Lettre 22 copie.indd - Institut François Mitterrand

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Lettre 22 copie.indd - Institut François Mitterrand
La lettre
de l’Institut François Mitterrand
Publication trimestrielle
N° 22 - Décembre 2007
La lumière de l’Histoire
Par Hubert Védrine
L
matière et celle de ses gouvernements. C’est ce constat
qui nous a amener à solliciter un certain nombre de
témoins en mesure de nous apporter leur témoignage
à travers une série d’articles que nous prolongerons
dans l’année qui vient.
Un intérêt constamment réactivé par les débats de la
période politique actuelle, en France et en Europe qui
alimente comparaison et réflexion.
De même quand avec, entre autres, la percutante
intervention d’Al Gore les thèmes environnementaux
se sont enfin imposés aux décideurs politiques et
économiques du monde entier, il nous a semblé
intéressant d’examiner ce qu’avait été leur genèse
en France au cours des deux décennies passées. La
conférence de Bali vient de montrer que ce processus
ne pouvait plus être stoppé même si les négociations
seront longues et laborieuses. On en retrouve la source
dans le sommet de la terre à Rio en 1992 en faveur
duquel François Mitterrand avait fait pesé tout le crédit
de la France. C’est un aspect souvent négligé de ce qui
a été son action que nous commençons à ouvrir, et
que nous relaterons dans les mois qui viennent.
’année qui s’achève aura été fructueuse quant
à la collecte par la « Lettre » de témoignages
et d’analyses sur l’action de François
Mitterrand tout au long de son parcours
politique et, plus particulièrement, au cours de ses
deux septennats. Avec cette publication nous espérons
avoir répondu à vos attentes, nous avons aussi voulu
offrir aux historiens des matériaux raisonnés ou de
première main susceptibles d’alimenter leurs travaux
futurs. L’intérêt que suscitent ces pages de notre
histoire contemporaine et de celui qui en fut une des
figures centrales ne faiblit pas. Chercheurs allemands,
anglo-saxons des deux rives de l’Atlantique, Japonais
ou Italiens, pour ne citer que les plus nombreux, nous
manifestent fréquemment l’intérêt qu’ils attachent aux
documents que nous leur proposons.
S’agissant de la politique sociale impulsée par François
Mitterrand, la « Lettre » s’était au cours de ces dernières
années appliquée en priorité à recenser et analyser ce
qu’elle avait été dans les années qui ont suivi la victoire
de 1981.
Une idée communément reçue voulait qu’elle ait été un
peu négligée au cours du second septennat. Peut-être
parce que l’action de François Mitterrand sur la scène
internationale dans un contexte de bouleversements
sans précédents – réunification de l’Allemagne,
effondrement de l’URSS, mise sur orbite de l’Union
Européenne – avait éclipsé ses préoccupations en la
L’évocation ou l’analyse de l’histoire, même récente, a
pour vertu de susciter des débats qui ne peuvent être,
à terme, que féconds.
La « Lettre », instrument dédié à la mémoire de
François Mitterrand, doit par contre se garder, pour
la clarté de son propos, de commenter l’actualité au
fil des jours, sans le recul indispensable. Sûre tout de
même que le passé dont elle fait sa substance éclaire
notre réflexion sur les évènements qui aujourd’hui
sollicitent notre attention.
Abonnement 1 an : 20 euros (chèque à l’ordre de l’Institut François Mitterrand)
La lettre
de l’Institut François Mitterrand
Chine:
“La volonté d’un peuple avide
d’exister
sur la scène du monde”
François MITTERRAND
les épanouissements et les transitions de l’Occident:
que l’on imagine l’Histoire de France amputée de la
Renaissance et de la Réforme, de l’ordre classique et
de Quatre-vingt-neuf, et passant d’un coup du règne
de Charles VII à l’ère atomique.
__________________________
Nous publions un texte pratiquement inédit
de François Mitterrand sur la Chine. Il s’agit
de la préface qu’il avait écrite pour l’édition de
luxe d’un ouvrage de Claude Estier, publié en
1969 chez Robert Laffont, « La Chine en 1000
images », qui n’avait été tiré qu’à quelques
centaines d’exemplaires.
J’y ai rencontré Mao-Tsé-Toung, chef de révolution,
maître d’empire, qui m’a parlé, de sa voix douce
coupée de petits rires, des grands desseins de son pays,
du bon tabac chinois et de «la Dame aux Camélias».
Qu’ai-je aperçu qui pouvait déceler les moeurs d’une
autre Chine, celle d’avant 1939? Quelques couples de
vieillards mélancoliquement attardés devant les vitrines
des magasins, riches de produits factices, l’homme à la
longue barbe étroite et dont la veste refusait d’obéir à
la coupe Sun yat-sen, la femme mal à l’aise dans ses
chaussures où se perdaient ses pieds martyrisés qui
souffraient de ne plus l’être, les hôtels- caravansérails,
oeuvre d’architectes européens très fiers sans doute
d’avoir imposé le modern’style des kursaal flamands
aux abords du palais impérial; des villages de pisé
où paysans et artisans vivent les travaux et les jours
d’autrefois; la rituelle gymnastique pratiquée partout
et n’importe où, et qui recherche dans la lenteur du
geste la connaissance de soi-même; en bref, bien peu
de choses, aussi n’était-ce pas à ce spectacle-là que
j’étais convié par l’Institut du peuple chinois pour la
politique étrangère qui m’avait invité.
J
’ai vu l’attachante, l’irritante Chine d’aujourd’hui.
Tout le long d’un voyage de quatre semaines, j’ai
ouvert les yeux sur ce monde qui, de ce côté
de la Terre, me semblait aussi incompréhensible
et lointain qu’une autre planète. J’y ai parcouru des
itinéraires du passé sous la houlette des guides,
serviables et vigilants, choisis par le Parti pour remplir
cet office. J’y ai éprouvé la patiente obstination de
mes hôtes, attachés à me démontrer, devant des
tasses de thé, quatre heures par jour en moyenne,
les bienfaits de la société nouvelle. J’y ai observé
l’effort d’un peuple mobilisé au service de la plus
extraordinaire entreprise, au bout de laquelle ce pays,
hier semi-féodal, compte déboucher directement
sur la planification communiste sans avoir connu
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La lettre
de l’Institut François Mitterrand
Pionniers
des temps futurs
aux fantaisies des hommes, des bêtes et des fleuves.
Son histoire (dont elle entretient soigneusement les
vestiges), son art (qu’elle révère) sa médecine (qu’elle
continue d’enseigner et de pratiquer avec un sentiment
inavoué de supériorité), d’une certaine manière. lui
pèsent. Elle considère que c’est son affaire à elle que
de s’arranger avec son passé. L’étranger, qui l’observe
avec la curiosité de l’archéologue ou de l’amateur de
bibelots, l’irrite. Elle sait bien qu’elle n’est pas née
en 1949, an 0 de la République populaire. Mais si
elle accepte l’héritage d’une civilisation plusieurs fois
millénaire, elle ne laisse à personne le soin de faire le
tri et de décider en son nom ce qui distingue le passif
de l’actif.
La Chine populaire est au travail. Avec passion, avec
acharnement, avec une incroyable rigueur logique
dans l’exécution de conceptions incroyablement
changeantes, quoique, d’un bond en avant à un bond
de côté, elles demeurent, selon les doctrinaires, dans
la ligne lénino-marxiste revue et commentée par Mao.
Elle multiplie les expériences.
Il faut tout faire à la fois. Monter l’industrie lourde et
fabriquer l’instrument aratoire; produire plus, mieux,
moins cher et plus vite, alors qu’elle en est au stade
d’un investissement dont le profit reste au futur;
centraliser, rationaliser, distribuer pour nourrir une
population qui s’accroît actuellement d’une demiFrance par an; entreprendre de grands travaux. Les
obstacles, elle les rencontre dans l’âpreté et la rigueur
de la nature, dans la vigilance de ses ennemis et, plus
encore, peut-être, dans sa propre exigence à l’égard
de son peuple. A l’effort, elle ne répugne pas. En
quinze années, elle a endigué des fleuves, modelé des
montagnes, détruit et reformé une société, éduqué
des cadres par centaines de milliers. Mais les savants
qui étudient la composition des glaciers du Tibet,
mais les ingénieurs qui sondent les profondeurs
du sol, réinventent un équipement ultra-moderne,
rationalisent le rendement, mais les professeurs et les
savants qui romanisent l’antique écriture et fabriquent
au moyen de la phonétique une langue unique pour
sept cent millions de Chinois, jusqu’ici séparés par
le mur épais des dialectes, mais les fonctionnaires
du Parti qui s’épuisent à expliquer, à convaincre, à
contrôler, à rendre compte, ne sont encore que les
pionniers des temps futurs.
Au visiteur admis chez elle (après mille précautions),
elle prodigue les preuves de sa vitalité actuelle, de ses
réalisations modernes, de son travail, de ses progrès.
Elle veut qu’il n’ignore rien de la ville-satellite,
de l’université technologique, du haut fourneau.
de la serre de jardin et de la couveuse artificielle.
Tout, pour elle, est prétexte à proclamer qu’elle est
définitivement entrée dans le siècle. Rien n’échappe
à sa vigilance.
Le circuit touristique qu’elle réserve à ses hôtes ne
passe pas nécessairement par l’admirable site où fut
découvert le tombeau du treizième empereur de la
dynastie Ming, c’est parce que, surplombant la vallée
funéraire, un colossal barrage de six cents mètres de
longueur exalte, plutôt que les splendeurs d’un temps
révolu, le combat dominateur de la Chine nouvelle.
