une analyse du rôle de la France au sein du Parlement Européen
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une analyse du rôle de la France au sein du Parlement Européen
LES FRANÇAIS ET LE PARLEMENT EUROPEEN 1er juillet 2009 Document rédigé par : MM. Jean DUMANT et Nicolas VALLET, étudiants en licence de droit à la faculté de droit de Laval (Université du Maine) Document préparé avec le concours de : Mlles Diane BAILLAU, Bérénice BRIAND, MM. Julien DUVAL, Benjamin FAGUER, Mlles Charlène FRUITIER, Pauline GUÉDON, M. Marc JATTEAU, Mlles Coralie LEGRAND, Morgane LETHON et M. Kevin QUÈNE, étudiants en licence de droit à la faculté de droit de Laval (Université du Maine) Relecture : M. Johan HERVOIS, A.T.E.R. (droit public) à l’Université du Maine Le 7 juin 2009 se sont tenues les élections européennes, à l’occasion desquelles ont été désignés les nouveaux députés qui siégeront au Parlement européen à Strasbourg et Bruxelles. Ces élections ont été l'occasion de s'interroger sur la relation entre le Parlement européen, la France et les Français. C'est en mars 1958 avec la création de la Communauté économique européenne (CEE) qu'est apparue l'Assemblée parlementaire européenne, renommée Parlement européen en 1962 et n'était alors dotée que du seul pouvoir de consultation. En 1979, le nombre de parlementaires a été une nouvelle fois augmenté et les membres ont été élus directement par le peuple pour la première fois pour une durée de cinq ans. Ensuite l'effectif du Parlement européen a simplement augmenté à chaque élargissement. Si le Traité de Lisbonne entre en vigueur, le Parlement européen comptera à partir de la législature suivante 750 députés. Entre le Parlement et les Français c'est donc une histoire directe de trente ans. Force est de constater qu'avec le temps l'intérêt des Français pour le Parlement s'est émoussé puisque la participation aux élections n'a fait que décroître à mesure que le temps passait. De même la classe politique ainsi que les médias français ne se sont jamais bousculés pour s'en préoccuper. Avec un tel état d'indifférence qu'en est-il aujourd'hui de la place de la France et des Français au Parlement européen? Et quelle est la relation entre les Français et le Parlement? I – Les Français au Parlement européen La France est l'un des États qui comptent le plus de représentants au Parlement européen, 78 soit autant que le Royaume-Uni et l'Italie. Seule l'Allemagne en compte davantage avec 99 députés. Pourtant, il apparaît que c'est également l'un des États dont la représentation est la moins bien assurée. A – L'influence des députés français au Parlement 1. Le manque de représentativité des élus français a. Un éclatement des élus français Le désintérêt des citoyens français pour le Parlement européen s'est traduit par un fort taux d'abstention qui est passé de 39,3 % en 1979 à 57,2 % en 2004, malgré un recul en 1994 dû principalement à la meilleure information des citoyens suite aux débats sur le référendum pour l'adoption du traité de Maastricht. De plus, parmi les votants, on constate une forte tendance au vote sanction vis-à-vis du gouvernement en place au niveau national : en 1979, sous un gouvernement de droite, la gauche (PS, PC et MRG) obtient 41 députés contre 40 pour la droite (UDF et RPR). Cet écart se creusera en 1984, sous un gouvernement socialiste où le RPR et l'UDF obtiennent 41 sièges contre seulement 30 pour le PS et le PC, le FN entrant ainsi dans l'assemblée avec 10 députés. A partir des élections de 1989, on constate également que les députés français sont issus de listes de plus en plus nombreuses : en 1979 seules 4 listes avaient obtenu assez de suffrages pour obtenir des sièges sur les 11 listes présentées, en 1999, les représentants de 9 listes différentes entrent dans l'hémicycle de Strasbourg sur les 20 présentées. Le nombre de listes en course lors des élections européennes a ainsi constamment augmenté depuis 1979 alors que le nombre de sièges dont dispose la France a diminué et que l'abstention a grimpé. En 2004, première élection au sein de circonscriptions régionales, pas moins de 40 listes se sont présentées pour 78 sièges. La réforme régionaliste