Bérénice - biblio

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Bérénice - biblio
Bérénice
Racine
Livret pédagogique
établi par Marie-Henriette BRU,
professeur certifié de Lettres classiques en lycée
HACHETTE
Éducation
Conception graphique
Couverture et intérieur: Médiamax
Mise en page
Maogani
Illustration
Bérénice et Phénice
© Hachette Livre-Photothèque
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Hachette Livre, 2003.
43, quai de Grenelle – 75905 PARIS Cedex 15
ISBN: 2.01.168703.9
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«toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants
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contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
SOMMAIRE
AVA N T - P R O P O S
4
TA B L E
6
D E S CO R P U S
RÉPONSES
AU X Q U E S T I O N S
10
B i l a n d e p re m i è re l e c t u re . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 0
Ac te I , s c è n e 4
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 2
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 1 6
Ac te I I , s c è n e 2
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 1
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 2 4
Ac te I I I , s c è n e 3
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 8
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 3 0
Ac te I V, s c è n e 4
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 4
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 3 7
Ac te V, s c è n e s 6 e t 7
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 1
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 4 4
BIBLIOGRAPHIE
CO M P L É M E N TA I R E
48
AVANT-PROPOS
Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre
en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de
préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace
d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires,
techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation
contextualisée, de l’imitation…).
Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs.
Bérénice, en l’occurrence, permet de travailler sur la tragédie classique, l’élégie, et constitue une voie d’accès pour une étude du
théâtre, du monologue délibératif et de la stylisation de la parole au
théâtre.
Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois :
– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du
texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des
notes claires et quelques repères fondamentaux ;
– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les
élèves aux travaux d’écriture.
Cette double perspective a présidé aux choix suivants :
• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page,
afin d’en favoriser la pleine compréhension.
• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre
la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions
pouvant donner lieu à une exploitation en classe.
• Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et des
tableaux donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de
l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres
et registres du texte…
• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à
faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages
4
de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur
fond blanc), il comprend :
– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe
après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions
courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens
général de l’œuvre.
– Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraits
les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage ; les notions indispensables sont rappelées et quelques
pistes sont proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener à
construire sa propre lecture analytique du texte. On pourra procéder
en classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèves
pour construire avec eux l’analyse du texte.
– Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un document
iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet
d’un questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire
d’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement
à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de
Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents
complémentaires.
Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos
élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la
réflexion.
5
TABLE
DES CORPUS
Composition
du corpus
Corpus
Les lieux élégiaques
(p. 48)
Texte A : Extrait de la scène 4 de l’acte I de Bérénice de
Jean Racine (p. 40, v. 187, à p. 41, v. 208).
Texte B : Le Lac d’Alphonse de Lamartine (pp. 49-50).
Texte C : Le Pont Mirabeau de Guillaume Apollinaire
(pp. 51-52).
Texte D : Extrait du début d’Aurélien de Louis Aragon
(pp. 52-53).
La tragédie
romaine
(p. 72)
Texte A : Extrait de la scène 2 de l’acte II de Bérénice
de Jean Racine (p. 59, v. 371, à p. 61, v. 419).
Texte B : Extrait de la scène 5 de l’acte IV de Horace
de Pierre Corneille (pp. 72-73).
Texte C : Extrait de la scène 2 de l’acte I de Britannicus
de Jean Racine (pp. 73 à 75).
La stylisation
de la parole
dans le dialogue
de théâtre
(p. 101)
Texte A : Scène 3 de l’acte III de Bérénice de Jean
Racine (pp. 91 à 96).
Texte B : Extrait de la scène 5 de l’acte II de L’École
des femmes de Molière (pp. 102 à 104).
Texte C : Extrait de la scène 2 de l’acte III de Ruy Blas
de Victor Hugo (pp. 104-105).
Texte D : Extrait d’Un mot pour un autre de Jean
Tardieu (pp. 105 à 107).
6
Objet(s) d’étude
et niveau
Le biographique
(Première)
Compléments aux travaux d’écriture
destinés aux séries technologiques
Question préliminaire
Quel type de souvenirs s’attache aux lieux évoqués
dans chacun des textes du corpus ?
Commentaire
Comment et vers quoi est ranimé le souvenir ?
Le théâtre :
formes et langage
(Première)
Question préliminaire
Quelles différentes représentations de la raison d’État
sont données dans ce corpus de textes ?
Commentaire
Dans quel rôle fureur et désespoir enferment-ils
Camille ?
Les réécritures
(Première)
Question préliminaire
Quelles arrière-pensées se laissent deviner en chacun
des dialogues du corpus ?
Commentaire
Comment est rendu pathétique l’« appel au grand
homme » ?
7
TABLE
DES CORPUS
Composition
du corpus
Corpus
Les aspects
littéraires du
monologue
délibératif
(p. 120)
Texte A : Scène 4 de l’acte IV de Bérénice de Jean
Racine (pp. 113 à 115).
Texte B : Extrait de la scène 6 de l’acte I du Cid
de Pierre Corneille (pp. 120 à 123).
Texte C : Extrait de La Nausée (« Mardi
30 janvier ») de Jean-Paul Sartre (pp. 123 à 125).
Choisir « la porte
étroite »
(p. 154)
Texte A : Scène 7 de l’acte V de Bérénice de Jean
Racine (pp. 146 à 149).
Texte B : La Mort des pauvres de Charles Baudelaire
(p. 155).
Texte C : Extrait du chapitre VIII de La Porte étroite
d’André Gide (pp. 156 à 158).
8
Objet(s) d’étude
et niveau
Argumenter
et délibérer
(Première)
Compléments aux travaux d’écriture
destinés aux séries technologiques
Question préliminaire
Par l’expression de quels sentiments est rendue
intéressante la parole solitaire inscrite dans les extraits
du corpus ?
Commentaire
En quoi ce monologue est-il un monologue
délibératif ?
Argumenter
et délibérer
(Première)
Question préliminaire
À quel type de résignation chacun des textes du
corpus fait-il allusion ?
Commentaire
Quelle est la double leçon morale de ce poème ?
9
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Bilan de première lecture (p. 160)
a Les cinq années séparant le moment présent du temps où Bérénice a rencontré
Titus sont évoquées dans le rappel douloureux que fait Antiochus à deux reprises
(v. 25, 209) de son silence amoureux, et dans la confidence de Titus à Paulin au
vers 545. Au vers 503,il y est encore fait allusion avec l’adverbe «jadis». Aux vers 13391340,Titus rappelle une dernière fois cet espace de cinq années.
z Bérénice est reine de Palestine. La liste des personnages le mentionne.
e Jérusalem est la ville détruite par Titus. Cet acte guerrier, destiné à réprimer les
troubles attachés à une guerre civile, est évoqué dans sa rudesse (« siège aussi cruel
que lent») aux vers 229-232.
r À deux reprises, le personnage de Bérénice développe dans ses répliques l’apothéose de l’empereur Vespasien. C’est, aux vers 164-166, la présentation du sénat
qui en a décidé; c’est ensuite, aux vers 301-313, l’évocation des fastes officiels et
populaires qui en ont marqué la célébration.Le cérémonial de l’apothéose vient de
se dérouler dans la nuit qui précède l’action dramatique ; il représente la clôture
glorieuse des obsèques de Vespasien, dont le décès remonte à huit jours. En liaison
avec ce décès sont évoquées aussi les brillantes cérémonies religieuses qui inaugurent
le règne du nouvel empereur Titus (v.318-320);Bérénice s’y réfère pour expliquer
sa sortie à la fin de l’acte I. Elle quitte la scène pour participer aux prières et sacrifices se déroulant en l’honneur de Titus.
t Ces deux types de cérémonies, qui grandissent la fonction impériale jusqu’à la
sublimer, ont amplifié chez Titus le sens du devoir et l’ont encouragé à penser et
vivre sa fonction en renonçant à ses passions et à son bonheur personnel.
y L’acte I met clairement en évidence que l’attente de Bérénice est l’annonce officielle
de son mariage avecTitus.L’acte II,dès le vers 446,définit l’attente deTitus comme une
attente de rupture définitive marquée par le départ de Bérénice,fixé au lendemain.
u Antiochus est chargé par Titus d’informer Bérénice de la répudiation qu’il n’a
pas le courage de lui annoncer lui-même. Le roi de Comagène exécute cette
mission à la scène 3 de l’acte III.
i La première rencontre sur scène deTitus et de Bérénice a lieu à la scène 4 de l’acte II;
la seconde à la scène 5 de l’acte IV.Dans les deux cas,l’un surprend l’autre.C’est d’abord
Bérénice qui,en allant versTitus,le surprend :«Mais parliez-vous de moi quand je vous ai surpris ?» (v.582).Puis,on a le mouvement inverse :en allant vers Bérénice,Titus la surprend
alors qu’elle sort de ses appartements (v.1042 :«Ah ! Seigneur,vous voici !»).
10
Bilan de première lecture
o Le «Pour jamais je vais m’en séparer» du vers 446,adressé à Paulin,se retrouve dans
l’information que reçoit Antiochus au vers 714 («il faut la quitter») et qu’il transmet
à Bérénice au vers 894 en ces termes : « […] à jamais l’un de l’autre il faut vous
séparer. » Au vers 1044, Bérénice, devant Titus, répète ces mots, sans vouloir y
croire,les reprenant pour interroger Titus.Celui-ci confirme la répudiation sans rien
changer à la formule; il dit à la reine au vers 1061 : «Car enfin, ma Princesse, il faut
nous séparer.»
q Bérénice parle en amoureuse abandonnée par un infidèle et un ingrat (IV).Gloire
et vertu politiques prétextées par Titus sont pour elle «barbarie» (v.1175),«injustice»
(v. 1187), et méritent la vengeance que peut être sa mort par le suicide.
s Bérénice propose à Titus de renoncer au mariage et de rester à Rome.Titus lui
oppose sa faiblesse d’amant toujours épris et la loi romaine; tout en se laissant aller
à des pleurs, il refuse d’autoriser le séjour de Bérénice à Rome.
d L’espace de l’Empire romain,dans Bérénice,est souvent assimilé aux dimensions de
l’univers.Le terme même d’«univers» remplace l’expression «Empire romain» en plusieurs passages. Cette confusion amplificatrice s’observe à plusieurs reprises dans les
propos de Titus (v.466,1035,1059) et dans ceux de Bérénice (v.1078,1085,1485),
mais se voit également dans les propos d’Antiochus (v. 221) et de Paulin (v. 1211).
f Phénice représente par ses craintes un point de vue proche de celui de Paulin.La
confidente encourage en effet Bérénice à se méfier du silence et des dérobades de
Titus,en évaluant le juste poids sur lui de la loi romaine dans le choix d’une épouse.
Dès l’acte I,en cinq vers (v.292-296),elle analyse la situation amoureuse de Titus et
de Bérénice, comme le fait Paulin dans sa tirade de l’acte II (v. 371-419). Ce qu’elle
propose à la reine, informée de sa répudiation par Antiochus à l’acte III, ressemble
aussi à la leçon de Paulin à Titus aux vers 414-419.Quand elle encourage Bérénice
à la grandeur d’âme (v. 904), on retrouve le vocabulaire de Paulin applaudissant
le choix qu’a fait Titus de renoncer à sa passion. Le confident félicite l’empereur
de son «amour de la gloire» et de son «grand courage».Les deux confidents,Phénice et
Paulin, montrent ainsi un profil très cornélien.
g Agrippa, le frère de Bérénice, avait approuvé et encouragé le mariage de sa
sœur avec Antiochus (v. 189-193).
h L’arrivée de Titus en Judée,pour écraser la guerre civile,a mis à mal ce projet.Le
coup de foudre entre Titus et Bérénice a évincé Antiochus. Le triomphe militaire
de Titus a forcé le roi de Comagène à une allégeance durable.
j Antiochus, depuis trois ans, est à Rome. Il y est venu poussé par le «désespoir»
où le tenait l’absence de Bérénice, installée à Rome par Titus (v. 239-240).
11
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
k Arsace représente le confident optimiste qui recommande à son maître de ne pas
désespérer et de tirer avantage de toutes les évolutions du drame entre Titus et
Bérénice.Au fil des scènes,il met en avant l’amitié de Titus pour le roi de Comagène,
puis l’opportunité de la répudiation de Bérénice et de son retour sous la protection d’Antiochus.Arsace veut toujours «annoncer un bonheur» (v. 1257-1258). On
peut le tenir pour perdant avec le dernier mot de la pièce, formulé par Antiochus :
«Hélas !» (v. 1506).
l Dans l’édition de Bérénice de 1671, Racine a ajouté une scène 9 à l’acte IV.
