Introduction : pourquoi encore tant d IVG ?
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Introduction : pourquoi encore tant d IVG ?
D O S S I E R Introduction : pourquoi encore tant d’IVG ? Why still so much abortions? ● B. Bständig*, A. Bongain* A l’aube du trentième anniversaire de la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), chaque femme en France connaît en moyenne dans sa vie une grossesse accidentelle et, une fois sur deux, elle décide de l’interrompre. Si la libéralisation de l’avortement n’a pas produit d’augmentation des IVG, la diffusion large d’une contraception médicalisée et efficace n’a pas fait diminuer son chiffre pour autant… LES DERNIERS CHIFFRES PUBLIÉS (1) La direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques (DREES) vient de publier les résultats 2002 concernant les interruptions volontaires de grossesse en France (1), en voici quelques éléments : L’IVG au sein de l’Union européenne Au sein de l’Europe des 15, la France se situait parmi les pays qui avaient les taux d’IVG les plus élevées, après la Suède et juste devant la Grande-Bretagne. Depuis l’élargissement de l’Union européenne à 25 membres, elle se situe en position médiane du fait du fort taux de recours aux IVG dans les pays de l’Est et de l’ex-Union soviétique. L’avortement demeure illégal en Irlande, au Portugal et à Malte ; à Chypre, l’IVG n’est autorisée qu’en cas de viol ou d’indication médicale. Les délais légaux d’interruption de grossesse vont globalement jusqu’à 12 semaines de grossesse, comme en France, mais peuvent aller au-delà (18 semaines pour la Suède, 24 semaines pour les PaysBas et la Grande Bretagne). L’IVG en France En 2002, le nombre d’IVG en France est évalué à 206 000, soit 14 % de plus qu’en 1995. La progression a été de 1,3 % entre 1999 et 2000 et elle passe à 1,7 % de 2001 à 2002. L’impact de l’allongement du délai maximum de recours à l’IVG de 10 à 12 semaines de grossesse depuis 2001 doit être encore évalué avec plus de précision, cependant, il ne semble avoir eu qu’un impact marginal sur la progression de ces chiffres. Quoi qu’il en soit, il est important de noter que l’évolution des avortements reste parallèle à l’augmentation du nombre de naissances depuis 1995 et que le rapport entre le nombre d’IVG et le nombre de naissances reste stable (259 IVG pour 1000 naissances en 1990 ; 258 en 2000). Le recours à l’IVG est très différent selon les tranches d’âge des femmes. Il apparaît le plus fréquent entre 20 et 24 ans, âge de la plus forte fécondabilité. L’accroissement se fait essentiellement chez les jeunes femmes de moins de 25 ans et les mineures : 10700 femmes mineures ont eu recours à l’IVG en 2002 contre 8100 en 1993 (1). En France, des disparités régionales importantes persistent. Les taux d’IVG les plus importants pour 1 000 femmes sont dans le sud de la France, en Île-de-France et dans les départements d’outre-mer. Ces différences ne peuvent s’expliquer ni par les différences de répartition des âges des femmes ni par des déplacements dans des régions où l’IVG serait plus accessible. Il semble, en revanche, exister des différences régionales de comportements Figure 1. Les interruptions de grossesse dans l’Union européenne (1). * Service de gynécologie obstétrique, reproduction et médecine fœtale, CHU de Nice, hôpital l’Archet, 151, route de Saint-Antoine de Ginestière, BP 3079, 06202 Nice Cedex 3. 18 Figure 2. Nombre d’IVG pour 1000 femmes de 15 à 49 ans en 2002 (1). La Lettre du Gynécologue - n° 300 - mars 2005 D Figure 3. Nombre moyen d’IVG en France pour 1000 femmes (1). relatifs à la sexualité, à la contraception et au désir d’enfant, partiellement liés aux structures familiales, au mode de vie et aux revenus dont disposent les couples. Mais ces paramètres sont bien sûr d’évaluation difficile… COMMENT EXPLIQUER LA FRÉQUENCE DU RECOURS À L’IVG ? La réponse peut être envisagée sous deux angles : • Le nombre d’accouchements suite à des grossesses non désirées diminue, car l’accès à l’IVG devient plus facile par : – l’absence de nécessité de l’autorisation parentale pour les mineures ; – l’allongement du délai maximum de 10 à 12 semaines ; – la gratuité de l’IVG pour les mineures et les personnes défavorisées ; – l’utilisation de l’IVG médicamenteuse. De ce point de vue, l’augmentation des IVG pourrait apparaître favorable et être le témoin d’une réponse de plus en plus accessible pour les femmes en détresse devant une grossesse non voulue. Pour aller dans le sens de cette hypothèse, il faudrait pouvoir chiffrer le nombre de grossesses non désirées qui sont menées à terme, ce qui