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Dimanche 29 - Lundi 30 novembre 2015 ­ 71e année ­ No 22043 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio
COP21
SPÉCIAL
COP21
FABIUS :
« UN SUCCÈS À
NOTRE PORTÉE »
→ LIR E
34 PAGES
SUPPLÉMENT
PAGE 5
1 É D I TO R I A L
PARIS, AU CŒUR
DE L’ESPOIR
CLIMATIQUE
par jérôme fenoglio
C
e qui va se décider à
Paris, du 29 novembre
au 11 décembre, n’est rien de
moins que le prochain cha­
pitre de l’histoire géologique
de notre planète. Il s’agit du
premier de nos biens com­
muns : notre irremplaçable
cadre de vie. Il déterminera,
pour les prochaines décen­
nies, la stabilité des sociétés,
le bien­être et la sécurité
d’existence de milliards
d’êtres humains.
Tel est l’objet, l’ambition,
de la conférence internatio­
nale inédite qui s’ouvre dans
la capitale française. Inédite
d’abord par l’aréopage ras­
semblé – 150 chefs d’Etat et
de gouvernement accompa­
gnés par les délégations des
195 Etats parties à la Conven­
tion­cadre des Nations unies
sur les changements climati­
ques (CCNUCC).
→
L IRE L A SU IT E PAG E 31
COSMOS
BAMAKO
Impuissance et lourdeurs
de l’antiterrorisme
LE RÉCIT DE
L’ATTAQUE DE
L’HÔTEL RADISSON
→ LIR E
▶ Le ministère de l’intérieur semble
incapable de la moindre remise en question
PAGE 2
NUCLÉAIRE
L
RUSSES ET CHINOIS
DISTANCENT AREVA
→ LIR E
LE C A HIE R É CO PAGE 3
THÉÂTRE
JEAN-PIERRE
VINCENT
RÉINVENTE BECKETT
PAGES 2 2 - 2 3
YES
we can
do both!
*
* Oui, nous pouvons faire les deux !
→ LIR E
e système antiterroriste
français, longtemps con­
sidéré comme excellent,
est en état de mort clinique.
Mais personne, ni au gouverne­
ment ni dans l’opposition, n’a
envie d’en signer l’acte de dé­
cès, faute de savoir par quoi le
remplacer.
Au fur et à mesure que l’en­
quête sur les attentats du 13 no­
vembre à Paris et à Saint­Denis
avance, les défauts de sur­
veillance des auteurs, les mau­
vais choix opérationnels et la
lourdeur du dispositif antiter­
roriste sont, une nouvelle fois,
mis en exergue. Un enquêteur,
encore hanté par les images des
massacres du Bataclan et des
terrasses parisiennes, s’indi­
gne : « Donc, on ne fait rien ? On
attend que ça recommence ? »
Ce qui le scandalise, c’est
avant tout l’absence totale de
remise en question affichée au
sein du ministère de l’intérieur
et du gouvernement. « Je veux
donc saluer encore une fois le
travail exceptionnel de nos services de renseignement », a ré­
pété Manuel Valls, devant les
députés, le 19 novembre, après
la mort à Saint­Denis du coor­
donnateur probable des atten­
tats, Abdelhamid Abaaoud –
que lesdits services de rensei­
gnement « logeaient » pourtant
en Syrie.
Le système actuel est né d’une
période où les attentats étaient
autrement plus nombreux, les
années 1980. L’année 2015 mar­
que néanmoins un cap d’autant
plus brutal que la France – hors
Corse – avait été épargnée par le
terrorisme pendant une longue
période, de 1996 à 2012. Cent
trente morts en plein Paris,
trois commandos coordonnés,
des attaques kamikazes, et un
sentiment d’impuissance de­
vant l’inéluctable progression
d’une violence connue, docu­
mentée, médiatisée.
laurent borredon
et simon piel
→ LIR E L A S U IT E PAGE S 8 - 9
GÉOPOLITIQUE
LES FINANCES
DE L’ÉTAT ISLAMIQUE,
CIBLE D’UNE GUERRE
SECRÈTE
JOAILLERIE – PARIS
NOUVELLE COLLECTION PYTHON
332 RUE SAINT-HONORÉ PARIS +33 1 42 96 47 20
Au­delà des frappes aériennes, les
puissances occidentales cher­
chent à toucher au portefeuille de
l’organisation Etat islamique (EI),
qui aime se présenter comme la
plus riche de tous les temps.
L’administration djihadiste
gère en effet une région de la
taille du Royaume­Uni, riche en
pétrole, gaz, blé, coton ; elle a
hérité d’un trésor bancaire de
500 à 800 millions de dollars
et ses revenus oscillent entre
700 millions et 2,9 milliards de
dollars annuels.
Mais l’équilibre économique
est fragile – la production de pé­
trole suffit à peine à couvrir les
besoins – et les bombardements
vont neutraliser entièrement
cette ressource. L’EI multiplie les
taxes sur les commerçants, a di­
visé par deux les salaires ; les ma­
nuels scolaires et les soins médi­
caux sont désormais payants.
Autopsie d’une économie de
guerre, et voyage dans les coulis­
ses d’une bataille secrète.
→
LIR E PAGE S 1 8 - 1 9
Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF,
Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA
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DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
En haut à gauche et en bas à droite : des patrouilles dans les rues de Bamako, après l’attaque de l’Hôtel Radisson Blu du 20 novembre. En bas à gauche : suspendu à un balcon, un drap
témoigne de la tentative de fuite d’un client. En haut à droite : nettoyage des abords de l’hôtel, deux jours après l’attentat. SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE »
« Nous avons ouvert une porte
et ça a défouraillé »
Vingt personnes et deux assaillants sont morts dans l’attaque
de l’Hôtel Radisson Blu de Bamako, vendredi 20 novembre. Récit
REPORTAGE
I
bamako - envoyé spécial
l est 6 h 30, vendredi 20 novembre, à
Bamako. Abdoul Karim Sy, l’un des
barmen du Radisson Blu, et sa stagiaire Viciantia débutent la mise en
place du Djembé, où se retrouvent
fréquemment hommes d’affaires locaux et étrangers dans le nouveau quartier
d’ACI 2000. De son côté, Tamba Diarra, le
maître d’hôtel, accueille les clients venus
prendre leur petit-déjeuner sur la mezzanine
située au-dessus du hall d’entrée.
L’établissement, avec ses vigiles armés et ses
deux barrières filtrant le passage des véhicules avant d’accéder à l’entrée principale, a la réputation d’être l’un des mieux protégés de la
capitale malienne. Depuis mars et la première
attaque djihadiste à Bamako contre La Terrasse, un restaurant-bar prisé des « expats »,
Bamako a fait le constat de sa vulnérabilité.
Au Radisson Blu, 129 clients, selon la direction de l’hôtel, ont passé la nuit dans ce bâtiment à l’architecture complexe, faite de divers paliers, d’escaliers intérieurs en spirale
et de culs-de-sac. Ce vendredi sont notamment présents douze employés d’Air France,
sept de Turkish Airlines, des cadres des entreprises Thalès, China Railway Construction, une délégation de l’Organisation internationale de la francophonie, une autre de
six diplomates algériens, deux gendarmes
français de l’ambassade venus entretenir
leur condition physique dans la salle de sport
et dix-huit membres du personnel.
Soudain, cinq à dix minutes avant 7 heures,
un premier coup de feu retentit aux abords
du Radisson Blu. « J’ai cru que c’était un pneu
qui avait éclaté puis, au deuxième bruit, j’ai vu
un homme en train de tirer sur les gardiens.
Quand j’ai vu un premier puis un deuxième
garde à terre, j’ai fui », raconte Baïda Cissé, un
marchand de cigarettes installé au coin de la
rue perpendiculaire à l’entrée principale. Les
trois vigiles de la société Escort sont blessés,
pris par surprise. Leurs armes de calibre 12 ne
font pas le poids face aux kalachnikovs.
Deux assaillants, selon les témoignages recueillis, armés de fusils d’assaut et de grenades, s’engouffrent dans le hall et abattent un
vigile et un Russe travaillant pour une société de fret aérien qui perdra dans l’attaque
cinq autres employés. « Sy ! Cours ! Des bandits sont là ! », hurle Viciantia à Abdoul. Le
barman reste pétrifié. « Je les ai entendus crier
“Allahou Akbar”. Quand ils sont arrivés vers
moi, ils m’ont dit : “Muslim ?” J’ai dit : “Yes.” Ils
ont bien regardé mon badge où est marqué
Abdoul et m’ont demandé de leur montrer
l’ascenseur. » Modibo Konaré, du « room service », raconte : « Ils m’ont trouvé dans ma cachette, ils ont tiré sur mon pied mais la balle
n’a fait que le frôler. Je ne comprenais pas ce
qu’ils disaient. Tellement j’avais peur, j’ai récité des sourates et ils ont eu pitié de moi. »
UN CARNAGE
Au restaurant, dès les premiers bruits, Sarah
Zongo, une serveuse, lance : « On nous attaque ! » Le maître d’hôtel ordonne alors au pâtissier, Ali Yazbeck, d’évacuer la dizaine de
clients par la cuisine qui mène à un couloir
permettant d’accéder à deux sorties de secours. Ils sont rattrapés au niveau d’un ascenseur par « un jeune Noir très mince », raconte
Ali Yazbeck depuis son lit d’hôpital. C’est un
carnage. A cet endroit seront retrouvées une
dizaine des vingt victimes – six Russes, six
Maliens (trois membres du personnel, deux
vigiles et un gendarme), trois Chinois, deux
Belges, une Américaine, un Israélien et un Sénégalais –, de cet attentat revendiqué le jour
même par Al-Mourabitoune, le groupe du djihadiste Mokhtar Belmokhtar, et deux jours
plus tard par le Front de libération du Macina,
un mouvement également djihadiste dont les
actions se concentrent dans le centre du Mali.
L’OPÉRATION
A ÉTÉ PÉRILLEUSE.
SELON DES SOURCES,
DEUX OU TROIS
SOLDATS FRANÇAIS
ONT ÉTÉ BLESSÉS.
L’UN D’EUX
A EU LA VIE SAUVE
GRÂCE À SON CASQUE
EN KEVLAR
Hawa Soumaré Dembélé, une serveuse, est
abattue à quelques mètres de là en tentant de
se cacher dans le bureau du chef cuisinier. Un
client belge est tué dans un couloir près de sa
chambre. Un vigile dans les étages. Jamais les
assaillants qui sillonnent l’hôtel n’ont tenté
de prendre des otages.
Peu après 7 heures, l’alerte est donnée au
commissariat le plus proche. Quinze à
vingt minutes plus tard, les premiers policiers arrivent. Très vite, le périmètre de l’hôtel est bouclé. Les unités d’élite de la police,
de la gendarmerie, de la garde nationale sont
mobilisées mais « j’ai aussitôt pensé à une série d’attaques comme à Paris, alors j’ai gardé
deux de mes trois groupes en réserve », confie
le commandant Boubacar Diawara, le chef
du peloton d’intervention de la gendarmerie
nationale, qui a coordonné l’assaut mené par
« toutes les unités d’élite maliennes avec l’appui de forces alliées », insiste-t-il. Au moins
quatre soldats des forces spéciales américaines, des officiers de sécurité des Nations
unies, les deux gendarmes français qui
étaient dans l’hôtel et deux policiers français
sont venus prêter main-forte.
DES FORCES SPÉCIALES FRANÇAISES
Les premiers pénètrent dans les lieux environ une heure trente plus tard. Tamba Diarra,
le maître d’hôtel, qui est arrivé à s’échapper
avec un client, raconte avoir servi de guide
alors que les forces ne connaissent ni le nombre d’assaillants ni la configuration de l’établissement. « Les informations contradictoires sur le nombre de terroristes dans l’hôtel
nous ont perturbés pendant toute l’opération », affirme le commandant Diawara.
A 8 h 30, le président Ibrahim Boubacar
Keïta, qui est alors au Tchad, donne son accord à l’ambassadeur de France pour que les
forces spéciales françaises, postées au Burkina Faso, viennent appuyer les unités maliennes. La quarantaine de soldats français
arrive sur les lieux du siège aux environs de
13 heures. Le ministre de la sécurité, Salif Traoré, est sur place pour superviser l’opération.
A l’intérieur, l’inspecteur Michel Kamaté, le
chef de section du Groupe d’intervention de la
police nationale, raconte que les premiers
échanges de feux ont débuté vers 11 h 15.
« Quand nous avons progressé dans le nouveau bâtiment pour nous rendre au 3e étage, on
a reçu des tirs depuis les escaliers. Nous avons
riposté. Vers midi, les deux terroristes étaient
fixés sur un palier entre le 2e et le 3e, explique le
colosse. La stratégie était de les affaiblir physiquement et d’épuiser leurs munitions. Nous
étions à 5 mètres d’eux. On les entendait crier
“Allahou Akbar” et parler en anglais. »
« Le manque de moyens adéquats, les boucliers pare-balles qui ne résistent pas au
combat rapproché ont ralenti notre action »,
ajoute le commandant Diawara. D’après les
informations du Monde, les forces maliennes ont demandé des grenades qu’elles n’ont
jamais reçues. Pour l’assaut final, celles-ci se
sont divisées en deux groupes. Un premier
est resté en dessous des deux assaillants pendant qu’un second, auxquels se sont jointes
les forces spéciales françaises, a effectué une
manœuvre de contournement à travers le
troisième étage. « A un moment, nous avons
ouvert une porte en passant par un débarras
et là ça a défouraillé », raconte le commandant Diawara, toujours sous le choc de la
mort d’un de ses hommes.
Comment ont été tués les deux assaillants ?
Par la police, la gendarmerie, les forces spéciales françaises ? Les versions divergent.
Une chose est sûre, l’opération a été particulièrement périlleuse. Selon des sources, deux
ou trois soldats français ont été légèrement
blessés. L’un d’eux a eu la vie sauve grâce à
son casque en Kevlar.
Autour de l’hôtel, avant même la fin de l’opération, des courageux, des curieux, des patriotes sont venus encourager les forces de l’ordre.
« Vive le Mali ! » a scandé la foule. Depuis début
2012 et la dernière rébellion dans le nord du
pays qui a précipité la chute du régime déliquescent d’Amadou Toumani Touré, la prise
de contrôle du nord du pays par des groupes
liés à Al-Qaida, puis l’intervention militaire de
la France, une large partie des Maliens a le sentiment d’avoir enduré une succession d’humiliations. Alors en cet instant où des forces
maliennes sont en première ligne face aux
djihadistes, la fierté nationale est revigorée.
Les djihadistes tiennent également leur
victoire. « Leur objectif était de faire le maximum de victimes puis d’affronter le plus longtemps possible les forces de l’ordre, analyse
une source sécuritaire. En ce sens, ils ont pleinement réussi. » p
cyril bensimon
international | 3
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DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
L’opposition syrienne troublée par le virage de Paris
La France va coopérer avec Moscou contre l’EI et peut-être à terme avec l’armée syrienne
L
a suggestion inédite faite,
vendredi 27 novembre,
par le ministre français
des affaires étrangères,
Laurent Fabius, d’associer l’armée
syrienne à la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI), a jeté le
trouble. Pour lutter contre l’EI, « il
y a deux séries de mesures : les
bombardements (…) et des forces
au sol, qui ne peuvent pas être les
nôtres, mais qui peuvent être à la
fois des forces de l’Armée syrienne
libre [l’opposition modérée], des
forces arabes sunnites et, pourquoi
pas, des forces du régime et des
Kurdes également bien sûr », a déclaré M. Fabius à la radio RTL.
Au lendemain de la rencontre à
Moscou du président François
Hollande avec son homologue
Vladimir Poutine, pour discuter
de la formation d’une coalition
unique contre l’EI, l’allusion du
chef de la diplomatie française a
été interprétée comme un revirement français vis-à-vis de Bachar
Al-Assad. Et une concession ma-
jeure à la Russie, qui tente de présenter son protégé comme « un
allié naturel dans la lutte contre le
terrorisme ». C’est en tout cas ce
qu’a dit comprendre le ministre
syrien des affaires étrangères, Walid Mouallem, qui s’est exclamé :
« Mieux vaut tard que jamais ! »
« Si Fabius est sérieux concernant
l’idée de travailler avec l’armée syrienne et avec les forces sur le terrain qui combattent Daech [acronyme arabe de l’EI], alors nous saluons cette position », a-t-il ajouté
depuis Moscou.
Pour couper court à la polémique, M. Fabius a précisé sa pensée.
Certes, a-t-il rappelé dans un communiqué, « la coopération de tous
contre Daech est notre principal
objectif », mais une participation
de l’armée syrienne à la lutte contre l’EI, si elle est « souhaitable »,
ne peut être envisagée que « dans
le cadre d’une transition politique
crédible ». « La position française
est inchangée. Le cadre qui s’impose est le processus de Vienne. Il
Le pape contre la
corruption et le tribalisme
A Nairobi puis à Kampala, François a appelé
les dirigeants africains à la probité
nairobi, kamapala envoyée spéciale
J
oignant le geste à la parole, le
pape François a saisi la main
des deux jeunes gens qui
l’avaient précédé à la tribune,
dans le stade Kasarani de Nairobi,
et les quelque 40 000 jeunes Kényans qui se pressaient dans les
gradins l’ont aussitôt imité. « Prenons-nous tous par la main. Vaincre le tribalisme est un travail de
tous les jours, du cœur et aussi de la
main », leur a lancé le chef de
l’Eglise catholique en leur faisant
scander comme un seul homme,
vendredi 27 novembre : « Nous
sommes tous une même nation ! »
Quarante mille jeunes aux anges, et le président kényan contraint de se prêter au jeu. Uhuru
Kenyatta a été très présent tout au
long de la visite du pape dans son
pays. En l’espace de quatre mois,
c’est, après Barack Obama en
juillet, le second hôte de marque
auprès de qui il peut s’afficher.
Mais il a dû écouter stoïquement
les fermes propos du pontife argentin et les préoccupations de la
jeunesse.
« L’un des problèmes que nous
rencontrons est le tribalisme, avait
ainsi lancé au micro Lynette
Wambui, une responsable du service jeune de l’Eglise. Notre diversité parfois nous divise. On vote
souvent pour quelqu’un en fonction d’où il vient, non pas de ce qu’il
dit. » « Il y a plus de divisions ethniques qu’auparavant », regrettait,
sur la pelouse, Julius Kofa, enseignant de 27 ans originaire de
Mombasa. L’ombre des divisions
ethniques a plané sur les violences post-électorales de 20072008, qui avaient fait plus de 1 300
morts, et à propos desquelles
Uhuru Kenyatta a été un temps
accusé de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI) avant l’abandon des
poursuites en décembre 2014.
Corruption
Le pape Jorge Bergoglio, qui,
comme souvent devant des jeunes, a préféré l’improvisation à
son discours écrit, est entré de
plain-pied dans la politique kényane par un deuxième sujet de
mécontentement de son jeune
public : la corruption. « La corruption, leur a répondu François, c’est
comme le sucre : doux sur la langue, facile à manger, mais après ça
finit mal, on devient diabétique. Un
pays entier peut être diabétique. S’il
vous plaît, ne prenez pas goût à ce
sucre qui s’appelle corruption ! » Le
pontife argentin a reconnu au passage que « même au Vatican, il y a
des cas de corruption ».
Et peut-être encore ailleurs. Vendredi soir, le président ougandais,
Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986 et candidat à un nouveau mandat aux élections de février 2016, a accueilli à son tour le
chef de l’Eglise catholique pour la
deuxième étape de sa visite en
Afrique. Reçu à la présidence, tandis que des milliers de personnes
attendaient son passage dans les
rues de Kampala, le pape a appelé
son hôte « à administrer [les ressources du pays] comme des gestionnaires responsables ». La « vérité », la « justice » et la « réconciliation », a-t-il ajouté, sont « particulièrement requises chez des
hommes et des femmes comme
vous, qui sont chargés d’assurer la
bonne et transparente gestion, le
développement humain intégral,
une large participation à la vie nationale, ainsi qu’une distribution
sage et juste des biens ». p
cécile chambraud
Contre le djihadisme, le pape demande
des écoles et des emplois
Interrogé par des jeunes Kényans, vendredi 27 novembre, sur les
raisons qui peuvent pousser certains de leurs contemporains à se
radicaliser et à commettre des attentats, le pape François leur a
conseillé de « poser la question aux autorités ». « Si un jeune n’a
pas de travail et ne peut pas étudier, a-t-il interrogé, que peut-il
faire ? Devenir délinquant, dépendant, se suicider, s’enrôler… Pour
éviter qu’un jeune soit recruté, il lui faut une éducation et du travail. » Selon le chef de l’Eglise catholique, le radicalisme « dépend
d’un système international injuste, qui met au centre non la personne, mais le dieu argent ».
« Si la France
fournit des
informations aux
Russes, ils vont
s’empresser
de bombarder
l’opposition »
SALAM KAWAKIBI
politologue syrien
doit aboutir à la formation d’un
gouvernement d’union nationale
qui aura les pleins pouvoirs et le
contrôle des forces syriennes, à la
fois l’armée syrienne et l’Armée syrienne libre », précise une source
diplomatique.
Les pourparlers engagés à
Vienne, fin octobre, entre les
principaux acteurs internationaux du conflit ont abouti à une
feuille de route qui prévoit des
élections dans un délai de dix-
huit mois. Ils achoppent encore
sur la question du sort de Bachar
Al-Assad. Vendredi, M. Fabius a
répété que le président syrien,
principal responsable dans la
guerre qui a fait plus de
250 000 morts en cinq ans, ne
pouvait pas « faire partie de l’avenir de la Syrie ». Il a toutefois semblé concéder à la Russie et à l’Iran,
autre allié de Damas, que le président syrien pourrait participer au
scrutin. « Il n’y a aucune chance, si
l’élection est régulière, que Bachar
soit élu », a-t-il estimé.
« Patriotisme sécuritaire »
Ces précisions n’ont pas levé les
craintes de l’opposition syrienne.
« La crise syrienne est désormais
uniquement envisagée à l’aune des
attentats de Paris du 13 novembre.
Il n’y a pas de vision ni de stratégie.
L’heure est au patriotisme sécuritaire. On est allé trop loin dans la
réaction, sans réflexion et sans
analyse, juste pour taper du poing
sur la table », critique Salam Kawa-
kibi, politologue syrien et directeur adjoint du cercle de réflexion
Arab Reform Initiative.
A Paris, on reconnaît une volonté de « revenir dans un jeu coopératif » avec la Russie. « Il faut
donner de l’attraction au processus de Vienne, que chacun fasse
bouger les curseurs dans le bon
sens », ajoute une source diplomatique. On salue les concessions
faites par Moscou. Jeudi, M. Poutine a accepté la proposition de
M. Hollande de « frapper Daech et
non ceux qui le combattent ;
d’échanger en conséquence des informations détenues par les Russes, qui ont eux-mêmes des contacts avec l’armée syrienne ; et
qu’on leur communique les zones à
ne pas bombarder, ainsi que les positions occupées par Daech, qui
sont, elles, à bombarder et à détruire », souligne-t-on dans l’entourage du président Hollande.
L’engagement de la France à
fournir à Moscou une « carte des
forces qui ne sont pas terroristes et
qui combattent Daech » pour que
l’aviation russe arrête de bombarder la rébellion modérée, annoncé vendredi par M. Fabius, n’a
fait qu’accentuer les craintes de
l’opposition syrienne. « Ce serait
gravissime que la France fournisse
des informations, si elle en possède, au régime syrien et aux Russes. Ils vont s’empresser de bombarder l’opposition. Ce serait de la
naïveté politique et militaire que
de tomber dans ce piège », réagit
Salam Kawakibi.
A Paris, on s’accorde à dire qu’il
« faut au préalable vérifier sur le
terrain que les Russes ne continuent pas à se livrer à des frappes
contre les civils et l’opposition armée ». « C’est un processus où l’on
n’est pas seul, qui suppose une coalition de tous les efforts possibles,
souligne une source diplomatique. Le travail de cartographie de
l’opposition et des groupes terroristes entre dans la logique entérinée à Vienne. » p
hélène sallon
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DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Face à l’UE,
Erdogan savoure
sa revanche
Bruxelles courtise Ankara,
en pleine dérive autoritaire,
afin d’endiguer l’afflux de réfugiés
istanbul - correspondante
L
e président Recep Tayyip
Erdogan ne sera pas présent au sommet TurquieUnion européenne (UE),
dimanche 29 novembre à Bruxelles, avec pour but de finaliser le
plan d’action que les Vingt-Huit
souhaitent conclure avec Ankara.
Il s’agit de convaincre la Turquie,
qui héberge plus de 2 millions de
réfugiés syriens sur son sol, d’empêcher leur départ vers l’Europe.
Depuis son fastueux palais à Ankara, le numéro un turc aura tout
le loisir de savourer à distance la
volte-face de la vieille Europe,
prête à se courber bien bas pour
faire de la Turquie sa zone tampon. Il n’est pas sans savoir que
l’adhésion réclamée par son pays
depuis cinquante-deux ans n’est
qu’un mirage, la plupart des Etats
membres de l’UE y étant opposés.
L’homme aime à se gausser des
frayeurs de la famille européenne, « qui panique pour
300 000 réfugiés tandis que la Turquie en accueille 2 millions et
demi ». « Certains disent : on va accepter 30 000 ou 40 000 réfugiés
et après, pour une raison qui
m’échappe, on les présente comme
des candidats au Nobel alors que
nous en avons accueilli 2,5 millions
mais personne ne s’en soucie »,
avait-il déclaré le 16 octobre à l’occasion d’une réunion préparatoire du G20. Une allusion au fait
que la chancelière allemande, Angela Merkel, saluée pour sa politique généreuse envers les réfugiés
syriens, avait été nominée pour le
prix Nobel de la paix 2015.
Scepticisme
Représentée dimanche par son
premier ministre, Ahmet Davutoglu, la Turquie espère une aide
substantielle de l’UE et insiste
pour une relance de ses négociations d’adhésion, doublée d’un
assouplissement du régime de visas pour ses citoyens.
Il faut dire que la Turquie, avec
ses 76 millions d’habitants, est
l’unique candidate à l’adhésion à
qui l’UE refuse ce privilège, accordé par ailleurs à l’Azerbaïdjan
et à l’Ukraine.
Les discussions s’annoncent difficiles. Un accord-cadre a bien été
défini, mais les Vingt-Huit continuent de se chamailler sur le volet
financier – une enveloppe de
3 milliards d’euros. D’aucuns rechignent à mettre la main à la poche tant ils sont sceptiques sur la
réelle volonté d’Ankara d’endiguer
Ankara et Moscou à couteaux tirés
En pleine guerre des mots avec Vladimir Poutine depuis la destruction d’un bombardier russe par des chasseurs turcs, le 24 novembre, le président turc Erdogan a souhaité, vendredi 27 novembre, une « rencontre en face-à-face » en marge du sommet de
la COP21, dimanche à Paris. « Je ne voudrais pas que ce problème
nuise à nos relations », a-t-il conclu. Moscou exige des excuses, ce
que M. Erdogan a exclu. « Nous recommandons à la Russie de ne
pas jouer avec le feu », a-t-il prévenu, jugeant « inacceptables » les
allégations russes sur les liens de son pays avec l’organisation
djihadiste Etat islamique.
Le président turc,
Recep Tayyip Erdogan,
et la chancelière
allemande, Angela
Merkel, à Antalya
(Turquie),
le 16 novembre. AP
le flux des réfugiés. Les dirigeants
turcs campent sur leurs positions :
ils ne veulent toujours pas entendre parler des centres de tri et
d’enregistrement que les Européens cherchent à leur imposer.
650 000 personnes ont gagné
les îles grecques via la Turquie ces
derniers mois et le sentiment à
Bruxelles est qu’Ankara ne fait pas
grand-chose pour les retenir. La
Turquie a-t-elle les moyens de
mettre des garde-côtes jour et
nuit dans chacune de ses criques
de la mer Egée ?
La Grèce, qui possède 15 021 kilomètres de côtes, a reconnu récemment que l’exercice était impossible. « Ce problème n’est pas seulement celui de la Turquie et de la
Grèce. L’Europe devrait prendre ses
responsabilités (…) », a souligné le
premier ministre grec, Alexis Tsipras, en visite à Ankara le 18 novembre pour discuter d’une action conjointe turco-grecque.
La relance du processus d’adhésion promise à la Turquie ne va
pas de soi. L’ouverture du chapitre 17 (économie et politique financière) doit donner lieu à des
discussions à la mi-décembre,
alors que le nouveau gouverne-
« Alors qu’Ankara
s’est éloigné
des critères
d’adhésion à l’UE,
on nous explique
qu’il faut rouvrir
les négociations »
AHMET INSEL
économiste turc
ment turc, issu des législatives du
1er novembre, remet en question
l’indépendance de la Banque centrale. Voici des mois que son directeur, Erdem Basci, est tancé
par M. Erdogan pour réduire les
taux d’intérêts.
L’UE se montre on ne peut plus
conciliante envers M. Erdogan au
moment où celui-ci est en pleine
dérive autoritaire. Jeudi 26 novembre, les journalistes Can Dündar et Erdem Gül, deux plumes
respectées du quotidien d’opposition Cumhuriyet, ont été mis en
examen et écroués à la prison de
Silivri d’Istanbul pour avoir diffusé une vidéo, des photographies et des articles démontrant
les livraisons d’armes effectuées
en 2014 par les services secrets
turcs (MIT) aux rebelles syriens.
Trente journalistes purgent actuellement des peines de prison
et plusieurs centaines sont sous le
coup de poursuites pour « insulte
à la personne du président », au titre de l’article 299 du code pénal.
« Hypocrisie »
Dans son rapport annuel d’évaluation, la Commission européenne n’a d’ailleurs pas manqué
de souligner « un sérieux retour en
arrière ces deux dernières années », citant, entre autres, « l’entrave au principe de séparation des
pouvoirs » ainsi que « les pressions
politiques subies par les juges et les
procureurs ».
La politique étrangère menée
par Ankara est une autre source
potentielle d’instabilité, surtout
depuis la destruction par l’aviation turque, le 24 novembre, d’un
chasseur bombardier russe qui
avait pénétré dans l’espace aérien
du pays au-dessus de la région du
Hatay, non loin de la Syrie. Cet incident, le plus sérieux jamais intervenu entre la Russie et un membre
de l’OTAN, rend encore plus hasar-
deuse la perspective d’une résolution du conflit syrien, à l’origine du
problème des réfugiés.
« La Turquie remplissait davantage les critères d’adhésion il y a
cinq ou six ans. Aujourd’hui, alors
qu’elle s’en est éloignée, on nous
explique qu’il faut rouvrir les chapitres de négociations. L’UE apparaît comme totalement hypocrite
dans cette histoire », estime l’économiste Ahmet Insel.
L’unique raison d’espérer vient
peut-être de Chypre, l’île divisée
depuis 1974, où les négociations
intensives ont repris. Cinq rencontres ont eu lieu en novembre
entre Moustafa Akinci, le leader
de la République turque de Chypre-Nord (non reconnue par la
communauté internationale) et
le président chypriote grec, Nicos
Anastasiades. Trois autres sont
prévues en décembre.
Le temps presse car l’accord de
réadmission que la Turquie s’est
engagée à appliquer dès juin 2016,
en échange d’un assouplissement
sur les visas pour ses citoyens,
suppose qu’Ankara reconnaisse la
République de Chypre, ce qui est
loin d’être gagné. p
marie jégo
Israël ouvre sa première représentation
diplomatique à Abou Dhabi
Les pays du Golfe et l’Etat hébreu partagent la même crainte d’une hégémonie iranienne
jérusalem - correspondant
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n diplomatie, les petits pas
comptent lorsqu’ils semblent dessiner un mouvement. Israël aura, pour la première
fois de son histoire, un représentant officiel à Abou Dhabi, la capitale des Emirats arabes unis. L’information, révélée par le quotidien Haaretz vendredi 27 novembre, a été confirmée au Monde par
le ministère des affaires étrangères. Il ne s’agira pas à ce stade d’une
ambassade, mais d’un représentant auprès d’un organisme dont
le siège se trouve à Abou Dhabi :
l’Agence internationale pour les
énergies renouvelables (Irena).
Le directeur général du ministère des affaires étrangères israélien, Dore Gold, s’est rendu sur
place cette semaine pour finaliser
cette ouverture, qui était en discussion depuis plusieurs années.
En janvier 2009, Israël avait soutenu la candidature des Emirats,
aux dépens de l’Allemagne, pour
accueillir le siège de l’Irena, à la
condition que soit envisagé sur
place un bureau diplomatique.
L’Etat hébreu sera le seul membre
de l’Irena à dépêcher un représentant permanent sans avoir par
ailleurs d’ambassade dans le pays.
« On a déjà eu dans les années 1990
des présences non officielles dans
les pays du Golfe. Là, il s’agit d’un
diplomate accrédité, c’est un geste
important », souligne-t-on au ministère. A l’heure actuelle, Israël ne
dispose d’une ambassade que
dans deux pays de la région, la Jordanie et l’Egypte, avec lesquels elle
a signé un traité de paix.
« Diplomatie champignon »
Cette présence inédite à Abou
Dhabi est annoncée alors que les
dirigeants israéliens n’ont cessé,
ces derniers mois, d’insister sur
une convergence de vues et d’intérêts avec les pays arabes de la région, qui ont traditionnellement
considéré Israël comme un Etat
ennemi. Ces pays restent très critiques au sujet de la question palestinienne, totalement embourbée. Mais d’autres priorités ont
émergé. Les échanges sur le plan
sécuritaire se sont intensifiés.
« Nos contacts avec les Etats sunni-
tes pragmatiques sont plus forts
que jamais, soulignait il y a quelques jours un haut responsable israélien. Il s’agit d’une révolution silencieuse, d’une diplomatie champignon. Les champignons poussent dans le noir. Si on allume, leur
croissance sera perturbée. »
L’un des rares signes publics de
cette convergence a été la poignée
de main à Washington, début juin,
entre Dore Gold et Anwar Eshki,
ancien général et conseiller de
haut rang du régime saoudien. Les
deux hommes s’exprimaient devant le cercle de réflexion Council
on Foreign Relations. Anwar Eshki
a cité comme objectif majeur la
Aujourd’hui, Israël
ne dispose d’une
ambassade que
dans deux pays
de la région :
la Jordanie
et l’Egypte
normalisation des relations avec
Israël, en rappelant la pertinence
de l’initiative de paix arabe (2002)
sur la question palestinienne, à laquelle l’Etat hébreu n’a jamais formellement répondu.
Cette nouvelle donne est due à la
menace représentée par l’organisation Etat islamique, mais aussi
aux ambitions de l’Iran après l’accord sur son programme nucléaire signé en juillet. Les puissances sunnites s’inquiètent de
son implication en Syrie pour sauver le régime.
Elle ne passe plus seulement par
son sous-traitant, le Hezbollah libanais, mais par une présence militaire directe sur le terrain. Si le
premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a cessé de parler
en boucle de la « menace existentielle » que représenterait l’Iran
pour Israël depuis son discours à
l’ONU en septembre, il n’a pas
pour autant changé de grille
d’analyse. Le premier ministre
partage l’inquiétude de Riyad ou
du Qatar sur les prétentions hégémoniques de Téhéran. p
piotr smolar
planète | 5
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DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
M. Fabius: «Le succès de la COP21 est à notre portée»
Le ministre des affaires étrangères préside la conférence de Paris sur le climat, qui s’ouvre officiellement lundi
ENTRETIEN
D
ans une interview accordée à plusieurs
journaux européens,
le ministre des affaires
étrangères, qui présidera la COP21
à partir du 30 novembre, détaille
les derniers obstacles à franchir.
