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GEOUSP - Espaço e Tempo, São Paulo, Nº 22, pp. 152 - 169, 2007
GÉOGRAPHIE ET NUDITÉ: UN MARIAGE EXTRAVAGANT?
(QUELQUES PISTES DE RÉFLEXION SUR LA PRODUCTION
SOCIALE DE L’
ESPACE)
Francine Barthe-Deloizy*
RÉSUMÉ:
Est-il possible d’
aborder la nudité par l’
angle improbable de la géographie ? La géographie auraitelle quelque chose à dire de plus, de différent sur le sujet ? De prime abord la question semble
incongrue. Après tout quel peut bien être le rapport entre géographie et nudité ? Hormis le fait de
produire un mariage étrange, une association insolite Ce travail propose de montrer que l’
entrée
par les lieux et les territoires permet de mieux comprendre le (les) sens de la nudité, et montre par
la même occasion comment le corps, plus ou moins dévoilé est impliqué dans la production sociale
de l’
espace. Cet article se présente donc comme une invitation à visiter ces espaces de la nudité et
à réfléchir sur les corps qu’
on y voit.
MOTS-CLEFS:
Nudité; espace; géographie; corps.
ABSTRACT:
Is it possible to approach nudity by the improbable standpoint of geography? Would geography
have anything to add on the subject, anything different to tell us? To begin with, the question
seems inappropriate. After all, what can be the connection between geography and nudity? Except
the fact of producing a strange combination, an unusual association. This paper is intended to
demonstrate that entering places and territories makes it possible to better understand the
meaning(s) of nudity, and consequently shows how the body, more or less revealed, is involved in
the social production of space. Thus this article is conceived as an invitation to visit these spaces of
nudity and consider the bodies one might see in them.
KEY WORDS:
Nudity; space; geography; body.
Géographie et nudité : un mariage
insolite
Est-il possible d’aborder la nudité par
l’angle improbable de la géographie ? La
géographie aurait-elle quelque chose à dire de
plus, de différent sur le sujet ? De prime abord
la question semble incongrue. Après tout quel
peut bien être le rapport entre géographie et
nudité ? Hormis le fait de produire un mariage
étrange, une association insolite ! Nous
relevons ici ce défi qui fait écho à une
publication1 . Ce travail propose de montrer que
l’
entrée par les lieux et les territoires permet
de mieux comprendre le (les) sens de la nudité,
et montre par la même occasion comment le
corps, plus ou moins dévoilé est impliqué dans
la production sociale de l’
espace. Cet article se
présente donc comme une invitation à visiter
ces espaces de la nudité et à réfléchir sur les
corps qu’
on y voit. Le fil conducteur de ce travail
n’
est donc pas l’
étude de la nudité en soi, objet
épistémologique que nous empruntons aux
anthropologues, aux historiens ou aux
sociologues… mais des espaces que la nudité
*Maître de conférences à l’université Jules Verne Picardie. E-mail: [email protected]
Géographie et nudité: un mariage extravagant? (quelques
pistes de refléxion sur la production sociale de l’
espace), pp. 152 - 169
produit. La nudité individuelle ou collective,
privée ou publique, crée des lieux, des
territoires, des pratiques, travaillées par des
normes, des codes, des histoires, des morales
et des idéologies. C’
est dans la confluence de
ces productions que se situe l’
objet de cette
étude.
A y regarder de plus près l’
enjeu de cet
essai réside dans le regard qu’
on porte sur la
nudité, regard qui suit des perspectives
différentes selon l’
endroit, et l’époque où l’
on
se trouve. L’espace, du fait des corps nus se
métamorphose et les pratiques qui s’
y inscrivent
également. La nudité s’inscrit ainsi dans une
géographie culturelle qui fait qu’
elle n’
est pas
la même en Allemagne, en France, au Brésil ou
en Iran. Que la nudité de l’
homme blanc n’
est
pas celle de la femme noire.. surtout aux yeux
du premier !
Le formidable pouvoir de fascination
qu’
exerce le corps nu sur les regards est bien
une caractéristique fondamentale de ce sujet
et elle n’
a rien de contemporain comme pourrait
le laisser croire les Unes de couvertures des
journaux (masculins ou féminins, de charme, de
bien-être et santé ou tout simplement de la
presse grand-public), en effet la chose n’
est pas
nouvelle puisque, on retrouvait déjà dans les
journaux de voyage des grands découvreurs
du XVe siècle cette même stupéfaction2 . Devenu
un sujet de société, quoique le dénuder qu’
il
convient de ne pas confondre avec nudité, soit
plus attractif aux dires des professionnels des
médias.
Archéologie d’
un mot, généalogie d’
une
pratique
Commençons par une évidence : la nudité
en soi ne signifie rien, ne dit rien et se réduit
finalement à un simple état, celui d’
un corps que ne
recouvre aucune enveloppe, aucun signe.
Cette incroyable neutralité s’
efface dès lors
qu’
on la met en perspective avec un lieu, un
contexte, en d’
autres termes lorsqu’
on la met en
situation. Se mettre nu sous sa douche relève d’
une
153
grande banalité, mais se rendre à l’
opéra ou au
restaurant intégralement nu est considéré comme
de l’
exhibitionnisme ou de la provocation. Ces
exemples caricaturaux montrent d’
emblée qu’
une
distinction opératoire se dessine. Dans le premier
cas, il est question d’
une pratique corporelle
hygiénique qui se déroule au sein de l’
espace
domestique, dans l’
autre d’
une pratique culturelle
impliquant des règles de sociabilités convenues dans
l’
espace public. La nudité se résumerait-elle à ce
double binôme individu/collectif-privé/public dans le
cadre de pratiques sociales ? Une question se pose
alors : quel statut accorder à la nudité, de la
tolérance à son égard ? La nudité serait-elle une
sorte de caméléon culturel qui ne se comprend que
par rapport à un contexte, une époque ? La nudité
est mise en jeu dans toutes les interactions avec
autrui, le travail, le sport, la santé, mais aussi dans
les pratiques les plus intimes, comme par exemple
l’
hygiène ou la sexualité.
L’
étymologie latine de nudité (nudus) nous
apprend que le terme ne signifie pas nécessairement
absence totale de vêtement. Pour les romains, être
nu, c’
est ne pas se couvrir le corps comme l’
exigent
la situation et le lieu où l’
on se trouve sous peine
d’
être choquant ou inconvenant. On retrouve cette
complexité dans l’
acception proposée par le
dictionnaire de la langue française qui définit la nudité
par rapport au vêtement « qui n’
est couvert d’
aucun
vêtement : être dans le costume d’
Adam et Eve, dans
le plus simple appareil, dans l’
état de nature… »
D’
autres approches proposent une dichotomie plus
nette insistant sur le caractère sexué. Pour M.A
Descamps 3 est nue « toute personne dont les
organes sexuels ne sont pas masqués par un objet
adéquat, et vêtue celle qui cache au moins une partie
de son corps ». L’
amalgame établi entre sexe et
nudité représente la caractéristique majeure de la
civilisation judéo-chrétienne, là plus qu’
ailleurs la
nudité s’est résumée pendant des siècles au
dévoilement du sexe.
Au fil de l’
histoire, et sous des prétextes
variés, la nudité a été parée de valeurs, de normes,
de tabous. Elle est tour à tour, scandaleuse,
excitante, morbide ou innocente. Elle constitue un
vocabulaire, un langage qui aide à comprendre les
sociétés dans lesquelles elle se donne à voir ou plus
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exactement se laisse deviner. Derrière l’
énonciation
et la prééminence d’
une manière de voir le nu, se
manifestent des enjeux de savoir et de pouvoir ;
c’
est la raison pour laquelle les religions comme les
idéologies ont paré le nu de toutes les vertus et de
tous les vices. Ainsi, dans l’
aire judéo-chrétienne,
dès l’
antiquité, le corps fit l’
objet de prescriptions
contradictoires et la nudité innocente, celle du paradis
d’
Adam et Êve a côtoyé pendant des siècles la nudité
pécheresse ou infamante des damnés.