Car la Chine. que tant de besoins immédiats assaillent.
et qui s’y consacre avec une formidable énergie. a
les yeux fixés sur les statistiques et les pourcentages.
Et il ne lui suffit pas de constater qu’elle avance
à grands pas : ce qu’il lui faut, c’est avancer plus
vite que les autres. L’ouvrage pour lequel j’écris
ces lignes, en guise de préface, n’est pas composé
pour répondre à des questions. Mais Claude Estier
a voulu, me semble-t-il, que l’image et le texte de
ce livre se joignent et se rehaussent l’un et l’autre,
afin de montrer que l’évolution de la Chine, même
entrecoupée de brutales ruptures, signifie la volonté
d’un peuple avide d’exister sur la scène du monde,
après une telle absence, et digne d’y prétendre. Je
crois qu’il y a réussi.
S’arranger seule
avec son passé
La Chine souffre de frustration. Elle supporte
malaisément d’avoir été, durant tant de siècles, ce
grand corps désarticulé, abandonné aux fureurs et
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La lettre
de l’Institut François Mitterrand
Le voyage en Chine
de février 1981
Claude ESTIER
Comité central et spécialiste de l’économie expliquant
à François Mitterrand: « Notre pays est si vaste que
nous avons nous-mêmes bien du mal à connaître
la situation exacte. » Les mots « tâtonnements » et
même « erreurs » revenaient souvent dans la bouche
de nos interlocuteurs. Deng Xiaoping lui-même
n’hésitait pas à évoquer les erreurs de Mao, la plus
grave étant d’avoir voulu aller trop vite en économie
avec le « Grand bond en avant » de 1957 et d’avoir
« surestimé le rôle de la lutte des classes par rapport
aux réalités économiques ». D’où la nécessité d’un
réajustement, c’est-à-dire d’une politique destinée à
réduire l’inflation et le déficit budgétaire et à rétablir
une économie équilibrée, ce qui, nous disait-on,
demanderait au moins dix ans et peut-être davantage.
______________
I
ntronisé officiellement le 24 mai 1981 comme
candidat à la Présidence de la République par
le Congrès socialiste réuni à Créteil, François
Mitterrand était désireux d’échapper le plus
longtemps possible à la pression des médias relayant
les attaques incessantes du camp giscardien.
D’où l’idée du voyage en Chine qui allait lui fournir
pendant une dizaine de jours un horizon tout différent.
Horizon qui ne lui était pas inconnu puisqu’il avait
déjà effectué vingt ans plus tôt un séjour en Chine
au cours duquel il avait eu une longue rencontre avec
Mao Zedong et qu’il avait relaté dans un livre « La
Chine au défi » (Julliard, 1961).
Sur le plan politique, il était clair que le grand débat
ouvert au sommet après la mort de Mao en 1976 était
loin d’être achevé, le Congrès du parti étant d’ailleurs
retardé dans la mesure où Deng Xiaoping, devenu
pourtant à 75 ans l’homme fort du régime, n’était pas
certain d’y trouver une majorité (1)
Le dimanche 8 février, je retrouve donc dans le hall
de l’aéroport de Roissy François Mitterrand, Lionel
Jospin, Gaston Defferre, Jean-marie Cambacérès (qui
sera notre interprète), Serge Moati et son équipe et
la trentaine de journalistes et techniciens qui vont
accompagner la délégation socialiste. Je suis là au
double titre de « L’Unité » et du groupe socialiste du
Parlement européen qui a accepté de financer une
part de mon voyage.
D’autres rencontres nous ont laissé penser que la
population était moins intéressée par ces débats que
par le souci de voir s’améliorer les conditions de vie qui
restaient précaires. Ce que j’ai vu au cours de ce séjour
dans les rues des vieux quartiers de Pékin, dans celles
de Tsi Nan, la capitale de la province de Shandong ou
de Qu Fu, m’a en effet montré l’image non pas de la
misère que l’on rencontre dans certains pays d’Afrique
noire ou dans les bidonvilles d’Amérique latine mais
d’une incontestable pauvreté.
Nous allons donc passer huit jours en Chine,
essentiellement à Pékin avec notamment une
escapade à Qu Fu, la ville de Confucius. Ce n’est
évidemment pas en un si court laps de temps que
nous pouvions tout comprendre de cet immense
pays. Mais, à plusieurs reprises, les entretiens avec les
dirigeants ne manquèrent pas de nous étonner. Ainsi,
par exemple, Li Xannian, l’un des vice-présidents du
J’ai rencontré des Chinois correctement habillés,
hommes et femmes de manière uniforme, des enfants
apparemment bien nourris, des maisons en dur mais
sommaires où toute une famille s’entassait dans une
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La lettre
de l’Institut François Mitterrand
pièce unique. Le salaire moyen à Pékin, l’équivalent
de 180 francs de l’époque par mois, interdisait à la
grande masse toutes dépenses non essentielles à la
survie qui n’étaient permises qu’à quelques milliers de
privilégiés: la « nomenklatura » du Parti communiste,
quelques ingénieurs spécialisés et un certain nombre
d’écrivains et d’artistes.
nous restituer, plusieurs réponses donnaient à penser
que, sauf à épouser strictement la ligne politique,
il n’était pas facile d’être en Chine écrivain, poète
ou cinéaste. « Cela fait trente et un an que ce n’est
pas facile », s’est même risqué à dire Ai Qing. Ce
qui n’avait pas empêché l’agence officielle « Chine
nouvelle », rendant compte de la conversation, d’écrire
que celle-ci avait permis de mettre en lumière le fait
que « toutes les conditions existaient en Chine pour le
plein épanouissement de la culture ».
A Pékin, où le vélo était roi, avec des transports en
commun vétustes et bondés à toute heure du jour, les
rayons des grands magasins étaient bien achalandés
mais beaucoup plus nombreux étaient les clients
faisant la queue devant de petits kiosques où l’on
vendait pour quelques centimes un bol de riz ou des
boulettes de poisson frit.
La délégation socialiste n’avait évidemment pas à
souscrire à de telles affirmations pas plus qu’elle
n’avait à partager les thèses chinoises dans le domaine
international qui fut pratiquement le seul abordé au
cours de l’entretien en tête à tête avec Deng Xiaping
et François Mitterrand.
Nous avons pu constater aussi l’extraordinaire
curiosité des Chinois pour les étrangers, non pas tant
à Pékin où débarquaient depuis longtemps déjà des
touristes internationaux. Mais à Qu Fu, par exemple,
où notre délégation comportait les premiers visiteurs
de marque après que la ville où Confucius naquit et
prodigua son enseignement il y a vingt-cinq siècles,
ait été fermée pendant toute la Révolution culturelle.
Echappant à une partie des visites officielles, nous
sommes à quelques uns partis à l’aventure dans les
rues de cette ville qui nous paraissaient quasi déserte
en cette fin d’après-midi.
Le dirigeant chinois paraissait surtout obsédé par la
nécessité de faire bloc contre « l’hégémonie soviétique »
alors que François Mitterrand rappelait que la France
est en Europe et que la paix en Europe passait aussi
par le dialogue avec Moscou. Il apparaissait cependant
que les dirigeants chinois cherchaient à cette époque
un interlocuteur en France dans le mouvement ouvrier
et que, n’ayant pas de terrain d’entente avec le P.C.F,
ils se tournaient vers le Parti socialiste. D’où la qualité,
soulignée par tous les observateurs étrangers à Pékin,
de l’accueil que François Mitterrand et sa délégation
avaient reçu tout au long de ce voyage.
Pourtant, au bout de quelques minutes, cinq cents
personnes au moins nous suivaient et nous entouraient.
Les femmes sortaient sur le pas des portes, avec une
ribambelle d’enfants, les uns un peu craintifs, les autres,
au contraire, s’avançant vers nous. Lorsque nous
approchions d’un groupe, les gens riaient aux éclats,
seule façon sans doute de communiquer avec nous.
Plusieurs se laissaient complaisamment photographier.
Au coin d’une rue nous avons découvert un groupe
de musiciens qui jouaient sur le rythme obsédant de
l’Opéra de Pékin. A la fin du morceau nous avons
applaudi et ils se sont précipités vers nous avec un
grand thermos d’eau chaude pour nous offrir un verre
de thé et nous applaudir à notre tour. Images fugitives
mais qui m’avaient laissé le sentiment d’un peuple
pacifique et désireux de s’ouvrir vers l’extérieur, ce qui
s’est largement confirmé depuis.
Un mot encore pour narrer l’intermède qui a coupé
notre séjour, à savoir trente-six heures à Pyong Yang
où nos hôtes nord-coréens faisaient preuve à notre
égard d’un souci des détails parfois pittoresques.
Nous y avons surtout constaté le contraste entre
l’apparente modestie chinoise et l’incroyable culte de
la personnalité du « grand leader » Kim Il Sung dont
d’immenses portraits ornaient toutes les façades de la
ville. Portraits plutôt flatteurs car nous avons pu voir
de près qu’il n’avait pas la prestance dont le dotaient
les images.
Il nous a reçus pendant trois heures, vantant les
mérites de son pays et témoignant d’une assez bonne
connaissance de la situation politique en France. En
nous quittant et après nous avoir fait remettre à chacun
une petite caisse contenant ses oeuvres complètes, il
a dit à François Mitterrand: « Je suis heureux d’avoir
reçu aujourd’hui le futur Président de la République
française ».
