Bérénice - biblio
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Bérénice Racine Livret pédagogique établi par Marie-Henriette BRU, professeur certifié de Lettres classiques en lycée HACHETTE Éducation Conception graphique Couverture et intérieur: Médiamax Mise en page Maogani Illustration Bérénice et Phénice © Hachette Livre-Photothèque Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2003. 43, quai de Grenelle – 75905 PARIS Cedex 15 ISBN: 2.01.168703.9 www.hachette-education.com Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des articles L.122-4 et L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but d’exemple et d’illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause,est illicite». Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit, sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. SOMMAIRE AVA N T - P R O P O S 4 TA B L E 6 D E S CO R P U S RÉPONSES AU X Q U E S T I O N S 10 B i l a n d e p re m i è re l e c t u re . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 0 Ac te I , s c è n e 4 Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 2 Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 1 6 Ac te I I , s c è n e 2 Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 1 Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 2 4 Ac te I I I , s c è n e 3 Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 8 Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 3 0 Ac te I V, s c è n e 4 Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 4 Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 3 7 Ac te V, s c è n e s 6 e t 7 Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 1 Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 4 4 BIBLIOGRAPHIE CO M P L É M E N TA I R E 48 AVANT-PROPOS Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Bérénice, en l’occurrence, permet de travailler sur la tragédie classique, l’élégie, et constitue une voie d’accès pour une étude du théâtre, du monologue délibératif et de la stylisation de la parole au théâtre. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe. • Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et des tableaux donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages 4 de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage ; les notions indispensables sont rappelées et quelques pistes sont proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener à construire sa propre lecture analytique du texte. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion. 5 TABLE DES CORPUS Composition du corpus Corpus Les lieux élégiaques (p. 48) Texte A : Extrait de la scène 4 de l’acte I de Bérénice de Jean Racine (p. 40, v. 187, à p. 41, v. 208). Texte B : Le Lac d’Alphonse de Lamartine (pp. 49-50). Texte C : Le Pont Mirabeau de Guillaume Apollinaire (pp. 51-52). Texte D : Extrait du début d’Aurélien de Louis Aragon (pp. 52-53). La tragédie romaine (p. 72) Texte A : Extrait de la scène 2 de l’acte II de Bérénice de Jean Racine (p. 59, v. 371, à p. 61, v. 419). Texte B : Extrait de la scène 5 de l’acte IV de Horace de Pierre Corneille (pp. 72-73). Texte C : Extrait de la scène 2 de l’acte I de Britannicus de Jean Racine (pp. 73 à 75). La stylisation de la parole dans le dialogue de théâtre (p. 101) Texte A : Scène 3 de l’acte III de Bérénice de Jean Racine (pp. 91 à 96). Texte B : Extrait de la scène 5 de l’acte II de L’École des femmes de Molière (pp. 102 à 104). Texte C : Extrait de la scène 2 de l’acte III de Ruy Blas de Victor Hugo (pp. 104-105). Texte D : Extrait d’Un mot pour un autre de Jean Tardieu (pp. 105 à 107). 6 Objet(s) d’étude et niveau Le biographique (Première) Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques Question préliminaire Quel type de souvenirs s’attache aux lieux évoqués dans chacun des textes du corpus ? Commentaire Comment et vers quoi est ranimé le souvenir ? Le théâtre : formes et langage (Première) Question préliminaire Quelles différentes représentations de la raison d’État sont données dans ce corpus de textes ? Commentaire Dans quel rôle fureur et désespoir enferment-ils Camille ? Les réécritures (Première) Question préliminaire Quelles arrière-pensées se laissent deviner en chacun des dialogues du corpus ? Commentaire Comment est rendu pathétique l’« appel au grand homme » ? 7 TABLE DES CORPUS Composition du corpus Corpus Les aspects littéraires du monologue délibératif (p. 120) Texte A : Scène 4 de l’acte IV de Bérénice de Jean Racine (pp. 113 à 115). Texte B : Extrait de la scène 6 de l’acte I du Cid de Pierre Corneille (pp. 120 à 123). Texte C : Extrait de La Nausée (« Mardi 30 janvier ») de Jean-Paul Sartre (pp. 123 à 125). Choisir « la porte étroite » (p. 154) Texte A : Scène 7 de l’acte V de Bérénice de Jean Racine (pp. 146 à 149). Texte B : La Mort des pauvres de Charles Baudelaire (p. 155). Texte C : Extrait du chapitre VIII de La Porte étroite d’André Gide (pp. 156 à 158). 8 Objet(s) d’étude et niveau Argumenter et délibérer (Première) Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques Question préliminaire Par l’expression de quels sentiments est rendue intéressante la parole solitaire inscrite dans les extraits du corpus ? Commentaire En quoi ce monologue est-il un monologue délibératif ? Argumenter et délibérer (Première) Question préliminaire À quel type de résignation chacun des textes du corpus fait-il allusion ? Commentaire Quelle est la double leçon morale de ce poème ? 9 RÉPONSES AUX QUESTIONS Bilan de première lecture (p. 160) a Les cinq années séparant le moment présent du temps où Bérénice a rencontré Titus sont évoquées dans le rappel douloureux que fait Antiochus à deux reprises (v. 25, 209) de son silence amoureux, et dans la confidence de Titus à Paulin au vers 545. Au vers 503,il y est encore fait allusion avec l’adverbe «jadis». Aux vers 13391340,Titus rappelle une dernière fois cet espace de cinq années. z Bérénice est reine de Palestine. La liste des personnages le mentionne. e Jérusalem est la ville détruite par Titus. Cet acte guerrier, destiné à réprimer les troubles attachés à une guerre civile, est évoqué dans sa rudesse (« siège aussi cruel que lent») aux vers 229-232. r À deux reprises, le personnage de Bérénice développe dans ses répliques l’apothéose de l’empereur Vespasien. C’est, aux vers 164-166, la présentation du sénat qui en a décidé; c’est ensuite, aux vers 301-313, l’évocation des fastes officiels et populaires qui en ont marqué la célébration.Le cérémonial de l’apothéose vient de se dérouler dans la nuit qui précède l’action dramatique ; il représente la clôture glorieuse des obsèques de Vespasien, dont le décès remonte à huit jours. En liaison avec ce décès sont évoquées aussi les brillantes cérémonies religieuses qui inaugurent le règne du nouvel empereur Titus (v.318-320);Bérénice s’y réfère pour expliquer sa sortie à la fin de l’acte I. Elle quitte la scène pour participer aux prières et sacrifices se déroulant en l’honneur de Titus. t Ces deux types de cérémonies, qui grandissent la fonction impériale jusqu’à la sublimer, ont amplifié chez Titus le sens du devoir et l’ont encouragé à penser et vivre sa fonction en renonçant à ses passions et à son bonheur personnel. y L’acte I met clairement en évidence que l’attente de Bérénice est l’annonce officielle de son mariage avecTitus.L’acte II,dès le vers 446,définit l’attente deTitus comme une attente de rupture définitive marquée par le départ de Bérénice,fixé au lendemain. u Antiochus est chargé par Titus d’informer Bérénice de la répudiation qu’il n’a pas le courage de lui annoncer lui-même. Le roi de Comagène exécute cette mission à la scène 3 de l’acte III. i La première rencontre sur scène deTitus et de Bérénice a lieu à la scène 4 de l’acte II; la seconde à la scène 5 de l’acte IV.Dans les deux cas,l’un surprend l’autre.C’est d’abord Bérénice qui,en allant versTitus,le surprend :«Mais parliez-vous de moi quand je vous ai surpris ?» (v.582).Puis,on a le mouvement inverse :en allant vers Bérénice,Titus la surprend alors qu’elle sort de ses appartements (v.1042 :«Ah ! Seigneur,vous voici !»). 10 Bilan de première lecture o Le «Pour jamais je vais m’en séparer» du vers 446,adressé à Paulin,se retrouve dans l’information que reçoit Antiochus au vers 714 («il faut la quitter») et qu’il transmet à Bérénice au vers 894 en ces termes : « […] à jamais l’un de l’autre il faut vous séparer. » Au vers 1044, Bérénice, devant Titus, répète ces mots, sans vouloir y croire,les reprenant pour interroger Titus.Celui-ci confirme la répudiation sans rien changer à la formule; il dit à la reine au vers 1061 : «Car enfin, ma Princesse, il faut nous séparer.» q Bérénice parle en amoureuse abandonnée par un infidèle et un ingrat (IV).Gloire et vertu politiques prétextées par Titus sont pour elle «barbarie» (v.1175),«injustice» (v. 1187), et méritent la vengeance que peut être sa mort par le suicide. s Bérénice propose à Titus de renoncer au mariage et de rester à Rome.Titus lui oppose sa faiblesse d’amant toujours épris et la loi romaine; tout en se laissant aller à des pleurs, il refuse d’autoriser le séjour de Bérénice à Rome. d L’espace de l’Empire romain,dans Bérénice,est souvent assimilé aux dimensions de l’univers.Le terme même d’«univers» remplace l’expression «Empire romain» en plusieurs passages. Cette confusion amplificatrice s’observe à plusieurs reprises dans les propos de Titus (v.466,1035,1059) et dans ceux de Bérénice (v.1078,1085,1485), mais se voit également dans les propos d’Antiochus (v. 221) et de Paulin (v. 1211). f Phénice représente par ses craintes un point de vue proche de celui de Paulin.La confidente encourage en effet Bérénice à se méfier du silence et des dérobades de Titus,en évaluant le juste poids sur lui de la loi romaine dans le choix d’une épouse. Dès l’acte I,en cinq vers (v.292-296),elle analyse la situation amoureuse de Titus et de Bérénice, comme le fait Paulin dans sa tirade de l’acte II (v. 371-419). Ce qu’elle propose à la reine, informée de sa répudiation par Antiochus à l’acte III, ressemble aussi à la leçon de Paulin à Titus aux vers 414-419.Quand elle encourage Bérénice à la grandeur d’âme (v. 904), on retrouve le vocabulaire de Paulin applaudissant le choix qu’a fait Titus de renoncer à sa passion. Le confident félicite l’empereur de son «amour de la gloire» et de son «grand courage».Les deux confidents,Phénice et Paulin, montrent ainsi un profil très cornélien. g Agrippa, le frère de Bérénice, avait approuvé et encouragé le mariage de sa sœur avec Antiochus (v. 189-193). h L’arrivée de Titus en Judée,pour écraser la guerre civile,a mis à mal ce projet.Le coup de foudre entre Titus et Bérénice a évincé Antiochus. Le triomphe militaire de Titus a forcé le roi de Comagène à une allégeance durable. j Antiochus, depuis trois ans, est à Rome. Il y est venu poussé par le «désespoir» où le tenait l’absence de Bérénice, installée à Rome par Titus (v. 239-240). 