Les signifiés de la nudité
Les hommes ne se sont jamais mis par
hasard, par caprice ou par envie, n’
importe où ni
dans n’
importe quelles circonstances. Si l’
homme
naît nu, à l’
évidence la société l’
habille, le pare, le
décore…et pourtant, l’
histoire de l’
humanité nous
montre des êtres qui passent leurs temps à se
déshabiller plus ou moins discrètement,
ostensiblement à certaines périodes, en certaines
occasions. C’
est dans cette activité de va et vient
continuel que surgit le phénomène de nudité : c’
est
à dire précisément l’
acte de rendre au corps une
partie ou l’
intégralité de son état originel. La nudité
n’a jamais été vécue comme un fait brut et
insignifiant, c’
est la raison pour laquelle il convient
de ne pas confondre la nudité et le dénuder, deux
phénomènes majeurs et pas nécessairement
concomitants se sont produits : le fait et la
conscience de se dévêtir. Ce constat initial invite à
s’
interroger sur les lieux précis qui font et permettent
qu’
un corps habillé, paré, masqué retrouve sa nudité
première.
Les usages de la nudité se résument à des
attitudes précises, mettant en jeu un binôme bienêtre/mal être qui se définit suivant les époques ou
les aires culturelles au travers de pratiques qui
impliquent et parfois remettent en cause les normes
de pudeur. Dans l’
expérience culturelle des peuples
et plus précisément dans la tradition occidentale, le
dénuder paraît investi de trois significations
principales : l’
expression d’
un bien-être, le partage
d’
une intimité avec un entourage et le symbole d’
une
humiliation car le dénuder peut aussi devenir un signe
DELOIZY, F. B.
d’
infamie.
A chaque aire culturelle correspondrait donc
une définition de la nudité et de ses valeurs, des
gestuelles, des pratiques, des lieux spécifiques.
L’
horizon de départ de cette recherche a été la
culture judéo-chrétienne. On pourra sans doute
reprocher l’
aspect européano-centré de ce travail,
mais il faut bien admettre qu’
une grande partie du
monde par le biais de la christianisation, puis de la
colonisation a imprimé une trace indélébile sur la
nudité de ceux qu’
on appelait il y a peu de temps les
peuples primitifs.
La mise aux normes de la nudité des
« sauvages »
« Nus donc sauvages, habillés donc civilisés »
cette formule lapidaire servit longtemps de norme
pour définir un « niveau de civilisation ». A l’
évidence,
la nudité (mais pas seulement) a lourdement
contribué à ce classement entre peuples
« archaïques » et « peuples évolués », ce qui permet
au passage de mettre en évidence une forme
ethnocentrique de définition de ce qui est ou pas
une civilisation. Très tôt une analogie entre l’
état de
maturité ou d’
immaturité des cultures a été établie
en fonction de ce critère. Quelque soit la terminologie
choisie : sauvages, primitifs, archaïques ces peuples
ont été vus et observés en tant que peuples nus et
c’
est par le regard porté sur cette nudité qualifiée
de naturelle et naïve (dans sa version rousseauiste)
ou immorale (version religieuse) qu’
ils ont été
caractérisés.
La relative simplicité des critères établis dans
le contexte positiviste du XIXe siècle a permis de
mettre en place cette discrimination, souvent
associée d’
ailleurs à un état proche de la barbarie
ou de la sauvagerie. Les théories darwiniennes
définissaient l’
indigène comme un primitif sorti tout
droit de la préhistoire et dont l’
évolution s’
était
arrêtée à l’
âge de pierre. La nature c’
était le sauvage
échappant par définition à la civilisation. En vivant
dans le plus simple appareil, ils appartenaient à la
nature au même titre que les plantes ou les animaux.
Comme la nature, les indigènes étaient menaçants
jusqu’
à ce qu’
on parvienne à les contrôler. Le devoir
Géographie et nudité: un mariage extravagant? (quelques
pistes de refléxion sur la production sociale de l’
espace), pp. 152 - 169
de « l’
homme blanc » était donc d’
enseigner aux
indigènes ignorants et puérils comment vivre et
travailler de façon productive donc civilisée. Les
grands principes de la civilisation d’
édifièrent sur
deux idées apparemment contradictoires, il fallait
d’
une part faire cesser des pratiques barbares
comme l’
anthropophagie, mais en même temps il
convenait de préserver cette supposée conception
indigène de la nature.
C’
est dans la droite ligne de cette idéologie
romantique du « sauvage » que s’
organisèrent des
zoos humains dans toute l’
Europe dans le cadre
d’
exposition coloniale (de la fin du XIXe siècle jusque
dans les années 1930)4 . La nudité emblème de
l’
indigène noir devint donc pendant toute la période
coloniale signe de sauvagerie, il convenait de la
faire disparaître en habillant les sauvages. Ce qui
fut fait, mais sous des couverts moralisateurs « vêtir
ceux qui sont nus » ce zèle évangélisateur permis
d’
ouvrir un marché du textile de 320 millions de
cotonnades anglaises. Une aubaine commerciale! 5
Ainsi au nom de cette différence marquée
entre peuples conquérants et peuples conquis se
sont mis en place des systèmes d’
évaluation qui
155
indiquait que l’
Autre, parce qu’
il était nu, était inférieur
et à ce titre dévalué et déprécié. En habillant les
sauvages, les sociétés coloniales ont témoigné de
leur volonté de retrouver à toute force le même sous
l’
Autre en niant leur Altérité.
La nudité comme marqueur spatial:
La nudité passée la naissance, se définit
comme un acte, un geste. Nous revenons ici sur
notre hypothèse de départ : le lieu sert de
modalités d’
évaluation de la nudité. Être nu sur
une plage appartient (au moins dans la plupart
des pays d’Europe) au paysage balnéaire
courant depuis plusieurs décennies maintenant,
en revanche que des hommes ou des femmes
manifestent nus pour revendiquer (le droit à
leurs terres, des pistes cyclables ou leur hostilité
à l ’égard des vêtement en fourrure) l’est
beaucoup moins. Que penser aussi des pitreries
des streakers nus, extravagance des pays anglosaxons qui surgissent au milieu de la foule dans
les grandes rencontres sportives internationales
de football de rugby ou tennis? Le lieu sert dans
toutes ces situations de marqueur spatial à la
nudité.
156 - GEOUSP - Espaço e Tempo, São Paulo, Nº 22, 2007
Cette situation du nu ordinaire ou
exceptionnel, spectaculaire ou banal a pour
effet de caractériser les lieux dans lesquels
la nudité a sa place ou ne l’a pas. La nudité
p r o d u i t d e s l i e u x r é s e r v é s à l ’h y g i è n e ,
collectifs ou individuels, mixtes ou non
mixtes : depuis des siècles, les fonctions
corporelles qui nécessitent la nudité ont
déterminé la création d’édifices comme les
bains douches, les hammams dans les pays
d’orient ou d’espaces particuliers dans les
maisons (la salle de bain par exemple).
L’intimité signalée par la nudité indique le
passage à la sphère du privé. Le vêtement
insigne des statuts publics et des codes
sociaux (rappelons que le vêtement a trois
fonctions : la protection, l’ornementation et
la communication) perd une large part de
s e s a t t r i b u t s l o r s q u e l ’in d i v i d u q u i t t e l e
groupe pour rentrer chez lui.