voulue par le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin a permis une meilleure représentativité des élus français au niveau territorial mais elle a également eu des effets pervers. Ainsi, cette réforme a forcé les partis politiques français à ouvrir les listes à d'autres candidats que ceux qui se présentaient à eux en premier lieu, à savoir des personnes presque exclusivement franciliennes qui ne pouvaient pas connaître des préoccupations des Français de toutes les régions et a ouvert la voie aux représentants des départements d'outre-mer jusqu'alors un peu oubliés. Le revers de la médaille a été de voir fleurir les listes de candidats avec parfois des considérations très « franco-françaises » telles que l'Alliance Royale ou La France d'en bas... Ces listes n'ont certes pas obtenu suffisamment de suffrages pour que leurs candidats puissent siéger au Parlement mais elles ont recueilli ensemble plus de 12 % des suffrages, ce qui entame d'autant la légitimité des candidats élus. Toutefois, il faut relativiser cette forme d'éclatement des députés français au sein du Parlement européen. Si on compare avec d'autres États le nombre de listes qui obtiennent des sièges en 2004, on constate que la France est loin d'être un cas isolé. L'Italie, État ayant le même nombre de représentants que la France, a des députés issus de 21 listes différentes, ceci étant dû au mode de scrutin qui attribue des sièges même aux listes ayant obtenu moins de 5 % des suffrages. A l'inverse, le Royaume-Uni n'a vu que 8 listes représentées, soit un résultat comparable à la France pour un système d'élection assez proche. De plus, malgré ces critiques, la France est, avec l'Allemagne et l'Espagne, le pays qui a vu le plus souvent un de ses représentants présider le Parlement depuis 1979, 3 des 12 présidents du Parlement élu au suffrage universel direct furent des Français : Simone Veil, Pierre Pflimlin et Nicole Fontaine. b. Un renouvellement trop rapide pour acquérir suffisamment de poids. Le nombre de députés lors de la dernière législature européenne était de 785. Pourtant, il apparaît que 921 députés ont successivement siégé sur les bancs du Parlement – soit un turn-over de près de 20% entre deux élections – 136 députés ayant démissionné durant leur mandat. Il existe peu de chiffres pour expliquer ce taux important. Quoi qu’il en soit, les députés français semblent être plus intéressés par des fonctions nationales, même de moindre importance, que par leur mandat de député européen. Ainsi, selon un article paru dans Regard Sociologique en 2004 (n° 27-28, article de Willy Beauvallet et Sébastien Michon), 11% des députés français ont démissionné de leurs fonctions durant la législature de 1999 à 2004, soit pour un poste au gouvernement (3%), soit pour un mandat de sénateur ou de député à l'Assemblée nationale (8%). Ces chiffres montrent que le Parlement Européen est pour beaucoup d'hommes et de femmes politiques français une « voie de garage » en attendant un poste à Paris. Cette interprétation a été confortée par l’adoption le 13 janvier 2009 de la loi n° 2009-39. S’inscrivant dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme constitutionnelle de 2008, elle assure aux députés européens élus dans les circonscriptions françaises qui auraient quitté un poste de parlementaire national pour ce mandat européen de retrouver leur place dans l'hémicycle qui les a vu partir en cas de démission ou de non-réélection... Ce taux de turn-over pendant une législature est encore plus frappant lors des campagnes pour la réélection. Ainsi, sur les 31 députés européens que compte depuis 2004 le Parti socialiste, seuls 11 étaient en position d’être réélus en 2009. Quant à l’Union pour un Mouvement Populaire, elle se trouve dans une situation comparable. En tout, près de la moitié des représentants français au Parlement européen change à chaque législature, s'ils n'ont pas déjà changé pendant cette législature, ce qui illustre l'intérêt que porte la classe politique française à ce type de mandat. A titre de comparaison, en Allemagne – où le mandat européen est vu comme la consécration d'une carrière politique – 70% des députés