11 RÉPONSES AUX QUESTIONS k Arsace représente le confident optimiste qui recommande à son maître de ne pas désespérer et de tirer avantage de toutes les évolutions du drame entre Titus et Bérénice.Au fil des scènes,il met en avant l’amitié de Titus pour le roi de Comagène, puis l’opportunité de la répudiation de Bérénice et de son retour sous la protection d’Antiochus.Arsace veut toujours «annoncer un bonheur» (v. 1257-1258). On peut le tenir pour perdant avec le dernier mot de la pièce, formulé par Antiochus : «Hélas !» (v. 1506). l Dans l’édition de Bérénice de 1671, Racine a ajouté une scène 9 à l’acte IV. C’est un monologue d’Antiochus, où le personnage retrace la suite d’échecs qu’il subit depuis le commencement de la journée : faux départ, fausse haine, faux espoirs.Il résume ce parcours de déconvenues en deux vers :«Malheureux que je suis ! avec quelle chaleur / J’ai travaillé sans cesse à mon propre malheur !» Acte I, scène 4 (pp. 38 à 43) ◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 44 À 47) a Les propos d’Antiochus, dans cet extrait, développent un retour sur le passé dont les acteurs sont des personnes royales. On peut observer, au fil du texte, la succession des noms suivants :Agrippa (v. 191), roi de Judée et frère de Bérénice; Titus, l’empereur de Rome ;Vespasien (v. 246, 248), son père, lui aussi empereur romain. Il est à noter que l’empereur Titus est évoqué à sept reprises par Antiochus (v.194,218,228,242,247,248,275).La confidence des vers 275-276 («Je fuis Titus : je fuis ce nom qui m’inquiète, / Ce nom qu’à tous moments votre bouche répète») justifie le nombre de ces occurrences comme la marque d’une obsession jalouse.Antiochus, en effet, se sent trahi par le coup de foudre qu’a éprouvé Bérénice pour Titus, alors même qu’Agrippa la lui destinait.Le roi de Comagène,le «triste Antiochus» (v.197), amoureux de Bérénice, n’a plus été alors qu’un «malheureux rival» (v. 224). Ses liens avec Titus apparaissent pourtant plus complexes que ceux dictés par la jalousie. L’empereur entoure Antiochus de son amitié et l’encourage à rester proche de Bérénice qui le tient pour un confident. C’est en fait un lien trompeur qu’Antiochus entretient avec eux (v. 243 : « Un voile d’amitié vous trompa l’un et l’autre »). La mort de l’empereurVespasien (v. 248) donne à Titus le titre d’empereur et, en le laissant libre désormais d’épouser Bérénice,met à mal les espoirs cachés d’Antiochus :voir Rome etVespasien brandir la raison d’État pour chasser Bérénice et la séparer de Titus. z Le personnage d’Antiochus inscrit son destin dans celui de la Judée,en un temps de guerres civiles achevées par l’intervention brutale mais triomphante des Romains, 12 Acte I, scène 4 sous le commandement de Titus.Antiochus prétend appartenir au camp des vaincus (v.198),mais il décrit aussi son action militaire aux côtés de Titus (v.211).Par amour pour Bérénice,Antiochus s’est rangé parmi les princes vassaux des Romains en Orient.Si sa présence à Rome,devant la reine Bérénice,confirme ce rang de prince allié et soumis à l’empereur romain,ses évocations nostalgiques et mélancoliques de l’Orient,de Césarée et des «tristes États» (v.237) de Bérénice confirment tout autant ses regrets amoureux que ses désillusions patriotiques. e Le « haut degré de gloire et de puissance » (v. 187) où Antiochus situe Bérénice apporte une justification textuelle à la manière dont chacun des personnages s’adresse à l’autre.Les liens antérieurs qu’évoque Antiochus – mêmes racines orientales, familles unies, fiançailles proches – ne s’associent à aucune familiarité de ton. Il interpelle Bérénice avec le mot «Madame», et Bérénice encourage cette distance par le vouvoiement et le mot «Seigneur» dans ses réponses à Antiochus. La force de la tenue protocolaire du langage,dans cet entretien,apparaît aussi quand Bérénice oppose à la confidence amoureuse d’Antiochus le rappel de la grandeur impériale de Titus qu’elle désigne au vers 260 avec son nom officiel («César»).On a,dans cet extrait, un traitement précieux et aristocratique de l’aveu amoureux et du dédain outragé. r En évoquant la séduction qu’a exercée Titus sur Bérénice, Antiochus fait parcourir une page d’histoire où sont inscrites la rébellion de Jérusalem et «la vengeance de Rome» (v. 196). Les allusions à «un siège aussi cruel que lent» insistent sur la dévastation de la cité juive (v. 230-232). Mais le retour sur ce passé, antérieur de cinq années à l’action présente,rend évidente aussi l’allégeance des rois de Judée à la puissance romaine, dans le temps de cette guerre. Antiochus en donne un clair rappel au vers 211: «De mon heureux rival j’accompagnai les armes». L’histoire amoureuse de Bérénice avec Titus est également éclairée par une allusion à un fait de politique intérieure romaine : Vespasien mort, son fils Titus n’a plus à tenir compte des réticences paternelles à l’égard de Bérénice. Le nouvel empereur «est le maître» (v. 248). t La métaphore précieuse qui sert à exprimer la naissance de l’amour dans le cœur d’Antiochus (v. 189-190) exprime une double référence. Elle renvoie à l’incarnation antique de l’amour impromptu,Cupidon (Éros,en grec),qui lance des flèches dans le cœur des hommes ou des dieux. Elle renvoie également à la préciosité galante qui donne à l’œil féminin une force de séduction conquérante, propre à se substituer à la flèche de Cupidon. Cette métaphore, cliché de la blessure d’amour qu’est le coup de foudre, se prolonge dans le mot « malheur » renforcé par le champ lexical du désespoir («triste», «pleurs», «soupirs», «exil», «silence», «ennui», « mélancolie », « désespoir », « constante victime »). Le pathétique attaché à ce lexique 13 RÉPONSES AUX QUESTIONS efface le cliché et donne à la métaphore des vers 189-190 valeur d’un euphémisme timide qui sert à ouvrir avec pudeur un «récit funeste» (v. 227). y Antiochus, par ses confidences, met en évidence l’ironie tragique dont le destin s’est servi pour associer sa passion au malheur et faire de lui la «constante victime […] d’un inutile amour » (v. 255). Le premier coup du sort est attaché à l’arrivée de Titus en Judée (v. 194). Le deuxième est de survivre à des périls qui auraient pu le délivrer de sa souffrance:«Inutiles périls!» (v.217).Le troisième et «dernier» (v.241) coup du sort est la mort de Vespasien qu’Antiochus prenait pour un allié objectif de sa passion par son opposition à Bérénice. u Ce récit révèle les cinq étapes du schéma narratif : A. Situation initiale : Antiochus, amoureux de Bérénice, s’apprête à l’épouser. B. Élément perturbateur :Titus arrive et charme Bérénice. C. Péripéties : – l’impossible fuite d’Antiochus dans la mort; – le départ de Bérénice avec Titus à Rome; – l’irrésistible départ d’Antiochus pour Rome; – l’espoir du refus de Vespasien à l’union de Titus et Bérénice. D. Résolution de la crise : la mort de Vespasien, la liberté d’action de Titus. E. Situation finale :Antiochus quitte Rome et demeure avec son «inutile amour» (v. 255). i Les passages du discours d’Antiochus qui se réfèrent au présent de l’énonciation constituent des interruptions qui ajoutent à l’ironie tragique inscrite dans les faits passés la continuité douloureuse du présent. Il s’interrompt une première fois, au vers 206, pour bien marquer le rapport du passé avec le présent; en évoquant le passé, Antiochus «ose [se] déclarer».La deuxième interruption (v.225) sert à constater les effets pervers de cette évocation sur Bérénice : elle s’y intéresse parce que Titus y est associé (v. 227-228).Antiochus obtient ainsi le contraire de ce qu’il attend; il veut émouvoir Bérénice sur lui-même : il la fait rêver sur Titus. La troisième interruption est en fait une reconnaissance d’échec (v.251) :Antiochus annonce son départ en l’associant à son «inutile amour» et à ses «pleurs». La tragédie du passé se maintient pour Antiochus avec intensité dans le présent. o Bérénice laisse parler Antiochus jusqu’au moment où il lui précise la pérennité de sa flamme (v. 208). Elle intervient brièvement, en une exclamation (le premier hémistiche du vers 209) qui exprime la surprise et la gêne. Cet embarras justifie la reprise de parole d’Antiochus et, en partie, sa seconde longue tirade (v. 209-258). Toutefois, le texte de cette tirade parvient à théâtraliser le personnage de Bérénice en des réactions qui marquent une évolution par rapport à la surprise embarrassée 14 Acte I, scène 4 du vers 209. Le regard d’Antiochus saisit avec force (anaphore de « je vois », v. 225-226) cette évolution et la décrit comme un désintérêt profond pour le véritable objet de son propos : l’aveu de sa passion. Ce désintérêt, selon Antiochus, s’exprime paradoxalement par de l’attention et de l’indulgence (v. 226-227). Il explique ce paradoxe par le sujet de son propos :Titus et son triomphe amoureux et militaire en Judée (v. 218-234). Cette explication invite à imaginer pour la suite de la tirade une Bérénice distante,voire hostile.La seconde partie de cette tirade (v.235258),en effet,centrée sur le récit des étapes du désespoir d’Antiochus,à Césarée puis à Rome,ne ménage ni Titus,ni Bérénice;elle les fait apparaître comme des princes soumis aux interdits de Vespasien et de Rome (v. 246) et comme des amis trahis par la jalousie d’Antiochus (v. 243). C’est dans ce passage que se prépare psychologiquement la réplique de Bérénice (v. 259-272). La reine, après un long silence, s’exprime avec orgueil et rabaisse le discours amoureux d’Antiochus à un propos outrageant (v. 264) et même injurieux (v. 265). q Bérénice parle en impératrice,qui n’a plus un simple statut humain mais jouit déjà d’un rôle sacré et légendaire (v. 260-261). Les périphrases hyperboliques et emphatiques qui désignent son prochain mariage (v. 260, 267) argumentent en faveur de la reine outragée pour justifier les termes impropres et exagérés qui font référence à la déclaration d’Antiochus (v.264 :«un discours qui m’outrage»; v.265 :«cours injurieux»). Antiochus semble ainsi avoir commis un crime de lèse-majesté qui mérite rupture. Le jeu des temps verbaux sert aussi à lui signifier qu’on le rétrograde, en tant qu’ami et confident, dans un passé lointain (imparfait aux vers 268-270). Cette violence hautaine reste toutefois associée à des délicatesses d’amitié :préserver Antiochus de la vengeance impériale (v.263),lui accorder les politesses du départ (v.266). s Antiochus,qui vient d’entendre de la part de Bérénice le contraire de ce qu’il en attendait (v. 47 : «Au lieu de s’offenser, elle pourra me plaindre»), se résigne à un départ cruel mais le confirme en associant une éloquence protestataire et une éloquence pathétique. La répétition du verbe fuir, construit transitivement, donne à la confidence douloureuse le ton d’un vif reproche : les compléments de ce verbe mettent en cause la fascination de Bérénice pour Titus et son insensibilité à l’égard d’Antiochus, regardé comme «un autre»Titus (v. 272). Ce reproche se conclut dans le vigoureux et péremptoire oxymore du vers 278, rehaussé par l’effet d’enjambement du vers 277. La projection dans l’avenir que fait ensuite Antiochus recourt au champ lexical du malheur,en l’associant à une sorte d’ironie pathétique qui feint de rassurer Bérénice en lui annonçant une mort proche d’un suicide amoureux. d Dans les vers 189-193, le texte présente un rappel des fiançailles approuvées par Agrippa, le frère de Bérénice, pour l’unir à Antiochus. On retrouve dans ces 15 RÉPONSES AUX QUESTIONS «accordailles» l’usage ancien des mariages arrangés par les autorités familiales masculines, et ce tout particulièrement quand il s’agissait d’unions royales ou princières incluant des enjeux politiques ou territoriaux. f La suprématie galante de Titus sur Antiochus s’exprime dans une formule (v.194) qui fait écho à la trilogie césarienne : «Veni, vidi, vici.» Titus bénéficie, en plus de sa séduction,de «tout l’éclat d’un homme / Qui porte entre ses mains la vengeance de Rome» (v.195-196).À la suite du coup de foudre qui s’opère entre Titus et Bérénice (v.194), Antiochus se trouve en état d’infériorité amoureuse et politique. La guerre est aussi un terrain où Titus a le dessus sur Antiochus: «La valeur de Titus surpassait ma fureur» (v. 218). g La souffrance d’Antiochus, après le départ de Bérénice à Rome, est inscrite en trois espaces :«l’Orient»,«Césarée» et les «États» de Bérénice (v.234-238).Chacun de ces lieux porte un symbolisme qui s’accorde avec le désespoir amoureux d’Antiochus.En harmonie avec l’«ennui» d’Antiochus (v.234),on voit «l’Orient désert».Césarée,lieu de résidence du procurateur romain en Judée,mais dont Racine a fait la capitale du royaume de Bérénice,offre ses «lieux charmants» (v.236) en apaisement à l’«ennui» et se fait la gardienne des amours passées. Les «tristes États» de Bérénice reçoivent un qualificatif qui les met en communion avec la mélancolie d’Antiochus. Ce qualificatif, ainsi que le verbe demander les représentent dans une allégorie qui les apparente à l’image pathétique d’un père abandonné. h Au vers 256,l’oxymore «heureux dans mes malheurs» souligne la distance pudique et polie que tient à prendre Antiochus, au terme de l’aveu qu’il vient de faire en décrivant cinq années de souffrances amoureuses et de rivalité cachée. ◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 48 À 54) Examen des textes a Chacun des extraits du corpus se réfère à un lieu que le contexte introduit et évoque de façon plus ou moins précise. •Texte A :Antiochus fait, aux vers 187-188, une allusion timide à la terre natale de Bérénice; une périphrase floue («lieux où vous prîtes naissance») porte cette allusion. • Texte B : le poète se sert du titre pour planter le décor de sa méditation et d’une interpellation directe («Ô lac !») pour actualiser ce cadre. •Texte C : le titre et le premier vers du poème introduisent avec insistance le décor parisien qui sert de prétexte à la plainte amoureuse et à la méditation sur le temps. •Texte D : l’évocation de Césarée est introduite par le mécanisme des associations d’idées («Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête»). 