Des environnements particuliers se
sont ainsi développés pour permettre à la
n u d i t é e t à u n e n t r e - s o i d ’e x i s t e r. C e s
espaces s’intègrent à l’organisation de la vie
quotidienne et deviennent ainsi partie
prenante des rythmes de la vie en produisant
des temps particuliers dédiés à la nudité. Ce
qui est symptomatique c’est que quelque
soit le lieu considéré il répond à un système
de normes liés à des contextes, à des
temporalités, à des cultures, à une gestuelle
organisée pour bien signifier que la nudité
corporelle n’a rien d’innocent ni de naturel
e t q u ’e l l e d o i t s ’e n t o u r e r d ’u n e p a n o p l i e
très compliquée de précautions, avec des
règles précises qui ne sont pas toujours
formulées par des mots, des ordonnances
religieuses ou des lois. De ce point de vue
l a n u d i t é r e l è v e b i e n d ’u n e c o n s t r u c t i o n
culturelle. Les contextes commandent donc
des gestuelles particulières, surtout lorsqu’il
y a mixité dans un même lieu. Ces stratégies
c o r p o r e l l e s d é m o n t r e n t l ’e x i s t e n c e d ’u n e
c o r r e s p o n d a n c e g l o b a l e e n t r e l ’utilisation
que les individus font de leur corps et la
culture du groupe auquel ils appartiennent,
groupe social mais aussi groupe sexué.
DELOIZY, F. B.
Les lieux pour l’
intimité, l’
hygiène et
les soins du corps
Les pratiques corporelles nécessitant
la nudité diffèrent suivant les aires
culturelles ou les époques mais dans tous
les cas, elles créent des lieux spécifiques.
Hammam, sauna, salles de bain s’inscrivent
dans l’espace urbain comme dans l’espace
domestique et sont là pour attester que la
nudité produit et organise l’espace.
- Hammam et sauna : nudité et lieux
de sociabilité
Dans les pays du Maghreb ou
d’Orient, le hammam marque de sa présence
toutes les villes. Il appartient aux
cérémonies de l’hygiène corporelle et aux
rituels de purification. Ils ont influencé les
règles de vie des musulmans. Ces bains sont
l ‘occasion de soins précis : lavage du corps,
friction, lavage des cheveux et épilation. Le
Hammam est un bain à étuves, il s’agit d’un
édifice typique du monde islamique autour
duquel gravite la vie d’un quartier, il est au
centre de la vie des croyants et en même
temps un centre de rencontres et de vie
sociale. Pour Malek Chebel 1 avec la mosquée
le hammam est un fil tendu par dessus la
ville islamique. Malgré la présence
aujourd’hui dans les maisons citadines des
éléments de confort, le hammam reste un
haut lieu de convivialité. Dans le hammam il
n’existe aucune confrontation directe entre
les hommes et les femmes, il est tout à la
fois un salon de coiffure, un dispensaire de
kinésithérapie (massages), une agence
m a t r i m o n i a l e ( c ’e s t l à q u ’o n a r r a n g e l e s
mariages), un lieu de rendez-vous.
Dans les pays du Nord de l’Europe, le
bain de chaleur sèche (le Sauna) est le
marqueur
de
civilisation
des
pays
scandinaves. Loin d’être une mode, il est de
tradition très ancienne. A l’origine il est lié
à l’héritage des traditions rurales, le sauna
est un bain familial compris au sens large
Géographie et nudité: un mariage extravagant? (quelques
pistes de refléxion sur la production sociale de l’
espace), pp. 152 - 169
du terme, la maisonnée ou la famille élargie.
Dans ce lieu, qui à l’origine était une petite
cabane en bois établie à proximité de la
ferme il est tout à la fois l’endroit ou les
femmes allaient accoucher, le lieu ou on se
retrouve entre voisins ou avec la famille
élargie. C’est aussi la pharmacie du pauvre
puisqu’on y pratique les petites opérations,
les
vielles
personnes
viennent
s ’y
réchauffer…et toute générations confondues
on y pratique une nudité conviviale mixte
et intergénérationnelle. Il fait son apparition
aux Etats Unis par le biais de familles de
migrants dès le XIXe siècle, puis devient un
phénomène de mode à partir des années
1 9 6 0 p a r l ’in t e r m é d i a i r e d e s a t h l è t e s
a m é r i c a i n s q u i l ’u t i l i s e n t p o u r l e s j e u x
olympiques. Aujourd’hui le sauna appartient
à la panoplie du confort et du mode de vie
contemporain.
- Des bains publics à la salle de bain :
nudité et hygiénisme
Les prescriptions de propreté mises
en place par les hygiènistes, la nécessité du
l a v a g e , d e l a t o i l e t t e s o n t à l ’origine de
l ’é d i f i c a t i o n
et
de
l ’o r g a n i s a t i o n
d’établissements de bains publics sanitaires,
les bains douches collectifs. Ce qui semble
é v i d e n t a u j o u r d ’h u i m é r i t e c e p e n d a n t
quelques
précisions.
La
nudité
et
l’hygiénisme ne vont pas de soi, en effet
jusqu’au XVIIIe siècle, l’eau était considérée
comme suspecte et vecteur de tous les maux
(les miasmes). La toilette se réduisait alors
aux endroits les plus visibles du corps : les
mains, le visage et la bouche. A cette
m é f i a n c e d e l ’e a u s u r l e p l a n m é d i c a l
s’ajoutait aussi la défiance à l’égard du corps
s u r l e p l a n r e l i g i e u x . L a n u d i t é s ’avérait
dangereuse pour les puritains. Il faut
attendre le traité d’hygiène de Lavoisier en
1777 puis les idées du retour à la nature
préconisée par les livres de JJ Rousseau pour
voir apparaître les premiers principes
d’hygiène de vie (le mot est nouveau). Ces
157
idées d’avant garde ne touchent à l’époque
que les élites urbaines. Ce changement de
statut, se manifeste par un renouvellement
des pratiques : le bain devient bain de
propreté et le savon se transforme en outil
de santé. Mais les normes de pudeur auront
encore la vie dure et elles constituent un
f r e i n a u p r o g r è s d e l ’h y g i é n i s m e . L e s
prescriptions de propreté mises en place par
les hygiénistes, la nécessité du lavage, de
la toilette sont à l’origine de l’édification et
de l’organisation d’établissements publics
sanitaires, les bains douches collectifs.
A u j o u r d ’h u i q u a s i m e n t t o u s d i s p a r u s d u
paysage urbain, ils laissent la place à la salle
de bain.
Ce rapide panorama (qui n’a qui n’a
aucune prétention à l’exhaustivité) des lieux
d’hygiène et de soins du corps, contribue à
expliquer et à enrichir la notion d’intimité.
La relation entre intimité et nudité traduit
un rapport à soi et aux autres en instaurant
des écarts, des distances entre les individus.
Selon les cultures et les contextes, chaque
individu appartenant à un groupe ou à un
genre adopte des stratégies particulières en
fonctions des situations dans lesquelles il
se trouve. Nous reprenons à cet égard les
travaux de E T Hall 2 qui parle de distance
intime en mode proche ou éloigné. Cette
distance particulière est celle ou la présence
de l’autre s’impose et peut même devenir
envahissante. Ainsi dans les bains publics,
dans les sauna ou les hammams ou dans les
bains japonais (les Onsens) là ou se côtoient
des groupes monosexués (hammam) ou
mixtes (sauna ou Onsens japonais), la nudité
n’est ni mixte ni innocente. La co-présence
d ’in d i v i d u s d e s d e u x s e x e s n é c e s s i t e e t
produit ce que Hall nomme des structures
proxémiques. Les regards évitent certaines
parties du corps du voisin ou de la voisine.
