Jean-Edern Hallier : propos inédits
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Jean-Edern Hallier : propos inédits
N"4 - JANVTFR LesCnurcRS I99B DUJouRNALtsuç Jean-EdernHallier : propos inédits Entrevueréalisée par |érôme Hesse Né en 1959 à Paris, a travaillé de nombreusesannées dans l'édition et la presse et a publié plusieurslivres. 214 Cet entretiena été réaliséà la fin de l'année 1987,à Paris,dans l'appartementde Jean-Edern Hallier.Il a étédiffusésur une radio localeprivée parisienne,où j'étais à l'époque journalisteanimateur-standardiste-producteur-homme de ménage,commele voulaitl'exaltationparticulière de cettepériode.Il faut le lire aujourd'huien le replaçantdans son contexte: 1987,l'année où après vingt-trois ans d'opposition,la Gauche arrivaitau pouvoi1attendueavecpassionpar des millions de Français,et notamment par ma génération,qui n'avait têté que le lait gaullopompidolo-giscardien depuissanaissance. Jean-EdernHallier était, à cette époque, l'intellectuelqui comptait: ami déclaréet reconnu du nouveau Président,penseur flamboyant, hommede coupsmédiatiques, écrivainincontesté. C'était une figure attirante, séduisante,pour l'apprentien intelligencede vingt-deuxans que j'étaisalors. 81.-97: beaucoupde chosesse sont passées. Hallierestmort,nousavonsperdudes Jean-Edern paquets d'illusions, appris à regarder et à comprendre.Pour ma part, aprèsquelquesmois de relationsplus ou moins amicalesavec]eanje me suis Edern (surtout très "parisiennes"), éloignédiscrètement à la rentréede 1982.Entretemps,il y avait eu cettehistoired'enlèvement, jamaisélucidée.Il y avait aussiun petit cirque permanentautour du personnage, qui a fini par me mettrevraimentmal à l'aise.Lesquinzeannées suivantesont été,on l'a vu, un véritablefestival, auquelj'ai assisté commetout le monde,incrédule, et personnellement attristé. Personnene peut enfermercet homme, le définir. Bernard-HenriLévy le qualifie de "pathétique"dans un article récent du Monde. JrnN-EopBN HnturB : PRoPostNÉotrs à PierreGoldman, Dollé,dansun livre qui vient de paraître,consacré Jean-Paul démontreles impostureset les posturesde Hallier, dandy qui se disait révolutionnaire et avaittout de mêmeépouséunehéritière. Quant à son ahurissanteet insupportablejoute avecFrançoisMitterrand (insupportabledes deux côtés,visiblement),elle en fait une caricatureà tout mythomane, point de vue. On pourrait encoreajouterqu'il était narcissique, maison ne l'auraquandmêmepas d'aucunsn'hésiterontpasà dire malhonnête, cernépour autant. et finalementassezinintéressants, Il faudraitpeu à peu oubliercesépisodes, Halliera toujoursétévraiment,et premièrement: un revenirà cequeJean-Edern où écrivain,dont le talentétaitsouventfoudroyant.De cetentretiendésordonné, il se montreune fois encoreincroyablement brillant,mais comédien,martyr et mégalomane(et désespéré), c'estce que j'ai pour ma part retenu.Lui-même, d'ailleurs,nousy invite. J.H.,octobrc7997 JérômeHesse: On ne peut pasvous définir,et ie croisque celane vous déplaîtpas.Mais si vous,vousdeviezle faire ? fean-EdernHallier : Je suis un écrivain,d'abord, totalement.Je suis totalementun écrivain,totalementun poète,totalementun hommedu discours. queje suisun créateur. C'est-à-dire ]e pensequelesécrivainssontaujourd'huiles Mais c'estune derniersdesMohicans.C'estune espèceen train de disparaître. parcequec'estune espècede la liberté,qui disparaîtra espècetrèsmystérieuse, pour un tempset qui renaîtra.Et