C’est un monologue d’Antiochus, où le personnage retrace la suite d’échecs qu’il
subit depuis le commencement de la journée : faux départ, fausse haine, faux
espoirs.Il résume ce parcours de déconvenues en deux vers :«Malheureux que je suis !
avec quelle chaleur / J’ai travaillé sans cesse à mon propre malheur !»
Acte I, scène 4 (pp. 38 à 43)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 44 À 47)
a Les propos d’Antiochus, dans cet extrait, développent un retour sur le passé
dont les acteurs sont des personnes royales. On peut observer, au fil du texte, la
succession des noms suivants :Agrippa (v. 191), roi de Judée et frère de Bérénice;
Titus, l’empereur de Rome ;Vespasien (v. 246, 248), son père, lui aussi empereur
romain. Il est à noter que l’empereur Titus est évoqué à sept reprises par Antiochus
(v.194,218,228,242,247,248,275).La confidence des vers 275-276 («Je fuis Titus :
je fuis ce nom qui m’inquiète, / Ce nom qu’à tous moments votre bouche répète») justifie le
nombre de ces occurrences comme la marque d’une obsession jalouse.Antiochus,
en effet, se sent trahi par le coup de foudre qu’a éprouvé Bérénice pour Titus, alors
même qu’Agrippa la lui destinait.Le roi de Comagène,le «triste Antiochus» (v.197),
amoureux de Bérénice, n’a plus été alors qu’un «malheureux rival» (v. 224). Ses liens
avec Titus apparaissent pourtant plus complexes que ceux dictés par la jalousie.
L’empereur entoure Antiochus de son amitié et l’encourage à rester proche de Bérénice
qui le tient pour un confident. C’est en fait un lien trompeur qu’Antiochus entretient avec eux (v. 243 : « Un voile d’amitié vous trompa l’un et l’autre »). La mort de
l’empereurVespasien (v. 248) donne à Titus le titre d’empereur et, en le laissant libre
désormais d’épouser Bérénice,met à mal les espoirs cachés d’Antiochus :voir Rome
etVespasien brandir la raison d’État pour chasser Bérénice et la séparer de Titus.
z Le personnage d’Antiochus inscrit son destin dans celui de la Judée,en un temps
de guerres civiles achevées par l’intervention brutale mais triomphante des Romains,
12
Acte I, scène 4
sous le commandement de Titus.Antiochus prétend appartenir au camp des vaincus
(v.198),mais il décrit aussi son action militaire aux côtés de Titus (v.211).Par amour
pour Bérénice,Antiochus s’est rangé parmi les princes vassaux des Romains en
Orient.Si sa présence à Rome,devant la reine Bérénice,confirme ce rang de prince
allié et soumis à l’empereur romain,ses évocations nostalgiques et mélancoliques de
l’Orient,de Césarée et des «tristes États» (v.237) de Bérénice confirment tout autant
ses regrets amoureux que ses désillusions patriotiques.
e Le « haut degré de gloire et de puissance » (v. 187) où Antiochus situe Bérénice
apporte une justification textuelle à la manière dont chacun des personnages
s’adresse à l’autre.Les liens antérieurs qu’évoque Antiochus – mêmes racines orientales, familles unies, fiançailles proches – ne s’associent à aucune familiarité de ton.
Il interpelle Bérénice avec le mot «Madame», et Bérénice encourage cette distance
par le vouvoiement et le mot «Seigneur» dans ses réponses à Antiochus. La force
de la tenue protocolaire du langage,dans cet entretien,apparaît aussi quand Bérénice
oppose à la confidence amoureuse d’Antiochus le rappel de la grandeur impériale de
Titus qu’elle désigne au vers 260 avec son nom officiel («César»).On a,dans cet extrait,
un traitement précieux et aristocratique de l’aveu amoureux et du dédain outragé.
r En évoquant la séduction qu’a exercée Titus sur Bérénice, Antiochus fait
parcourir une page d’histoire où sont inscrites la rébellion de Jérusalem et
«la vengeance de Rome» (v. 196). Les allusions à «un siège aussi cruel que lent» insistent
sur la dévastation de la cité juive (v. 230-232). Mais le retour sur ce passé,
antérieur de cinq années à l’action présente,rend évidente aussi l’allégeance des rois
de Judée à la puissance romaine, dans le temps de cette guerre. Antiochus en
donne un clair rappel au vers 211: «De mon heureux rival j’accompagnai les armes».
L’histoire amoureuse de Bérénice avec Titus est également éclairée par une allusion
à un fait de politique intérieure romaine : Vespasien mort, son fils Titus n’a plus à
tenir compte des réticences paternelles à l’égard de Bérénice. Le nouvel empereur
«est le maître» (v. 248).
t La métaphore précieuse qui sert à exprimer la naissance de l’amour dans le cœur
d’Antiochus (v. 189-190) exprime une double référence. Elle renvoie à l’incarnation antique de l’amour impromptu,Cupidon (Éros,en grec),qui lance des flèches
dans le cœur des hommes ou des dieux. Elle renvoie également à la préciosité
galante qui donne à l’œil féminin une force de séduction conquérante, propre à se
substituer à la flèche de Cupidon. Cette métaphore, cliché de la blessure d’amour
qu’est le coup de foudre, se prolonge dans le mot « malheur » renforcé par le
champ lexical du désespoir («triste», «pleurs», «soupirs», «exil», «silence», «ennui»,
« mélancolie », « désespoir », « constante victime »). Le pathétique attaché à ce lexique
13
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
efface le cliché et donne à la métaphore des vers 189-190 valeur d’un euphémisme
timide qui sert à ouvrir avec pudeur un «récit funeste» (v. 227).
y Antiochus, par ses confidences, met en évidence l’ironie tragique dont le destin
s’est servi pour associer sa passion au malheur et faire de lui la «constante victime […]
d’un inutile amour » (v. 255). Le premier coup du sort est attaché à l’arrivée de
Titus en Judée (v. 194). Le deuxième est de survivre à des périls qui auraient pu
le délivrer de sa souffrance:«Inutiles périls!» (v.217).Le troisième et «dernier» (v.241)
coup du sort est la mort de Vespasien qu’Antiochus prenait pour un allié objectif
de sa passion par son opposition à Bérénice.
u Ce récit révèle les cinq étapes du schéma narratif :
A. Situation initiale : Antiochus, amoureux de Bérénice, s’apprête à l’épouser.
B. Élément perturbateur :Titus arrive et charme Bérénice.
C. Péripéties :
– l’impossible fuite d’Antiochus dans la mort;
– le départ de Bérénice avec Titus à Rome;
– l’irrésistible départ d’Antiochus pour Rome;
– l’espoir du refus de Vespasien à l’union de Titus et Bérénice.
D. Résolution de la crise : la mort de Vespasien, la liberté d’action de Titus.
E. Situation finale :Antiochus quitte Rome et demeure avec son «inutile amour»
(v. 255).
i Les passages du discours d’Antiochus qui se réfèrent au présent de l’énonciation
constituent des interruptions qui ajoutent à l’ironie tragique inscrite dans les faits
passés la continuité douloureuse du présent. Il s’interrompt une première fois,
au vers 206, pour bien marquer le rapport du passé avec le présent; en évoquant le
passé, Antiochus «ose [se] déclarer».La deuxième interruption (v.225) sert à constater
les effets pervers de cette évocation sur Bérénice : elle s’y intéresse parce que Titus
y est associé (v. 227-228).Antiochus obtient ainsi le contraire de ce qu’il attend;
il veut émouvoir Bérénice sur lui-même : il la fait rêver sur Titus. La troisième
interruption est en fait une reconnaissance d’échec (v.251) :Antiochus annonce son
départ en l’associant à son «inutile amour» et à ses «pleurs». La tragédie du passé se
maintient pour Antiochus avec intensité dans le présent.
o Bérénice laisse parler Antiochus jusqu’au moment où il lui précise la pérennité
de sa flamme (v. 208). Elle intervient brièvement, en une exclamation (le premier
hémistiche du vers 209) qui exprime la surprise et la gêne. Cet embarras justifie la
reprise de parole d’Antiochus et, en partie, sa seconde longue tirade (v. 209-258).
Toutefois, le texte de cette tirade parvient à théâtraliser le personnage de Bérénice
en des réactions qui marquent une évolution par rapport à la surprise embarrassée
14
Acte I, scène 4
du vers 209. Le regard d’Antiochus saisit avec force (anaphore de « je vois »,
v. 225-226) cette évolution et la décrit comme un désintérêt profond pour le
véritable objet de son propos : l’aveu de sa passion. Ce désintérêt, selon Antiochus,
s’exprime paradoxalement par de l’attention et de l’indulgence (v. 226-227). Il explique ce paradoxe par le sujet de son propos :Titus et son triomphe amoureux et
militaire en Judée (v. 218-234). Cette explication invite à imaginer pour la suite de
la tirade une Bérénice distante,voire hostile.La seconde partie de cette tirade (v.235258),en effet,centrée sur le récit des étapes du désespoir d’Antiochus,à Césarée puis
à Rome,ne ménage ni Titus,ni Bérénice;elle les fait apparaître comme des princes
soumis aux interdits de Vespasien et de Rome (v. 246) et comme des amis trahis
par la jalousie d’Antiochus (v. 243). C’est dans ce passage que se prépare psychologiquement la réplique de Bérénice (v. 259-272). La reine, après un long silence,
s’exprime avec orgueil et rabaisse le discours amoureux d’Antiochus à un propos
outrageant (v. 264) et même injurieux (v. 265).
q Bérénice parle en impératrice,qui n’a plus un simple statut humain mais jouit déjà
d’un rôle sacré et légendaire (v. 260-261). Les périphrases hyperboliques et emphatiques qui désignent son prochain mariage (v. 260, 267) argumentent en faveur de la
reine outragée pour justifier les termes impropres et exagérés qui font référence à la
déclaration d’Antiochus (v.264 :«un discours qui m’outrage»; v.265 :«cours injurieux»).
Antiochus semble ainsi avoir commis un crime de lèse-majesté qui mérite rupture.
Le jeu des temps verbaux sert aussi à lui signifier qu’on le rétrograde, en tant qu’ami
et confident, dans un passé lointain (imparfait aux vers 268-270). Cette violence
hautaine reste toutefois associée à des délicatesses d’amitié :préserver Antiochus de la
vengeance impériale (v.263),lui accorder les politesses du départ (v.266).
s Antiochus,qui vient d’entendre de la part de Bérénice le contraire de ce qu’il en
attendait (v. 47 : «Au lieu de s’offenser, elle pourra me plaindre»), se résigne à un départ
cruel mais le confirme en associant une éloquence protestataire et une éloquence
pathétique. La répétition du verbe fuir, construit transitivement, donne à la
confidence douloureuse le ton d’un vif reproche : les compléments de ce verbe
mettent en cause la fascination de Bérénice pour Titus et son insensibilité à l’égard
d’Antiochus, regardé comme «un autre»Titus (v. 272). Ce reproche se conclut dans
le vigoureux et péremptoire oxymore du vers 278, rehaussé par l’effet d’enjambement du vers 277. La projection dans l’avenir que fait ensuite Antiochus recourt au
champ lexical du malheur,en l’associant à une sorte d’ironie pathétique qui feint de
rassurer Bérénice en lui annonçant une mort proche d’un suicide amoureux.
d Dans les vers 189-193, le texte présente un rappel des fiançailles approuvées par
Agrippa, le frère de Bérénice, pour l’unir à Antiochus. On retrouve dans ces
15
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
«accordailles» l’usage ancien des mariages arrangés par les autorités familiales masculines, et ce tout particulièrement quand il s’agissait d’unions royales ou
princières incluant des enjeux politiques ou territoriaux.
f La suprématie galante de Titus sur Antiochus s’exprime dans une formule (v.194)
qui fait écho à la trilogie césarienne : «Veni, vidi, vici.» Titus bénéficie, en plus de sa
séduction,de «tout l’éclat d’un homme / Qui porte entre ses mains la vengeance de Rome»
(v.195-196).À la suite du coup de foudre qui s’opère entre Titus et Bérénice (v.194),
Antiochus se trouve en état d’infériorité amoureuse et politique. La guerre est
aussi un terrain où Titus a le dessus sur Antiochus: «La valeur de Titus surpassait ma
fureur» (v. 218).
g La souffrance d’Antiochus, après le départ de Bérénice à Rome, est inscrite en
trois espaces :«l’Orient»,«Césarée» et les «États» de Bérénice (v.234-238).Chacun
de ces lieux porte un symbolisme qui s’accorde avec le désespoir amoureux
d’Antiochus.En harmonie avec l’«ennui» d’Antiochus (v.234),on voit «l’Orient désert».Césarée,lieu de résidence du procurateur romain en Judée,mais dont Racine
a fait la capitale du royaume de Bérénice,offre ses «lieux charmants» (v.236) en apaisement à l’«ennui» et se fait la gardienne des amours passées. Les «tristes États» de
Bérénice reçoivent un qualificatif qui les met en communion avec la mélancolie
d’Antiochus. Ce qualificatif, ainsi que le verbe demander les représentent dans une
allégorie qui les apparente à l’image pathétique d’un père abandonné.
h Au vers 256,l’oxymore «heureux dans mes malheurs» souligne la distance pudique
et polie que tient à prendre Antiochus, au terme de l’aveu qu’il vient de faire en
décrivant cinq années de souffrances amoureuses et de rivalité cachée.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 48 À 54)
Examen des textes
a Chacun des extraits du corpus se réfère à un lieu que le contexte introduit et
évoque de façon plus ou moins précise.