16 Acte I, scène 4 z Chacun des énoncés du corpus met en relief la relation établie entre le locuteur et les lieux évoqués. • Texte A : le premier hémistiche du vers 197 («La Judée en pâlit») précise la périphrase du vers 188 en une allégorie émouvante. Le second hémistiche («Le triste Antiochus») y associe étroitement Antiochus par un vigoureux effet de juxtaposition, établissant une alliance de sentiment entre la Judée et le roi de Comagène,confrontés ensemble à la puissance redoutable de Titus. • Texte B : le poète fait du lac et des éléments naturels qui l’environnent ses interlocuteurs. Il s’adresse à eux comme à des puissances surnaturelles capables de défier le temps et de sublimer l’amour en force éternelle. •Texte C : le poète marque une distinction entre le symbole du pont et le symbole de l’eau. Le pont est valorisé en image amoureuse («le pont de nos bras») alors que l’eau, la Seine, est complice de ce qu’a détruit le temps et se lit en métaphore du bonheur qui passe et disparaît («L’amour s’en va comme cette eau courante»). • Texte D : le personnage d’Aurélien établit avec Césarée une relation qui est perception puis imagination. Le mécanisme de l’association d’idées – un prénom, un vers, un lieu – est soutenu et prolongé par l’effet musical du nom de Césarée, « un beau nom ».Aurélien insiste sur la magie du nom de ce lieu en l’opposant à l’insignifiance de sa réalité («c’est du côté d’Antioche,de Beyrouth.Territoire sous mandat»). Mais ce réalisme distant se transforme brutalement en une vision imaginaire et intuitive, à la fois précise et tragique, en osmose avec le texte de Racine, pour qui connaît son contexte : «Une ville frappée d’un malheur.» e Le lien qu’établit l’extrait d’Aurélien avec le texte de la tragédie de Racine Bérénice tient à une correspondance analogique double. Il y a intertextualité explicite à partir de l’analogie entre le prénom de la femme évoquée par le héros Aurélien et le nom éponyme de la tragédie citée dans l’extrait.Mais cette analogie est amplifiée par l’obsession du vers «Je demeurai longtemps errant dans Césarée». Une intertextualité active,voire actantielle,se trouve ainsi introduite :elle crée un suspense et semble, dans cet incipit, susceptible d’initier une action.Elle établit en effet un lien complexe, relevant de la «superstition», entre la tragédie de Racine et la première rencontre d’Aurélien avec Bérénice. «Césarée», «la Bérénice de la tragédie», «Tite» apparaissent comme des intuitions de malheur pour la suite de cette première rencontre. Mais c’est le double symbolisme de Césarée qui reste le plus saisissant dans cette réminiscence littéraire obsédante qu’a Aurélien : beauté et malheur. r Les deux poèmes associent le thème de l’eau au thème amoureux et au thème de la fuite du temps.Mais dans cette double analogie s’inscrit un profond et double contraste. Lamartine fait du lac, espace fermé, un confident en sympathie avec sa 17 RÉPONSES AUX QUESTIONS peine et son souvenir amoureux.Apollinaire prend, lui, une référence linéaire, un fleuve, la Seine, pour l’associer, en complice insensible, à la fugacité de la passion amoureuse. Le même support métaphorique porte des effets poétiques opposés. t Le refrain du Pont Mirabeau inverse l’habituelle formulation de la plainte lyrique sur la fugacité du temps présent.Apollinaire exprime cette plainte en désespéré, presque en suicidaire, qui se voit figé dans un présent toujours renouvelé, malgré son attente de la dernière heure. Il oppose au temps qui passe non son envie de vivre, mais le douloureux constat de son existence : le verbe demeurer, en fin de strophe, prend la force d’une protestation. Travaux d’écriture Question préliminaire Dans les quatre extraits de ce corpus, on peut observer une idéalisation des lieux évoqués. Dans la tirade d’Antiochus, la Judée est idéalisée en une allégorie de victime saisie de crainte et d’angoisse devant la puissance de Titus. Dans le poème de Lamartine, le lac, destinataire de la plainte amoureuse, se divinise en force de la nature, protectrice du souvenir des amours exceptionnelles. Chez Apollinaire et chez Aragon, l’idéalisation des lieux attachés à la mélancolie du propos se fait par une mise en valeur métaphorique. Le pont Mirabeau est une métaphore de l’entente amoureuse ; la Seine symbolise la fragilité et la fugacité des instants heureux qu’a vécus le poète amoureux. Césarée représente, pour le personnage d’Aurélien, un minimum de réalité et un maximum d’obsession. Ce paradoxe est éclairé par la simple reconnaissance de la beauté du nom et par l’intensité arbitraire du symbole : «Une ville frappée d’un malheur.» Ainsi, à travers ces quatre extraits, on voit se définir les lieux élégiaques comme des correspondances,des synesthésies avec les souffrances ou mélancolies exprimées dans le contexte. Commentaire Introduction Dans Le Pont Mirabeau, le poète associe la beauté grave et bouleversante d’une douleur discrète mais tragique à un air de romance populaire qui laisse imaginer un amoureux abandonné, penché sur la Seine et se remémorant un tendre passé qui s’élargit en méditation sur le temps.L’élégie est ici scandée avec les outils stylistiques simples de la chanson. Mais cette simplicité sert d’ancrage à l’expression d’un désespoir et d’une résignation très personnels dont la portée peut être universelle. 18 Acte I, scène 4 1. La simplicité de la chanson • Simplicité et régularité de la forme :quatre strophes ponctuées par le retour d’un refrain. • Circularité de la structure : reprise en final du premier vers (retour du vers 1 au vers 22) et du refrain. • Régularité musicale : dominante des rimes suivies féminines et brisure de la rime masculine au deuxième vers de chaque strophe. • Présentation dépouillée du décor :le pont Mirabeau,la Seine (détails sommaires). 2. La fusion poétique des images et du désespoir A. Les images réalistes éclairent le sens du désespoir • La fuite du temps et des amours est métaphorisée dans l’écoulement de l’eau. • Le pont se présente en symbole de la permanence du souvenir tendre mais douloureux. B. Les images lexicales justifient la souffrance du poète • L’image du mouvement portée par les verbes (couler, venir, passer, aller, revenir) s’accorde avec les errances de la méditation mélancolique où présent et passé se juxtaposent et se confondent (strophes 1 et 2). • Les images répétées de l’impossible retour du temps et des amours passés (strophes 3 et 4) renforcent l’insistance tragique du «je demeure» dans le refrain. C. L’image stylistique du poème déponctué renforce le rapport fusionnel entre le contenu poétique et le contenu lyrique • Force du zeugma dans le commencement du poème (v. 1-2). • Ambiguïtés riches de sens dans la simultanéité des significations (strophe 1). • Fluidité de la diction. 3. Le message universel du poème A. Universalité de la thématique du poème • L’impossible retour des instants heureux. • La fuite du temps. B.Accessibilité de la résignation exprimée dans «Les jours s’en vont je demeure» • Simple leçon : l’existence est plus forte que la peine. • Profonde leçon : la conscience garde la capacité d’associer par le souvenir et la méditation poétique la souffrance du passé et la pression de l’existence. Conclusion Dans ce poème, le «je» lyrique se livre dans les tonalités simples et douloureuses d’une chanson, mais les virtuosités et les hardiesses poétiques qui y sont associées 19 RÉPONSES AUX QUESTIONS donnent au thème élégiaque de la «fin d’amour» une extension morale forte et convaincante. Dissertation Introduction Bien des œuvres littéraires du XXe siècle ont fait des choix esthétiques à l’opposé du lyrisme et de l’élégiaque, et toute une modernité de l’art s’est construite sur le rejet de ces tons intimistes ainsi que des formes et images qui, pendant des siècles, avaient nourri leur expression. Mais à côté de ce refus du lyrique coexiste le refus du mutisme et de l’abstraction. Ce dernier refus rend acceptable l’idée de la continuité élégiaque dans l’époque contemporaine. 1. Une modernité attachée au dépassement du lyrisme élégiaque A. L’emprise du réel sur l’inspiration de l’artiste moderne Prolongement esthétique du positivisme initié par les penseurs de la seconde moitié du XIXe siècle. B. Primauté des recherches esthétiques et théoriques sur la forme Dadaïsme, surréalisme, absurde, Nouveau Roman, structuralisme. 2. La conciliation de la captation du monde réel et du regard sur le monde intérieur A. Apollinaire, Blaise Cendrars, Philippe Soupault sont des figures d’avant-garde qui renouvellent le ton et les thèmes élégiaques en y associant un présent très réel et donc très réaliste • La plainte amoureuse chez Apollinaire capte le monde environnant, que ce soit Paris ou le champ de bataille. • Blaise Cendrars associe l’évocation de sa «pauvre vie» au décor du Transsibérien. • Philippe Soupault rompt avec le surréalisme car sa poésie s’impose comme l’expression du moi souffrant.Au thème du mal de vivre il associe son errance mélancolique («C’est toi mon vieux Paris»). B. L’engagement politique de poètes comme Aragon, Eluard, Desnos enrichit le champ lyrique d’une empathie vibrante avec le monde qui souffre • Le moi du poète est omniprésent dans les grands poèmes de la Résistance. • L’engagement politique s’exprime en association avec l’introspection du poète. 3.Transformation et permanence du lyrisme élégiaque A. Le «post-romantisme» moderne garde du romantisme les mélancolies du regard en arrière «Le poète est un contemporain qui se retourne» (J. M. Maulpoix). 20 Acte II, scène 2 B. La mélancolie s’approfondit à l’aune des tragédies contemporaines et s’apparente chez de nombreux écrivains à l’expression d’une spiritualité salvatrice ou douloureuse Max Jacob, René Char,Yves Bonnefoy,Andrée Chédid… C. La chanson populaire de la seconde moitié du XXe siècle reprend en bien des textes les tonalités et thèmes élégiaques les plus traditionnels Répertoires de Piaf, Brassens, Brel, Ferré… Écriture d’invention •Titre proposé : Chichis de tragédie. • L’article doit exprimer une prise de distance ironique : – avec les acteurs, interprètes des rôles d’Antiochus et de Bérénice (caricatures orientales); – avec l’histoire portée par la scène (dérision reprenant « qui avait attendu pour se déclarer que Bérénice fût sur le point de se mettre en ménage»); – avec l’histoire rapportée par Antiochus (il met en valeur son rival avec une mine de «grand bougre ravagé»). • L’article, à la manière d’Aurélien, exprimera une attention particulière au vers «Je demeurai longtemps errant dans Césarée». La dérision peut alors consister à dire : – que l’émotion suscitée par la scène dure le temps de cet alexandrin; – qu’Antiochus (l’acteur) ne fait «rien» de ce «quelque chose» beau qu’est le mot «Césarée»; – que «Césarée» est le seul élément qu’on ait envie de mieux connaître après la scène. • En conclusion, évoquer une « tristesse majestueuse » très problématique dans cette scène, avec ces acteurs et ce jeu. Acte II, scène 2(pp. 58 à 66) ◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE 2 (PP. 67 À 71) a Titus commence par tenir le rôle d’un monarque hésitant entre ses choix personnels et ceux de son opinion publique.Il fonde sur cette hésitation ses questions à Paulin. z L’empereur pose à Paulin des questions de plus en plus précises à propos de sa liaison avec Bérénice : « De la reine et de moi que dit la voix publique ? » ; « Quel succès attend-on d’un amour si fidèle ?»; «Que faut-il que Bérénice espère ?»; «Rome lui