C ’e s t c e q u e H P D u e r r 3 nomme « un mur
invisible ou un regard fantôme ».
A v e c l ’a v è n e m e n t d e l ’h a b i t a t i o n
privée, et la diminution relative des
pratiques collectives d’hygiène et de soins
158 - GEOUSP - Espaço e Tempo, São Paulo, Nº 22, 2007
apportés au corps on peut dire aujourd’hui
que la nudité est devenue un marqueur
discriminant de l’espace de vie. Désormais il
y a des lieux au sein de l’espace domestique
ou le corps peut se dénuder, se déployer
librement et les lieux ou il n’est présenté que
dans la mise en scène. La salle de bain,
parfois la chambre à coucher dans tous les
intérieurs sont bien les endroits d’où l’on
peut s’exclure des autres, du public. Dans
ces lieux réservés à la nudité s’instaure un
dialogue de familiarité et d’intimité. C’est la
raison pour laquelle lorsque la le corps nu
fait irruption dans l’espace public en sortant
de cette sphère de l’intimité, il transgresse
un code et devient incongru, totalement
insolite.
Le nu a-t-il sa place dans l’espace
public ?
La nudité appartient à la sphère du
privé et à l’
intimité, si elle s’
affiche à l’
extérieur,
dans l’espace public elle sort de son statut
traditionnel et provoque une perturbation de
la notion même d’espace public. Différents
types de nudité concernent l’espace public :
le nu balnéaire, ou nudisme, le nu
protestataire, le nu festif (nudité affichée lors
d’
évènements urbains de type love parade ou
Gay sont des expressions collectives ou
individuelles appartenant au langage déployé
par le corps nu dans l’
espace public. Dès lors,
quelle est la fonction de l’espace public au
regard de ces différents types de nu. Nous
postulons ici que le nu est susceptible de
renforcer ou de minorer le caractère public de
l ’espace (porteur de civilité, d’anonymat,
domaine du collectif, de l’extimité 4 ) jusqu’à
parfois le modifier en son contraire, c’
est à dire
en espace intimiste ou communautaire. Tout
se rapporte alors à la question du nu, du
regard qu’
on porte sur lui et de la valeur qu’
on
attribue à l’espace public. Dans certaines
situations, la nudité est considérée comme
exhibitionniste, alors que dans d’autres elle
est largement tolérée, pourquoi ?
DELOIZY, F. B.
- Le nu et la loi
La nudité n’a jamais fait bon ménage
a v e c l ’e s p a c e p u b l i c , e n t é m o i g n e n t l e s
nombreuses lois qui l’ont sanctionné partout
dans le monde. Signalons toutefois que la
permissivité, la tolérance à son égard est
un marqueur de démocratie. En France le
code pénal (article 222-32) de 1994 pénalise
l ’e x h i b i t i o n s e x u e l l e « i m p o s é e à l a v u e
d’autrui dans un lieu accessible à la vue du
public » (peines encourues 15 000 euros
d’amende et un an d’emprisonnement).
Une grande disparité entoure la
perception de la nudité, la plupart du temps
sa définition relève de l’arbitraire. Pour les
sociétés habillées la nudité se confond avec
une représentation de la sexualité humaine
elle se réduit à des organes corporels. C’est
pourquoi, si l’on cherche à définir la nudité
uniquement par la mise à jour des organes
sexuels il convient aussi de préciser quels
sont les organes que l’on considère comme
sexuels pourquoi on en retient certains et
pas d’autres et jusqu’ou on peut aller dans
la mise à jour. La conscience (la définition)
de la nudité se construit à partir d’un objet
à l a f o i s é t r a n g e e t f a m i l i e r, p r o d u c t e u r
d’identités mais aussi de leurres : le corps.
Chaque espace, chaque période, chaque
société développe sa propre nudité à ce
titre celle-ci obéit à des règles à des rituels
à des mises en scènes quotidiennes et
même à des débordements. Bien que
l’ensemble soit codifié, son observation et
son
analyse
demeurent
toujours
problématiques.
- Le nu balnéaire
La plage plus que tout autre
territoire, raconte l’épopée de la dénudation.
L’o b s e r v a t i o n d ’u n e p l a g e d e R i o o u d e s
rivages iraniens de la mer Caspienne sont
éloquents pour illustrer cette comparaison.
Ici, le déploiement de corps musclés,
retouchés par la chirurgie esthétique, huilés,
Géographie et nudité: un mariage extravagant? (quelques
pistes de refléxion sur la production sociale de l’
espace), pp. 152 - 169
bronzés indiquent un culte de la beauté,
d ’u n e s e x u a l i t é l i b r e e t d e l a j e u n e s s e
quasiment éternelle, là bas : des plages
séparés par des rideaux ou d’un côté les
dames se baignent entre elles en tenue
islamique, de l’autres les hommes en maillot
de bain et sans gestes équivoques des
u n ( e ) s à l ’é g a r d d e s a u t r e s . U n e a u t r e
comparaison peut s’établir aussi entre les
plages du nord au sud de l’Europe et les
plages brésiliennes. Ici, se déploie depuis
les années 70 une mode des seins nus de
l’autre côté de l’
Atlantique malgré la surface
réduite à son minimum des maillots de bains
(l’Europe doit au Brésil l’usage du string ou
fil dentaire) la pratique du topless sur les
plages brésiliennes est rarissime. On l’aura
compris ces quelques exemples n’ont qu’une
valeur d’exemple détournée car de nudité il
n’est pas question ici mais plus précisément
de « dénuder ».
- Nudisme et naturisme
Le processus de dénudation des
corps s’est effectué de manière lente mais
i n é l u c t a b l e d a n s t o u t e l ’E u r o p e , j u s q u ’à
aboutir à une dénudation complète qui tend
à devenir un phénomène banal sur de
nombreuses
plages
d ’E u r o p e
et
particulièrement en France. La pratique de
la nudité intégrale sur les plages ou dans
des espaces de nature apparaît (les forêts,
les lacs et parfois les parcs publics comme
c ’e s t l e c a s e n A l l e m a g n e ) c o m m e u n e
originalité et une spécificité européenne. Elle
a donné lieu à deux types de pratiques de
la nudité qui ne doivent pas être confondues.
Le nudisme, essentiellement localisée sur
les plages et pendant la période des
vacances est une pratique occasionnelle, et
sans doute le signe d’une longue évolution
des normes de pudeur. Son objectif est
l’exposition intégrale du corps au soleil pour
le bronzage. Le naturisme est une idéologie
de la nature qui naît en Allemagne au XIXe
siècle 5 , il prend sa source au carrefour des
159
philosophies de la nature, d’une médecine
néo-hippocratique qui utilise les éléments de
la nature à des fins thérapeutiques en
pratiquant des cures naturistes (bain de
mer, de lumière, de pluie), enfin il s’inscrit
d a n s u n e c o n t e s t a t i o n d e l ’ordre dans le
cadres des mouvements de réforme de vie
de la jeunesse allemande (lutte contre la
civilisation industrielle et ses méfaits). En
France C’est à partir des années 20 que le
naturisme acquiert une certaine popularité
auprès des élites urbaines. La pratique de
la nudité intégrale, mixte et familiale
soulève une vague de protestations et
nombreux seront les procès intentés contre
les pionniers du naturisme. Les lois
d ’o u t r a g e p u b l i c à l a p u d e u r, largement
hostiles au mouvement
expliquent
l’enfermement et l’organisation du naturisme
dans des centres longtemps appelés camps
de naturistes par les non pratiquants.