•Texte A :Antiochus fait, aux vers 187-188, une allusion timide à la terre natale de
Bérénice; une périphrase floue («lieux où vous prîtes naissance») porte cette allusion.
• Texte B : le poète se sert du titre pour planter le décor de sa méditation et d’une
interpellation directe («Ô lac !») pour actualiser ce cadre.
•Texte C : le titre et le premier vers du poème introduisent avec insistance le décor
parisien qui sert de prétexte à la plainte amoureuse et à la méditation sur le temps.
•Texte D : l’évocation de Césarée est introduite par le mécanisme des associations
d’idées («Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête»).
16
Acte I, scène 4
z Chacun des énoncés du corpus met en relief la relation établie entre le locuteur
et les lieux évoqués.
• Texte A : le premier hémistiche du vers 197 («La Judée en pâlit») précise la périphrase du vers 188 en une allégorie émouvante. Le second hémistiche («Le triste
Antiochus») y associe étroitement Antiochus par un vigoureux effet de juxtaposition,
établissant une alliance de sentiment entre la Judée et le roi de Comagène,confrontés
ensemble à la puissance redoutable de Titus.
• Texte B : le poète fait du lac et des éléments naturels qui l’environnent ses interlocuteurs. Il s’adresse à eux comme à des puissances surnaturelles capables de
défier le temps et de sublimer l’amour en force éternelle.
•Texte C : le poète marque une distinction entre le symbole du pont et le symbole
de l’eau. Le pont est valorisé en image amoureuse («le pont de nos bras») alors que
l’eau, la Seine, est complice de ce qu’a détruit le temps et se lit en métaphore du
bonheur qui passe et disparaît («L’amour s’en va comme cette eau courante»).
• Texte D : le personnage d’Aurélien établit avec Césarée une relation qui est
perception puis imagination. Le mécanisme de l’association d’idées – un prénom,
un vers, un lieu – est soutenu et prolongé par l’effet musical du nom de Césarée,
« un beau nom ».Aurélien insiste sur la magie du nom de ce lieu en l’opposant à
l’insignifiance de sa réalité («c’est du côté d’Antioche,de Beyrouth.Territoire sous mandat»).
Mais ce réalisme distant se transforme brutalement en une vision imaginaire et
intuitive, à la fois précise et tragique, en osmose avec le texte de Racine, pour qui
connaît son contexte : «Une ville frappée d’un malheur.»
e Le lien qu’établit l’extrait d’Aurélien avec le texte de la tragédie de Racine Bérénice
tient à une correspondance analogique double. Il y a intertextualité explicite à
partir de l’analogie entre le prénom de la femme évoquée par le héros Aurélien et
le nom éponyme de la tragédie citée dans l’extrait.Mais cette analogie est amplifiée
par l’obsession du vers «Je demeurai longtemps errant dans Césarée». Une intertextualité active,voire actantielle,se trouve ainsi introduite :elle crée un suspense et semble,
dans cet incipit, susceptible d’initier une action.Elle établit en effet un lien complexe,
relevant de la «superstition», entre la tragédie de Racine et la première rencontre
d’Aurélien avec Bérénice. «Césarée», «la Bérénice de la tragédie», «Tite» apparaissent
comme des intuitions de malheur pour la suite de cette première rencontre. Mais
c’est le double symbolisme de Césarée qui reste le plus saisissant dans cette réminiscence littéraire obsédante qu’a Aurélien : beauté et malheur.
r Les deux poèmes associent le thème de l’eau au thème amoureux et au thème
de la fuite du temps.Mais dans cette double analogie s’inscrit un profond et double
contraste. Lamartine fait du lac, espace fermé, un confident en sympathie avec sa
17
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
peine et son souvenir amoureux.Apollinaire prend, lui, une référence linéaire, un
fleuve, la Seine, pour l’associer, en complice insensible, à la fugacité de la passion
amoureuse. Le même support métaphorique porte des effets poétiques opposés.
t Le refrain du Pont Mirabeau inverse l’habituelle formulation de la plainte
lyrique sur la fugacité du temps présent.Apollinaire exprime cette plainte en désespéré, presque en suicidaire, qui se voit figé dans un présent toujours renouvelé,
malgré son attente de la dernière heure. Il oppose au temps qui passe non son
envie de vivre, mais le douloureux constat de son existence : le verbe demeurer,
en fin de strophe, prend la force d’une protestation.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Dans les quatre extraits de ce corpus, on peut observer une idéalisation des lieux
évoqués. Dans la tirade d’Antiochus, la Judée est idéalisée en une allégorie de
victime saisie de crainte et d’angoisse devant la puissance de Titus. Dans le poème
de Lamartine, le lac, destinataire de la plainte amoureuse, se divinise en force de la
nature, protectrice du souvenir des amours exceptionnelles. Chez Apollinaire et
chez Aragon, l’idéalisation des lieux attachés à la mélancolie du propos se fait
par une mise en valeur métaphorique. Le pont Mirabeau est une métaphore de
l’entente amoureuse ; la Seine symbolise la fragilité et la fugacité des instants
heureux qu’a vécus le poète amoureux. Césarée représente, pour le personnage
d’Aurélien, un minimum de réalité et un maximum d’obsession. Ce paradoxe
est éclairé par la simple reconnaissance de la beauté du nom et par l’intensité arbitraire du symbole : «Une ville frappée d’un malheur.»
Ainsi, à travers ces quatre extraits, on voit se définir les lieux élégiaques comme des
correspondances,des synesthésies avec les souffrances ou mélancolies exprimées dans
le contexte.
Commentaire
Introduction
Dans Le Pont Mirabeau, le poète associe la beauté grave et bouleversante d’une
douleur discrète mais tragique à un air de romance populaire qui laisse imaginer un
amoureux abandonné, penché sur la Seine et se remémorant un tendre passé qui
s’élargit en méditation sur le temps.L’élégie est ici scandée avec les outils stylistiques
simples de la chanson. Mais cette simplicité sert d’ancrage à l’expression d’un
désespoir et d’une résignation très personnels dont la portée peut être universelle.
18
Acte I, scène 4
1. La simplicité de la chanson
• Simplicité et régularité de la forme :quatre strophes ponctuées par le retour d’un refrain.
• Circularité de la structure : reprise en final du premier vers (retour du vers 1 au
vers 22) et du refrain.
• Régularité musicale : dominante des rimes suivies féminines et brisure de la
rime masculine au deuxième vers de chaque strophe.
• Présentation dépouillée du décor :le pont Mirabeau,la Seine (détails sommaires).
2. La fusion poétique des images et du désespoir
A. Les images réalistes éclairent le sens du désespoir
• La fuite du temps et des amours est métaphorisée dans l’écoulement de l’eau.
• Le pont se présente en symbole de la permanence du souvenir tendre mais
douloureux.
B. Les images lexicales justifient la souffrance du poète
• L’image du mouvement portée par les verbes (couler, venir, passer, aller, revenir)
s’accorde avec les errances de la méditation mélancolique où présent et passé se
juxtaposent et se confondent (strophes 1 et 2).
• Les images répétées de l’impossible retour du temps et des amours passés (strophes 3
et 4) renforcent l’insistance tragique du «je demeure» dans le refrain.
C. L’image stylistique du poème déponctué renforce le rapport fusionnel entre le contenu
poétique et le contenu lyrique
• Force du zeugma dans le commencement du poème (v. 1-2).
• Ambiguïtés riches de sens dans la simultanéité des significations (strophe 1).
• Fluidité de la diction.
3. Le message universel du poème
A. Universalité de la thématique du poème
• L’impossible retour des instants heureux.
• La fuite du temps.
B.Accessibilité de la résignation exprimée dans «Les jours s’en vont je demeure»
• Simple leçon : l’existence est plus forte que la peine.
• Profonde leçon : la conscience garde la capacité d’associer par le souvenir et la
méditation poétique la souffrance du passé et la pression de l’existence.
Conclusion
Dans ce poème, le «je» lyrique se livre dans les tonalités simples et douloureuses
d’une chanson, mais les virtuosités et les hardiesses poétiques qui y sont associées
19
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
donnent au thème élégiaque de la «fin d’amour» une extension morale forte et
convaincante.
Dissertation
Introduction
Bien des œuvres littéraires du XXe siècle ont fait des choix esthétiques à l’opposé
du lyrisme et de l’élégiaque, et toute une modernité de l’art s’est construite sur le
rejet de ces tons intimistes ainsi que des formes et images qui, pendant des siècles,
avaient nourri leur expression. Mais à côté de ce refus du lyrique coexiste le refus
du mutisme et de l’abstraction. Ce dernier refus rend acceptable l’idée de la
continuité élégiaque dans l’époque contemporaine.
1. Une modernité attachée au dépassement du lyrisme élégiaque
A. L’emprise du réel sur l’inspiration de l’artiste moderne
Prolongement esthétique du positivisme initié par les penseurs de la seconde
moitié du XIXe siècle.
B. Primauté des recherches esthétiques et théoriques sur la forme
Dadaïsme, surréalisme, absurde, Nouveau Roman, structuralisme.
2. La conciliation de la captation du monde réel et du regard sur le monde
intérieur
A. Apollinaire, Blaise Cendrars, Philippe Soupault sont des figures d’avant-garde qui
renouvellent le ton et les thèmes élégiaques en y associant un présent très réel et donc
très réaliste
• La plainte amoureuse chez Apollinaire capte le monde environnant, que ce soit
Paris ou le champ de bataille.
• Blaise Cendrars associe l’évocation de sa «pauvre vie» au décor du Transsibérien.
• Philippe Soupault rompt avec le surréalisme car sa poésie s’impose comme
l’expression du moi souffrant.Au thème du mal de vivre il associe son errance
mélancolique («C’est toi mon vieux Paris»).
B. L’engagement politique de poètes comme Aragon, Eluard, Desnos enrichit le champ
lyrique d’une empathie vibrante avec le monde qui souffre
• Le moi du poète est omniprésent dans les grands poèmes de la Résistance.
• L’engagement politique s’exprime en association avec l’introspection du poète.
3.Transformation et permanence du lyrisme élégiaque
A. Le «post-romantisme» moderne garde du romantisme les mélancolies du regard en arrière
«Le poète est un contemporain qui se retourne» (J. M. Maulpoix).
20
Acte II, scène 2
B. La mélancolie s’approfondit à l’aune des tragédies contemporaines et s’apparente chez de
nombreux écrivains à l’expression d’une spiritualité salvatrice ou douloureuse
Max Jacob, René Char,Yves Bonnefoy,Andrée Chédid…
C. La chanson populaire de la seconde moitié du XXe siècle reprend en bien des textes les
tonalités et thèmes élégiaques les plus traditionnels
Répertoires de Piaf, Brassens, Brel, Ferré…
Écriture d’invention
•Titre proposé : Chichis de tragédie.
• L’article doit exprimer une prise de distance ironique :
– avec les acteurs, interprètes des rôles d’Antiochus et de Bérénice (caricatures
orientales);
– avec l’histoire portée par la scène (dérision reprenant « qui avait attendu pour se
déclarer que Bérénice fût sur le point de se mettre en ménage»);
– avec l’histoire rapportée par Antiochus (il met en valeur son rival avec une mine
de «grand bougre ravagé»).
• L’article, à la manière d’Aurélien, exprimera une attention particulière au vers
«Je demeurai longtemps errant dans Césarée». La dérision peut alors consister à dire :
– que l’émotion suscitée par la scène dure le temps de cet alexandrin;
– qu’Antiochus (l’acteur) ne fait «rien» de ce «quelque chose» beau qu’est le mot
«Césarée»;
– que «Césarée» est le seul élément qu’on ait envie de mieux connaître après la scène.
• En conclusion, évoquer une « tristesse majestueuse » très problématique dans cette
scène, avec ces acteurs et ce jeu.