sortants se représentent. Le cas particulier de la candidature de Rachida Dati achèvera de convaincre les plus sceptiques : la présentation de l’ancienne ministre de la justice en position éligible sur la liste UMP d’Ile-de-France a fait suite à différentes affaires ayant terni son image. Il lui était ainsi offert de « se mettre au vert » à Strasbourg en attendant que les conditions pour son retour sur la scène politique nationale soient réunies. Cette stratégie politique a d'ailleurs été vivement critiquée par un autre député européen, l'écologiste Daniel Cohn-Bendit, lors d'un entretien sur BFM-TV le 11 mai 2009, où il a déclaré « Vous croyez que Rachida Dati ira au Parlement Européen ? Mon œil ! Se taper le travail en commission, se taper l'endroit où il n'y a pas de caméra, où on ne peut pas la voir ni voir quelle robe elle a ? » 2. Le travail des députés français Les députés français au Parlement Européen sont parfois sortis du lot par leurs participations remarquables aux travaux législatifs. On pourrait ainsi citer Pervenche Berès, présidente de la commission aux affaires économiques et monétaires, Philippe Morillon, président de la commission sur la pêche, ou bien Alain Lamassoure, auteur de nombreux rapports parlementaires dont un sur l'application des normes européennes dans l'ordre juridique interne des États membres. On remarque ainsi que, en 2009, 2 des 20 commissions parlementaires sont présidées par des députés français, soit autant que l'Espagne, la Pologne, le Royaume-Uni ou l'Italie, des pays comparables en termes de population et de représentation au sein du Parlement. Le travail d'un député, aussi bien français qu'issu d'un autre État membre, n'est cependant pas facile à évaluer. Peut-on évaluer un député en fonction du nombre d'amendement qu'il présente lors du vote d'un règlement ou d'une directive? Dans ce cas les députés responsables d'une certaine forme d'obstruction parlementaire par la mise aux voix de centaines d'amendements pour ralentir l'adoption d'une règle et réduisant d'autant l'efficacité de l'institution où ils siègent seraient considérés comme de bons députés alors qu'ils mettent à mal le travail parlementaire et la crédibilité de l'institution elle-même. Peut-on se baser sur le nombre d'interventions orales lors des assemblées plénières du Parlement? Au contraire du Parlement français, le Parlement européen n'est pas considérée comme une assemblée d'orateurs : les interventions sont courtes (deux minutes de parole par député), concises et la plupart du temps très techniques, ce qui les rend difficiles à évaluer. Doiton prendre en compte le nombre et la qualité des rapports rédigés par les députés pour les évaluer? Il faudrait alors se demander qui peut se permettre de juger ces rapports dans leur aspect qualitatif, sachant que le nombre de rapport n'est pas un critère suffisant pour une bonne évaluation. Un ancien assistant parlementaire, Flavien Deltort, a lancé le site Parlorama, qui classe les députés européens présents dans l'hémicycle entre 2004 et fin 2008 en fonction des critères précédemment cités et de la présence dans les sessions parlementaires, seul lieu où la présence des parlementaires facilement vérifiable puisque le vote par procuration n'existe pas dans cette institution. Il ressort de cette évaluation que les représentants français sont assez mal classés à de rares exceptions près. Selon le classement Parlorama, un seul député français se retrouve dans les vingt premiers : il s'agit de Pervenche Berès. Sur les cent premiers dans ce classement, on ne retrouve que cinq représentants français... A l'inverse, on retrouve neuf députés français dans les cent derniers de ce classement, dont deux dans les vingt derniers (à savoir Paul Vergès et Philippe de Villiers). Ce classement permet aussi de voir que ce sont les personnalités politiques les plus connues qui sont dans le bas du tableau (en plus des deux personnes déjà citées, on trouve également Jean-Marie et Marine Le Pen, Vincent Peillon ou Michel Rocard) alors que le haut du pavé est tenu par de quasi anonymes en France, si on excepte Philippe Morillon – qui est plus connu pour sa carrière militaire