Depuis les années 50 le naturisme s’est doté
de structures touristiques 6 (les centres de
vacances naturistes, les plages naturistes)
qui sont gérés et contrôlés par un organisme
fédérateur (la FFN). La France est devenue
la première nation naturiste du monde en
t e r m e d e c a p a c i t é d ’a c c u e i l , e l l e r e ç o i t
chaque années environ 2 millions de
naturistes dont la moitié sont des étrangers
venant du nord de l’Europe.
Ainsi, sur les plages se côtoie un
public de nudistes/naturistes pratiquant la
nudité intégrale, mais un problème
demeure : celui du rapport à la loi ! Les
plages appartiennent au domaine public de
l’Etat et les maires des communes du littoral
doivent y faire appliquer la loi. Deux
situations
se
dessinent :
certaines
communes autorisent sous la forme d’arrêté
municipal la pratique de la nudité intégrale
sur les plages sur un secteur limité et balisé
par une signalétique, la plupart du temps
ces arrêtés entérinent une pratique déjà
établie depuis longtemps. Partout ailleurs,
la nudité est interdite et tombe sous le coup
de la loi d’
outrage public à la pudeur. Malgré
ces interdictions la pratique de la nudité se
160 - GEOUSP - Espaço e Tempo, São Paulo, Nº 22, 2007
réalise sur les marges, loin des accès faciles,
les plages nudistes sont cachées et connues
par un public qui se transmet de bouche à
DELOIZY, F. B.
oreilles l’emplacement des sites. Se dessine
ainsi, une géographie des lieux naturistes
et nudistes en France.
Géographie et nudité: un mariage extravagant? (quelques
pistes de refléxion sur la production sociale de l’
espace), pp. 152 - 169
La dénudation du corps sur les plages
produit un découpage de l’Europe, un signe
de différenciation culturelle supplémentaire.
Dans l’Europe du sud, la tolérance est faible,
alors que dans toute l’Europe du Nord la
nudité sur les plages est banale et non
réprimée. L’
impact de la religion a sans aucun
doute une influence sur ce découpage.
De la fête à la contestation de
l’ordre social : le nu « porte parole »
L’acte de dénudation se veut aussi
c o n t e s t a t a i r e d e l ’o r d r e s o c i a l . C e s
manifestations nues adoptent plusieurs
formes : elles peuvent être festives,
r e l i g i e u s e s o u s ’inscrire dans un registre
plus large de contestation idéologique. La
chose n’est pas nouvelle, elle est attestée
dès l’antiquité lors des saturnales romaines,
plus tard au moyen âge, lors des fêtes des
innocents ou pour l’arrivée du roi dans une
ville on organisait des mystères spectacles
nus
vivants
racontant
des
scènes
mythologiques. Mais c’est surtout au cours
du XXe siècle et plus particulièrement dans
les années 70 que la dénudation provocante
s ’est manifestée avec le plus d’intensité.
D’abord dans les milieux anti-conformistes
artistiques de la contre-culture du monde
anglo-saxon puis dans les cercles hippies.
La dénudation individuelle a ensuite pris un
aspect résolument spectaculaire avec le
p h é n o m è n e d u s t r e a k i n g ( d e l ’anglais to
streak qui signifie filer comme l’éclair) qui
pourrait se résumer à une manière d’amuser
la galerie en faisant le clown intégralement
nu et si possible lors d’une manifestation
officielle.
Avatar sans doute de ces fêtes
joyeuses et débridées
médiévales, le
carnaval, les gay pride, love parade ou
161
techno parade sont aussi des occasions de
voir défiler dans les rues des fêtards dans
des états de nudité plus ou moins abouti.
De Rio à Paris, de Berlin à New York ces
parades ne sont pas à proprement parlé des
lieux où se donnent à voir des spectacles
de nus, en revanche le déshabillé y est
largement évoqué, La nudité intégrale y
côtoie parfois un nu à peine voilé dont la
connotation érotique est manifeste, cette
nudité
festive
est
résolument
exhibitionniste. Pour les communautés gay,
lesbienne, écologiste ou naturiste ces
parades offrent des conditions idéales de
visibilité. Le corps se fait alors signe et
message, le nu sert d’accroche, un peu à la
manière d’une publicité, il suscite un choc
et appartient à la démesure festive, dans
ce contexte exceptionnel, la loi est
permissive.
L’exhibition de la nudité porte aussi
d ’a u t r e s m e s s a g e s p l u s p o l i t i q u e s e t
idéologiques. Apparus au détour des années
90, on peut dire que la nudité appartient
a u j o u r d ’h u i a u d i s p o s i t i f d u d i s c o u r s
contestataire. A Göteborg en Suède en
2000, à Québec en 2001, A Santiago du Chili
en 2002, Sydney la même année, plus
récemment en France en Mai 2007, chaque
année partout dans le monde s’organise ce
type
de
manifestions
autour
de
revendications qui sont le fait de militants
anti-mondialisation, opposants à la guerre
(Irak par exemple), adeptes des pistes
cyclables en France et en Espagne…La
puissance d’évocation de la nudité produit
un discours d’un nouveau type tout aussi
mondialisé que ce qu’il dénonce. Le corps nu
comme lieu de parole (inscriptions sur le
corps de lettres) comme espace de
représentation dans la sphère publique
devient métaphore et allégorie.
162 - GEOUSP - Espaço e Tempo, São Paulo, Nº 22, 2007
Il personnifie (il incarne au sens
premier du terme) une idée, un slogan, une
volonté. Ainsi les militants écologistes de la
planète terre utilisent cette forme de
manifestation pour affirmer le slogan
suivant : « streakers for the wilderness »,
nature contre culture, nudité contre
uniforme, la confrontation est aussi d’ordre
symbolique.
Ainsi, la nudité affichée dans les lieux
publics apparaît comme un phénomène
complexe,
animé
par
des
forces
contradictoires et fluctuantes, étroitement
dépendante
d ’u n e
contexte
culturel
personnel et collectif. Le nu exposé en public
mobilise des facteurs psychologiques
profonds, dans la société occidentale par
exemple, le nu originel a été habillé, le
retrouver à l’occasion n’est donc pas anodin.
S’il s’agit du bronzage c’est le regard sur soi
et celui des autres qui confère au nu une
f o n c t i o n s p é c u l a i r e . S ’il e s t l i é à u n e
préférence sexuelle, il vaut comme élément
de séduction et comme affirmation d’une
identité. S’il est mis en scène comme une
transgression il développe des valeurs
exhibitionnistes et ludiques et retrouve ainsi
sa fonction carnavalesque d’autrefois. il peut
aussi incarner un message politique, en
m i s a n t s u r l ’a p p é t i t d e s p e c t a c u l a i r e e t
DELOIZY, F. B.
devenir l’expression d’un engagement, d’un
refus radical. Le nu capte et transforme
l’usage d’un espace public à son seul profit,
occultant au passage ses normes et sa
structuration habituelles, ses références
culturelles et sociologiques. De ce point de
vue, la nudité affichée équivaut à un
détournement qui transforme l’espace public
en scène. Le regard devient alors unité de
mesure, il hiérarchise et donne un sens à ce
qui est représenté. Ce dernier constat
souligne bien le caractère aléatoire de
l’espace public et la fragilité de son statut
qui peut s’altérer ou disparaître devant le
plus simple appareil.