Les chefs d’Etat et de gouvernement vont s’exprimer lundi
30 novembre, lors de la journée inaugurale de la COP21.
Pourrez-vous compter sur leur
mobilisation ?
Près de 150 chefs d’Etat et de gouvernement ont prévu de venir et
de prendre la parole : c’est la manifestation diplomatique la plus
vaste jamais organisée en France.
Non seulement nous n’avons pas
eu de désistement à cause de la
tourmente liée au 13 novembre,
mais beaucoup ont eu à cœur de
venir compte tenu des circonstances. La lutte contre le dérèglement
climatique et la lutte contre le terrorisme sont deux des principaux
défis du XXIe siècle.
L’Inde plaide pour un fort engagement des pays riches au
nom de la « justice climatique ». Comment dépasser ce
clivage Nord-Sud ?
La bonne approche me paraît
consister à respecter le mandat qui
nous a été donné à Durban
[en 2011] ainsi que l’historique des
négociations, et à avancer chapitre
par chapitre. En matière de financement climatique par exemple, la
différenciation est prégnante :
c’est aux pays riches de contribuer
à l’effort pour aider les pays en développement à faire face au réchauffement, même si, comme on
le voit avec la Chine, une coopération Sud-Sud est aussi possible
dans ce domaine. L’impératif de
transparence et de suivi des engagements me semble pouvoir s’appliquer, lui, aux pays riches et aux
pays en développement, même s’il
peut être aménagé pour ces derniers. Ce sera aux négociateurs de
trancher. L’accord de Paris doit
être différencié, universel, juridiquement contraignant, durable,
dynamique et, pour reprendre
l’expression du premier ministre
indien Modi, juste.
Quelle portée juridique pourrait avoir un accord, alors que
les Etats-Unis sont opposés à
un texte « juridiquement contraignant » ?
J’en avais déjà parlé avec le secrétaire d’Etat John Kerry, lorsqu’il
avait donné une interview [au Financial Times, le 11 novembre] qui
avait soulevé une certaine émotion et une réaction assez vive no-
« Ma tâche est
d’écouter chacun,
de préserver
un haut niveau
d’ambition
et de faciliter
les compromis »
tamment de la France. L’accord
doit être juridiquement contraignant. S’agira-t-il d’un traité ? On
sait que cette dénomination poserait un problème américain
puisqu’il devrait être examiné par
le Congrès [majoritairement républicain]. Et un accord à Paris, qui
serait récusé par les autorités chinoises, américaines ou indiennes,
perdrait évidemment de sa force.
Les contributions des pays à la
lutte contre le réchauffement
n’auront, en revanche, pas de
portée contraignante…
Ces contributions nationales
sont un élément nouveau et, dans
l’ensemble, positif. Nous en sommes à 180 contributions nationales, représentant plus de 94 % des
émissions mondiales de gaz à effet
de serre. Lorsque cette idée avait
été précisée il y a un an à la conférence de Lima, peu d’entre nous
imaginaient qu’on atteindrait un
tel niveau au moment de débuter
la COP21. Le fait qu’autant d’Etats
soient entrés dans une démarche
de mise à plat de leurs objectifs climat et de projection dans le futur
est porteur de progrès.
Les chiffres sont des objectifs.
Lorsqu’on additionne toutes ces
contributions, on évite le scénario catastrophe du schéma de
l’inaction dressé par le GIEC, 4 °C,
5 °C, voire 6 °C, mais nous ne sommes pas encore, pour autant, à
2 °C ou 1,5 °C, qui est l’objectif recherché. Une disposition importante sera donc de prévoir des
clauses de rendez-vous – certains
disent tous les cinq ans – permet-
« L’accord
de Paris doit être
différencié,
universel,
juridiquement
contraignant
et juste »
tant aux pays de revoir leur contribution vers le haut.
Comment intégrer la communauté internationale tout entière à ce processus, les pays
pétroliers par exemple, qui
doivent changer de modèle de
développement ?
Les contributions de ces pays
sont diverses, c’est un fait. Il faut
maintenir l’objectif – une décarbonation progressive de l’économie, un développement soutenable mais à partir de l’existant. Il
faut tenir compte des réalités actuelles de ces pays, dont les ressources viennent à 80 % ou 90 %
du pétrole ou du gaz, et évoluer.
Cette évolution se manifeste par
un engagement parfois massif
vers les énergies renouvelables.
Samedi 5 décembre vous sera
remis le texte des négociateurs. Que se passera-t-il si, à
cette date, un accord n’est pas à
portée de vue ?
Je n’ai pas un texte tout prêt à
sortir de ma poche, mais la présidence française de la COP21 ne sera
évidemment pas inactive. Je rencontrerai les différents groupes et
facilitateurs. Ma tâche, en tant que
président de cette conférence, est
d’écouter chacun, de préserver un
haut niveau d’ambition pour l’accord et de faciliter les compromis.
C’est autour de ces trois notions
que l’on pourra bâtir un succès. Il
est à notre portée, mais il n’est pas
encore acquis.
L’OCDE a estimé à 62 milliards
de dollars (58,5 milliards
d’euros) par an les financements
Nord-Sud en 2014. Les subventions aux énergies fossiles sont
bien plus considérables…
L’OCDE souligne aussi qu’il faudrait réduire, peut-être même supprimer, les subventions aux énergies fossiles. Dans les débats
autour de la COP21, la question de
la tarification du carbone sera
aussi abordée. L’accent doit être
mis sur les énergies décarbonées,
en tenant compte des circonstances nationales et en rappelant que
l’objectif est un développement
soutenable. En soulignant aussi
que l’enjeu climatique n’est pas
seulement une contrainte, mais
aussi une immense opportunité.
La Chine est ainsi devenue la première puissance du monde dans le
solaire. Dans le cas africain, où la
disponibilité électrique est encore
faible, des progrès énergétiques rapides sont possibles et peuvent
fournir une formidable occasion
de croissance durable. C’est tout
cela que la conférence abordera. p
propos recueillis par
simon roger
Paris
paralysé
Circulation Il sera très difficile de circuler en région parisienne les dimanche 29 et
lundi 30 novembre, jours d’arrivée des quelque 150 chefs
d’Etat et de gouvernement à
la COP21, qui débute officiellement lundi, au Bourget (Seine-Saint-Denis). Pour éviter
les embouteillages, la Préfecture de police conseille d’éviter de circuler en voiture.
Axes fermés Plusieurs axes
seront fermés à la circulation
dimanche, de 16 heures à
22 heures : l’A6a d’Orly à Paris
(prendre l’A6b), l’A1 de Roissy
à Paris (prendre l’A3) et les périphériques, extérieur de la
porte de la Chapelle à la porte
de Saint-Cloud et intérieur de
la porte d’Orléans à celle de
Saint-Cloud, ainsi que la voie
sur berge jusqu’à la Concorde
seront fermés. Un dispositif
semblable sera mis en place
lundi de 6 heures à 21 heures.
RER, métro… Alors que la Région et la Ville de Paris ont décidé la gratuité des transports
en commun (du dimanche
midi au lundi minuit), la Préfecture de police déconseille
d’emprunter le réseau pour
éviter sa saturation.
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DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
En haut et de gauche à droite.
Dans la province de Jambi, sur
l’île de Sumatra, une usine de
production d’huile de palme.
Des enfants Orang Rimba
devant leur habitat de fortune.
En Indonésie,
la forêt assassinée
L’été, des incendies criminels ravagent la jungle de Sumatra au profit
des industriels de l’huile de palme, du caoutchouc ou du bois.
Une catastrophe écologique qui ronge le territoire des Suku Anak Dalam
PARIS CLIMAT 2015
REPORTAGE
harold thibault
photos : rony zakaria pour « le monde »
provinces de jambi et riau (indonésie) envoyés spéciaux
cause des feux : ils permettent de faire place
nette à moindres frais pour de nouvelles plantations de palmiers à huile, d’hévéa à caoutchouc ou d’acacia à pâte à papier. « Pour préparer le terrain, c’est moins cher que de faire intervenir les pelleteuses », résume Rudi Syaf, responsable de la communication de Warsi, une
ONG basée à Jambi, principale ville de la région du même nom, l’une des plus touchées
par la déforestation.
« LA FORÊT EST TOUT POUR NOUS »
En 1982, cette province de 5 millions d’hectares (ha) comptait 4,18 millions d’hectares de
jungle, « presque tout Jambi en était couvert ».
En 2014, c’était un peu moins de 2,1 millions
d’hectares. Même ce dernier chiffre est trompeur, car 963 000 ha relèvent en fait de la forêt
dite « de production », capable de se renouveler en théorie, mais rarement dans les faits, et
258 000 ha sont destinés à « l’exploitation limitée », c’est-à-dire qu’on n’y coupe que les troncs
d’un diamètre supérieur à 60 cm. En fait, seuls
864 000 ha sont inclus dans des parcs nationaux ou régionaux, eux-mêmes loin d’être
exempts d’incursions de l’agro-industrie.
VIETNAM
PHILIPPINES
BRUNEI
Océan
Pacifique
MALAISIE
MALAISIE
Pekanbaru
SU
Riau
BORNÉ
O
M
AT
RA
Il fut un temps, pas si lointain, où
les Suku Anak Dalam pouvaient
encore tomber nez à nez avec un tigre dans la forêt vierge. De cette période, Pagbu, l’un des chefs de famille de la
tribu, tire un conseil : en cas de rencontre avec
le grand félin, prendre ses jambes à son cou, de
préférence avant qu’il ne vous remarque. En
réalité, ces chasseurs-cueilleurs ne croisent
plus aujourd’hui le prédateur dont l’habitat, qui
est aussi le leur, s’est réduit à peau de chagrin.
Sous les coups des industriels de l’huile de
palme, du bois et de la papeterie, la jungle
recule et un nombre croissant de familles vivent désormais au milieu d’une palmeraie.
Chaque été, des incendies d’origine criminelle réduisent en cendres des pans entiers de
la forêt de Sumatra, les fumées cédant place,
lorsque tombent les premières pluies, à
l’automne, à des paysages calcinés. Il suffit
alors de couper les souches noircies à la machette avant de pouvoir planter des palmiers,
et c’est ce que font Oyriya, 44 ans, et Rossita,
32 ans. « C’est comme ça chaque année, il est
beaucoup plus simple de couper lorsque ça a
brûlé », explique cette dernière.
Rossita n’y est pas pour grand-chose. Embauchée comme journalière pour un salaire
des plus modeste par une certaine Mme Anna,
elle a d’ailleurs elle aussi souffert de l’air irrespirable, comme tous les habitants de cette région du centre de Sumatra. Elle n’est qu’un
maillon d’une longue chaîne passant par de
puissants conglomérats qui savent se faire
entendre à Djakarta et se prolonge ensuite
dans l’industrie agroalimentaire jusque dans
les supermarchés occidentaux.
L’été 2015 aura été le plus meurtrier pour les
forêts des deux plus grandes îles d’Indonésie
que sont Bornéo et Sumatra. Les experts locaux jugent que ces fumées ont été pires encore que celles qui, en 1997, avaient déjà marqué tous les esprits. Les deux principaux aéroports du centre de Sumatra, dans les villes de
Pekanbaru et Jambi, ont dû fermer leurs portes pendant deux mois. Les brasiers indonésiens ont enfumé une bonne partie de l’Asie
du Sud-Est, plongeant Singapour, la Malaisie,
le sud de la Thaïlande, une partie des Philippines ou même Ho Chi Minh-Ville, au Vietnam,
dans un brouillard inextricable.
La sécheresse causée dans l’archipel par le
phénomène climatique El Niño à partir de juin
a amplifié ces incendies devenus hors de
contrôle. Selon l’agence Bloomberg, qui a compilé les données du World Resources Institute,
à Washington, et de l’Université libre d’Amsterdam, les émissions de dioxyde de carbone de
l’Indonésie ont dépassé celles des Etats-Unis
durant quarante-sept des soixante-quatorze
jours de crise jusqu’à la fin du mois d’octobre,
se plaçant même, pendant quatorze jours, devant la Chine, le premier pollueur mondial. A
quoi s’ajoute la réduction de la capacité de séquestration du carbone, conséquence du recul
des forêts. L’Indonésie est le 5e plus gros émetteur mondial de gaz à effet de serre.
La vie est devenue un enfer pour les habitants de la région. Plus de 503 874 cas d’infection respiratoire aiguë et dix décès, du fait de
maladies respiratoires ou d’accidents pendant les opérations d’extinction dans les
six principales provinces touchées au cours
de la crise, ont été recensés par l’Agence
indonésienne de gestion des catastrophes.
Les organisations non gouvernementale
(ONG) locales ne se font pas d’illusions sur la
Jambi
Océan
Indien
INDONÉSIE
Djakarta
J AVA
Parc national
de Bukit Duabelas
300 km
AUSTRALIE
La structure des plantations de palmiers à
huile favorise ces incendies. Un maillage de
canaux est nécessaire à l’irrigation, qui sont
également utiles au transport des grappes de
noix, mais ces voies artificielles se révèlent
trop larges et profondes, de sorte qu’elles restent vides pendant la saison sèche, explique
Rudi Syaf : « C’est un facteur majeur dans la
propagation des feux de forêt. »
Toute la région porte la marque de ces changements. Sur les routes, les convois de camions-citernes sortent remplis d’huile des raffineries et croisent en sens inverse des bennes
chargées de régimes de noix de palme, des
grappes piquantes qui peuvent peser une
bonne vingtaine de kilos. Ils doublent des Mobylette équipées de grands paniers métalliques
permettant d’aller chercher le fruit entre les
palmiers. Là, des indépendants s’activent, les
yeux toujours vers le haut, maniant une serpe
montée au bout d’un long manche leur permettant de couper les palmes et, ainsi, de laisser tomber les régimes au sol – leur art consistant à s’écarter avant cette dangereuse chute.
C’est cette réalité qui détruit le mode de vie
des Suku Anak Dalam. « La forêt est tout pour
nous », résume le chef Pagbu. Littéralement
tout, c’est-à-dire pas seulement le lieu de
chasse et le logement traditionnel de ces
semi-nomades qui déplacent leur campement à chaque décès. Elle est aussi leur religion, ces animistes enterrant le placenta de
leurs nouveau-nés au pied d’un arbre.
Problème, cette même forêt a été vendue en
blocs de concessions à de puissants industriels
de l’huile de palme, notamment à des succursales du conglomérat géant indonésien Sinar
Mas, qui a acquis des concessions à partir des
années 1980, sous le régime de Suharto, au
pouvoir pendant trente et un ans, jusqu’en 1998. Il en a exploité une partie directement, tandis que l’autre, restée en réserve, a finalement été confiée à des particuliers qui ven-
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DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
En bas,
de gauche
à droite :
une habitante
du village de Bukit
Suban portant
une grappe
de noix ;
des jardinières
de pousses
de palmier ;
un convoi d’huile
de palme.
dent au poids le fruit du palmier à huile aux
raffineurs qui en sortent la crude palm oil.
Ces indépendants sont originaires de Java,
qui abrite 140 millions des 255 millions d’habitants de l’Indonésie. Afin de contrôler la den­
sité de population de l’île, poumon économique et démographique du quatrième pays le
plus peuplé de la planète, et parce que Suharto
voulait à toute force donner une certaine cohérence à un archipel d’une grande diversité
ethnique et culturelle, il incita les populations
à migrer vers les îles étendues, mais périphériques, que sont Sumatra et Bornéo. Ces « transmigrants » se sont vu confier l’exploitation
des nouvelles palmeraies, ayant besoin à leur
tour de développer une activité économique.
LES CERFS SE FONT RARES
Aux yeux des migrants, les Suku Anak Dalam
sont des squatteurs. Ils se trouvent acculés à
un nomadisme bien éloigné, cette fois, de leur
tradition : tous les deux ou trois jours, les exploitants les somment de partir de leurs
concessions. Ils avancent alors de quelques kilomètres, pour qu’on les laisse en paix quel­
ques jours de plus. « Si nous prenons des grappes, les exploitants nous tombent dessus, ils disent que c’est du vol, même lorsqu’elles sont déjà
au sol, l’un de nous a eu le crâne ouvert lorsqu’il
a été battu », raconte Pagbu. Au vu du nombre
élevé de malades et de décès, la tribu est cer­
taine que l’eau de ses rivières est dangereuse­
ment polluée par les engrais des plantations.
Les hommes chassent toujours dans le parc
national de Bukit Duabelas, les « douze collines », et conservent leurs lance-pierres pour
les oiseaux, mais, ces dernières années, ils ont
troqué leurs lances contre des fusils, car, la forêt se rétrécissant, les cerfs se font très rares et
les sangliers plus méfiants. « En une semaine,
nous n’avons eu que deux sangliers. Avant, nous
en attrapions cinq pour une chasse à dix hommes », se lamente Meriyu, autre chef de famille.
Autour d’eux, une bonne trentaine d’hectares ont brûlé cette année, et rien ne semble
pouvoir endiguer ce recul. En 2008, les gouverneurs de province de Sumatra signaient un accord sur la préservation d’au moins 40 % de la
forêt de l’île mais, dès l’année suivante, Jambi
s’engageait plutôt sur 20 %. Et si, en 2010, la
province annonçait un moratoire sur la conversion de zones protégées en terrains exploitables, les contours de celui-ci ont, depuis, été
modifiés six fois. « Ces entreprises font en permanence du lobbying pour réduire les zones
sous moratoire, on a beau parler d’efforts, ils ne
sont pas appliqués », dit agacé Rudi Syaf.
En mai 2014, des chercheurs de l’université
du Maryland concluaient, dans la revue Nature Climate Change, après étude de photos satellite, que l’Indonésie a sacrifié six millions
d’hectares entre 2000 et 2012. Au cours de la
seule année 2012, 8 400 km2 de forêt ont été
coupés, dépassant pour la première fois le niveau du Brésil (4 600 km2 perdus en 2012). Et
40 % de cet abattage avait lieu dans des zones
où il était censément interdit ou restreint.
Ce recul est une source croissante de conflits. A Bungku, un autre village où vivent des
Suku Anak Dalam sédentarisés, un militant
local du nom de Pujiono est mort à l’hôpital, le
5 mars 2014, après avoir subi les coups des forces de sécurité alors qu’il manifestait pour demander la libération de Titus, un voisin arrêté
le même jour. Ce dernier exigeait, comme les
autres, la reconnaissance d’un droit ancestral
sur des concessions exploitées depuis les années 1980 par une entreprise locale, Asiatic
Persada. Celle-ci a longtemps été détenue par
un géant des de l’agro-industrie basé à Singapour, Wilmar, premier producteur d’huile de
palme de la planète, qui s’est débarrassé
d’Asiatic Persada, en 2013, du fait de son passif
d’expropriations et l’a cédée au groupe Ganda,
propriété du frère du cofondateur de Wilmar.
Un avocat engagé contre la déforestation,
Musri Nauli, membre d’une autre ONG indonésienne, Walhi, évoque un cas plus récent de
décès suspect. Fin février, un fermier, Indra
Pelani, a été frappé et emmené par la « force de
réaction rapide » de Wira Karya Sakti – ou
WKS, une plantation d’acacias –, alors qu’il se
présentait à un point de contrôle de la concession de ce fournisseur de pâte à papier détenu
par Asia Pulp & Paper, un géant de la papeterie
appartenant à Sinar Mas, l’un des principaux
conglomérats de l’archipel. M. Pelani était
entré en conflit avec les agents de sécurité au
sujet de photos de la communauté locale prises par ces derniers. On retrouva son cadavre
le lendemain, nu, les poings liés, des coups de
couteau portés à la nuque.
LUTTE POUR CHAQUE HECTARE DE FORÊT
« 20 % À 30 %
DES PARCS
NATIONAUX
SUBSISTENT
AUJOURD’HUI »
AFDHAL MAHYUDDIN
responsable du WWF
à Sumatra
Pour Musri Nauli, ces conflits sont hérités du
capitalisme de forte croissance, mais aussi des
copinages de l’ère Suharto. « Le gouvernement
ne se focalisait pas sur les droits fonciers des
habitants, mais sur ceux distribués aux entreprises », résume l’avocat. Me Nauli est partagé
sur les améliorations possibles. Sous la pression des consommateurs, certaines multinationales bougent. Unilever, premier consommateur d’huile de palme de la planète, s’est
engagé à n’utiliser, à la fin 2014, que des sources durables et traçables pour ses marques à
destination de l’Europe, et pour l’ensemble de
ses marchés mondiaux d’ici à 2020.
La crise des fumées, cette année, a suscité un
tel mécontentement dans les populations locales et les pays voisins, que Me Nauli espère
davantage d’attention de la part des autorités.
Avec d’autres juristes, il a engagé des poursuites contre dix-huit entreprises. Mais, d’expérience, il sait qu’elles sont quasi intouchables,
et il compare l’agitation de ces derniers mois à
un écho : « On l’entend et puis il disparaît. »
Cette lutte ardue pour chaque hectare de forêt est visible à Tesso Nilo, à dix heures de
route des « douze collines ». Dans cette réserve, une des plus riches de la planète par sa
biodiversité, vivraient des tigres et environ
150 éléphants. Ses 38 576 hectares ont été classés parc national en juillet 2004, et le World
Wildlife Fund (WWF) est parvenu, en octobre 2009, à convaincre le ministère des forêts
d’étendre la superficie protégée à 83 000 hectares, une victoire à l’époque, en y ajoutant
une concession encore inexploitée.
Mais Afdhal Mahyuddin, un responsable de
WWF à Sumatra, impliqué dans le programme
Eyes on Forest, qui rassemble trois ONG luttant contre la déforestation, se souvient que
c’est sous l’impulsion d’un des premiers producteurs de pâte à papier de la planète, Asia Pacific Resources International Holdings Limited, ou April, qu’avait été construite, au tournant des années 2000, une route avançant
loin dans ce territoire aujourd’hui protégé. Signe des temps, April s’est engagé en juin à cesser de contribuer à la déforestation. Pourtant,
grâce à cette route, la destruction du parc au
profit de plantations commerciales va toujours bon train, comme ailleurs dans le pays.
« Peut-être 20 % à 30 % des parcs nationaux subsistent à l’heure actuelle, c’était 50 % il y a seulement cinq ou six ans », constate M. Mahyuddin.
Du fait de la perte de leur territoire, les éléphants de Tesso Nilo sortent plus fréquemment de la forêt. Des villageois ayant abattu,
par le passé, des animaux qui s’en prenaient à
leurs habitations ou à leurs récoltes, le WWF a
dû créer une brigade de quelques éléphants,
apprivoisés, afin que les locaux se familiarisent avec l’animal, mais aussi pour repousser
les pachydermes sauvages vers leur habitat.
« Les empiétements sont de plus en plus étendus et les ONG ne peuvent qu’accompagner,
l’action doit venir des forces de l’ordre », regrette Afdhal Mahyuddin. Cette année encore,
4 000 ha de forêt sont partis en fumée à l’intérieur même du parc national de Tesso Nilo. p
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DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
AT T E N TAT S D U 1 3 N O V E M B R E
L’antiterrorisme en
état de mort clinique
Les lourdeurs sont connues, mais le gouvernement
semble incapable d’une remise en question
suite de la première page
De 2012 à 2015, il y a l’affaire Merah – sept
morts, dont trois enfants assassinés de
sang-froid parce que juifs, à Toulouse et
Montauban –, il y a les leçons tirées des
failles du renseignement que le tueur a
révélé, et notamment la création de la direction générale de la sécurité intérieure
(DGSI) et le renforcement du renseignement territorial, il y a deux lois antiterroristes, en 2012 et 2014. Et puis il y a le massacre de Charlie Hebdo et la prise d’otages
de l’Hyper Cacher, les 7 et 9 janvier, et la
loi sur le renseignement.
Au fond, aucune de ces réformes de
structure ou modifications législatives
– dont certaines se sont révélées inutiles,
comme la création d’une infraction
d’« entreprise individuelle terroriste » – n’a
changé les deux piliers de la lutte antiterroriste : l’infraction d’« association de
malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et le cumul judiciairerenseignement au sein d’un même service. A l’origine, ce dernier devait permettre à la direction de la surveillance du territoire (DST), devenue direction centrale
du renseignement intérieur (DCRI) en
2008 puis direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) en 2014, de maintenir une bonne circulation de l’information en son sein.
Le fantasme d’un suivi exhaustif
Dans le cas des attentats de Paris, la DGSI
suivait ainsi un certain nombre des
auteurs en judiciaire comme en renseignement. A commencer par Abdelhamid
Abaaoud. Ce Belge, qui apparaissait dans
cinq dossiers de projets d’attentats en
France, était également impliqué, en Belgique, dans l’animation de la cellule terroriste de Verviers, démantelée en janvier. La DGSI avait déclenché dans la foulée ce que l’on appelle une « enquête miroir » en France. Une équipe commune
franco-belge travaillait même main dans
la main. En vain.
Samy Amimour, l’un des kamikazes du
Bataclan, était lui mis en examen depuis
2012 dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour un projet de djihad
au Yémen. L’enquête était confiée à la
DGSI. Placé sous contrôle judiciaire, il disparaît sans que personne ne s’émeuve,
jusqu’à ce que les Turcs signalent son passage sur leur territoire. Le travail judi-
Depuis 2012,
à chaque attentat,
le même
constat déclenche
la même réaction
politique
à contretemps
ciaire a été effectué, notamment des perquisitions chez ses parents. Un mandat
d’arrêt international a été émis. Jusqu’au
massacre du 13.
Dans le cadre de son rôle judiciaire, la
DGSI a également été alertée sur les menaces qui visaient la France. Ainsi, Reda
Hame, interpellé début août de retour de
Syrie, qui assure que l’Etat islamique va
viser des « cibles faciles », comme par
exemple, « des concerts ». « La DGSI a biensûr ces éléments dans le viseur, mais
comme tout le reste. Ces gens ont une stratégie de harcèlement, y compris via les menaces qu’ils laissent fuiter. Si l’on se met à
raisonner en termes de cibles potentielles
d’attentat et pas en termes de réseaux, on
va s’épuiser », se défend une source proche des services de renseignement.
Au quotidien, certains estiment que ce
volet judiciaire a participé à déborder la
DGSI. Dans les services territoriaux, les
agents sont polyvalents et se retrouvent
happés par la judiciarisation du tout-venant syrien. Le nombre de dossiers judiciaires antiterroristes a été multiplié par
cinq entre 2013 et 2015, de 34 à 188, et le
nombre de mis en examen par dix, pour
atteindre plus de 230 personnes. Cela signifie des dizaines d’auditions, de gardes
à vue, d’actes de procédures…
Tout faire, tout le temps… Depuis 2012, à
chaque attentat, le même constat – Mohamed Merah était connu mais sa dangerosité mal évalué, la surveillance des frères Kouachi avait été interrompue parce
qu’ils ne paraissaient plus dignes d’intérêt – déclenche la même réaction politique à contretemps. Plutôt que d’encourager les services à cibler davantage, les ministres successifs poursuivent le fantasme d’un suivi exhaustif – tout en
rappelant qu’il est impossible lorsque le
pire se produit. Depuis les attentats de
Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, c’est
la création de l’état-major opérationnel
de prévention du terrorisme, qui centralise sous l’autorité du ministre les informations des services, et la création du fichier des signalés pour la prévention et la
radicalisation à caractère terroriste, qui
rassemble plus de 11 000 noms. Trop
pour être utile. « Les agents passent des
heures à remplir des kilomètres de fiches »,
dénonce un policier.
Pourtant, dans la discrétion, la DGSI
s’est donné les moyens d’un meilleur ciblage. Depuis quelques mois, la cellule
« Allat », du nom d’une déesse syrienne
préislamique, traite des objectifs de la
zone irako-syrienne. Les huit principaux
services français sont réunis dans une
même pièce. « Chacun amène ces objectifs, chacun apporte ses billes et peut se
Les caches grecques d’Albelhamid Abaaoud
SALON DU LIVRE ET
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BelleVille 2015 - John Tenniel - image BnF
DÉC
7
U
A
DU 2
ni démenti ni confirmation. La police grecque refuse toujours d’officialiser – sans pour
autant les démentir – les informations révélées vendredi 27 novembre par l’ensemble
des médias grecs, selon lesquelles Abdelhamid Abaaoud, le cerveau des attentats de Paris, était bien présent à Athènes au moins jusqu’au mois de janvier. Selon le principal quotidien grec, Kathimerini, des traces ADN lui
appartenant ont été retrouvées dans deux
appartements perquisitionnés en janvier.
A l’époque, une cellule terroriste vient
d’être démantelée à Verviers en Belgique.
Les enquêteurs belges remontent la piste
d’un téléphone portable jusqu’en Grèce. Le
17 janvier, l’antiterrorisme grec investit un
appartement situé dans le quartier de Pangrati, au cœur d’Athènes. Là, deux hommes
sont arrêtés puis extradés vers la Belgique.
Et des empreintes sont analysées.
Questions sans réponses
Deux jours plus tard, de nouveau sur information belge, une deuxième opération est
menée dans le quartier de Sepolia. L’appartement est vide, mais des papiers français y
sont retrouvés, et de nouvelles empreintes
prélevées. Qui correspondent notamment à
celles trouvées à Pangrati. Seule conviction :
la même personne a circulé dans ces deux
appartements, sans que la police grecque
puisse identifier de qui il s’agit.
Après les attentats du 13 novembre, la police française a fait parvenir à la grecque des
échantillons génétiques d’un certain nombre de terroristes. En les comparant avec le
matériel génétique des caches de Pangrati et
Sepolia, la police scientifique grecque – qui
refuse de commenter cette information,
sans la démentir – aurait identifié Abaaoud.
Le 19 novembre, Bernard Cazeneuve, le ministre français de l’intérieur, avait déjà déclaré que « postérieurement aux attentats de
Paris, un service de renseignement d’un pays
hors d’Europe nous a signalé avoir eu connaissance de sa présence en Grèce ». Ce que démentaient jusqu’à aujourd’hui les autorités
grecques. Comment Abaaoud est-il entré en
Grèce alors que tous les services de renseignement le croyaient encore en Syrie ? Jusqu’à quand est-il resté à Athènes ? Est-ce de là
qu’il a coordonné les attaques parisiennes ?
Avait-il des complices ? Autant de questions
pour l’instant sans réponse. p
adéa guillot
(athènes, correspondance)
connecter à ses bases de données. Le travail est extrêmement opérationnel », explique une source.
Même la DGSE, la sœur jumelle de la
DGSI à l’international, met donc la main à
la pâte. Elle s’était tirée à bon compte de
l’affaire Merah, alors qu’elle avait raté le
périple afghano-pakistanais du tueur de
Toulouse. Dans le cas des attentats de Paris, la DGSE a au moins fourni un renseignement, mais trop tard pour qu’il puisse
être exploitable. Lors de la surveillance
d’une cible en Syrie, le service a découvert
des conversations avec une femme en
France. Elle est inconnue, jusqu’à début
novembre, lorsque les agents se rendent
compte qu’il s’agit d’une cousine d’Abdelhamid Abaaoud, Hasna Aït Boulahcen.
La DGSI est alertée et découvre ainsi,
bien tardivement, l’existence de la famille française de l’une de ses cibles numéro un. Nous sommes le 12 novembre,
veille des attentats. Et c’est finalement un
témoin, après les attentats, qui mettra la
police judiciaire sur la piste d’Hasna Aït
Boulahcen et d’Abdelhamid Abaaoud
– tous deux morts le 18 novembre lors de
l’assaut du RAID sur un appartement de
Saint-Denis.
« 3 000 agents pour 4 000 objectifs »
C’est que ce travail de coordination, qui
suit des années de dialogue heurté entre
la myriade de services français, ne peut
suffire quand la menace devient transnationale. « Ils s’organisent de Syrie, finalisent le projet en Belgique, arrivent presque
la veille à Paris. La DGSI reste un service intérieur, elle ne peut pas faire grand-chose
seule… », explique une source au ministère de l’intérieur.
La coordination européenne fonctionne, mais là aussi, elle n’a pas suffi car
elle se concentre sur le haut du panier. Or,
les auteurs des attentats de Paris étaient
connus des services belges ou français,
mais pas comme des hommes de premier plan. Les frères Abdeslam – Brahim
s’est fait sauter boulevard Voltaire et Salah est en fuite – étaient identifiés en Belgique mais pas comme prioritaires, Samy
Amimour était considéré comme l’un
des moins dangereux de sa cellule yémenite. Ismaël Omar Mostefaï, également
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La France demande
de l’aide aux Etats-Unis
François Hollande souhaite accéder aux moyens
de renseignements américains en Syrie et en Irak
P
artagé entre sa volonté
de conserver son autonomie de décision en matière de renseignement
et le constat de ses limites après les
attaques du 13 novembre venues
de Syrie, la France souhaite l’aide
des Etats-Unis. Lors de son séjour à
Washington, le 24 novembre, le
chef de l’État, François Hollande, a,
selon nos informations, demandé
à Barack Obama que Paris puisse
accéder aux moyens de renseignement américains, en Syrie et en
Irak, normalement partagés par
les Etats-Unis avec ses seuls alliés
anglo-saxons.
La France ayant déjà essuyé un
refus, en 2010, d’être acceptée
comme membre à part entière du
club très fermé des « Five eyes » qui
réunit les services secrets américains, britanniques, australiens,
canadiens et néo-zélandais,
M. Hollande a proposé que soit
mis en place, en Syrie et en Irak,
une coopération bilatérale identique à celle existant actuellement
au Sahel. « Mais ce qui est possible
au Sahel dans un cadre purement
bilatéral car les Etats-Unis sont venus sans leurs alliés ne l’est pas au
Levant où les Five eyes font partie
de la coalition », explique une
source ministérielle de haut rang.
kamikaze au Bataclan, était très secondaire pour la DGSI.
« La difficulté, résume une source proche du renseignement, c’est qu’il faut à la
fois être sur Yassine Salhi, qui du jour au
lendemain décide de décapiter son patron,
et sur Abaaoud. On a 3 000 agents pour
4 000 objectifs. Et encore, à Paris et SaintDenis, il y a parmi les auteurs des Belges et
des hommes que nous n’avons même pas
encore identifiés. Nous n’avons pas des
structures qui ont été pensées pour un tel
phénomène de masse. »
« Si l’enquête permet de pointer des
failles ou des manques, on s’adaptera »,
explique-t-on au ministère de l’intérieur.
La Place Beauvau défend également les
mesures poussées par la France au niveau
européen. Le renforcement des contrôles
aux frontières extérieures de l’espace
Schengen d’abord, puisqu’un certain
nombre de terroristes ont pu passer par la
route des migrants sous de fausses identités. Et puis la mise en place d’un fichier
des passagers aériens (PNR) européen,
vieux serpent de mer dont on voit moins
le lien direct avec les attentats, puisque,
précisément, il semble que les auteurs
des attaques aient suivi une voie terrestre. Mais, à ce jour, à droite comme à gauche, personne ne souhaite poser la seule
question qui vaille, dans un espace de libre circulation des personnes : faut-il
européaniser la lutte antiterroriste ? Hors
de question de toucher à ce point de souveraineté nationale. p
Après l’assaut de
la police contre
les terroristes
retranchés dans
un appartement
de Saint-Denis,
le 18 novembre.
ERIC FEFERBERG/AFP
laurent borredon
et simon piel
Des réticences
Les besoins français portent notamment sur la surveillance des
communications locales des djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI) menaçants la France et
sur l’accès aux images satellitaires
et aériennes dont disposent les
Etats-Unis sur la zone irako-syrienne afin de préparer les frappes
comme celle qui avait visé, dans la
nuit du 8 octobre, un camp de francophones de l’EI à Rakka. « Les discussions étaient déjà en cours sur ce
rapprochement au sein de la coalition, concède-t-on au ministère de
la Défense, mais le 13 novembre a
accéléré le processus de discussion ».