sera-t-elle indulgente ou sévère ?». Dans un premier temps, Paulin interprète la curiosité de Titus comme une attente concernant l’opinion de la Cour impériale. Les dernières questions de l’empereur, 21 RÉPONSES AUX QUESTIONS précisant la « voix publique » comme celle de Rome, détrompent le confident et l’invitent à une réponse plus authentique. e La méprise de Paulin nourrit sa réponse à Titus, aux vers 349-350, où il rappelle l’approbation inconditionnelle de la Cour à l’empereur.Titus exploite cette réponse afin de stigmatiser «une cour idolâtre»,«voix des flatteurs» pour lui à ne pas confondre avec «la voix publique» dont précisément il se soucie. r Éclairé par ce procès et stimulé par les dernières questions de Titus, Paulin exprime avec netteté l’opposition fondamentale des Romains au mariage de Bérénice avec Titus.C’est l’occasion pour lui de rappeler à l’empereur la loi romaine qu’a déjà évoquée Phénice et qui exclut le droit pour un chef d’État romain d’épouser une reine étrangère. Pour insister sur l’autorité de cette loi, Paulin évoque un passé historique où elle a régenté ou châtié les passions les plus fameuses qu’a inspirées la reine Cléopâtre ; il rappelle aussi la retenue que cette loi a été seule à imposer aux princes romains les plus dépravés. Il mentionne pour finir deux reines « du sang de Bérénice» devenues les épouses d’un affranchi romain.Ces exemples et contreexemples disent la force de cette loi et mettent en évidence la mésalliance que serait le mariage de Titus avec Bérénice. t Paulin, en éclairant l’empereur sur l’opinion qu’ont les Romains de Bérénice, s’instaure auprès de lui non plus en confident, mais en sage conseiller qui parle avec autorité et conviction. Certes, il rappelle prudemment au vers 403 que ce magistère n’est qu’obéissance à la demande de sincérité que lui a faite l’empereur, mais il initie, par son argumentation, le choix de la raison d’État, pour résoudre le dilemme de Titus entre amour et devoir. y Titus retarde son approbation des propos de Paulin par une longue tirade qui semble les contester, et c’est sous la forme d’un coup de théâtre (v. 446) qu’arrive la déclaration où il rend évident son accord avec les conseils de son confident. u Après avoir formulé sa volonté de se séparer de Bérénice,Titus raconte comment il y est venu. Il signale le surgissement du dilemme entre gloire et amour immédiatement après la mort de son père, l’empereur Vespasien. Ses confidences mettent en évidence la douleur attachée à ce dilemme, mais révèlent aussi qu’il a peu duré et a été vite résolu; le devoir de respect de la tradition romaine s’est imposé avec force. Le passé simple fait de l’énoncé des groupes verbaux «je fus désabusé», «je sentis»,«je connus» un élément de premier plan,laissant en arrière-plan les énoncés verbaux des vers 455 à 458 qui, à l’imparfait, évoquent le temps des amours sans nuages. Les trois étapes de la résolution du dilemme se lisent dans la succession de ces trois faits passés : révélation du faux («erreur»), intuition du vrai («fardeau […] 22 Acte II, scène 2 imposé») et enfin connaissance du juste («il fallait […] renoncer»). Cette progression vers la décision de Titus de « renoncer à [soi]-même » reste étroitement associée aux circonstances de la mort de Vespasien (v. 460-461) et à celles du protocole de succession (v. 465-466). i En résolvant son dilemme au bénéfice des devoirs et des traditions de l’Empire, Titus met en marche une scène de rupture que doit suivre le retour de Bérénice en Judée, escortée par Antiochus. o La répudiation de Bérénice est initiée par trois pouvoirs virtuels :le pouvoir posthume deVespasien (v.460),le pouvoir de Rome (v.465),le pouvoir des dieux (v.465). q Paulin se pose en adjuvant volontaire de la répudiation de Bérénice avant même que Titus en ait fait l’annonce.Antiochus en est l’adjuvant involontaire, ne sachant pas encore qu’il a la charge de ramener Bérénice en Orient. s Titus, en répudiant Bérénice, adopte une ligne politique conservatrice, attachée au respect des traditions les plus anciennes. Il adhère ainsi au nationalisme le plus exigeant et le plus populaire. d Schéma actantiel : – Destinateurs :Vespasien, Rome et ses lois, dieux romains. – Destinataire : la renommée de Titus. – Adjuvants : Paulin,Antiochus. – Opposants : Bérénice,Titus amoureux. f L’avant-dernière tirade de Titus développe un éloge de l’heureuse influence de Bérénice sur lui. Racine reprend ici les traits contrastés que l’Histoire a donnés à Titus et les éclaire avec l’histoire de son amour pour Bérénice. Le débauché de la cour de Néron (v. 506-508) correspond, dans cette tirade, au Titus de « l’avantBérénice ». Le Titus que l’on a qualifié d’« amour et délices du genre humain » trouve son ébauche dans quelques vers de cette tirade et les traits édifiants qui y sont présentés se rapportent tous à «l’après-Bérénice».Titus explique son souci de renommée, sa gloire militaire et sa générosité publique par la seule volonté de plaire à Bérénice. g Le vers 519,en son premier hémistiche,résume l’heureuse influence de Bérénice sur Titus mais il la marque du sceau de l’ironie tragique,dans le second hémistiche, avec l’oxymore «Récompense cruelle !» – exclamation que Titus développe dans les vers suivants en rappelant la répudiation imminente de sa «bienfaitrice». h Pour commencer,Titus évoque son amour en des termes qui l’authentifient dans le présent : «amour si fidèle» (v. 348), «Hélas ! à quel amour on veut que je renonce !» 23 RÉPONSES AUX QUESTIONS (v. 420). Mais, une fois annoncée sa décision de répudier Bérénice, d’autres expressions mettent cet amour en recul : «un amour qui se tait à regret» (v. 450), «la fin d’un amour» (v. 482), «Je l’aimai» (v. 531). j Les expressions qui obligent à mettre dans le passé l’amour de Titus (v. 482, 531) introduisent quelque opacité dans la plainte qui accompagne l’annonce de rupture. On peut, à partir de ces expressions, ne voir en Titus qu’un personnage embarrassé par ce qu’il y a de fort et peu protocolaire dans une scène de rupture. k Le «on» des vers 347 et 420 désigne l’opinion publique romaine attachée à des lois et maximes d’exclusion à l’égard des étrangers et à l’égard de tout ce qui se rattache à la royauté,régime honni des Romains depuis l’instauration de la République en 509 av. J.-C. l Titus évoque sa «langue embarrassée»,son «trouble» et sa «douleur» pour expliquer son retard à informer Bérénice de leur rupture. C’est un aveu qui lui pèse et l’importune parce qu’il est intimidé par la confiance de Bérénice et sa propre ingratitude. Il compte sur Antiochus pour lui éviter une scène qu’il redoute et retarde depuis huit jours. ◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 72 À 76) Examen des textes a Les quatre imprécations de Camille développent une vision qui progresse du désastre guerrier à l’anéantissement apocalyptique. Ce crescendo des images s’associe à celui des sentiments. Fureur, désespoir, haine et provocation dictent successivement chacune de ces imprécations. z Paulin et Burrhus représentent des figures de Romains attachés aux mêmes valeurs politiques.L’un et l’autre parlent avec éloquence sur le chapitre des pouvoirs et se font les chantres du respect des traditions institutionnelles. L’un et l’autre argumentent avec exemples et contre-exemples.Leur tirade respective se distingue toutefois par le rôle politique qui y est donné à Rome. Paulin place Rome au-dessus de l’empereur et la dit capable de «fureur vengeresse», alors que Burrhus l’établit en puissance soumise aux vertus ou aux vices de son maître qui assure «son salut ou sa perte». e La force tutélaire de Rome est fondée, dans le texte A, sur la loi et les maximes qui s’y rattachent. Dans le texte B, elle est fondée sur les sentiments patriotiques qu’elle peut susciter («Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore»). Dans le texte C, 24 Acte II, scène 2 cette force dépend de la qualité de l’empereur et de sa capacité à faire régner conjointement sa toute-puissance et la liberté des institutions («César nomme les chefs sur la foi des soldats»). r L’extension politique de la cité romaine s’exprime simplement mais avec force dans les textes A et C. Le texte C précise l’idée d’empire en désignant l’empereur avec la périphrase « c’est le maître du monde ». Le texte A, en associant terme géographique (« Orient »), terme politique (« Empire ») et terme emphatique («empire des humains»),maintient l’idée de domination territoriale et politique.Dans le texte B, il n’est question que de la Rome des origines, la Rome royale, aux « fondements encor mal assurés » ; l’extrait peut représenter un contre-exemple de l’extension territoriale de Rome,et l’anaphore de «Rome»,dans les quatre premiers vers, insiste sur la réduction du pouvoir romain à la seule cité de Rome. Mais les imprécations de Camille, convoquant tout l’univers et les dieux contre cette cité, confèrent à celle-ci une dimension mythique de cité maudite. t Dans chacun des trois extraits, Rome est personnifiée. Le texte A présente une allégorie de la mère autoritaire qui surveille les chefs d’État et les sanctionne («Rome l’alla chercher jusques à ses genoux,/ Et ne désarma point sa fureur vengeresse»).Le texte B laisse imaginer une Rome divinisée en déesse à qui on immole des victimes (« […] à qui vient ton bras d’immoler mon amant ») et qui récompense ses dévots («Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !»). Le texte C garde la personnification féminine, mais l’allégorie reste réduite à une individualité proche de l’être citoyen,mis sous le joug si le pouvoir est corrompu ou libéré si l’on est «dans le cours d’un règne florissant». Travaux d’écriture Question préliminaire Ces trois extraits présentent trois locuteurs qui parlent des lois romaines pour les opposer soit à un sentiment amoureux (textes A et B), soit à un sentiment maternel particulièrement possessif (texte C). Dans le premier cas (textes A et B), l’allégorie permet d’assimiler l’idée d’opposition à des sentiments très forts comme la haine, la fureur vengeresse, le ressentiment. Dans le second cas (texte C), l’opposition s’exprime dans une formule d’exclusion péremptoire :«Ce n’est plus votre fils,c’est le maître du monde».Chacun des extraits évalue l’autorité de la loi dans son opposition aux lois du cœur.Dans le texte A,le rapport de force entre la loi et le cœur de Titus se présente à l’avantage de la loi étatique;elle rassemble en effet les Romains,le sénat et tout l’Empire pour exiger «un choix digne d’elle»,autrement dit :un renoncement à l’amour de Bérénice, 25 RÉPONSES AUX QUESTIONS une reine orientale. Dans le texte B, c’est la loi du cœur qui prend l’avantage sur la loi de Rome : la malédiction visionnaire de Camille s’exprime au nom de l’amour pour vouer à l’anéantissement Rome et ses lois. Le texte C assimile le pouvoir de la loi à l’empereur vertueux et tout-puissant et lui donne l’avantage sur l’obéissance filiale avec une série de cautions sublimes :Rome,l’Empire,le peuple,ses aïeux. Commentaire Introduction Le personnage de Camille réalise dans cette tirade, commente-t-on parfois, la revanche de Chimène vengeresse de son père. 1. La mise en place rhétorique de la malédiction A. La force de l’apostrophe avec l’anaphore «Rome» B. Les termes en miroir • Pour l’antithèse : «Rome» / «ressentiment», «Rome» / «mon amant». • Pour l’analogie :«Rome» / «que ton cœur adore»,«Rome» / «parce qu’elle t’honore». C.Argumentation claire et forte : «Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !» 2. La progression vers l’ultime provocation A. Quatre imprécations formulant un crescendo de malheurs La guerre extérieure,la guerre civile,la vengeance des dieux,l’extermination totale. B. Délire du moi • Les dieux vengeurs de Camille. • Camille, démiurge sarcastique de l’extermination finale. 