qui ne peutpasne pasrenaître.Doncil peut se une pensée passerde longuespériodessanslittérature,avecdessous-cultures, uniformeet molle, avant de voir la littératurereparaître,renaître,commeun phænix renaîtde sescendres.Qu'est-cequ'un écrivain? C'est quelqu'unde totalementreconnaissable, quoi qu'il dise:c'estProust,Céline,dansunecertaine mesureConstant,Chateaubriand, Céline,Beckett.Il n'estpaspossible,en langue française, de faireune "grandelittérature"si l'on n'écritpasbien.C'estpossible dansleslangues"romancières" qui ont beaucoupd'adjectifs,commeleslangues DosPassos écrivaienttrèstrès anglo-saxonnes ; par exempleFaulkner,Steinbeck, mal au sensde noscritèresfrançais.Dostoïevski et Tolstoïécrivaientcommedes pieds.Ils étaientpourtantde grandsécrivains.Le drameet la grandeurde la languefrançaise, qu'onne c'estcetteespècede colonnevertébralegrammaticale peut absolument pastordre,ou trèsdifficilement.Sij'étaisun simplefabriquant de livres,un vrai industriel,je feraistravaillerdesnègres,je pondraismon livre tousles six mois,j'affineraismesrecettespour exploiterun filon, êtreun de ces marchandsde créneaude notremoyen-âge moderne,installédessusjusqu'àce et qu'il s'use.Non, je me remetsen questionde livre en livre complètement, j'essaiede rechargermes accus,de retravaillermon imaginaire.Je n'ai pas à 2r, Lrs CtutrRS DU JouRNALtstttt No4 - JANVTER l99B proprementparlerun grandimaginaire,c'està partir du déboîtement du réelque je peuxcréer.En cesens,le journalismem'estassezutile,et ma vie estle fumier de ma littérature. fH : En somme/vousêtesvotreplus grandbiographe? je parlepresquetoujoursà la premièrepersonne, mais I-EH : Effectivement, quelleimportance! Tout écrivainest Narcisse.Parceque resserrerson cercle autourde soi,commedisaitKafka,c'ests'adresser à l'universel.L universn'est peut-êtreaprèstout qu'uneillusion,cequelesphilosophes du XVIIIeont appelé l'idéalismepur, ou cequeBaudelaire appelaitévaporation, de soi. concentration La clarté,la clairvoyance de soi,c'estune manièrede parlerde tout le monde. Parler de soi, c'est parler des autres,c'est parler de n'importe qui peut se reconnaître en vous,commeje croisque c'estla missionmêmede la littérature. De mêmeque mon rôle d'écrivainestaussid'êtrel'intercesseur de cettesociété secrètequ'estla littérature,de repasser lessecretsde ma langueà desgensplus jeunes.En réalité,je suis toujours un enfant, j'ai toujours en moi ce que Gombrowiczappelle l'immaturité.Ilimmaturité, la capacitéde verdeur,de refleurissement intime,c'estçala forcedu créateur. pas? fH: Vousêtesaussiun enfantdansvotrevie,mêmequandvousn'écrivez complexe I-EH : Le rapportà l'enfancequeje peux avoir est extrêmement maispermanent.La mémoireque nousavonsde notreenfancefait de nos vies passées commedesvieséternelles. Le tempsdesgrandesvacances, quandj'avais septans,huit ans,ça durait dessiècles, bien sûr,et puis plus ça avance,plus les chosess'emballent, plus le tempsdevientcourt,plus le tempsvécudisparaît.il ne restequecetteespèce deplageéblouissante et lointainede l'enfance. C'estdéjà un peu le discoursde la littérature,c'est-à-dire un doublesouvenir,un souvenir déphasé, un souvenirdéplacé,comme,danslestoilesde Dufy,par exemple,les traitspeuventêtreà côtéde la couleur.Alorsc'estquoi,l'enfance? D'abordc'est un certaintotalitarisme.Ce n'est pas le totalitarismedes adultes,qui est un totalitarisme mou,c'estun totalitarismede la passion,c'estla quêtequi donnera chezl'adulte ce