de
tous les migrants sans papiers, ou à ce que la police des frontières soit en
mesure de « tenir la position », ne furent jamais débloqués. La police des
frontières elle-même ne fut jamais réellement équipée de manière à maintenir efficacement les sans-papiers hors des frontières. Au moins jusqu’aux
événements du 11 septembre 2001, l’existence même des secteurs exécutifs du désormais défunt INS (et notamment de la police des frontières)
avait toujours reposé sur la persistance des migrations sans papiers, et sur
la présence continuelle de migrants dont le statut légal de sans-papiers
avait été à la longue assimilé au caractère disponible (c’est-à-dire expulsable), et en définitive, « temporaire » de la marchandise qu’était leur force
de travail. Sans s’encombrer de considérations sur les agendas politiques
ou les déclarations d’intentions des uns ou des autres, on peut affirmer que
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
le véritable rôle social de l’application de la loi sur l’immigration des ÉtatsUnis (notamment par la police des frontières) au cours de l’histoire fut de
maintenir et de superviser le fonctionnement de la frontière comme
« porte-tambour », où se croisent simultanément l’importation et (dans les
faits, largement plus) l’expulsion des migrants (Cockroft, 1986). Tout en
faisant de la frontière le filtre qui autorise le transfert inégal de la valeur
(Kearney, 1998 ; cf. Andreas, 2000, p. 29-50), les rituels de l’application de
la loi réalisent le spectacle de la fétichisation de l’« illégalité » migrante,
exhibée comme « chose en soi », d’une apparente objectivité.
Avec l’avènement de l’État antiterroriste aux États-Unis, la politique de
l’immigration – notamment celle qui consistait à « rendre effective » la frontière – fut profondément modifiée sous l’égide d’un nationalisme étatsunien extraordinairement étriqué et d’un nativisme effréné. Cela eut pour
principal effet la complète absorption de l’INS par le nouveau Department of
Homeland Security, le 1er mars 2003. Ce moment sociopolitique se caractérisa en outre pour les États-Unis par l’éruption spectaculaire d’une véritable ambition impérialiste globale. Il n’est donc pas surprenant que, le 7
janvier 2004, l’administration Bush ait proposé un nouveau plan pour la
régularisation « temporaire » des travailleurs migrants sans papiers, et pour
le développement d’un système contractuel de régulation du travail
migrant, orchestré directement par l’État, et tout à fait analogue au Programme Bracero. Un tel plan de « régularisation » n’était en fait qu’une
manière simplifiée de s’assurer l’accès permanent à un travail migrant disponible (et toujours expulsable), mais dans des conditions de discipline et
de contrôle (« légaux ») extraordinairement accrues. Comme toutes les
formes précédentes de « régularisation » des migrants et, en vérité, conformément à toute l’histoire de la production et des reformulations légales de
l’« illégalité », une telle « réforme » de l’immigration ne pourra être contrée
que par le déploiement de luttes politiques à une échelle véritablement
transnationale, de luttes qui auraient en fin de compte pour enjeu la subordination – et l’insubordination – du travail.
Nicholas de Genova enseigne l’anthropologie au département
de Latino studies à l’Université Columbia de New-York.
Publié sous le titre « The legal production of mexican/migrant “illegality” », Latino Studies,
vol. 2, 2004, p. 160-185 – une version augmentée de cet article constitue le chapitre VI
du livre Working the Boundaries : Race, Space, and « Illegality » in Mexican Chicago,
Durham, NC, Duke University Press, 2005. Traduit par Jeanne Revel.
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La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
Mexique: guide d’entrée aux États-Unis
En 2004, le secrétariat aux Relations extérieures du gouvernement mexicain a édité
et diffusé un guide à l’usage des migrants qui tentent de passer et de s’installer aux États-Unis,
légalement ou pas – ce qui a créé un relatif incident diplomatique entre les deux pays...