Acte II, scène 2(pp. 58 à 66)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE 2 (PP. 67 À 71)
a Titus commence par tenir le rôle d’un monarque hésitant entre ses choix personnels et ceux de son opinion publique.Il fonde sur cette hésitation ses questions à Paulin.
z L’empereur pose à Paulin des questions de plus en plus précises à propos de
sa liaison avec Bérénice : « De la reine et de moi que dit la voix publique ? » ; « Quel
succès attend-on d’un amour si fidèle ?»; «Que faut-il que Bérénice espère ?»; «Rome lui
sera-t-elle indulgente ou sévère ?».
Dans un premier temps, Paulin interprète la curiosité de Titus comme une attente
concernant l’opinion de la Cour impériale. Les dernières questions de l’empereur,
21
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
précisant la « voix publique » comme celle de Rome, détrompent le confident et
l’invitent à une réponse plus authentique.
e La méprise de Paulin nourrit sa réponse à Titus, aux vers 349-350, où il rappelle
l’approbation inconditionnelle de la Cour à l’empereur.Titus exploite cette réponse
afin de stigmatiser «une cour idolâtre»,«voix des flatteurs» pour lui à ne pas confondre
avec «la voix publique» dont précisément il se soucie.
r Éclairé par ce procès et stimulé par les dernières questions de Titus, Paulin
exprime avec netteté l’opposition fondamentale des Romains au mariage de Bérénice
avec Titus.C’est l’occasion pour lui de rappeler à l’empereur la loi romaine qu’a déjà
évoquée Phénice et qui exclut le droit pour un chef d’État romain d’épouser une
reine étrangère. Pour insister sur l’autorité de cette loi, Paulin évoque un passé
historique où elle a régenté ou châtié les passions les plus fameuses qu’a inspirées
la reine Cléopâtre ; il rappelle aussi la retenue que cette loi a été seule à imposer
aux princes romains les plus dépravés. Il mentionne pour finir deux reines « du
sang de Bérénice» devenues les épouses d’un affranchi romain.Ces exemples et contreexemples disent la force de cette loi et mettent en évidence la mésalliance que
serait le mariage de Titus avec Bérénice.
t Paulin, en éclairant l’empereur sur l’opinion qu’ont les Romains de Bérénice,
s’instaure auprès de lui non plus en confident, mais en sage conseiller qui parle
avec autorité et conviction. Certes, il rappelle prudemment au vers 403 que ce
magistère n’est qu’obéissance à la demande de sincérité que lui a faite l’empereur,
mais il initie, par son argumentation, le choix de la raison d’État, pour résoudre le
dilemme de Titus entre amour et devoir.
y Titus retarde son approbation des propos de Paulin par une longue tirade qui
semble les contester, et c’est sous la forme d’un coup de théâtre (v. 446) qu’arrive
la déclaration où il rend évident son accord avec les conseils de son confident.
u Après avoir formulé sa volonté de se séparer de Bérénice,Titus raconte comment
il y est venu. Il signale le surgissement du dilemme entre gloire et amour immédiatement après la mort de son père, l’empereur Vespasien. Ses confidences mettent en évidence la douleur attachée à ce dilemme, mais révèlent aussi qu’il a peu
duré et a été vite résolu; le devoir de respect de la tradition romaine s’est imposé
avec force. Le passé simple fait de l’énoncé des groupes verbaux «je fus désabusé»,
«je sentis»,«je connus» un élément de premier plan,laissant en arrière-plan les énoncés
verbaux des vers 455 à 458 qui, à l’imparfait, évoquent le temps des amours sans
nuages. Les trois étapes de la résolution du dilemme se lisent dans la succession de
ces trois faits passés : révélation du faux («erreur»), intuition du vrai («fardeau […]
22
Acte II, scène 2
imposé») et enfin connaissance du juste («il fallait […] renoncer»). Cette progression
vers la décision de Titus de « renoncer à [soi]-même » reste étroitement associée
aux circonstances de la mort de Vespasien (v. 460-461) et à celles du protocole de
succession (v. 465-466).
i En résolvant son dilemme au bénéfice des devoirs et des traditions de l’Empire,
Titus met en marche une scène de rupture que doit suivre le retour de Bérénice en
Judée, escortée par Antiochus.
o La répudiation de Bérénice est initiée par trois pouvoirs virtuels :le pouvoir posthume deVespasien (v.460),le pouvoir de Rome (v.465),le pouvoir des dieux (v.465).
q Paulin se pose en adjuvant volontaire de la répudiation de Bérénice avant même
que Titus en ait fait l’annonce.Antiochus en est l’adjuvant involontaire, ne sachant
pas encore qu’il a la charge de ramener Bérénice en Orient.
s Titus, en répudiant Bérénice, adopte une ligne politique conservatrice, attachée
au respect des traditions les plus anciennes. Il adhère ainsi au nationalisme le plus
exigeant et le plus populaire.
d Schéma actantiel :
– Destinateurs :Vespasien, Rome et ses lois, dieux romains.
– Destinataire : la renommée de Titus.
– Adjuvants : Paulin,Antiochus.
– Opposants : Bérénice,Titus amoureux.
f L’avant-dernière tirade de Titus développe un éloge de l’heureuse influence de
Bérénice sur lui. Racine reprend ici les traits contrastés que l’Histoire a donnés à
Titus et les éclaire avec l’histoire de son amour pour Bérénice. Le débauché de la
cour de Néron (v. 506-508) correspond, dans cette tirade, au Titus de « l’avantBérénice ». Le Titus que l’on a qualifié d’« amour et délices du genre humain »
trouve son ébauche dans quelques vers de cette tirade et les traits édifiants qui y
sont présentés se rapportent tous à «l’après-Bérénice».Titus explique son souci de
renommée, sa gloire militaire et sa générosité publique par la seule volonté de plaire
à Bérénice.
g Le vers 519,en son premier hémistiche,résume l’heureuse influence de Bérénice
sur Titus mais il la marque du sceau de l’ironie tragique,dans le second hémistiche,
avec l’oxymore «Récompense cruelle !» – exclamation que Titus développe dans les
vers suivants en rappelant la répudiation imminente de sa «bienfaitrice».
h Pour commencer,Titus évoque son amour en des termes qui l’authentifient dans
le présent : «amour si fidèle» (v. 348), «Hélas ! à quel amour on veut que je renonce !»
23
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
(v. 420). Mais, une fois annoncée sa décision de répudier Bérénice, d’autres expressions mettent cet amour en recul : «un amour qui se tait à regret» (v. 450), «la fin d’un
amour» (v. 482), «Je l’aimai» (v. 531).
j Les expressions qui obligent à mettre dans le passé l’amour de Titus (v. 482,
531) introduisent quelque opacité dans la plainte qui accompagne l’annonce de
rupture. On peut, à partir de ces expressions, ne voir en Titus qu’un personnage
embarrassé par ce qu’il y a de fort et peu protocolaire dans une scène de rupture.
k Le «on» des vers 347 et 420 désigne l’opinion publique romaine attachée à des
lois et maximes d’exclusion à l’égard des étrangers et à l’égard de tout ce qui se
rattache à la royauté,régime honni des Romains depuis l’instauration de la République
en 509 av. J.-C.
l Titus évoque sa «langue embarrassée»,son «trouble» et sa «douleur» pour expliquer
son retard à informer Bérénice de leur rupture. C’est un aveu qui lui pèse et l’importune parce qu’il est intimidé par la confiance de Bérénice et sa propre
ingratitude. Il compte sur Antiochus pour lui éviter une scène qu’il redoute et
retarde depuis huit jours.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 72 À 76)
Examen des textes
a Les quatre imprécations de Camille développent une vision qui progresse du
désastre guerrier à l’anéantissement apocalyptique. Ce crescendo des images
s’associe à celui des sentiments. Fureur, désespoir, haine et provocation dictent
successivement chacune de ces imprécations.
z Paulin et Burrhus représentent des figures de Romains attachés aux mêmes
valeurs politiques.L’un et l’autre parlent avec éloquence sur le chapitre des pouvoirs
et se font les chantres du respect des traditions institutionnelles. L’un et l’autre
argumentent avec exemples et contre-exemples.Leur tirade respective se distingue
toutefois par le rôle politique qui y est donné à Rome. Paulin place Rome
au-dessus de l’empereur et la dit capable de «fureur vengeresse», alors que Burrhus
l’établit en puissance soumise aux vertus ou aux vices de son maître qui assure
«son salut ou sa perte».
e La force tutélaire de Rome est fondée, dans le texte A, sur la loi et les maximes
qui s’y rattachent. Dans le texte B, elle est fondée sur les sentiments patriotiques
qu’elle peut susciter («Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore»). Dans le texte C,
24
Acte II, scène 2
cette force dépend de la qualité de l’empereur et de sa capacité à faire régner conjointement sa toute-puissance et la liberté des institutions («César nomme les chefs sur la
foi des soldats»).
r L’extension politique de la cité romaine s’exprime simplement mais avec force
dans les textes A et C. Le texte C précise l’idée d’empire en désignant l’empereur
avec la périphrase « c’est le maître du monde ». Le texte A, en associant terme
géographique (« Orient »), terme politique (« Empire ») et terme emphatique
(«empire des humains»),maintient l’idée de domination territoriale et politique.Dans
le texte B, il n’est question que de la Rome des origines, la Rome royale, aux
« fondements encor mal assurés » ; l’extrait peut représenter un contre-exemple de
l’extension territoriale de Rome,et l’anaphore de «Rome»,dans les quatre premiers
vers, insiste sur la réduction du pouvoir romain à la seule cité de Rome. Mais les
imprécations de Camille, convoquant tout l’univers et les dieux contre cette cité,
confèrent à celle-ci une dimension mythique de cité maudite.
t Dans chacun des trois extraits, Rome est personnifiée. Le texte A présente une
allégorie de la mère autoritaire qui surveille les chefs d’État et les sanctionne («Rome
l’alla chercher jusques à ses genoux,/ Et ne désarma point sa fureur vengeresse»).Le texte B
laisse imaginer une Rome divinisée en déesse à qui on immole des victimes
(« […] à qui vient ton bras d’immoler mon amant ») et qui récompense ses dévots
(«Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !»). Le texte C garde la personnification féminine, mais l’allégorie reste réduite à une individualité proche de l’être
citoyen,mis sous le joug si le pouvoir est corrompu ou libéré si l’on est «dans le cours
d’un règne florissant».
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Ces trois extraits présentent trois locuteurs qui parlent des lois romaines pour les
opposer soit à un sentiment amoureux (textes A et B), soit à un sentiment maternel
particulièrement possessif (texte C). Dans le premier cas (textes A et B), l’allégorie
permet d’assimiler l’idée d’opposition à des sentiments très forts comme la haine, la
fureur vengeresse, le ressentiment. Dans le second cas (texte C), l’opposition s’exprime dans une formule d’exclusion péremptoire :«Ce n’est plus votre fils,c’est le maître du
monde».Chacun des extraits évalue l’autorité de la loi dans son opposition aux lois du
cœur.Dans le texte A,le rapport de force entre la loi et le cœur de Titus se présente à
l’avantage de la loi étatique;elle rassemble en effet les Romains,le sénat et tout l’Empire
pour exiger «un choix digne d’elle»,autrement dit :un renoncement à l’amour de Bérénice,
25
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
une reine orientale. Dans le texte B, c’est la loi du cœur qui prend l’avantage sur la
loi de Rome : la malédiction visionnaire de Camille s’exprime au nom de l’amour
pour vouer à l’anéantissement Rome et ses lois. Le texte C assimile le pouvoir de
la loi à l’empereur vertueux et tout-puissant et lui donne l’avantage sur l’obéissance
filiale avec une série de cautions sublimes :Rome,l’Empire,le peuple,ses aïeux.
Commentaire
Introduction
Le personnage de Camille réalise dans cette tirade, commente-t-on parfois, la
revanche de Chimène vengeresse de son père.
1. La mise en place rhétorique de la malédiction
A. La force de l’apostrophe avec l’anaphore «Rome»
B. Les termes en miroir
• Pour l’antithèse : «Rome» / «ressentiment», «Rome» / «mon amant».
• Pour l’analogie :«Rome» / «que ton cœur adore»,«Rome» / «parce qu’elle t’honore».
C.Argumentation claire et forte : «Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !»
2. La progression vers l’ultime provocation
A. Quatre imprécations formulant un crescendo de malheurs
La guerre extérieure,la guerre civile,la vengeance des dieux,l’extermination totale.
B. Délire du moi
• Les dieux vengeurs de Camille.
• Camille, démiurge sarcastique de l’extermination finale.
3. L’héroïsme de l’amour
A. Face-à-face héroïque devant un frère armé et à l’honneur sensible
B. Dégradation du héros national qu’est Horace
• Son combat est réduit à une immolation.
• Ses «lauriers» sont ridiculisés en choses fragiles et périssables.
C. Fureur du désespoir transcendée en souveraineté désespérée de l’amour
• Grandiloquence de la malédiction.