qu'on appellela quêtede l'absolu,aujourd'huisi décriée,si diffamée.L'enfanceestcemomentd'intelligence, de folie,de liberté,de cruauté, de tendresse, d'amour,et tout ça s'efface. n'estqu'un Jecroisque l'adolescence longâgeingrat,où surnoscerveauxs'imprimentlespoucesmousdesadultesqui essaientde nous impressionner, de nous influencer.Nous sommesde petites sardinesenfouiesau fond des classesd'âge, qui passentleur temps à être malaxéescomme de la pâte à modeler, par une série de faux-maîtres abominables. fH : Vous croyezqu'il est préférablede se retournercontrece qui vous opprime,ou bien de créercequi vousmanque? I-EH : Jecroisquetoutecréationvéritable,c'estle nln plssumus: << le mebnts, 216 JsN-EorBNHnrurR : PRoPostNÉars je nepeuxpassupplrtercemonde jt ,'y suispasà l'nise,je uaisêtreassassiné, moderne, nmssacré, meurtri,je uaisperdretoutcequifait maforceetmnaérité.,Donc,c'estdans la chute,pasdansla révolteou la rébellion,dansla chute,uneespèce de parcours en dentsde sciede l'animal,de l'hommefrappéà mort par le mouvementde la mort et de la chute,que secréentlesplus grandeschoses,à la fois en poésieet Alors il arrivemiraculeusement pour lespèresfondateurs. quecertaines chutes, fautesabsolues luthérien,descréations certaines deviennent,parle nonplssumus ou des fondations.C'estmystérieux,mais c'estainsi que celase passe: saint Ignace,sainteThérèsed'Avila, Marx. C'est le mouvementpropre du grand créateur. JH : Vousn'avezqueDieu à opposerà Marx ? I-EH : D'abord,je suispersuadéque Marx croyaiten Dieu, que c'étaitun réactionnaire absolu.Mais être réactionnaire, ce n'estpas être de Droite ou de Gauche,c'estne passupporterun mondequi ne ressemble plus à celuide votre enfance.Marx a inventéle marxismecommematérialismescientifique,parce qu'auXVIilesiècle,la science Il a voulucréer et la philosophie s'étaient séparées. unephilosophie-religion scientifique. IH : Mais quelle différencefaites-vousentre le réactionnaireet le ? conservateur s'adapte,renonce.C'estle pire. Il ne faut jamais J-EH : Le conservateur renoncer, pasplus qu'il ne faut renoncerà la recherche de la vérité.Si la véritéest trop forte,on la renie,on la vomit,et si on en reprend,on s'y habitue,on devient aicoolique.Le mondeestdiviséen réactionnaires qui peuvent et conservateurs, être de droite ou de gauche,peu importe. Mais l'avenir est toujours aux réactionnaires, et commedisaitChesterton, il esttoujoursà desvieuxmessieurs vieux-jeuqui invententdeschosesfabuleusement nouvelles. fH : Toujoursalleren avant ? Tomber.Tomber! Plusdure,plus hauteserala chute. I-EH : Passeulement. Et tomber,maisdansun mouvementqui vousserapropre,et qui sera,danstous lessensmétaphoriques du terme,une lignede vie. fH : Vousavezle cultedu malheur... I-EH : Oui. Il faut allerjusqu'aubout de la chutepour pouvoirrebondir.Ce qui esttrèsmauvaisdansla vie,c'estdeglisser, deglisserdansla vase,lentement. Ce qui estformidable,c'estde plongerjusqu'aufond du désastreet de la crise pour pouvoirrebondir. JH : PourqueI'on vousaime? le sacrifice absolu,je croisà cela.C'estcommecequ'on J-EH : Oui.L"amour, appellele gambitauxéchecs. Sesacrifiersoi-même. On a crachésur tout.Surles 217 l99B N"4 - tANV;ER Lrs CnnrRsDUJouRNAusut diseursde vérité,dont je suis,et on a crachéabominablement sur l'amour,au ies plus forts et lesplus profit de la sexualité,alorsque c'estun dessentiments sacrés.Alors il faut réinventerl'amour.Et en plus, il a cecide fantastique,et notammentl'amourphysique,qu'il