Si la Maison Blanche a accueilli
favorablement cette demande, les
échelons opérationnels, notamment au Centcom, le commandement des forces américaines au
Moyen-Orient (Centcom), à
Tempa, en Floride, ou à la CIA ont
manifesté, selon une source diplomatique française, des réticences à
ouvrir un cercle de partage très
confidentiel.
En 2010, la
France avait déjà
essuyé un refus
d’être acceptée
comme membre
à part entière du
club très fermé
des « Five eyes »
Depuis son entrée, en septembre, dans la coalition, menée par
les Etats-Unis en Syrie et en Irak, la
France recueille ses propres éléments par reconnaissances aériennes, grâce à l’accès aux câbles
sous-marins par lesquels transite
l’essentiel des données de communication et aux images satellitaires fournies par la Direction du
renseignement militaire (DRM).
« Nous sommes capables de constituer des dossiers d’objectifs, explique la même source ministérielle,
mais nous manquons de précision
et de vision d’ensemble ». La France
aimerait pouvoir s’appuyer,
comme elle le fait pour le Sahel,
sur le travail de l’Agence nationale
de renseignement géospatial
(NGA) américaine.
M.Hollande a aussi milité pour
l’intégration du renseignement et
de l’intervention aérienne,
comme cela fut fait en Irak et en
Afghanistan. John Allen, qui fut,
jusqu’au 23 octobre, à la tête de la
coalition contre l’EI, l’a rappelé au
Forum international d’Halifax sur
la sécurité, les 20 et 22 novembre :
« pour faire reculer l’EI, il faut réduire au maximum le temps entre
l’acquisition du renseignement et
son utilisation opérationnelle ».
Pour la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), services
secrets français, l’exemple à suivre
est l’opération des forces spéciales
américaines ayant conduit, en
mai, à la mort du grand argentier
de l’EI, Abou Sayyaf. Les soldats
américains ont récupéré plusieurs
térabytes de données qui ont été
immédiatement utilisés pour
d’autres opérations. La France
aimerait avoir désormais accès à
ce type d’informations.
Les faiblesses françaises en matière de renseignement étaient
déjà apparues, au printemps 2014,
lorsque la Direction générale de la
sécurité intérieure (DGSI) avait
tenté, de rétablir un lien direct avec
les services de renseignement syriens afin d’obtenir des renseignements permettant d’anticiper le
retour de djihadistes français. La
tentative avait fait long feu lorsque
le régime de Bachar Al-Assad avait
conditionné sa coopération à la
réouverture de l’ambassade française en Syrie.
Si l’intégration du renseignement français dans un espace plus
large, contrôlé par les Etats-Unis,
peut aider la France à mieux se
protéger, il lui reste à mieux adapter son organisation. En marge de
la rencontre avec David Cameron
avec François Hollande, le 23 novembre, des discussions ont ainsi
porté sur l’étude du modèle antiterroriste britannique.
Alors que la Grande-Bretagne a
confié, après les attentats de Londres en 2005, au seul MI5 la direction de la lutte antiterroriste, avec
1 000 personnes – analystes,
agents du renseignement technique du GCHQ et membres des services secrets extérieurs du MI6 –,
le modèle français reste éclaté. La
DGSE compte 200 analystes au
sein d’un pôle « contre-terrorisme » et opère seule la puissante
agence technique nationale de
renseignement. La DGSI dispose
de modestes moyens techniques
mais a tout pouvoir sur le sol français. Cette discontinuité du renseignement alors que les djihadistes
se jouent des frontières constitue
un angle mort.
A l’heure des interceptions massives de données de communications, la capacité d’analyse demeure la clé de l’anticipation de la
menace. La DGSE utilisait il y a peu
les services de la société Intelligence Notebook pour ce travail
d’analyse mais son rachat par IBM
a contraint la France à chercher
d’autres outils. Le renseignement
américain, lui, utilise, le plus souvent, une société de même nationalité, Palantir, pour traiter le gigantesque flux de données interceptées, une expertise à laquelle la
France aimerait avoir accès concernant l’EI.
Interrogée, la DGSE a décliné tout
commentaire. L’Elysée a renvoyé
Le Monde vers l’Etat-major des armées qui s’est refusé à commenter
« les discussions en cours au regard
de la sensibilité du sujet ». p
j. fo.
La Belgique s’interroge sur les failles du renseignement
La coopération franco-belge est satisfaisante mais la Sûreté de l’Etat à Bruxelles ne dispose que de moyens limités
F
ustigée, souvent de manière
expéditive, pour son impéritie en matière de lutte antiterroriste, à la lumière des attaques
du 13 novembre, la Belgique tente
de faire face aux critiques. Le Parlement a créé une commission sur
les questions de terrorisme et le
Comité R, chargé de la surveillance
des services de renseignement, a
ouvert un dossier sur les attentats
de Paris.
Comment expliquer s’interroge
le ministre de l’intérieur belge, Jan
Jambon que des personnes parfois
recensées comme d’ex-djihadistes
– 135 au total, dont 85 à Molenbeek – aient pu échapper à la surveillance. Trois d’entre eux figuraient sur une liste de 900 noms
de l’Office central d’analyse de la
menace. Comment trois des assaillants du 13 novembre, Bilal Ha-
dfi, Brahim Abdeslam et son frère
Salah, toujours en fuite, qui figuraient sur cette liste, ont-ils pu
échapper aux contrôles ? Le parquet fédéral assure que les éléments sur les Abdeslam « ne montraient pas le signe d’une possible
menace ».
« Trop de détails »
La surveillance des terroristes concerne à la fois les services spécialisés de la police fédérale, la Sûreté
de l’Etat, la Sûreté militaire et les
polices locales, ce qui permet une
accumulation
d’informations
mais ne facilite pas le tri et l’établissement de priorités. « En réalité,
nous possédons souvent trop de détails, et pas assez d’informations ciblées et utilisables », dit un expert.
« Nous avons nos failles, reconnaît-on au ministère de l’intérieur,
à Paris, mais les services belges
souffrent encore d’une fusion toujours mal digérée entre la gendarmerie et la police fédérale en matière judiciaire, de plus il existe en
Belgique une vraie autonomie des
chefs de police régionaux par rapport à l’échelon fédéral, ce qui ralentit le système. »
Le gouvernement belge dispose
de moyens limités. La Sûreté de
l’Etat compte moins d’agents
aujourd’hui qu’avant le déclenchement de la guerre en Syrie, en 2011.
Des économies de 4 % lui avaient
été imposées pour 2015, et de 20 %
pour ses moyens matériels. Les dix
millions d’euros débloqués en janvier n’ont pas résolu une autre carence flagrante de ce service : le
manque d’agents arabophones.
Vu de Paris, et notamment de la Direction générale de la sécurité inté-
rieure (DGSI), la coopération avec
la sureté d’Etat belge, son homologue, est perçue comme « très
bonne ». Ces deux institutions ont
étroitement travaillé après les événements de Charlie Hebdo notamment lors du démantèlement, en
janvier, de la cellule de Verviers.
La Sureté d’Etat et la DGSI ont
également uni leur force dans l’enquête sur le groupe d’Artigat, une
petite commune ariégeoise, considéré comme l’un des noyaux du
djihadisme français. Enfin, après
l’arrestation, le 21 août, d’Ayoub ElKhazzani, l’assaillant du Thalys entre Amsterdam et Paris, elles ont
été également associées de près
dans l’enquête, au grand dam de la
police judiciaire française. Le samedi 14 novembre, quand les gendarmes français contrôlent le véhicule dans lequel se trouvent Sa-
lah Abdeslam et deux hommes venus le chercher à Paris, ils ne
disposent que d’une fiche S émise
par les Belges. Le lien entre les attaques de Paris et ce véhicule loué ne
sera fait que quelques heures plus
tard.
Le lendemain une équipe de
liaison française de six personnes,
comprenant des officiers de police
judiciaire, dont deux de la DGSI et
des agents de la préfecture de police de Paris, est envoyée à Bruxelles pour coordonner l’enquête entre la Sous-direction anti-terroriste
française et la police belge. Le surlendemain, un commissaire rejoint le dispositif. Mais Salah restera introuvable et Abaaoud est
tué dans l’assaut de Saint-Denis. p
jacques follorou
et jean-pierre stroobants
(bruxelles, correspondant)
LE CONTEXTE
SIX INCULPATIONS
Une sixième personne, interpellée jeudi 26 novembre à Bruxelles, a été inculpée vendredi pour
« attentats terroristes » dans le cadre de l’enquête sur les attaques
de Paris, a annoncé le parquet fédéral belge. Deux autres personnes qui avaient été interpellées
jeudi à Verviers (est de la Belgique) ont pour leur part été relâchées, a précisé le parquet dans
un communiqué. Cinq autres suspects ont été inculpés ces derniers jours, dont trois hommes
soupçonnés d’avoir véhiculé le
suspect en fuite Salah Abdeslam
au cours de sa cavale.
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DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Libertés: pour les politiques, le débat doit attendre
Depuis le 13 novembre, ce sont surtout les universitaires qui mènent la réflexion autour de l’état d’urgence
U
ne fois déclenchée, la
guerre n’a jamais été
une période très propice au débat. Celle
que François Hollande a annoncée – sinon décrétée – contre
Daech n’échappe pas à la règle.
Toutes proportions gardées, bien
sûr, tant cette guerre-là, contre un
ennemi invisible, est différente de
celles que l’on a connues dans le
passé. Pas de tranchées, comme
en 1914-1918, et nulle censure,
cette fois-ci : n’en déplaise à certains parlementaires, qui ont
tenté de la maintenir, le gouvernement a même pris l’initiative
de supprimer cette disposition
qui figurait dans la loi de 1955 sur
l’état d’urgence.
Pour autant, le virage sécuritaire
de l’exécutif et la posture martiale
qu’il a arborée, en réponse aux attentats, se sont accompagnés
d’un mot d’ordre implicite à l’attention de la majorité : silence
dans les rangs ! Le premier ministre, Manuel Valls, s’est chargé de le
transmettre, visant la forme
comme le fond. Primo, ne pas perdre de temps en palabres. Lors de
l’examen au Sénat du projet de loi
prorogeant et modifiant l’état
d’urgence, le chef du gouvernement a eu ces mots : « II y a toujours un risque à saisir le Conseil
constitutionnel. (…) Moi je souhaite que nous allions vite », a déclaré M. Valls.
« Aucune excuse sociale »
Des propos qui ont laissé pantois
nombre de ceux qui, y compris
– voire surtout – dans ces circonstances, sont attachés aux principes du droit. Rebelote le 25 novembre, à l’Assemblée nationale,
lors de la séance des questions au
gouvernement : « Aucune excuse
sociale, sociologique et culturelle »
ne doit être cherchée au terrorisme, a souligné le chef du gouvernement. Un avertissement
pour les élus de gauche qui seraient susceptibles de juger un
peu « courte » la réponse sécuritaire apportée à ce jour par le gouvernement.
Et une probable réplique à Emmanuel Macron. Le ministre de
l’économie reste, à ce stade, l’un
des très rares politiques à s’aventurer sur ce terrain. Le 21 novem-
« Tout le monde
se retient, a peur
de ne pas trouver
les mots justes »
PASCAL PERRINEAU
professeur à Sciences Po
Lors de l’hommage national aux victimes du 13 novembre, vendredi 27 novembre, aux Invalides, à Paris. MIGUEL MEDINA / AFP
bre, il avait souligné que la société
française devait assumer une
« part de responsabilité » dans le
« terreau » sur lequel le djihadisme a pu prospérer en France.
Les rappels à l’ordre de M. Valls
étaient davantage un signe supplémentaire destiné à l’opinion,
massivement acquise aux réponses sécuritaires apportées par le
chef de l’Etat. Car le terrible choc
du 13 novembre a tétanisé les élus
de tous bords. La quasi-totalité
des parlementaires s’est levée
pour applaudir le chef de l’Etat
après son intervention devant le
Congrès, le 16 novembre. La quasitotalité d’entre eux ont voté le
projet de loi sur l’état d’urgence à
l’issue d’un examen au pas de
charge, les 19 et 20 novembre.
Dans un tel contexte d’« unité nationale » – une expression récu-
sée par certains politiques mais
plébiscitée dans l’opinion –, il
était très difficile pour les responsables politiques et les élus de
faire entendre des voix discordantes.
Si les élections régionales ont
été maintenues aux 6 et 13 décembre, la campagne a été mise
sous l’éteignoir. « C’est la première
fois dans la vie politique française
que se tient une élection sous état
d’urgence et dans un choc posttraumatique, note Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po.
Tout le monde se retient, a peur de
ne pas trouver les mots justes. »
« La demande de consensus entame l’expression du dissensus »,
ajoute-t-il. En témoigne notamment le virage opéré par Nicolas
Sarkozy. Après avoir vertement
critiqué l’exécutif au lendemain
du Congrès, le président de LR a
explicitement approuvé – lors
d’un meeting à Strasbourg, le
25 novembre – toutes les mesures
prises par François Hollande.
Les mêmes contraintes ont pesé
sur les écologistes et la gauche radicale, qui comptent dans leurs
rangs de farouches défenseurs des
libertés publiques et individuelles.
Eux qui avaient vivement critiqué
au printemps la loi renseignement
n’ont pas réussi, cette fois, à faire
entendre leur voix. André Chassaigne, président PCF du groupe de la
Gauche démocrate et républicaine
à l’Assemblée nationale, assume le
vote en faveur de la loi sur l’état
d’urgence : « C’était la décision qu’il
fallait prendre vu la gravité de la situation, juge le député du Puy-deDôme. C’était de notre responsabilité de la voter. » Onze sénateurs
communistes se sont abstenus sur
ce texte, seule trace du malaise qui
traversait les rangs de la gauche radicale.
Les écologistes n’ont pas été plus
clairs. Eva Sas, députée EELV de
l’Essonne, partage l’analyse de son
collègue communiste : « L’ampleur
du drame était telle qu’il fallait une
réponse immédiate au risque d’attentat, explique cette proche de Cécile Duflot. Une autre réponse
aurait été difficilement audible. »
Noël Mamère, député de Gironde,
est l’un des trois écologistes à avoir
voté contre la prorogation de l’état
d’urgence et à faire entendre une
petite musique différente : « On ne
touche pas aux libertés fondamentales dans l’émotion. La peur est
mauvaise conseillère pour le législateur. » « Tout discours de complexité est considéré comme une
forme de lâcheté par rapport à un
ennemi clairement identifié », renchérit Yannick Jadot, député européen EELV.
Le directeur de la Fondation
Jean-Jaurès, Gilles Finchelstein,
juge probable que l’hommage national, rendu vendredi 27 novembre, ait refermé cette parenthèse
d’« urgence » politique, au cours
de laquelle « l’événement a imposé
son agenda ». « On entre dans une
espèce d’entre-deux, prédit-il. Ce
n’est plus le post-attentat immédiat, mais pas encore le retour à la
normale. »
En attendant que les politiques
retrouvent la parole, ce sont des
chercheurs et des universitaires
qui ont répondu par une profusion de textes à l’intense besoin de
compréhension né – juste après
l’émotion – au lendemain des attentats. L’équipe chargée des pages
« Débats » du Monde a reçu jusqu’à
150 tribunes par jour, contre 40 à
50 en « temps normal ». Les
champs de réflexion sont multiples, les opinions variées, parfois
diamétralement opposées.
La question de l’éventuelle part
de responsabilité de la France est
l’un des principaux points de clivage. Mais elle recouvre à la fois la
politique étrangère française (ses
interventions militaires, la nature
de ses alliances) et les politiques
menées sur notre territoire (éducation, intégration, banlieues,
place de l’islam, etc.). La nature de
la réponse à apporter (sécuritaire
et/ou sociétale) a également fait
l’objet de multiples analyses et
points de vue. L’état d’urgence a
été abondamment commenté. Les
politiques devront réinvestir tous
ces thèmes, et d’autres encore. Vu
l’ampleur des chantiers, le plus tôt
sera sans doute le mieux. p
jean-baptiste de montvalon
et raphaëlle
besse desmoulières
A Evry, Manuel Valls appelle à « un sursaut républicain majeur »
Pour le premier ministre, au-delà de la réponse sécuritaire aux attentats, il faudra aussi repenser la société dans son ensemble
L
e serment d’Evry. Manuel
Valls est longuement revenu, vendredi 27 novembre, à la mairie d’Evry (Essonne),
sur les attentats de Paris survenus
deux semaines plus tôt. Pendant
deux heures, le premier ministre,
qui a dirigé la ville de 2001 à 2012, a
échangé avec quelque 400 personnes réunies dans la salle du conseil
municipal. Pas d’annonces particulières ni de nouveautés dans son
discours, mais une synthèse de ses
différentes interventions depuis
plusieurs jours. Et la volonté d’afficher encore et encore une gravité
pour faire en sorte que le choc ressenti par les Français après le
13 novembre ne retombe pas.
« Nous changeons d’époque, nous
avons tellement oublié que l’Histoire peut être tragique », a-t-il expliqué quelques heures après
l’hommage national aux victimes,
le matin même aux Invalides.
Aux portes de cette nouvelle ère
française, le premier ministre a
donc fait un serment très politique
aux Evryens, et à travers eux aux
Français : « Moi, j’en fais le serment,
je ne redescendrai plus dans les petits débats, dans l’arène médiocre.
Après les attentats de janvier, on y
est redescendu, ce n’était pas ma volonté ». A neuf jours du premier
tour des élections régionales et à
dix-huit mois de la présidentielle,
il invite le pays à en faire autant,
appelant les citoyens à « un sursaut
républicain majeur ». Mais au-delà
des élections, M. Valls veut s’inscrire dans le temps long : « Il faut
reconstruire une grande partie de la
République, ce sera l’affaire d’une
génération. Il faut reconstruire
l’école, les quartiers populaires… »,
Une manière pour lui d’élargir le
débat à l’ensemble de la société, en
plus de la réponse sécuritaire enclenchée par le gouvernement
après les attentats, avec la mise en
place de l’état d’urgence. Mais sans
renier ses positions inflexibles.
« La boule au ventre »
« Il n’y a pas, d’un côté, une réponse
sécuritaire et de l’autre, une réponse
sociale. C’est une vision dangereuse
du problème (…) La culture de l’excuse, je ne l’ai jamais pratiquée. Ce
n’est pas parce qu’un jeune galère,
qu’il est au chômage, d’origine maghrébine et de confession musulmane, qu’il devient terroriste ou
voyou », précise-t-il. Cette « réponse de la société » ne sera possible, selon le premier ministre, que
par un supplément de « lucidité ».
Qu’importe que certains de ses
propos sur la menace terroriste
aient pu paraître anxiogènes,
M. Valls les assume mais récuse
tout « langage bushiste ».
« Ce ne sont pas mes mots qui font
peur, c’est la réalité », affirme-t-il,
ajoutant, les traits tirés, « la boule
au ventre, je l’ai depuis janvier, elle
ne me quitte pas, elle m’empêche de
dormir ». Mais si son discours est
autant alarmiste que volontariste,
M. Valls peine à décrire dans les
faits ce sursaut qu’il appelle de ses
vœux.
« Il faut une force morale nouvelle, un mouvement en chacun
d’entre nous et collectivement », se
contente-t-il de répéter, évoquant
ici « la question du service national [qui] doit être posée », ou là, la
place de l’islam qui « doit faire sa
révolution ». Mais sans livrer davantage de précisions au moment où justement, le « peuple »
semble attendre des réponses
concrètes. p
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12 | france
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
A la prison d’Osny, les petits pas de la déradicalisation
La maison d’arrêt du Val-d’Oise expérimente un programme sur deux groupes de quinze détenus volontaires
C’
était quelques semaines avant les attentats de Charlie
Hebdo, Montrouge
et l’Hyper Cacher. L’administration pénitentiaire lançait un programme expérimental pour tenter de briser la spirale islamiste
dans laquelle certains détenus
s’engouffrent. Ce qu’on appelle
– improprement, assurent les professionnels – la radicalisation.
L’Association française des victimes du terrorisme (AFVT) et l’Association dialogues citoyens
(ADC), chargées fin 2014 de piloter
ce programme, s’apprêtent à rendre, un an après, dans un contexte
bien différent alors que le pays est
ébranlé par un deuxième épisode
terroriste majeur, leur rapport de
mission.
Ils se montrent d’autant plus
prudents qu’ils savent que l’attente des politiques comme de
l’opinion sur ce sujet est énorme.
Aussi la direction de l’administration pénitentiaire ne souhaitaitelle pas communiquer, à ce stade,
sur ces expériences. Mais jeudi
26 novembre, Le Monde a pu accompagner Sébastien Pietrasanta, député PS des Hauts-deSeine, qui avait demandé, comme
le lui autorise depuis peu la loi, à
visiter l’une des prisons pilotes de
ce programme.
« Nous ne faisons
pas de lavage de
cerveau. Notre
objectif est
d’assécher le
vivier potentiel
de recrues »
STÉPHANE LACOMBE
directeur adjoint de
l’Association française des
victimes du terrorisme
La maison d’arrêt du Val-d’Oise,
à Osny, a organisé cette année
deux sessions de six semaines,
pour quinze détenus volontaires
chaque fois. « Ce n’est pas gagné,
mais nous avons quelques indices
positifs », assure Renaud Seveyras, le directeur de cet établissement, qui accueille 815 détenus
pour 580 places. Les groupes
comprenaient des prisonniers
condamnés ou poursuivis pour
terrorisme (dont certains de retour de Syrie), des détenus de
droits communs mais identifiés
comme étant engagés dans un
processus de radicalisation et une
poignée de « leaders positifs » susceptibles de produire un effet
d’entraînement.
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R ELI GI ON
Le Sénat vote
l’augmentation des
crédits de la défense
Un prêtre traditionaliste
relevé de ses fonctions
Le prêtre Hervé Benoît, qui
exerçait comme chapelain à la
basilique lyonnaise de Fourvière, a été déchargé de toute
responsabilité pastorale. Le religieux avait publié, le 20 novembre, une tribune sur le
site traditionaliste Riposte-catholique .fr, dans laquelle il décrivait les terroristes comme
les « frères siamois » des spectateurs du Bataclan. Le cardinal Barbarin, archevêque de
Lyon, a demandé au Père
Benoît « de se retirer immédiatement dans une abbaye pour
prendre un temps de prière et
de réflexion ».
Les sénateurs ont adopté à
l’unanimité, vendredi 27 novembre, un amendement du
gouvernement augmentant
de 273 millions d’euros les
moyens de la défense dans le
projet de budget 2016. Cette
décision, annoncée par François Hollande devant le Congrès, fait suite aux attentats
du 13 novembre. L’essentiel de
cette somme (203,5 millions)
sera destiné à l’acquisition de
munitions, notamment en
raison de l’intensification des
frappes aériennes en Syrie et
en Irak. – (AFP.)
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« Nous faisons un gros travail sur
la violence, il ne s’agit pas de changer l’opinion religieuse des gens »,
explique Géraldine Blin, la directrice du service pénitentiaire d’insertion et de probation du
Val-d’Oise. Le terme de « déradicalisation » est banni de son vocabulaire et les sessions sont baptisées « engagement citoyen ». Les
mots sont importants, alors que
les sessions s’ouvrent par une
phase de « mise en confiance et
déstigmatisation », détaille M. Seveyras. Libérer la parole, aussi violente soit-elle, est le prérequis
pour permettre la confrontation,
l’interrogation ou la contradiction. « Pour cela, il faut des lieux
d’échange qui ne soient pas la cour
de promenade », observe Mme Blin.
La seconde phase est consacrée
à l’ouverture sur le monde, avec
des intervenants extérieurs (géopolitologue, théologiens, magistrats, etc.). Puis vient « le retour
sur soi et le travail sur un projet
d’avenir qui passe par une confrontation avec des victimes du
terrorisme et des repentis », explique celui qui fait tourner l’établissement avec 130 surveillants
(compte tenu des postes vacants
et des arrêts maladie) pour un effectif théorique de 170.
Mme Blin et M. Seveyras sont à
l’unisson : « Cela a fait bouger des
choses, chez certains détenus. »
Pas tous. « Chez d’autres, nous les
sentons plus fragiles, ils peuvent
basculer d’un côté ou de l’autre »,
reconnaît le directeur d’Osny.
« Ceux-là, on ne les lâche pas », prévient-il, ambitieux et combatif.
Restent ceux « pour lesquels il n’y
a pas d’espoir… on se dit qu’il ne
faut pas qu’ils sortent ».
Un imam supplémentaire
Stéphane Lacombe, directeur adjoint de l’Association française des
victimes du terrorisme, absent
d’Osny lors de la visite de M. Pietrasanta, confirme, lors d’un entretien téléphonique, le but du
programme : « Il y a peu de chance
d’arriver à faire quelque chose avec
ceux qui sont totalement fanatisés,
car nous ne faisons pas de lavage
de cerveau. En revanche, notre objectif est d’assécher le vivier potentiel de recrues. » « Nous devons travailler sur le bas de la pyramide »,
précise Mme Blin, un travail de longue haleine. Ces deux sessions de
six semaines n’y suffisent pas.
« Nous avons confronté au terrain nos outils académiques pour
les faire évoluer », explique M. Lacombe. Cette expérience devrait
permettre à l’administration pénitentiaire d’écrire une méthodologie, pour étendre en 2016 à
d’autres établissements ce type
de travail, et surtout le maintenir
dans la durée avec des personnels qualifiés.
D’autres leçons seront tirées
pour définir le régime qui sera appliqué aux cinq quartiers (FleuryMérogis, Osny, Lille-Annœullin et
deux à Fresnes) qui sont consacrés aux personnes identifiées radicalisées. A la maison d’arrêt
d’Osny, les derniers travaux sont
en cours pour accueillir fin janvier 2016 vingt détenus, qui, cette
fois, ne seront pas volontaires. Ils
seront regroupés pour six mois
dans une aile du bâtiment, en cellule individuelle et avec une cour
de promenade qui leur sera spécifique. Le programme s’inspirera
de ce qui a été fait cette année,
mais en plus intense et élargi,
avec notamment des cours d’alphabétisation et d’autres sur les
valeurs républicaines.
Un aumônier musulman supplémentaire devrait être recruté
pour ce quartier. Osny n’en comptait qu’un jusqu’au mois dernier.
Il assure la prière du vendredi
dans la salle polycultuelle, qui est
mosquée le vendredi, temple le
samedi, église le dimanche, et synagogue plus épisodiquement.
Un second, un imam, est arrivé
récemment : il se consacre aux
rencontres individuelles avec les
prisonniers qui le souhaitent…
VERBATIM
Nous prenons très
au sérieux la question
de la radicalisation en prison.
Nous avons conforté le régime
de surveillance pour les détenus
radicalisés ou en cours de
radicalisation.”
“
Christiane Taubira ministre
de la justice, en réponse à une
question du député (LR) David
Douillet, mercredi 25 novembre
à l’Assemblée nationale.
Ces programmes seront-ils suffisants compte tenu de l’ampleur
du phénomène et de la fulgurance de certaines vocations ultraviolentes ? Ce n’est pas sûr. Le
rapport de visite du contrôleur
général des lieux de privation de
liberté, établi au printemps, faisait état « avec certitude » de contacts maintenus par certains détenus d’Osny avec le Yémen ou la
Syrie. Il notait également que le
fond d’écran à la mode, observé
sur les téléphones portables récupérés lors des fouilles, est le drapeau de l’organisation Etat
islamique. p
jean-baptiste jacquin
Dans les banlieues, demande de sécurité
et crainte des « regards de travers »
Des militants associatifs redoutent des dérapages liés à la mise en place de l’état d’urgence
L
a peur, on essaie de la mettre
de côté. » C’est comme un
refrain qu’on entend du
Blanc-Mesnil à Sarcelles en passant par Clichy-sous-Bois et Cergy.
Comme les Parisiens, les habitants
de ces banlieues de Seine-SaintDenis et du Val-d’Oise continuent
à vivre, travailler, faire leurs courses, malgré l’état d’urgence. Après
les attentats, ils ont comme tout le
monde été horrifiés, sidérés. Ils
sont aussi inquiets des conséquences des mesures de sécurité
mises en place, surtout dans leurs
quartiers où le rapport à la police
est souvent fait d’incompréhension et de suspicion réciproque.
Ce lundi 23 novembre, une dizaine de retraitées sont réunies à
la Maison des Tilleuls, local associatif au cœur de ce grand ensemble du Blanc-Mesnil (Seine-SaintDenis). L’une est venue avec des
biscuits, l’autre avec une brioche.
Certaines avec un fichu sur la tête
ou un voile plus coloré, d’autres
« en cheveux ». Ces mamies de
banlieue, qui ont demandé que
leur nom ne soit pas cité, s’investissent dans le Tilia, le café associatif des Tilleuls, ou dans le collectif Quelques-unes d’entre
nous. Depuis le 13 novembre, elles
ont peur, sortent moins.
L’islam rigoriste en accusation
La proclamation de l’état d’urgence leur paraît normale, les rassure même. « Avec des policiers et
des militaires partout, on se sent
en sécurité. Pour moi, ce sont les
anges de la ville », assure Fatma,
67 ans. Son fils et ses neveux
étaient au Stade de France le
13 novembre. Comme toutes celles autour de la table, elle a suivi à
la télévision les scènes d’horreur.
Très vite, après le refrain obligé du
« il faut continuer à vivre », les critiques affleurent sur la politique
de renseignement et de lutte contre l’islam radical.
« Pourquoi on les laisse rentrer de
Syrie sans les stopper, [pourquoi]
ils passent les frontières sans être
repérés ? » demande Brigitte,
59 ans, mère d’un jeune métis.
« La sécurité,
on ne la voit pas
beaucoup en
banlieue : il n’y a
pas de policiers,
ni de militaires »
MOHAMED MECHMACHE
président du collectif ACLefeu
D’autant qu’à les entendre, ces
phénomènes de radicalisation ne
datent pas d’hier. « J’ai travaillé à
Roissy, et déjà il y a quinze ans, il y
avait des intégristes », raconte Cybeline, une retraitée d’origine indienne.
Au fil des échanges, l’islam rigoriste est mis en accusation. Elles
l’ont vu gagner ces franges fondamentalistes très minoritaires
mais très visibles dans les rues du
Blanc-Mesnil. « On a trop laissé
faire », tranche Fatma. Elles qui
pratiquent un islam discret ont
toutes une anecdote sur ces jeunes ultraorthodoxes qui ont « mis
l’islam à l’envers ». « L’autre jour,
chez le dentiste, une femme a refusé de serrer la main du médecin.
Et après, elle est allée ouvrir grand
la bouche devant ses yeux ! », s’exclame Fatma.
Fatiha, une Algérienne aux cheveux blonds, raconte un repas
chez une amie. Deux des filles
portaient le jilbab (longue robe
couvrant le corps) : « Se cacher
alors qu’on était entre femmes,
d’où ça sort ça ? », s’indigne-t-elle.
Les convertis, à leurs yeux, sont
les pires, disent-elles. « L’Etat a été
trop laxiste », s’agace Béatrice,
59 ans. Avec les attentats, pourtant, ces mères craignent une stigmatisation renforcée : « On sent
les regards de travers, surtout
quand on porte un foulard », souffle Houria.
Cette demande de plus de sécurité est parfois plus ambivalente.
« La sécurité, on ne la voit pas
beaucoup en banlieue : il n’y a pas
de policiers ni de militaires.
Comme si, pour les politiques, les
attentats ne pouvaient se dérouler
qu’à Paris », dit Mohamed Mechmache, président du collectif
ACLefeu à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). A ses yeux, le
seul antidote, est de « rester unis,
se rassembler ». C’est aussi le sentiment de Moussa Camara, responsable du collectif Agir pour
réussir à Cergy (Val-d’Oise) : « Avec
l’état d’urgence, tout le monde se
sent pris en otage. C’est une période difficile, et ça peut engendrer
des divisions. Evitons de ressortir
les vieux débats sur l’intégration
ou la place de l’islam », prévient le
jeune homme.
« Des perquisitions pour rien »
A Sarcelles (Val-d’Oise), dans le
café sur la dalle du grand ensemble, ils sont quatre membres de
l’association Made in Sarcelles à
discuter, jeudi 26 novembre. Sans
crainte particulière, même si tous
connaissent quelqu’un touché
par ces événements sanglants.
« On n’a pas peur, il y a la police
partout », ricane même Frédéric
Bride, qui travaille dans un label
de musique. A ses yeux, « l’état
d’urgence arrange le gouvernement, car plus personne ne va bouger un sourcil ».
Nabil Koskossi, directeur d’un
service jeunesse, est plus mesuré :
« Dans un premier temps, c’était
nécessaire pour coincer les mecs.
Mais plus le temps passe, et plus on
a des perquisitions pour rien. » Il y
en aurait eu trois à Sarcelles, selon
lui : « On a cassé des portes, mis à
sac des appartements, et rien ! »
Luis Duarte, retraité aux origines
cap-verdiennes et sénégalaises,
ne veut pas terminer sur une note
si sombre : « J’ai l’espoir d’une cohésion plus forte maintenant. Il va
y avoir une grande rencontre
nationale. » p
sylvia zappi
Ce dimanche à 12h10
MAHAMADOU ISSOUFOU
Président de la République du Niger
répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE),
Sophie Malibeaux (RFI), Christophe Châtelot (Le Monde).
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débats | 15
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Notre civilisation n’est pas condamnée
Les émissions de dioxyde
de carbone augmentent la
température de l’atmosphère
et menacent l’équilibre
planétaire. Aux hommes
d’avoir la volonté politique
d’empêcher la catastrophe
La chaîne du changement climatique
CAUSES
EFFETS
Augmentation de la population
et de son impact
Augmentation des gaz à effet de serre
(particulièrement le CO2)
PARIS CLIMAT 2015
Température
atmosphérique
en haussse
par jared diamond
Le changement climatique planétaire est l’une des forces les plus
puissantes qui va bouleverser nos
vies dans les décennies à venir. Nous en
avons quasiment tous entendu parler. Mais
c’est un sujet si complexe que bien peu de
gens, hormis les spécialistes, le comprennent.
Je vais donc tenter de l’exposer aussi clairement que possible à l’aide d’une représentation schématique des chaînes de cause à effet
pour vous permettre de suivre mon propos.
Le point de départ est la population mondiale et l’impact climatique moyen par individu, c’est-à-dire la quantité moyenne de ressources consommées et de déchets produits
par personne et par an. Chacune de ces trois
quantités augmente d’année en année.
L’activité humaine génère du dioxyde de
carbone (CO2) et libère ce gaz dans l’atmosphère, principalement par la combustion
d’énergies fossiles. L’autre gaz le plus impliqué dans le changement climatique est le
méthane, qui se rencontre en moindres
quantités et est actuellement moins important que le CO2, mais dont le rôle pourrait
s’accroître par un effet retour : le réchauffement climatique fait fondre le pergélisol –
l’ensemble des sols gelés des régions arctiques –, qui libère du méthane, ce qui provoque plus de réchauffement et libère plus de
méthane…
L’effet premier le plus reproché à l’émission
de CO2 est d’agir comme un gaz à effet de
serre dans l’atmosphère. Cela traduit le fait
que le CO2 absorbe une partie du rayonnement infrarouge de la Terre, augmentant par
contrecoup la température de l’atmosphère.
Il existe deux autres effets premiers à l’émission de CO2. Tout d’abord le CO2 que nous
produisons est stocké non seulement dans
l’atmosphère, mais aussi dans les océans.