3. L’héroïsme de l’amour A. Face-à-face héroïque devant un frère armé et à l’honneur sensible B. Dégradation du héros national qu’est Horace • Son combat est réduit à une immolation. • Ses «lauriers» sont ridiculisés en choses fragiles et périssables. C. Fureur du désespoir transcendée en souveraineté désespérée de l’amour • Grandiloquence de la malédiction. • Les derniers mots de la malédiction («mourir de plaisir») appartiennent au lexique de l’amour le plus fort et le plus authentique. Conclusion Cette révolte héroïque de Camille,qui provoque sa mort de la main même d’Horace, a été l’objet de bien des critiques, à l’époque de Corneille. Dans son «Examen» de la pièce, Corneille lui-même reconnaît comme une «imperfection» de donner au 26 Acte II, scène 2 quatrième acte le premier rang à un personnage qui est au second rang dans les actes précédents.Mais il reconnaît ainsi la force exceptionnelle qu’il a donnée au texte de ce rôle incarnant la tragédie du deuil amoureux. Dissertation Introduction Les affinités entre le théâtre et l’Histoire sont restées importantes depuis le XVIIe siècle. Le sujet historique garantit la vraisemblance, exigence primordiale du théâtre classique, et facilite la conviction du lecteur et du spectateur. Mais l’Histoire, en confortant la crédibilité du théâtre, met en œuvre des interactions qui font du sujet historique, à la scène, un sujet engagé. 1. Le théâtre peut offrir une réécriture de l’Histoire qui l’approfondit et la nuance Racine, dans Britannicus, éclaire la personnalité de Néron en y associant les abus maternels et les vertus de ses maîtres. 2. Le théâtre présente l’Histoire dans la vision qu’en a le dramaturge • Selon la lecture qu’en fait celui-ci, l’Histoire peut se trouver embellie, faussée ou carrément noircie. • Racine présente un portrait de la reine Bérénice empreint de vertus que l’Histoire ne lui attribue pas. • Le personnage de Ruy Blas est inventé pour noircir le tableau de la décadence de la monarchie espagnole à la fin du XVIIe siècle, mais aussi pour condamner la monarchie en général et sublimer le rôle futur du peuple. 3. Le théâtre, en s’appropriant l’Histoire, ne fait pas œuvre d’embellissement mais d’engagement • En privilégiant l’Histoire, le drame romantique, tel que l’a illustré Victor Hugo, s’est attaché à défendre une idéologie politique hostile au despotisme. • Au XXe siècle, le théâtre de Camus, de Sartre, de Brecht, de Genet, en mettant en scène quelques grands événements historiques contemporains, s’est donné le label de «théâtre engagé». Écriture d’invention • Il s’agit d’imaginer la Romaine idéale pour Horace qui « adore » Rome et que Rome «honore». Le rêve de destruction est à récrire en rêve de conquête. • Mots à remplacer : « ressentiment », « mon amant », « je hais », « conjurés », « saper », «contre», «s’allie», «détruire», «renverse», «déchire ses entrailles», «courroux», «feux», «tomber», «foudre», «cendre», «poudre». 27 RÉPONSES AUX QUESTIONS • Les deux derniers vers sont à récrire plus librement. On peut s’inpirer, pour ce faire, de la tirade de Paulin (texte A). Acte III, scène 3 (pp. 91 à 96) ◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE 3 (PP. 97 À 100) a La première réplique de Bérénice signifie clairement pour Antiochus qu’elle ne regrette pas de le voir s’éloigner de Rome. La suivante le querelle en lui exprimant un dépit plein d’aigreur (v.857).Cette approche est peu encourageante pour Antiochus. z La délicatesse galante d’Antiochus, dans sa réplique du vers 858, redonne espoir à Bérénice qui n’a d’autre souci que d’en savoir plus sur ce qu’elle croit être d’abord le tendre intérêt de Titus.Antiochus, pressé des questions de la reine, tente des dérobades puis,harcelé et mis en cause,il se défend par des sous-entendus sur la douleur de Bérénice et sur son dévouement. e Vers 866-870, 882 et 884. r La colère de Bérénice se nourrit aux douleurs de l’angoisse et de l’exaspération. Le silence inexpliqué de Titus et sa dérobade lors de leur dernière entrevue (II, 4) l’angoissent.Antiochus, dans le double rôle de rival et de messager de Titus, l’exaspère. t Le mot «haine»,au vers 876,représente le troisième terme d’une gradation :«ma douleur, ma colère, ma haine». Bérénice, dans les vers suivants, associe ce mot brutal et menaçant à un défi lancé à l’amour désespéré d’Antiochus. La tournure exclamative de l’adjectif «précieux» («si précieux»), sa place en fin de vers avec le renfort de la diérèse (pré-ci-eux) initient ce défi et mettent en balance la haine de Bérénice avec l’amour d’Antiochus. Le chantage amoureux est cruel : «Si moi-même jamais je fus chère à vos yeux, / Éclaircissez le trouble où vous où vous voyez mon âme : / Que vous a dit Titus ?» Un chantage politique le sous-tend, induit par le propos du vers 872 : «Vous voyez devant vous une reine éperdue.» Bérénice somme Antiochus de parler ou sinon de craindre la haine d’une reine à qui rien n’interdit encore de croire qu’elle sera impératrice. y L’angoisse et l’exaspération de Bérénice lui ont fait prendre un ton de puissance menaçante et autoritaire qui s’exprime par la stylistique de l’interrogatoire du coupable devant son juge. 28 Acte III, scène 3 u La première réaction de Bérénice est celle d’une amoureuse interloquée et brisée qui « n’en croit pas ses oreilles », dirait-on familièrement. Elle est épouvantée, brisée,désespérée par ce qu’elle entend.Sa seconde réaction se construit en contestation de la première et l’argumente. i Pour se tromper, Bérénice prend l’argument du complot de la rupture. Cet argument, associé forcément à la question du bénéficiaire, l’incite à mettre en cause Antiochus. o Bérénice congédie brutalement Antiochus en l’accusant de prendre ses souhaits pour des réalités et prétend le soupçonner de trahir et de calomnier Titus. q Antiochus prend la défense de Titus en tant qu’amant et souligne avec une force pathétique le chagrin de l’empereur amoureux. s «Une reine est suspecte à l’Empire romain» est la formule dont use Antiochus pour justifier politiquement la répudiation de Bérénice par Titus. On retrouve dans ces mots la double formulation de la même idée par Phénice, à la fin du premier acte (v. 295-296). d Bérénice, en contestant l’annonce de sa répudiation, se nourrit d’un passé où l’allégeance à Rome s’est construite sur la force d’un coup de foudre entre elle et Titus, superbe triomphateur dans la guerre de Judée. f Bérénice ne s’arrête pas à l’interdit romain qui l’exclut, mais fait valoir un « piège », une intrigue de Cour destinée à l’évincer en brisant le couple qu’elle forme avec Titus. Elle réduit une affaire politique et institutionnelle à une malveillance jalouse. g En interprétant les révélations d’Antiochus comme une stratégie de jaloux, Bérénice refuse le paradoxe qu’involontairement Titus a mis en place, en prenant pour messager son rival. Bérénice conforte son interprétation des révélations d’Antiochus, faute d’imaginer ce qui s’est passé à la scène 1 de l’acte III, où l’ordre de Titus, entouré de gages flatteurs et amicaux pour Antiochus, a laissé celui-ci sans voix, comme en rend compte la scène suivante : «Arsace, laisse-moi le temps de respirer./ Ce changement est grand,ma surprise est extrême.» Bérénice avance,aux vers 914915, une interprétation qui exclut et l’autorité de Titus sur Antiochus et le hasard de son arrivée (v. 850), alors qu’Antiochus s’apprêtait à fuir sans accomplir sa mission de «messager de rupture» (v. 847-848). h Dans la réplique des vers 871-880, Bérénice s’exprime en «reine éperdue» et utilise un lexique de victime. Dans la réplique des vers 906-913, elle met en avant le lexique amoureux en l’associant à Titus et nie l’idée de mort et de douleur. 29 RÉPONSES AUX QUESTIONS j Après avoir congédié définitivement Antiochus, Bérénice se prépare à rencontrer Titus pour une explication. Le spectateur, comme le lecteur, attend une scène de conflit tragique où la passion de Bérénice affrontera le cœur déchiré mais résolu au devoir de Titus. Le face-à-face attendu est en quelque sorte celui d’une héroïne racinienne devant un héros cornélien. Les incertitudes sont centrées sur la résolution de Titus de se plier aux exigences de la tradition romaine dès lors qu’il aura devant lui l’objet de sa passion. Le suspense est là. ◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 101 À 108) Examen des textes a Les textes A, B et D présentent un échange oral qui imite et stylise les appréhensions et les impatiences attachées à la révélation d’une vérité difficile à dire. Antiochus répugne à faire souffrir Bérénice en lui révélant qu’elle est répudiée; Agnès craint de révéler à son tuteur qu’elle a laissé un jeune homme inconnu lui prendre un ruban; Irma aborde avec réticence le chapitre de l’impécuniosité de sa patronne. Les destinataires de ces propos difficiles, abordant des sujets tabous, réagissent avec une impatience violente qui force l’acte de révélation. z Les tournures interrogatives dominent dans les propos de Bérénice et dans ceux d’Arnolphe,personnages à qui s’adresse une difficile révélation.Pour chacun d’eux l’interrogation exprime angoisse et impatience. e Dans les textes A, B et D, le dialogue met en valeur l’un des locuteurs : – texte A : Bérénice domine Antiochus qui cède à sa violence (v. 883); – texte B :Agnès domine Arnolphe paradoxalement, parce qu’elle a peur de lui; elle ne lui dit la vérité qu’après avoir pris des garanties sur sa bienveillance.Arnolphe se force à encourager la parole d’Agnès et dit son impatience et son angoisse en aparté; – texte D : Irma, en confrontant sa maîtresse à son manque d’argent, n’affaiblit pas l’image de celle-ci et lui permet au contraire d’exprimer avec panache sa débrouillardise, son statut de créancière en attente de remboursement, son autorité de patronne. r Dans chacun des extraits du corpus, les locuteurs ont un objet de dialogue qui fait référence à une action ou une situation particulière : – texte A : l’objet du dialogue entre Antiochus et Bérénice est le message de Titus à Bérénice, l’annonce de leur rupture. L’action qui consiste à dire à Bérénice qu’ils doivent se séparer est une action que Titus n’ose pas faire lui-même et qu’il a 30 Acte III, scène 3 déléguée à Antiochus. Celui-ci, en redoutant de blesser Bérénice, retarde cette action et, avant de l’exécuter, la donne à appréhender à la reine; – texte B : le dialogue développe un quiproquo; chacun des locuteurs fait référence à une action différente.Arnolphe fait référence à une relation sexuelle entre Agnès et son visiteur; Agnès fait référence à un ruban dérobé par le jeune galant; – texte C : Ruy Blas, dans son adresse à Charles Quint, fait référence à deux moments de l’histoire espagnole. Il commence par évoquer le glorieux passé du grand empereur et lui oppose ensuite sa décadence présente,véritable débâcle d’une hégémonie prestigieuse; – texte D :la situation de référence du dialogue entre Irma et Madame est le manque d’argent qui rend problématique la qualité de la table. L’extrait où le propos reste en marge de l’action est l’extrait C. En effet, il met en place une référence historique qui sert le morceau de bravoure qu’est le texte, mais ne déclenche l’attente d’aucune avancée dramatique. t Chacun de ces extraits stylise une situation de dialogue mais aussi un genre : – texte A : l’ironie tragique tisse le dialogue entre Antiochus et Bérénice. Le roi de Comagène est le porte-parole et le défenseur, malgré lui, de son rival. La reine use de sa fureur pour entendre une vérité qui la désespère et qu’elle se force à refuser; – texte B : le quiproquo qui ridiculise Arnolphe et que subit aussi le lecteur renforce ce procédé comique d’un effet de coup de théâtre; – texte C : cette tirade de Ruy Blas illustre le goût du drame romantique pour l’Histoire; – texte D : la situation inscrite dans ce dialogue est une situation qui vient s’opposer au cadre et aux personnages. On est dans le beau monde avec des problèmes de bas étage. On a ainsi une situation de farce. Travaux d’écriture Question préliminaire La lisibilité du non-dit varie en fonction du genre des textes du corpus. Les deux textes comiques (B et D) offrent un accès facile au non-dit par les effets stylistiques de l’expression de l’embarras et du sous-entendu : termes approximatifs («Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose ? »), termes et tournures de réticence (« Je n’ose » ; « yaque, yaque… »). En revanche, le non-dit dans les textes A et C, à rattacher au registre tragique, est accessible à travers le ton de certaines formules ou répliques. La souffrance patriotique de Ruy Blas se lit dans la force amplificatrice de son éloquence pour sublimer le passé et caricaturer le présent. La souffrance amoureuse de Bérénice en apprenant sa répudiation se lit dans la suite 31 RÉPONSES AUX QUESTIONS incohérente que constitue sa contestation vigoureuse de la terrible nouvelle et dans sa dernière réplique adressée en confidence à Phénice : «Hélas ! pour me tromper je fais ce que je puis. » Le désarroi d’Antiochus, qui a cédé à la reine pour éviter sa haine et qui est payé de retour par un soupçon impardonnable, s’exprime en une lenteur qui justifie l’interruption de Bérénice; ce désarroi reste ainsi accessible en une formulation inachevée. La fonction du non-dit se détermine aussi par le genre de l’extrait. Les textes B et D portent un non-dit qui accroît le comique.Les sous-entendus sexuels d’Arnolphe permettent de concilier bienséances et paillardise. Les timidités d’Irma pour dire l’impécuniosité de sa maîtresse insistent sur le ridicule d’une façade bourgeoise «lézardée». Pour les textes A et C, on constate que la fonction du non-dit est de contribuer à amplifier le malheur inscrit dans les faits rapportés.Racine met en évidence le triple malheur attaché à la répudiation de Bérénice;Victor Hugo associe étroitement le malheur de l’Espagne décadente à la souffrance personnelle de Ruy Blas qui, en forçant le trait, livre ses sentiments. Commentaire Introduction Ce texte théâtralise le commentaire historique que fait Hugo dans la préface de Ruy Blas, à propos de ses deux drames espagnols : «Dans Hernani, le soleil de la maison d’Autriche se lève; dans Ruy Blas, il se couche.» 