produit quelquechosequi n'estabsolument Elle passocialisable. La jouissance n'estpasasservissable aux lois de la société. estanti-sociale, ellea toujourspermisau mondede ne pascreversur sonfumier raisonnable, r."amour,c'estaussila beautéla économiqueet pseudo-égalitaire. plus forte qu'il puissey avoir en matièred'art. Mais il faut d'abords'aimersoimême,pour aimer les autres.Quelqu'un qui se respecte,qui se connaît de genssontd'abordabjects suffisamment, peut aimer.Jecroisqu'énormément La plupart des enverseux-mêmes. C'estun problèmede dignitéphilosophique. gens avec lesquelson vit sont absolumentmorts, demi-morts.Ce sont des survivants,et j'ai souventl'impression,quand je fais mes polémiques,par exemple,de fairemal à desgensassissur leur fauteuil,queje réveille,et qui sont complètement anesthésiés. Lessurvivantsqui nousentourentne supportentpas de la qu'on les réveille.Alors mon discoursestun peu celui d'un somnambule lucidité. jH : Un peu cequedisaitWilde:< La araieaieestsi souaentcelleq{on ne a i t p a s> . . , I-EH : Bien sûr ! C'estle combatpermanentdesvivantset desmorts,des vivants d'aujourd'hui,et des faux vivants, c'est-à-diredes morts qui nous entourent.Lesgensaliénés,lesgensqui ont choisilesmille formesde servitude que proposeia société.Moi, je suis un homme libre, c'est-à-direun homme inutile.Jene fonctionnepasdansle systèmedu rendementqueveutnotresociété actuelle.Jene faispaspartienon plus de cequej'appellerais le régimemarchand et économiste. à la grandefamillespirituelle.Jesuisun maîtreà déJ'appartiens penser,à interpellernotresociété.Et j'ai l'habitudede la haine,qui estde même naturequel'admiration,commedisaitFreud. JH : Toutplutôt quede resterdansle silence? qui sortsonépéedebois,c'estcertain. I-EH : Oui.Jesuisun petitcombattant C'estmon côtébretteur.Maisen allantplus loin,j'estimequ'il y a un rapportréel avecautrui,dansla polémique.Il y a un affrontement;et cesontlesépoquesles plus polémiques, les Lumières,le XVIIesiècleou la Renaissance, qui ont étéles époqueslesplus violentessur le plan desaffrontements individuels,qui ont été lesplusgrandesaussisurle plandesdécouvertes Nous de l'espritet dela pensée. l'affaiblissement constatons de la penséemoderneau profit d'uneespèce de sousdiscoursd'uniformisation,de faussepolémique,ou à l'absencede polémique, entredesgensqui setiennentaujourd'huipar la barbichette et vivent dansune sont sorted'oligarchiequ'il ne fait jamaisbon dénoncer. Lespolémiques actuelles des polémiquesde sergent-major ou de cuistre.Alors moi, je sorsla croix,et quandon sortla croix,on fait sortirlesdémons.Ceterrorismeme concernant, ces 2'B Jrm-EorBNHtrurB : PRoPos:NED:TS dénonciationscontre moi, pire que Cringoire[journal d'extrême-droitequi paraissaitavantla guerre]ou l'antisémitisme le plus violent,c'estparcequej'ai sorti la croix.Jeme suisréférétout à coup au mondede la vérité.Lesgensne s'attachentplus qu'aux apparences, dont ils ne connaissentmême plus les ombreset les lumières.La vérité,par rapportà l'exactitude, est le plus fort imaginairequel'hommeait jamaispour dénoncerlesimpostures. Alors on parle de mes changementsdans mes itinérairesintellectuels.C'est faux. Mes changements d'humeur,meschangements de passionsne sont que les facettes d'un mêmepersonnage, mais des facetteslégitimeset vraies.On a voulu faire prendrepour une incohérence ce qui n'est que le discoursdes facettesd'un personnage. crois au contraire que je suis