• Les derniers mots de la malédiction («mourir de plaisir») appartiennent au lexique
de l’amour le plus fort et le plus authentique.
Conclusion
Cette révolte héroïque de Camille,qui provoque sa mort de la main même d’Horace,
a été l’objet de bien des critiques, à l’époque de Corneille. Dans son «Examen» de
la pièce, Corneille lui-même reconnaît comme une «imperfection» de donner au
26
Acte II, scène 2
quatrième acte le premier rang à un personnage qui est au second rang dans les actes
précédents.Mais il reconnaît ainsi la force exceptionnelle qu’il a donnée au texte de
ce rôle incarnant la tragédie du deuil amoureux.
Dissertation
Introduction
Les affinités entre le théâtre et l’Histoire sont restées importantes depuis le XVIIe siècle.
Le sujet historique garantit la vraisemblance, exigence primordiale du théâtre
classique, et facilite la conviction du lecteur et du spectateur. Mais l’Histoire, en
confortant la crédibilité du théâtre, met en œuvre des interactions qui font du
sujet historique, à la scène, un sujet engagé.
1. Le théâtre peut offrir une réécriture de l’Histoire qui l’approfondit
et la nuance
Racine, dans Britannicus, éclaire la personnalité de Néron en y associant les abus
maternels et les vertus de ses maîtres.
2. Le théâtre présente l’Histoire dans la vision qu’en a le dramaturge
• Selon la lecture qu’en fait celui-ci, l’Histoire peut se trouver embellie, faussée ou
carrément noircie.
• Racine présente un portrait de la reine Bérénice empreint de vertus que l’Histoire
ne lui attribue pas.
• Le personnage de Ruy Blas est inventé pour noircir le tableau de la décadence
de la monarchie espagnole à la fin du XVIIe siècle, mais aussi pour condamner la
monarchie en général et sublimer le rôle futur du peuple.
3. Le théâtre, en s’appropriant l’Histoire, ne fait pas œuvre d’embellissement
mais d’engagement
• En privilégiant l’Histoire, le drame romantique, tel que l’a illustré Victor Hugo,
s’est attaché à défendre une idéologie politique hostile au despotisme.
• Au XXe siècle, le théâtre de Camus, de Sartre, de Brecht, de Genet, en mettant en
scène quelques grands événements historiques contemporains, s’est donné le label
de «théâtre engagé».
Écriture d’invention
• Il s’agit d’imaginer la Romaine idéale pour Horace qui « adore » Rome et que
Rome «honore». Le rêve de destruction est à récrire en rêve de conquête.
• Mots à remplacer : « ressentiment », « mon amant », « je hais », « conjurés », « saper »,
«contre», «s’allie», «détruire», «renverse», «déchire ses entrailles», «courroux», «feux»,
«tomber», «foudre», «cendre», «poudre».
27
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
• Les deux derniers vers sont à récrire plus librement. On peut s’inpirer, pour ce
faire, de la tirade de Paulin (texte A).
Acte III, scène 3 (pp. 91 à 96)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE 3 (PP. 97 À 100)
a La première réplique de Bérénice signifie clairement pour Antiochus qu’elle ne
regrette pas de le voir s’éloigner de Rome. La suivante le querelle en lui exprimant un dépit plein d’aigreur (v.857).Cette approche est peu encourageante pour
Antiochus.
z La délicatesse galante d’Antiochus, dans sa réplique du vers 858, redonne espoir
à Bérénice qui n’a d’autre souci que d’en savoir plus sur ce qu’elle croit être d’abord
le tendre intérêt de Titus.Antiochus, pressé des questions de la reine, tente des
dérobades puis,harcelé et mis en cause,il se défend par des sous-entendus sur la douleur de Bérénice et sur son dévouement.
e Vers 866-870, 882 et 884.
r La colère de Bérénice se nourrit aux douleurs de l’angoisse et de l’exaspération. Le silence inexpliqué de Titus et sa dérobade lors de leur dernière entrevue
(II, 4) l’angoissent.Antiochus, dans le double rôle de rival et de messager de Titus,
l’exaspère.
t Le mot «haine»,au vers 876,représente le troisième terme d’une gradation :«ma
douleur, ma colère, ma haine». Bérénice, dans les vers suivants, associe ce mot brutal et
menaçant à un défi lancé à l’amour désespéré d’Antiochus. La tournure exclamative de l’adjectif «précieux» («si précieux»), sa place en fin de vers avec le renfort de
la diérèse (pré-ci-eux) initient ce défi et mettent en balance la haine de Bérénice avec
l’amour d’Antiochus. Le chantage amoureux est cruel : «Si moi-même jamais je fus
chère à vos yeux, / Éclaircissez le trouble où vous où vous voyez mon âme : / Que vous a
dit Titus ?» Un chantage politique le sous-tend, induit par le propos du vers 872 :
«Vous voyez devant vous une reine éperdue.» Bérénice somme Antiochus de parler ou
sinon de craindre la haine d’une reine à qui rien n’interdit encore de croire qu’elle
sera impératrice.
y L’angoisse et l’exaspération de Bérénice lui ont fait prendre un ton de puissance
menaçante et autoritaire qui s’exprime par la stylistique de l’interrogatoire du
coupable devant son juge.
28
Acte III, scène 3
u La première réaction de Bérénice est celle d’une amoureuse interloquée et brisée
qui « n’en croit pas ses oreilles », dirait-on familièrement. Elle est épouvantée,
brisée,désespérée par ce qu’elle entend.Sa seconde réaction se construit en contestation de la première et l’argumente.
i Pour se tromper, Bérénice prend l’argument du complot de la rupture. Cet
argument, associé forcément à la question du bénéficiaire, l’incite à mettre en
cause Antiochus.
o Bérénice congédie brutalement Antiochus en l’accusant de prendre ses souhaits
pour des réalités et prétend le soupçonner de trahir et de calomnier Titus.
q Antiochus prend la défense de Titus en tant qu’amant et souligne avec une
force pathétique le chagrin de l’empereur amoureux.
s «Une reine est suspecte à l’Empire romain» est la formule dont use Antiochus pour
justifier politiquement la répudiation de Bérénice par Titus. On retrouve dans ces
mots la double formulation de la même idée par Phénice, à la fin du premier acte
(v. 295-296).
d Bérénice, en contestant l’annonce de sa répudiation, se nourrit d’un passé où
l’allégeance à Rome s’est construite sur la force d’un coup de foudre entre elle et
Titus, superbe triomphateur dans la guerre de Judée.
f Bérénice ne s’arrête pas à l’interdit romain qui l’exclut, mais fait valoir un
« piège », une intrigue de Cour destinée à l’évincer en brisant le couple qu’elle
forme avec Titus. Elle réduit une affaire politique et institutionnelle à une malveillance jalouse.
g En interprétant les révélations d’Antiochus comme une stratégie de jaloux,
Bérénice refuse le paradoxe qu’involontairement Titus a mis en place, en prenant
pour messager son rival. Bérénice conforte son interprétation des révélations
d’Antiochus, faute d’imaginer ce qui s’est passé à la scène 1 de l’acte III, où l’ordre
de Titus, entouré de gages flatteurs et amicaux pour Antiochus, a laissé celui-ci
sans voix, comme en rend compte la scène suivante : «Arsace, laisse-moi le temps de
respirer./ Ce changement est grand,ma surprise est extrême.» Bérénice avance,aux vers 914915, une interprétation qui exclut et l’autorité de Titus sur Antiochus et le hasard
de son arrivée (v. 850), alors qu’Antiochus s’apprêtait à fuir sans accomplir sa
mission de «messager de rupture» (v. 847-848).
h Dans la réplique des vers 871-880, Bérénice s’exprime en «reine éperdue» et utilise un lexique de victime. Dans la réplique des vers 906-913, elle met en avant le
lexique amoureux en l’associant à Titus et nie l’idée de mort et de douleur.
29
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
j Après avoir congédié définitivement Antiochus, Bérénice se prépare à rencontrer Titus pour une explication. Le spectateur, comme le lecteur, attend une scène
de conflit tragique où la passion de Bérénice affrontera le cœur déchiré mais résolu au devoir de Titus. Le face-à-face attendu est en quelque sorte celui d’une
héroïne racinienne devant un héros cornélien. Les incertitudes sont centrées sur la
résolution de Titus de se plier aux exigences de la tradition romaine dès lors qu’il
aura devant lui l’objet de sa passion. Le suspense est là.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 101 À 108)
Examen des textes
a Les textes A, B et D présentent un échange oral qui imite et stylise les appréhensions et les impatiences attachées à la révélation d’une vérité difficile à dire.
Antiochus répugne à faire souffrir Bérénice en lui révélant qu’elle est répudiée;
Agnès craint de révéler à son tuteur qu’elle a laissé un jeune homme inconnu lui
prendre un ruban; Irma aborde avec réticence le chapitre de l’impécuniosité de sa
patronne. Les destinataires de ces propos difficiles, abordant des sujets tabous,
réagissent avec une impatience violente qui force l’acte de révélation.
z Les tournures interrogatives dominent dans les propos de Bérénice et dans ceux
d’Arnolphe,personnages à qui s’adresse une difficile révélation.Pour chacun d’eux
l’interrogation exprime angoisse et impatience.
e Dans les textes A, B et D, le dialogue met en valeur l’un des locuteurs :
– texte A : Bérénice domine Antiochus qui cède à sa violence (v. 883);
– texte B :Agnès domine Arnolphe paradoxalement, parce qu’elle a peur de lui; elle
ne lui dit la vérité qu’après avoir pris des garanties sur sa bienveillance.Arnolphe se
force à encourager la parole d’Agnès et dit son impatience et son angoisse en aparté;
– texte D : Irma, en confrontant sa maîtresse à son manque d’argent, n’affaiblit pas
l’image de celle-ci et lui permet au contraire d’exprimer avec panache sa
débrouillardise, son statut de créancière en attente de remboursement, son autorité
de patronne.
r Dans chacun des extraits du corpus, les locuteurs ont un objet de dialogue qui
fait référence à une action ou une situation particulière :
– texte A : l’objet du dialogue entre Antiochus et Bérénice est le message de Titus
à Bérénice, l’annonce de leur rupture. L’action qui consiste à dire à Bérénice qu’ils
doivent se séparer est une action que Titus n’ose pas faire lui-même et qu’il a
30
Acte III, scène 3
déléguée à Antiochus. Celui-ci, en redoutant de blesser Bérénice, retarde cette
action et, avant de l’exécuter, la donne à appréhender à la reine;
– texte B : le dialogue développe un quiproquo; chacun des locuteurs fait référence
à une action différente.Arnolphe fait référence à une relation sexuelle entre Agnès
et son visiteur; Agnès fait référence à un ruban dérobé par le jeune galant;
– texte C : Ruy Blas, dans son adresse à Charles Quint, fait référence à deux
moments de l’histoire espagnole. Il commence par évoquer le glorieux passé du
grand empereur et lui oppose ensuite sa décadence présente,véritable débâcle d’une
hégémonie prestigieuse;
– texte D :la situation de référence du dialogue entre Irma et Madame est le manque
d’argent qui rend problématique la qualité de la table.
L’extrait où le propos reste en marge de l’action est l’extrait C. En effet, il met en
place une référence historique qui sert le morceau de bravoure qu’est le texte,
mais ne déclenche l’attente d’aucune avancée dramatique.
t Chacun de ces extraits stylise une situation de dialogue mais aussi un genre :
– texte A : l’ironie tragique tisse le dialogue entre Antiochus et Bérénice. Le roi de
Comagène est le porte-parole et le défenseur, malgré lui, de son rival. La reine use
de sa fureur pour entendre une vérité qui la désespère et qu’elle se force à refuser;
– texte B : le quiproquo qui ridiculise Arnolphe et que subit aussi le lecteur renforce ce procédé comique d’un effet de coup de théâtre;
– texte C : cette tirade de Ruy Blas illustre le goût du drame romantique pour
l’Histoire;
– texte D : la situation inscrite dans ce dialogue est une situation qui vient s’opposer au cadre et aux personnages. On est dans le beau monde avec des problèmes
de bas étage. On a ainsi une situation de farce.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
La lisibilité du non-dit varie en fonction du genre des textes du corpus. Les deux
textes comiques (B et D) offrent un accès facile au non-dit par les effets stylistiques
de l’expression de l’embarras et du sous-entendu : termes approximatifs («Ne vous
a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose ? »), termes et tournures de réticence
(« Je n’ose » ; « yaque, yaque… »). En revanche, le non-dit dans les textes A et C,
à rattacher au registre tragique, est accessible à travers le ton de certaines formules
ou répliques. La souffrance patriotique de Ruy Blas se lit dans la force amplificatrice de son éloquence pour sublimer le passé et caricaturer le présent. La
souffrance amoureuse de Bérénice en apprenant sa répudiation se lit dans la suite
31
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
incohérente que constitue sa contestation vigoureuse de la terrible nouvelle et dans
sa dernière réplique adressée en confidence à Phénice : «Hélas ! pour me tromper je
fais ce que je puis. » Le désarroi d’Antiochus, qui a cédé à la reine pour éviter sa
haine et qui est payé de retour par un soupçon impardonnable, s’exprime en une
lenteur qui justifie l’interruption de Bérénice; ce désarroi reste ainsi accessible en
une formulation inachevée.