L’acide carbonique résultant élève le taux
d’acidité des océans, qui est déjà plus élevé
qu’à n’importe quelle époque des quinze
derniers millions d’années. Cela dissout les
coquillages des coraux, entraînant la mort
des récifs coralliens, qui sont à la fois des
aires de reproduction et de nourricerie majeures de la faune marine, et des zones de
protection des littoraux tropicaux et subtropicaux contre les vagues et les tsunamis. A
l’heure actuelle, les récifs coralliens de la planète reculent de 1 % à 2 % par an, ce qui signifie qu’ils auront tous disparu avant la fin de
ce siècle, entraînant l’effondrement de la disponibilité des produits de la mer et des menaces sur la sécurité des zones côtières tropicales. Ensuite, notre émission de CO2 impacte directement la croissance des plantes,
en bien comme en mal.
L’effet le plus critique de l’émission de CO2
est cependant celui que j’ai mentionné en
premier : l’élévation de la température de
l’atmosphère. C’est ce que nous appelons le
réchauffement global. Mais cet effet est si
complexe que l’expliquer par ces termes est
trompeur. Premièrement, parler de chaînes
de cause à effet signifie que l’élévation de la
température de l’atmosphère peut amener
paradoxalement certaines zones à se refroidir plutôt qu’à se réchauffer.
Deuxièmement, l’augmentation de l’instabilité climatique est presque aussi impor-
SI LES ÊTRES HUMAINS
MOURAIENT OU
CESSAIENT DE RECOURIR
À DES COMBUSTIBLES
FOSSILES, L’ATMOSPHÈRE
N’EN CONTINUERAIT
PAS MOINS
DE SE RÉCHAUFFER
PENDANT DES DÉCENNIES
Augmentation
de la quantité de CO2
dans les océans
Effets du CO2
sur la croissance
des plantes
Ac
idité
0
Température
de surface
en hausse
2.0
5.0
7.0
8.0
14
Acidification des océans
Baisse des pluies
Instabilité du climat
Mort
des récifs
coraliens
Conflits
liés au manque d’eau
Fonte
Tempêtes
des calottes glaciaires et inondations
et des glaciers
Baisse
de la production alimentaire
agricole
Propagation
de maladies tropicales
Conflits alimentaires,
famine
Baisse
des ressources
halieutiques
Hausse du niveau
des mers
Ouverture de routes maritimes
liées à la fonte des glaces
Inondation
des plaines côtières
SOURCE : JARED DIAMOND
tante pour les sociétés humaines que la tendance au réchauffement global : tempêtes et
inondations à répétition, épisodes de canicule de plus en plus chauds, mais aussi pics
de froid de plus en plus intenses, avec des effets tels que les récentes chutes de neige en
Egypte ou la vague de froid qui s’est abattue
sur le nord-est des Etats-Unis. Cela conduit
les politiciens climatosceptiques, qui ne
comprennent rien au changement climatique, à insinuer que de tels faits réfutent sa
réalité.
FACTEURS D’AMPLIFICATION
Troisièmement, il existe de tels décalages
temporels, à commencer par les lents processus d’accumulation et de libération du
CO2 par les océans, que même si la totalité
des êtres humains mouraient ou cessaient à
compter d’aujourd’hui de recourir à des
combustibles fossiles, l’atmosphère n’en
continuerait pas moins de se réchauffer pendant des décennies.
Quatrièmement, de puissants facteurs
d’amplification non linéaires pourraient
amener le monde à se réchauffer beaucoup
plus rapidement que ne le suggèrent les projections actuelles, qui postulent des relations
linéaires entre causes et effets. Citons parmi
ces facteurs la fonte du pergélisol et le possible effondrement des calottes glaciaires du
Groenland et de l’Antarctique.
Concernant les conséquences de la tendance au réchauffement moyen de la planète, j’en mentionnerai quatre. La plus évidente dans de nombreuses parties du
monde est la sécheresse. Par exemple, 2015
sera l’année la plus sèche de l’histoire de ma
ville, Los Angeles, depuis qu’y ont débuté les
relevés météorologiques, dans les années
1800. Les sécheresses sont, comme on le sait,
des fléaux pour l’agriculture. Celles causées
par le changement climatique planétaire
s’abattent inégalement sur la surface du
globe : les zones les plus touchées sont l’Amérique du Nord, le bassin méditerranéen et le
Moyen-Orient, l’Afrique, les terres agricoles
¶
Jared Diamond est professeur de géographie à l’université de Californie, à Los Angeles. Il est l’auteur de bestsellers planétaires, parmi
lesquels « Le Troisième Chimpanzé » (1991), « Pourquoi
l’amour est un plaisir » (1997),
« Effondrement » (2005) et
« Le Monde jusqu’à hier »
(2012), tous publiés aux éditions Gallimard. Chercheur
touche-à-tout, qui emprunte
à différentes disciplines – archéologie, agronomie, histoire, et bien d’autres –,
il a construit une œuvre ambitieuse qui cherche à penser
les interactions entre l’homme
et la nature. Jared Diamond
s’est particulièrement intéressé à ces sociétés
qui ont soudainement disparu, emportées par une dégradation brutale de leur environnement. Ses livres
mettent par exemple en scène
le destin de l’île de Pâques,
de la civilisation maya, ou
des Vikings du Grand Nord.
A travers ses différents livres,
il en appelle à une prise
de conscience sur les dangers
du changement climatique.
du Sud australien et l’Himalaya. Le seul manteau neigeux himalayen approvisionne en
eau la Chine, le Vietnam, l’Inde, le Pakistan et
le Bangladesh, et ces pays n’ont que rarement
su régler de manière pacifique les conflits qui
les opposent.
Une deuxième conséquence de la tendance
au réchauffement moyen est la diminution
des cultures vivrières. La diminution de la
production alimentaire est un problème
parce que des projections prédisent une augmentation de 50 % au cours des prochaines
décennies de la population mondiale, du niveau de vie général, et donc de la consommation de la nourriture, alors que des centaines
de millions de personnes souffrent déjà de la
sous-alimentation.
Une troisième conséquence de la tendance
au réchauffement moyen est que les insectes
porteurs de maladies tropicales commencent à coloniser les zones tempérées. Les problèmes sanitaires qui en découlent concernent à ce jour l’arrivée de l’épidémie de
chikungunya en Europe, la propagation de la
dengue et de maladies transmises par les tiques aux Etats-Unis, ainsi que celle du paludisme et de l’encéphalite virale.
La dernière conséquence de la tendance au
réchauffement à considérer est la hausse du
niveau des mers. Selon des estimations prudentes, l’élévation moyenne attendue au
cours de ce siècle serait de 1 mètre, mais on
sait qu’il y a eu dans le passé des hausses atteignant 10 mètres. La principale incertitude
à ce sujet concerne le possible effondrement
des calottes glaciaires du Groenland et de
l’Antarctique. Mais même une hausse
moyenne de seulement 1 mètre, amplifiée
par les tempêtes et les marées, serait suffisante pour compromettre l’habitabilité de la
Floride, des basses terres du Bangladesh et de
nombreuses autres zones densément peuplées.
Des amis me demandent parfois si le
changement climatique peut avoir des effets positifs pour les sociétés humaines.
Oui, il pourrait y en avoir quelques-uns,
comme l’ouverture de voies de navigation
en eaux libres dans le Grand Nord du fait de
la fonte de la banquise arctique, ou la probable augmentation de la production céréalière dans des zones telles que les provinces
centrales du Canada, par exemple. Mais la
plupart des effets à en attendre seront désastreux.
RÉDUIRE LES ACTIVITÉS HUMAINES
Existe-t-il des solutions technologiques rapides à ces problèmes ? Vous avez peut-être entendu parler de la géo-ingénierie, consistant
à injecter des particules dans l’atmosphère
ou à en extraire le CO2 afin de la refroidir.
Mais aucune de ces approches n’a été réellement testée et encore moins mise en œuvre.
Outre qu’elles seraient très coûteuses, les expérimentations nécessaires demanderaient
beaucoup de temps et s’accompagneraient
d’effets secondaires tels qu’elles auraient
toutes les chances de détruire la planète dix
fois avant de voir la géo-ingénierie produire
le moindre effet positif. C’est pourquoi la plupart des scientifiques la considèrent comme
potentiellement trop dangereuse pour être
autorisée.
Tout cela veut-il dire que l’avenir de la civilisation humaine est sans espoir et que nos
enfants sont certains de finir dans un
monde invivable ? Bien sûr que non. Le
changement climatique étant principalement causé par les activités humaines, tout
ce que nous avons à faire pour le contenir
est de réduire les activités humaines.
Cela implique de brûler moins de combustibles fossiles et d’augmenter la part des
énergies renouvelables, comme le nucléaire, l’éolien et le solaire. Si les Etats-Unis
et la Chine parvenaient à eux seuls à un accord bilatéral de réduction des émissions de
CO2, cela concernerait déjà 41 % de leur volume global actuel. Si l’Union européenne,
l’Inde et le Japon nous rejoignaient, cela
couvrirait 60 % des émissions mondiales.
Le seul véritable obstacle est le manque de
volonté politique. p
16 | enquête
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Caroline Dos Santos et Julien Boudot,
dans leur bureau de Canal+,
à Boulogne- Billancourt, le 25 novembre.
JEAN-FRANÇOIS JOLY POUR « LE MONDE »
annick cojean
S’
extraire de l’horreur. Hébétés, ahuris, encore dans
l’épouvante. Et courir dans la
nuit. Survivants ! Chercher
désespérément un taxi au
milieu des sirènes. Et se serrer l’un contre l’autre tandis que la voiture
file sur les berges de la Seine et s’éloigne de ce
théâtre de guerre. Incrédules. Pleins de larmes et de frissons. Avec l’urgence de vivre. De
se marier, très vite, comme une évidence. Et
de se faire tatouer sur le corps le titre de la
chanson et la date associés à jamais à cette
soirée funeste et à la renaissance. « Kiss the
Devil 13.11.2015 ». La mort, au Bataclan, a frôlé
leur échine.
Ils commencent par la fin pour narrer l’événement, dévoilant, dix jours plus tard, leur
avant-bras tatoué. Ils sont encore à vif, fatigués et fébriles. Sans blessure apparente mais
totalement meurtris. « Je suis à la fois Jeanqui-rit et Jean-qui-pleure, confesse Caroline
Dos Santos, 37 ans. J’oscille en permanence. »
Julien Boudot, 36 ans, la tête entre les
mains, a le regard perdu vers un lieu que lui
seul peut voir. « C’est un truc de malade d’être
là ! Il y a eu 89 morts ! Et ça aurait pu être tellement pire. Des milliers de balles ont été tirées,
j’entendais les douilles tomber pas loin de
nous. » Il se tourne vers sa compagne. « Mais
tu sais quoi ? Au fond de moi, il y a de la joie.
Cette joie ressentie quand je t’ai entendue hors
de la salle et que j’ai compris que tu étais sauve
ne m’a plus quitté. Et quand les gosses disent :
“Papa, papa”, c’est inouï la vague qui me submerge. » Elle sait. Ils ont trois enfants : 6 ans,
4 ans, 15 mois. Et elle se souvient de s’être dit,
allongée sous des corps, dans la fosse du Bataclan : « On ne peut pas mourir. Ils sont trop petits ! »
« ON EST SUPER HEUREUX »
Ce vendredi 13 novembre s’annonçait pourtant radieux. Le couple Dos Santos-Boudot,
qui travaille à Canal+ pour une émission musicale quotidienne, a pris une baby-sitter et se
réjouit d’être invité, avec toute l’équipe, pour
aller voir au Bataclan les Eagles of Death Metal, un groupe qu’il connaît bien pour l’avoir
déjà enregistré en concert. « De vrais gentils,
dit Julien. Drôles, amoureux de Paris et de rock
californien. Rien à voir, en fait, avec le heavy
metal. Leur nom est une blague. Ce groupe
n’est que fun. »
Ils arrivent à moto, Caroline récupère les
billets à l’entrée de la salle auprès de Thomas
Ayad, du label Mercury, avec qui elle plaisante
un moment pendant que Julien dépose au
vestiaire casques et blousons. Ils retrouvent
également deux amis de Canal, Arnaud et
Mathieu, et s’installent à gauche de l’entrée,
contre la console son. L’ambiance, d’emblée,
est survoltée. « Je suis sidéré, dit Julien. D’habitude, les bobos de Paris, c’est un peu des zombies ! » Pas ce soir-là. Ça chante, ça danse, ça
crie. « A la moitié du premier morceau, il y a
déjà des slammeurs, et des bières volent dans
tous les sens. Un joyeux bordel ! » Les slammeurs sont ces spectateurs qui se jettent depuis la scène, surfant au-dessus de la foule.
C’est très chaud, et le groupe clame sa joie
d’être à Paris, « meilleure date de sa tournée ! »
Quand s’achève la chanson fétiche du couple, Julien plaisante : « C’est bon, on peut y aller ! » Boire une bière par exemple. Et le couple se dirige vers le bar, croisant au passage le
pote Nick Alexander, qui s’occupe du merchandising du groupe, et son amie, Helen. Caroline est tentée de rester sur ce stand qui, légèrement surélevé, permet de mieux voir la
scène. Mais elle rejoint Mathieu et ses copains. Il est 21 h 30. Le groupe entame Kiss the
Devil. Les amis dansent, se frôlent, balancent.
« On est super heureux. » C’est alors que débutent les premiers tirs.
« DES TIRS, DES TIRS, DES TIRS »
« Je pense qu’un truc électrique a craqué, dit
Caroline. Mais des gens visiblement s’affolent.
– Moi, je ne tourne même pas la tête. Je me
dis : c’est la pompe à bière qui a pété. »
Mais les tirs reprennent. En rafale. Caroline :
« Des tirs, des tirs, des tirs. Je veux me retourner, je ne peux pas, je suis éjectée en avant, des
gens me tombent dessus en hurlant, j’appelle
Julien, il me tend la main, et puis il tombe, piétiné lui aussi, plein de gens nous dégringolent
dessus, c’est comme un domino. » Et les tirs se
poursuivent. « Il n’y a pas de répit. C’est une
éternité. J’ai le visage écrasé contre le sol, étouf-
« Je t’aime.
On ne doit pas mourir »
Bataclan, 21 h 40, le 13 novembre. Caroline
et Julien, 37 et 36 ans, parents de trois enfants,
assistent au concert des Eagles of Death Metal.
Récit de deux survivants
fée. Julien me souffle : “Tu respires, bébé ? Tu
respires ?” Il tente de me dégager la tête. Mais
je comprends très vite qu’il ne faut pas bouger.
Qu’il faut fermer les yeux et faire la morte. Une
horrible odeur de poudre me prend la gorge. »
Julien ne sent pas la poudre. « J’ai le bras sur
toi, dit-il, poursuivant le récit de sa compagne. En fait, je t’ai rattrapée par terre avant de
m’étaler. Je fais le bras dur pour que les autres
ne t’écrasent pas, mais il y a des mecs dessus,
dessous. C’est effarant. Et ça mitraille. Dix bonnes minutes. Dix ! Je glisse au type qui est sur
mon bras : “Excuse-moi, mec, mais t’écrases
ma meuf.” Il te chuchote : “Ça va, ma puce ?” en
tapotant ta tête. Je me souviens que ça
m’énerve. Je ne réalise pas encore à ce moment-là. »
« FAUT PAS QUE JE BOUGE »
Caroline réalise. Un carnage est en cours. Elle
ne sait pas qui tire. Elle pense aux enfants.
« J’ai conscience qu’on est en train de mourir.
J’attends le moment où on va prendre une
balle, sentir une grande brûlure qui nous
transpercera le corps. Je n’entends ni cris ni gémissements. Pourtant, on meurt tout près de
moi. »
« Tu ne pouvais pas entendre les cris puisqu’il
y avait ces tirs ! Papapapapa. Non-stop ! J’ai encore des acouphènes, des fois je perds mon
oreille droite. Ils ont vidé plusieurs chargeurs.
Je pensais : ils n’auront plus de munitions. Mais
si. Ils rechargent calmement : kling kling. Et ça
repart. »
Soudain un grand silence. Et quelques
coups ponctuels. Les terroristes marchent
dans la fosse. Achèvent ceux qui gémissent
ou esquissent un mouvement. Caroline : « On
est tétanisés. Chaque coup de feu – pounc,
pounc – est suivi d’un gémissement. »
« Je suis à califourchon sur toi. Au niveau de
mon visage, j’ai la jambe pleine de sang d’un
mec qui s’est pris une balle. Je me dis : faut que
je fasse comme lui si je m’en prends une, faut
pas que je bouge. Mais, en y repensant, il était
mort. Je pense qu’à tout moment, ma tête peut
exploser et que je vais passer de l’autre côté
sans dire “je t’aime” à ma meuf. Du coup, je le
CAROLINE RÉALISE.
UN CARNAGE
EST EN COURS.
ELLE NE SAIT PAS
QUI TIRE.
ELLE PENSE
AUX ENFANTS.
« JE N’ENTENDS
NI CRIS
NI GÉMISSEMENTS.
POURTANT
ON MEURT TOUT
PRÈS DE MOI »
lui dis. Et puis je rajoute : “Mais c’est pas maintenant qu’on doit mourir.” »
Les tirs ont stoppé. Le silence est terrible.
Qui est mort ? Qui est vivant ? Les corps sont
enchevêtrés. Julien bouge le bras pour tenter
d’attraper son portable. « Bouge pas », supplie
Caroline. Et Julien se dit aujourd’hui que
beaucoup ont dû mourir pour avoir tenté
d’appeler la police. A nouveau quelques tirs,
mais bien plus éloignés. Julien : « Faut se barrer, j’me dis. Suis pas un lapin. J’aperçois une
sortie de secours ouverte derrière des portes
battantes. Je vois même un mec s’enfuir. C’est
le moment ! Je prends la main de Caro et la tire.
Et là, je ne sais plus rien, c’est l’amnésie. Je sais
juste que je cours. » Caroline ne bouge pas, tétanisée, certaine qu’elle va entendre le bruit
d’une balle et que Julien va s’effondrer à deux
mètres d’elle. Il a couru « plus vite que la lumière » et se retrouve derrière la fameuse
porte. « Caro m’a lâché la main et je ne peux
pas le croire. Une putain d’angoisse m’envahit.
Je rouvre la porte et je gueule dans ce silence de
fou : “Caro ! Caro ! Sors ! Tu peux le faire !” »
Sa voix résonne dans tout le Bataclan. Mais
rien ne se passe. La porte entrouverte par Julien donne le signal à quelques personnes
qu’une issue est possible. Plusieurs se faufilent, mais glissent dans une marre de sang et
s’étalent tous dans l’escalier. « Mon cœur
pulse. Je me dis qu’il doit y avoir 15 000 Caro.
Alors je gueule : “Caro, c’est Julien !” Mais il doit
y avoir aussi 15 000 Julien. Alors je sors mon
surnom. “Caro ! C’est Chaton ! Sors ! Sors !” Et je
gueule à m’éclater la gorge, désespéré. »
« ILS ACHÈVENT LES GENS »
Caroline a entendu Julien. Ce n’est que maintenant qu’elle ose ouvrir les yeux. Autour
d’elle, oui, « l’apocalypse ». Les gens sont
morts. Elle entend un tueur dire calmement à
l’autre : « Viens, allons par là-bas. On reviendra
ici après. » Il n’y a plus à hésiter. Elle rampe
lentement, angoissée à l’idée d’attirer l’attention, se glisse sous une barrière protégeant la
console et d’un coup se relève pour courir
vers la porte « Je ne sais plus trop comment, je
veux juste sauver ma peau. Je dérape à mon
tour dans le sang, et j’atterris dehors, face à un
flic qui me crie dessus pour que je détale. Mais
Julien n’est pas avec moi. Alors c’est moi qui
hurle : “Je suis là, bébé !” On m’entend dans la
vidéo du journaliste du Monde. » Elle retourne
dans le sas du Bataclan.
« Je l’avais pas vue ! Je me planquais derrière
la porte entre deux gueulements dans la salle.
Quand j’ai entendu sa voix dehors, pfff. Mon
cœur a explosé de joie. » Il faut courir, car les
tirs reprennent, les terroristes visent les gens
qui fuient. Caroline craque. « Je ne peux plus
marcher, plus parler, je pense aux enfants. »
Dans la rue, il y a des corps, de grands blessés,
des jeunes en état de choc. Se pourrait-il que
les terroristes fassent sauter plusieurs lieux
de concerts ? Caro y pense soudain, tant
d’autres amis sont dispersés dans d’autres
salles. Il faut les prévenir.
« Julien appelle notre boss à La Cigale, qui
croit d’abord à une blague jusqu’à ce que le
proprio du Bataclan, juste en face de lui, reçoive à son tour un appel l’avertissant du
drame. » Et puis il y a les amis restés dans la
fosse. Arnaud, Mathieu… Les textos du premier leur parviennent en salve. « Ils arrivent », « ils achèvent les gens », « putain faut
des secours, c’est un massacre », « voilà le numéro de mon père… », « dis-lui que je l’aime »,
« je vous kiffe les amis », « putain c’est la fin ».
« TIENS BON, LES KEUFS ARRIVENT »
Il n’est que 22 h 50. Caro prend le relais des
textos pour dire : « tiens bon », « tu meurs pas
ce soir », « les keufs vont rentrer… » Julien ne
cesse de composer le 17. « J’enrage, il faut donner l’assaut, ça crève dans la salle, et le 17 sonne
à vide. » L’amie de Nick Alexander les avertit
qu’il vient de mourir dans ses bras. Caroline
écrit un message à Thomas Ayad, sur Facebook : « Dis quelque chose ! » Il ne répondra
pas. C’est l’un des premiers morts.
Le couple s’est réfugié dans une famille
dont l’appartement, au dernier étage, jouxte
le Bataclan et d’où ils entendent l’assaut de la
police. Mais ils veulent vite partir, retrouver
leurs amis, leurs enfants. Le témoignage de
Julien, qui a parfaitement vu le visage d’un
terroriste, intéresse les policiers. On veut les
transférer au 36, quai des Orfèvres. Caro insiste : « Demain, je vous jure qu’on revient demain. »
Ils se rendront le lendemain matin au 36. Ils
témoigneront, du mieux qu’ils peuvent, et
déposeront une plainte. Julien y tient et s’y
accroche. Caro se demande à quoi bon. Mais
quand le policier lui déclare, très calmement :
« Madame, vous êtes victime d’un attentat »,
elle s’effondre. « Il met des mots sur ce que
nous avons vécu. » Et tout devient réel. p
les attaques terroristes à paris | 17
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DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
La Californie et le design
Keith Richards, Modiano
et la tribu
Nohemi Gonzalez
Suzon Garrigues
Quand le professeur Michael LaForte
pense à Nohemi Gonzalez, ce qui lui revient en mémoire, c’est son « énergie ».
Son appétit de découvrir un monde plein
de promesses. Et, bien sûr, son sourire,
généreux, pétillant. Tous les proches de
l’étudiante l’évoquent, ce sourire. Il est
là, sur la photo géante de la cérémonie
aux bougies qui s’est tenue le soir du
15 novembre sur « l’esplanade de l’amitié » du campus de l’université, en présence de plus de 2 000 personnes. Nohemi sourit à la vie, confiante,
rayonnante, un rien espiègle.
Fille d’immigrants mexicains installés à
Whittier (Californie), dans l’est de Los Angeles, Nohemi, 23 ans, était la première
de sa famille à suivre des études supérieures. Pour les payer, elle avait pris un
petit boulot à l’atelier de travaux pratiques de l’université de l’Etat de la Californie à Long Beach (CSULB). C’est là qu’elle
a découvert le design, qui est devenu sa
passion.
Rapidement, elle a pris la responsabilité
de l’atelier. Serviable, toujours en train
d’aider ceux qui n’avaient pas fini, mais
disciplinée, disent ses camarades. Il ne
faisait pas bon laisser l’endroit en désordre. « Elle était petite, a confié Matias
Ocana, l’un des instructeurs. Mais elle
avait beaucoup de force. » Sa famille et
ses amis l’appelaient « Mimi ».
En quatrième et dernière année, Nohemi
Gonzalez avait sauté sur la possibilité
d’accomplir un semestre à l’étranger.
Avec trois autres étudiants, elle a été acceptée à l’école de design Strate, à Sèvres
(Hauts-de-Seine). C’était son premier séjour hors des Etats-Unis.
Le 19 octobre, elle avait fêté ses 23 ans
dans un restaurant parisien. Tim Mraz,
son boy-friend depuis 2012, n’avait pas pu
faire le voyage. Beatriz, sa maman, lui
avait envoyé ses vœux sur Facebook dans
un mélange d’anglais et d’espagnol :
« Happy birthday de mi. » Depuis deux ans,
Beatriz Gonzalez avait ouvert son propre
salon de coiffure, l’Imperial Barbershop, à
Lynwood, au nord de Long Beach. C’est là
qu’elle s’est réfugiée, trois jours après la
mort de son « bébé ». Nohemi en avait
dessiné la décoration.
Vendredi 13 novembre au soir, Nohemi
avait rendez-vous avec un groupe d’amis,
dont certains étaient venus des EtatsUnis pour visiter Paris. Ils se sont retrouvés pour prendre une bière à la terrasse
de La Belle Equipe, rue de Charonne.
Nohemi Gonzalez allait rentrer en Californie en février et se préparait pour la cérémonie de fin d’études en mai. Elle se destinait au dessin industriel, et se
passionnait pour les objets recyclables.
L’une des créations de son groupe, le
« polli snack » – une boîte-emballage biodégradable et transformable – venait de
recevoir le deuxième prix dans un concours international de design. L’avenir lui
souriait. p
Suzon Garrigues avait offert cette place
de concert des Eagles of Death Metal à
son jeune frère, Paul, pour ses 17 ans.
Paul a échappé par miracle à la mort.
Suzon a été tuée sur le coup, à 21 ans.
Passionnée de Keith Richards, fan de
rock, elle était au centre d’une tribu recomposée, avec son père et sa bellemère, son frère, Paul, ses deux demi-sœurs, Roxane, 29 ans, et Salomé,
12 ans, son demi-frère, Tristan, 27 ans,
et… Cacou, le chat.
Ils avaient pour habitude de se retrouver
tous les dimanches soir pour des dîners
joyeux, dans l’appartement familial rue
de Charonne, dans le 11e arrondissement de Paris. Ils partaient aussi chaque
année tous ensemble en vacances, surtout en Italie, pour partager l’amour de
la peinture. La mère de Suzon, Sabine,
professeure de yoga, n’habitait pas très
loin et participait à toutes les réunions
familiales. Suzon était allée la retrouver
l’an dernier en Inde ; elle en était revenue éblouie.
Excellent cuisinier, son père partageait
avec Suzon la passion des bons petits
plats. Elle adorait le ris d’agneau, les
huîtres, les truffes et le vin rouge, et pardessus tout « l’osso-buco de son père ».
Suzon venait de prendre un appartement à Paris avec son amie d’enfance
Margaux, qui se souvient : « Suzon aimait
sortir, la musique, boire des verres, bien
manger. » Barthélémy Jobert, président
de l’université Paris-Sorbonne, a rendu
hommage à cette brillante étudiante en
troisième année de licence de lettres
modernes appliquées : « Elle laisse à ses
camarades le souvenir de la plus généreuse, la plus altruiste, la plus drôle des
amies, et aussi d’une inconditionnelle et
fidèle admiratrice de Zola. » Pas seulement : Suzon aimait aussi Modiano, venait de lire L’Espoir, de Malraux, le travail
de Bernard-Marie Koltès, et tant
d’autres. Elle voulait être journaliste.
D’une grande sensibilité, très curieuse,
et à la fois discrète, Suzon « retenait tout
sur les gens, lorsque l’on se retrouvait en
vacances avec une trentaine d’amis, elle
se souvenait de chacun, me rappelait que
c’était l’anniversaire de telle amie…
C’était notre agenda », se souvient Marlène Calvignac, sa belle-mère, qui a vécu
six ans avec elle. Un vibrant hommage
lui a également été rendu par la ville de
Maisons-Laffitte (Yvelines), où son père,
Jean-Michel Garrigues, est médecin dermatologue.
Margaux et Suzon étaient parties en
week-end à Amsterdam il y a un an, et
Suzon rêvait d’aller à Cuba, pour « louer
une grande maison, apprendre à danser
et boire du rhum », dit Margaux. Son père
et sa belle-mère avaient retapé une maison de campagne en Normandie, pour
qu’eux et leurs cinq enfants, leur « tribu
adorée », puissent s’échapper de Paris.
Une chambre y est aujourd’hui vide. p
corine lesnes
(san francisco, correspondante)
pascale santi
Numéro 10 et agrégé de géo
« Stars Wars » et les mangas
La basse et le snowboard
Matthieu Giroud
Matthieu de Rorthais
Christophe Foultier
Mardi 17 novembre, ils sont venus nombreux, dans un café parisien, saluer la
mémoire de Matthieu Giroud, tué quatre
jours plus tôt au Bataclan. Sa compagne,
Aurélie, sa famille, ses collègues de l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée, où il enseignait la géographie, et ceux du CNRS,
ses amis artistes, son copain venu de
Norvège. Ils ont écouté Pearl Jam, Noir
Désir ou Queens of the Stone Age, dont il
espérait voir le chanteur-guitariste sur
scène pendant le concert des Eagles of
Death Metal, puisque le musicien se produit dans les deux groupes.
« Une soirée consacrée à lui. Il aurait détesté ça, ironise son ami Hadrien Dubucs,
mais ce moment était à la hauteur de ce
qu’il incarnait si bien, cette capacité à être
proche et attentif aux autres. » Un moment paradoxal aux yeux de ceux qui ont
côtoyé ce maître de conférences de 39
ans, chaleureux et humble, qui refusait
de célébrer son anniversaire mais
n’oubliait jamais de fêter celui des autres.
« La vie commence. La vie sans Matthieu », a réagi sa sœur Marion. La vie
avec lui a comblé beaucoup de monde.
Aux côtés d’Aurélie Silvestre, ils formaient
« le genre de couple qui attend chaque
soir avec impatience de se retrouver, qui
s’échange 65 textos par jour », témoigne
Fabienne Silvestre-Bertoncini, la sœur
d’Aurélie. Cette dernière devra dorénavant compter sans lui pour donner le
bain à Gary, 3 ans, et prendre soin de sa
petite sœur qui naîtra au printemps. « Il
était tellement modeste que je ne savais
pas qu’il était si brillant », dit-elle, à l’instar de François Giroud, son père, décontenancé par ces hommages, « comme si
on découvrait un fils plus grand que celui
qu’on connaissait ».
Cet enfant de Jarrie, dans l’Isère, a découvert le foot à 5 ans et la guitare basse
à l’adolescence. « Sur le terrain, il était
numéro 10, celui qui garde son calme, organise le jeu. Ça lui allait bien de distribuer, c’était dans son caractère », écrit
dans une tribune l’universitaire Sylvain
Pattieu. Après la faculté et l’agrégation
décrochée en auditeur libre, il rejoint Poitiers puis Clermont-Ferrand. « Son arrivée,
c’était un pavé de modernité, de créativité
et d’urbanité qui tombait dans une maison un peu endormie », se souvient sa collègue Hélène Roth. Il faisait partie de « la
nouvelle génération de la géographie urbaine et sociale, totalement en phase avec
son temps », ajoute son directeur de maîtrise, Martin Vanier. Pour sa thèse, il avait
choisi d’étudier des quartiers en voie de
gentrification. « Il aimait arpenter le 10e
arrondissement pour ressentir les choses,
conforter son ancrage populaire », confie
son ami Christophe Imbert. Sur l’ardoise
du café où ils se sont réunis mardi, ses
proches ont laissé ces mots : « Keep walking. » p
La musique « guidait sa vie ». « Un amoureux », « un passionné » de pop, de rock et
curieux des autres genres. La vie de Matthieu de Rorthais, rythmée par les concerts, s’est arrêtée pendant celui des
Eagles of Death Metal, vendredi 13 novembre au Bataclan.
Depuis un an, ce grand brun de 32 ans,
calme et souriant, était disquaire à la
Fnac de Rosny-sous-Bois (Seine-SaintDenis). « Il avait enfin trouvé sa voie », assure sa sœur Camille. Cette voie, il
l’avait cherchée quelques années. Une
scolarité à Saint-Mandé (Val-de-Marne),
quand la famille habitait porte de Vincennes – en face de l’Hyper Cacher –
puis des études d’infographie à Paris et
un parcours professionnel un peu
chaotique.
Mais Matthieu est un battant. En 2011 et
2012, il doit affronter un cancer. Nullement abattu, il impressionne ses proches, les rassure et reste lui-même.
Quelqu’un de sensible et à l’écoute, gentil et pince-sans-rire, jamais à court de
saillies d’humour noir. Quelqu’un pour
qui la famille importe beaucoup, proche
de ses petites sœurs Camille et Pauline,
de ses parents Marc et Myriam, de ses
cousins. Quelqu’un « élevé dans la diversité des peuples, l’amour des différences », lui qui n’oublie pas ses origines tunisiennes par sa mère, témoigne son
cousin Jérémie.
La victoire sur la maladie constitue un
nouveau départ pour Matthieu, qui cherche activement du travail jusqu’à son
embauche à la Fnac. Le job rêvé pour ce
passionné de cinéma et notamment de
Star Wars, de mangas et de musique,
surtout. Sans la pratiquer vraiment sur
sa guitare électrique, il était devenu
« une véritable encyclopédie » – utile lorsqu’il sortait avec ses amis faire des quiz
musicaux dans des bars parisiens. « Cela
lui a valu une bouteille de champagne
par-ci, un verre offert par le bar
par-là… », se souvient Camille.
Tout allait bien pour Matthieu jusqu’à ce
13 novembre 2015. Il vivait « heureux »
chez ses parents mais envisageait désormais de s’installer avec Chloé, sa copine
depuis cinq ans. Tout en profitant pleinement de sa passion pour la musique
et les concerts, parfois avec des amis,
parfois seul. Sa famille a retrouvé dans
sa chambre une dizaine de billets pour
des concerts à venir. Dès le 16 novembre,
Matthieu avait prévu d’être à Bercy pour
applaudir les Foo Fighters. Son cousin
Jérémie se désole : « Il aura survécu à un
cancer mais ne revient pas vivant d’un
concert. Si triste ironie. » p
Il y a quelques jours seulement, Christophe Foultier avait trouvé le nom du
groupe de rock qu’il avait monté cette
année avec son meilleur ami : ce serait
« Nite Nite », comme cette façon enfantine de se souhaiter bonne nuit de
l’autre côté de l’Atlantique. Alors, bien
sûr, depuis que des terroristes ont volé
sa vie, au Bataclan, le 13 novembre, l’expression a perdu de sa connotation espiègle pour se teinter de tragique. Mais
une semaine après les attentats, Rudy
Flagnaud, le second membre du duo, a
publié en ligne deux morceaux qui devaient figurer sur le disque qu’ils préparaient, ce projet qui tenait tant à cœur à
son ami. « J’ai envie que les gens écoutent, qu’ils sachent que c’était un grand
musicien et quelqu’un de génial », raconte celui qui passait avec Christophe
« tout son temps libre ».
D’autant que baisser les bras et laisser
couler, ce n’était pas vraiment le genre du
bonhomme. « Il disait toujours qu’il fallait
vivre intensément et ne jamais perdre une
minute, qu’on se reposerait quand on serait à la retraite », clame son épouse, Caroline Jolivet, la mère de ses deux enfants, une fille de 6 ans et un garçon de
2 ans. Il n’y a guère que les nuits blanches
que lui a imposées il y a quelques mois le
sommeil capricieux de son fils qui ont
réussi à fatiguer le « grand brun baraque »
que décrit sa femme. Ses proches dépeignent à l’unisson une aura, une bienveillance, une solidité à toute épreuve,
une énergie sans cesse déployée pour
pousser ses proches à aller de l’avant.