quelqu'unqui a une profonde Je cohérence. Mon discours,c'estla recherche de la vérité,ce qu'on appelleen termesreligieuxl'apologétique, de sespropres qui passepar la dénonciation erreurs.Et moi je suistoujoursen avanced'uneerreursur lesautres. fH : Peut-onencorevous croirequandvous parlezainsi ? on a fait de Daliou de Picasso desclowns,parcequ'onne J-EH : Voussavez, je suis lescomprenait pas.On lesa bouffonnisés. Et je croisqu'àbiendeségards, bouffonniséparcequecequej'écris,commePicasso, estun patchworkde traits, de couleurset de pensées. C'estuneinsulteauximbéciles, ne se et lesimbéciles trompentpasquandils m'attaquent.L originalité,ou la force,ou la profondeur de mon travailde créateurne peut êtrequ'uneinsulteà l'imbécillitéambiante. L'erreurde mesdétracteurs, c'estqu'ilsprennentà la lettretout cequej'écris.Je >,tout le monderépéterait< ll estun sssnssin ,. C'estdirais: < le suisun assassin à-direqueje lesentraînesur mon propreterrain,où, finalement,je lesperdsde vue. JH : Mais vousaussi,vousvousêtespeut-êtreperdude vue ? quemesvictoiressepassent de chute I-EH : Jecroisquej'ai toujourséchoué, en chute,de désastre en désastre. Mais là, c'estl'art de la littérature,c'estde passerdu pouvoirperduà la souveraineté, de récupérer par la souveraineté ce j'auraisbeaucoupvoulu être qu'on perd sur le plan du pouvoir.Parexemple, ministre;je ne l'ai jamaisété. |H : Celavousparaîtvraimentsi important? I-EH : Oui, ça m'auraitplu. Mais avecle moindrepoint d'appui,comme aurait dit Archimède,j'auraisvoulu souleverle monde,jouer à la vérité,au sérieux,au monderéel.Jeseraisdangereux commehommepolitique,parceque je risquerais de fairele pire,diredeschoses bien. JH : C'estpour jouerla comédie,ou pour resterenfant,quevousvoudriez êtreministre? qui ont I-EH : C'est par jalousieenversLamartineet Chateaubriand, 219 Lrs CnutrRSDUJouRNAusur N"4 - JANVTER II IB d'ailleursétéde mauvaishommespolitiques.Maisje n'ai pasde rapportavecla politique,j'ai un rapportavecl'Histoire.Moi, je ne m'adresse à l'Histoirequ'au traversde la littérature,à laquelleje reconnais un pouvoirinfini sur lesâmes,qui n'est pas une manièrede libérerou d'asservirles gens,de tenir un discours démagogiquede plus sur le prix de la vie, le confort,l'inflation,le bonheur politique.Le discoursdu bonheurpolitiqueestun anachronisme du XIXesiècle. La littérature,c'estla capacitéabsoluede parler ou d'humilier,d'offenser,sans pour autant feindre de libérer.C'est s'adresserau tréfonds où chacun se j'ai pris reconnaît. La littérature,c'estla liberté; c'estaiderlesgens.Evidemment, positionpour Mitterrand,quej'aimebeaucoup. Jen'ai aucuneraisonde changer d'aviscommecela,mêmesi je nepartagepastoujoursmespropresopinions,loin s'enfaut.]e connaisMitterranddepuis1969.11a assisté à un desprocèsfait à mon journalL'Idiotinternntional. C'étartun procèssur lestravailleursimmigrés,où j'ai été condamnéà un an de prison avecsursis.Mitterrandétaitvenu au fond du tribunal dans sa robe d'avocat,et il regardaitla présidentedu tribunal Mme Rozès,qui avaitdéjàà l'époquedessympathiessocialistes. A partir de ce geste de Mitterrand,uneamitiéasseztenaceestnéepuis s'estdéveloppée. Nousavons eu de longuesconversations littéraires,personnelles maisje ne lui et affectueuses, ai jamaiscachémon absence d'affinitéspour sesidéespolitiques.Aujourd'hui,je n'ai donc pas de rapport avecun présidentde la Républiquequi s'appelle FrançoisMitterrand.J'aiun rapportavecdeuxprésidentsde la