Il nous a semblé intéressant de mentionner aussi ce type de documents, pour le moins étonnant,
en voici quelques morceaux choisis (textes et images).
L’intégrale est sur <www.sre.gob.mx/tramites/consulares/guiamigrante/default.htm>.
Introduction
Cher compatriote, ce guide
prétend t’apporter quelques
conseils pratiques qui peuvent t’être utiles au cas où
tu aurais pris la difficile décision de chercher de nouvelles
opportunités de travail en
dehors de ton pays.
La manière légale d’entrer
dans un autre pays, c’est
avec l’obtention préalable
de ton passeport délivré
par la délégation du secrétariat aux Relations extérieures
et du visa que tu sollicites à
l’ambassade ou au consulat
du pays où tu souhaites
te rendre.
Cependant, dans la pratique,
nous connaissons beaucoup
de cas de Mexicains qui tentent de franchir la frontière
nord sans les papiers nécessaires, en traversant des
zones à haut risque qui
impliquent d’affronter de
graves dangers, particulièrement dans des zones déser-
tiques et à travers des fleuves
aux courants forts et parfois
insoupçonnables.
À la lecture de ce guide,
tu pourras t’informer sur
quelques questions de base :
les conséquences légales
de ton séjour aux États-Unis
sans les papiers appropriés et
tes droits dans ce pays, une
fois que tu y es entré, indépendamment de ton statut.
Tiens toujours compte du fait
qu’il existe des mécanismes
pour que tu puisses accéder
légalement aux États-Unis.
Dans tous les cas, si tu
rencontres des problèmes
ou si tu dois affronter des
difficultés, rappelle-toi que
le Mexique compte 45 consulats dans ce pays. [...]
243
Risques : dangers
de la traversée de zones
à haut risque
Traverser un fleuve peut présenter des risques surtout
si tu le traverses seul et de
nuit. le poids des gros vêtements augmente au contact
de l’eau ce qui rend difficile
de nager ou de flotter.
Si tu traverses par le désert,
tâche de marcher aux heures
les plus fraiches, les routes et
les villages sont très éloignés,
c’est pourquoi ça te prendra
du temps de trouver des
chemins praticables, tu ne
pourras pas porter longtemps
des aliments et de l’eau, et
tu risques de te perdre.
L’eau salée sert à retenir
les liquides que tu as dans
ton corps. Même si tu as soif,
si tu bois de l’eau avec du sel,
le risque de déshydratation
est moindre. Les symptômes
de la déshydratation sont :
– peu ou pas de transpiration
– maux de tête
– grande fatigue ou épuisement
– difficultés pour marcher
et pour avoir les idées claires
– hallucinations et mirages.
Si tu te perds, suis les poteaux électriques, les voies
de chemin de fer ou les
chemins carrossables.
Attention
aux passeurs-« coyotes »
Ils peuvent te tromper en
t’assurant qu’ils vont te faire
passer en quelques heures par
les montagnes ou les
déserts. Cela n’est pas vrai !
Ils peuvent risquer ta vie
en te faisant passer par des
fleuves, des canaux d’irrigation, des zones désertiques,
des voies de chemin de fer
ou des autoroutes.
Cela a provoqué la mort
de centaines de personnes.
Si tu décides de faire appel à
un passeur pour traverser
la frontière, prends les précautions suivantes : ne le
perds pas de vue, rappelle-toi
qu’il est le seul à connaître
le terrain et, de ce fait, qu’il
est le seul à pouvoir t’en sortir. Méfie-toi de toute personne qui t’offre de te faire
passer de « l’autre côté » et
qui te demande de conduire
un véhicule ou d’amener
un paquet pour lui. Régulièrement, ces paquets contiennent des drogues ou d’autres
substances interdites. Pour
cette raison, beaucoup de
personnes ont fini en prison.
Si tu transportes d’autres personnes, tu peux être accusé
de faire le passeur-coyote, et
ils peuvent t’inculper de trafic
de personnes ou de vol de
véhicule.