Nous n’en avons certes pas conclu que le régime était
en voie de libéralisation. A sa demande, François
Mitterrand avait pu rencontrer plusieurs intellectuels
dont l’écrivain Ai Quing qui avait été emprisonné
pendant la Révolution culturelle. Dans un cadre moins
officiel cette rencontre aurait pu être passionnante
car, malgré une traduction édulcorée par l’interprète
chinois, mais que notre ami Cambacérès a pu ensuite
Nous sommes peu à savoir que, le 10 mai, l’un des
premiers télégrammes de félicitations parvenus à Paris
était celui de Kim Il Sung!
5
La lettre
de l’Institut François Mitterrand
Coups de sonde dans la
politique sociale
du second septennat
de François Mitterrand
Louis MERMAZ1
Les faiblesses de pans entiers de notre économie
ne tardèrent pas à se faire sentir. Ainsi, l’industrie
française se révéla-t-elle incapable de répondre à
une augmentation du pouvoir d’achat des salariés,
qui n’avait pourtant rien d’excessif. D’ailleurs le
Président et le gouvernement furent contraints de
réagir rapidement à cette situation. Dès sa première
conférence de presse, à la fin du mois de septembre
1981, François Mitterrand pointait la nécessité d’une
« relance de plus en plus poussée de l’investissement », sans
laquelle « la relance par la consommation n’aurait pas de
sens », et il citait une impressionnante série de mesures
déjà arrêtées pour inciter les entreprises à s’engager
dans cette voie.
________________
L
e premier septennat de François Mitterrand
s’est ouvert sur des mesures – augmentation
du salaire minimum et des prestations sociales
-, puis des réformes substantielles – la retraite
à soixante ans, la cinquième semaine de congés payés
– mises en œuvre par Pierre Mauroy. Il était légitime
de répondre aux attentes de ceux des Français qui
étaient les premières victimes des inégalités sociales
et qui attendaient un changement de leurs conditions
de vie. Seuls les idéologues d’une économie libérale
pure et dure contesteront avec la suffisance que l’on
sait d’avoir rompu avec la politique du septennat
précédent.
Comment ne pas rappeler aussi que les nationalisations
de 1981 et 1982 ont permis de sauver, grâce aux
dotations publiques, de grands groupes industriels
menacés par la mondialisation et le démantèlement ?
La « pause », puis le « tournant », rendus nécessaires
dès la fin de 1981 et le début de l’année 1982 du fait
de l’insuffisante réactivité de notre industrie face à la
crise internationale ne remirent pas en cause les acquis
sociaux, même s’il y eut un infléchissement du pouvoir
d’achat. Le « socle du changement », selon l’expression
de Pierre Mauroy, allait être préservé.
Le « socle
du changement »
La rigueur longtemps imposée aux salariés (corrigée
à la marge à la veille de l’élection présidentielle par
Raymond Barre) avait-elle en rien empêché la montée
d’une inflation désormais à deux chiffres, le manque
tragique d’investissements dans l’industrie privée ou
la dégradation de notre commerce extérieur ?
« La Lettre à tous les Français »
François Mitterrand dès le début de la première
cohabitation fit savoir à Jacques Chirac qu’il ne
1 - Louis Mermaz a présidé le groupe socialiste à l’Assemblée
Nationale de juin1988 à octobre 1990.
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La lettre
de l’Institut François Mitterrand
Michel Rocard
face à «l’économique»
et au « social »
signerait pas des ordonnances revenant sur les acquis
sociaux et il exerça de 1986 à 1988 un véritable
pouvoir tribunicien qui contribua largement à la
victoire de 1988.
La lettre à tous les Français, rédigée en avril 1988 à
l’occasion de la campagne présidentielle tient les
deux bouts d’une même chaîne : muscler l’économie
française, assurer la justice sociale.
Ces objectifs seront retenus par le premier ministre
Michel Rocard lorsqu’il se présentera devant la nouvelle
Assemblée nationale le 28 juin : reprise du dialogue
en Nouvelle Calédonie entre les deux communautés,
action prioritaire en faveur des quartiers dégradés
(annonce d’un milliard de francs pour les travaux
urgents), logement, formation, police de proximité,
développement des services à la personne, revenu
minimum d’insertion financé par le rétablissement de
l’impôt sur la fortune, correction des mesures ayant
supprimé le remboursement à 100 % des soins aux
personnes âgées et aux grands malades.
Sans oublier ce qui a été réalisé par les deux
gouvernements socialistes du premier septennat,
de Pierre Mauroy et Laurent Fabius, pour aider les
entreprises à se moderniser, il énonce cette vérité
première : « L’économique tient le social : impossible de
répartir des richesses qui n’existent pas. Le social tient
l’économique : impossible de créer des richesses (…)
sans cohésion interne de l’entreprise, sans cohésion de la
nation ».
Dans le même temps, le premier ministre affirme sa
volonté de maîtriser les dépenses publiques et sociales,
de pratiquer provisoirement une certaine modération
salariale face à la contrainte internationale, mais aussi
de s’attaquer à l’inégalité des revenus, de favoriser
la liberté d’entreprendre, mais aussi de garantir les
libertés des salariés à l’intérieur des entreprises, enfin
d’inviter le privé comme le public à faire les efforts
nécessaires dans le domaine de la recherche, car
l’ouverture du grand marché fixée au 1er décembre
1993, « c’est demain ».
François Mitterrand prend soin de fixer au prochain
gouvernement ses objectifs dans le domaine social :
il faudra veiller à ce que les partenaires sociaux
débattent de l’aménagement et de la réduction du
temps de travail, des conséquences pour les salariés de
l’apparition des technologies nouvelles. Il faudra aussi
préserver la sécurité sociale (il rappelle à ce propos que
la gauche a redressé les comptes, que, depuis 1986, la
droite avait laissé filer).
La Lettre annonce la création d’un « revenu minimum
d’insertion » pour ceux « qui n’ont rien, absolument
rien » et son financement par le rétablissement
de l’impôt sur les grandes fortunes (« les Français
comprendront que celui qui a beaucoup aide celui qui
n’a plus rien »).
Lorsque Michel Rocard prend ses fonctions, la
situation économique du pays s’est améliorée.
Depuis 1986 le prix du pétrole a baissé. Les
entreprises ont recommencé à investir. Le niveau de
la consommation est soutenu. Raison de plus pour
se préoccuper de ceux dont la situation demeure
difficile. Le RMI est très vite instauré et appel est fait
pour son financement à la solidarité nationale. Dans
le même esprit, l’instauration de la contribution
sociale généralisée (CSG) implique une participation
du capital à la réduction de la dette sociale.
La Lettre consacre encore de longs développements
aux exclus de toutes sortes, les Canaques en Nouvelle
Calédonie, les immigrés, victimes des lois Pasqua, les
pauvres. Elle vise l’inégalité entre les hommes et les
femmes, ces dernières étant les premières victimes
du chômage ou bien réduites aux emplois partiels ou
précaires.
Cette politique va déboucher très vite sur des résultats
économiques positifs. La croissance reprend et
atteindra autour de 4 % en 1988 et 1989. 500 000
emplois seront créés pendant la même période,
l’inflation sera bientôt inférieure à la moyenne
européenne, le pouvoir d’achat commencera à
s’améliorer, les exportations vont reprendre, mais il
faudra attendre l’année 1989 pour que la balance
commerciale se redresse vraiment. Mais deux points
noirs subsistent : le chômage et l’écart croissant entre
les revenus du travail et du capital.
La Lettre énumère enfin les injustices qu’il faudra
combattre : la répartition des impôts et des cotisations
sociales qui touchent plus durement les 23 millions
de foyers modestes que les 130 000 plus riches,
la libéralisation des loyers décidée par la droite, la
suppression d’une partie des soins aux grands malades,
la stagnation, voire le recul du pouvoir d’achat des
salariés, la suppression de l’autorisation administrative
de licenciement qui appelle au moins des procédures
de rechange.
7
La lettre
de l’Institut François Mitterrand
Le groupe socialiste
à la manœuvre
Les années 1988 et 1989 seront donc marquées par
une forte embellie économique avec des taux de
croissance de 4,3 % et de 3,9 %. Des mesures de
revalorisation vont être accordées aux fonctionnaires et
un effort conséquent sera fait à la demande de Lionel
Jospin, ministre de l’Education nationale, en faveur
des enseignants, mais aussi des crédits exceptionnels
mobilisés pour la rénovation de l’enseignement et
bientôt des universités.
On comprend donc que le Président de le République
et le groupe parlementaire socialiste se montrent
extrêmement vigilants. La situation de l’économie doit
permettre de tenir les promesses sociales de la Lettre
à tous les Français. Les socialistes ne disposent plus à
l’Assemblée nationale, comme en 1981, de la majorité
absolue à eux seuls, mais la gauche la détient à l’issue
des élections législatives de juin 1988 en comptant
les élus du groupe communiste, même si la situation
a changé depuis que les communistes ne participent
plus aux gouvernements. Celui de Michel Rocard s’est
ouvert à des parlementaires du centre droit.
Grands équilibres
et justice sociale
L’éternel et légitime débat réapparaît chaque fois
qu’une réforme est décidée ou une revendication
salariale satisfaite, lors de la grève des infirmières de
1988 ou de la fonction publique l’année suivante.