La fonction du non-dit se détermine aussi par le genre de l’extrait. Les textes B et
D portent un non-dit qui accroît le comique.Les sous-entendus sexuels d’Arnolphe
permettent de concilier bienséances et paillardise. Les timidités d’Irma pour dire
l’impécuniosité de sa maîtresse insistent sur le ridicule d’une façade bourgeoise
«lézardée». Pour les textes A et C, on constate que la fonction du non-dit est de
contribuer à amplifier le malheur inscrit dans les faits rapportés.Racine met en évidence le triple malheur attaché à la répudiation de Bérénice;Victor Hugo associe
étroitement le malheur de l’Espagne décadente à la souffrance personnelle de Ruy
Blas qui, en forçant le trait, livre ses sentiments.
Commentaire
Introduction
Ce texte théâtralise le commentaire historique que fait Hugo dans la préface de Ruy
Blas, à propos de ses deux drames espagnols : «Dans Hernani, le soleil de la maison
d’Autriche se lève; dans Ruy Blas, il se couche.»
1. Le jeu des oppositions entre le présent et le passé est un jeu
métaphorique aux tonalités proches du fantastique
A. Fantastique dégradant pour le présent avec animalisation du peuple espagnol.
B.Fantastique valorisant pour le passé associé aux images solaires du règne de Charles Quint.
2. Un appel théâtral au «grand homme»
A. Mode épique de l’appel
Appel à un mort glorieux.
B. Force de l’apostrophe
• Ruy Blas se divinise, dit à l’empereur défunt les mots de Jésus à Lazare.
• Ruy Blas ne parle pas en sujet du roi, mais en puissance justicière : tutoiement.
3. Une douloureuse palinodie
A. Substitution brutale d’une image nocturne à l’image solaire
«Lune aux trois quarts rongée […].»
32
Acte III, scène 3
B. Un final pathétique
• Exclamations outrées sur l’infamie présente qui gangrène la gloire passée.
• Évocation burlesque et triviale de l’héritage du grand empereur.
•Vanité de l’appel : constat douloureux.
Conclusion
Évocation romantique de l’Histoire : visionnaire, épique et lyrique.
Dissertation
Introduction
Le dialogue théâtral est un texte qui, une fois actualisé par la parole et le jeu des
acteurs, se prête à différentes définitions. Celle de Pirandello privilégie la phase
scénique et la fonction dramatique du dialogue théâtral.
1. Un lien étroit et nécessaire unit le dialogue théâtral à la représentation
de l’action dramatique
A. Le dialogue théâtral existe à travers la parole des acteurs
Il est donc soumis à la mode des intonations variant avec les époques. On ne
déclame plus le dialogue des tragédies comme on le faisait au XVIIe siècle. Le texte
ne change pas, mais le dialogue théâtral évolue.
B. Le dialogue théâtral fait exister l’action dans les scènes d’exposition
• Il la fait évoluer dans les scènes centrales où se noue le drame.
• Il la fait s’achever par ce que l’on appelle «le mot de la fin».
• La règle de bienséance du théâtre classique met le récit à contribution pour
présenter les actions violentes.
2. Le dialogue théâtral n’est pas seul à porter l’action
A. Importance des didascalies
Elles précisent un geste qui va déclencher ou modifier l’action (le soufflet du Comte
dans Le Cid de Corneille), un geste qui peut modifier les tonalités génériques
de l’action.
B. Importance des rôles muets
Acte IV de Ruy Blas.
3. Le jeu de l’acteur et le dialogue théâtral s’associent pour élaborer
la mimèsis du réel sur la scène et créer l’illusion dramatique
A. Évolution des personnages à travers les époques, en fonction des interprétations
• Julia Barthet a fait «renaître» une Bérénice émouvante.
33
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
• Gérard Philipe a «réinventé» Rodrigue, le séduisant Cid.
• Louis Jouvet a joué le personnage de Tartuffe en lui apportant des traits nouveaux,
propres à le rendre à la fois inquiétant et émouvant.
B. C’est le jeu de l’acteur qui assure la dynamique des différentes fonctions du langage
dramatique et tout particulièrement celle des fonctions émotive et poétique
• La formule de rupture dans Bérénice (« il faut nous séparer ») implique fortement
le jeu théâtral, comme le «Sans dot» d’Harpagon dans L’Avare.
Conclusion
Le dialogue théâtral se révèle à travers des spécificités qui mettent en évidence
la part de l’éphémère dans l’art du théâtre.
Écriture d’invention
La réécriture de cette scène d’Un mot pour un autre peut se faire avec une certaine
souplesse mais doit rester vraisemblable par rapport à la situation sociale inscrite dans
la didascalie d’ouverture et dans le texte. Le remplacement des termes impropres
doit tenir compte de leur réalité phonétique et des diverses proximités analogiques
qu’ils développent (graphismes, lettres, sons, sens).
A c t e I V, s c è n e 4 ( p p . 1 1 3 à 1 1 5 )
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE 4 (PP. 116 À 119)
a Deux types d’analogies stylistiques méritent d’être relevés pour établir les
symétries externes existant entre le monologue de Titus, à l’acte IV, et celui
d’Antiochus, à l’acte I. On accède aux hésitations et au désarroi de chacun de ces
personnages par une accumulation de phrases interrogatives et un recours appuyé
au dialogue fictif, pour s’exhorter ou se condamner.
z Antiochus monologue sur la problématique déclaration d’amour qu’il tait depuis
cinq ans et qu’il veut faire à Bérénice avant de quitter Rome.Titus,pressé par Phénice,
se prépare à confirmer à Bérénice la rupture qu’Antiochus a déjà annoncée, mais
dont lui-même, depuis huit jours, ne parvient pas à faire l’aveu.
e Quand la pièce commence,l’amour sans espoir d’Antiochus ne peut plus se contenir.Seule la crainte du courroux de Bérénice le retient.Déchiré,un temps,entre son
désespérant silence et cette crainte,il se résout à l’aveu en se rassurant à la pensée qu’il
pourra être plaint ou que son départ pour l’Orient le disculpera.Titus,lui,à l’acte IV,
se trouve prisonnier d’un dilemme cornélien entre amour et devoir, entre passion
34
A c t e I V, s c è n e 4
et gloire. Ses résolutions précédentes se sont affaiblies, et, au moment où il doit rencontrer Bérénice pour lui annoncer sans détour leur rupture,il cède aux mouvements
de son cœur. Mais cet abandon à la passion et au bonheur personnel déclenche un
sursaut moral et un remords exigeant qui lui dictent avec force de se soumettre à la
loi romaine et de renoncer à Bérénice.Antiochus fait prévaloir les élans du cœur;
Titus les écarte et choisit de se sacrifier aux exigences de la loi romaine.
r Les deux parties du monologue de Titus trouvent leur charnière à la césure des
hémistiches du vers 1013.
t Les pronoms tu et je ont une référence qui s’inverse d’une partie à l’autre du
monologue. Dans la première partie, ils participent à la formulation d’un dialogue
fictif où l’amant de Bérénice défie l’empereur résolu à rompre. À travers ce
dédoublement,Titus, «juge de Titus», accuse son double d’être un amant «téméraire»
et « barbare ». En réponse à ces reproches virulents, le pronom je se charge d’un
repentir amoureux vibrant et développe une vision imaginaire de la reine si touchante qu’elle rend crédible l’impossible, à savoir l’adhésion de Rome à une reine
étrangère. Dans la seconde partie, la référence des deux pronoms s’inverse.Titus,
« juge de Titus », s’adresse encore à son double, mais en défenseur de l’honneur
romain exprimant de virulents sarcasmes à propos de sa passion.Le je se soumet alors
à un repentir d’empereur et s’offusque de ses négligences envers le bien public.Dans
la succession de ces deux dédoublements,Titus regarde, comme en un miroir, les
composantes inconciliables de son dilemme.
y La première partie du monologue (v.987-1013) fait entendre deux voix :la voix
qui évalue et souligne la cruauté de l’aveu à faire et la voix de l’amant fidèle qui,
en réponse,écarte avec confiance son «triste devoir».La seconde partie (v.1013-1040)
est encore un duo de voix mais sur des enjeux contraires.Titus répond aux sommations de la voix du devoir et de la gloire et se range à ses ordres en se reprochant avec force ses négligences d’empereur.
u La voix de censure qui ouvre chacune de ces parties se résume à chaque fois dans
un qualificatif :d’abord le mot «barbare» (v.992) et ensuite le mot «lâche» (v.1024).
i On voit, dans la première partie,Titus faire le choix de l’amant prêt à épouser
celle qu’il aime et confiant dans l’indifférence ou l’adhésion des Romains à ce lien
avec une reine étrangère. Dans la seconde partie,Titus n’a pour référence que ses
devoirs d’empereur et les exigences de la renommée.
o Le débat de conscience de Titus est initié par l’artifice d’une oralité simple et familière exprimée dans l’interjection du vers 987 : «Hé bien,Titus, que viens-tu faire ?»
35
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
q Le monologue met en évidence le double enjeu du destin de Titus, mais rend
claire aussi la primauté que Titus accorde à Rome. Le propos nomme plus
souvent Rome que Bérénice.Titus choisit d’abord l’amour,mais formule ce choix
par rapport à une Rome conciliante («Rome sera pour nous»),évoquée cinq fois dans
la première partie. Dans la seconde partie, le nom de Rome est associé deux fois,
comme sujet, au verbe juger. La cité devient allégorie de la Justice et du Bien, alors
que Bérénice,inscrite dans la première partie avec le charme de ses yeux,ses larmes
et ses vertus, est réduite, à partir du vers 1013, à l’image de la condamnée (v. 1017)
et celle, plus dégradante, de la beauté qui suit son vainqueur; on peut, en lisant le
vers 1021, songer aux généraux vainqueurs qui ramenaient dans leurs «bagages»
quelques belles esclaves.
s La brisure du vers sert à plusieurs reprises à souligner le sursaut instinctif qui
pousse Titus vers le choix de l’honneur et de la renommée.On l’observe au vers 1013,
avec la pause prolongée à l’hémistiche. On l’observe aussi au vers 1030, dans l’effet
de rupture logique entre la question du premier hémistiche et le contenu du second
hémistiche. On le voit de façon plus marquée au vers 1039, où se trouve brisé le
rythme traditionnel de l’alexandrin, par l’absence de coupe à l’hémistiche ou, plus
exactement, son anticipation au quatrième pied («Ne tardons plus»).
d Titus fonde sa résolution finale («Ne tardons plus : faisons ce que l’honneur exige»)
dans le raccourci de deux constats arbitraires : depuis la mort de son père, il a tout
fait pour l’amour (v.1030) et a perdu son temps (v.1038).Bérénice et lui-même ont
montré et dit le contraire dans les scènes précédentes.
f Le regret que formule Titus par rapport au temps est de «l’avoir perdu»,c’est-àdire d’avoir manqué, depuis huit jours qu’il est empereur, aux devoirs de sa charge.
Il fonde ce regret sur un passé récent mal employé et sur un avenir incertain.Titus
parle en effet du «temps […] précieux» comme s’il avait l’intuition de la brièveté de
son règne (v.1036).Racine,à travers cette appréhension de son personnage,renvoie
le public à la vérité historique d’un règne qui n’a duré que deux ans (79-81).
g Les regards du peuple romain,porteurs de souffrances ou d’espoirs,sont les centres
d’intérêt auxquels Titus fait allusion au vers 1033.Titus veut associer son image à
celle traditionnelle du père de la patrie.
h La lecture du vers 1035 oriente le sens du mot « honneur » au vers 1039.Titus
donne à ce mot une valeur plus politique que morale. Il pourrait être remplacé
par le mot Empire.Titus se sent investi de la force impérialiste de Rome et veut la
respecter et l’étendre.
36
A c t e I V, s c è n e 4
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 120 À 126)
Examen des textes
a Les trois textes du corpus mettent en évidence la nécessité pour le locuteur de
résoudre un dilemme :
– textes A et B : dilemme entre amour et honneur ;
– texte C : dilemme de la sincérité absolue dans un journal intime.
z Texte A :Titus se dédouble en censeur des alternatives de son dilemme (censeur de l’empereur qui veut annoncer à Bérénice sa répudiation;censeur de l’amant
qui veut épouser Bérénice).