« Quelqu’un d’aimable, au sens premier du
terme », résume Rudy Flagnaud.
A 39 ans, Christophe était directeur artistique, en free lance parce qu’il « n’aimait
pas trop les cadres rigides », souffle Caroline Jolivet. Ses trucs à lui, c’était plutôt
la vitesse, le skate, le snowboard, les vastes espaces et le grand air – il envisageait
d’ailleurs de s’installer avec sa famille, à
Vancouver, au Canada. La grande passion
de sa vie était surtout la musique. Bassiste, il vadrouillait autant que possible
dans les concerts avec son épouse et leur
bande de copains. Caroline et Christophe
adoraient aller au Bataclan, dont ils savouraient la programmation fidèle à leurs
goûts, et où ils avaient assisté à leur premier concert de jeune couple. Le 13 novembre, Christophe est allé écouter les
Eagles of Death Metal avec trois amis, les
mêmes avec qui il avait déjà vu le groupe
californien cinq mois auparavant, dans
une autre salle parisienne. Ce soir-là, seul
lui n’est pas sorti de la salle. p
enora ollivier
alexandre pouchard
simon roger
Mémorial du 13 novembre
« Le Monde » publie chaque jour des portraits
des victimes des attentats, afin de conserver, avec l’aide
de leurs proches, la mémoire de ces vies fauchées
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DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Finances de l’EI
La guerre secrète
Au-delà des bombardements
aériens, les puissances
occidentales cherchent à frapper
au portefeuille l’Etat islamique.
L’organisation djihadiste
aime à se présenter comme
la plus riche de tous les temps
ENQUÊTE
benjamin barthe (à beyrouth),
jean-michel bezat, jacques follorou,
allan kaval (à erbil) et hélène sallon
photo : émilien urbano/myop
D
ans son fief de Mossoul, dans
le nord de l’Irak, l’organisation Etat islamique (EI) traque jusqu’à la plus petite
source de revenus. Ses hommes mettent la main sur les
dernières propriétés foncières qui leur échappent pour les revendre à bas prix. Mi-novembre, un message du directorat des propriétés
immobilières de l’EI a été diffusé sur la radio
Al-Biyan, exhortant les habitants à leur signaler toutes les propriétés abandonnées. Dans le
même temps, les commerçants se sont vu réclamer l’intégralité des taxes pour l’année
2016, ce qui a précipité la fermeture d’un tiers
des boutiques de vêtements de la rue commerçante Dawasa et de plusieurs dizaines de
restaurants du quartier de l’université. Les salaires de ceux que l’EI emploie ont été divisés
par deux. Manuels scolaires et soins médicaux sont désormais payants. La zakat,
l’aumône pour les pauvres, a été portée de
2,5 % à 10 %. Et la police des mœurs n’a plus de
clémence dans les amendes qu’elle distribue.
Ces mesures d’austérité, dont ont témoigné
au Monde des habitants de Mossoul joints
par téléphone, pourraient être le signe, pour
les experts, des effets des pressions exercées
sur les finances de l’EI. L’Etat islamique « vit
sur ses réserves et a un budget structurellement déficitaire », estime-t-on chez Tracfin.
La manne collectée lors des conquêtes territoriales s’épuise, les populations s’appauvrissent et l’intensification des frappes contre les
installations pétrolières a accentué la baisse
des revenus. La perte, en juin, de Tal Abyad,
en Syrie, porte d’accès vers la Turquie, puis de
Sinjar, en novembre, sur la route reliant Mossoul à Rakka, a entravé ses capacités de déplacement. La surveillance renforcée des mouvements de biens et de personnes perturbe
ses réseaux d’approvisionnement.
En difficulté, l’organisation djihadiste est
toutefois loin de la banqueroute. L’EI demeure « l’une des organisations terroristes les
mieux financées », disposant d’un système financier « robuste et largement autosuffisant », estime le département d’Etat américain, dans un rapport publié mi-octobre. Il a
mis sur pied une économie diversifiée, dont
les comptes sont tenus à la virgule près par le
ministère des finances (« Bayt Al-Mal ») et ses
relais dans les « provinces » de l’EI. Mais c’est
une économie de guerre, tournée avant tout
vers les dépenses militaires. « Leur objectif
n’est pas de développer Rakka ou Mossoul
mais de les gouverner sans qu’il n’y ait de soulèvement », souligne une source onusienne.
Depuis sa naissance en Irak en 2004, en réaction à l’invasion américaine, l’organisation djihadiste a investi les réseaux de contrebande à
cheval sur la frontière irako-syro-turque, paradis des trafiquants de tout poil depuis les années 1990. Trafics et extorsions lui ont permis
de s’émanciper des donations étrangères. Ces
dernières ne représentaient que 5 % de ses recettes entre 2005 et 2010, selon le Pentagone.
La part des contributions issues de généreux
donateurs du Golfe ou du détournement d’actions humanitaires n’a pas évolué de façon significative après l’établissement du « califat »
en juin 2014, selon une source onusienne.
« LES RESSOURCES NE SONT PAS ILLIMITÉES »
La conquête d’un tiers de la Syrie et de l’Irak et
le maintien sous son joug de près de 10 millions d’habitants ont offert à l’EI de nouvelles
sources de financement. Il s’est retrouvé à la
tête d’un véritable butin tiré du pillage des
banques – 500 à 800 millions de dollars (471 à
753 millions d’euros), selon le département
d’Etat américain –, des stocks d’armes, du
pillage des sites archéologiques et de la confiscation des propriétés publiques et privées.
Des plaines de Ninive dans le nord de l’Irak
aux provinces de l’est de la Syrie, le mouvement djihadiste administre une région riche
en ressources naturelles : pétrole, gaz, blé,
coton. Le contrôle des mouvements de personnes, de biens et de liquidités vers les
autres provinces d’Irak et de Syrie, ainsi que
les pays limitrophes, décuple les recettes tirées des activités d’extorsions – désormais
sous couvert de taxes et impôts –, de confiscations, de vols et de kidnappings contre rançon. « Cependant, en l’absence de flux entrant
de liquidités, le système de taxes mis en place
par l’EI n’est pas soutenable. Les affaires souffrent de l’isolement et les ressources ne sont
pas illimitées », estime Shwan Zulal, directeur
du Carduschi Risk Consultancy.
Le contrôle de cette région de la taille du
Royaume-Uni en fait un partenaire économique incontournable, même pour ses ennemis déclarés. Son pétrole alimente les zones
tenues par l’opposition modérée comme celles du régime syrien. « Daech [acronyme
DES PLAINES
DE NINIVE DANS
LE NORD DE L’IRAK
AUX PROVINCES
DE L’EST
DE LA SYRIE,
LE MOUVEMENT
DJIHADISTE
ADMINISTRE
UNE RÉGION RICHE
EN RESSOURCES
NATURELLES
arabe de l’EI] a vendu du pétrole au gouvernement syrien. On n’a pas la facture, mais on a de
bonnes sources », indique un diplomate occidental. Mercredi 25 novembre, le département du Trésor américain a placé l’homme
d’affaires syrien George Hassouani sur la liste
des personnes sanctionnées pour avoir
« servi d’intermédiaire dans l’achat de pétrole
par le régime syrien » à l’EI. Une même conjonction d’intérêts existe dans le secteur gazier. Employé de la compagnie nationale de
gaz à Al-Chaddadi, dans le nord-est de la Syrie,
jusque début 2015, Abou Ahmed a travaillé un
an sous le contrôle de l’EI, tout en continuant
à toucher son salaire du gouvernement. « Il y
a un accord tacite avec le régime. Ses avions
ont bombardé toute la ville, sauf le site. L’usine
ne fonctionne pas à plein régime, mais il y a un
système de pompage automatique qui envoie
le gaz vers les générateurs électriques de Homs
et Deir ez-Zor », nous a-t-il confié.
Les agences antiterroristes et les experts
ont une vision encore parcellaire des finances de l’EI. L’estimation de ses revenus annuels varie, selon les sources, dans une fourchette comprise entre 700 millions et
2,9 milliards de dollars, sans compter les
sommes que l’EI pourrait avoir blanchies sur
les marchés financiers.
L’EI aurait pour sa part annoncé un budget
de 2 milliards de dollars pour l’année 2015,
avec un excédent escompté de 250 millions,
selon David Cohen, sous-secrétaire chargé de
la lutte antiterroriste et des renseignements
financiers au Trésor américain. Un document du ministère des finances de la province de l’EI à Deir ez-Zor, daté de janvier, que
s’est procuré le chercheur Aymenn Al-Tamimi, offre un aperçu de la répartition de son
budget. Sur 8,5 millions de dollars de recettes
mensuelles de la province, 44,7 % proviennent des confiscations, 27,7 % du pétrole et
23,7 % des taxes. Plus de 5,5 millions ont été
dépensés, ventilés entre salaires des combat-
tants (43,6 %), bases militaires (19,8 %), services à la population (17,7 %), police islamique
(10,4 %), aides (5,7 %) et médias (2,8 %).
Ce document conforte les estimations des
experts, pour qui le pétrole n’est pas la source
principale de financement de l’Etat islamique.
L’organisation, qui contrôle 60 % de la production pétrolière en Syrie et 10 % en Irak, a été incapable de maintenir la production à son niveau de 2014, estimé à plus de 100 000 barils
par jour par certains experts. « C’est très difficile à estimer, mais cette production ne doit
plus dépasser 20 000 barils par jour
aujourd’hui », explique Pierre Terzian, directeur de la revue Pétrostratégies. La
main-d’œuvre expérimentée que l’EI a recrutée n’a pas réussi à remettre sur pied des installations déjà en mauvais état ni à raffiner le
pétrole à grande échelle. Le baril de brut vendu
à 20 ou 30 dollars par l’EI est devenu moins
profitable avec la chute des prix du baril.
FLUX DE LIQUIDITÉS ET CONTREBANDE
« La capacité d’exportation de pétrole brut de
l’EI s’est considérablement réduite. Elle semble
se limiter dorénavant à des transactions menées avec le régime syrien dans la région de
Deir ez-Zor », estime Patrick Osgood, expert à
l’Iraq Oil Report. La production suffit à peine
à la consommation locale en territoire EI.
Selon Louay Al-Khatteeb, le directeur de
l’Iraqi Energy Institute du centre Brookings,
il faut au minimum de 70 000 à 80 000 barils par jour pour couvrir les besoins : diesel
pour les générateurs, essence pour les véhicules et gaz pour la cuisine et le chauffage.
Les prix ne cessent donc d’augmenter. « Cela
dénote d’une rareté croissante des produits
raffinés et probablement d’un recours à la
contrebande pour en faire venir depuis l’extérieur, d’autant plus que l’EI n’est pas en mesure
de faire produire sur ses territoires des produits raffinés d’une qualité satisfaisante », estime Shwan Zulal.
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DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Champs de pétrole non
loin de Roumelan, dans
la province syrienne
d’Hassaké.
Cette photo, prise en août,
est issue des travaux du
Français Emilien Urbano.
Depuis l’été 2015, ce
dernier a réalisé plusieurs
reportages pour
« Le Monde » autour
des combattants kurdes.
ÉMILIEN URBANO/MYOP POUR « LE
MONDE »
L’intensification des frappes aériennes
contre les installations et convois pétroliers de
l’EI, en novembre, devrait neutraliser presque
totalement cette ressource. L’objectif déclaré
de l’opération américaine « Tidal Wave II » est
de détruire durablement les deux tiers des capacités de production de l’EI et de dissuader les
transporteurs qui traitent avec lui.
Le secteur pétrolier est la cible la plus accessible à la coalition internationale. Mais le nerf de
la guerre se trouve dans les flux de liquidités et
la contrebande de biens avec l’extérieur, qui
apportent à l’EI d’importantes recettes sous
forme de taxes et de confiscations. Tarir ces
ressources est autrement plus complexe. « On
ne peut quand même pas bombarder le marché
de Mossoul ! », s’exclame une source onu-
sienne. En dépit des pertes territoriales, l’EI
s’est toujours assuré de maintenir ces réseaux
d’approvisionnement, essentiels à sa survie.
Les bureaux de transfert d’argent à Kirkouk
sont le point nodal des flux financiers vers
Mossoul et les territoires de l’EI. Les autorités
d’Erbil cherchent, d’après Patrick Osgood, à
limiter ces flux, en vain. Un ingénieur de Bagdad a ainsi expliqué au Monde pouvoir transférer de l’argent à son cousin à Mossoul, via
Kirkouk, sans que ce dernier n’ait à se déplacer. Les autorités irakiennes ont, elles, décidé
de cesser de verser les salaires aux fonctionnaires vivant dans les zones contrôlées par l’EI
depuis juillet 2015. La mesure est appliquée à
Mossoul, mais pas à Fallouja, à défaut de listes
à jour des fonctionnaires restés sur place ou
LES BUREAUX
DE TRANSFERT
D’ARGENT
À KIRKOUK SONT
LE POINT NODAL
DES FLUX
FINANCIERS
VERS MOSSOUL
ET LES
TERRITOIRES
DE L’EI
partis en exil, indique un humanitaire originaire de la ville, déplacé au Kurdistan.
Cela représente un manque à gagner pour
l’EI qui appliquait une taxe sur ces salaires. Il
lorgne désormais du côté des retraites, qui
sont perçues au moyen de cartes à puce dans
des bureaux privés disposant d’une connexion à Internet. « L’EI a annoncé que, à partir du 1er décembre, l’accès à Internet ne sera
possible que dans des points agréés. C’est une
manière de surveiller et de centraliser ce type
de transfert d’argent », témoigne un professeur de Mossoul, exilé à Erbil, en contact
avec la ville. En Syrie, en revanche, il semble
que l’Etat continuerait à verser des salaires
aux fonctionnaires restés dans les zones
contrôlées par l’EI.
Un autre trafic juteux donne du fil à retordre
à la communauté internationale. Le trafic
d’œuvres d’art a pris une dimension inédite.
Selon le Groupe d’action financière, l’organisme intergouvernemental antiblanchiment,
l’EI contrôle plus de 4 500 sites archéologiques,
soit un tiers de ceux répertoriés en Irak et en
Syrie, qu’il exploite méthodiquement. Des permis de fouille sont attribués à des familles, et
des taxes de 20 % à 50 % appliquées sur les objets trouvés. Tablettes de l’ère sumérienne ou
artefacts assyriens transitent par camions via
les pays limitrophes pour alimenter le marché
de l’art international. Les salles de vente ferment les yeux sur l’écoulement de ces objets,
et les mesures prises par l’Unesco, en coordination avec Interpol, ont encore peu d’effet. p
Arabie saoudite et Qatar : le soupçon permanent d’un financement du Golfe
les monarchies du golfe seraient-elles les mécènes secrets de l’Etat islamique (EI) ? Les attentats
du 13 novembre, en France, ont relancé le débat
sur la responsabilité de ces pays, au premier rang
desquels l’Arabie saoudite, dans l’essor spectaculaire du mouvement djihadiste. Or, cette controverse amalgame critiques légitimes et contresens.
Premier constat : l’EI n’a pas besoin de contributions extérieures pour boucler son budget. Cette
analyse strictement comptable est partagée par à
peu près tous les spécialistes de la question. A supposer que ce proto-Etat mafieux empoche ici et là
quelques donations privées, ces montants restent
insignifiants par rapport aux dizaines de millions
de dollars qu’il tire de la mise en coupe réglée d’un
territoire aussi grand que le Royaume-Uni.
Ensuite, ni l’Arabie saoudite ni le Qatar, autre
cible rituelle des débats sur les soutiens de l’EI, ne
financent, en tant qu’Etat, l’organisation au drapeau noir. Et pour cause : ils se savent dans le collimateur d’Abou Bakr Al-Baghdadi, le calife autoproclamé de l’EI, qui rêve de mettre la main sur les ri-
chesses pétrolières de la péninsule Arabique. La
dynastie saoudienne, gardienne des deux mosquées les plus saintes de l’islam, est évidemment
la plus menacée par l’homme qui se prétend
« prince des croyants ». Depuis le début de l’année,
le royaume a subi 17 attaques djihadistes, qui ont
causé la mort de 46 civils et 21 policiers.
D’où vient donc le soupçon qui plane en permanence sur Riyad et Doha ? D’abord du wahhabisme, ce courant de l’islam ultrarigoriste qui considère les chiites comme des hérétiques et dont le
salafisme djihadiste brandi par Al-Qaida et l’EI est
une excroissance violente. Le wahhabisme a rang
de religion d’Etat en Arabie saoudite, depuis
qu’Ibn Saoud s’est allié, en 1744, avec le fondateur
de cette doctrine, Mohamed Abdelwahab, pour
fonder le premier Etat saoudien. Il est aussi en
vigueur au Qatar, mais de façon moins stricte.
Les soupçons proviennent ensuite du jeu dangereux auquel les deux pays se sont livrés : l’Arabie,
dans les années 1980, a soutenu le djihad afghan,
le creuset fondateur d’Al-Qaida ; et le Qatar, dans
les années 2000, a offert à Oussama Ben Laden la
caisse de résonance planétaire de la chaîne Al-Jazira. Le « monstre » ainsi créé n’a pas tardé à se retourner contre son géniteur. Quinze des 19 pirates
de l’air du 11 septembre 2001 étaient saoudiens.
Quelques années plus tard, Al-Qaida perpétrait
une série d’attentats dans le royaume.
L’Arabie saoudite et le Qatar ont tiré quelques
leçons de leurs errements. Conscients de la porosité
de leur société aux thèses djihadistes, surtout en
cette période de tension avec l’Iran chiite, ils ont décrété l’EI « organisation terroriste » et ont rallié la
coalition militaire dirigée par les Etats-Unis. En 2014,
Doha a musclé sa législation contre le financement
du terrorisme, par le vote d’une loi encadrant les levées de fonds sur Internet et d’une autre régulant les
activités des associations de charité.
Concernant l’Arabie saoudite, le rapport du département d’Etat américain sur le terrorisme
en 2014 a noté aussi des progrès, tout en s’inquiétant du fait que « des associations caritatives étrangères, soupçonnées de liens avec des groupes terro-
ristes, continuent d’utiliser les réseaux sociaux pour
solliciter des fonds de donateurs saoudiens ». Si des
financements privés arrivent dans les coffres de
l’EI, ils ne viennent pas toujours d’où l’on s’y attend.
Le 19 novembre, le Koweït a révélé avoir démantelé
une cellule qui fournissait des armes, dont des lance-roquettes, à l’organisation. Une annonce passée
inaperçue en France, où cet émirat est généralement exempté des critiques dirigées contre ses
voisins, alors que des millions de dollars y ont été
levés pour les groupes armés agissant en Syrie.
Si la maison des Saoud a appris la vigilance, le
clergé wahhabite répugne à toute autocritique.
Chaque année, en Asie ou en Afrique, de nouvelles
mosquées ou madrasa ouvrent leurs portes grâce à
l’argent de cette institution religieuse. Des lieux
qui prêchent une vulgate intolérante, soubassement idéologique des exactions pratiquées par les
séides d’Al-Baghdadi. L’élite politique du royaume
ne peut dénoncer ces agissements sans fragiliser
sa propre légitimité. p
b. ba. (beyrouth, correspondant)
20 | géopolitique
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
« RESTOS DU TAWHID »
La Belgique, plaque tournante
du djihadisme européen
1
UN CARREFOUR
LOGISTIQUE EUROPÉEN
DU GRAND BANDITISME...
Facilité de circulation
Frontière ouverte de l’espace Schengen
Grand port : trafics facilités
(humain, armement, drogue...)
Autoroute ou nationale
(accès à plusieurs grandes villes
en moins de deux heures)
BRUXELLES
BILAL HADFI
Domicile
à la cité Versailles
P
Laeken
Domicile avenue
Jean-De-la-Hoese.
Chauffeur de
Salah Abdeslam
R
I
R
R
FRÈRES ABDESLAM
FAMILLE ABAAOUD
Ancien domicile
rue de l’Avenir
Grande Mosquée
du cinquantenaire
GrandPlace
Gare
Parlement
européen
BRAHIM ABDESLAM
Bar rue des Béguines
(fermeture administrative
9 jours avant les attentats)
Rotterdam
Lieu où il a été conduit
le 14 novembre
Domicile
place Communale
R
MolenbeekSaint-Jean
SALAH ABDESLAM
Centre
R
islamique
belge
MOHAMED AMRI
Le nombre
de djihadistes
originaires du pays
croît sans cesse.
Ils seraient 285
à avoir rejoint
l’EI ou le Front
Al-Nosra
Association qui distribuait
de la nourriture aux plus
démunis, et qui a joué
un rôle dans le recrutement
de jeunes pour le djihad
ATTENTAT DU MUSÉE
JUIF DE BELGIQUE
R
dont le principal suspect
est Mehdi Nemmouche (
HAMZA ATTOU
& MOHAMED AMRI
Lieu où a été retrouvée
la Golf avec laquelle
les deux hommes ont
exfiltré Salah Abdeslam
Mer du Nord
Plaque tournante du trafic d’armes
SHARIA4BELGIUM
Organisation salafiste créée
en mars 2010 par Fouad
Belkacem. Principal réseau de
recrutement pour le djihad,
il est dissous en 2012
Ville de forte implantation des mafias
albanaise et tchétchène
Porte d’entrée du trafic d’armes
vers l’Europe
)
ABDELHAMID ABAAOUD
Incarcération dans la prison
de Forest entre 2011 et 2012
1 km
Point d’approvisionnement
Principal point de passage
PAYS-BAS
2
... OÙ PROLIFÈRENT
DES MOUVEMENTS RADICAUX...
Ostende
Bruges
AYOUB EL KHAZZANI
Anvers
Géographie de la radicalisation
Ville classée à haut risque
Gand
Nombre de départs pour la Syrie
depuis 2012
QG du groupe salafiste Sharia4Belgium
Malines
Vilvorde
Schaerbeek
Molenbeek-Saint-Jean
Anderlecht
Antenne des « Restos du Tawhid »
Foyer salafiste
BASE LOGISTIQUE
DU GICM
P Mortsel
Séjour de l’auteur
de l’attaque du Thalys
AÉROPORT
DE DÜSSELDORF
Maaseik
I
Démantèlement, en mars
2004, du Groupe islamique
combattant marocain, lié
à Hassan El-Haski, un
des organisateurs des
attentats de Madrid
Vols «low cost»
vers la Turquie
ALLEMAGNE
Genk
Louvain
Maastricht
I
BRUXELLES
Aix-la-Chapelle
Base arrière du djihadisme francophone
Lille
Attentat à Paris - 13 novembre
Verviers
B E LG I Q U E
Attentat manqué du Thalys - 21 août
Liège
Attentat de Charlie Hebdo
et de l’Hyper Cacher - 7 et 9 janvier
Oignies
Mons
ATTAQUE DU THALYS
Attentat du Musée juif
de Belgique à Bruxelles - 24 mai 2014
Base
de l’OTAN
Attentat manqué dans
le Thalys reliant
Amsterdam à Paris
le 21 août
Attentat de Madrid - 11 mars 2004
Lieu de... R radicalisation
P passage
Charleroi
P
AMEDY
COULIBALY
S'est rendu
plusieurs fois
chez un homme
qui a, depuis, été
inculpé pour
trafic d'armes
Spa
CELLULE
DE VERVIERS
Démantelée
lors d’un assaut
policier meurtrier
en janvier 2015
PLAQUE TOURNANTE
DU TRAFIC D’ARMES
Ciney
I Cambrai
I interpellation/contrôle
3
SALAH ABDESLAM
... QUI PROFITENT
DE LA COMPLEXITÉ
POLITICO-ADMINISTRATIVE
Contrôlé, le 14 novembre,
avant que son implication
dans les attentats du 13
novembre ne soit connue
20 km
Un millefeuille administratif...
LUXEMBOURG
rdam
Frontière linguistique
s - Am
ste
Frontière administrative
FRANCE
Municipalité dans laquelle
les autorités ont pu jouer la carte
du clientélisme auprès des musulmans
m
esla
Abd
ah
Sal
de
... alors que les services secrets belges
ont réussi des opérations spectaculaires
bruxelles - correspondant
Réseau démantelé
S
PARIS
Equivalence des cercles
des djihadistes partis
pour la Syrie
5
Arlon
te
Limite des 19 communes à Bruxelles
les bourgmestres ont un pouvoir
de police étendu
Sedan
Fui
Limite des 6 zones de police
à Bruxelles
Lig ne Thaly
s
Pari
... qui n’aide pas au partage
de l’information...
ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE
10 terroristes, dont 2 non identifiés,
5 Français ( ), dont 3 résidant
en Belgique et un Belge ( )
72 101
Carte réalisée avec l’aide de Jean-Charles Antoine, docteur en géopolitique,
expert en trafic d'armes, et Stéphane Mortier, président de l'Union des anciens
étudiants de l'Université libre de Bruxelles en France
Sources : Radicalisme, conséquence d’une fracture ? Comprendre et agir, Cepess,
juin 2015 ; Jean-Charles Antoine, Au cœur du trafic d’armes. Des Balkans aux
banlieues, Vendémiaire, 2012 ; Benjamin Ducol, Devenir djihadiste à l’ère
numérique, université de Laval, 2015 ; Blog de Pieter Van Ostaeyen, Université
de Louvain ; Le Monde
elon les dernières statistiques officielles, 285 Belges sont enrôlés dans
des groupes djihadistes en Syrie et
en Irak. Leur nombre ne cesse de croître et,
de l’avis de plusieurs spécialistes indépendants, ceux qui ont rejoint l’organisation
Etat islamique (EI) ou le Front Al-Nosra, la
branche syrienne d’Al-Qaida, seraient
même en réalité bien plus nombreux (516,
selon l’un d’eux), faisant de la Belgique le
pays européen qui, proportionnellement
à sa population, fournit le plus de combattants islamistes. Beaucoup de jeunes,
dont des convertis, sont, en effet, passés
« sous le radar » des services de police et de
renseignement, qui n’ont découvert leur
existence que lorsqu’ils se sont manifestés à partir des zones de combat.
Les services spécialisés estiment à 135 au
moins le nombre d’enrôlés revenus sur le
sol belge : 85 d’entre eux seraient originaires de Molenbeek, l’une des 19 municipalités de la région de Bruxelles. Si leurs pré-
décesseurs ont souvent été cantonnés à
des tâches de surveillance ou de logistique, ceux qui sont revenus au cours des
derniers mois sont vraisemblablement
plus aguerris.
L’actualité a entraîné une focalisation
sur Molenbeek, mais le phénomène de la
radicalisation est plus vaste. Les premiers
combattants sont partis d’Anvers, Malines
et Vilvorde, recrutés pour la plupart par le
groupe Sharia4Belgium, dont les autorités
ont tardé à mesurer la dangerosité. Son
leader, Fouad Belkacem, cité à comparaître
avec près de 50 de ses comparses – dont
une dizaine déjà morts au combat –, a été
condamné, il y a quelques mois, à douze
ans de prison, à Anvers.
Bruxelles a été l’autre lieu de radicalisation, mais des cellules se sont également
développées dans le Limbourg belge et à
Verviers. C’est là qu’une intervention policière a été nécessaire, en janvier. Les deux
terroristes tués étaient en lien avec Abdelhamid Abaaoud, le cerveau présumé des
massacres du 13 novembre, à Paris.
Le fichier belge des djihadistes comporte près de 1 000 noms au total, mais ce
n’est qu’à partir du 1er janvier que les autorités disposeront d’un registre dit « dynamique », centralisant les informations de
tous les services et redistribuant celles-ci.
Si elle a été, dans les années 1990, une
base de repli et de logistique pour divers
réseaux islamistes, la Belgique semble
donc devenue une plate-forme d’échanges de combattants. Et elle est restée une
plaque tournante du trafic d’armes en
provenance des anciennes républiques
yougoslaves et de l’ex-URSS. Les dossiers
liés au financement du terrorisme sont
également de plus en plus nombreux.
Près de 4 millions d’euros, en provenance
pour l’essentiel du Qatar et du Koweït et
transférés, ensuite, vers la Jordanie et
l’Arabie saoudite principalement, ont été
pistés. Un montant jugé, lui aussi, très
inférieur à la réalité. p
jean-pierre stroobants
infographie : flavie holzinger,
jules grandin et delphine papin
géopolitique | 21
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
L’écrivain
algérien
souligne
l’ampleur
de la menace
islamiste
et la faiblesse
des réponses
de l’Occident,
tout en faisant
l’amer constat
des blocages
de son pays
Kamel
Daoud
« Le régime
algérien
veut voir
le citoyen
transformé
en croyant »
ENTRETIEN
propos recueillis par
charlotte bozonnet
J
ournaliste et écrivain algérien,
Kamel Daoud est l’objet d’une fatwa
émise par un groupe salafiste en décembre 2014, qui le menace de mort.
Sa faute ? Avoir critiqué à haute voix
l’islam radical, ainsi que l’obscurantisme de la société algérienne.
Auteur de Meursault, contre-enquête (Actes
Sud, 2014), un contrepoint de L’Etranger de
Camus, récompensé par le prix Goncourt
du premier roman, il a publié dans le New
York Times, au lendemain des attaques du
13 novembre en France, une tribune dans
laquelle il attribue la paternité de l’organisation Etat islamique (EI) à une Arabie
saoudite choyée par l’Occident.
Qu’avez-vous ressenti devant les images
des attentats de Paris ?
On est à la fois dans la routine d’un 11-Septembre permanent et dans une sorte de paralysie. L’impression d’être dans un cycle de terreur qui ne s’arrête pas. Il m’a fallu deux jours
avant de pouvoir écrire à nouveau. En outre,
en tant qu’Algérien, à chaque attentat, on a le
sentiment de revivre le cauchemar de la
décennie 1990 dans notre pays.
Ces attaques à Paris marquent-elles un
basculement ?
Non, on est dans la continuité. Ceux qui
font cela changent simplement de cibles en
fonction du message qu’ils veulent faire
passer. La France a été visée, car c’est un
pays de diversité dans lequel vivent des millions de musulmans. Ils ont voulu casser ce
lien, radicaliser et pousser les gens à des
basculements. Cela dit, aucun pays n’est à
l’abri.
Vous dites de l’islamisme qu’il est
aujourd’hui le principal totalitarisme.
Mais que faites-vous des régimes dictatoriaux ou autoritaires, nombreux dans le
monde arabe ?
On parle de deux choses différentes. Sur
un plan philosophique, la nouvelle idéologie totalitaire est l’islamisme. L’analyse
politique des régimes est une autre chose.
Les deux se chevauchent, bien sûr.
L’islamisme a ainsi deux matrices : la première, idéologique, est l’Arabie saoudite ; la
deuxième, c’est l’usage qu’en ont fait les
dictatures. Je ne comprends pas pourquoi
l’Occident ne veut pas admettre que l’Arabie
saoudite est la matrice, celle qui finance les
chaînes satellitaires, les prêcheurs, l’édition, la théorie.
Shita (« Brosse »), de Walid
Bouchouchi, est exposé
au Musée d’art moderne
de la ville d’Alger en 2014.
Lors de sa présentation,
l’œuvre est accompagnée
du mode d’emploi suivant :
Votre critique de l’islamisme peut
alimenter les thèses de l’extrême droite
en France…
C’est assez délicat pour moi d’aborder certains sujets en France, car je suis très conscient du fait que ce discours peut être récupéré. Ma critique de la bigoterie et de l’islamisme en Algérie correspond à une réalité
différente de celle qui prévaut en France. En
outre, nous n’avons pas les mêmes objectifs :
moi, je défends les libertés, alors qu’en France
l’extrême droite utilise cette critique pour
nier et exclure l’autre.
Les islamistes radicaux s’en prennent
à l’art, à la culture, aux valeurs démocratiques. Pourquoi mettre la condition
des femmes au cœur de votre analyse ?
Dans le monde arabe, nous avons trois liens
défectueux : le rapport à la liberté, à la mort et
à la femme. Nous sommes dans des sociétés
qui refusent le « je » et l’individu. Le rapport à
la mort est intoxiqué par l’offre religieuse.
Reste le rapport à la femme. J’ai fini par comprendre que, lorsque nous avons un lien simple avec la femme, nous avons un lien normal
avec la vie, l’espace public, avec la liberté, avec
l’amour, le désir et le corps. Pour moi, c’est
l’indice majeur, le marqueur d’une société.
Au vu de la situation actuelle qui prévaut
dans le monde arabe, estimez-vous que
les révolutions de 2011 ont été des échecs ?
Qui a parlé d’échec ? C’est la théorie des haricots magiques. Il suffirait de les semer pour
que ça pousse immédiatement. Je vous rappelle que trois siècles ont été nécessaires pour
voir les prémices de la démocratie en Occident. Et on demande aux Arabes d’y parvenir
en une année ! Une démocratie se construit.
Dans « Histoire », il y a le mot temps. Ces révolutions ont mis fin à l’immense immobilisme
qui a suivi les décolonisations. L’Histoire est
en marche, et c’est déjà quelque chose de fabuleux. Il y a des consensus qui se créent, avec
beaucoup de sang, de douleur et de violence,
mais ils n’en seront que plus solides.
L’Algérie a connu une décennie de guerre
et de massacres dans les années 1990. La
Charte pour la réconciliation et la paix de
2005 visait à refermer cette page noire du
passé en octroyant l’amnistie aux islamistes armés en échange d’un arrêt des
violences. Ce texte est très critiqué dans
les milieux démocrates. Pourquoi ?
C’est un faux sursis. On ne peut pas avancer
sans vérité, sans pardon, sans responsabilité.
Tout ce qu’on peut faire, c’est gagner du
temps avant que ça ne recommence. On
aurait pu avancer si, au lieu d’organiser
l’amnistie et l’amnésie, on avait saisi l’occasion de cette tragédie pour fonder un nou-
« MODE D’EMPLOI
La shita est prête à
l’emploi et fonctionne à
l’huile de coude. Il vous
suffit de l’actionner
en présence d’un individu
à amadouer et de brosser
aussi longtemps et
souvent que nécessaire,
jusqu’à obtention
du résultat désiré. La shita
peut être utilisée sur
plusieurs personnes
simultanément ; sa durée
de vie est quasi illimitée.
PRÉCAUTIONS D’EMPLOI
Tenir hors de la portée
des enfants de moins
de 25 ans sur lesquels
les effets secondaires
peuvent être : fainéantise
accrue, dépendance,
manque d’initiative,
accoutumance
à la facilité.
La shita est l’outil le plus
efficace pour caresser
un individu ou un groupe
dans le sens du poil.
Testée et approuvée par
des millions d’Algériens
depuis 1999. »
veau consensus en Algérie et un Etat de droit.
Face à la menace islamiste, il y a deux méthodes : soit une répression féroce, soit une réconciliation. Je suis d’accord pour une réconciliation, pour que le sang s’arrête de couler.
Mais c’est une solution partielle : si la réconciliation n’est pas portée par une révolution
dans les écoles, dans la culture, les médias, la
justice, avec l’objectif de tarir les gisements de
djihadistes, ça veut dire qu’on va laisser la
machine fabriquer les mêmes criminels dans
deux générations. C’est une fausse réconciliation, uniquement à but politique.
Quel intérêt le pouvoir a-t-il à laisser libre
cours aux islamistes qu’il a combattus ?
C’est une division des tâches : je prends la
rente [pétro-gazière] et je laisse l’espace public
être régenté par ces gens-là. L’idéal philosophique du régime est de voir le citoyen être transformé en croyant. Le citoyen demande des
comptes pour la cité, le croyant pour l’au-delà.