L’entourage du premier ministre est en contact avec le
groupe centriste et avec la droite. Il sera soutenu dans
plusieurs circonstances par des majorités différentes,
les communistes s’abstenant à diverses reprises pour
ne pas mêler leurs voix à celles de la droite, évitant
ainsi à Michel Rocard d’être mis en minorité, même si
ce dernier s’appuie beaucoup plus souvent sur le centre
et sur la droite que sur les communistes.
Quand la situation économique est tendue comme
en 1981, il faudrait selon les « orthodoxes » expliquer
au peuple que ce n’est pas le moment de prendre le
risque d’une aggravation de la situation, mais derechef
lorsque ça va bien, on devrait lui opposer qu’il ne faut
pas mettre en danger la reprise. Ce n’est donc jamais
le moment de s’attaquer au sujet central de la société
française : les inégalités et la pauvreté.
C’est dans ce contexte fluctuant que François
Mitterrand indique la direction à suivre, tout en
respectant la liberté d’initiative du premier ministre. Le
Président sait qu’il peut compter sur le groupe socialiste
à l’Assemblée Nationale pour infléchir chaque fois qu’il
sera possible la politique sociale du gouvernement. Les
députés socialistes veulent continuer d’avancer sur le
chemin des réformes et tenter de réduire le déficit social
qui s’est encore aggravé sous la première cohabitation.
François Mitterrand saisit maintes occasions de
rappeler qu’il faut faire plus de social, mais Michel
Rocard lui-même se voit freiner par son ministre de
l’économie et des finances, lorsqu’il est enclin lui aussi
à aller dans ce sens.
De grandes réformes ont cependant été accomplies.
Même la taxe d’habitation, cet impôt particulièrement
injuste, a failli être réformée à partir d’un amendement
déposé par Edmond Hervé, qui montrait la voie à
suivre à l’avenir, en commençant par introduire un
paramètre nouveau dans le calcul de cette contribution :
lier la part départementale de la taxe aux revenus des
occupants d’un logement.
Les décisions politiques résulteront ainsi des équilibres
qui s’établiront entre l’Elysée, Matignon et les
parlementaires socialistes.
Michel Rocard, soucieux de ne pas inquiéter les
centristes, voudra dissocier l’instauration du RMI du
rétablissement de l’impôt sur les grandes fortunes,
auquel le nom moins agressif d’impôt « sur la fortune »
sera donné.
La réforme fut votée après que les communistes,
presque convaincus du bien-fondé de la réforme se
furent abstenus. Mais sous le gouvernement Bérégovoy,
lors d’une fin de semaine, le ministre délégué du
budget réussira à faire « retoquer » la réforme par une
trentaine de députés réunis à cette occasion, et ralliés à
un amendement sénatorial de suppression !
Mais, lors de la session budgétaire, le groupe socialiste
obtient lui la création d’une nouvelle tranche supérieure
pour les fortunes de plus de 20 millions de francs. Lors
du budget suivant, cette quatrième tranche passera de
1,1 % à 1,2 % et une cinquième tranche sera ensuite
créée de 1,3 % à 1,5 %. La taxe sur les plus values des
entreprises sera également portée de 15 à 19 %.
RMI, ISF, CSG, contrat emploi solidarité (CES)
pour lutter contre le chômage des jeunes, abrogation
8
La lettre
de l’Institut François Mitterrand
une réputation d’homme rigoureux, défenseur des
équilibres budgétaires et soucieux d’un franc fort.
des lois Pasqua sur l’entrée et le séjour des étrangers,
instauration pour les immigrés d’un titre de séjour de
dix ans renouvelable, retour à la tradition française du
droit du sol en matière de nationalité, logement (mais
le groupe socialiste aurait voulu que le gouvernement
aille plus loin dans la protection des locataires en butte
à une forte augmentation des loyers), banlieues (où
les troubles traduisent une détresse et une exclusion
grandissantes – François Mitterrand assiste aux assises
de Banlieues 89 avec Michel Rocard en décembre
1990-), éducation nationale, recherche, sans oublier
les accords Matignon sur la Nouvelle Calédonie, il y
eut de belles et de bonnes réformes.
Dans son discours de présentation devant l’Assemblée
le 8 avril il tient aussi à préciser : « Il ne faut pas confondre
rigueur économique et rigueur sociale » et il met «la
justice sociale (…) au centre de (ses) préoccupations ».
Son souci est double : permettre l’intégration de la
France dans l’économie européenne à quelques mois
du référendum sur le traité de Maastricht, qui fera faire
un pas décisif à la Communauté avec la création de
l’euro et combattre le chômage, tout particulièrement
celui de longue durée qui affecte 900 000 personnes.
Cependant la préparation du budget de 1991, alors
que débute la guerre du Golfe, va poser à nouveau le
problème des grands équilibres et celui de la justice
sociale. Le chômage, après trois ans de recul, repart à
la hausse. Le Président de la République et le groupe
socialiste rappellent le problème des chômeurs en fin
de droit et celui du logement social.
Le oui l’emporte d’extrême justesse lors du référendum
du 20 septembre 1992. L’engagement personnel
et opiniâtre du Président français y contribuera
de façon décisive. Mais le chômage persistant, les
difficultés croissantes de beaucoup de salariés et la
désindustrialisation qui frappe plusieurs régions
comme le nord de la France expliquent que le résultat
n’ait été obtenu qu’à 500 000 voix.
Remuscler l’économie
avant l’ouverture
du grand marché
et la création de l’euro
Les élections législatives de 1993 se dérouleront
dans un climat morose. Les socialistes en sortiront
laminés. La seconde cohabitation, malgré la volonté
de François Mitterrand de préserver les acquis sociaux,
sera marquée par un recul sur ce plan-là.
Le gouvernement Balladur échouera à son tour dans ses
tentatives pour enrayer le chômage : ni les allègements
fiscaux consentis aux plus fortunés, et –encore
moins- le « sous-smic » proposé aux jeunes en quête
d’emploi sous la forme du CIP (contrat d’insertion
professionnelle) finalement retiré ne changeront la
donne. Les menaces qui pèsent à diverses reprises
sur le franc empêcheront d’ailleurs toute reprise
économique.
Lorsque Edith Cresson succède à Matignon à Michel
Rocard au printemps 1991, le problème du chômage
domine tous les autres. La crise du Golfe pèse sur
l’investissement et la croissance se ralentit fortement.
Equilibrer le budget, rétablir les comptes de la sécurité
sociale, alléger les charges des entreprises deviennent à
nouveau prioritaires.
La ministre du travail Martine Aubry lance en même
temps un plan de mobilisation pour l’emploi afin
de dynamiser l’ANPE, puis un projet d’envergure
sur l’apprentissage. François Mitterrand dans une
conférence de presse le 11 septembre a sonné la charge
contre la montée du chômage. Le 16, Edith Cresson
annonce une série de mesures en faveur des PME, avec
allégements fiscaux et crédits à l’investissement.
Après l’élection à la Présidence de la République de
Jacques Chirac, Alain Juppé mettra en œuvre, comme
l’on sait, une politique de durcissement social, créant
ainsi les conditions du succès de la gauche et de Lionel
Jospin en 1997.
« La gauche a vocation à exprimer ce qui est nouveau et
ce qui est juste » écrivait François Mitterrand en 1969
dans «Ma part de Vérité». Les deux septennats, par delà
les avancées, mais aussi les obstacles, en apportèrent la
démonstration. Tel fut le sens de la victoire remportée
par la gauche aux législatives de 1997, deux ans après
la fin du second septennat. Nous avons aujourd’hui le
droit de penser que ce qui a été possible alors le restera
demain.
Après l’échec des socialistes aux élections cantonales
et régionales du printemps 1992, François Mitterrand
fait appel à Pierre Bérégovoy pour former un nouveau
gouvernement.
Ce fidèle du Président a tenu une place de premier
plan dans le précédent cabinet, où il s’est forgé
9
La lettre
de l’Institut François Mitterrand
Demain
sera un autre jour
E
tre de gauche n’est pas si facile. Il fut
même plusieurs périodes de notre histoire
nationale, sans remonter plus loin que les
années avant la dernière guerre mondiale,
où ce choix de vie, ce regard porté sur le monde, sur
les femmes et les hommes, en refusant que ceux-ci
ne soient que des ombres dans les champs ou dans
les usines, obligeaient à puiser profondément en soi
intelligence et amour d’autrui, dans un mélange intime.
C’est ce que nous rappelle et illustre le dernier ouvrage
de Danielle Mitterrand, «Le Livre de ma mémoire.»
Cet ouvrage nous entraîne d’abord à travers la vie
d’une famille, nous en fait entrevoir les amonts, avec
pour figure centrale son père instituteur, franc-maçon,
laïque et républicain. Au hasard des affectations, le voilà
à Dinan, dans cette Bretagne encore très influencée par
10
les milieux cléricaux violemment hostiles par principe
à la République: son collège est incendié (l’enquête ne
dira pas par qui), puis quand son administration décide
de l’éloigner, c’est le camion de son déménagement
qui brûle. Plus tard, il sera révoqué par Vichy pour
avoir refusé de dénoncer ses élèves juifs. Danielle
Mitterrand va alors sur ses vingt ans. Elle porte des
messages pour la Résistance, pour Henry Frenay, pour
Bertie Albrecht que cachent ses parents.
Et puis elle nous fait assister à sa rencontre avec
François Mitterrand, à son mariage « à l’église », à
l’installation rue Guynemer à Paris, à la naissance des
enfants...