Texte B : Rodrigue parle, tout au long des stances, en fils et en amant. C’est finalement le fils qui a le dernier mot. Rodrigue choisit de venger son père.
Texte C :l’introspection que conduit le locuteur le met dans le double rôle d’acteur
et d’analyste.
e Le personnage de Titus permet,dans ce monologue,de retrouver quelques traits
du héros cornélien. Il en a la stature sociale et morale. Son dilemme entre honneur
et amour décline des valeurs cornéliennes et constitue une affaire d’État. Mais ces
analogies se trouvent dévoyées par les traits psychologiques de Titus, héros hésitant
qui confond honneur et volonté de puissance. Il n’a pas le «tonus héroïque» que
l’on prête au héros cornélien et qu’illustre tout particulièrement Rodrigue.
r Ces trois extraits illustrent la variété du lyrisme :
– texte A : lyrisme «polyphonique» à travers la variété du dialogue fictif (colère,
amour, remords, patriotisme, fierté);
– texte B : lyrisme de forme et de fond (stances lyriques où s’expriment les douleurs d’un choix tragique);
– texte C : lyrisme insolite de l’angoisse existentielle où les tenants de la souffrance
et des peurs sont étranges et inattendus.
t Dans cet extrait de La Nausée, le développement de la pensée du héros-locuteur se fait dans un mouvement chronologique de remontée du temps très classique
mais où les transitions, très orales, maintiennent une authenticité familière et
intime. Elles sont ménagées par le besoin du locuteur de donner ses impressions
présentes sur le passé qu’il évoque.Ainsi ces transitions interrompent la remontée
dans le passé et instaurent un va-et-vient avec le présent.
37
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Une peur particulière est exprimée dans chacun des extraits du corpus. Elle justifie
l’énonciation solitaire qui en rend compte. Le monologue constitue le support
classique des hésitations et des peurs attachées à un dilemme. Un héros de tragédie
qui délibère à propos d’un choix moral essentiel et vital, dans la crainte et l’urgence
comme y sont soumis Titus et Rodrigue, s’exprime souvent dans un monologue.
C’est la fonction de ce genre de tirade. Le monologue de Titus permet de vérifier
l’adéquation de la parole solitaire avec une peur double que nourrit le risque de
perdre ou son amour ou son honneur. L’épouvante de Rodrigue, pris au double
piège de l’honneur de son sang et de son amour, gagne en vraisemblance par
l’effet de rupture qu’introduit l’hétérométrie des stances (hexasyllabes,octosyllabes,
décasyllabes,alexandrins).Le trouble intense du personnage est mis en valeur par un
système de rimes particulier. Corneille, dans son «Examen» d’Andromède, associe
les variétés métriques des stances à la vérité des sentiments et au plaisir du public.
Antoine Roquentin,le héros de La Nausée, élabore la prise de conscience de sa peur
à travers la longue introspection que livrent les pages de l’extrait C. La peur formulée dans les dernières lignes représente l’aboutissement d’une quête, la compréhension d’une inhibition. En découvrant qu’il a « peur d’entrer en contact avec [les
objets] tout comme s’ils étaient des bêtes vivantes», il peut répondre à la question qui le
hante : pourquoi n’a-t-il pas pu dire dans son journal intime qu’il lui avait été impossible de «ramasser un papier qui traînait à terre» ? Ce n’est pas là une peur qui se rattache à la morale,mais une peur qui intéresse la psychanalyse et qui est constitutive
de l’être. La parole solitaire qui la révèle est un récit d’introspection.
Commentaire
Introduction
Ce monologue met en lumière le «théâtre» que Titus doit se faire pour renvoyer
Bérénice, et souligne également avec insistance les timidités de l’empereur devant
Rome.
1. Les deux scènes du monologue
A. La symétrie textuelle
• 1re partie, du vers 997 au vers 1013.
• 2nde partie, du vers 1013 au vers 1040.
38
A c t e I V, s c è n e 4
B. L’opposition dramatique
• De l’abandon à l’union.
• De l’union à l’abandon.
C. La progression dialectique : le contre et le pour de la répudiation
• Le contre : une cruauté que Rome n’a pas demandée et qu’elle exclura sans
doute.
• Le pour : une urgence morale et politique, Rome étant victime du temps perdu
à «faire l’amour».
2. Bérénice et Rome : deux actants inégaux
A. Inégalité de présence dans le texte
• Évocation de Bérénice :la «douce langueur» des yeux,«leurs charmes»,«leurs larmes»;
ses «vertus»; image prosaïque de son arrivée à Rome.
• Omniprésence de la référence à Rome.
B. Faiblesse actantielle de Bérénice, force actantielle de Rome
• Bérénice, un opposant au « triste devoir » de Titus : opposant charmeur dans la
première partie, opposant corrupteur dans la seconde partie.
• Rome trouve dans le monologue plusieurs fonctions actantielles : destinateur,
destinataire et adjuvant pour la gloire de Titus ; opposant déclaré à Bérénice
(v. 1021-1022).
3. Les timidités de Titus
A.Timidités de parole
L’aveu de la répudiation lui est impossible.
B.Timidités d’image publique
Seule l’image conventionnelle de l’empereur respectueux des lois, paternaliste et
conquérant lui paraît acceptable.
Conclusion
Le « nous » de Titus peut s’entendre, dans les derniers vers, comme un pluriel de
majesté. L’empereur sait trouver des compensations à son sacrifice amoureux.
Dissertation
Introduction
Dès l’âge classique, le monologue a été un sujet d’esthétique théâtrale très débattu
et même controversé.
39
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
1. Le monologue dans la tragédie, comme dans la comédie, est apparu
justifié par les difficultés du héros. Elles accordent le texte aux exigences
de la vraisemblance. Elles captivent l’émotion et l’attention du public
A. La détresse justifie l’appel au secours qu’est souvent le monologue
Le Cid : «Ô Dieu, l’étrange peine !»
B. Le caractère pathétique du monologue en fait la séduction, et les grands comédiens ont su
et savent valoriser ce genre de tirade
C. Les mauvais coups du sort imposent des pauses de réflexion pour pouvoir rebondir
Dans L’École des femmes de Molière, le personnage d’Arnolphe exprime désespoir
et espoir en sept monologues.
2. La détresse et l’abattement du héros autorisent une grande variété de
discours et de tons dans le monologue
A.Adresse à l’absent
Effet de dialogue : Bérénice, monologue d’Antiochus (I, 2).
B.Adresse au moi
• Ce peut être une invite apaisante, une virulente adresse, une plainte élégiaque.
• Approfondissements ou prises de distance pour éclairer une conduite.
C.Adresse à une instance supérieure
• Dieu et l’épée de son père, pour Rodrigue.
• Phèdre s’adresse à Vénus (Phèdre, scène 2 de l’acte III).
3. La comédie sait exploiter le monologue pour éclairer, voire aggraver
le ridicule d’un personnage ou d’une situation
A. Monologues de délire
• Matamore dans L’Illusion comique de Corneille (III, 7).
• Harpagon dans L’Avare de Molière (IV, 7).
B. Monologues d’exposition d’un personnage et d’une situation comiques
• Amphitryon de Molière : monologue de Sosie (I, 1).
• George Dandin de Molière : monologue de George Dandin (I, 1).
Conclusion
En tant que « projection de la forme exclamative » (T.Todorov, Les Registres de la
parole), le monologue s’adapte au malheur des héros et, en lui offrant des modes
d’énonciation variés, rend le pathétique qui s’y exprime très accessible. Mais il faut
s’arrêter aux particularités de certains monologues de comédie pour voir dans le
40
A c t e V, s c è n e s 6 e t 7
monologue un champ plus large que celui du pathétique. Le monologue permet
aussi le grossissement comique.
Écriture d’invention
• Il s’agit à la fois d’une lettre d’amour et d’une lettre d’éloge.
• Pour ce travail,il s’agit de récrire et de développer les stances.Il convient en particulier de bien expliciter la quatrième stance en insistant sur l’honneur de Chimène qui
ne peut accepter un amant qui serait,par amour,un fils indifférent à l’honneur de son
père.La lettre peut ainsi se concevoir comme une lettre faisant l’éloge moral de Chimène,
capable,par ses valeurs,de comprendre et d’approuver la décision de Rodrigue.
A c t e V, s c è n e s 6 e t 7 ( p p . 1 4 3 à 1 4 9 )
◆ LECTURE ANALYTIQUE DES SCÈNES 6 ET 7 (PP. 150 À 153)
a Pour Titus, les souffrances de l’homme et de l’empereur se développent en
étant confrontées à des obstacles prévisibles et d’autres imprévisibles. Il énumère,
au vers 1368, les obstacles qu’il avait prévus, obstacles attachés à un «triste adieu»
(v. 1367). Mais il confie ensuite que ces obstacles ont pris une forme paroxystique
qui amplifie ses souffrances.Ses «craintes» et ses «combats» ont évolué en rencontrant
l’obstacle d’une «vertu» qu’il voit «tomber» (v. 1374) dans un «trouble» qui lui fait
honte. Il y perd, dit-il, le sens de sa propre identité (v. 1380-1381). Les «larmes» et
les «reproches» de Bérénice, obstacles prévisibles, ont maintenant la dimension tragique de la mort (v.1385).C’est pour Titus le comble de la douleur (v.1387-1388).
z La douleur de Titus se formule avec le renfort anticipé du lexique de la peur:
«triste adieu» (v. 1367) = «moment redoutable» (v. 1364).
e L’extrême douleur de Titus tient à la lecture qu’il a faite, à la scène précédente
(sc. 5), d’une lettre arrachée à Bérénice. Il a ainsi découvert le désir de la reine de se
suicider plutôt que de quitter Rome.
r C’est sous la forme narrative du récit que Titus fait l’exposé de ses souffrances.
t Son discours s’organise en un rappel du passé (v. 1364-1384) qui vient éclairer
la situation présente, un sommet de souffrance (v. 1385-1388).
y La première opposition entre «heureux hymen» et «gloire inexorable» se modifie
en s’inversant après le constat du vers 1396 : « L’empire incompatible avec votre
hyménée ». Le respect de l’hyménée est ensuite associé à des expressions péjora41
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
tives : « lâche conduite », « indigne empereur », « vil spectacle », « faiblesses d’amour ». Ces
mots prolongent et inversent l’opposition avec la «gloire inexorable» en la transformant implicitement en une force bienveillante,gardienne de l’honneur de Titus mais
aussi de celui de Bérénice (v. 1403).
u Le choix légaliste qu’exprime Titus prend une dimension solennelle et
surnaturelle par le jeu de la métaphore et de l’allégorie. La métaphore du maître
et du disciple décrit et justifie ce choix en transformant la gloire impériale en
allégorie autoritaire et moralisatrice.Titus se montre ainsi sous une tutelle transcendant sa volonté et lui dictant une conduite qui doit impérativement respecter
la loi romaine et «l’éclat» (v. 1397) de ses propres triomphes passés.
i Titus veut dissuader Bérénice de se suicider en la menaçant de la devancer,
à l’instant, en se transperçant devant elle : « Et je ne réponds pas que ma main à
vos yeux / N’ensanglante à la fin nos funestes adieux» (v. 1421-1422).
o L’anaphore des «Si» (v. 1415-1418) et l’entrelacement des pronoms et adjectifs
de 1re et 2nde personnes soulignent combien le suicide de Titus est conditionné par
une conduite qui implique les deux amants.
q Antiochus,au début de la scène 7,croit que Titus a renoncé à répudier Bérénice
et qu’il se prépare à l’épouser. Il retrouve, croit-il, la même situation que celle où il
était au commencement de la pièce.
s La didascalie qui accompagne la dernière tirade de Bérénice indique que la
reine se lève pour parler. Ce détail de mise en scène insiste sur le rôle majeur que va
prendre sa parole.
d La tirade de Bérénice dénoue l’action tragique, l’action amoureuse et l’action
politique. Le dénouement que trouvent les menaces tragiques de suicide, formulées
par les trois personnages, est heureux car la force morale de Bérénice s’instaure en
modèle qui veut arrêter le «sang prêt à couler» (v. 1474). Mais le dénouement amoureux, «moment funeste» (v. 1491), reste celui d’une tragédie : l’amour impossible pour
les trois héros. Le dénouement politique se fait, lui, à l’avantage de Rome et de la
gloire de Titus : «Adieu, Seigneur, régnez : je ne vous verrai plus» (v. 1494). Les destinataires du propos de Bérénice sont Titus et Antiochus. Du vers 1475 au vers 1494,
Bérénice parle à Titus ; et c’est à lui encore qu’elle destine ses dernières paroles,
au vers 1506. Onze vers, dans cet intervalle, s’adressent à Antiochus avec une force
péremptoire et distante : ils préparent le «Hélas !» final du roi de Comagène.
f Bérénice est le seul personnage dont la situation finale représente une cruelle
inversion de la situation initiale : l’exil géographique et amoureux est son lot, alors
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A c t e V, s c è n e s 6 e t 7
qu’elle se voyait quelques heures plus tôt sur le point de devenir impératrice romaine.Titus arrive à une issue conforme à ce qu’il a préparé depuis huit jours :
une répudiation sans rupture des cœurs et un éloignement de Bérénice sans équivoque pour son opinion publique.Antiochus retrouve dans sa situation finale sa situation initiale mais aggravée. Son départ de Rome va se faire dans les conditions
qu’il a envisagées tristement au premier acte : il doit partir «importun à regret» (v. 9).