que pour son rôle au Parlement Européen – Harlem Désir – dont le nom reste surtout associé aux mouvements anti-racistes – ou Jean-Marie Cavada – ancien journaliste et directeur de Radio France. Le taux de présence au Parlement reste une question épineuse. Les députés expliquent qu'on ne tient compte de leur présence que pour les sessions plénières, outre que les motifs de leurs absences (maladie, raison familiale, déplacements, missions ou conférences diverses) ne sont pas pris en considération. Cette critique est fondée, d'autant plus que le taux de présence des représentants des européens au sein de l'hémicycle de Strasbourg n'est pas plus honteux que le taux de présence des députés au sein de l'Assemblée nationale, par exemple. Reste l'apparence : les citoyens comprennent difficilement que leurs représentants ne soient pas présents dans l'hémicycle même pour un débat important sur la politique agricole commune, par exemple, où seuls 25 députés sur 785 étaient présents le 26 mars 2009 (soit un taux de présence de 3,2%). Il est cependant reconnu que la réalité du travail parlementaire s'effectue en commission. Il serait alors plus logique de prendre en compte le taux de présence lors de ces travaux. Or, si les registres de présence en commission existent, ils ne sont pas rendus publics. Selon un article de Jean Quatremer sur le blog du journal Libération, le bureau du Parlement Européen a voulu rendre public ces registres le 12 janvier 2009, initiative ratifiée par les députés en session plénière avant que le même bureau décide de changer d'avis le 6 mai. Ce revirement s'explique, selon le député écologiste Gérard Onesta (luimême classé 92ème selon le site Parlorama), par les pressions probablement subies par le Bureau du Parlement pour que les personnalités politiques les plus reconnues dans leurs pays respectifs ne voient pas leur absentéisme étalé au grand jour. B – L'influence de la France au Parlement européen 1. La France, membre fondateur L'idée européenne a été inspirée par des philosophes et des intellectuels de tous les pays comme avait pu le rappeler Louise Weiss, femme politique française qui a présidé la première séance de la première législature du Parlement élu au suffrage universel en 1979. Si la nécessité de construire l'Union européenne n'est pas neuve, il a tout de même fallu attendre 1950 et le discours de Robert Schuman pour que les efforts soient perceptibles. L'idée était avant tout de créer un couple franco-allemand fort pour donner un cœur à l'Europe. C'est pour cette raison que Strasbourg a été choisie comme siège du Parlement européen : la ville qui cristallisait les revendications territoriales contradictoires de la France et de l'Allemagne devait devenir le symbole de l'unité européenne. Si la France est l'un des membres fondateurs de la Communauté européenne, il est clair que la classe politique française s'est toujours méfiée d'une assemblée délibérante européenne trop puissante. Dès la création de l'assemblée parlementaire européenne, l'Allemagne a souhaité que ses membres soient élus et non nommés mais la majorité des hommes politiques français s'y opposaient, perpétuant l'idée gaulliste selon laquelle la souveraineté ne pouvait résider que dans la Nation et une assemblée supranationale ne pouvait donc pas exister. Il faudra attendre la présidence de Valéry Giscard d'Estaing pour voir un changement de ton. Le président Giscard d'Estaing permit une augmentation des pouvoirs du Parlement, ce qui impliquait de combler son déficit démocratique en permettant son élection au suffrage universel. Cette décision fut très critiquée en France, notamment lors de « l'Appel de Cochin » de Jacques Chirac. Un pouvoir trop grand laissé au Parlement européen a longtemps été une crainte de la classe politique française. La plupart des partis politiques dénoncent le caractère trop technocratique des institutions européennes tout en faisant abstraction du poids grandissant de l'organe qui représente les peuples européens (ou le peuple européen?) : on critique « Bruxelles », la Commission, éventuellement le Conseil, mais on ne s'attaque pas au Parlement, alors que les réformes institutionnelles successives n'ont fait qu'accroître ses attributions au détriment des autres organes de la Communauté. La place de la France comme membre fondateur de l'Union Européenne semble, volontairement ou non, être souvent oubliée au profit de la critique faite à la Communauté, ce qui ternit l'image de la construction européenne devant l'opinion publique. 