Femme de ministre une dizaine d’années durant, mais
également épouse d’un homme souvent malmené sur
La lettre
de l’Institut François Mitterrand
la place publique et qu’elle n’oublie jamais de défendre.
Vient ensuite l’exaltation de la campagne présidentielle
de 1965, le rendez-vous décisif de François Mitterrand
avec le « peuple de gauche. »
Militante d’une gauche dont les formations demeurent
au bivouac quand elles devraient faire route vers leurs
objectifs proclamés, elle accueille Epinay et la victoire
de 1981 avec enthousiasme et espoir. Jusqu’à ce que
la « rigueur » devienne un des maître-mots de l’action
gouvernementale, ce à quoi elle ne s’est visiblement
toujours pas résignée aujourd’hui.
résumer son témoignage. Mais dans quel ordre?
Quelle part commande à l’autre? Peu importe puisque
les deux ne tiennent dans les moments les plus âpres
qu’au noyau dur de la conscience, ultime réservoir
d’humanité, contre vents et marées. Une conscience
qui refuse de se laisser effeuiller, qui se cabre devant
les modes et les idées trop vite reçues et trop aisément
acceptées.
Au fait, notez qu’une phrase revient fréquemment
sous la plume de Danielle Mitterrand: «Demain sera
un autre jour.»
En contrepoint, comment n’être pas troublé par les
nombreux comptes rendus qui accompagnent dans
la presse la découverte de cette autobiographie? Le
mot qui revient le plus souvent sous la plume des
commentateurs est « naïveté ».
«Le Livre de ma mémoire», Danielle Mitterrand – JeanClaude Gawsewitch Editeur.
Ce serait donc naïveté que d’avoir défendu les droits
du peuple kurde pris dans les mâchoires de l’étau du
régime meurtrier de Saddam Hussein?
Cahiers secrets
Naïveté que de défiler aux côtés des Amérindiens du
Chiapas pour contribuer à les faire entrer enfin sous
les feux de l’actualité internationale, eux qui avaient
été relégués dans les arrière-cours de l’histoire depuis
six longs siècles?
Naïveté que de réclamer que puisse enfin s’épanouir
au grand jour le peuple tibétain et sa culture, une des
richesses essentielles de l’humanité?
Naïveté en Amérique du Sud, en Afrique, à Cuba?
A La Havane, sa conversation avec Fidel Castro,
en 1974, n’en porte pas la moindre trace. S’agissant
des prisonniers politiques censés être détenus dans
les prisons cubaines, ce que celui-ci dément: «Je
peux vous suggérer, dit-elle, de réunir plusieurs
associations au-dessus de tout soupçon affectif pour
votre gouvernement, et organiser une mission.» Le
leader cubain accepte: Human Right Watch (ONG
américaine), la Fédération internationale des droits de
l’homme et France Libertés mèneront leur enquête
et publieront un rapport qui n’aura malheureusement
pas grand écho.
Et la grande cause qui la mobilise aujourd’hui tout
entière, sans répit: l’eau, «préalable à toutes les
démarches pour défendre les droits de l’homme»,
naïveté ou clairvoyance à la fois raisonnée et
généreuse?
Résistance et rébellion. Ces deux mots pourraient
11
-------------
J.F. H.
U
ne histoire qui commence en 1965, six
mois avant que n’ait lieu la première élection
présidentielle au suffrage universel. Une
jeune journaliste, d’un hebdomadaire prestigieux,
« L’express », attentive à tout ce qui pourrait amorcer
une nouvelle donne dans la confrontation entre
la droite et la gauche, suit pas à pas, les principaux
acteurs de la vie politique française.
Cette journaliste est Michèle Cotta. Elle nous livre
dans cette chronique, à partir d’un carnet de bord
tenu alors quasiment chaque jour, ces choses qu’elle
a vues et entendues à l’Elysée, au Sénat, à l’Assemblée
nationale, à Matignon ou dans les coursives des
congrès des partis. Si nous avons le sentiment de
bien connaître tout de ces années, pour nous la bien
représenter, il nous manque ces détails où, dit-on,
niche la diable.
« Du journalisme, prévient l’auteur, avec tout ce que
cela contient d’immédiat, d’incomplet, de personnel
de subjectif. » Un carnet de croquis d’une grande
vivacité.
Cahiers secrets de la Vème République – Michèle Cotta –
Fayard.
La lettre
de l’Institut François Mitterrand
Les premiers pas
de la politique
environnementale
encore eu lieu. Il suffit d’ailleurs de recenser l’intitulé
des portefeuilles attribués à ses successeurs pour se
faire une idée du flou qui caractérise la délimitation de
ce champ d’intervention gouvernemental.
Jean-François HUCHET
____________________
A partir de 1974 se succèdent trois ministres de la
“qualité de la vie”, bientôt remplacés par un ministre
de la “culture et de l’environnement” en la personne de
Michel d’Ornano. La confusion est de règle, l’expertise
insuffisante, l’opinion publique peu informée des
problèmes qui se profilent à l’horizon.
D
ans les années soixante-dix, l’écologie
politique telle qu’elle est aujourd’hui
formulée en est à ses balbutiements.
Jusque là, la France, à l’instar des autres pays européens,
est encore profondément marquée par les efforts
qu’elle a dû faire après la guerre pour la reconstruction.
Durant toute cette période on a célébré les tonnages
de charbon et d’acier ou les avancées de l’industrie
chimique. Bien sûr, le premier choc pétrolier a jeté
une ombre sur l’euphorie des trente glorieuses mais
on est loin d’en avoir tiré toutes les conséquences.
Il faut attendre 1981 pour qu’un ministère de
l’environnement soit installé avec des compétences
mieux ciblées. Encore faut-il constater que celui-ci ne
dispose pas encore d’une administration propre à la
hauteur de l’enjeu.
Une lente prise
de conscience
Il y a eu, en 1974, la brève apparition de René Dumont
sur la scène politique, le temps d’une campagne
électorale. Ce spécialiste de l’agriculture du tiersmonde, expert auprès des Nations Unies prône, pour
l’essentiel, le contrôle démographique, les économies
d’énergie, la coopération internationale envers les
pays en voie de développement, la protection et
la remédiation des sols. Soutenu par une myriade
d’associations aux objectifs dispersés, il développe un
discours alors inaudible et n’obtient que 1.32% des
voix. Pour l’essentiel, l’opinion retient de son message
qu’il est nécessaire de “protéger la nature”.
Ce ministère est confié à Michel Crépeau, députémaire de La Rochelle. Celui-ci fait alors figure de
pionnier en la matière. Il a fait de sa ville une sorte de
laboratoire de la lutte contre la pollution avec, entre
autres choses, la mise à disposition de la population
d’un parc de vélos gratuits. Ses liens d’amitié avec
François Mitterrand lui permettent de se faire
entendre au sein du gouvernement. Son passage à la
tête de ce ministère est principalement marqué par le
lancement de la “loi littoral” et de la “loi montagne”.
Il organise également les premiers Etats-généraux
de l’Environnement et entreprend de modifier la
procédure d’enquête publique.
Dès 1971, en la personne de Pierre Poujade, le
gouvernement voit pourtant entrer pour la première
fois en son sein un ministre chargé de la protection
de la nature et de l’environnement. Rien à voir encore
avec l’écologie politique. La prise de conscience n’a pas
Ce bilan signe une volonté d’agir et de sensibiliser
12
La lettre
de l’Institut François Mitterrand
nécessité d’une coopération internationale en matière
d’environnement. Il répète à plusieurs reprises que
cette question dépasse les frontières, qu’elle ne
trouvera de solutions satisfaisantes qu’en passant
par dessus les divisions de l’Europe. Il propose cette
coopération à Mikhaïl Gorbatchev et lui remet un
projet de sauvegarde de la biosphère.
davantage l’opinion à des problèmes qui, jusqu’alors,
étaient insuffisamment pris en considération.
Durant cette période, François Mitterrand amorce
progressivement un virage dans sa perception de
l’ampleur et de la nature des enjeux. S’il se méfie du
catastrophisme des milieux qui occupent ce terrain de
revendication, son humanisme l’oblige à s’interroger.
Il réagit dès qu’il constate que les populations pauvres
risquent d’être exclues du progrès global à cause de
problèmes liés à la gestion de l’environnement. C’est
d’abord pour lui une question de justice.
Au Conseil européen de Rhodes, le 3 décembre
1989, il annonce que la France financera les études
qui permettront d’éviter les inondations qui ravagent
le Bangladesh et de lutter contre la désertification
du Sahel. A cette occasion, le Conseil européen
rappelle l’objectif de protection de l’environnement
qui se trouve dans l’Acte Unique et engage les Etatsmembres à la protection des ressources côtières,
de la couche d’ozone et à la lutte contre « l’effet de
serre ».
C’est ainsi qu’au mois de mai 1984, il s’adresse
aux associations européennes de protection de
la nature réunies à Montdauphin. Il fustige à cette
occasion “les calculs à court terme, reportant sur les
générations futures la charge, démultipliée parce que
tardive, des réparations et le fardeau des nuisances,
qui pèsent presque toujours sur les plus pauvres.” A
cette occasion, il signale le besoin urgent de se doter
de moyens de lutte contre la déforestation et réclame
un plan d’urgence pour les pays européens mais plus
encore pour les pays du sud. “La déforestation,
cruel appauvrissement de ceux qui sont déjà les plus
pauvres”, souligne-t-il avec vigueur. Il place au même
niveau d’urgence les problèmes que pose la mauvaise
répartition des ressources en eau.