Cet encouragement au bigotisme généralisé
procède aussi d’une volonté d’immobiliser
toute demande citoyenne. Pour le régime, il
est beaucoup plus rentable de faire un deal
avec les islamistes qu’avec les démocrates.
Les islamistes bénéficient d’une immunité
incroyable en Algérie. On ne peut pas les attaquer en justice. Même quand on les poursuit,
il n’y a pas de suites. C’est d’autant plus inquiétant que cela se fait sur fond de profond
basculement de la société algérienne vers un
conservatisme religieux de plus en plus
affirmé. C’est un pacte avec le diable, et le
diable va gagner.
Madani Mezrag, l’ancien chef du bras
armé du Front islamique du salut, le FIS,
a dit vouloir fonder un nouveau parti
politique. Est-il capable de gagner
les élections, comme le FIS l’avait fait ?
Les gens sont encore traumatisés par la
décennie noire. Ça constitue un frein. Le problème, c’est que les milieux ultraconservateurs et les islamistes gagnent du terrain : ils
ont contrôlé l’école, ils ont des journaux, des
télévisions. Pour le moment, le traumatisme
de la guerre va fonctionner pour empêcher
un raz-de-marée islamiste mais, dans deux ou
trois générations, si on laisse faire, on reviendra à la même équation. L’inhibition actuelle
liée au traumatisme de la décennie noire ne
tiendra pas longtemps. C’est une illusion.
Comment cette influence croissante
des islamistes se perçoit-elle dans la vie
quotidienne ?
Le basculement est phénoménal. Il y a la
multiplication des fausses polémiques autour
des thèmes religieux. Le port du voile s’est généralisé. Il y a une mosquée tous les dix mètres
mais pas d’espaces verts, pas de stades, pas de
crèches, pas de librairies. On voit des barbus
qui organisent des prières sur certaines plages
pendant l’été, une façon de culpabiliser les
personnes présentes. D’autres font du porte-àporte dans les quartiers pour obtenir la fermeture d’un débit de boissons. C’est une stratégie
de contrôle social, un travail très patient.
Le pouvoir a acheté la paix sociale avec
l’argent du pétrole. La chute du prix
du baril vous inquiète-t-elle ?
C’est dangereux pour la pérennité du régime, oui, car le système achète la paix sociale. Il ne l’a pas obtenue parce qu’il a réussi,
mais parce qu’il est riche. Nous avons un régime extraordinairement rusé : il ne tue pas
les gens, il tue le temps, il gagne du temps. Je
ne pense pas qu’ils aient une vision de l’Algérie dans deux ou trois générations. C’est au
jour le jour. Les quatre mandats d’[Abdelaziz]
Bouteflika ont produit une génération qui a
été biberonnée à la rente. Maintenant, allez
expliquer aux jeunes qu’il n’y a plus d’argent !
Dans le contexte régional, la stabilité
du régime algérien ne peut-elle pas
passer pour une réussite ?
Pas à mes yeux. Ce que je reproche à ce régime, c’est d’avoir raté le coche des quatrecinq dernières années. On avait une occasion
en or. On était le pays le plus stable dans le
monde arabe, l’argent des hydrocarbures
coulait à flots. Tout ce qui manquait, c’était
un régime capable de transcender ses ego
pour aller vers une transition douce et construire une ouverture contrôlée. On a raté
cette occasion alors que c’était la fenêtre de tir
la plus opportune depuis des décennies.
Vous ne croyez pas à cette stabilité ?
Ce n’est pas une stabilité mais un immobilisme. On peut donc aller vers le chaos
facilement : les prix du pétrole s’effondrent,
le régime n’a aucune vision alternative à luimême et les islamistes progressent. En quoi
sommes-nous différents des autres pays ?
Parce que nous avons deux traumatismes de
guerre (coloniale puis lors la décennie 1990) ?
Mais ce n’est pas une garantie ! La vision de
l’Occident, dictée par la peur, est que l’immobilisme est synonyme de stabilité et qu’il
vaut mieux que le chaos. Mais c’est faux. Le
mal, ce n’est pas la révolution, mais ce qui la
rend inévitable. C’est cela qu’il faut guérir. La
Syrie n’a pas explosé parce qu’une démocratie a été déstabilisée, mais parce que c’était
une dictature.
La même chose peut-elle se produire
en Algérie ?
Si on continue comme ça, oui. D’autant plus
que le régime ne laisse émerger aucun leader
réformateur. Il est totalement verrouillé. p
22 | culture
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
« Dans “Godot”,
plus c’est drôle,
plus c’est
tragique »
Jean-Pierre Vincent explique pourquoi et
comment il s’est saisi de la pièce de Beckett,
qu’il présente aux Bouffes du Nord à Paris,
après une tournée à travers la France
ENTRETIEN
D
epuis sa création, le 14 avril,
au Théâtre du Gymnase à
Marseille, la mise en scène
par Jean-Pierre Vincent d’En
attendant Godot, la pièce de
Samuel Beckett, suscite, partout où elle passe (le spectacle a tourné en
France), un engouement et un enthousiasme
rarement atteints ces dernières années.
Aujourd’hui, le spectacle arrive à Paris, au
Théâtre des Bouffes du Nord, où il se jouera
jusqu’au 27 décembre. Ce spectacle-phénomène montre que l’on peut encore monter
une pièce réputée – à tort – « difficile », porter
sur elle un regard neuf et lui donner une
audience large.
Vous dites être resté à distance de Beckett et
de Godot longtemps. Pourquoi ?
Mes origines brechtiennes, sans doute.
J’étais au début de ma vie théâtrale, en com-
pagnie de Patrice Chéreau, dans le camp de
Brecht. Nous étions des jeunes gens assez
combatifs. Il y avait deux camps : les ArtaudBeckett d’un côté, les brechtiens de l’autre. Et
puis bien des metteurs en scène, et pas des
moindres, s’en occupaient, de Beckett : chacun avait son couloir – c’est aussi ce qui fait
une vie théâtrale –, donc je ne me préoccupais
pas de m’en approcher.
Quand avez-vous changé d’avis, et pourquoi ?
Il y a quelques années, j’ai lu L’Obsolescence
de l’homme, un livre du penseur autrichien
Günther Anders, qui consacre un texte magnifique à En attendant Godot. J’ai relu la
pièce. Et je l’ai complètement redécouverte :
j’ai trouvé que c’était une pièce sur l’inaction
pleine d’action, une prophétie sinistre pleine
de gags. Que le tragique de la pièce était extraordinairement vivant, que cette histoire
sans histoire, sans début, sans fin et sans rebondissement était pleine d’événements,
d’éléments savoureux. En soixante ans, Go-
Novembre 2015
A l’Académie Française
Par la présente, nous, membres de l’Akademie der
Künste (Académie des Arts de Berlin), souhaitons
exprimer notre profonde sympathie aux familles des
victimes des horribles actes de terrorisme du
13 novembre 2015.
Nous sommes du côté de toutes les forces éclairées
en France, nous lançons un appel contre toute forme
violente d’extrémisme et contre la haine vers ceux
qui pensent autrement, nous appelons à une Europe
unie qui respecte les droits de l’Homme dans l’esprit
des Lumières et s’engage pour la paix.
C’est uniquement en défendant les valeurs de la
démocratie que nous pouvons lutter ensemble contre
la terreur et la haine.
Les membres et Prof. Jeanine Meerapfel, Présidente
de l’Académie des Arts de Berlin
Akademie der Künste, Pariser Platz 4, 10117 Berlin
dot est devenu un chef-d’œuvre universel
comme Œdipe, Le Roi Lear, Dom Juan ou
Mère Courage.
Je crois que cette image est venue surtout à
partir de Fin de partie.
Comment aborde-t-on ce chef-d’œuvre,
encombré de clichés, d’images des mises
en scène successives et d’exégèses ?
On commence par relire la pièce, par repartir du texte lui-même. Puis, avec Bernard
Chartreux, mon dramaturge, avec qui je travaille depuis quarante ans, nous avons lu pratiquement tout ce qui s’est écrit sur Godot. Ce
qui nous a passionnés, c’est que tous les commentateurs, à partir des années 1980 – et notamment Alain Badiou –, insistent fortement
sur la puissance comique de la pièce. Cela
m’avait également frappé : à la relecture,
j’avais beaucoup ri.
Votre mise en scène rompt avec l’image
que l’on peut encore avoir du « théâtre de
l’absurde », dans lequel avait été catégorisé Beckett…
Je n’ai jamais su ce que ça voulait dire, en
fait, le théâtre de l’absurde. C’est comme le
marivaudage… Beckett, d’ailleurs, ne se reconnaissait pas dans cette étiquette. Il a cherché à faire table rase de tout ce qui étouffait le
théâtre bourgeois mais aussi le théâtre militant. Il n’y a pas d’Absurde, avec une majuscule, dans Godot : Beckett met ses personnages dans une situation absurde, et dans cette
situation ils disent des choses absurdes, mais
avec une sensibilité formidable. Au cœur de
tout cela, il y a ce sentiment de vide, que l’on
peut si bien comprendre aujourd’hui.
Votre mise en scène est concrète, charnelle, vivante, drôle, pas du tout intimidante. Comment expliquez-vous que la
pièce ait été si longtemps et si souvent
mise en scène de manière purement métaphysique, éthérée et formaliste ?
C’est qu’il y a eu une interprétation impérialiste, dès le début, à laquelle Beckett a luimême participé, d’ailleurs. L’université et les
commentateurs ont posé un certain nombre
de mots là-dessus, de l’ordre du nihilisme, de
la cathédrale grise, d’une emprise du désespoir sans fin et sans solution… Il y a bien sûr
des raisons à cela, à commencer par la vie profonde, intime de Beckett, qui ne comprenait
pas pourquoi il était né et pourquoi il n’était
pas encore mort, et qui se demandait souvent
pourquoi il ne dormait pas.
Mais Beckett était aussi un homme chaleureux et vivant, comme le montre le livre de
Charles Juliet (Rencontres avec Samuel Beckett, éd. POL, 1999) ou la biographie que lui a
consacrée James Knowlson (éd. Actes Sud,
2007). Et Godot n’est pas une pièce sinistre.
« SI L’ON PREND
LE TEMPS DE JOUER
LES DEUX CENTS
PAUSES INDIQUÉES
PAR BECKETT DANS
SES DIDASCALIES,
CELA REDONNE
TOUTE SA TENSION
ET SON MOELLEUX
À LA PIÈCE »
Dans votre Godot, on a l’impression d’entendre chaque phrase, chaque mot, avec
une précision et une acuité nouvelles.
Comment avez-vous travaillé sur la langue de Beckett ?
D’abord, on a décidé de prendre le temps de
jouer la pièce. Cela paraît bête, mais c’est fondamental : souvent, par crainte d’ennuyer le
public, les acteurs et les metteurs en scène
jouent la pièce trop vite. Et, du coup, on n’y
comprend rien, et on décroche, quelle que
soit la qualité de la lecture et de l’interprétation. Je me suis rendu compte que, moimême, j’avais presque toujours décroché au
bout de trois quarts d’heure.
La clé, dans Godot, ce sont les silences : si
l’on prend le temps et le soin de jouer les deux
cents pauses indiquées par Beckett dans ses
didascalies (« silence », « long silence » ou
« très long silence »), cela redonne toute sa
tension et son moelleux à la pièce.
Quelle est la nature du comique dans Godot, et quel rôle joue-t-il ?
Beckett adorait les grands burlesques américains – surtout Buster Keaton – et, plus ça va,
plus je crois que le comique est au cœur de sa
pièce : plus c’est drôle, plus c’est tragique. Plus
c’est drôle, plus on sent cet espace de résistance qu’il y a dans l’être humain. Ce n’est pas
un hasard si on dit que le rire est le propre de
l’homme : il est ce qui fait qu’on n’en finit pas
tout de suite. Et le comique est aussi dans le
langage, avec lequel Beckett s’amuse énormément, dans ce premier texte qu’il écrit en
français. Il y a des répliques merveilleuses, qui
témoignent de la manière incroyable qu’a eue
Beckett à cette époque de mâcher, de savourer
la langue française et l’argot parisien entendu
dans les bistrots du Quartier latin. Beckett
était aussi friand de cette poésie de comptoir
que de La Divine Comédie, de Dante, qu’il connaissait par cœur en italien.
Que raconte Godot aujourd’hui ?
De nombreux courants souterrains courent
dans la pièce qui, sur un premier plan, très
concret, confronte deux duos masculins, l’un,
formé de Vladimir et Estragon, vieux couple
chamailleur et solidaire, l’autre, Pozzo et
Lucky, enfermé dans le rapport maître-esclave. Mais la principale source, c’est la perte
du sens après les deux catastrophes de 1945 :
l’ouverture des camps d’extermination et les
deux bombes américaines sur le Japon.
Dans les camps, le sens, le temps et l’espace
s’annulent petit à petit. Le temps continue à
passer, mais il n’existe plus. Quand il com-
culture | 23
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Jean-Pierre Vincent,
le 12 novembre. PATRICK
MESSINA POUR « LE MONDE »
Sur les traces
de Federico Garcia Lorca
Près de quatre-vingts ans après l’exécution du poète,
son corps fait toujours l’objet d’intenses recherches
Dès que j’ai vu Gaël, j’ai su que c’était lui. On
ne sait pas d’où il vient, il est un ailleurs, il
vient parler d’une personne qui n’existe sûrement pas, il est un ange de rien, un mystère
qui ne se résout pas. Le fait qu’il ne soit pas
blanc est par ailleurs, bien sûr, un clin d’œil
adressé à cette vieille société française. Il
amène dans le vieux monde blanc un éclat de
lumière gracieuse, et il se trouve qu’il est « de
couleur »…
Qui est Godot, ce non-personnage qui ne
viendra pas, et sur lequel on a tant glosé ?
Il est le nom que Vladimir et Estragon donnent au fait qu’ils attendent. Ils ne sont pas là
parce qu’ils attendent, ils attendent parce
qu’ils sont là. Ils sont là et ne peuvent pas
être autrement que là puisqu’ils ne peuvent
pas en finir et qu’ils ne peuvent pas partir. Et
donc au bout d’un moment, comme ça arrive dans beaucoup de circonstances de la
vie, il faut bien donner un nom, une raison à
son attente…
En général, c’est plutôt un nom religieux, à
consonance sacrée. Sauf que là, le sacré est
une blague : cet écrivain irlandais qu’est Beckett, qui a fui l’Irlande catholique à deux reprises, transforme cela en farce, avec ce Godot
qui est un « God not ». Godot, c’est une fiction
qui sert à continuer à vivre.
Comment expliquez-vous le succès de ce
spectacle, vous qui faites de la mise en
scène depuis plus de cinquante ans ?
Je pense qu’il y a dans ce Godot – et c’est le
devoir de toute œuvre d’art – une mise en
crise du fait d’être spectateur, mais cette mise
en crise est amicale. C’est un spectacle au
geste amical, et ce sera le cas du prochain et de
tous ceux qui suivront. Parce qu’on file un
mauvais coton dans un théâtre perpétuellement au bord de la crise de nerfs. Crier à tort
et à travers ne sert à rien.
mence à écrire la pièce, en 1948, Beckett pense
qu’on ne peut plus parler du monde avec les
outils du passé, ceux qui vont d’Eschyle à Sartre. On ne peut plus raconter une histoire :
l’Histoire a été tellement lobotomisée qu’il
faut chercher quelque chose d’autre à dire sur
l’existence.
Pourquoi la pièce nous semble-t-elle
alors si actuelle ?
Ce qui est anthropologiquement très actuel,
c’est que Beckett écrit sa pièce juste après une
catastrophe, et que nous sommes juste avant
que ne s’en produise une autre… que Beckett
semble avoir anticipée, d’ailleurs, en plaçant
au centre du décor cet arbre mort, sur lequel
repoussent de manière improbable quelques
feuilles. Beckett met en scène la transformation de la terre en désert, dans toutes les acceptions que l’on peut donner à ce mot, et,
bien sûr, cela nous parle fortement
aujourd’hui.
Pourquoi faire jouer le rôle de l’envoyé de
Godot par un acteur « de couleur », Gaël
Kamilindi, qui est d’origine à la fois
rwandaise et israélienne ?
Vous avez créé votre spectacle en avril,
trois mois après les attentats de janvier,
vous le jouez maintenant après d’autres
attentats. Ce Godot parle à la fois de fraternité et de catastrophe. Quel lien
peut-on faire avec la situation actuelle ?
Le théâtre n’est pas un art d’actualité.
Quand il s’y essaie, il s’y perd. Le théâtre
parle du présent, dans toute son épaisseur
(passé et avenir compris). Beckett a pensé à
beaucoup de choses du présent en écrivant
Godot, mais il en a évincé toute actualité.
Cela dit, ces jours-ci, on demandait à une
jeune fille de 13 ans, voisine du macabre immeuble de Saint-Denis, si et comment elle allait pouvoir reprendre une vie « normale ».
Elle a répondu : « Bien obligée ! J’ai toute une
vie à vivre. » Ça, c’est Didi et Gogo, les deux
« héros » de Beckett… p
propos recueillis par fabienne darge
En attendant Godot, de Samuel Beckett.
Mise en scène : Jean-Pierre Vincent. Avec
Charlie Nelson, Abbes Zahmani, Alain Rimoux,
Frédéric Leidgens et Gaël Kamilindi.
Théâtre national de Strasbourg,
du 18 au 28 novembre. Tél. : 03-88-24-88-00.
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris,
du 4 au 27 décembre. Tél. : 01-46-07-34-50.
grenade (espagne) - correspondance
O
n sait de la mort de Federico Garcia Lorca presque
tout : qui est venu chercher le poète andalou au domicile
des Rosales, une famille de phalangistes, amis de la famille, chez laquelle il avait trouvé refuge ; l’implication du gouverneur civil dans
son arrestation, parce qu’il était
« rouge et homosexuel » ; l’identité de ses bourreaux. On sait que
l’auteur de Noces de sang fut exécuté par les phalangistes et jeté,
comme des dizaines de milliers de
républicains, dans un fossé, à Alfacar, non loin de sa ville natale, Grenade.
On sait presque tout, mais on
ignore le lieu exact de sa mort.
Aujourd’hui encore, personne ne
sait où repose le corps de la plus célèbre victime de la guerre civile qui
ravagea le pays entre 1936 et 1939,
mit fin à la République et porta au
pouvoir Franco. Quarante ans
après la mort du dictateur, le
20 novembre 1975, Federico Garcia
Lorca, exécuté le 18 août 1936, fait
toujours l’objet d’intenses recherches de la part d’historiens, archéologues et passionnés. « Tant
qu’on ne l’aura pas trouvé, il y aura
quelqu’un pour le chercher, assure
Ian Gibson, historien et biographe
du poète. Il est sans doute le disparu le plus célèbre du monde. Et le
plus aimé. »
« Une victime parmi d’autres »
Après l’échec des recherches menées en 2009 par la région andalouse, sur la base du travail de Ian
Gibson, une nouvelle campagne a
en effet commencé en 2014 pour le
localiser à partir des travaux de Miguel Caballero, un historien autodidacte. Auteur de l’essai Les Treize
Dernières Heures de la vie de Federico Garcia Lorca (Ed. Indigènes,
2014), M. Caballero a assemblé la
documentation existante et recherché de nouveaux témoignages sur la mort de l’auteur de La
Maison de Bernarda Alba. Après
avoir obtenu le soutien financier
du gouvernement andalou lors
des deux premières phases des recherches, Miguel Caballero a fait
appel à la générosité des donateurs
et a obtenu 33 000 euros par le
biais d’une campagne de micromécénat. Il ne lui manque que l’accord de la région pour recommencer les fouilles dans un terrain situé à 400 mètres des premières.
Celles-ci seront-elles plus concluantes ?
Elles ne sont en tout cas pas
moins polémiques. La famille
APRÈS LA GUERRE EST DÉCLARÉE, LE NOUVEAU FILM DE VALÉRIE DONZELLI
Federico Garcia Lorca devant une affiche pour sa compagnie
théâtrale La Barraca, en 1935. SFGP/KORPA/RUE DES ARCHIVES
Lorca continue de s’y opposer. Elle
ne souhaite pas remuer la terre et
considère que le poète doit rester
« une victime parmi d’autres »,
comme l’affirme sa nièce, Laura
Garcia Lorca, présidente de la Fondation Lorca. Il resterait en effet en
Espagne plus de 114 000 victimes
républicaines de la guerre civile
sans sépulture, selon le juge Baltasar Garzon, qui avait voulu porter
ces disparitions devant la justice
malgré la loi d’amnistie de 1977.
Sans succès.
Les fonds destinés à financer recherche et exhumation, alloués
par le précédent gouvernement
socialiste de José Luis Rodriguez
Zapatero, ont été gelés par le nouveau gouvernement conservateur
de Mariano Rajoy. Mais l’Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH) continue de se battre pour aider les familles à retrouver leurs aïeux et a
porté les disparitions forcées du
franquisme devant la justice argentine, à défaut de réponses de
celle de Madrid.
Pour eux, la disparition de Lorca
est avant tout un symbole. Durant
quarante ans, la dictature franquiste a cherché à dépolitiser sa
mort, à en faire la victime d’une
balle perdue. Elle a aussi voulu ef-
facer son œuvre de la mémoire
collective. Jusque dans les années
1950, il était impossible de trouver
ses poèmes et ses pièces de théâtre. Puis des petits éditeurs ont osé
franchir le pas et les publier. Ses
biographes étaient étrangers.
Aujourd’hui, le ministère de la
culture, la région et la ville de Grenade essaient de réparer l’oubli
dans lequel l’auteur est longtemps
tombé, à l’instar de tant d’autres
victimes du franquisme. En juillet,
elle a inauguré un centre culturel
dédié au poète, au cœur de sa ville
natale, censé héberger le legs de
Lorca : archives, documents, manuscrits, lettres ou tableaux
d’amis célèbres que possède la famille et qui sont actuellement
conservés à la résidence des étudiants de Madrid. Mais de troubles
affaires de détournement de fonds
publics ont retardé leur transfert.
Une exposition, « La Teoria del
duende » (jusqu’au 10 janvier
2016), qui rassemble des œuvres
d’artistes influencés par Lorca et
des dessins du dramaturge, essaie
de faire vivre le centre, en attendant qu’il devienne le lieu de référence pour connaître l’œuvre du
poète. A défaut de trouver son
corps. p
sandrine morel
« UN FILM D’AVENTURES AMOUREUSES, LYRIQUE ET SINGULIER »
LES CAHIERS DU CINÉMA
« INTEMPOREL »
« BOULEVERSANT »
L’EXPRESS
PREMIERE
TRANSFUGE
STUDIO CINÉ LIVE
Anaïs Demoustier
© 2015 RECTANGLE PRODUCTIONS – WILD BUNCH – ORANGE STUDIO – FRANCE 2 CINÉMA – SCOPE PICTURES –
FRAMBOISE PRODUCTIONS. TOUS DROITS RÉSERVÉS. CRÉDITS NON CONTRACTUELS.
« ROMANTIQUE »
PREMIERE
Jérémie Elkaïm
Un film de
Avec
Valérie Donzelli
Frédéric Pierrot, Aurélia Petit, Raoul Fernandez, Catherine Mouchet, Bastien Bouillon
Sami Frey Géraldine Chaplin Valérie Donzelli Jérémie Elkaïm
Jean Gruault
avec la participation de
et
Scénario
et
- D’après une idée et un scénario original de
AU CINÉMA LE 2 DÉCEMBRE
24 | culture
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Georges Hugnet,
surréaliste
touche-à-tout
La maison Christie’s disperse
les archives de cet artiste provocant
H
ugnet (Georges) né
en 1906 – Le Pantalon
de la fauvette. Poète. Il
se rallie définitivement au surréalisme en 1937. »
Ainsi est défini, dans Le Dictionnaire abrégé du surréalisme composé par le groupe lui-même
en 1938, l’écrivain et artiste Georges Hugnet, mort en 1974.
Ce dernier, qui est moins connu
que beaucoup des membres du
groupe en dépit de son importance, verra ses collections et manuscrits dispersés aux enchères
le 1er décembre chez Christie’s. La
définition du Dictionnaire abrégé
est poétique, mais très incomplète, tant ont été nombreuses les
occupations d’Hugnet : poète,
certes, mais aussi historien (contesté parfois) de Dada et du surréalisme, scénariste, épistolier infatigable, praticien prolifique du
collage et de l’assemblage, fouineur de marchés aux puces, collectionneur des œuvres de ses
amis – parmi lesquels Pablo Picasso, Joan Miro, Max Ernst et
Hans Bellmer.
Ce qui transparaît dans le catalogue de cette vente de près de trois
cents lots, ce sont à la fois la diversité de ces activités et leur cohérence. Hugnet cherche en toutes
circonstances les plaisirs de la
surprise et de l’incongruité, c’està-dire l’exploration de sa singularité personnelle : dandysme, provocations.
Les cercles d’avant-garde
Ses débuts sont placés sous leurs
signes. Né dans une famille d’ébénistes et d’orfèvres, il rencontre à
19 ans l’écrivain Marcel Jouhandeau, qui habite dans le même
immeuble que sa mère. Lequel
Jouhandeau le présente aussitôt
au poète Max Jacob, par le truchement duquel il rencontre Jean
Cocteau, qui l’introduit dans les
cercles d’avant-garde.
Hugnet va vite : un premier recueil de poèmes en 1928, un film
en 1929, son travail aux Editions
de la Montagne, où il publie Tristan Tzara, l’amitié puis la brouille
avec Gertrude Stein, une étude
historique sur Dada publiée dans
Les Cahiers d’art en 1932 qui lui
vaut de connaître André Breton
met pas en scène comme grand
artiste, mais comme un esprit libre qui joue avec les images qu’il
trouve dans journaux et revues et
organise, avec une paire de ciseaux, des juxtapositions et des
hybridations d’objets, les unes absurdes et comiques, d’autres plus
libertines et d’autres encore satiriques. Les stéréotypes publicitaires ou mondains de la représentation de la femme que répandent
magazines et cinéma y tiennent
une place majeure, Hugnet
aimant à les ridiculiser. Ces montages ne dépareraient pas dans
une exposition qui les réunirait
aux collages ironiques que
George Grosz exécute au même
moment aux Etats-Unis et à ceux
du pop art britannique également contemporain.
Dans son appartement s’accumulent, dans un ordre très relatif,
dont témoignent les photographies qui illustrent le catalogue,
ses propres œuvres, celles de ses
amis, les éditions originales dédicacées d’à peu près tout ce qui
compte dans la poésie française
de l’époque. Les vitrines sont pleines de bizarreries chinées, figurines en porcelaine, racines sculptées, boîtes Art déco, verreries,
chinoiseries. « En tout objet, écrivait Hugnet en 1935, dans le plus
insignifiant objet, dans l’objet
abandonné comme dans l’objet insolite à l’usage oublié, dort une
flamme qui, réveillée par nous, illumine, convulsive, fulgurante,
nos obsessions. » Ce serait peu dire
qu’il excellait à la réveiller. p
Floraison de collages
Dans sa librairie, on peut se procurer des faux papiers et les premiers volumes clandestins des
Editions de Minuit, à la création
desquelles il prend part. Sous le
pseudonyme de Malo le Bleu, il
participe au recueil L’Honneur des
poètes, paru le 14 juillet 1943 et où
il se trouve en compagnie de ses
amis Robert Desnos, Paul Eluard
ou Vercors. Après la Libération, il
écrit Les Droits de l’homme. Souvenirs de la débâcle et de l’occupation nazie, dont manuscrits et tapuscrits, vendus ensemble, devraient, s’il reste une logique patrimoniale en France, être acquis
par la BNF.
Après la guerre, c’est le temps de
la floraison des collages, dont les
plus anciens datent des années
1930, des aquarelles et gouaches,
des décalcomanies, des galets
peints, des boîtes en forme de dioramas loufoques. Hugnet ne s’y
philippe dagen
EX NIHILO présente
TAJ MAHAL
UN FILM DE
Nicolas Saada
au cinéma le 2 décembre
/BACFILMS
#TAJMAHALLEFILM
Un univers surréaliste : succession
Myrtille et Georges Hugnet,
Christie’s, 9, avenue Matignon,
Paris 8e. Exposition
les 27, 28 et 30 novembre,
de 10 heures à 18 heures. Vente
le 1er décembre à partir de 11 heures.
« Les Jambes croisées »,
de Georges Hugnet.
CHRISTIE’S IMAGES LIMITED 2015
G A L E R I E
ARTS
par l’intermédiaire de Tzara. Et,
donc, la rencontre avec le surréalisme, ses poètes et ses peintres,
ses colères et ses querelles. Hugnet en compose la plus précoce
anthologie poétique en 1934, affirmant de la sorte la position
particulière qu’il a maintenue
jusqu’à sa mort : il est simultanément, sans solution de continuité, créateur et historien de la
création. Son intérêt passionné
pour Dada lui vaut, au même moment, la curiosité de Marcel Duchamp. Tout cela en huit ans.
La suite est à la hauteur de son
entrée en matière. Sous l’Occupation, il ouvre une librairie au-dessous de la galerie de Jeanne Bucher, l’une des très rares qui présentent des œuvres « dégénérées »
malgré les nazis. Dès le 1er octobre 1940, il diffuse Non-Vouloir,
poème de résistance qu’il définit
lui-même comme « un tract ».
PAULIN, PAULIN, PAULIN
Galerie Emmanuel
Perrotin
Le designer Pierre Paulin
(1927-2009) est illustre
pour ses mobiliers aux
formes souples, coques de
bois moulées garnies de
mousse et habillées de
housses aux couleurs vives. Georges Pompidou lui
demande d’aménager ses
appartements à l’Elysée
en 1971 et François Mitterrand lui confie son bureau en 1984. Ses créations
sont innombrables et immédiatement reconnaissables. Plusieurs d’entre elles, dont la Tongue Chair et
la table Cathédrale, figurent dans l’hommage très
réussi que lui rend la galerie Perrotin.
Des œuvres d’artistes
d’aujourd’hui y sont associées à ses créations. Une
jeune femme nue hyperréaliste, bronze peint en
trompe-l’œil de John Andrea, est allongée sur un
de ses tapis. Une autre profite d’un canapé. Bertrand
Lavier accroche une peinture de sa série « Wall
Disney Productions », aux
lignes sinueuses exactement en accord avec le
style Paulin. Laurent
Grasso fait miroiter reflets
et lumières sur des carrés
de cuivre selon des angles
variables. Il y a, là aussi,
des pièces de César, JesusRafael Soto et Heinz Mack,
contemporaines de la
grande époque de Paulin
et qui, comme il le faisait,
mettent la géométrie en
mouvement. Les peintures
de Mike Bouchet, elles,
suggèrent d’autres références, bien plus organiques
et moins respectueuses. p philippe dagen
« Paulin, Paulin, Paulin »,
galerie Emmanuel Perrotin,
76, rue de Turenne, Paris 3e.
Tél : 01-42-16-79-79. Du mardi
au samedi de 11 heures à 19
heures. Jusqu’au 19 décembre.
L’HISTOIRE DU JOUR
Une faille spatio-temporelle
s’ouvre à Belleville
I
l est là, imperturbable, regard vague, comme si nous n’existions pas. Il vaque à ses occupations, il semble se sentir chez
lui, se croire seul. Et, pourtant, nous sommes plusieurs à
l’observer, au beau milieu d’un centre d’art. Longue moustache
blanche de samouraï, blouse bleue, chaussures de cordes et gestes de moine zen : il est japonais, bien sûr. Mais sur lui, on n’en
saura pas plus. Si ce n’est qu’il habite, littéralement, une exposition. Celle qu’a mise en scène au Plateau l’artiste Haris Epaminonda (jusqu’au 6 décembre, Fraciledefrance.com) : cette Berlinoise d’origine chypriote propose un véritable voyage sur les
hauteurs de Belleville.
Destination ? Un archipel hors temps. Qu’offre-t-elle à voir ? A
priori, bien peu. Quelques objets un peu précieux, des photos
de paysages asiatiques, des sculptures de métal filiformes. Entre
deux vases, céladon ou céramique noire, se tiennent une maison à thé derrière ses stores de bambou et un aquarium où
deux poissons rouges naviguent au-dessus d’une petite tête de
bouddha échouée dans le sable. Dans un coin, au pied du mur,
un pavillon d’or à la Mishima, et une
salle offerte à la lune pleine, simpleL’EXPOSITION DE L’AR- ment filmée. Une pierre de lettré,
aussi, et un bonsaï.
TISTE CHYPRIOTE
Cela ne serait rien, une mise en scène
élégante et vide, sans l’intervention de
HARIS EPAMINONDA
ce vieil homme qui vient hanter l’exPROPOSE UN VÉRITABLE position trois après-midi par semaine
(les mercredi, samedi et dimanche).
Que fait donc cet inconnu aux pas
VOYAGE, VERS UN
lents, droit sorti d’un film d’Ozu ? Il
ARCHIPEL HORS TEMPS frotte une pierre grise, comme pour la
préparer à un rituel auquel on n’aura
pas accès. Il fait chanter des amphores en versant de l’eau sur
leur bouchon de pierres. Prépare le thé, entretient le foyer,
éteint une bougie, ratisse un tas de sable qui jamais ne deviendra jardin zen. Et, pourtant, on éprouve à le regarder une sérénité semblable à celle qui naît des paysages minéraux des temples de Kyoto : une douce présence au monde.
Une parenthèse de quiétude
Par la grâce de cette artiste (qui avait frappé les esprits en investissant, en compagnie de Gustav Daniel Kramer, la gare de Kassel lors de la Documenta de 2012), une faille spatio-temporelle
s’est entrouverte sur la colline. Ceux qui oseront s’y engouffrer
auront peut-être une autre surprise. En errant dans les ButtesChaumont, à quelques encablures du Plateau, ils pourraient
bien apercevoir, au loin, deux geishas en déshérence. Comme le
sage nippon (en fait déniché par hasard dans les rues du quartier après qu’un casting eut fait chou blanc), Haris Epaminonda
a invité ces belles en kimono à apparaître dans le parc sans
qu’aucun agenda ne permette de les surprendre. Elles aussi
ouvrent une parenthèse de quiétude bienvenue, dans un Est parisien ravagé par la peine depuis les attentats. p
emmanuelle lequeux
télévisions
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DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
| 25
Lors d’un reportage, à
Korhogo (Côte d’Ivoire),
de Frédéric Garat, envoyé
spécial permanent de RFI
à Abidjan, avant l’élection
présidentielle qui s’est
tenue le 25 octobre.
PIERRE RENE-WORMS / RFI
« RFI permet de traiter
des questions sensibles
de société
ou de politique que
les médias locaux
sont parfois empêchés
d’évoquer »
STÉPHANE AKOA
chercheur à la Fondation Paul Ango Ela
Pour les responsables de la chaîne, cette
proximité avec le continent lui donne aussi
« une responsabilité » en matière de liberté
d’expression et d’information. Les autorités
nationales le savent bien et répondent parfois en coupant l’émetteur lorsque la tension avec la population devient trop forte. La
station porte aussi son lot de drames.
En 2003, Jean Hélène, son correspondant à
Abidjan, est froidement assassiné de deux
balles en pleine tête. Dix ans plus tard, le
2 novembre 2013, les envoyés spéciaux de la
chaîne dans le Nord-Mali, Ghislaine Dupont
et Claude Verlon, sont enlevés, puis tués, à
Kidal, alors qu’ils préparaient une série de
reportages dans le pays. Le double meurtre
avait été revendiqué par les djihadistes d’AlQaida au Maghreb islamique. Mais l’enquête
n’a toujours pas abouti. La date a, depuis, été
déclarée par les Nations unies Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes.