2. La France, vieille gloire ou toujours en pointe? a. Les effets de l'élargissement de l'Union européenne Depuis la première élection du Parlement au suffrage universel en 1979, le nombre de députés français est passé de 81 à 87 (en 1995), avant de diminuer progressivement jusqu’à atteindre le nombre de 74 (après les élections de 2009). Ce nombre de représentants reste important – la France est aussi bien représentée que le Royaume-Uni ou l'Italie – mais ce nombre doit être relativisé. Il est concevable que dans une Communauté européenne de plus en plus large, la part de la population française dans la population totale de l'Union a été décroissante, mais le désintérêt des dirigeants français successifs vis-à-vis du Parlement n'a pas joué en faveur de la délégation française. Le Parlement européen compte aujourd'hui 751 députés venus de 27 États membres. On constate que la représentation française a décliné si on la compare à la part de la population française dans la population de l'Union : en 1979, 20,5% de la population de la communauté était française, tandis que 19,7% des députés au Parlement étaient français ; en 2009, la population française équivaut à 13,1% de la population de l'Union Européenne, mais seulement 9,8% des députés européens sont français. Cette évolution négative pour la position de la France au Parlement européen est due d'abord aux élargissements de l'Union depuis la première élection en 1979 (18 nouveaux États sont entrés dans la Communauté depuis que le Parlement est élu au suffrage universel), mais elle est également due à la volonté des dirigeants français d'avoir plus de poids à la Commission qu'au Parlement, ce qui confirme l'interprétation selon laquelle la classe politique française s'est désintéressée du Parlement, ne reconnaissant pas cet organe comme important. Lors du traité de Nice, l'Allemagne a souhaité obtenir un plus grand nombre de voix au Conseil des ministres européens. Devant l'opposition française, un compromis fut trouvé qui consista à augmenter le nombre de députés allemands au Parlement. Ce compromis réduisit encore la place de la France au Parlement. Depuis la création de l'assemblée parlementaire européenne qui allait devenir le Parlement européen, cette institution fut le lieu de confrontation de différentes visions de l'Europe et de différentes visions des normes nécessaires pour y parvenir. Ainsi, l'entrée du Royaume-Uni et de l'Irlande dans la CEE en 1973 a-t-elle introduit le système de common law au Parlement. La Pologne et l'Espagne ont, quant à elles, fait pression lors de la rédaction par la Convention européenne (composée en partie de députés européens) du traité qui devait instituer une constitution pour l’Europe pour introduire une référence à l'héritage chrétien de la culture européenne. La vision française du droit s'est trouvée en partie noyée dans les différentes interprétations, l'exemple le plus parlant étant la notion de service public qui existe en France depuis le début du vingtième siècle mais qui n'a été réellement reconnue au sein de l'Union européenne que par le traité d'Amsterdam. b. Un déclin prévisible Si des pays comme l’Allemagne, la Grande Bretagne ou les nouveaux entrants ont compris que c’était à Bruxelles et à Strasbourg qu’il fallait être influent et ont décidé d’y envoyer leurs meilleurs élus, en France, les partis politiques se concentrent sur la politique franco-française et négligent le Parlement européen. Les lamentations de certains hauts personnages politiques à l'idée d'être candidats désignés en disent long sur l’enthousiasme qui les habite à la perspective de siéger au Parlement. Cette critique n'est pas nouvelle, elle avait déjà été formulée par le président Chirac en 2004. La division des élus français au sein de trop nombreux groupes politiques nuit