En offrant ses voeux aux Français, le 31 décembre
1988, à partir de Strasbourg, François Mitterrand cite
la protection de l’environnement parmi les priorités
de la présidence française de la Communauté
européenne.
Le 11 mars 1989, à la conférence de La Haye, il lance
un appel devant 24 pays participants pour une autorité
supranationale, placée sous la houlette des Nations
Unies, chargée de la protection de l’environnement.
Si l’idée n’est pas reprise, elle a du moins suscité un
débat à haut niveau et clarifié ce que sont les positions
de chacun.
Le 5 octobre 1986, il prend la parole à l’ouverture
du XIIIème congrès de la Conférence mondiale qui
se tient alors à Cannes pour dire sa préoccupation
quant aux déséquilibres qui ne cessent de s’aggraver
du fait du jeu du marché entre les pays industrialisés,
gros consommateurs, « mais qui n’a en rien résolu
les problèmes économiques mondiaux, surtout
pour les pays les moins pourvus de ressources. » Et
il interroge: « Que dire d’un marché qui enregistre
des transactions tout en ignorant la nécessité de
renouveler les réserves? (...) Que dire d’un marché
où les prix fluctuent au gré des émotions, des
événements, des spéculations quotidiennes? »
Les réticences les plus marquées viennent
paradoxalement des pays du Sud qui craignent
qu’on leur impose des normes que leurs économies
ne pourraient supporter. Le seul résultat de cette
tentative est dans la mise en place d’une Commission
des Nations Unies pour le développement durable,
commission sans réelle portée puisque ne disposant
pas du moindre pouvoir juridique.
Sa réflexion progresse à mesure que l’expertise se
fait plus précise. Il fait dès lors de la préoccupation
environnementale un des thèmes premiers de son
action internationale.
L’expertise
de «Planète Terre»
A la recherche
de l’indispensable coopération
internationale
Ce n’est pas pour le décourager. Ce qu’il n’a obtenu
qu’à-demi à La Haye, François Mitterrand va le porter
devant d’autres instances internationales. Si l’approche
et la conviction demeurent les mêmes, la méthode
change. Le 6 mai, il écrit aux participants du G7 pour
leur proposer que soit mise à leur ordre du jour une
série de mesures environnementales concrètes. Il en
C’est ainsi qu’en novembre 1988, au cours d’un
voyage à Moscou et à Baïkonour, il insiste sur la
13
La lettre
de l’Institut François Mitterrand
donne une liste avec entre autres points la mise en place
d’un réseau mondial d’observatoires des émissions de
gaz carbonique, la protection des forêts équatoriales,
la lutte contre la désertification et les pluies acides et
le lancement de programmes de recherche pour le
développement de « voitures propres ».
Ensuite, il plaide pour un effort « planétaire » de
solidarité, du Nord vers le Sud, qui devrait se traduire
par des transferts massifs de technologies, l’objectif
visé étant de permettre aux pays du Sud d’assurer
« leur progrès économique et technique sans polluer
comme l’ont fait les pays industrialisés dans le
passé. »
Un mois plus tard, les 12 et 13 juin, se tient à Paris
le colloque « Planète Terre », réunion scientifique
de haut niveau qui a pour objectif de préparer les
propositions françaises pour le sommet des pays
industrialisés à l’Arche de la Défense à partir du
15 juillet. Le fait que l’environnement soit pris
en compte lors d’un tel Sommet est une grande
première. Au final, les participants s’entendent sur le
fait que pour préserver l’avenir, tout en poursuivant
la croissance économique, les différents pays se
doivent de prendre conjointement les décisions utiles
à la préservation de la nature. Il y est entre autre
affirmé que les chlorofluorocarbones (CFC) devront
à terme disparaître dans les biens de consommation
et que, par ailleurs, des moyens financiers devront être
dégagés pour permettre aux scientifiques d’analyser
les modes de lutte contre l’effet de serre, qui engendre
un réchauffement des climats de la planète. Enfin, les
Sept s’accordent sur le diagnostic que la destruction
massive de la forêt tropicale dans les pays pauvres est
un corollaire du problème de la dette: la coopération
des pays riches au développement agricole devra donc
être encouragée. «C’est mon neuvième sommet, et, de
mon point de vue, il a été le plus harmonieux et l’un des
plus productifs auxquels j’ai assisté». Cette remarque
du secrétaire d’Etat américain James BAKER reflète
bien le consensus général qui s’est construit autour
des thèmes abordés lors de ce quinzième Sommet du
G7.
Enfin, il donne rendez-vous aux Etats, à l’opinion
publique et aux organisations non gouvernementales
pour une évaluation des résultats obtenus sur les
quatre point affichés dans l’Agenda 21. Et il conclut
en affirmant que « le nouvel ordre international sera
celui qui saura combiner le désarmement, la sécurité,
le développement et le respect de l’environnement.
De cet impératif naîtra une éthique mondiale,
prolonge-t-il. (...) Et très prémonitoire, il ajoute: « Ne
croyez-vous pas que la drogue, la violence, le crime, le
fanatisme sont à placer au rang des pires pollutions et
que l’une de ces biodiversités à protéger sans perdre
de temps est celle des cultures et des civilisations
menacées d’étouffement? »
L’Agenda 21
Les 173 pays présents au Sommet de Rio ont
adopté le programme Agenda 21 qui fixe un
programme d’actions pour le XXIème siècle
dans des domaines très diversifiés afin de
s’orienter vers un développement durable de
la planète.
Agenda 21 énumère quelques 2500
recommandations
concernant
les
problématiques de santé, de logement, de
pollution de l’air, de gestion des mers et des
océans, de la désertification, de la gestion
des ressources en eau et de l’assainissement
de la gestion de l’agriculture et de celle des
déchets.
C’est sans doute dans le discours prononcé devant la
Conférence de Rio-de-Janeiro sur l’environnement
et le développement, le 13 juin 1992 qu’on découvre
le mieux le point d’aboutissement de sa réflexion sur
cette question.
En premier lieu, il recommande que les moyens soient
mis en oeuvre pour une meilleure connaissance de
notre planète, « à commencer par la biosphère qui
constitue un préalable », précise-t-il. Il rappelle que
trois ans plus tôt, « la France a demandé l’institution
d’un observatoire de la planète, qu’elle est à l’origine
de l’observatoire du Sahara et du Sahel.»
Ils sont articulés selon quatre grands
thèmes:
- La dimension sociale et économique
- La conservation et la gestion des ressources
aux fins de développement
- Le renforcement des principaux groupes
sociaux
- Les moyens de mise en œuvre.
En second, il insiste sur le fait qu’il est indispensable
de « mieux cerner le rôle, ou la responsabilité des pays
du Nord. (...) Qu’ils ont à s’interdire toutes atteintes à
l’environnement des pays du Sud. »
14
La lettre
de l’Institut François Mitterrand
François MitterrandJacques Chirac
L’étrange face à face
de la première
cohabitation
Sous le titre « J’en ai tant vu », Claude Estier
il, par rapport à tout ce que vous avez fait. » (…)
publie le 10 janvier aux éditions du ChercheMidi un livre de mémoires dans lequel il
retrace son long parcours journalistique et
politique. Une large place y est consacrée à
l’action qu’il a menée aux côtés de François
Mitterrand depuis la campagne présidentielle
de 1965.
Ma plus grande disponibilité me permet de voir plus
souvent le président qui, sachant que je garderai ses
propos pour moi, me fait part de ses états d’âme, en
particulier vis-à-vis de Chirac.
Nous publions ici des extraits du chapitre
dans lequel le Président de la République
s’exprime sur ses relations avec Jacques
Chirac pendant la cohabitation de 1986 à
1988.
Les premiers pas
de la cohabitation
A
Le 25 avril, c’est-à-dire après un mois de cohabitation,
je retiens sa réponse à ma question sur la façon dont
il la vit : « C’est très dur car ils ont mis en place une
machine infernale. Quand je suis en tête à tête avec
Chirac, il est. très poli, presque trop. Mais ensuite
il ne tient aucun compte de ce que nous avons dit.
Il est d’une extraordinaire voracité. II veut tout,
tout de suite. Par exemple: le sommet de Tokyo. Il
est intervenu au près des Japonais -qui me l’ont fait
savoir -pour pouvoir participer au dîner des chefs
de délégations. Je veux bien qu’il vienne a Tokyo à
la place d’un de ses ministres, pas à la mienne. C’est
pareil pour tout. Je ne peux avoir aucune confiance
dans ce qu’il me dit. Et il en est de même pour tout
yant cessé d’être député. en avril 1986, je
me trouve donc pendant six mois sans
mandat ce dont François Mitterrand,
à ma grande surprise, va profiter pour
me faire inscrire dans la promotion de la Légion
d’Honneur du 14 juillet au titre du ministère des
Affaires étrangères. Comme je le souhaitais, il me
remettra lui-même la médaille quelques semaines
plus tard à l’Elysée après un petit discours que j’ai
toujours regretté de n’avoir pu enregistrer car l’éloge
qu’il faisait de moi m’avait bouleversé. Quand il a
épinglé la croix au revers de ma veste, je l’ai remercié
pour ce qu’il avait dit. C’est bien modeste, répondit15
La lettre
de l’Institut François Mitterrand
le gouvernement. En dehors de Giraud, de Raymond,
de Balladur qui sont auprès de moi au Conseil des
ministres, je ne leur parle pas, je ne les connais pas. Ce
n’est pas facile à vivre. Mais il faut tenir quelque temps
car une crise, actuellement, ne serait pas bonne pour
nous et, pour d’autres raisons, Chirac ne la souhaite
pas non plus. » (…) Le 9 mai, alors que nous sommes
attristés par la mort brutale, survenue trois jours
auparavant, de Gaston Defferre, Mitterrand a tenu à
ce que nous commémorions la victoire de 1981.