semble impossible… • Le nombre de grossesses non désirées augmente, donc le nombre d’IVG augmente. Autrement dit, l’utilisation de la contraception n’est pas optimale soit en fréquence d’utilisation, soit en efficacité. En ce qui concerne la fréquence, on estime que 93,5 % des femmes potentiellement concernées par la contraception utilisent un moyen pour éviter la grossesse (Baromètre santé 2000). Ce taux est de 89,6 % chez les filles âgées de 15 à 19 ans et de 96,6 % entre 20 et 25 ans. Cela fait un taux d’utilisation des contraceptifs parmi les plus élevés d’Europe. Aussi, la majorité des femmes (près des deux tiers) présentant une grossesse non désirée ont utilisé un moyen contraceptif et 23 % des femmes ayant recours à une IVG étaient sous pilule. La contraception féminine, même si elle est efficace, est donc loin d’être adaptée aux conditions de vie (psychologique, sociale, financière) de la majorité des femmes (2). Les principales méthodes utilisées sont la pilule (59,9 %) et le stérilet (22,9 %). Cependant, les méthodes peu fiables (retrait, abstention périodique, spermicides) restent des moyens de contraception pour un nombre non négligeable de femmes. La Lettre du Gynécologue - n° 300 - mars 2005 O S S I E R Aussi, en ce qui concerne la maîtrise de la contraception, il persiste des inégalités sociales manifestes. Le taux de recours à la pilule, moyen contraceptif le plus efficace, apparaît étroitement lié au niveau d’éducation et d’insertion sociale, et l’accès aux méthodes contraceptives en général demeure nettement plus difficile pour les femmes les plus jeunes et les plus modestes (3). Il y a encore des progrès à faire pour une accessibilité à une contraception efficace. L’obligation de la consultation médicale, ses honoraires, les délais de rendez-nous, les bilans sanguins, la prescription limitée pour 3 ou 6 mois, les fausses contre-indications et le non-remboursement de la majorité des contraceptifs représentent tant de barrières à franchir ! À quand le remboursement des pilules à 20 µg et la prise en charge des préservatifs par la Sécurité sociale ? En ce qui concerne la pilule du lendemain, il semble que la mise sur le marché de médicaments vendus sans ordonnance fasse plus récemment progresser cette pratique (la vente a augmenté d’un tiers entre 2000 et 2003). Il faudra attendre 2005 pour avoir des chiffres plus précis (enquête Inpes). La persistance des idées reçues, dans tous les milieux, reste sûrement un frein à la progression de l’utilisation efficace des contraceptifs. D’après un sondage Sofres en 1999 : 33 % des jeunes filles et 27 % des femmes pensent que “la pilule fait systématiquement grossir” ; “la méthode du retrait est un moyen contraceptif efficace” de l’avis de 40 % des femmes et “la méthode des températures est efficace” pour 17 % d’entre elles. Combien de femmes estiment qu’il est bon d’arrêter la pilule pour “laisser reposer le corps” après un certain nombre de mois d’utilisation ? Et combien croient que l’utilisation d’une contraception hormonale au long cours est source de cancer ou de stérilité ultérieure ? CONCLUSION Le recours à l’interruption de grossesse dans notre pays est fréquent. Est-ce l’offre qui crée la demande ou l’insuffisance persistante de la maîtrise de la contraception ? Probablement les deux. Il est indispensable de réaffirmer constamment l’enjeu de la contraception et de lui redonner son sens premier en tant que source d’épanouissement personnel, notamment chez les jeunes filles. Lever les freins, les peurs et les idées reçues sur la contraception aussi bien chez les patientes et leurs familles que chez les prescripteurs reste un objectif constant. Le dossier que nous souhaitons vous présenter va dans ce sens en faisant le point sur les vraies et fausses contre-indications, l’utilisation pratique de la pilule du lendemain et les avantages des nouvelles voies d’administration disponibles. Finalement, peut-être que la diminution des IVG passera aussi par plus d’implication et de responsabilisation des hommes ? Les progrès dans le domaine de la contraception masculine leur permettront sûrement, dans un futur proche, de participer plus efficacement à la régulation des naissances. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Vilain A. Les Interruptions volontaires de grossesse en 2002. Études et résultats DREES, octobre 2004;348. 2. Bajos N, Ferrand M. De la contraception à l’avortement. Sociologie des grossesses non prévues. Éditions Inserm, collection Santé publique, 2002. 3. Nizand I. Comment diminuer le nombre d’IVG en France? Gynécol Obstet Fertil 2003;31:499-503. 19