Les conceptions en électricité

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Les conceptions en électricité
Conceptions en électricité 07/06/12
Conceptions mises en œuvre par les élèves dans le domaine de l’électricité
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Les recherches actuelles en didactique des sciences et en psychologie cognitive montrent entre autres
choses que :
1) toute pratique d’enseignement ou plus généralement toute pratique éducative doit composer
avec les connaissances antérieures et les modes de raisonnement des apprenants ;
2) les connaissances se construisent à partir d’« idées » préalables, qui sont appelées conceptions1.
Ces idées sont plus ou moins structurées (préjugés, connaissances empiriques, images véhiculées
par les médias, systèmes explicatifs issus de la vie quotidienne, connaissances provenant d’un
enseignement antérieur plus ou moins bien assimilé, …) ;
3) la construction des connaissances scientifiques est (très) longue et progressive. Il ne suffit pas de
quelques séances d’enseignement, fussent-elles de qualité, pour que soient acquises les notions
correspondantes. Par exemple la construction des concepts de circuit, débutée à l’école primaire
ou au collège, de courant, et de tension débutée en classe de quatrième n’est pas terminée licence.
Un grand nombre de travaux ont été réalisés dans ce domaine (voir en particulier [1], [2], [3], et une
synthèse plus récente de l’ensemble de ces recherches [4]). Les résultats dont on dispose permettent
d’avoir une bonne vue d’ensemble des différents modèles explicatifs utilisés par les élèves du
primaire et du secondaire ainsi que des étudiants du supérieur.
1 - le modèle unifilaire (allumage d’une ampoule à l’aide d’une pile)
Il est schématiquement le suivant : un seul contact entre une zone de la pile (souvent le pole +) et une
zone de l’ampoule est nécessaire pour réaliser l’allumage.
Ce modèle ne se manifeste pas toujours aussi nettement. Il peut être « masqué » ou « activé » selon les
difficultés ou la situation proposée. Il peut concerner la pile et l’ampoule à la fois, la pile seule ou
l’ampoule seule. Le modèle unifilaire est extrêmement présent au cours de la scolarité élémentaire,
principalement avant tout enseignement dans le domaine de l’électricité ; il en reste des traces bien
plus tard (en classe de 5ème par exemple, mais encore à l’université). Deux explications permettent
d’expliquer ce modèle :
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Elles sont aussi appelées « représentations initiales ».
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Conceptions en électricité 07/06/12
Il est sans doute la conséquence d’une analyse causale linéaire2 de la situation : « la pile donne de
l’électricité à l’ampoule »
- Il peut être issue de la vie quotidienne : quand on observe par exemple une lampe allumée posée
sur un meuble « un seul fil semble apporter l’électricité » nécessaire à son allumage. L’analyse
causale linéaire reste valide.
Ce modèle tend à évoluer lorsque intervient la prise de conscience de la nécessité de fermer le circuit
(c’est à dire d’avoir deux contacts).
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2 – Le modèle des courants antagonistes3
Dans le cadre de ce modèle, un courant sort de la borne + de la pile, un autre courant sort de la borne
-. L’allumage de l’ampoule résulte de l’interaction entre ces deux courants. On peut remarquer que
l’analyse causale linéaire reste valide : la pile donne de l’électricité, mais cette dernière emprunte
deux chemins.
40% des élèves des élèves de 12 ans (en classe de 5 ème) utilisent ce modèle pour expliquer les
phénomènes dans un circuit série comportant plusieurs ampoules, ce nombre diminue jusqu’à
devenir pratiquement nul à 17 ans.
Ce modèle évolue lorsque intervient la prise de conscience de l’existence d’éléments polarisés, c’est à
dire qui ne se comportent pas de la même façon selon le sens de branchement (moteur, vibreur, diode
électroluminescente).
3 – Le modèle circulatoire à épuisement de courant
-
Le courant sort de la pile et y retourne après avoir parcouru le circuit dans un sens défini. Cette
proposition est conforme au modèle que l’on veut enseigner.
Il s’use partiellement au passage d’un récepteur, ce qui n’est pas conforme au modèle de la
physique.