Le nu et la construction des genres
La
nudité
sert
de
mode
d ’identification pour définir, à p a r t i r d ’un
modèle de référence : l’
Autre, et lui attribuer
par la même occasion des fonctions, des
qualités, des rôles sociaux. A la naissance
l’individu est situé dans l’une ou l’autre des
classes sexuelles. Et c’est le point de départ
d’une opposition mâle/femelle dont s’empare
la société, elle se transforme en division
sociale. C’est donc à partir d’une donnée
biologique affirmée par le sexe féminin ou
masculin que le corps nu a été surchargé
Géographie et nudité: un mariage extravagant? (quelques
pistes de refléxion sur la production sociale de l’
espace), pp. 152 - 169
d’enveloppes (les vêtements entre autre),
de conventions, de prescriptions qui ont
abouti à la notion de genre. Le genre est
donc une construction sociale qui renvoie à
une culture et se réfère à une classification
d ’u n a u t r e o r d r e q u e l a c l a s s i f i c a t i o n
biologique. Chaque société semble se faire
sa propre conception de ce qui est essentiel
et caractéristiques de ces deux classes
sexuelles. Cette conception comporte des
attributs appréciés et d’autres dépréciés. Il
existe des idéaux de masculinité et de
féminité, des interprétations de la nature
humaine qui procurent des moyens
d’identification. Être féminine ou viril n’a
donc rien de naturel et automatique et ne
dépend pas d’une quelconque composition
de chromosomes, cela se travaille, se mérite
et se juge.
La représentation de la nudité a joué
un rôle déterminant dans les processus de
constructions sociales des genres en
imposant des stéréotypes de corps qui
incarnent des valeurs plus que des réalités.
Virilité comme maternité (ou féminité) ne
renvoie pas au corps réel de l’
homme ou de
la femme. La nudité esthétisée par le travail
du plasticien ou du publicitaire arrache le
corps à la réalité. La figure de ces nus
devient dès lors un corps idéal en même
temps qu’on idéal à atteindre. C’est donc
s o u s l a f o r m e d ’im a g e s d e n u d i t é s q u e
féminité et masculinité se donnent à lire.
Le nu artistique avec tout son arsenal
de normes académiques apparaît comme le
support idéal, le porte-enseigne de
processus de constructions sociales et
idéologiques dans les sociétés occidentales
qui fonctionnent, à partir de la renaissance
sur le mode du regard et de la
représentation. Chaque époque propose
une version idéalisée du corps qui informe
sur le rôle attribué à chaque sexe.
L’exploration des figures de nu féminin est
assez éloquente à cet égard : Que de
changements depuis la préhistoire, à
163
l’
Aurignacien les Vénus étaient à proprement
parler monstrueuses, fesses, seins, vulve
envahissent le corps, de là à conclure que
les femmes de la préhistoire étaient toutes
obèses, il n’y a qu’un pas… qu’il convient de
ne pas franchir ! l’argument du nu était juste
là pour appuyer la sacralisation de la
féminité en participant sans doute d’un rite
de fécondité 1 . Au moyen âge, puis plus tard
à la Renaissance les grands maîtres
schématisent les attributs féminins dans la
représentation d’Êve ou de Vénus (Botticelli,
la Naissance du printemps). Les seins sont
menus, les courbes du corps sont molles,
une nouvelle femme idéale voit le jour et elle
n ’e s t p l u s s e u l e m e n t l a m è r e d u g e n r e
humain. Les schématisations des images de
n u s s e s u c c è d e n t d a n s t o u t l ’o c c i d e n t
chrétien et tendent à se rapprocher de la
m o d e e t d e l a p a r u r e . L ’u n e e t l ’a u t r e
s ’influencent réciproquement. Aujourd’hui
encore par l’intermédiaire des photos de nus
publicitaires affichées dans la presse
magazine, l’
idéal féminin se définit à travers
l e s ( n o n ) f o r m e s d ’u n e f e m m e m a i g r e
(mince), à la silhouette longiligne, aux
jambes interminables et à la poitrine
p i g e o n n a n t e . E l l e s ’in c a r n e p a r f a i t e m e n t
dans une figure, celle de la poupée Barbie
que les petites filles habillent ou
déshabillent à leur guise.
Du côté masculin, l’idéal de la beauté
peine à se définir. Il faut attendre la fin du
XVIIIe siècle pour assister à l’émergence de
l’idée même de beauté. Cet idéal est fondé
sur un assemblage de canons esthétiques
qui varient peu et font référence à la Grèce
a n t i q u e . L ’A l l e m a n d W i n c k e l m a n n f u t l e
propagateur de ce modèle idéal, l’
Apollon du
b e l v é d è r e c o m m e l ’H e r m è s d e P r a x i t è l e
devinrent les modèles d’un nouveau culte de
l a v i r i l i t é . C e s s c u l p t u r e s , p a r c e q u ’elles
montraient des nus étaient vues comme des
abstractions de la beauté. Une valorisation
de la beauté masculine inédite dans une
culture ou la beauté ne pouvait être que
l’apanage des nus féminins.
164 - GEOUSP - Espaço e Tempo, São Paulo, Nº 22, 2007
DELOIZY, F. B.
L a n u d i t é d a n s l ’h i s t o i r e d e l ’a r t ,
déclinée sous toutes ses formes a chaque
fois servi à définir des canons de la beauté
associées souvent à des valeurs morales. A
chaque modèle masculin ou féminin
s ’applique un certain nombre de valeurs,
elles prennent souvent la forme d’allégories
ou de symboles. Les nus féminins incarnent
la sensualité, l’érotisme. Les nus masculins
signalent la force, le courage, la puissance,
l’héroïsme, emblèmes de la virilité…et ces
valeurs se lisent sur les corps : aux
musculatures puissantes font écho les
courbes lisses et les poitrines généreuses.
De ce point de vue, les figures masculines
comme féminines furent chargées de
symboles pour représenter la Nation. En
général les hommes incarnaient les valeurs
normatives : le travail, la guerre, le courage,
les femmes les qualités maternelles qui
renvoyaient à la tradition, elles devaient
r a p p e l e r u n e c e r t a i n e s t a b i l i t é , d ’ou leur
aspect souvent monumental (Germania,
Marianne, Brittania).
Cette nudité devait se conformer au
modèle grec et cela exigeait des soins
attentifs car le nu rappelait l’existence d’un
monde sain, antérieur à la modernité. Le
développement de ces stéréotypes a
Les régimes totalitaires de l’entredeux guerres illustrent cette formidable
capacité de la nudité artistique à incarner
des modèles de l’Homme Nouveau (nu). En
revanche, la représentation de la femme
(habillée) est restée conforme à un modèle
classique de mère. Le fascisme, puis le
Nazisme on réinvestit les valeurs associées
à la virilité et mettant en avant les vertus
d e l a d i s c i p l i n e , d e l ’a c t i o n e t d e l a
camaraderie élevées au rang suprême de
valeurs morales. Le nu, reflet de la beauté
classique grecque, devint le symbole du
national-socialisme, de l’homme nouveau.
D a n s L ’I t a l i e d e M u s s o l i n i c o m m e d a n s
l’
Allemagne d’Hitler le nu masculin devint un
symbole politique, un idéal.
Géographie et nudité: un mariage extravagant? (quelques
pistes de refléxion sur la production sociale de l’
espace), pp. 152 - 169
accompagné celui du racisme
et de
l’antisémitisme. Juifs, gitans, criminels, fous,
homosexuels…tous
décrits
comme
également laids, disproportionnés, agités et
honteux de dévoiler leur nudité, tous
représentés de manière grotesque à ces
persécutés on imposa violemment la nudité
comme forme de torture, d’humiliation et de
déshumanisation dans les camps. Tous ces
contretypes, considérés par le régime nazi
comme des sous-hommes seront marqués
dans leur chair par des numéros et beaucoup
finiront
dans
les
chambres
à
gaz
intégralement nus.