République, deux FrançoisMitterrand.Le Mitterrandde mon réel,et celui de mon imaginaire.Et lorsqueFrançoisMitterranddéfaille(demon point de vue: politiquement), eh bienje suistrèsembêtépour mon personnage de romanFrançoisMitterrand,et à ce moment-là,je dénoncele personnageréel pour sauvermon personnage imaginaire,et je suiscomplètement affolé.Jeme dis : j'ai écrit quarantearticles sur lui, il y a vingt pagessur lui et nosrelationsdansmon Iivre Chngrind'amour, à proposduquelil a écritquej'étaisle plus grandécrivainde ma génération, mais je crois qu'il ne sait pas ce que sait un écrivain: un écrivain,confrontéà un hommepolitique,a toujoursdeuxpersonnages enfacelui :le réelet l'imaginaire. je croisquechaquehommed'Etatestà lui-mêmeun personnage de roman.Pour arriverau pouvoir,il faut êtreun extraordinaire de roman.Mais ce personnage sont desromansqui ne se répètentpas.Le destinde Mitterrandest arrivé au stadede son accomplissement politique.On ne peut rien prévoir.Mais quelle catastrophepour moi si Mitterrand n'était pas un grand présidentde la République. s'il vousnommaitministre! C'enseraitfini de JH : Et quellecatastrophe votrerelation... étéun bonministre.Qui vousdit queje nele seraipas. J-EH : J'auraispeut-être fH : Vousperdriezvotreamitié... c'est I-EH : La seulechosequi m'ennuieraitdansunefonctionministérielle, 260 Jrax-EorBnHaurB : pRoposINED:TS le temps perdu. Pas celui du travail, à proprementparler,celui de la représentation, de la vanité... ! JH- Mais vous aimezça,la représentation et mieux I-EH : Oui,je suisun écrivainmoderne,et j'exprimeparfaitement rapidité. phosphorescence,la quelesautresnotremodernitépar la fulgurance,la dansles médiasest un mondeoir on peut faire Je croisque la représentation au sensoù l'entendaitMacluhan,et quel'avenirn'est passerl'éclair,l'électricité, plus aux idéologuesou aux gens de la penséelente, mais à une pensée rapide,fulgurante. extrêmement JH : Après78,vousjetiezFrançoisMitterrandà la trappe,vouslui disiez de seretirer. le rôle de l'appareildans la prise de complètement I-EH : Je méjugeais Mitterranddessocialistes. pouvoirpolitique,quandje me suisefforcéde séparer Maisvoussavez, du XXesiècle],le corpspolitique commele disaitPareto[politiste il faut lui apporterdu sang estcomparable au sang.Il sevicieprogressivement, neuf d'un corpsconstituédifférent,le sangde la pensée. Quantà comparerla politiqueà une religion,commed'autresle font,celame paraîtêtreuneerreur,à l'heureoù,justement,Mitterrandchoisitcommeemblèmesur saphotoofficielle LesEssais de Montaigne,qui sont la plus haute expressionde la laïcitéet de l'impertinence. Etpersonne n'a réfléchi,saufpeut-être Glucksmann, à cemystère, à ce choix d'un Humanismequi n'a rien à voir avec l'humanismebêlant L'Humanisme d'aujourd'hui. de Montaigneestaristocratique, c'estceluidu plus hautsavoir,ledernierhéritagede l'Humanisme de la Renaissance, qui n'a rienà voir ni avec la communale,ni avec ses écrivains.Moi, cette photo m'a longuement renduperplexe, car finalementellesevoit commele nezau milieu de la figure,et personne n'a essayé de méditersur cesymbolequepouvaitêtre Montaigne, c'est-à-dire ! cequ'il y a de plus raffiné,de plusaristocratique fH : Alors que Mitterrandne fait iamaisrien au hasard. J-EH : C'estun choixintentionnel. fH : Le jugez-vousbon écrivain? je dois auxquels, I-EH : Il y a chezlui des accentslyriques,lamartiniens l'avouer,je suis sensible. Sa poésien'estpas mauvaise. C'estpresqueun très grand écrivain.Les quatrepremierschapitresdu Corls d'Etntpermanent sont absolument magnifiques. Maisil y a aussicesfleursderhétorique IIIeRépublique qui me sontinsupportables. Mitterrandnaviguedanscettecontradiction,de la réthoriquemorteà la penséevivante,forte et lyrique.Il auraitpu devenirun grandécrivains'il n'avaitfait que de la littérature; maissa littérature,c'estla politique,c'estla prisede pouvoir.Il la fait touslesjoursdanssonbureaude l'Elysée. 