La pile est un réservoir d’électricité (de courant), ce qui n’est pas conforme au modèle de la
physique (la pile constituant un réservoir d’énergie pas de courant).
Le raisonnement linéaire causal est une des principales caractéristiques du raisonnement quotidien.
Dans différents domaines de la physique, on peut constater une grande similitude entre les raisonnements spontanés des élèves et
ceux de scientifiques au cours de l’histoire. Cependant une analyse du cadre de pensée des physiciens montre que l’origine de ces
raisonnements est fort différente de celle des élèves. Pour ce qui concerne l’électricité, Ampère écrivait en 1820 : « (…) il en résulte
un double courant, l’un d’électricité positive, l’autre d’électricité négative, partant en sens opposés des points où l’action électromotrice a lieu, et allant se réunir dans la partie du circuit opposée à ces points (…) ».
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Conceptions en électricité 07/06/12
Situation expérimentale proposée et consigne :
Comment expliquer ces observations ? Que se passe-t-il si on
intervertit le moteur et la lampe ?
Exemple de réponse d’élève de 4 ème
1)
2)
La lampe fonctionne mais pas le moteur, car le
courant va du + au moins, et comme, sur la
trajectoire du courant, la lampe se trouve
avant le moteur, c’est la lampe qui va
bénéficier du courant. Le courant « s’use »
dans le filament.
C’est le moteur qui va fonctionner car c’est lui
qui va « utiliser » le courant.
Ce modèle a été rencontré essentiellement chez des élèves de collège par les auteurs qui le
mentionnent ([1], [3], [4]). Il ne remet pas en cause l’explication causale linéaire : la pile donne du
courant à l’ampoule, une partie est consommée et ce qui reste repart 4 grâce au second fil.
Pour récapituler…
Le tableau ci-dessous résume l’évolution des modèles explicatifs d’une population de niveau scolaire
donné (ce qui signifie qu’un individu ne la suit pas nécessairement étape par étape).
Conceptions sur lesquelles on peut travailler dans le premier degré
Conceptions sur lesquelles on peut travailler au collège
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Vers le moteur dans la situation évoquée ci-dessus.
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4 – Le modèle du générateur à courant constant
Dans le cadre de ce modèle, le générateur est considéré comme un composant qui débite toujours le
même courant quel que soit le circuit5. Cette conception "à débit constant" est extrêmement prégnante,
elle représente l'obstacle majeur des élèves confirmés en électrocinétique. Seuls les étudiants spécialisés
en physique (niveau M1 par exemple) parviennent à le franchir, et encore n'est-ce pas la totalité...
Nous ne développerons pas ce modèle ici, dans la mesure où il ne concerne que l’enseignement
secondaire et le supérieur.
Bibliographie :
[1] DUPIN J-J, JOHSUA S. L’électrocinétique du collège à l’université : évolution des
représentations des élèves et impact de l’enseignement sur les représentations, in Bulletin de l’Union
des Physiciens, n°683, 1986, pp. 779-800.
[2] DELACOTE G., TIBERGHIEN, A. Manipulations et représentations de circuits électriques
simples par des enfants de 7 à 12 ans, in Revue Française de Pédagogie, n°34, 1976, pp. 32-44.
[3] TIBERGHIEN, A. Revue critique sur les recherches visant à élucider le sens des notions de
circuits électriques pour des élèves de 8 à 20 ans, in Recherche en didactique de la physique : actes du
premier atelier international, La Londe les Maures 1983. Paris : Editions du CNRS, 1984
[4] ROBARDET, G., GUILLAUD JC, Les conceptions, cas de l’électrocinétique, in Eléments de
didactique des sciences physiques, pp. 173-183. Paris, PUF, 1997.
[5] ROLANDO, J-M, Electronique au cours moyen : quels objectifs ? Quelle démarche ?, in Grand N,
n°43, 1988. Grenoble : Université Joseph Fourier
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Dans l’enseignement secondaire ce sont presque exclusivement des générateurs de tension constante qui sont
utilisés.
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