Si on s’est servi du corps masculin
comme emblème pour montrer ce que devait
ê t r e u n h o m m e n o u v e a u , i l n ’a p a s é t é
possible d’en faire autant pour les femmes
qui sont restées assignées à leur rôle de
mère, d’épouse ou de gardienne du foyer.
L’idéal de la beauté féminine a suivi d’autres
v o i e s . A v e c l ’a r r i v é e d e s p r o c e s s u s d e
reproduction et la photographie, la
représentation de la nudité féminine se
doubla de deux autres types de modèles
celui de la prostituée et celui de la femme
fatale qu’on retrouvait dans les revues de
charme ou les revues pornographiques mais
on vit aussi émerger un nouveau type de
femmes : la femme « sauvage » dans une
presse tout à fait convenable.
Dans un article intitulé « voyeurs de
s’est
intéressé aux représentations des images
féminines des peuples sauvages à travers
le très sérieux National geographic entre
1889 et 1954. Véritable institution, cette
revue
vendue
à
plusieurs
millions
d’exemplaires donnait à voir à l’
Amérique
blanche et puritaine les corps dénudés des
hommes et des femmes de cultures
primitives.
Sous
des
dehors
très
ethnographiques, le national geographic
donnait à voir des nudités dans l’enceinte
1
l’im périalism e » Tam ar Y Rothem berg
165
privée de la maison (et non pas exposé dans
des musées) ou dans les salles d’
attente des
médecins. Les corps féminins, africains ;
asiatiques, amazoniens étaient considérés
comme plus proche de la nature en vertu des
c u l t u r e s q u ’il s r e p r é s e n t a i e n t o u d e l e u r
c o u l e u r d e p e a u . « C ’é t a i t l a r a c e q u i
distinguait les femmes pouvant être
photographiées nues des autres. Les
femmes de couleur étaient bien des
femmes.. mais elles appartenaient à un type
différent de femmes … elles différaient
tellement de la femme américaine,
implicitement blanche, de préférence
protestante et appartenant à la classe
m o y e n n e q u ’on pouvait tranquillement la
placer
dans
une
autre
catégorie,
inférieure ». Le contraste entre l’américaine,
hautement civilisée, toute en retenue et
c e t t e f e m m e s a n s p u d e u r, c o m p l è t e m e n t
sauvage, qui montrait ses seins était de
nature à justifier auprès du national
geographic comme de ses lecteurs la
diffusion de ces photos de femmes
« autres ». Le racisme appartient à la
convention narrative dont le national
geographic a été un des vecteurs au cours
du XXe siècle en alimentant le fantasme de
la femme sauvage. La société américaine,
blanche et civilisée en exhibant dans les
pages glacées de ce magazine ces femmes
sauvages, sous des dehors de curiosité très
c o n v e n a b l e t r o u v a i t l à l e m o y e n d ’u n
voyeurisme à bon marché.
L’étude de la nudité traversé par la
question du genre pose avec acuité le
problème de la différence et celui de
l’inégalité, car être différent n’implique pas
nécessairement être subordonné. Si les
corps sexués, de couleur, de civilisation autre
montrent bien des différences, il ne s’agit
en aucun cas de valeurs. Le nu n’enseigne
rien, mais tous les discours sur sa valeur
sont l’indice d’une tentative de classement,
de mise en ordre, de hiérarchie.
166 - GEOUSP - Espaço e Tempo, São Paulo, Nº 22, 2007
Qu a n d l e n u h a b i l l e l e s m u r s :
déconstruction du discours publicitaire
Le spectacle de la nudité publicitaire
affichée sur les murs appartient aujourd’hui
aux paysages urbains et à la vie quotidienne
des citoyens d’une grande partie du monde.
La présence ou l’absence de ces nus rend
compte de clivages culturels, il en est du
même coup une forme de témoignage. Son
traitement et sa fréquence sont en étroite
corrélation avec les grandes aires culturelles
et religieuses. La globalisation à l’œ uvre sur
la planète ne fonctionne pas sur ce sujet,
l e s r e p r é s e n t a t i o n s d ’i m a g e s d e n u
définissent une frontière au delà de laquelle
les sensibilités culturelles se manifestent de
manière affirmée. Le monde islamique,
l ’A f r i q u e e t u n e g r a n d e p a r t i e d e l ’A s i e
n’utilisent pas la nudité comme argument
pour cause de tabous. Il n’est pas question
d a n s c e t t e p a r t i e d e l ’e x p o s é d e f a i r e
l ’a p o l o g i e d e l a p u b l i c i t é m a i s p l u t ô t d e
rendre compte de son impact sur la vie
quotidienne. En effet, la publicité se déploie
dans tous les espaces, publics ou privés, elle
est ubiquiste et en même temps touche tous
les publics. Le cinéma, et les arts plastiques
en général ont leurs lieux réservés, parfois
confidentiels, tout comme ils ont leur public.
I l n ’e n v a p a s d e m ê m e p o u r l e n u
publicitaire : télévision, murs des villes,
presse consultée dans les salles d’attente
que tout un chacun fréquente dans sa vie
quotidienne sont autant de lieux où il est
possible et même inévitable de voir des nus.
Figure omniprésente du paysage urbain, il
contribue à la définir et en fixe les horizons.
Grâce
aux
techniques
de
reproductions, le nu publicitaire est partout
et nulle part, les campagnes d’affichages
p r o d u i s e n t d e s s é r i e s d ’im a g e s q u i s e
donnent à voir à un moment ici et ailleurs,
sur le bord des routes, dans les villes, en
grand et petit format, la série produit une
norme et un conformisme qui contribuent à
ce que toutes les villes se ressemblent, le
nu crée une ponctuation visuelle, un rythme
DELOIZY, F. B.
dans le paysage. Ce que nous pouvons
observer dans la rue, se retrouve dans les
pages d’un magazine, à la télévision, il est
omniprésent pendant quelques semaines,
puis disparaît de notre espace de vie
quotidien pour réapparaître ailleurs, sous
u n e a u t r e f o r m e . M a i s f i n a l e m e n t c ’e s t
toujours la même image de nu qui nous est
d o n n é e à v o i r, r e p o s a n t i n d é f i n i m e n t l a
question de l’altérité. ce corps de femme (ou
d’homme) nu renvoie à l’image d’un corps
g é n é r i q u e f é m i n i n , i l n ’e s t l e c o r p s d e
personne. Il ne permet pas un processus
d ’id e n t i f i c a t i o n , m a i s d é f i n i t l e c o r p s d e
toutes les femmes.