1. Le jeu des oppositions entre le présent et le passé est un jeu métaphorique aux tonalités proches du fantastique A. Fantastique dégradant pour le présent avec animalisation du peuple espagnol. B.Fantastique valorisant pour le passé associé aux images solaires du règne de Charles Quint. 2. Un appel théâtral au «grand homme» A. Mode épique de l’appel Appel à un mort glorieux. B. Force de l’apostrophe • Ruy Blas se divinise, dit à l’empereur défunt les mots de Jésus à Lazare. • Ruy Blas ne parle pas en sujet du roi, mais en puissance justicière : tutoiement. 3. Une douloureuse palinodie A. Substitution brutale d’une image nocturne à l’image solaire «Lune aux trois quarts rongée […].» 32 Acte III, scène 3 B. Un final pathétique • Exclamations outrées sur l’infamie présente qui gangrène la gloire passée. • Évocation burlesque et triviale de l’héritage du grand empereur. •Vanité de l’appel : constat douloureux. Conclusion Évocation romantique de l’Histoire : visionnaire, épique et lyrique. Dissertation Introduction Le dialogue théâtral est un texte qui, une fois actualisé par la parole et le jeu des acteurs, se prête à différentes définitions. Celle de Pirandello privilégie la phase scénique et la fonction dramatique du dialogue théâtral. 1. Un lien étroit et nécessaire unit le dialogue théâtral à la représentation de l’action dramatique A. Le dialogue théâtral existe à travers la parole des acteurs Il est donc soumis à la mode des intonations variant avec les époques. On ne déclame plus le dialogue des tragédies comme on le faisait au XVIIe siècle. Le texte ne change pas, mais le dialogue théâtral évolue. B. Le dialogue théâtral fait exister l’action dans les scènes d’exposition • Il la fait évoluer dans les scènes centrales où se noue le drame. • Il la fait s’achever par ce que l’on appelle «le mot de la fin». • La règle de bienséance du théâtre classique met le récit à contribution pour présenter les actions violentes. 2. Le dialogue théâtral n’est pas seul à porter l’action A. Importance des didascalies Elles précisent un geste qui va déclencher ou modifier l’action (le soufflet du Comte dans Le Cid de Corneille), un geste qui peut modifier les tonalités génériques de l’action. B. Importance des rôles muets Acte IV de Ruy Blas. 3. Le jeu de l’acteur et le dialogue théâtral s’associent pour élaborer la mimèsis du réel sur la scène et créer l’illusion dramatique A. Évolution des personnages à travers les époques, en fonction des interprétations • Julia Barthet a fait «renaître» une Bérénice émouvante. 33 RÉPONSES AUX QUESTIONS • Gérard Philipe a «réinventé» Rodrigue, le séduisant Cid. • Louis Jouvet a joué le personnage de Tartuffe en lui apportant des traits nouveaux, propres à le rendre à la fois inquiétant et émouvant. B. C’est le jeu de l’acteur qui assure la dynamique des différentes fonctions du langage dramatique et tout particulièrement celle des fonctions émotive et poétique • La formule de rupture dans Bérénice (« il faut nous séparer ») implique fortement le jeu théâtral, comme le «Sans dot» d’Harpagon dans L’Avare. Conclusion Le dialogue théâtral se révèle à travers des spécificités qui mettent en évidence la part de l’éphémère dans l’art du théâtre. Écriture d’invention La réécriture de cette scène d’Un mot pour un autre peut se faire avec une certaine souplesse mais doit rester vraisemblable par rapport à la situation sociale inscrite dans la didascalie d’ouverture et dans le texte. Le remplacement des termes impropres doit tenir compte de leur réalité phonétique et des diverses proximités analogiques qu’ils développent (graphismes, lettres, sons, sens). A c t e I V, s c è n e 4 ( p p . 1 1 3 à 1 1 5 ) ◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE 4 (PP. 116 À 119) a Deux types d’analogies stylistiques méritent d’être relevés pour établir les symétries externes existant entre le monologue de Titus, à l’acte IV, et celui d’Antiochus, à l’acte I. On accède aux hésitations et au désarroi de chacun de ces personnages par une accumulation de phrases interrogatives et un recours appuyé au dialogue fictif, pour s’exhorter ou se condamner. z Antiochus monologue sur la problématique déclaration d’amour qu’il tait depuis cinq ans et qu’il veut faire à Bérénice avant de quitter Rome.Titus,pressé par Phénice, se prépare à confirmer à Bérénice la rupture qu’Antiochus a déjà annoncée, mais dont lui-même, depuis huit jours, ne parvient pas à faire l’aveu. e Quand la pièce commence,l’amour sans espoir d’Antiochus ne peut plus se contenir.Seule la crainte du courroux de Bérénice le retient.Déchiré,un temps,entre son désespérant silence et cette crainte,il se résout à l’aveu en se rassurant à la pensée qu’il pourra être plaint ou que son départ pour l’Orient le disculpera.Titus,lui,à l’acte IV, se trouve prisonnier d’un dilemme cornélien entre amour et devoir, entre passion 34 A c t e I V, s c è n e 4 et gloire. Ses résolutions précédentes se sont affaiblies, et, au moment où il doit rencontrer Bérénice pour lui annoncer sans détour leur rupture,il cède aux mouvements de son cœur. Mais cet abandon à la passion et au bonheur personnel déclenche un sursaut moral et un remords exigeant qui lui dictent avec force de se soumettre à la loi romaine et de renoncer à Bérénice.Antiochus fait prévaloir les élans du cœur; Titus les écarte et choisit de se sacrifier aux exigences de la loi romaine. r Les deux parties du monologue de Titus trouvent leur charnière à la césure des hémistiches du vers 1013. t Les pronoms tu et je ont une référence qui s’inverse d’une partie à l’autre du monologue. Dans la première partie, ils participent à la formulation d’un dialogue fictif où l’amant de Bérénice défie l’empereur résolu à rompre. À travers ce dédoublement,Titus, «juge de Titus», accuse son double d’être un amant «téméraire» et « barbare ». En réponse à ces reproches virulents, le pronom je se charge d’un repentir amoureux vibrant et développe une vision imaginaire de la reine si touchante qu’elle rend crédible l’impossible, à savoir l’adhésion de Rome à une reine étrangère. Dans la seconde partie, la référence des deux pronoms s’inverse.Titus, « juge de Titus », s’adresse encore à son double, mais en défenseur de l’honneur romain exprimant de virulents sarcasmes à propos de sa passion.Le je se soumet alors à un repentir d’empereur et s’offusque de ses négligences envers le bien public.Dans la succession de ces deux dédoublements,Titus regarde, comme en un miroir, les composantes inconciliables de son dilemme. y La première partie du monologue (v.987-1013) fait entendre deux voix :la voix qui évalue et souligne la cruauté de l’aveu à faire et la voix de l’amant fidèle qui, en réponse,écarte avec confiance son «triste devoir».La seconde partie (v.1013-1040) est encore un duo de voix mais sur des enjeux contraires.Titus répond aux sommations de la voix du devoir et de la gloire et se range à ses ordres en se reprochant avec force ses négligences d’empereur. u La voix de censure qui ouvre chacune de ces parties se résume à chaque fois dans un qualificatif :d’abord le mot «barbare» (v.992) et ensuite le mot «lâche» (v.1024). i On voit, dans la première partie,Titus faire le choix de l’amant prêt à épouser celle qu’il aime et confiant dans l’indifférence ou l’adhésion des Romains à ce lien avec une reine étrangère. Dans la seconde partie,Titus n’a pour référence que ses devoirs d’empereur et les exigences de la renommée. o Le débat de conscience de Titus est initié par l’artifice d’une oralité simple et familière exprimée dans l’interjection du vers 987 : «Hé bien,Titus, que viens-tu faire ?» 35 RÉPONSES AUX QUESTIONS q Le monologue met en évidence le double enjeu du destin de Titus, mais rend claire aussi la primauté que Titus accorde à Rome. Le propos nomme plus souvent Rome que Bérénice.Titus choisit d’abord l’amour,mais formule ce choix par rapport à une Rome conciliante («Rome sera pour nous»),évoquée cinq fois dans la première partie. Dans la seconde partie, le nom de Rome est associé deux fois, comme sujet, au verbe juger. La cité devient allégorie de la Justice et du Bien, alors que Bérénice,inscrite dans la première partie avec le charme de ses yeux,ses larmes et ses vertus, est réduite, à partir du vers 1013, à l’image de la condamnée (v. 1017) et celle, plus dégradante, de la beauté qui suit son vainqueur; on peut, en lisant le vers 1021, songer aux généraux vainqueurs qui ramenaient dans leurs «bagages» quelques belles esclaves. s La brisure du vers sert à plusieurs reprises à souligner le sursaut instinctif qui pousse Titus vers le choix de l’honneur et de la renommée.On l’observe au vers 1013, avec la pause prolongée à l’hémistiche. On l’observe aussi au vers 1030, dans l’effet de rupture logique entre la question du premier hémistiche et le contenu du second hémistiche. On le voit de façon plus marquée au vers 1039, où se trouve brisé le rythme traditionnel de l’alexandrin, par l’absence de coupe à l’hémistiche ou, plus exactement, son anticipation au quatrième pied («Ne tardons plus»). d Titus fonde sa résolution finale («Ne tardons plus : faisons ce que l’honneur exige») dans le raccourci de deux constats arbitraires : depuis la mort de son père, il a tout fait pour l’amour (v.1030) et a perdu son temps (v.1038).Bérénice et lui-même ont montré et dit le contraire dans les scènes précédentes. f Le regret que formule Titus par rapport au temps est de «l’avoir perdu»,c’est-àdire d’avoir manqué, depuis huit jours qu’il est empereur, aux devoirs de sa charge. Il fonde ce regret sur un passé récent mal employé et sur un avenir incertain.Titus parle en effet du «temps […] précieux» comme s’il avait l’intuition de la brièveté de son règne (v.1036).Racine,à travers cette appréhension de son personnage,renvoie le public à la vérité historique d’un règne qui n’a duré que deux ans (79-81). g Les regards du peuple romain,porteurs de souffrances ou d’espoirs,sont les centres d’intérêt auxquels Titus fait allusion au vers 1033.Titus veut associer son image à celle traditionnelle du père de la patrie. h La lecture du vers 1035 oriente le sens du mot « honneur » au vers 1039.Titus donne à ce mot une valeur plus politique que morale. Il pourrait être remplacé par le mot Empire.Titus se sent investi de la force impérialiste de Rome et veut la respecter et l’étendre. 