à l'efficacité de leur représentation du peuple français, mais tenter de réduire ce problème serait une forme de négation de la volonté des citoyens que les députés représentent. Le paradoxe réside dans le fait que le scrutin proportionnel européen donne une meilleure représentativité des opinions politiques françaises au parlement de Strasbourg que le scrutin uninominal majoritaire ne le fait au Palais Bourbon sans que les Français ne s'estiment plus concernés à Strasbourg qu'à Paris. La preuve en est que pour les élections européennes de 2009, 161 listes ont été déposées, ce qui n’a pas empêché l'abstention de battre encore des records, en s’établissant à 59,4% des électeurs inscrits. La faiblesse de la représentation française vient également du fait que les élus n'ont pas de relations avec leurs homologues nationaux. Le vote de la loi « création et internet », dite loi « HADOPI », a particulièrement bien illustré ce sévère manque de communication entre le Parlement français et le Parlement européen. Celle loi fut, en effet, élaborée sans tenir compte du vote d'une directive européenne interdisant la suspension d'une liberté fondamentale sans intervention de l'autorité judiciaire, ce qui a donné lieu à un débat entre la Ministre de la culture française et plusieurs députés européens quant à l'applicabilité de cette directive en droit français et à la sanction de l’incompatibilité de la loi française vis-à-vis de cette directive. Si une telle situation perdurait, nos partenaires européens apprendraient à agir sans faire appel aux députés français, qui apparaissent éphémères et peu motivés, aux dépens des intérêts des citoyens français. Pour défendre ses intérêts, la France a besoin de députés qui soient eux-mêmes influents au Parlement, ce qui n'est malheureusement pas suffisamment le cas (à de rares exceptions près). En 2004, Georges Berthu, député européen proche de Philippe De Villiers, avait énoncé huit propositions pour « améliorer l'efficacité française au Parlement européen » dont : - permettre une meilleure coopération entre les parlementaires français et les députés européens ; - réorganiser les groupes parlementaires pour réduire les disparités entre les députés français ; - rendre le travail des députés européens français plus visible afin de valoriser leur travail et de leur donner envie de le poursuivre. Ces propositions semblent être de bons moyens d'améliorer et de valoriser les députés français, ce qui peut constituer une réelle surprise de la part d'un député issu d'un parti connu pour être très « euro sceptique » et dont le dirigeant cherche régulièrement à décrédibiliser la construction européenne... II – Les citoyens français et le Parlement européen A – Une désaffection profonde vis-à-vis du Parlement… 1. Un parlement mal considéré Le Parlement a acquis avec chaque traité davantage de poids et avec le Traité de Lisbonne il aura enfin les pouvoirs législatifs les plus étendus. C'est donc une institution qui devient de plus en plus importante, surtout dans une Europe où 90% des textes applicables sont d'origine européenne. Cependant, le Parlement européen souffre du traitement qui en est fait par la classe politique et par les médias français. En effet, les citoyens français voient l'Europe et le Parlement à travers le prisme très réducteur que les partis politiques français et les médias veulent bien leur offrir. A bien y regarder le Parlement est fort peu mis en avant sur la scène politique nationale, les lamentations d'hommes ou de femmes politiques à l'idée d'être contraints par leurs partis à être candidats ne donnent pas une image positive de cette institution. Il existe peu de députés européens qui soient vraiment visibles et qui puissent rendre le Parlement concret aux yeux des Français. De plus, il est très rare qu'un élu européen soit ensuite promu à la Commission ou comme ministre, de sorte qu’être un député européen est considéré en France comme un trou dans une carrière alors qu'il s'agit d'une consécration dans un pays comme l'Allemagne. De plus, les hommes politiques français ne font que très rarement référence au Parlement et ne parlent pratiquement que de « Bruxelles » ou de la « Commission » pour désigner l'Union européenne, faisant abstraction du Parlement. Le gouvernement français ne semble pas même suivre systématiquement les dossiers qui y sont débattus (comme nous l’avons déjà vu s’agissant du vote de la loi HADOPI). Les députés européens appartenant à la majorité se plaignent d'ailleurs de ce manque de suivi puisque même lorsqu'ils sollicitent une consigne de vote auprès du Gouvernement, il arrive qu'ils n'aient pas de réponse. La dernière campagne électorale est symptomatique de ce manque de considération du Parlement, les listes électorales ayant été préparées à la dernière minute, alors même que certaines listes pour les régionales étaient déjà prêtes. Si la classe politique est en partie responsable de cette méconnaissance de l'importance du Parlement, le traitement qui est fait de cette institution par les médias est tout aussi dommageable. Selon une enquête menée par la Commission européenne en 2007, "pour une majorité écrasante de citoyens le journal télévisé constitue "le" rendez-vous télévisuel par excellence, immanquable. [...] C'est, massivement, "la" source principale d'information sur l'actualité nationale et internationale ". Or, sur les douze mois ayant précédé les dernières élections européennes, l'INA indique que sur les six grandes chaînes hertziennes seuls 2,3 % des sujets ont porté sur l'Europe avec une prime à Arte qui monte à 6 % ce qui donne une idée du faible traitement européen sur les autres chaînes beaucoup plus suivies en terme d'audimat. Les chaînes de télévisions et les journaux ont pour but de vendre leurs reportages. Or, l'action du Parlement européen, aussi importante et concrète soit-elle, n'est pas 'spectaculaire' et ne séduit (ou ne divertit) donc pas la majeure partie des citoyens. Les journaux traitent donc plutôt des grandes directives polémiques de la Commission (comme la directive Bolkenstein) ou des faits divers (comme l'effondrement d'une partie du plafond du siège du Parlement à Strasbourg). Le Parlement est en fait occulté lors de ces reportages par les réunions de chefs d'Etats, les grandes conférences et les sujets plus « exceptionnels » (comme l'adhésion de la Turquie), qui captivent davantage que le dernier vote du Parlement sur la conformité des roues de tracteurs... 2. Un parlement méconnu des citoyens Le Parlement ne bénéficie donc pas de la considération appropriée que ce soit de la part des hommes politiques ou de la part des médias et par conséquent n’intéresse pas les citoyens. Un cercle vicieux se met alors en place. Les enquêtes d'opinion menées auprès des Français consacrées à l'information sur l'Europe tendent à révéler une forte demande d'information. Ainsi, 85% de nos compatriotes interrogés dans une enquête de la Commission européenne de 2006 considèrent-ils qu'il est important d'être informé sur la politique et les affaires européennes. Cependant, dans la même enquête, ils étaient 72% à se considérer comme mal informés. Ce sondage est indicatif de la réalité et le Parlement n'est pas une institution très connue du citoyen français. En effet, un sondage effectué sur cent personnes choisies au hasard dans les rues de la commune de Laval indique que cinquante d'entre elles situent le Parlement à Bruxelles, vingtdeux à Bruxelles et Strasbourg et huit dans une autre ville, tandis que vingt sondés avouent n'en avoir aucune idée. A ces mêmes personnes, il a été demandé le nom d'un ou plusieurs députés européens élus en 2004 dans la circonscription électorale « Ouest » (Bretagne, Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes) et seules douze d’entre elles ont été en mesure de donner une réponse correcte (dix autres sondés ont donné le nom de députés européens élus dans d’autres circonscriptions électorales). En outre, le rôle même du Parlement européen est mal connu des Français, qui n'identifient pas clairement les missions spécifiques du Parlement (les réponses apportées à nos questions par les personnes sondées ont beaucoup varié, le rôle de la Commission européenne, celui du Conseil et celui du Parlement européen ayant été le plus souvent confondus). On ne se mobilise que pour ce que