Mais les mots du dénouement lui confirment aussi avec force la disgrâce qu’il s’est
acquise dans les scènes précédentes (I,3 et III,3) auprès de Bérénice :«Portez loin de
mes yeux vos soupirs et vos fers» (v. 1501).
g On relève dans la tirade de Bérénice 7 occurrences du verbe aimer et 4 du mot
amour. Cette insistance lexicale met en valeur une liaison amoureuse exemplaire
rattachée au passé et éclaire un paradoxe sentimental se rapportant à la situation
nouvelle inscrite dans le dénouement (v. 1500).
h L’instant du dénouement est désigné par Bérénice avec les termes « moment
funeste» (v. 1491). Le champ lexical du «désespoir», initié au vers 1472, s’enrichit de
l’adjectif «funeste»,après avoir englobé les mots «larmes»,«alarmes»,avant d’inclure
le terme «adieu» et l’expression superlative «l’amour […] la plus malheureuse» (v.1503).
j Le coup de théâtre que représente la «conversion» de Bérénice aux exigences
de la loi romaine est éclairé par son «assomption» amoureuse, véritable abnégation
des sens, qui lui fait admettre la pérennité de la passion, malgré la séparation définitive des corps, et lui fait accepter la consolation de la renommée (v. 1502-1503). La
souffrance que lui a imposée la découverte d’une nécessaire rupture entre elle et Titus,
après avoir forgé son désespoir,forge son idéalisme.Pour elle,cette attitude représente
un «effort» (v. 1492) qu’elle peut faire parce qu’elle se sait aimée. En se contentant
de ce lien platonique, en choisissant de partir, elle renonce au suicide et oublie
qu’elle a supplié Titus de la laisser rester à Rome,même séparée de lui (v.1126-1129).
k L’adieu que Bérénice adresse à Antiochus renouvelle l’adieu à Titus, car la reine
y reprend, pour elle et pour Titus, trois fois le verbe aimer et réintroduit ainsi une
seconde déclaration d’amour à l’empereur.
l Le « Hélas ! » d’Antiochus est le commentaire virtuel de différents aspects de
la tirade de Bérénice. Il peut commenter tout ce que Bérénice a exprimé de la
réciprocité de l’amour qui l’unit pour toujours à Titus. Il peut exprimer l’accablement d’un amoureux congédié sans ménagements, au vers 1501. Il peut aussi
représenter un refus accablé de l’invite formulée au vers 1469. Cet « Hélas ! »
n’exclut pas en effet le suicide prochain d’Antiochus.
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RÉPONSES
AUX QUESTIONS
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 154 À 159)
Examen des textes
a Chacun des textes du corpus établit un lien logique particulier entre souffrance
et récompense :
– texteA: lien d’analogie exprimé aux vers 1502-1504 («Servons tous trois d’exemple
à l’univers / De l’amour la plus tendre et la plus malheureuse / Dont il puisse garder l’histoire
douloureuse »). La récompense à la souffrance des trois protagonistes peut être une
image idéale d’eux-mêmes;
– texte B :lien d’opposition exprimé dans un paradoxe («C’est la Mort […] qui fait vivre»)
et une vision paradisiaque qui est une inversion des malheurs de la pauvreté («C’est
l’auberge fameuse inscrite sur le livre / Où l’on pourra manger,et dormir,et s’asseoir»);
– texte C :lien de cause à conséquence entre souffrance et récompense pour Alissa.
Elle attend du sacrifice douloureux de l’amour terrestre «le meilleur» promis dans
un verset biblique.
z Bérénice et Alissa représentent deux amoureuses prêtes à se contenter jusqu’à la
fin de leurs jours d’amours platoniques. Mais, dans la justification de cette conduite
héroïque, elles s’opposent.Alissa prétend obéir à Dieu, alors que Bérénice trouve
ses raisons dans un effort personnel d’abnégation qui l’invite à s’effacer devant les
attentes de l’Empire romain (v. 1484-1488).
e Les deux interjections s’inscrivent dans un contexte de désespoir tragique. Le
poète s’attache à la fatalité du dénuement des pauvres qui transforme la mort en délivrance de rêve où les pauvres peuvent inscrire leurs attentes vitales. Le personnage
d’Antiochus exprime avec «Hélas !» la dimension tragique de son destin : derrière et
devant lui il y a la souffrance de la solitude. Il n’a lui aussi d’espoir qu’en la délivrance
que pourrait lui apporter la mort.
r Le poète dissocie son propos du discours chrétien dans le dernier tercet où
l’expression «gloire des Dieux» induit une vision de la mort qui ne peut plus correspondre à ce qui est «[inscrit] sur le livre» (2nd quatrain), c’est-à-dire la Bible.
t La vision de la justice divine que développent ces vers peut être qualifiée de
double.Bienfaits et courroux divins peuvent faire songer aux dieux de l’Antiquité.
En revanche, le principe de réversibilité des mérites inscrit dans les vers 14661468 renvoie au dogme chrétien de la «communion des saints».
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A c t e V, s c è n e s 6 e t 7
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Chacun des textes du corpus avance l’idée du sacrifice.Les textes A et C véhiculent
cette idée au travers des personnages ; le texte B l’induit dans la réflexion qu’il
exprime sur la mort des pauvres. La dernière scène de Bérénice constitue un
dénouement à partir de deux types de sacrifices : le sacrifice de Bérénice relève de
l’abnégation amoureuse, alors que celui d’Antiochus prend le caractère religieux
du sacrifice, rituel de médiation avec les dieux. Le sacrifice d’Alissa reproduit
l’abnégation de Bérénice mais sa finalité est autre : il doit se définir comme un
sacrifice de mortification chrétienne, effort vers la pureté du saint. Dans La Mort
des pauvres, Baudelaire invite à réfléchir sur le sacrifice, espérance de bonheur
éternel après la mort.
Commentaire
Introduction
Ce poème s’attache à présenter la mort comme la dernière espérance des pauvres.
Mais,tout en reprenant ainsi le thème évangélique de la pauvreté sainte,le poète en
souligne les aspects révoltants et injustes.
1. L’approche réaliste de la pauvreté
A.Les quatrains rassemblent des allusions claires aux grandes difficultés d’existence des pauvres
• Interminable marche.
• Le froid.
• La faim.
• L’absence de logis, de vêtement.
B. Le poète fait sienne cette réalité : «notre horizon noir»
2. Les références bibliques
A. Références à des textes
• Le bon Samaritain, les pèlerins d’Emmaüs («l’auberge fameuse»).
B. Références à des dogmes
• Deux vertus théologales, la Foi et l’Espérance, fondent la définition de la mort.
• Sainteté du Pauvre, assuré, par ses souffrances terrestres, du repos éternel.
3. Le mysticisme du poème dans la définition de la mort des pauvres
A. Son expression profane
• Paradoxe simple (v. 1).
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RÉPONSES
AUX QUESTIONS
• Analogies prosaïques (« élixir », « auberge », « grenier », « bourse du pauvre »), vision
prosaïque aussi du repos éternel («un Ange […] qui refait le lit»).
B. Son expression sacrée
• Style incantatoire avec l’anaphore du présentatif «C’est».
• Mystère des tercets où alternent abstrait et concret.
Conclusion
Ce poème montre que Baudelaire, fasciné dans une large partie de son œuvre par
la théologie de la Chute,s’est senti également inspiré par la théologie de l’Espérance,
retrouvant là une inspiration romantique.
Dissertation
Introduction
La question des finalités que l’écrivain doit fixer à sa création littéraire reçoit diverses
réponses.Celle d’André Gide est classique mais limitative car elle ne mentionne pas
la part de l’imagination et de l’engagement provocateur dans la création littéraire.
1.Associer la préoccupation esthétique et la préoccupation morale
a été l’objectif des grandes œuvres, du XVIIe au XXe siècle
A. XVIIe siècle
• Les règles du théâtre classique correspondent à un idéal d’ordre esthétique et d’ordre
moral.La Préciosité s’efforce de promouvoir une relation raffinée entre hommes et
femmes.
B. XVIIIe siècle
• L’esthétique des Lumières se met au service de l’émancipation des esprits.Voltaire,
Diderot et Rousseau développent dans leurs œuvres une philosophie soucieuse de
nourrir l’esprit critique des lecteurs.
C. XIXe siècle
Les esthétiques romantique, réaliste, naturaliste sont associées à un idéalisme moral
plus ou moins en filigrane dans les œuvres littéraires. Le romantisme de Hugo fait
du poète, romancier et dramaturge le prophète des humbles et des misérables; le
réalisme de Balzac se fonde sur sa doctrine sociale et religieuse; le naturalisme de
Zola s’attache à décrire et analyser le fatalisme de la chair et les différents déterminismes qui construisent le destin des êtres.
D. XXe siècle
Le classicisme de Gide,de Mauriac,de Montherlant s’attache à l’exploration de l’âme
humaine.
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2. Mais bien des écrivains se sont imposés par la seule richesse de leur
imagination ou la seule force provocatrice de leur engagement esthétique
A. Esthétisme des poètes du Parnasse
Impersonnalité et culte de la beauté.
B. Imagination, spontanéité et audace des génies précoces
Rimbaud, Lautréamont,Alfred Jarry, Raymond Radiguet.
C. Engagement et provocation esthétiques
Le mouvement Dada, les poètes surréalistes, le Nouveau Roman (Les Éditions de
Minuit).
3. La force vitale d’une œuvre est difficile à codifier et se mesure
selon des critères très variés et variables
A. Le critère du succès présent
Préface de Bérénice.
B. Le critère de la postérité
Le roman d’Honoré d’Urfé L’Astrée,«livre de chevet du XVIIe siècle»,est depuis plus de
deux siècles «illisible».
C. Le critère d’universalité
La pérennité des grandes œuvres de Molière et des Fables de La Fontaine.
Conclusion
La création littéraire révèle sa force dans la vérité ou les vérités que peut y trouver
le lecteur sur le plan de la forme et/ou du fond. «Le moyen d’être idéal, c’est de faire
vrai» (Flaubert).
Écriture d’invention
Ce travail se fait sur le modèle du «Courrier des lecteurs».La critique de l’idéalisme
peut être conduite en trois temps :
1. La réalité sociale : la misère et l’indifférence.
2. Faire des pauvres les privilégiés de Dieu peut conforter cette indifférence.
3. La mort des pauvres n’est un sujet ni poétique ni métaphysique, mais bien un
sujet politique que savent traiter comme tel les romanciers (Balzac, Hugo…).
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BIBLIOGRAPHIE
C O M P L É M E N TA I R E
◆ OUVRAGES SUR R ACINE ( VIE ET THÉÂTRE)
– Alfred Bonzon, La Nouvelle Critique et Racine, Nizet, 1970.
– Jean Émelina, Racine infiniment, SEDES, 1999.
– Lucien Goldmann, Le Dieu caché, Gallimard, 1955.
–Thierry Maulnier, Racine, Gallimard, 1947.
– Pierre Moreau, Racine : l’homme et l’œuvre, Hatier, 1956.
– René Pommier, Le «Sur Racine» de Roland Barthes, SEDES 1988.
– Gilles Revaz,La Représentation de la monarchie absolue dans le théâtre racinien,éd.Kimé,
1998.
– Jean Starobinski, L’Œil vivant : Racine et la poétique du regard, Gallimard, 1961.
– Émile Verhaeren, Racine et le Classicisme, éd. Complexe, 2002.
– Eugène Vinaver, Racine et la Poésie tragique, Nizet, 1951.
◆ OUVRAGES SUR BÉRÉNICE ET SUR LA TRAGÉDIE
– Actes du colloque (22 octobre 1999) «Présence de Racine – « Bérénice » : élégie
ovidienne et tragédie racinienne», vol. XVI, CEDIC, 2000.
– Recueil d’articles sous la direction de Suzanne Guellouz,Racine et Rome :«Britannicus,
Bérénice, Mithridate», Paradigme, 1995.
– Bénédicte Louvat, La Poétique de la tragédie classique, SEDES, 1997.