36 A c t e I V, s c è n e 4 ◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 120 À 126) Examen des textes a Les trois textes du corpus mettent en évidence la nécessité pour le locuteur de résoudre un dilemme : – textes A et B : dilemme entre amour et honneur ; – texte C : dilemme de la sincérité absolue dans un journal intime. z Texte A :Titus se dédouble en censeur des alternatives de son dilemme (censeur de l’empereur qui veut annoncer à Bérénice sa répudiation;censeur de l’amant qui veut épouser Bérénice). Texte B : Rodrigue parle, tout au long des stances, en fils et en amant. C’est finalement le fils qui a le dernier mot. Rodrigue choisit de venger son père. Texte C :l’introspection que conduit le locuteur le met dans le double rôle d’acteur et d’analyste. e Le personnage de Titus permet,dans ce monologue,de retrouver quelques traits du héros cornélien. Il en a la stature sociale et morale. Son dilemme entre honneur et amour décline des valeurs cornéliennes et constitue une affaire d’État. Mais ces analogies se trouvent dévoyées par les traits psychologiques de Titus, héros hésitant qui confond honneur et volonté de puissance. Il n’a pas le «tonus héroïque» que l’on prête au héros cornélien et qu’illustre tout particulièrement Rodrigue. r Ces trois extraits illustrent la variété du lyrisme : – texte A : lyrisme «polyphonique» à travers la variété du dialogue fictif (colère, amour, remords, patriotisme, fierté); – texte B : lyrisme de forme et de fond (stances lyriques où s’expriment les douleurs d’un choix tragique); – texte C : lyrisme insolite de l’angoisse existentielle où les tenants de la souffrance et des peurs sont étranges et inattendus. t Dans cet extrait de La Nausée, le développement de la pensée du héros-locuteur se fait dans un mouvement chronologique de remontée du temps très classique mais où les transitions, très orales, maintiennent une authenticité familière et intime. Elles sont ménagées par le besoin du locuteur de donner ses impressions présentes sur le passé qu’il évoque.Ainsi ces transitions interrompent la remontée dans le passé et instaurent un va-et-vient avec le présent. 37 RÉPONSES AUX QUESTIONS Travaux d’écriture Question préliminaire Une peur particulière est exprimée dans chacun des extraits du corpus. Elle justifie l’énonciation solitaire qui en rend compte. Le monologue constitue le support classique des hésitations et des peurs attachées à un dilemme. Un héros de tragédie qui délibère à propos d’un choix moral essentiel et vital, dans la crainte et l’urgence comme y sont soumis Titus et Rodrigue, s’exprime souvent dans un monologue. C’est la fonction de ce genre de tirade. Le monologue de Titus permet de vérifier l’adéquation de la parole solitaire avec une peur double que nourrit le risque de perdre ou son amour ou son honneur. L’épouvante de Rodrigue, pris au double piège de l’honneur de son sang et de son amour, gagne en vraisemblance par l’effet de rupture qu’introduit l’hétérométrie des stances (hexasyllabes,octosyllabes, décasyllabes,alexandrins).Le trouble intense du personnage est mis en valeur par un système de rimes particulier. Corneille, dans son «Examen» d’Andromède, associe les variétés métriques des stances à la vérité des sentiments et au plaisir du public. Antoine Roquentin,le héros de La Nausée, élabore la prise de conscience de sa peur à travers la longue introspection que livrent les pages de l’extrait C. La peur formulée dans les dernières lignes représente l’aboutissement d’une quête, la compréhension d’une inhibition. En découvrant qu’il a « peur d’entrer en contact avec [les objets] tout comme s’ils étaient des bêtes vivantes», il peut répondre à la question qui le hante : pourquoi n’a-t-il pas pu dire dans son journal intime qu’il lui avait été impossible de «ramasser un papier qui traînait à terre» ? Ce n’est pas là une peur qui se rattache à la morale,mais une peur qui intéresse la psychanalyse et qui est constitutive de l’être. La parole solitaire qui la révèle est un récit d’introspection. Commentaire Introduction Ce monologue met en lumière le «théâtre» que Titus doit se faire pour renvoyer Bérénice, et souligne également avec insistance les timidités de l’empereur devant Rome. 1. Les deux scènes du monologue A. La symétrie textuelle • 1re partie, du vers 997 au vers 1013. • 2nde partie, du vers 1013 au vers 1040. 38 A c t e I V, s c è n e 4 B. L’opposition dramatique • De l’abandon à l’union. • De l’union à l’abandon. C. La progression dialectique : le contre et le pour de la répudiation • Le contre : une cruauté que Rome n’a pas demandée et qu’elle exclura sans doute. • Le pour : une urgence morale et politique, Rome étant victime du temps perdu à «faire l’amour». 2. Bérénice et Rome : deux actants inégaux A. Inégalité de présence dans le texte • Évocation de Bérénice :la «douce langueur» des yeux,«leurs charmes»,«leurs larmes»; ses «vertus»; image prosaïque de son arrivée à Rome. • Omniprésence de la référence à Rome. B. Faiblesse actantielle de Bérénice, force actantielle de Rome • Bérénice, un opposant au « triste devoir » de Titus : opposant charmeur dans la première partie, opposant corrupteur dans la seconde partie. • Rome trouve dans le monologue plusieurs fonctions actantielles : destinateur, destinataire et adjuvant pour la gloire de Titus ; opposant déclaré à Bérénice (v. 1021-1022). 3. Les timidités de Titus A.Timidités de parole L’aveu de la répudiation lui est impossible. B.Timidités d’image publique Seule l’image conventionnelle de l’empereur respectueux des lois, paternaliste et conquérant lui paraît acceptable. Conclusion Le « nous » de Titus peut s’entendre, dans les derniers vers, comme un pluriel de majesté. L’empereur sait trouver des compensations à son sacrifice amoureux. Dissertation Introduction Dès l’âge classique, le monologue a été un sujet d’esthétique théâtrale très débattu et même controversé. 39 RÉPONSES AUX QUESTIONS 1. Le monologue dans la tragédie, comme dans la comédie, est apparu justifié par les difficultés du héros. Elles accordent le texte aux exigences de la vraisemblance. Elles captivent l’émotion et l’attention du public A. La détresse justifie l’appel au secours qu’est souvent le monologue Le Cid : «Ô Dieu, l’étrange peine !» B. Le caractère pathétique du monologue en fait la séduction, et les grands comédiens ont su et savent valoriser ce genre de tirade C. Les mauvais coups du sort imposent des pauses de réflexion pour pouvoir rebondir Dans L’École des femmes de Molière, le personnage d’Arnolphe exprime désespoir et espoir en sept monologues. 2. La détresse et l’abattement du héros autorisent une grande variété de discours et de tons dans le monologue A.Adresse à l’absent Effet de dialogue : Bérénice, monologue d’Antiochus (I, 2). B.Adresse au moi • Ce peut être une invite apaisante, une virulente adresse, une plainte élégiaque. • Approfondissements ou prises de distance pour éclairer une conduite. C.Adresse à une instance supérieure • Dieu et l’épée de son père, pour Rodrigue. • Phèdre s’adresse à Vénus (Phèdre, scène 2 de l’acte III). 3. La comédie sait exploiter le monologue pour éclairer, voire aggraver le ridicule d’un personnage ou d’une situation A. Monologues de délire • Matamore dans L’Illusion comique de Corneille (III, 7). • Harpagon dans L’Avare de Molière (IV, 7). B. Monologues d’exposition d’un personnage et d’une situation comiques • Amphitryon de Molière : monologue de Sosie (I, 1). • George Dandin de Molière : monologue de George Dandin (I, 1). Conclusion En tant que « projection de la forme exclamative » (T.Todorov, Les Registres de la parole), le monologue s’adapte au malheur des héros et, en lui offrant des modes d’énonciation variés, rend le pathétique qui s’y exprime très accessible. Mais il faut s’arrêter aux particularités de certains monologues de comédie pour voir dans le 40 A c t e V, s c è n e s 6 e t 7 monologue un champ plus large que celui du pathétique. Le monologue permet aussi le grossissement comique. Écriture d’invention • Il s’agit à la fois d’une lettre d’amour et d’une lettre d’éloge. • Pour ce travail,il s’agit de récrire et de développer les stances.Il convient en particulier de bien expliciter la quatrième stance en insistant sur l’honneur de Chimène qui ne peut accepter un amant qui serait,par amour,un fils indifférent à l’honneur de son père.La lettre peut ainsi se concevoir comme une lettre faisant l’éloge moral de Chimène, capable,par ses valeurs,de comprendre et d’approuver la décision de Rodrigue. A c t e V, s c è n e s 6 e t 7 ( p p . 1 4 3 à 1 4 9 ) ◆ LECTURE ANALYTIQUE DES SCÈNES 6 ET 7 (PP. 150 À 153) a Pour Titus, les souffrances de l’homme et de l’empereur se développent en étant confrontées à des obstacles prévisibles et d’autres imprévisibles. Il énumère, au vers 1368, les obstacles qu’il avait prévus, obstacles attachés à un «triste adieu» (v. 1367). Mais il confie ensuite que ces obstacles ont pris une forme paroxystique qui amplifie ses souffrances.Ses «craintes» et ses «combats» ont évolué en rencontrant l’obstacle d’une «vertu» qu’il voit «tomber» (v. 1374) dans un «trouble» qui lui fait honte. Il y perd, dit-il, le sens de sa propre identité (v. 1380-1381). Les «larmes» et les «reproches» de Bérénice, obstacles prévisibles, ont maintenant la dimension tragique de la mort (v.1385).C’est pour Titus le comble de la douleur (v.1387-1388). z La douleur de Titus se formule avec le renfort anticipé du lexique de la peur: «triste adieu» (v. 1367) = «moment redoutable» (v. 1364). e L’extrême douleur de Titus tient à la lecture qu’il a faite, à la scène précédente (sc. 5), d’une lettre arrachée à Bérénice. Il a ainsi découvert le désir de la reine de se suicider plutôt que de quitter Rome. r C’est sous la forme narrative du récit que Titus fait l’exposé de ses souffrances. t Son discours s’organise en un rappel du passé (v. 1364-1384) qui vient éclairer la situation présente, un sommet de souffrance (v. 1385-1388). y La première opposition entre «heureux hymen» et «gloire inexorable» se modifie en s’inversant après le constat du vers 1396 : « L’empire incompatible avec votre hyménée ». Le respect de l’hyménée est ensuite associé à des expressions péjora41 RÉPONSES AUX QUESTIONS tives : « lâche conduite », « indigne empereur », « vil spectacle », « faiblesses d’amour ». Ces mots prolongent et inversent l’opposition avec la «gloire inexorable» en la transformant implicitement en une force bienveillante,gardienne de l’honneur de Titus mais aussi de celui de Bérénice (v. 1403). u Le choix légaliste qu’exprime Titus prend une dimension solennelle et surnaturelle par le jeu de la métaphore et de l’allégorie. La métaphore du maître et du disciple décrit et justifie ce choix en transformant la gloire impériale en allégorie autoritaire et moralisatrice.Titus se montre ainsi sous une tutelle transcendant sa volonté et lui dictant une conduite qui doit impérativement respecter la loi romaine et «l’éclat» (v. 1397) de ses propres triomphes passés. i Titus veut dissuader Bérénice de se suicider en la menaçant de la devancer, à l’instant, en se transperçant devant elle : « Et je ne réponds pas que ma main à vos yeux / N’ensanglante à la fin nos funestes adieux» (v. 1421-1422). o L’anaphore des «Si» (v. 1415-1418) et l’entrelacement des pronoms et adjectifs de 1re et 2nde personnes soulignent combien le suicide de Titus est conditionné par une conduite qui implique les deux amants. q Antiochus,au début de la scène 7,croit que Titus a renoncé à répudier Bérénice et qu’il se prépare à l’épouser. Il retrouve, croit-il, la même situation que celle où il était au commencement de la pièce. s La didascalie qui accompagne la dernière tirade de Bérénice indique que la reine se lève pour parler. Ce détail de mise en scène insiste sur le rôle majeur que va prendre sa parole. d La tirade de Bérénice dénoue l’action tragique, l’action amoureuse et l’action politique. Le dénouement que trouvent les menaces tragiques de suicide, formulées par les trois personnages, est heureux car la force morale de Bérénice s’instaure en modèle qui veut arrêter le «sang prêt à couler» (v. 1474). Mais le dénouement amoureux, «moment funeste» (v. 1491), reste celui d’une tragédie : l’amour impossible pour les trois héros. Le dénouement politique se