Nous sommes donc réunis à Alfortville et, après le dîner,
il se laisse aller en réponse aux questions de Mexandeau
et de Fillioud sur les incertitudes des mois venir.
mais aussi la plus claire, la plus compréhensible pour
l’opinion. Chirac en tire avantage pour l’instant mais
il va d’ici quelques mois connaître un certain nombre
de difficultés (notamment à l’intérieur de 1a majorité)
et la situation va évoluer. Chirac est un extraordinaire
battant, toujours sur la brèche, prêt à intervenir sur
tout mais il ne me paraît pas avoir de vues à long
terme si ce n’est son obsession de devenir président
de la République. II sait donc que nous restons des
adversaires mais en même temps il est obligé de me
ménager. L’affaire du sommet de Tokyo est exemplaire,
II a essayé d’être au premier rang. Mais devant mon
refus, il a dû s’incliner. Tout était déjà fait quand il est
arrivé.
La solution la plus difficile
mais aussi la plus claire
Son entourage fait dire que le sommet l’avait attendu
pour adopter les textes politiques. Ce n’est pas vrai.
C’est moi qui lui ai fait porter à son hôtel où il attendait
les textes déjà adoptés.
Ce petit jeu se déroule presque tous les jours et je ne
pense pas qu’il puisse durer très longtemps. Mais il faut
être patient et en attendant faire savoir par différents
canaux ce sur quoi je ne suis pas d’accord : la braderie
du patrimoine national aux intérêts privés peut être
un bon terrain et aussi le nouvel élargissement des
inégalités (on supprime l’impôt sur la fortune mais on
augmente la carte orange). »
« Si j’élimine l’idée d’une dissolution et celle d’un
référendum, l’une et l’autre trop risquées, la seule
véritable incertitude, c’est celle sur la date de l’élection
présidentieIle et c’est moi qui en détient 1a clé. Je
peux laisser aller les choses jusqu’en 1988 au bien la
provoquer avant. Mais il faut bien choisir le moment
et le terrain. Pour le moment, Chirac a intérêt à faire
croire que les choses se passent bien. D’où sa très
grande correction avec moi alors que par ailleurs, il a
mis en place à Matignon une machine de guerre contre
moi. Je le laisse dire que “c’est le gouvernement. qui
détermine et conduit la politique de la nation”. Plus
il répète cela et plus cela m’arrange puisque cela veut
dire que je ne suis pour rien dans cette politique. Je
le répète d’ailleurs à chaque Conseil des ministres en
disant que je ne suis pas d’accord mais que je ne veux
pas les empêcher,de gouverner. Mais Chirac sait que
je ne signerai pas un certain nombre d’ordonnances,
Ne nous engageons pas dans la controverse juridique
pour savoir si j’ai ou non le droit de ne pas signer, De
toute façon, il n’y a pas de délai. Je peux donc attendre
pour signer.. .le 9 mai 1988.
Réfléchir
sur les institutions
Mitterrand pense aussi que la période devrait nous
pousser à une réflexion sur les institutions. Car,
dit-il, l’arrivée à l’Elysée d’un président autoritaire,
s’appuyant sur un parti 1ui-même autoritaire, pourrait
constituer un vrai danger pour la démocratie. Ce n’est
pas à mettre sur la place publique car à la limite cela
pourrait me gêner mais il faut que nous ayons quelque
chose à dire le jour voulu sur les pouvoirs du président.
Pour l’instant, Chirac essaie de les réduire, mais s’il
devenait président, il les reprendrait en nommant à
Matignon un homme qui lui soit tout dévoué. »
« Je ne regrette pas d’avoir choisi Chirac comme
Premier Ministre. C’était 1a solution la plus difficile
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La lettre
de l’Institut François Mitterrand
Le 18 mai, a Solutré où je me retrouve pour la première
fois depuis 1981, François Mitterrand, entouré d’une
foule de journalistes, n’est pas avare de confidences sur
la façon dont il conçoit la cohabitation, notamment
sur les points où il entend bien ne pas céder aux
volontés de son Premier ministre : la suppression
de l’autorisation préalable de licenciement, le retour
en arrière en Nouvelle-Calédonie ou encore les
modalités financières des dénationalisations prévues
par le gouvernement.
« Je ne veux pas devenir aujourd’hui le sujet du débat
mais je pense que même si l’élection présidentielle avait
lieu maintenant, j’aurais une chance de la gagner.
Fin juillet, au cours d’un déjeuner à l’Elysée, le
président revient sur le sujet :
« Si une crise survient dans la majorité, j’aurai une
marge de jeu. Les sondages indiquent d’ailleurs que
je serais réélu contre n’importe lequel d’entre eux. Je
ne suis pas sûr que cela puisse aller jusqu’en 1988 car
Raymond Barre ne laissera pas Chirac s’installer en
présidentiable et va bientôt commencer à le harceler.
Mais il faut être prudents. Si je dois me représenter,
c’est pour être réélu et pas pour faire comme Giscard. »
(...)
L’impossible
rupture
Il nous en dira plus quelques jours plus tard au cours
d’un dîner dans un restaurant voisin de son domicile
auquel il m’a convié avec Roland Dumas et Pierre
Joxe. Il nous raconte en effet 1’entretien qu’il a eu la
veille avec Jacques Chirac.
Dès ce moment, je comprends que l’une des
motivations de Mitterrand pour se représenter serait le
désir de régler ses comptes avec Chirac avec lequel il a
de plus en plus de sujets de conflits : nominations dans
l’audiovisuel et dans la police, loi de programmation
militaire, etc…
« Monsieur le Premier ministre vous avez fait fort ces
derniers jours en vous en prenant aux journalistes,
en prenant le contre-pied de ma position hostile e à
I’IDS, et encore un 49/3. »
Au cours d’un dîner amical le 30 novembre à l’Elysée, il
nous raconte comment Chirac s’est à nouveau imposé
au prochain sommet de Londres en s’arrangeant avec
Mme Thatcher pour qu’il y ait trois sièges pour la
France, ce qu’il refuse (il n’y en aura finalement que
deux au grand dam du ministre des Affaires étrangères
Jean Bernard Raymond qui restera dehors).
Curieusement, il a trouvé un Chirac apaisant,
cherchant à minimiser les choses, s’excusant d’avoir
posé le 49/3 à 7 heures du matin à I’Assemblée
nationale sans l’avoir prévenu.
Les problèmes internes
de la majorité
« Je ne voulais pas vous réveiller pour cela. »
Mitterrand estime que Chirac donne un coup
d’accélérateur pour satisfaire ses ultras mais qu’ensuite
il revient en arrière car il ne veut pas de rupture pour
l’instant. Le président pense que le PS n’exploite pas
assez cette situation, n’est pas assez rapide dans ses
réactions.
Comment vit-il cette tension grandissante ?
« La tension n’a jamais cessé. Elle est quotidienne.
Mais il commence à y avoir des problèmes à l’intérieur
du gouvernement et de la majorité. Chirac en fait trop.
Le RPR va se durcir. II faut les battre. »
Quant à la cohabitation elle-même, il me semble
de plus en plus convaincu que cela ne durera pas
jusqu’en 1988, qu’il aura donc à intervenir avant et
donc, probablement, à être lui-même candidat. Il
ajoute, curieusement :
Fin janvier 1987, devant le petit groupe d’amis
qu’anime Mermaz, il insiste longuement sur la
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La lettre
de l’Institut François Mitterrand
nécessité de renforcer, à l’occasion du prochain
congrès de Lille, la direction du parti socialiste autour
de Jospin et de le rendre plus offensif pour enfoncer
un coin entre Barre et Chirac, entre le RPR et l’UDF,
même, ce à quoi une série de bons sondages ne peut
que l’encourager.
Ce que Michel Charasse me confirme en septembre ;
« Jusqu’en juin, Mitterrand était plutôt dans l’idée « je
n’irai pas sauf si...”. Maintenant, c’est j’irai sauf si...”.
L’une de ses motivations étant son désir de prendre sa
revanche sur la majorité de droite et particulièrement
sur Chirac auquel il ne pardonne pas de lui mentir
constamment. »
A plusieurs reprises, il évoque l’après élection
présidentielle : « Supposons que je sois réélu », puis se
reprenant : «Ce qui supposerait que j’ai été candidat. »
Ce qui nous fait sourire tant nous sommes maintenant
convaincus qu’il le sera.
Le 5 mai 1987, me recevant en tête à tête à l’Elysée,
François Mitterrand revient sur l’idée qu’il avait émise
devant nous quelques mois plus tôt.
En octobre, Mario Soares de passage à Paris, où il a
vu longuement Mitterrand, me dit sa conviction qu’il
sera candidat, ce qui est aussi l’avis de Maurice Faure
qui l’a accompagné dans son voyage en Argentine.