RFI, l’Afrique au cœur
La radio publique fête ses 40 ans. La station dispose du premier réseau FM au monde,
grâce auquel elle a augmenté sa part d’audience de 8 % en 2014 sur le continent africain
mauritanie, gabon, cameroun –
envoyé spécial
L
e taxi, une guimbarde brinquebalante, avance au rythme d’une tortue dans les rues de Nouakchott, en
Mauritanie. Les sièges sont défoncés et toutes les aiguilles du tableau de bord
semblent figées dans le temps. Dans le taxi
d’Ousmane, qui préfère taire son nom, seule
la radio, branchée sur Radio France internationale (RFI), fonctionne normalement. Les
débats d’« Appels sur l’actualité », un programme phare de la chaîne, animé par Juan
Gomez, retiennent ce matin son attention.
« Il faudrait que je téléphone à Juan Gomez
un jour, j’ai plein de choses à dire à l’antenne », lance-t-il, en donnant un violent
coup de volant pour éviter un nid-de-poule.
Le conducteur du « tacot » écoute quotidiennement cette radio de service public
française, qui émet depuis Paris en quatorze langues, en modulation de fréquence,
en ondes courtes ou sur satellite, dans plus
de 150 pays à travers les cinq continents.
Dans les capitales et les zones rurales africaines, elle est la radio la plus écoutée, avec
plus de 30 millions d’auditeurs chaque semaine, selon une étude TNS-Sofres, parue
en octobre. RFI a lancé, le 19 octobre, une rédaction en mandingue, une langue parlée
au Mali et dans les pays voisins. Après le
haoussa, langue maternelle d’environ
30 millions de personnes en Afrique subsaharienne, et le kiswahili, notamment utilisé sur la côte est du continent.
La rédaction en mandingue est à Paris.
Celle en haoussa est à Lagos, au Nigeria, et
celle en kiswahili à Dar es-Salaam, en Tanzanie. Son lancement coïncide avec la célébration des 40 ans de la station. L’anniversaire a
failli passer sous silence, avec la multiplication des attaques terroristes sur le continent
africain, mais aussi en France, avec les attentats de janvier et du 13 novembre.
« Nous ne sommes pas dans une logique
d’anniversaire, parce que RFI est éternelle, et
que nous pouvons fêter, chaque année, ce
que nous voulons », estime Marie-Christine
Saragosse, PDG de France Médias Monde,
un groupe qui réunit RFI, la chaîne de télévision France 24 et la radio généraliste en
arabe Monte Carlo Doualiya.
Si Marie-Christine Saragosse se refuse à
célébrer un anniversaire en particulier,
c’est que l’histoire de la radio est longue. Sa
diffusion commence en 1931 avec Le Poste
colonial, alors destiné à l’empire colonial
français, jusqu’en 1938. Intégrée en 1945 au
sein de l’Office de radiodiffusion-télévision
française (ORTF), la station prend le nom de
Radio France internationale en 1975, au
sein du groupe Radio France, avant de devenir une société indépendante en 1987, puis
d’être de nouveau intégrée dans un giron,
l’Audovisuel extérieur de la France, voulue
par Nicolas Sarkozy, en 2008.
quer, analyse le sociologue camerounais
Stéphane Akoa, chercheur à la Fondation
Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique
centrale, un think tank sis à Yaoundé. C’est
une radio africaine parce qu’elle parle de
l’Afrique aux Africains, et le plus souvent à
partir de l’Afrique. »
Claire Hédon,
qui présente
« Priorité santé »
sur RFI, reçoit
le cardiologue
camerounais
Yves Monkam.
SÉBASTIEN BONIJOL/RFI
« Une responsabilité »
Mais, à chaque étape, l’objectif est resté le
même : contribuer à la diffusion de la culture française à l’étranger. « Il s’agit d’aider à
se projeter autour des valeurs de liberté et
d’égalité que véhicule la France. Il s’agit aussi
de donner aux Français des clés de compréhension du monde », précise Cécile Mégie,
directrice de la station depuis 2012. Si RFI se
partage l’espace africain avec d’autres radios internationales comme les chaînes
britannique BBC World Service, américaine
Voice of America et allemande Deustche
Welle, elle dispose cependant du premier
réseau FM au monde, avec plus de 156 relais
installés dans 62 pays. Cette proximité a
valu à la chaîne une augmentation de son
audience en Afrique de plus de 8 % en 2014.
A tel point que, aux yeux de certains, RFI est
devenue une « radio africaine ».
« Son histoire avec le continent est ancienne, se transmet d’une génération à une
autre et lui permet de traiter des questions
sensibles de société ou de politique que les
médias locaux sont parfois empêchés d’évo-
Porte-voix du quai d’Orsay ?
Malgré ce drame, RFI affirme vouloir être
encore plus présente au Mali et sur le continent africain. Le lancement d’une rédaction
en mandingue s’inscrit dans cette logique.
Tout comme les sites RFI Afrique, en rodage
depuis le 25 novembre, et RFI Savoirs, qui
sera notamment consacrée, dès janvier 2016, à l’apprentissage du français. Des
sessions d’information ainsi que des émissions comme « Appels sur l’actualité », « L’invité Afrique », « Priorité santé » ou « Radio
foot internationale » sont des rendez-vous
attendus à Abidjan, à Dakar, ou à Kinshasa,
des villes où la radio est connue par 9 habitants sur 10, selon l’étude TNS-Sofres.
Cependant, ce succès, revendiqué par les
responsables de la chaîne, n’empêche pas
les critiques. La radio est parfois considérée
comme le porte-voix du quai d’Orsay. « Il est
difficile d’occulter l’idée qu’il s’agit d’abord
de la voix de la France. On le voit bien lorsque
les intérêts de l’[Hexagone] sont engagés
quelque part. La couverture de la crise qui a
précédé le référendum constitutionnel au
Congo, par exemple, a semblé s’aligner sur la
position ambiguë de l’Elysée », regrette Gervais Bouanga Ngoma, ancien journaliste et
directeur général d’une radiodiffusion-télévision communautaire à Lébamba, dans
le sud du Gabon. Selon ce professionnel,
l’omniprésence de RFI en Afrique a aussi
pour conséquence de « phagocyter » les radios locales, pourtant déjà fragilisées par
un manque de moyens et des pressions diverses. « Cette critique tient d’une grande
confusion. Nous sommes un média de service public et non une radio d’Etat. [Nous
sommes donc une radio] indépendante »,
rétorque Cécile Mégie. p
raoul mbog
« La redevance audiovisuelle est une garantie d’indépendance »
ENTRETIEN
M
arie-Christine Saragosse est
présidente-directrice générale de France Médias Monde,
qui regroupe RFI, France 24 et Monte
Carlo Doualiya.
Le projet de fusion des rédactions
de France Médias Monde a été
abandonné au profit de l’idée
de refondation. C’est-à-dire ?
Il s’agit pour les trois entités du groupe
d’être plus efficaces ensemble, mais en
restant, chacune, fidèle à son format, à
son ambition et à son positionnement
éditorial. On a réaffirmé, pour chacun
de nos médias, son format, son posi-
tionnement éditorial, sa promesse et
son ambition. Les infrastructures et plusieurs services sont communs, mais
aucun des trois médias ne craint plus de
perdre son identité.
D’ailleurs, cela facilite les possibilités
d’un travail en commun, avec des projets éditoriaux transverses. Puisqu’on
ne fusionne plus, l’idée est de réfléchir à
comment travailler ensemble autour
d’un socle de valeurs communes.
Dans certains pays africains
francophones, il se développe une
forme de sentiment anti-Français.
Comment gérez-vous cette question ?
Nous avons une centaine de Clubs RFI
[Radio France internationale], qui re-
groupent près de 80 000 personnes. Ces
clubs sont une approche qualitative de
nos auditeurs, ce sont des baromètres
qui sentent l’air du temps et nous le font
remonter en même temps que le travail
de nos correspondants sur le terrain.
Dans les années 2000, ce sentiment anti-Français s’est exprimé de manière violente en Côte d’Ivoire.
Bien souvent, ce sont des questions qui
ne nous concernent pas directement et
relèvent plutôt de divergences ponctuelles entre Etats. Nous ne les ignorons pas.
Mais notre travail reste le même : écouter, donner la parole aux uns et aux
autres, apporter des clés de compréhension, contextualiser ou faire de la pédagogie, le cas échéant.
Comment les trois entités peuvent-elles rester des chaînes de service public sans donner l’impression d’être
des médias d’Etat ?
La première garantie à cela est qu’aucun
journaliste du service public n’accepterait d’être considéré comme un « journaliste gouvernemental ». Le mode de financement des entités de France Médias
Monde, qui est la redevance audiovisuelle, c’est-à-dire une recette apportée
par les citoyens pour leur service public,
est aussi une garantie d’indépendance.
Les pouvoirs publics français n’interviennent en aucune façon dans l’élaboration
de nos contenus éditoriaux. C’est l’un des
avantages d’une grande démocratie. p
propos recueillis par r. m.
26 | télévisions
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Guillaume Durand, l’intranquille
Le temps d’un livre, d’éclats de souvenirs teintés de mélancolie, le journaliste se raconte, à sa manière, singulière
PORTRAIT
grande admiration – « J’aime
beaucoup Mitterrand, je ne vais
pas m’en cacher ».
Pourtant, il a été un jeune
homme auquel « tout est devenu
suspect, quand [il] a compris qu’à
l’école on ne [leur] avait pas vraiment raconté ce qui s’était passé
en France pendant la guerre ».
« Tout juste nous disait-on que certains avaient fait du marché noir.
Mais la collaboration, silence.
Alors, je me suis senti churchillien,
je me suis tourné vers le RoyaumeUni, sa culture, sa musique… » Une
musique qui ne l’a pas quitté,
alors que certains contemporains, comme Madonna ou les
Daft Punk, ne sont pas épargnés
par la férocité du portraitiste…
D
ans son livre, qui a
pour titre Mémoires
d’un
arythmique
(Grasset, 380 p., 20 €),
Guillaume Durand n’a pas choisi
d’aligner les souvenirs de sa carrière de journaliste, qu’il continue avec joie. Il a même introduit
un peu de fiction – des textos menaçants qui lui auraient été envoyés, une curieuse aventure au
Congo –, tout en se gardant bien
de faire un roman, lui qui écrit, lucidement, ces mots qui vont déplaire : « Pourquoi beaucoup de
mes confrères se mettent-ils à
écrire des romans quand ils devinent que leur féroce profession va
les satelliser autour de 60 ans ?
Qui peut croire que l’on puisse subitement devenir écrivain à mitemps à l’automne d’une vie ? Existe-t-il des sculpteurs et des pianistes à vocation quinquagénaire ?
Evidemment non, conversion absurde. Mais mon bien-aimé milieu
feint de croire le contraire. »
Ce récit, il aurait aussi pu l’appeler « Mémoires d’un intranquille ».
Car, depuis son enfance, et ce moment où un homme ivre et dérangé a poignardé son père – celui-ci a survécu mais est resté paralysé un an –, Guillaume Durand est
un inquiet. L’arythmie a évidemment aggravé cette inquiétude :
« Mon cœur s’est, un jour, brutalement emballé, écrit-il. Je suis devenu comme presque un million de
Français : un arythmique, c’est-àdire un type qu’on prend pour un
hypocondriaque ou un condamné. » Médicaments, opération. Et angoisse. Mais ce n’est pas
cela qui fait de lui « le faux gai dans
toute sa splendeur ». C’est son regard sur la vie, empreint de mélancolie, et parfois de nostalgie.
Et c’est cette légère mélancolie
qui donne à son livre une singularité. Nombre de ses contemporains – il est né en 1952 – y trouveront un écho de leurs passions et
de leurs interrogations. Les plus
jeunes, eux, comprendront peutêtre mieux cette génération « approximative », née après la guerre,
Au café La Palette, à Paris, le 8 novembre. JÉRÔME MARS/SIPA
pendant ces fameuses « trente
glorieuses » de forte croissance
économique. Avant la crise. Avant
le terrorisme.
Férocité du portraitiste
Professionnellement, Guillaume
Durand se dit « heureux ». « J’ai été
heureux pendant dix ans à Europe 1, heureux à LCI, et même à
Canal. J’ai aimé la télévision,
même si j’y suis venu un peu par
hasard, au moment où je voulais
gagner plus d’argent, pour prolonger l’aventure de mon père galeriste, en devenant collectionneur.
« Dans le milieu
de la télé,
je suis passé
pour un snob »
GUILLAUME DURAND
Et là, je me suis fracassé. »
Aujourd’hui, il vit « avec bonheur » sa sixième saison à « La
matinale de Radio classique ». « Je
pensais que ça allait durer un an,
et me voilà dans la sixième année.
Au fond, j’aime la discipline et l’hygiène de vie que cela suppose. Je
me couche tôt, je lis l’après-midi. »
En outre, depuis septembre 2014,
il présente sur TV5Monde, tous
les samedis, de 17 heures à
18 heures, « 300 millions de critiques », « une émission sur l’actualité culturelle francophone à travers les regards croisés de journa-
listes belges, suisses, canadiens,
québécois, français et, en fonction
des thématiques, africains, maghrébins, libanais… »
Si le journalisme n’est pas le fil
conducteur de ces souvenirs « en
éclats », de ces Mémoires un peu
déjantés, il est tout de même
question de quelques émissions
mémorables, d’entretiens avec
des écrivains – il a une vraie tendresse pour Françoise Sagan – de
rencontres avec des hommes politiques, au premier chef François
Mitterrand,
pour
lequel
Guillaume Durand garde une
Arte élargit son champ de vision
Marco Nassivera, directeur de l’information de la chaîne, explique
comment sa rédaction a traité les attentats de Paris
L
es attentats survenus le
13 novembre en région parisienne ont été très rapidement couverts par les médias du
monde entier. Mais si la couverture de tels événements a évidemment été suivie de près par les
chaînes de télévision françaises,
comment la rédaction franco-allemande du JT d’Arte, avec son approche traditionnellement et culturellement moins franco-française, a-t-elle réagi ?
« Il est toujours plus facile d’être là
où les autres vont moins, ce qui est
souvent le cas pour le journal d’Arte
qui, depuis sa création, traite une
actualité internationale un peu délaissée par les chaînes françaises »,
souligne Marco Nassivera, directeur de l’information de la chaîne
franco-allemande depuis janvier 2013, et fin connaisseur d’un
média atypique pour lequel il travaille depuis plus de vingt ans.
« A Paris, lors des attentats, tous
les médias étaient sur place et, pour
Arte, qui n’a pas les moyens des
grandes chaînes françaises sur le
terrain, il était d’abord nécessaire
de faire un travail d’explication qui
puisse être clairement compris, notamment par notre public allemand, sans se perdre dans les données chiffrées ou les noms de lieux.
Notre JT dure habituellement vingt
minutes, même si l’édition du 14 no-
vembre a été exceptionnellement
rallongée d’environ dix minutes.
Dans ce laps de temps, il nous a
fallu d’abord faire un point très factuel sur les événements avant
d’élargir notre champ de vision et
d’aller voir ailleurs, dans des pays
plus ou moins proches, mais tous
touchés par le terrorisme. Etre réactifs tout en restant sobres, c’est un
peu notre marque de fabrique… »
Un JT pour les 7-14 ans
Sur certaines chaînes étrangères,
le téléspectateur a pu voir des images parfois choquantes, avec cadavres ensanglantés en gros plan. Un
cas de figure difficilement imaginable sur les chaînes françaises
qui, règle tacite, ne montrent jamais de cadavre lors d’attentats de
ce type. Et Arte ? « Les Allemands
sont encore plus scrupuleux et sensibles sur ce point précis : pas de cadavres ! Notre direction est très vigilante et nous faisons tous attention
aux images diffusées », souligne
Nassivera, qui, dès le 15 novembre,
a dû gérer un début de polémique
concernant… les migrants.
« On sentait une polémique monter rapidement en Allemagne, entre
une manifestation de Pegida et certaines déclarations de politiques
faisant un amalgame entre migrants et terroristes. Comme d’habitude, nous sommes allés voir
ailleurs, sur le terrain, pour élargir
notre champ de vision : en Turquie,
en Pologne, en Hongrie, où certaines réactions antimigrants ont été
violentes. Nous avons aussi tourné
des sujets en Grande-Bretagne pour
expliquer comment les autorités locales ont tenté, au fil du temps, de
déradicaliser ce que l’on appelait le
“Londonistan”. Bien avant les attentats de Paris, les sujets sur les migrants occupaient nos antennes et
intéressaient fortement le public
d’Arte. Cette année, nous avons dû
en tourner au moins une centaine
dans nos JT. »
Depuis septembre, Arte propose
un JT quotidien de six minutes à
destination des 7-14 ans. Là encore,
les attentats de Paris ont fait l’objet
d’un travail méticuleux. « Beaucoup d’enfants sont déboussolés
face à de tels événements, et nous
avons décidé de faire un gros effort
de pédagogie. Nous avons pris le
temps pour expliquer ce qu’était un
djihadiste, un kamikaze, le RAID ou
ce que signifie l’état d’urgence, la
minute de silence. Et même comment Daech se finance. On y apporte le même soin que lorsqu’on
s’adresse aux adultes, avec nos soirées thématiques consacrées à
Daech, aux mouvements salafistes
ou à l’engagement des troupes
françaises au Sahel. » p
alain constant
« Vision poétique de la vie »
Guillaume Durand ne cache pas
qu’on le prend pour « un gosse de
riches ». « Dans le milieu de la télé,
je suis passé pour un snob, un présomptueux. Mais mes parents ne
sont pas des gens d’argent. » Le
privilège de son enfance n’était
pas la richesse, mais la chance
d’avoir des parents « qui avaient
une vision poétique de la vie, qui
aimaient les artistes ». La galerie
de son père était rue Mazarine,
dans le 6e arrondissement de Paris, tout le monde venait boire à
La Palette, les artistes n’étaient
pas « friqués », « pas prêts à tout
pour faire plaisir à de riches collectionneurs incultes bardés de
conseillers ».
Etre enfant et adolescent dans
ce quartier était une chance
« qu’on garde pour la vie ». « Je
voyais passer Louis Aragon, Simone de Beauvoir, la bande du
groupe Tel Quel, Marguerite Duras… » Nicolas Canteloup, sur Europe 1, se moque régulièrement
de ce Durand chic et snob. « La
moquerie ne me dérange pas. La
violence si. »
Son attachement à ces années
heureuses ne fait pas de
Guillaume Durand « quelqu’un
qui regarde dans le rétroviseur ».
« J’attends encore le Messie, un
nouveau grand artiste. » p
josyane savigneau
EMMY AWAR D S
Trois productions
françaises récompensées
Pas moins de trois International Emmy Awards ont été décernés à des Français, lors de
la cérémonie qui, le 23 novembre à New York, récompensait les meilleurs programmes télévisuels produits
dans le monde, hors EtatsUnis. La saison 5 d’« Engrenages », diffusée sur Canal+, a été
couronnée meilleure série
dramatique. Soldat blanc,
d’Erick Zonca, diffusé sur Canal+, a été primé dans la catégorie meilleur film de télévision ou mini-série, tandis que
le meilleur programme sur
l’art récompensait le documentaire Illustre & Inconnu :
comment Jacques Jaujard a
sauvé le Louvre, réalisé par
Jean-Pierre Devillers et Pierre
Pochart et diffusé sur
France 3.
ART E
La chaîne
franco-allemande
en anglais et en espagnol
Depuis le 17 novembre, Arte
est devenu quadrilingue et
propose désormais, au-delà
du français et de l’allemand,
des contenus sous-titrés en
espagnol et en anglais sur
son site Internet. Chaque semaine, une douzaine d’heures de programme seront
mises en ligne gratuitement
autour d’émissions culturelles et de documentaires tels
que « Tracks » ou « Arte Reportage ».
télévisions | 27
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Tout commença il y a trente-six ans à La Mecque
Yannick Adam de Villier et Sofia Amara retracent, étape après étape, quarante ans de djihadisme international
TF1
20.55 Gran Torino
Film de Clint Eastwood
(EU, 2008, 135 min).
23.10 Les Experts
FRANCE 2
DIMANCHE 29 – 20 H 55
DOCUMENTAIRE
L’
année 1979, année islamique. Tout a commencé là : la révolution
en Iran bien sûr, mais
aussi l’invasion de l’Afghanistan
par l’Union soviétique, et enfin la
prise de la Grande Mosquée de
La Mecque par un commando
d’extrémistes religieux saoudiens.
De ces trois événements fondateurs, qui continuent de façonner
le Moyen-Orient et les crises que
nous traversons, l’attaque du premier lieu saint de l’islam est celui
qui est passé le plus inaperçu à
l’époque. Aujourd’hui encore, on
en parle peu, et seuls les spécialistes y voient un véritable tournant.
Cette attaque – en fait la prise en
otage de milliers de pèlerins par
un groupe dirigé par Juhaiman AlOtaybi – est la première action
d’envergure faite au nom du djihad international. Avant cela, seul
un obscur groupuscule égyptien
avait kidnappé et tué un ministre
du gouvernement Sadate. A
La Mecque, il s’agit de tout autre
chose : un commando de près de
300 hommes, originaires de plusieurs pays, qui dénonce la monarchie corrompue des Saoud, accusée d’avoir vendu le pays aux Occidentaux.
Cette contestation du régime
saoudien au nom de la pureté religieuse, on la retrouvera un peu
plus d’une décennie plus tard, lorsque Oussama Ben Laden, auréolé
de sa contribution à la victoire des
moudjahidine afghans contre
l’Union soviétique, rentra au pays
proposer ses services à la famille
royale, terrifiée par l’invasion du
Koweït par les troupes de Saddam
Hussein. A son grand dam, la
« maison des Saoud » préféra faire
appel à l’armée américaine et à la
coalition de 33 autres pays rassemblés pour délivrer le Koweït. Une
fois la guerre gagnée, les EtatsUnis en profitèrent pour s’installer
à long terme en Arabie saoudite, et
Oussama Ben Laden, déjà hostile à
la politique américaine au ProcheOrient (sous l’influence de son
maître à penser, le religieux palestinien Abdallah Azzam), se lança
dans un nouveau djihad, non plus
contre l’Union soviétique, mais
cette fois-ci contre l’Amérique.
Le film de Yannick Adam de Villier et Sofia Amara, De Ben Laden à
Daech. Aux origines du djihad, résume parfaitement l’enchaînement implacable des causes et des
effets qui ont fait du jeune « gosse
de riche » saoudien l’inspirateur
(et non pas le penseur) du plus
grand défi politico-militaire posé à
l’Occident à la fin du XXe siècle et
VOS
SOIRÉES
TÉLÉ
DIMANCHE 29 NOVEMBRE
France 2
20.55 De Ben Laden à Daech :
aux origines du djihad
France 3
20.50 Les Enquêtes de Murdoch
Canal+
21.00 Football
Ligue 1 : Marseille-Monaco.
France 5
20.40 La Pomme de terre
dans tous ses états
Documentaire (Fr., 2015, 50 min).
22.25 De Rouen à Hiroshima
Ci-dessus,
Oussama
Ben Laden.
CAPTURE VIDÉO/AFP
Ci-contre,
Abou Bakr
Al-Baghdadi.
AFP
Arte
20.45 Le Talentueux M. Ripley
Film d’Anthony Minghella
(EU, 1999, 135 min).
23.00 Le Rêve de Hollywood
Documentaire (EU, 2011, 80 min).
M6
20.55 Capital
Les grandes marques
ne meurent jamais.
LUN D I 30 N OVE M B R E
TF1
20.55 Une famille formidable
Série (Fr., 2015, 115 min).
22.50 New York, unité spéciale
Juhaiman Al-Otaybi. AFP
en ce début de XXIe. Plutôt que de
débuter par l’actualité immédiate,
les auteurs ont choisi de reprendre
le fil de cette histoire à la source,
déroulant les étapes les unes après
les autres avec pédagogie et sans
presser le pas.
Aveuglement occidental
Il en résulte un certain déséquilibre du film, qui soudain s’accélère
à partir du 11-Septembre 2001.
Mais c’est une histoire plus connue du grand public. Il reste que le
passage de relais – ou plutôt la
prise de pouvoir – à partir de 2004,
à la branche irakienne d’Al-Qaida,
qui a donné une coloration antichiite et un contenu territorial
(d’où le choix de se rebaptiser Etat
islamique), aurait mérité une explication un peu moins rapide.
Ce qui frappe, à la vision du documentaire, c’est la cohérence du
projet djihadiste, qu’il soit local ou
global, antisoviétique ou antiaméricain, par une élite soigneusement sélectionnée (Al-Qaida) ou
de jeunes Européens radicalisés et
mal islamisés (l’organisation Etat
islamique). A cet égard, le film insiste – trop brièvement – sur Abou
Moussab Al-Souri, un Syrien à la
peau blanche et aux cheveux roux,
ancien responsable de la branche
médias d’Al-Qaida, qui a élaboré,
en 2004, une somme théologicopratique du djihad post-11-Septembre. Partant du principe que
des opérations d’envergure du
type de celles du World Trade Center étaient désormais impossibles,
il a théorisé les opérations solitaires et « modestes », c’est-à-dire nécessitant peu de moyens, mais
rencontrant un grand écho. Alors
que Ben Laden était obsédé par les
Etats-unis et son bras droit, Ayman
Al-Zawahiri, par le monde arabe,
en particulier l’Egypte, Abou
Moussab Al-Souri s’est surtout intéressé à l’Europe, dont il mesure
la faiblesse et l’intérêt à l’aune de
ses communautés musulmanes,
nombreuses et souvent mal intégrées. Pour lui, des attentats à répétition en Europe vont radicaliser
les opinions contre les musulmans d’Europe, les poussant dans
les bras, du moins l’espère-t-il, du
L’attaque du
premier lieu saint
de l’islam est la
première action
d’envergure faite
au nom du djihad
international
mouvement djihadiste. C’est exactement le but recherché des attentats du 13 novembre à Paris et à
Saint-Denis.
Autre enseignement du film de
Yannick Adam de Villier et Sofia
Amara, l’aveuglement occidental
qui a souvent consisté à sous-estimer la menace et surtout l’adversaire en ne lui prêtant pas de vision d’ensemble ni de projet cohérent. En pensant qu’il suffisait
d’oublier le problème pour qu’il
disparaisse. C’est ce qui s’est produit à deux reprises. Une première
fois après le djihad afghan, lorsque
les Etats-Unis, satisfaits d’avoir sai-
gné à blanc l’ennemi soviétique,
ont abandonné l’Afghanistan à son
sort. La seconde fois remonte à
2011, au moment du retrait américain d’Irak. Pendant les trois années qui ont suivi, les effroyables
tueries de chiites menées par l’EI
en Irak ont été vues comme un
problème purement irakien, ou interne à l’islam, jusqu’à la prise de
Mossoul, la deuxième ville du
pays, en juin 2014.
La proclamation du « califat » par
Abou Bakr Al-Baghdadi marque
une étape décisive pour l’islamologue Mathieu Guidère. « La restauration du “califat” va être très difficile à déraciner. On a des mesures,
des stratégies, des armes, mais pas
de projet politique à y opposer. » Le
djihadisme international a commencé il y a trente-six ans à
La Mecque, il n’en est probablement qu’à la moitié de sa vie. p
christophe ayad
De Ben Laden à Daech.
Aux origines du djihad,
de Yannick Adam de Villier
et Sofia Amara (Fr., 2015, 130 min).
France 2
20.55 Castle
Série.
0.05 Le Destin
Film de Youssef Chahine
(Egy., 1997, 130 min).
France 3
20.50 La Vie secrète
des chansons
Documentaire (Fr., 2015, 125 min).
23.50 Rock’n’Rennes
Canal+
21.00 Versailles
Série (GB-Fr., S1, ép. 5 et 6/10).
22.45 Spécial investigation
Ecolos : ennemis d’Etat.
France 5
20.40 René Bousquet
ou le grand arrangement
Téléfilm (Fr., 2006, 105 min).
Arte
20.55 Annie Hall
Film de W. Allen (EU, 1977, 90 min).
22.25 Woody Allen :
a documentary
M6
20.55 L’amour est dans le pré :
seconde chance
28 | télévisions
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Le réveil de Stéphanie Loire
SÉLECTION
RADIO
Depuis le début de la saison, la Lyonnaise coanime avec humour la matinale de Chérie FM
SOUVE N IRS
I
l est 7 h 27. L’heure de manger
des… huîtres. Un collègue du
Web, Dimitri, a rapporté une
bourriche du Père Rabaud.
Entre deux slows, Stéphanie Loire
se laisse tenter avec gourmandise.
« Il ne manque que le vin blanc »,
lance-t-elle de sa voix éraillée.
N’est-ce pas un peu tôt pour un
condrieu ? Pas du tout. Levée depuis 4 h 30 pour prendre l’antenne
de Chérie FM de 6 heures à 9 heures, la présentatrice est en appétit.
Avec ces lumières roses tamisées
et ces fauteuils en simili cuir, le
studio de Chérie FM (groupe NRJ) a
des allures de club libertin. Dans ce
décorum kitch et coquin, le rire de
la jeune femme résonne au point
de devenir contagieux. Stéphanie
Loire, c’est une voix joliment cassée, proche du timbre d’un fumeur de Gitanes. « Sa voix est particulièrement suave », reconnaît le
comédien Manu Payet, qui a travaillé avec elle sur NRJ, il y a une dizaine d’années.
« Antithèse des chaînes d’info »
Avec ses grosses lunettes sur le
nez, Stéphanie Loire ressemble au
personnage de manga Aralé, diablement drôle et maladroit.
Comme elle. Chaque vendredi, elle
chante la météo sur l’air d’une
chanson connue dont elle remplace les paroles par des prévisions
et des températures. Un grand
moment d’autodérision. « Elle apporte de la fraîcheur en même
temps que du contenu », souligne
Gaël Sanquer, le directeur des antennes radio du groupe NRJ.
Une qualité qui a poussé la station à la débaucher pour « épauler » l’animateur Vincent Cerutti –
ex-présentateur de l’émission
« Danse avec les stars » (TF1) – dans
la matinale de Chérie FM. Effet Stéphanie Loire ? Selon les chiffres de
Médiamétrie, publiés le 18 novembre, elle se classe désormais à
la sixième place des « Morning »
de France – devant le gros concurrent RFM – avec 266 000 auditeurs, soit 58 000 de plus sur un an.
Ainsi, depuis le 24 août, cette métisse (son père est franco-laotien)
au sourire bienveillant, tient à respecter sa « promesse » : réveiller les
Français dans la bonne humeur,
encore plus en cette sombre période marquée par les attentats.
« Ceux qui viennent nous écouter
veulent oublier leurs problèmes, ne
pas voir les chaînes d’information
Quand NRJ lance
son école
de radio, elle
appelle la station
tous les jours
à la même heure
pendant un mois
VINCENT BINANT
en continu, explique-t-elle. Ils mettent leur cerveau en pause et se
marrent avec nous. Nous sommes
l’antithèse des chaînes d’info. »
Pendant trois heures, l’animatrice réagit aux plaisanteries de
l’animateur en chef, interagit avec
les auditeurs, raconte des anecdotes de son quotidien, qui n’a rien à
envier au malchanceux François
Perrin qu’interprète Pierre Richard dans La Chèvre, de Francis
Veber. « La radio, c’est l’école de la
repartie, du ping-pong », expliquet-elle. Ses collègues louent son naturel. « Ce n’est pas la fille qui fait
une pige à la radio et saute dans sa
Porsche Cayenne à 9 heures », estime Vincent Cerutti.
Divertissement et légèreté
Stéphanie Loire croit en deux
mots : divertissement et légèreté.
« Il y a une différence entre légèreté
et superficialité, souligne-t-elle. Divertir, c’est une notion très noble, ça
ne veut pas dire avilir. » La radio,
c’est son « truc », comme elle dit.
Pourtant, au départ, rien ne semblait devoir la diriger vers cette
voie. Certes, cette fille unique, adolescente, s’endormait en écoutant
le Doc et Difool sur Skyrock. Mais
le monde de l’audiovisuel demeurait à des années-lumière de son
village natal de Sainte-Foy-l’Argentière (Rhône). Après trois années
passées à la fac de Lyon, elle suit
l’Ecole des attachés de presse
(EFAP) dans l’optique de devenir
journaliste, puis monte à Paris.
En octobre 2004, elle est amenée à couvrir une conférence de
presse tenue par NRJ, qui annonce
le lancement de sa propre école de
radio, la NRJ School. « C’est ça qu’il
faut que je fasse ! », se dit-elle. Elle
appelle la station tous les jours à
la même heure pendant un mois,
menaçant ses interlocuteurs de
faire une grève de la faim s’ils ne
retiennent pas sa candidature.
Elle fera partie des dix chanceux
sur les 1 900 présélectionnés, apprendra le métier, les codes et servira le café aux animateurs.
Mais c’est la télé qui lui ouvre véritablement ses portes. Canal J,
France 3, Voyage, NT1, D8, et dernièrement D17 sur laquelle elle
coanime le « Morning » de septembre 2013 à juin 2015, avec Cartman et Vincent Desagnat. Pendant dix ans, elle présente chroniques et émissions. « Mais j’étais en
galère de micro », avoue-t-elle.
Stéphanie Loire souhaite désormais se consacrer à la radio et obtenir un jour sa propre émission
sur une grande station généraliste.
Sur Chérie FM, elle a trouvé le ton
juste, à savoir une voix qui
« n’agace pas », ainsi que le précise
Vincent Cerutti. Mais aussi « qui
n’allume pas et ne minaude pas »,
assure l’animateur Manu Lévy.
Une qualité moins anecdotique
qu’il n’y paraît, sur une station
comme Chérie FM dont une
grande partie des auditeurs sont
des auditrices. Des femmes qui la
perçoivent comme une bonne copine. Un point dont elle peut se réjouir. Avec cet avantage, qu’offre de
surcroît la radio, « d’avoir le droit de
grossir et de vieillir », sourit-elle. Il
est 8 h 47, Stéphanie Loire a envie
de pâtes aux fruits de mer. p
mustapha kessous
« Le Réveil Chérie », de 6 heures
à 9 heures sur Chérie FM.
« Culture musique »
A partir du 4 octobre 1965, il anime
sur France Inter « Le Pop-Club », une
émission que la station n’interrompra
que quarante ans plus tard, en 2005.
José Artur (1927-2015) y inaugure un
ton nouveau, où l’humour ne cède en
rien à l’acuité critique dont il sait faire
preuve. Artistes, écrivains, hommes
politiques se croisent dans cette
émission qui mêle commentaires,
interviews et musique. La productrice
Merryl Moneghetti est allée fouiller
dans les archives de cette émission
mythique pour en rapporter une
épopée passionnante.
DU 30 NOVEMBRE AU 3 DÉCEMBRE
– FRANCE CULTURE – 15 HEURES
OPÉ RA
« Classic Club »
A l’occasion des deux nouvelles
productions de l’Opéra de Paris, Le
Château de Barbe-Bleue et La Voix
humaine, Lionel Esparza recevra le
metteur en scène polonais Krzysztof
Warlikowski et la soprano Barbara
Hannigan. Ils reviendront sur ces deux
opéras signés Bartok et Poulenc. En
direct et en public, de l’Hôtel Bradford
(8e arrondissement de Paris).
LUNDI 30 – FRANCE MUSIQUE – 22 H 30
CON CE RT
Schoenberg (Symphonie de chambre
n° 2, op. 38), Brahms (Concerto pour
piano n° 1 en ré mineur, op. 15),
Brahms-Schoenberg (Quatuor pour
piano en sol mineur, op. 25). Avec Lise
de La Salle (piano) et l’Orchestre
philharmonique de Radio France,
sous la direction de Karl-Heinz
Steffens. En direct de l’Auditorium de
Radio France, à Paris.