l'on connaît et cette méconnaissance du Parlement et de son importance se traduit par une baisse importante de la mobilisation lors des élections européennes en passant de 60% de votant en 1979 à 43% en 2004. Un sondage de l'Ifop pour un magazine français a cherché à établir quels avaient été les 714 principaux sujets de conversations des Français sur les cinq années écoulées. Seuls 10 portaient sur l'Europe dont 4 en 2004 avec les élections européennes et le débat sur l'adhésion de la Turquie, loin derrière les sujets sur la vie privée des hommes et femmes politiques français. L'Europe elle-même semble donc absente des préoccupations des Français. Le Parlement semble encore plus lointain. B – Qui appelle une réaction importante Cette distanciation entre le Parlement européen et les citoyens français ne peut qu'être préjudiciable à l'institution et il est urgent de ressouder ce lien. Cela passe par un effort pédagogique d'information ainsi qu'une amélioration démocratique de l'approche du Parlement. 1. Un effort pédagogique Un sondage Eurobaromètre de 2006 révèle qu'en matière d'information sur les actions de l'Union européenne et son rôle, les Français étaient 30,5% à privilégier le rôle des gouvernements nationaux, 22,2% celui du Parlement européen et seulement 15,5% celui des médias. Le Parlement fait beaucoup d'efforts pour informer sur son action. Chaque année, 300 000 personnes, dont 20% de Français, visite ses locaux. Il s'agit pour l'essentiel de lycéens, d'étudiants et de journalistes. Ce travail permet au Parlement de disposer d'une caisse de résonance qui peut sembler importante mais qui reste insuffisante pour accéder au grand public. Le grand public souhaiterait vraisemblablement une politique publicitaire plus agressive, ce que les moyens financiers du Parlement semblent ne pas permettre. Exceptionnellement, le Parlement a fait diffuser un clip télévisé humoristique visant à inciter les électeurs français à participer aux élections du 7 juin 2009. Cependant, avec ses capacités financières limitées, le Parlement ne peut à lui seul informer et former les citoyens. Il est nécessaire que cet effort soit relayé par les médias nationaux ainsi que par les partis politiques. La chaîne parlementaire Public Senat, qui est diffusée sur la TNT, parvient efficacement à transmettre aux citoyens-téléspectateurs l'information politique en général. Elle consacre d’ailleurs du temps aux sujets européens et donc au Parlement européen. De même, l'intervention du président de la République devant le Parlement européen a permis à de nombreuses émissions de présenter davantage l'importance de ce dernier. 2. Un effort politique La réforme du mode de scrutin européen de M. Raffarin pour les élections européennes de 2004 a vraisemblablement contribué à rapprocher le député européen de l'électeur. En effet, la création de huit grandes régions a permis une plus grande personnalisation des listes électorales, ce qui est de nature à améliorer chez les électeurs la perception des enjeux politiques. Cependant, cette réforme est loin d'être suffisante pour comble le déficit d'intérêt pour cette élection. Il y a une réelle nécessité de porter un projet européen lors de ces élections au lieu d'en faire un vote-sanction, même si cela peut sembler plus efficace électoralement. En transformant ce scrutin, qui a toujours vu l'opposition nationale l'emporter, en un test de popularité, on le vide de signification politique et le citoyen s'éloigne du scrutin, n’étant plus concerné. Au contraire, si les partis rappelaient que les décisions prises au Parlement européen représentent 90% de la réglementation applicable à leur vie de tous les jours, alors sans doute se mobiliseraient ils à la hauteur des enjeux. La politisation des enjeux européens comme la Turquie, le plan de relance anticrise européen ou encore les directives contestées est de ce fait une excellente nouvelle du point de vue du processus de démocratisation de l'Union européenne et du Parlement. C'est à travers le débat politique, avec des visions contrastées de leurs rôles et des politiques à y mener, que les citoyens français apprendront à mieux connaître ceux-ci.