Ne confie pas tes enfants
mineurs à des inconnus
qui te proposent de les faire
passer aux États-Unis.
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s
Si tu es arrêté
Ne résiste pas à l’arrestation.
N’agresse pas et n’insulte
pas les policiers.
Ne jette pas de pierres
ou d’autres objets sur les
policiers ni sur les patrouilles,
parce que ceci est considéré
comme une provocation
envers les policiers.
Si les policiers se sentent
agressés, il est probable
qu’ils utiliseront la force
pour t’arrêter.
Lève lentement tes mains
pour qu’ils voient que tu
n’es pas armé.
N’aie dans les mains aucun
objet qui puisse être considéré comme une arme. [...]
Ne cours pas ou ne tente
pas de t’échapper.
Ne te cache pas dans
des lieux dangereux.
Ne traverse pas des voies
rapides.
Il vaut mieux qu’ils te retiennent une heure et que tu sois
rapatrié au Mexique que de
te perdre dans le désert.
S’ils t’arrêtent,
tu as des droits !
Tes droits sont :
De savoir où tu te trouves ;
de demander l’autorisation
de communiquer avec un
représentant du consulat
du Mexique le plus proche
pour recevoir de l’aide ;
de ne rien déclarer ou de
ne pas signer de documents,
surtout s’ils sont en anglais,
sans la présence d’un avocat
ou d’un représentant du
consulat mexicain ;
de recevoir la visite d’un
médecin si tu es blessé ou
malade ;
d’être respecté et traité
dignement ;
d’avoir un interprète ;
d’avoir à boire et à manger
autant de fois que tu en as
besoin ; [...]
de ne pas être frappé
ou insulté ;
de ne pas être mis en
isolement ;
dans le cas où ils te prendraient tes affaires, demande
un reçu pour que tu puisses
les réclamer au moment de
ta libération.
Il est important que tu
signales toute violation de
ces droits à ton avocat ou
au représentant du consulat
du Mexique qui te rend visite,
ou encore à la délégation
la plus proche du secrétariat
des Relations extérieures
en territoire mexicain.
245
À éviter
Évite d’attirer l’attention,
au moins le temps de mettre
en règle ton séjour ou tes
papiers pour vivre aux USA.
Le meilleur moyen est de
ne pas t’écarter de la routine
travail-maison.
Évite les fêtes bruyantes,
les voisins peuvent s’énerver
et appeler la police et tu peux
être arrêté.
Évite de t’impliquer dans
des bagarres.
Si tu vas dans un bar ou
une boîte de nuit et que commence une bagarre, éloigne-
toi, parce que dans la confusion tu peux être arrêté
même si tu n’as rien fait.
Évite la violence familiale
ou domestique. De même
qu’au Mexique c’est un délit
aux États-Unis. La violence
domestique ce n’est pas
seulement des coups, c’est
aussi les menaces, les cris
et les mauvais traitements.
Si tu es accusé de violences
domestiques contre tes
enfants, ta conjointe ou
une autre personne qui vit
avec toi, tu pourrais aller
en prison. En plus, les
autorités de services de protection des mineurs – Child
protective services – pourraient te prendre tes enfants.
Ne porte pas d’armes à feu,
d’armes blanches ou d’autres
objets dangereux. N’oublie
pas que beaucoup de Mexicains sont morts ou sont en
prison à cause de ça.
Si la police vient chez toi,
ne résiste pas mais demande
l’« ordre de perquisition » correspondant. Il vaut mieux
coopérer et te mettre en communication avec le consulat
du Mexique le plus proche.
« Ce guide de protection consulaire n’entend pas promouvoir la migration de Mexicains
sans les papiers nécessaires exigés par le gouvernement des États-Unis ; son objectif est de faire
connaître ce qu’elle implique et d’informer sur les droits des migrants, même illégaux.»
La production légale de l’« i l l é g a l i té »des migrants/ M e x i c a i n s