S i l ’a f f i c h a g e u r b a i n r e n d l e n u
publicitaire omniprésent dans les espaces
p u b l i c s , l e p a s s a g e d a n s l ’e s p a c e p r i v é
n ’in t e r r o m p t p a s l e p h é n o m è n e . A p e i n e
rentré chez soi, il apparaît sous d’autres
formes, sur d’autres supports. On pourrait
supposer que l’assignation faite au regard
est moins prégnante, qu’il y a davantage de
liberté laissée au regard ! En réalité, même
s i t o u t l e m o n d e n ’a c h è t e p a s l e m ê m e
journal, ne lit pas les mêmes magazines, ne
regarde pas les mêmes chaînes de télévision
aux mêmes heures, le nu s’immisce par le
petit écran dans les espaces privés, se
r e t r o u v e d a n s l e s s a l l e s d ’a t t e n t e d e s
dentistes, des coiffeurs… Ce véritable
c o n t i n u u m e n g a g e d ’a u t r e s t y p e s d e
regards, d’autres postures des corps. A la
différence du nu affiché dans la rue, qui
interpelle n’importe quel public celui-ci est
soigneusement référencé par rapport à une
cible précise. En fonction du type de
spectateur ou du lectorat de leur presse, les
publicitaires proposent des nus coïncidant
avec un public précis. Ainsi dans les journaux
masculins, les images de femmes nues sont
légion surtout dans des situations érotiques
(le pendant existe dans la version presse
spécialisée pour les Gays avec des hommes
nus). Dans les journaux féminins, les
produits de beauté et autres articles
supposés séduire les femmes sont proposés
par des modèles aux plastiques parfaites
Géographie et nudité: un mariage extravagant? (quelques
pistes de refléxion sur la production sociale de l’
espace), pp. 152 - 169
mais dont l’attitude au moins sexuellement
n’est pas équivoque. Le même procédé est
à l’œ uvre dans les revues spécialisées en
puériculture, ou l’on trouve le plus de nus
de nourrissons attendrissants. Un protocole
identique se déroule pour la publicité à la
télévision où les nus sont différents suivant
les heures d’écoute.
Le nu est un attrape regard dont la
prolixité, la richesse et la complexité des
valeurs assurent au discours publicitaire la
certitude de capter l’attention, quelque soit
la nature du produit proposé. La publicité
est cannibale, elle se nourrit de la société.
En même temps elle est caméléon et
s’imprègne des valeurs du moment. C’est
d ’a i l l e u r s c e q u i r e n d v r a i s e m b l a b l e l e
discours publicitaire, il refabrique un monde
artificiel, mais conserve un effet de réalité.
La révolution des moeurs, comme un certain
affranchissement des normes liées à la
pudeur attestent de cette imprégnation
restitution du discours publicitaire tout en
l’accentuant. les images de nus classiques
fortement emprunts du codage artistique,
même s’ils ne sont pas abandonnés, cèdent
aujourd’hui la place à des représentations
de corps nus plus « naturels », en extérieur,
ou en action. Même si l’image cliché de la
jeune femme nue est encore largement
e m p l o y é e , e l l e l a i s s e l a p l a c e à d ’a u t r e s
figures de nus. Quant au nu masculin,
j u s q u ’a l o r s r é s e r v é à q u e l q u e s p r o d u i t s
généralement liés à l’hygiène ou au parfum,
il s’impose depuis peu sur tous les supports
médiatiques. Cette présence rend compte,
pour une part de l’émergence du mouvement
homosexuel masculin qui revendique une
visibilité et sort ainsi du ghetto. Cette
nouvelle « cible » qui possède une presse
spécialisée, se montre désormais au grand
jour. Le fort pouvoir d’achat et les habitudes
de consommation de cette clientèle font
l’objet de soins particulièrement attentifs de
la part des annonceurs. C’est sans doute
une des explications de la mutation profonde
des représentations de la nudité masculine
depuis quelques années.
167
En utilisant le nu, les publicitaires
mobilisent un champ de valeurs extrêmement
vaste où se mêlent esthétique, sexualité,
fantasme, identité, normes et messages
mercantiles. A travers leur discours, verbal
ou iconographique, ils déclenchent des
associations, des comportements qui
remettent en cause les repères établis,
repères entre espace public et espace privé,
entre intimité et extimité entre soi et les
autres. Il serait cependant excessif de croire
que le souffle publicitaire balaye tout sur son
passage. En définitive si par le biais du nu,
la publicité puise inlassablement dans les
travers de la société, si elle fouille dans ses
r e p l i s p o u r m i e u x n o u s é m o u v o i r, n o u s
c h o q u e r, o u n o u s f a i r e r i r e , e l l e d o n n e
d’abord à lire notre rapport au corps et au
nu, à l’intimité et à la sexualité, au réel et à
l ’im a g i n a i r e . E l l e p r o p o s e u n r a c c o u r c i
commode de nos fantasmes et de nos désirs
à travers une lecture de la nudité.
Conclusion : La nudité pour être
c o m p r i s e n e p e u t s ’a p p r é h e n d e r q u e p a r
rapport à un environnement, elle demande
à être située, à être quelque part. Une fois
définie comme un état du corps, elle ne peut
ensuite s’interpréter que par rapport à un
espace dans lequel elle se donne à lire. Mais
à l ’inverse, elle donne aussi du sens aux
lieux dans lesquels elle se manifeste. Ce
s y s t è m e d ’in f l u e n c e s r é c i p r o q u e s e s t a u
c œ u r d ’u n p r o c e s s u s d ’o r g a n i s a t i o n d e
l’espace. Ici et ailleurs, aujourd’hui comme
hier, la nudité habite les lieux qu’
elle produit
c o m m e e l l e s ’im p o s e e t f a i t d e l a
contrebande ailleurs là où on ne l’attend pas.
C e p e n d a n t l ’o b j e t - n u d i t é d e m e u r e a s s e z
insaisissable, même s’il apparaît entouré de
normes qu’on croit immuables, comme celles
liées à l’hygiène ou à la toilette. Le corps nu
se replie dans l’intimité de quelques pièces
de la maison marquant ainsi ce qui est privé
de ce qui ne l’est pas, comme il peut surgir
au détour d’une rue dans les tumultes d’une
parade. Avec le nu, c’est le regard qui est
mis en jeu. Un regard porteur des attributs
d’une civilisation, éduqué par des normes
168 - GEOUSP - Espaço e Tempo, São Paulo, Nº 22, 2007
sociales, par un système de conventions ;
un regard qui hiérarchise, qui s’interroge, qui
s’émoustille ou qui sourit. Pour se saisir de
DELOIZY, F. B.
la nudité comme objet géographique peutêtre faut-il tout simplement savoir où on se
trouve et d’où on regarde?
Notas
1
Géographie de la nudité : être nu quelque part,
Francine Barthe-Deloizy, éditions Bréal 2004, 239
pages
2
« Ils sont nus comme leur mère les enfanta »,
Journal de Christophe Colomb, La découverte de
l’
Amérique, 4 volumes, Paris la découverte, 1979
réédition. On trouve aussi de nombreux passages
dans Le voyage autour du Monde de L.A De
Bougainville, Paris Collection Folio, 1982
3
M.A Descamps, Le nu et le vêtement, Paris, 1972,
Editions universitaires.
4
Les zoos humains Baratay et Hardoin Fugier, Paris
La découverte, 1998
5
Le nu et le vêtement, M.A Descamps, 1972, éditions
universitaires
6
Encyclopédie de l’
amour en Islam, Malek Chebel,
tome 1 et 2 Petite bibliothèque Payot, Paris 1995
7
La dimension cachée, E.T Hall, Seuil, 1971
8
Nudité et pudeur, le mythe du processus de
civilisation, Hans Peter Duerr, Paris MSH, 1998
9
Nous empruntons ici ce vocable dans le sens ou le
définit Jacques Lévy dans Logiques de l’
espace,
esprits des lieux, Belin, Paris 2000
Histoire du naturisme , Arnaud Baubérot, 2006,
Presses universitaires de Rennes
10
11
« Géographie du naturisme, la recherche de
l’
Eden » dans la revue Géographie et cultures N°
37, Paris l’
harmattan, 2000 et « Le naturisme des
cures atmosphériques au tourisme durable »,
dans Communications
12
Alain Roger, Nus et paysages, essai sur la fonction
de l’
art, Paris, Aubier, 1978
13
« voyeurs de l’
impérialisme : le magazine National
geographic avant la deuxième guerre mondiale »
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Trabalho enviado em junho de 2007
Trabalho aceito em agosto de 2007