J’entends le même son de cloche de la bouche de
Patrice Pelat qui recueille ses confidences au cours de
leurs promenades quotidiennes dans Paris et de Louis
Mermaz à qui il a demandé de mettre en mouvement
le dispositif que nous avions envisagé pour que des
appels à sa candidature soient lancés à partir du mois
de janvier.
« La chamaillerie à droite nous donne des chances
qu’on n’imaginait pas il y a un an. Je ne peux pas
organiser quelque chose moi-même, Cela se saurait
aussitôt et ce serait un gros handicap car, de toute
manière, je dois être président le plus longtemps
possible. Je peux seulement suggérer. C’est pourquoi
j’ai besoin d’un petit groupe de prévision dont vous
ferez partie avec Mermaz. »
«J’ai pris ma décision»
Ce jour-là, il me parle à nouveau de ses rapports avec
Chirac. « Il veut absolument faire de la politique
étrangère. Mais il a un comportement enfantin. Cela
ne l’intéresse que par rapport à la politique intérieure.
Il n’a pas d’idées suivies. Il dit tout et le contraire
de tout. Ce qui l’intéresse, c’est de se montrer avec
Reagan, avec Gorbatchev, avec Thatcher, avec Kohl.
Dès qu’il y a un chef d’Etat à Paris, il se répand en
compliments. Il embrasse tous les présidents noirs.
J’entends les conversations à table : il dit aux épouses
que leur mari est génial. Tout cela est incroyablement
léger. Actuellement, après un mauvais passage, il a
repris du poil de la bête. Il est extraordinairement
actif et c’est une bête médiatique. Cela impressionne
sûrement beaucoup de gens, Mais est-ce suffisant
pour devenir président de la République ?
Pierre Mauroy et moi qu’il a conviés à dîner le 6
décembre à l’Elysée l’entendons raisonner dans
l’hypothèse de sa candidature tout en se défendant
d’avoir pris une décision. À un moment de la
conversation, il évoque la date du 10 février en
ajoutant : « De toute façon,je ne vous laisserai pas
mariner plus que nécessaire. ».
En attendant, il continue, comme il l’a dit, à être
président. Le 21 janvier, il a organisé à l’Elysée une
grande réception d’intellectuels à laquelle sont présents
un grand nombre de personnalités de renom, artistes,
écrivains, universitaires. Ce qui a le don d’énerver
Chirac -lui-même candidat depuis quelques jours-,
qui, devant les directeurs de journaux, se montre très
agressif à l’égard de Mitterrand, ce qui ne peut que
servir celui- ci. Barre vient à son tour de se déclarer,
nous constatons que le mouvement en faveur de
la candidature de Mitterrand est tel qu’il n’est pas
Au dîner anniversaire du 10 mai à l’Elysée, il évoque
sa « mission historique » qui serait de faire élire un
autre socialiste après lui. 11 estime que Michel Rocard
serait un candidat incontournable mais on sent bien
qu’il ne croit pas beaucoup en ses chances et qu’il est
maintenant convaincu qu’il devra se représenter lui-
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La lettre
de l’Institut François Mitterrand
nécessaire de multiplier les appels. Alors que tous les
sondages le donnent largement gagnant au second
tour, il répond à une question de Patrick Poivre
d’Arvor: « En tous cas, j’ai pris ma décision. »
que le candidat communiste André Lajoinie tombe à
moins de 7%. Contrairement à 1’évidence, quelques
porte-parole chiraquiens affirment encore que leur
champion peut remonter son retard. Ce qui est
escompter le report intégral des voix de Barre -dont
plusieurs soutiens, tel Michel Durafour, viennent
de se rallier à Mitterrand -mais aussi celles du Front
national !
Le 10 mars, à Château Chinon, il nous dira encore :
« Dites-vous bien que je n’ai jamais eu envie d’être à
nouveau candidat mais je suis convaincu que Chirac
et ses hommes sont un danger pour la démocratie. Ils
ne sont que mensonges et immoralité. »
Chirac comptait beaucoup sur le débat télévisé d’entre
les deux tours mais il n’en tire aucun profit. Le 8 mai,
il ne dépassera pas 46% des suffrages. L’ampleur de
la victoire de Mitterrand ressemble, inverse de celle
de de Gaulle en 1965 contre... Mitterrand. La boucle
est bouclée. Quant à Chirac, il accuse le coup. La suite
montrera qu’il sera capable de se relever mais ce 8 mai
1988, il est tombé de son cheval.
C’est finalement le mardi 22 mars qu’il annonce sa
candidature en répondant « oui » à la question posée
par les journalistes d’Antenne 2, annonce suivie
d’une violente diatribe contre « les clans, les bandes,
les factions qui menacent la paix civile. » Chirac croit
tenir un argument en dénonçant cette agressivité,
parlant du « culot d’acier » de Mitterrand. Mais il est
à contre-emploi d’autant qu’une pluie de sondages
confirment la large avance du président qui s’est
enfermé pendant plusieurs heures pour rédiger sa
« Lettre aux Français », qui lui permet de centrer la
débat autour de lui et de son idée de la « France unie »
et donc de mener le jeu face à Chirac tandis que Barre
peine à exister.
Quelques jours après sa réélection, j’ai eu l’occasion
de demander à Mitterrand à quel moment il avait
décidé d’être candidat : « Je vous ai dit plusieurs fois
que je n’en avais pas vraiment envie. Mais peu à peu,
je suis arrivé à deux constatations. Premièrement,
il était indispensable de faire obstacle à Chirac et à
son équipe qui représentaient un véritable danger
pour la démocratie. Deuxièmement, les circonstances
faisaient que j’étais seul à pouvoir le battre. Je ne crois
pas que Rocard était en mesure de le faire. Ces idées
se sont précisées peu à peu dans mon esprit mais il n’y
a pas eu un jour précis où j’aurais noté sur un carnet
que j’avais pris ma décision. ».
Dans le même temps, avec Louis Mermaz, Christian
Sautter et Louis Mexandeau, nous mettons la dernière
main au comité de soutien qui aura aussi belle allure
que celui de 198 1.
Jour après jour, avec des meetings enthousiastes, la
campagne confirme cette situation favorable. Le 15
avril, rentrant d’une réunion à Amboise, j’entends dans
ma voiture l’intervention de Chirac à Europe 1, de
plus en plus agressif en insistant à nouveau l’argument
de l’âge qui a pourtant déjà fait long feu compte tenu
de la forme de Mitterrand. Je suis d’ailleurs frappé
par la bêtise des dirigeants du RPR. Pasqua compare
Mitterrand à Kim Il Sung! Juppé croit avoir fait un
bon mot en parlant de « La lettre et le néant ». Balladur
accuse Mitterrand d’ «immobilisme » en l’attaquant
sur le fait qu’il est toujours socialiste !
En conclusion de ce chapitre, une question pour
I’Histoire. Ayant ainsi vaincu Chirac et donc, en
quelque sorte, réglé ses comptes avec ces deux
années terribles, François Mitterrand fut-il porté par
la suite à plus d’indulgence à son égard comme on
crut parfois le percevoir ? Ou bien, en fin de compte,
préférait-il encore les manières brutales du maire de
Paris à l’hypocrisie onctueuse d’Edouard Balladur
avec lequel il dut encore cohabiter pendant deux ans ?
Je n’ai pas la réponse. Je sais seulement qu’au cours de
son second septennat, Mitterrand ne m’a plus jamais
parlé de Chirac.
Le 24 avril, les résultats du premier tour donnent
une large avance à Mitterrand: 34,5 % contre 19,6%
à Chirac, 16,7 % à Barre, 13,9 % à Le Pen, tandis
(Les intertitres sont de la rédaction).
19
La lettre
de l’Institut François Mitterrand
Au cours de ses deux septennats, François Mitterrand aura prononcé plus de deux mille discours.
Pour rendre compte de cette richesse, les éditions sonores Frémeaux et Associés, avec le
concours de l’Institut François Mitterrand, proposent une sélection de ses prises de parole les
plus importantes. Elles marquent les temps forts de sa présence sur la scène internationale, elles
jalonnent ses prises de position en matière de politique intérieure, elles mettent en relief certains
aspects moins connus de ses préoccupations.
Anthologie sonore
des discours de François Mitterrand
(1981-1995)
Coffret de trois CD disponible
à l’Institut François Mitterrand - 10, rue Charlot - 75003 Paris
26 euros (frais de port compris)
La Lettre est éditée
par l’Institut François Mitterrand
10, rue Charlot -75003 Paris
Tèl : 01 44 54 53 93
Fax : 01 44 54 53 99
Courriel : [email protected]
Site : www.mitterrand.org
REVUE TRIMESTRIELLE
Directeur de la publication :
Hubert Védrine
Avec la collaboration
de Claude Estier, Jean-François Mary, Louis
Mermaz et Jean-François Huchet
Imprimerie centrale de Bordeaux
Dépôt légal : mars 2005
LES AMIS DE L’INSTITUT
FRAN OIS MITTERRAND
ç
La nature juridique de l’Institut François Mitterrand (fondation) le prive de la
possibilité d’accueillir des adhérents. C’est à cette impossibilité qu’a répondu,
en 1999, la création de l’association des Amis de l’Institut. Elle réunit les
différentes “générations Mitterrand” désireuses de transmettre le message
qu’elles ont reçu et de faire vivre l’espérance qu’elles ont elles-mêmes vécue.
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Ce formulaire, rempli et accompagné du règlement (à l’ordre de l’IFM), est
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informations sur l’IFM, en ligne sur mitterrand.org
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