fait, lui, à l’avantage de Rome et de la gloire de Titus : «Adieu, Seigneur, régnez : je ne vous verrai plus» (v. 1494). Les destinataires du propos de Bérénice sont Titus et Antiochus. Du vers 1475 au vers 1494, Bérénice parle à Titus ; et c’est à lui encore qu’elle destine ses dernières paroles, au vers 1506. Onze vers, dans cet intervalle, s’adressent à Antiochus avec une force péremptoire et distante : ils préparent le «Hélas !» final du roi de Comagène. f Bérénice est le seul personnage dont la situation finale représente une cruelle inversion de la situation initiale : l’exil géographique et amoureux est son lot, alors 42 A c t e V, s c è n e s 6 e t 7 qu’elle se voyait quelques heures plus tôt sur le point de devenir impératrice romaine.Titus arrive à une issue conforme à ce qu’il a préparé depuis huit jours : une répudiation sans rupture des cœurs et un éloignement de Bérénice sans équivoque pour son opinion publique.Antiochus retrouve dans sa situation finale sa situation initiale mais aggravée. Son départ de Rome va se faire dans les conditions qu’il a envisagées tristement au premier acte : il doit partir «importun à regret» (v. 9). Mais les mots du dénouement lui confirment aussi avec force la disgrâce qu’il s’est acquise dans les scènes précédentes (I,3 et III,3) auprès de Bérénice :«Portez loin de mes yeux vos soupirs et vos fers» (v. 1501). g On relève dans la tirade de Bérénice 7 occurrences du verbe aimer et 4 du mot amour. Cette insistance lexicale met en valeur une liaison amoureuse exemplaire rattachée au passé et éclaire un paradoxe sentimental se rapportant à la situation nouvelle inscrite dans le dénouement (v. 1500). h L’instant du dénouement est désigné par Bérénice avec les termes « moment funeste» (v. 1491). Le champ lexical du «désespoir», initié au vers 1472, s’enrichit de l’adjectif «funeste»,après avoir englobé les mots «larmes»,«alarmes»,avant d’inclure le terme «adieu» et l’expression superlative «l’amour […] la plus malheureuse» (v.1503). j Le coup de théâtre que représente la «conversion» de Bérénice aux exigences de la loi romaine est éclairé par son «assomption» amoureuse, véritable abnégation des sens, qui lui fait admettre la pérennité de la passion, malgré la séparation définitive des corps, et lui fait accepter la consolation de la renommée (v. 1502-1503). La souffrance que lui a imposée la découverte d’une nécessaire rupture entre elle et Titus, après avoir forgé son désespoir,forge son idéalisme.Pour elle,cette attitude représente un «effort» (v. 1492) qu’elle peut faire parce qu’elle se sait aimée. En se contentant de ce lien platonique, en choisissant de partir, elle renonce au suicide et oublie qu’elle a supplié Titus de la laisser rester à Rome,même séparée de lui (v.1126-1129). k L’adieu que Bérénice adresse à Antiochus renouvelle l’adieu à Titus, car la reine y reprend, pour elle et pour Titus, trois fois le verbe aimer et réintroduit ainsi une seconde déclaration d’amour à l’empereur. l Le « Hélas ! » d’Antiochus est le commentaire virtuel de différents aspects de la tirade de Bérénice. Il peut commenter tout ce que Bérénice a exprimé de la réciprocité de l’amour qui l’unit pour toujours à Titus. Il peut exprimer l’accablement d’un amoureux congédié sans ménagements, au vers 1501. Il peut aussi représenter un refus accablé de l’invite formulée au vers 1469. Cet « Hélas ! » n’exclut pas en effet le suicide prochain d’Antiochus. 43 RÉPONSES AUX QUESTIONS ◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 154 À 159) Examen des textes a Chacun des textes du corpus établit un lien logique particulier entre souffrance et récompense : – texteA: lien d’analogie exprimé aux vers 1502-1504 («Servons tous trois d’exemple à l’univers / De l’amour la plus tendre et la plus malheureuse / Dont il puisse garder l’histoire douloureuse »). La récompense à la souffrance des trois protagonistes peut être une image idéale d’eux-mêmes; – texte B :lien d’opposition exprimé dans un paradoxe («C’est la Mort […] qui fait vivre») et une vision paradisiaque qui est une inversion des malheurs de la pauvreté («C’est l’auberge fameuse inscrite sur le livre / Où l’on pourra manger,et dormir,et s’asseoir»); – texte C :lien de cause à conséquence entre souffrance et récompense pour Alissa. Elle attend du sacrifice douloureux de l’amour terrestre «le meilleur» promis dans un verset biblique. z Bérénice et Alissa représentent deux amoureuses prêtes à se contenter jusqu’à la fin de leurs jours d’amours platoniques. Mais, dans la justification de cette conduite héroïque, elles s’opposent.Alissa prétend obéir à Dieu, alors que Bérénice trouve ses raisons dans un effort personnel d’abnégation qui l’invite à s’effacer devant les attentes de l’Empire romain (v. 1484-1488). e Les deux interjections s’inscrivent dans un contexte de désespoir tragique. Le poète s’attache à la fatalité du dénuement des pauvres qui transforme la mort en délivrance de rêve où les pauvres peuvent inscrire leurs attentes vitales. Le personnage d’Antiochus exprime avec «Hélas !» la dimension tragique de son destin : derrière et devant lui il y a la souffrance de la solitude. Il n’a lui aussi d’espoir qu’en la délivrance que pourrait lui apporter la mort. r Le poète dissocie son propos du discours chrétien dans le dernier tercet où l’expression «gloire des Dieux» induit une vision de la mort qui ne peut plus correspondre à ce qui est «[inscrit] sur le livre» (2nd quatrain), c’est-à-dire la Bible. t La vision de la justice divine que développent ces vers peut être qualifiée de double.Bienfaits et courroux divins peuvent faire songer aux dieux de l’Antiquité. En revanche, le principe de réversibilité des mérites inscrit dans les vers 14661468 renvoie au dogme chrétien de la «communion des saints». 44 A c t e V, s c è n e s 6 e t 7 Travaux d’écriture Question préliminaire Chacun des textes du corpus avance l’idée du sacrifice.Les textes A et C véhiculent cette idée au travers des personnages ; le texte B l’induit dans la réflexion qu’il exprime sur la mort des pauvres. La dernière scène de Bérénice constitue un dénouement à partir de deux types de sacrifices : le sacrifice de Bérénice relève de l’abnégation amoureuse, alors que celui d’Antiochus prend le caractère religieux du sacrifice, rituel de médiation avec les dieux. Le sacrifice d’Alissa reproduit l’abnégation de Bérénice mais sa finalité est autre : il doit se définir comme un sacrifice de mortification chrétienne, effort vers la pureté du saint. Dans La Mort des pauvres, Baudelaire invite à réfléchir sur le sacrifice, espérance de bonheur éternel après la mort. Commentaire Introduction Ce poème s’attache à présenter la mort comme la dernière espérance des pauvres. Mais,tout en reprenant ainsi le thème évangélique de la pauvreté sainte,le poète en souligne les aspects révoltants et injustes. 1. L’approche réaliste de la pauvreté A.Les quatrains rassemblent des allusions claires aux grandes difficultés d’existence des pauvres • Interminable marche. • Le froid. • La faim. • L’absence de logis, de vêtement. B. Le poète fait sienne cette réalité : «notre horizon noir» 2. Les références bibliques A. Références à des textes • Le bon Samaritain, les pèlerins d’Emmaüs («l’auberge fameuse»). B. Références à des dogmes • Deux vertus théologales, la Foi et l’Espérance, fondent la définition de la mort. • Sainteté du Pauvre, assuré, par ses souffrances terrestres, du repos éternel. 3. Le mysticisme du poème dans la définition de la mort des pauvres A. Son expression profane • Paradoxe simple (v. 1). 45 RÉPONSES AUX QUESTIONS • Analogies prosaïques (« élixir », « auberge », « grenier », « bourse du pauvre »), vision prosaïque aussi du repos éternel («un Ange […] qui refait le lit»). B. Son expression sacrée • Style incantatoire avec l’anaphore du présentatif «C’est». • Mystère des tercets où alternent abstrait et concret. Conclusion Ce poème montre que Baudelaire, fasciné dans une large partie de son œuvre par la théologie de la Chute,s’est senti également inspiré par la théologie de l’Espérance, retrouvant là une inspiration romantique. Dissertation Introduction La question des finalités que l’écrivain doit fixer à sa création littéraire reçoit diverses réponses.Celle d’André Gide est classique mais limitative car elle ne mentionne pas la part de l’imagination et de l’engagement provocateur dans la création littéraire. 1.Associer la préoccupation esthétique et la préoccupation morale a été l’objectif des grandes œuvres, du XVIIe au XXe siècle A. XVIIe siècle • Les règles du théâtre classique correspondent à un idéal d’ordre esthétique et d’ordre moral.La Préciosité s’efforce de promouvoir une relation raffinée entre hommes et femmes. B. XVIIIe siècle • L’esthétique des Lumières se met au service de l’émancipation des esprits.Voltaire, Diderot et Rousseau développent dans leurs œuvres une philosophie soucieuse de nourrir l’esprit critique des lecteurs. C. XIXe siècle Les esthétiques romantique, réaliste, naturaliste sont associées à un idéalisme moral plus ou moins en filigrane dans les œuvres littéraires. Le romantisme de Hugo fait du poète, romancier et dramaturge le prophète des humbles et des misérables; le réalisme de Balzac se fonde sur sa doctrine sociale et religieuse; le naturalisme de Zola s’attache à décrire et analyser le fatalisme de la chair et les différents déterminismes qui construisent le destin des êtres. D. XXe siècle Le classicisme de Gide,de Mauriac,de Montherlant s’attache à l’exploration de l’âme humaine. 46 A c t e V, s c è n e s 6 e t 7 2. Mais bien des écrivains se sont imposés par la seule richesse de leur imagination ou la seule force provocatrice de leur engagement esthétique A. Esthétisme des poètes du Parnasse Impersonnalité et culte de la beauté. B. Imagination, spontanéité et audace des génies précoces Rimbaud, Lautréamont,Alfred Jarry, Raymond Radiguet. C. Engagement et provocation esthétiques Le mouvement Dada, les poètes surréalistes, le Nouveau Roman (Les Éditions de Minuit). 3. La force vitale d’une œuvre est difficile à codifier et se mesure selon des critères très variés et variables A. Le critère du succès présent Préface de Bérénice. B. Le critère de la postérité Le roman d’Honoré d’Urfé L’Astrée,«livre de chevet du XVIIe siècle»,est depuis plus de deux siècles «illisible». C. Le critère d’universalité La pérennité des grandes œuvres de Molière et des Fables de La Fontaine. Conclusion La création littéraire révèle sa force dans la vérité ou les vérités que peut y trouver le lecteur sur le plan de la forme et/ou du fond. «Le moyen d’être idéal, c’est de faire vrai» (Flaubert). Écriture d’invention Ce travail se fait sur le modèle du «Courrier des lecteurs».La critique de l’idéalisme peut être conduite en trois temps : 1. La réalité sociale : la misère et l’indifférence. 2. Faire des pauvres les privilégiés de Dieu peut conforter cette indifférence. 3. La mort des pauvres n’est un sujet ni poétique ni métaphysique, mais bien un sujet politique que savent traiter comme tel les romanciers (Balzac, Hugo…). 47 BIBLIOGRAPHIE C O M P L É M E N TA I R E ◆ OUVRAGES SUR R ACINE ( VIE ET THÉÂTRE) – Alfred Bonzon, La Nouvelle Critique et Racine, Nizet, 1970. – Jean Émelina, Racine infiniment, SEDES, 1999. – Lucien Goldmann, Le Dieu caché, Gallimard, 1955. –Thierry Maulnier, Racine, Gallimard, 1947. – Pierre Moreau, Racine : l’homme et l’œuvre, Hatier, 1956. – René Pommier, Le «Sur Racine» de Roland Barthes, SEDES 1988. – Gilles Revaz,La Représentation de la monarchie absolue dans le théâtre racinien,éd.Kimé, 1998. – Jean Starobinski, L’Œil vivant : Racine et la poétique du regard, Gallimard, 1961. – Émile Verhaeren, Racine et le Classicisme, éd. Complexe, 2002. – Eugène Vinaver, Racine et la Poésie tragique, Nizet, 1951. ◆ OUVRAGES SUR BÉRÉNICE ET SUR LA TRAGÉDIE – Actes du colloque (22 octobre 1999) «Présence de Racine – « Bérénice » : élégie ovidienne et tragédie racinienne», vol. XVI, CEDIC, 2000. – Recueil d’articles sous la direction de Suzanne Guellouz,Racine et Rome :«Britannicus, Bérénice, Mithridate», Paradigme, 1995. – Bénédicte Louvat, La Poétique de la tragédie classique, SEDES, 1997.