261 l99B Lrs CnneRSDUJouRNAusur N"4 - JANVTER IH : De 1936,année de votre naissance,mais égalementdu Front populaire,à L98L,annéeoù la Gaucherevientau pouvoiç quel bilan tirez-vous de I'implicationdesintellectuels dansla politique? : Le intellectuel, dansles pouvoir c'estl'æuvre,cen'estpasla présence I-EH médias,ou lescollaborations que vouspouvezavoir danstelsjournaux,ou des passages à la télévision,mêmesi sur ceplan-làje suisbienservi,je doisl'avouer. Et qu'est-cequ'un intellectuel? C'est un écrivainraté. Ce qui compte,c'est l'influencequequelqueslivrespeuventavoir,qui ferontleurtravailde taupe,non pasau fond de la terre,maisdansle cerveaude celuiqui ieslit. Si,depuisquinze ans bientôt, malgré tous les ennemisque je peux avoir, je n'ai pas été complètementdémoli, disqualifié,si tous les jours, d'une chute à l'autre,je devienschaquefois plus entendu,plus puissant,par la souveraineté de mes écrits,c'estparcequeje mèneuneespèce de guerillade la vie qui estje croiscelle despaysansd'avenir,ou celleque pouvaitmenerdans1984de GeorgeOrwell, WinstonSmith,le dernierhomme libre. Lui aussidisait la mêmechoseque Nietzscheou moi, à savoirque l'avenirappartientà la mémoirela plus longue. Et danscetextraordinaire chef-d'æuvre, à quoi trinquentlestroishommes? A la mémoire.La perte de la mémoire,c'estla mort. Or, nous sommesdans une sociétédu présent,du bonheurau présent,à tous niveaux.Et de plus en plus nombreuxserontdemain les intellectuelsqui participerontà ce pouvoir de l'idéologieun peu vague,de plus en plus répanduedansle discoursdesclasses moyennessur l'intelligence.De plus, nous vivons dans une époqueoù la dialectiquede la véritéet du mensonge n'existeplus.]e croisqu'il faut sebattre, appelaitun témoindevérité.Quoiqu'il vousarrive, pour êtrecequeKierkegaard qu'on vous crachedessus,que vous soyezbafoué,insulté, que vous ayez l'impressionde ramerà contre-courant, eh bien il faut continuerà avoir cette fonction,qui consistenon pasà caresser le public hypothétiquedansle sensdu poil, mais à aller a contrario.Moi, j'ai toujours dénoncéla sous-culture journalistique, Et dans qui semarietrèsvolontiersà la sous-culture universitaire. ce pot-bouilleidéologiqueoù chacuntouille commeil peut, la penséeclaire, l'imagination,la compréhension en font les frais. Plus on informe,moins on comprend,plus on sepenchesur leschoses, plus on metdeslunettespour ne pas lesvoir. Il y a aussideslunettespour rendreaveugle.Le journalismeestà mon avisun handicappour celuiqui essaierait de déchiffrerlesclefs,lesénigmeset les mystèresde la sociétéà traversla presse.C'estlà que le rôle de i'écrivainme paraît décisif.Je penseque la littératureremisedans la presseécrite,c'est,à l'heurede l'information,de la multiplicationdespossibilitéstélévisuelles ou de radio, la seulemanièrede refairedes analysesqui ne soientpas conformistes. Nous avonsde plus en plus besoind'écrivains,de genslibres,de penseursqui aientla fonctiond'indicateurssociauxde notremodernitéI 262