VENDREDI 4 DÉCEMBRE –
FRANCE MUSIQUE– 20 HEURES
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
GRILLE N° 15 - 282
PAR PHILIPPE DUPUIS
1
2
3
4
5
6
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8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
I. Ne rate jamais une occasion au moment où elle passe. II. Muse de l’astronomie devenue papillon. Politesse
de départ. III. Manifestation de douce
sympathie. Deux lettres pour compléter la théorie. IV. Tourne le dos à
ses engagements. Pose problème.
Marque un temps d’hésitation. V. Met
in à la prière. Ouvrent les portes et
les portées. VI. Attire l’œil du lecteur.
Facilite la circulation à l’intérieur de
la Communauté. Franchir le pas.
VII. Grosse ou légère, elle fait du bruit.
Saint en mauvais état. VIII. L’alsacien
et l’autrichien se jettent dans le Rhin.
Traitas les afaires. IX. Jugement très
favorable. Afaiblit. X. Rendra le passage diicile.
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
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SUDOKU
N°15-282
VERTICALEMENT
VIII
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 281
HORIZONTALEMENT I. Propres-à-rien. II. Rabier. Gilde. III. Overdose. Oc.
IV. Pise. Danse. V. Eté. Tendeurs. VI. Na. Distantes. VII. Sirop. Ost. CA.
VIII. Ilotier. INRI. IX. Ollé. Vibreur. X. Néerlandaise.
VERTICALEMENT 1. Propension. 2. Ravitaille. 3. Obèse. Rôle. 4. Pire. Do-
ter. 5. Red. Tipi. 6. Erodes. Eva. 7. Santorin. 8. Agendas. BD. 9. Ri. Sentira. 10. Il. Eut. Nei. 11. Edo. Recrus. 12. Nécessaire.
1. Pousse toujours beaucoup trop
loin. 2. Protégé avant d’être mis à
l’étalage. 3. Etofe à poils longs. Pâté
en ville. 4. Génies des eaux du Nord.
A suivre pour ne pas se perdre.
5. Peut faire des éclats. S’accroche
aux vieilles branches. 6. Planté sur le
terrain avant de frapper. Sorti de l’esprit. 7. Sans accompagnement. Réjoui. 8. Fait des dégâts dans le parc.
Peuvent faire des dégâts dans les pavillons. 9. Du rouge dans l’étang. Bien
sombres. 10. Sur la portée. Partit
s’installer ailleurs. 11. Incapable de lâcher prise. Lourd et mou. 12. Apportât un doux bien-être.
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
& CIVILISA TIONS
IX
N° 12
DÉCEMBRE 2015
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& CIVILISATIO
L’AUTRE JÉSUS
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STRATÈGE
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COMMENT IL A CONQU
LA GAULE
Chaque mois,
un voyage à travers
le temps et les grandes
civilisations à l’origine
de notre monde
AUX SOURCES
DU NIL
UNE DÉCOUVERTE
MYTHIQUE EN 1862
PYTHAGORE
PHILOSOPHE
MATHÉMATICIEN
ET GOUROU
LA BATAILLE
T
D’AZINCOUR
FRANCE
POURQUOI LA
A PERDU EN 1415
CHEZ VOTRE
MARCHAND DE JOURNAUX
Présidente :
Corinne Mrejen
PRINTED IN FRANCE
80, bd Auguste-Blanqui,
75707 PARIS CEDEX 13
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L’Imprimerie, 79 rue de Roissy,
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Toulouse (Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
usages | 29
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Des gyroroues Solowheel.
CYRUS ATORY, VINCENT
BOURDEAU/SOLOWHEEL EUROPE
L’
homme-machine glisse,
sans effort apparent, sur
le trottoir. Il dépasse de
deux bonnes têtes les
piétons entre lesquels il slalome silencieusement et qui, en le voyant,
se figent, intrigués. Entre ses pieds,
une roue lumineuse semble être le
prolongement naturel de son
corps… Croiser l’un de ces centaures sur gyroroue (ou roue électrique gyroscopique) n’a encore rien
de banal. D’ici à 2017-2018, pourtant, plus personne ne se retournera sur le passage de ces nouveaux véhicules électriques individuels, qui conquièrent les métropoles où la voiture n’est plus reine.
On connaissait le vélo à assistance électrique, ses ventes exponentielles : 77 500 en 2014, soit un
gros tiers de plus qu’en 2013. Arrivent, dans la foulée, les skateboards, trottinettes et monocycles rechargeables sur secteur.
Preuve que le marché est prometteur, la grande distribution se positionne : trottinette électrique
maison chez Decathlon, roue motorisée dans les Fnac parisiennes
et chez Boulanger. Les mini-planches électriques, que personne ne
sait encore comment appeler
(smartboards, overboard, overtracks…) et dont les roues sont
trop petites pour franchir le
moindre trottoir, s’arracheront
pourtant à Noël, sait-on déjà.
Facile à prendre en main, la trottinette a ouvert la voie de la micromobilité sur batterie. Mais la
roue futuriste la rattrape désormais, portée par le même engouement que le roller en ligne au début des années 2000.
Mille euros en moyenne
Sans manche ni volant, dotée de
deux repose-pieds latéraux rétractables, la gyroroue se bloque
entre les mollets et se commande,
comme son grand frère, le Segway,
en inclinant délicatement le buste
vers l’avant, l’arrière ou le côté. Il
faut comprendre comment se hisser à peu près dignement, dépasser l’appréhension de se lancer en
avant, mains libres, puis oser lâcher le mobilier urbain et croire
aux lois de l’équilibre. Trois demiheures de cours valent mieux que
la consultation, même prolongée,
de tutoriels, pour protéger son intégrité physique…
Qui doutait que les Français fussent téméraires ? Dans nul autre
pays voisin, les roues autonomes
ne gagnent aussi vite du terrain.
« ON PASSE PARTOUT,
FLUIDE, ON FLOTTE, ON A
PRESQUE L’IMPRESSION
QUE LA PENSÉE CONTRÔLE
LA ROUE »
ALEXANDRE CAVARO
adepte de la gyroroue de 27 ans
en roue, libres !
Sur les trottoirs, ils sont de plus en plus
nombreux à glisser comme par magie,
les pieds calés sur un drôle d’engin.
Et sans les mains. La gyroroue électrique,
simple gadget ou nouveau vélo ?
Environ 10 000 d’entre elles se
sont écoulées en deux années de
commercialisation. La chute continue des prix (1 000 euros désormais en moyenne, avec des entrées de gamme correctes à
700 euros) n’y est pas pour rien.
Car, si le brevet est américain, c’est
de Chine que proviennent tous les
engins, et en masse. Les marques
leaders (Solowheel et Ninebot) se
voient concurrencées par des dizaines de « copieurs ».
Devant l’Opéra Bastille, ce samedi soir d’automne, ils sont une
centaine de wheelers, comme ils
s’appellent en référence fusionnelle à leur roue, à attendre le départ de la randonnée hebdomadaire à travers Paris – ils n’étaient
pas plus de vingt, en 2014. Des
hommes, pour l’essentiel, « qui se
projettent dans l’avenir, comme les
informaticiens, les architectes, les
ingénieurs, ou qui veulent gagner
du temps, comme les avocats », observe l’importateur européen de
Solowheel, Vincent Bourdeau.
Ils forment une communauté,
avec leur page Facebook, leur fil de
discussion, leurs cartes interactives susceptibles de géolocaliser
d’autres usagers proches. Des
acrobates freestyle, des bidouilleurs experts dans l’art de doper les machines… Une tribu pionnière déjà dotée de ses héros,
comme le postier qui, cet été, a
avalé 1 500 kilomètres de bitume
sur sa roue, des Pays-Bas aux Pyrénées.
Olivier Mignot, distributeur en
France des roues Ninebot, ciblait
au départ les jeunes adeptes des
sports de glisse. Il a finalement séduit les générations précédentes,
alliant pouvoir d’achat et besoin
de se simplifier la vie, « cadres ur-
bains de 30 à 45 ans, lassés du
scooter ou du métro ». Leur engin ?
Surtout pas un gadget. Un vrai
mode de déplacement quotidien,
doté d’une trentaine de kilomètres d’autonomie, qui leur offre
« la
liberté »,
répondent-ils
comme grisés, transformés en
autant de VRP. Fini les pleins d’essence, les embouteillages, les soucis de stationnement et d’entretien, le bruit et la pollution. Place
au panachage des transports (la
roue d’environ 10 kg se porte dans
le métro, se glisse dans le coffre),
et au plaisir de glisser sur l’asphalte comme sur la neige.
« Potentiellement risquée »
Alexandre Cavaro, 27 ans, technicien en centrale nucléaire, n’y voit
rien moins qu’une « révolution
des déplacements » : « On passe
partout, fluide, on flotte, on a pres-
que l’impression que la pensée
contrôle la roue. » Surenchère de
Raphaël Marchand, 43 ans, ingénieur informatique habitué des
bords de Marne : « Cela a sauvé
mes gosses ! » Deux pré-ados qui
ont daigné lâcher leurs jeux vidéo. « Cela m’a coûté un rein,
3 000 euros les trois roues, mais,
maintenant, ce sont eux qui me demandent de sortir ! » Pour lui, c’est
sûr, la pratique « ne peut qu’exploser ». « Tous ceux qui nous voient
veulent essayer. »
Même les retraités. Comme
Gilles Fougère, 65 ans, un ancien
de la réparation de poids lourds :
« A mes débuts, en juin, j’en conviens, j’ai eu un peu de mal. Ma
femme m’entendait tomber dans
le garage, elle ne voulait plus me
voir dessus ! Il m’a fallu huit leçons.
Maintenant, c’est magique. Et,
dans mon coin de Seine-et-Marne,
à La Ferté-sous-Jouarre, je suis
l’oiseau rare. »
Se sentir précurseur, être observé, interrogé, un brin admiré, il
y a là de quoi nourrir un phénomène. « Le côté ego, résume Christophe Bayart, qui tient la boutique Mobility Urban, à Toulouse.
Vous avez les mains dans les poches, vous vous déplacez, vous
n’êtes pas comme tout le monde.
Certains se vantent un peu… » A
moins que leurs grands airs ne témoignent de la concentration requise par l’exercice d’équilibriste.
Une plaque d’égout mal encastrée, la laisse d’un chien, un piéton qui zigzague, nez dans le
smartphone, et c’est la chute…
Pour les usagers de la roue
comme des trottoirs, la gyroroue
est « potentiellement risquée », admet Guillaume Bocs, fondateur
de la prospère boutique parisienne E-roue. « Mais les wheelers
sont prudents, parce qu’ils se sentent vulnérables et craignent une
réglementation. »
Pour l’instant, les gyroroues,
que le code de la route n’avait pu
prévoir, sont tolérées sur piste cyclable, sur trottoir aussi tant
qu’elles ne dépassent pas les 6 kilomètres-heure, mais interdites
sur route. Au Royaume-Uni, elles
ont été totalement bannies de
l’espace public. Les photos de
jambes dans le plâtre et d’engins
en feu, publiées sur les réseaux
sociaux, inquiètent chez Solowheel ou Ninebot.
Trop de roues dangereuses,
vendues 400 euros, arrivent en
France, qui dépassent les 25 kilomètres-heure ou calent d’un
coup, éjectant leur passager.
Leurs batteries en lithium prennent feu, ce qui commence à inquiéter les compagnies aériennes
– faut-il interdire le transport en
soute de ces fameuses roues ?
Pour pousser les normes de sécurité, les deux marques phares travaillent à une certification de l’Association française de normalisation. La communauté des wheelers, elle, s’autogère. Et n’organise
plus ce qu’elle appelait les « randos-mojitos ». p
pascale krémer
Chéri, j’ai rétréci la maison !
L’avenir est-il à la décroissance résidentielle ? Né aux Etats-Unis, le phénomène des « maisons minuscules » prend de l’ampleur
P
our vivre heureux… vivons
dans moins de 20 m2. Les
tiny houses (en français
« maisons minuscules »), ces maisonnettes en bois sur roues, écologiques et confortables, fusion entre la cabane et la roulotte, poussent comme des champignons.
Né aux Etats-Unis au début des
années 2000, le mouvement Tiny
a pris de l’ampleur avec la crise
immobilière de 2008. Etranglés
par leurs crédits, beaucoup
d’Américains n’avaient alors pas
d’autre choix que de diminuer
leur nombre de mètres carrés.
Mais avec la reprise de la croissance, l’attrait pour les minihabitations n’est pas retombé. Au contraire. Vivre dans un petit espace,
seul ou en famille, avec seulement l’essentiel, est devenu tendance. Magazines spécialisés, sites Internet, blogs, émissions de
télé-réalité ne cessent de vanter la
joie de l’épure domestique. Aux
Etats-Unis, comme en Europe du
Nord, les maisons de poupées,
avec leur agencement au centimètre près, sont même devenues
un marché pour fabricants et
constructeurs ingénieux. En Asie,
l’enseigne japonaise Muji a fait
appel aux plus grands architectes
pour concevoir trois modèles de
hut, entre pavillon de thé et cabane de trappeur, qui seront commercialisés d’ici à 2017.
En France, le mouvement en est
encore à ses balbutiements, mais
l’intérêt est là. En 2013, Michaël
Desloges, paysan et boulanger
bio, et Bruno Thiery, charpentier,
tous deux installés en Normandie, se sont lancés dans la construction de micromaisons. Depuis un an, les demandes affluent.
Une douzaine de Tiny entièrement en bois, tout équipées, ont
déjà été vendues. De 20 000 euros
pour la Josette (14 m2 avec sa mezzanine) à 40 000 euros pour la Séraphine (20 m2, une mezzanine et
possibilité de quatre ou cinq couchages). « Le prix au mètre carré
dépasse celui d’un pavillon classique, car nous utilisons des matériaux nobles et écologiques, convient Michaël Desloges. Mais une
fois construite, la Tiny coûte très
peu en entretien et en charges. »
Les clients ? Pas de profil type ni
d’usage unique, selon le boulanger constructeur.
La liberté en modèle de poche
Hébergements d’appoint, maisons secondaires, alternatives
écolos et cosy à la caravane, logements principaux pour adeptes
du minimalisme, ces petits nids
douillets tout confort (double vitrage, poêle à bois, douche, toilettes sèches, cuisine entièrement
équipée…) sont pour leurs propriétaires synonymes de liberté.
Plus d’emprunt sur vingt-cinq ans
ni de loyer exorbitant, la possibilité de pouvoir bouger facilement
en emportant sa maison montée
sur un châssis de remorque, de
s’extraire de la consommation à
tous crins, de se rapprocher de la
nature… sont autant d’arguments
brandis par les convertis au modèle de poche.
Cette décroissance résidentielle,
a priori peu adaptée au milieu urbain, essaime même là où on ne
l’attendait pas. A New York, ville
des lofts et des appartements-terrasses, un ensemble de logements
lilliputiens situé dans l’est de
Manhattan devrait accueillir ses
premiers locataires dans quelques
semaines. Baptisé « My Micro
NY », le projet consiste en un immeuble de neuf étages et de cinquante-cinq studios, de 24 à 33 m2,
dont une partie aura des loyers ré-
gulés. Cette superficie, qui peut
paraître importante au regard des
standards français et parisiens, est
hors normes à New York, une ville
qui, depuis 1987, interdit quasiment partout la construction de
logements inférieurs à 37 m2. Tous
accessibles en fauteuil roulant, ces
petits « home sweet home » avec
balcon ont été soigneusement
conçus pour donner une impression de place. Et pour les locataires
qui se sentiraient un peu à l’étroit,
espaces de rangement supplémentaires, cuisine et grande salle
TV, laverie, local à vélos, salle de
sport… disponibles dans les parties communes leur permettront
de pousser leurs petits murs. p
catherine rollot
30 | disparitions & carnet
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Jean-PaulBertaud
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Historien
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S
Un chercheur assidu
Au tournant des années 1970, le
chantier n’a rien d’anodin. Cap
sur Vincennes et ses ressources
insoupçonnées ! Le jeune historien s’immerge dans les registres
des archives de l’armée, à la rencontre de plus d’un million de ces
combattants de la « Grande Nation » qui animent les guerres
européennes de 1792 à 1815. Aux
premiers temps de la pratique informatique, il croise les données
sur les origines sociales, les condi-
2 AOÛT 1935 Naissance
à Soissons (Aisne)
1979 « La Révolution
armée » (Robert Laffont)
1984 « Les Amis du roi.
Journaux et journalistes
royalistes en France
de 1789 à 1792 » (Perrin)
1985-1998 Professeur
à Paris-I-Panthéon-Sorbonne
2014 « Napoléon et les
Français » (Armand Colin)
21 NOVEMBRE 2015 Mort
à Paris
tions d’incorporation, les moyens
d’existence et les affectations successives.
En sort une thèse, puis une synthèse, La Révolution armée (1979),
prolongée par une pittoresque Vie
quotidienne des soldats de la Révolution (Hachette, 1985). Suivra une
captivante étude sur la façon dont
Napoléon tempéra la montée de
l’individualisme dans la société
civile par la divulgation des valeurs militaires (Quand les enfants
parlaient de gloire, 2006). Mais les
premiers rôles intéressent aussi
l’historien s’ils interrogent de
nouvelles façons de penser ou de
vivre. Ainsi Camille et Lucile Desmoulins (1986) ou Choderlos de
Laclos (2003).
Sur des terres proches de celles
d’André Corvisier (1918-2014), spécialiste de l’histoire militaire sous
l’Ancien Régime, Bertaud croise
anthropologie historique et
amorce d’histoire culturelle – décryptant la presse quand s’invente
l’idéal démocratique. Mais,
comme il ne s’inscrit pas dans le
camp des thuriféraires de l’Empire
comme dans le champ clos où s’affrontent tenants des légendes concurrentes, dorée ou noire, de la Révolution, son apport, essentiel, a
peu été célébré. D’autant que,
« honnête homme » chaleureux, le
chercheur n’a rien d’un mandarin.
Captivant son auditoire au point
que les cours de première année
en amphi ne désemplissent pas,
alors même que nombre d’apprentis historiens ne fréquenteront plus l’épisode révolutionnaire, Bertaud sait transmettre,
posant sa voix, ménageant ses effets. Mais ce chercheur assidu sait
aussi dialoguer avec les étudiants,
citant scrupuleusement le moindre Mémoire ou la plus brève contribution, lui qui mit toujours la
priorité sur la confrontation directe à l’archive.
Dans le sillage de Reinhard et de
Corvisier, Bertaud a su appliquer
les principes des annales à un
champ longtemps étroitement
académique. Sans doute est-ce du
côté d’Hervé Drévillon qu’il faut
chercher sa descendance. p
philippe-jean catinchi
décédé dans sa quatre-vingt-onzième
année.
Odyssée, Cassandre et Nathan,
ses petits-enfants,
enseignant,
Ses cendres reposeront au cimetière
de Waziers (Nord), son village natal.
61, rue du Faubourg Poissonnière,
75009 Paris.
Danielle et Brigitte Fournier,
ses illes,
ont la tristesse d’annoncer le départ de
Jean-Claude ROZET,
professeur de sciences physiques,
chevalier
dans l’ordre des Palmes académiques.
Ses obsèques se sont déroulées le jeudi
26 novembre 2015.
Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu.
ukipcvwtgu. ngevwtgu.
eqoowpkecvkqpu fkxgtugu
Jeannine FOURNIER,
La famille remercie toutes
les personnes qui se sont associées
à sa douleur.
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23 79 4: 4: 4:
23 79 4: 43 58
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Ses cendres seront dispersées
en Méditerranée.
M. Patrice Bendiyan,
son époux,
Nicolas et Aurélie,
son ils et sa belle-ille,
Noélyne et Lorys,
ses petits-enfants,
Catherine,
sa cousine,
Ses beaux-frères et belles-sœurs,
Parents,
Alliés
Et amis,
ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Muriel BENDIYAN,
née NEZET,
survenu le 25 novembre 2015,
à l’âge de soixante-cinq ans.
Ses obsèques religieuses seront
célébrées, le samedi 28 novembre,
à 16 heures, en l’église de Douelle (Lot),
suivies de l’inhumation, au cimetière
communal.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Serge Lasvignes,
président du Centre Pompidou,
Denis Berthomier,
directeur général du Centre Pompidou,
Bernard Blistène,
directeur du Musée national d’art
moderne,
Et l’ensemble des personnels
du Centre Pompidou,
ont la profonde tristesse de faire part
de la disparition de
Pierre BERNARD,
graphiste,
fondateur du groupe Grapus
et de l’Atelier de création graphique,
survenue le 23 novembre 2015.
Sa générosité, son engagement,
son exigence, ont profondément marqué
l’identité graphique du Centre Pompidou.
Le cabinet Chain Association
d’Avocats
Cyril Chabert,
Frédéric Levade,
Lauren Sigler,
Bernardine Tyl-Gaillard,
ses associés,
Ses collaborateurs,
Ses assistantes,
ont la tristesse de faire part de la mort de
Me Bruno CHAIN,
avocat honoraire,
fondateur du cabinet,
ancien membre
du Conseil de l’ordre,
oficier de l’ordre national du Mérite.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le mardi 1er décembre 2015, à 10 h 15,
en l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas,
Paris 5e.
L’inhumation aura lieu dans l’intimité
familiale.
Ni leurs ni couronnes.
de
Pierre DUTRIEU,
Edmonde Rozet,
son épouse,
Jean-Edmond Rozet et Angéla
Anne-Claude Rozet,
ses enfants,
ont l’immense tristesse de vous informer
de la disparition de
ont la tristesse d’annoncer le décès,
à l’âge de quatre-vingt-sept ans, de
Décès
pécialiste français de l’histoire sociale de l’armée
sous la Révolution et
l’Empire, Jean-Paul Bertaud est mort, le samedi 21 novembre à son domicile parisien, à
l’âge de 80 ans.
Né le 2 août 1935 à Soissons, où
son père, Alfred, officier, est en
poste, le jeune Jean-Paul grandit
en fait au village de Montournais
(Vendée), dont les Bertaud sont
originaires. Dans ce milieu très
marqué par la culture militaire et
les valeurs du catholicisme traditionnel, l’enfant est très tôt bercé
par les récits de la geste des
Chouans. Ce qui ne manquera pas
d’être décisif lorsqu’il se révélera
historien.
La déclaration de guerre de septembre 1939 prive le petit JeanPaul d’un père qu’il ne devait pas
revoir : prisonnier des Allemands
aux premières heures des combats, c’est au retour de captivité
que le capitaine est tué accidentellement à la Libération. Bientôt l’enfant quitte La Roche-sur-Yon, où il
a débuté sa scolarité, pour Alger,
où l’armée, qui prend en charge la
famille, procure un poste administratif à la mère de Jean-Paul Bertaud. Celui-ci découvre un autre
monde, sèche le collège, déambule
dans les rues et nage des heures en
Méditerranée. Mais la parenthèse
éblouie se referme avec le retour
en métropole au début des années
1950. Cap sur Paris et le lycée Voltaire, où la rencontre décisive d’un
professeur de philo, M. Boucharem, met l’adolescent désinvolte
au travail. Il rattrape le temps
perdu, décroche le baccalauréat et
opte bientôt pour l’histoire.
La rencontre avec Marcel Reinhard (1899-1973) est capitale. Le
biographe de Lazare Carnot, qui a
été nommé en 1956 à l’Institut
d’histoire de la Révolution française (IHRF), fondé par Georges Lefebvre en 1937, en relance la dynamique et l’aire d’influence. Celui
qui cofonda les Annales de démographie historique oriente le jeune
chercheur sur la presse royaliste
(du mémoire de DEA dirigé par Jacques Godechot naîtra Les Amis du
roi [1984]) avant d’accompagner
pour sa thèse le regard que Bertaud porte sur la société militaire.
À tous ceux qui l’ont connu, aimé
et estimé,
Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu.
JFT0
AU CARNET DU «MONDE»
En 2006. FLAMMARION
Jean-Louis Willemin,
son compagnon,
Les familles Dutrieu et Willemin,
Nous avons appris avec regret, le décès
Mme Paulette DELIVRÉ.
La perte d’un être cher reste toujours
un moment dificile et toutes nos pensées
vont vers son fils, Stéphane Delivré
et sa famille, à qui nous présentons
nos plus sincères condoléances.
Avec toute notre sympathie.
STMicroelectronics.
idèle lectrice du Monde
et cruciverbiste avertie.
M. et Mme Gérard Tardif,
M. et Mme Hervé Gompel,
M. et Mme Fabrice Gompel,
ses enfants,
A d e l in e, L au r e- H é l èn e , D a vi d ,
Emmanuelle, François, Paul,
ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Claudine GOMPEL,
née KIEFE,
survenu le jeudi 26 novembre 2015.
L’inhumation aura lieu le mardi
1er décembre, à 11 heures, au cimetière
du Montparnasse, Paris 14e.
Ni leurs ni couronnes.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Nous avons la profonde douleur
d’annoncer le décès de
Françoise HAMPÉ KLEIN,
10 novembre 1960 - 26 novembre 2015,
architecte DPLG.
Un dernier hommage lui sera rendu
le 30 novembre, à Moussey (Vosges).
René Hampé,
35, rue Mélanie,
67000 Strasbourg.
Paris.
Mme Laurence Crantelle,
sa ille,
Mme Marie-Louise, Loulette Herly,
sa mère,
Edmonde Rozet,
70, rue du Bourg-Belé,
72000 Le Mans.
Christine Valtier,
son épouse,
Marie Valtier,
sa ille,
Matthieu Valtier,
son ils,
Marion Bartel,
sa belle-ille,
Gabriel, Valentin, Alice, Anna, Louise,
Elias,
ses petits-enfants
Et toute sa famille,
née Monique HERLY,
survenu le 30 octobre 2015, à Paris,
à l’âge de soixante-dix ans.
Ses enfants,
Ses petits-enfants
Et alliés
Christine et Danielle Manuel,
ses amis,
ont la douleur de faire part du décès du
docteur Yves MANUEL,
MD, PhD,
directeur de recherche honoraire
au CNRS,
décédé jeudi 26 novembre 2015,
à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif,
à l’âge de quatre-vingt-six ans.
Médecin et chercheur, notamment
en immunotoxicologie, il a dirigé
des équipes à l’Institut Pasteur de Lyon,
au centre d’immunologie de MarseilleLumigny, dans des unités INSERM,
à Paris et à Toulouse.
Il a participé à la création du pôle
santé-environnement au ministère
de l’Environnement.
Les obsèques auront lieu le mardi
1er décembre, à 14 heures, au crématorium
du Val-de-Bièvre, à Arcueil.
Ni leurs ni couronnes.
Colette Retailleau
née Burkel,
son épouse,
Mylène, Sandrine et Pascal Retailleau,
ses enfants,
Alban et Alonso,
ses petits-enfants,
ont la douleur d’annoncer le décès de
Jean RETAILLEAU,
peintre-illustrateur,
survenu le 26 novembre 2015, à Poissy,
dans sa quatre-vingt-deuxième année.
La crémation aura lieu le mercredi
2 décembre, à 13 h 30, au crématorium
l’Orme à Moineaux-des-Ulis (Essonne).
« Le Droit Humain »
et le président du Conseil national,
Madeleine Postal,
organisent une conférence publique :
« Persécutions et entraide »
Conférencier :
Jacques Semelin,
historien et politologue,
professeur
à l’Institut d’études politiques de Paris
et directeur de recherche au CNRS,
affecté au Centre d’études
et de recherches internationales,
le samedi 12 décembre 2015, à 14 h 30,
9, rue Pinel, Paris 13e.
Inscription par courriel :
[email protected]
Tél. : 01 44 08 62 62.
Informations :
www.droithumain-france.org
ont la douleur de faire part du décès de
Alain VALTIER,
survenu le 25 novembre 2015,
des suites d’une longue maladie.
Les obsèques auront lieu
le mercredi 2 décembre, à 16 heures,
au crématorium du cimetière
du Père- Lachaise, 71, rue des Rondeaux,
Paris 20e.
Cet avis tient lieu de faire part.
Christine Valtier,
5, rue Alphonse Baudin,
75011 Paris.
Marie Valtier,
48, rue de Patay,
75013 Paris.
Matthieu Valtier,
23, rue des Mouettes,
17340 Chatelaillon.
Marion Bartel,
33, rue Charlot,
75003 Paris.
Anniversaires de décès
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Mme Jean-Paul LEMIERE,
La Fédération française de l’ordre
maçonnique mixte international
Conférence publique
« Journée du devoir de mémoire »
organisée par la
Commission obédientielle
des droits de l’Homme et du citoyen,
samedi 5 décembre 2015, à 14 h 30
« Liberté ? »
par Marek Halter, écrivain,
par le docteur Muriel Haïm,
présidente de l’association
« Un cœur pour la Paix »,
par Antoine Bagdikian,
président
de l’Institut arménien de France.
Entrée Libre.
Temple Pierre Brossolette,
Hôtel de la Grande Loge de France,
8, rue Puteaux, Paris 17e.
Communication diverse
Frédéric PERIER
nous a quittés il y a dix ans.
Ceux qui l’ont aimé pensent encore à lui.
Jean-Pierre PILLIARD
nous a quittés le 29 novembre 1985.
Jeannine,
son épouse, qui fête ses quatre-vingt-dixsept ans en ce jour anniversaire,
Jean-François, Jean-Marie et Jean-Luc,
ses ils,
pensent toujours à lui.
Conférences
Musée des beaux-arts de Cambrai
auditorium
La Parole aux Doctorants
Cycle de cinq rencontres consacrées
à la recherche en Histoire de l’Art,
menée par des doctorants
de l’université de Lille 3,
sur les collections du musée.
Conférences à venir :
Vendredi 11 décembre 2015, à 18 h 30 :
Les expositions annuelles
des Amis des Arts de Cambrai
pendant l’entre-deux-guerres,
par Edith Marcq.
Vendredi 22 janvier 2016, à 18 h 30 :
Henri Harpignies,
peintre paysagiste (1819-1916),
par Jean-Pierre Cappoen.
Tél. : 03 27 82 27 90.
[email protected]
Entrée libre
www.villedecambrai.com
Groupe EAC
Paris. Lyon. Monaco. Pékin. Shanghai.
Claude Vivier Le Got, présidente
du Groupe EAC, félicite ses diplômés
du mastère manager de projet culturel,
en particulier Caroline, embauchée
par un grand festivalier d’art lyrique.
Si comme eux vous souhaitez travailler
dans l’art, la culture et le luxe, venez nous
rencontrer lors du salon Start, à la Cité
de la Mode et du Design, du samedi 5
au dimanche 6 décembre 2015
de 10 heures à 18 heures.
33, rue la Boétie,
75008 Paris.
Tél. : 01 47 70 23 83.
[email protected]
11, place Croix Paquet,
69001 Lyon.
Tél. : 04 78 29 09 89.
[email protected]
www.groupeeac.com
www.ingemmologie.com
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0123 | 31
0123
DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
par j ean- m iche l b e zat
Quand l’Afrique
s’éclairera
O
n l’a toujours connu
ainsi, Jean-Louis Borloo. Généreux, enthousiaste, séduisant,
un peu « foutraque », volontiers
emphatique. A la veille de l’ouverture de la XXIe conférence des Nations unies sur le climat (COP21),
qui se tient du 30 novembre au
11 décembre au Bourget (SeineSaint-Denis), on le sent piaffer
d’impatience, arpentant les bureaux cossus de sa fondation Energies pour l’Afrique, le portable
collé à l’oreille et le geste accompagnant la parole. L’ancien ministre
de l’écologie de Nicolas Sarkozy a
abandonné tous ses mandats politiques en avril 2014, pas les affaires
du monde. Et sa grande affaire du
moment, c’est d’apporter l’électricité aux 650 millions d’Africains
qui en sont privés – « priorité absolue » et préalable au développement d’un continent au dynamisme entrepreneurial sans égal.
Dans les salles de conférences de
la COP21, deux mondes se croiseront. D’un côté, les plus grands
pollueurs de la planète comme la
Chine, les Etats-Unis, l’Inde, la Russie, l’Australie, le Japon ou l’Arabie
saoudite, qui sont souvent les pays
les plus riches. De l’autre, les
54 nations africaines. L’Afrique
abrite 15 % de la population mondiale, consomme 3 % de l’énergie
et émet moins de 4 % des gaz à effet de serre. Elle subit pourtant les
effets dévastateurs du réchauffement climatique (sécheresse,
baisse des rendements agricoles,
montée des eaux, érosion des
bords de mer…) alors qu’elle contribue à l’équilibre de la biosphère
grâce aux précieux puits de carbone de ses forêts. Paris sera bien
le grand rendez-vous de l’injustice
climatique.
« La question la plus urgente est
celle de l’énergie », confiait au
Monde Akinwumi Adesina à son
arrivée, le 1er septembre, à la tête de
la Banque africaine de développement (BAD). Les conditions de la
réussite sont connues et largement partagées : ingénierie technique, fonds d’amorçage, sécurité
des investissements, bonne gouvernance des sociétés d’électricité.
Tout ou partie d’entre elles manquent aux projets actuels qui, mis
bout à bout, réclament 250 milliards de dollars sur dix ans, dont
50 milliards de dotations des pays
riches, calcule M. Borloo. Outre ces
fonds d’amorçage de 5 milliards
par an, plaide-t-il, l’Afrique a besoin d’un organisme mutualisant
argent et compétences administratives, cette fameuse « agence
panafricaine » qu’il réclamera à cor
et à cri en marge de la COP21.
Au rythme de déploiement actuel, il faudra attendre 2080 avant
que le continent soit électrifié, indique Africa Progress Panel, un
groupe de réflexion créé par Kofi
Annan, l’ancien secrétaire général
de l’ONU. Son pays d’origine est la
preuve qu’il n’y a pas de fatalité et
que les initiatives locales à succès
existent : le Ghana est en passe de
réussir le plan 2020 d’électrification lancé en 1990. Il reste pourtant une des exceptions sur un
continent qui s’enfonce dans le
noir en dépit de nombreuses initiatives internationales, publiques
ou privées, sans doute trop nombreuses, cacophoniques et redon-
« LES NAISSANCES
VONT PLUS VITE
QUE LES
KILOWATTS »
JEAN-LOUIS BORLOO
Fondation
Energies pour l’Afrique
LE CONTINENT
CONSOMME 3 %
DE L’ÉNERGIE
MONDIALE ET
ÉMET MOINS DE
4 % DES GAZ À
EFFET DE SERRE
dantes : le Fonds vert pour le climat et Sustainable Energy for All
des Nations unies, Power Africa
lancé en 2013 par Barack Obama,
Energies pour l’Afrique, Partenariat Afrique-UE pour l’énergie. Et
même l’initiative Akon Lighting
Africa du rappeur du même nom.
Inépuisable réservoir
« C’est quand même paradoxal
alors que l’Afrique a le plus grand
potentiel », s’enflamme M. Borloo.
Elle n’est pas qu’une mine à ciel
ouvert (cuivre, fer, charbon, manganèse, uranium…) ni un puits de
pétrole sans fond – ces promesses
de prospérité qui sont devenues
une malédiction. C’est un inépuisable réservoir d’énergies renouvelables qui vont des barrages hydroélectriques en Afrique centrale
au solaire dans le Sahel, de la géothermie au Kenya à l’éolien au Maroc et en Ethiopie. C’est aussi un
continent qui, partant de presque
rien, peut bâtir un système électrique décentralisé et décarboné.
L’Afrique a fait sa révolution des
télécommunications. Quelque
700 millions de téléphones portables sont déployés jusque dans les
régions les plus pauvres et les plus
reculées. Il y a quelque chose de
désespérant à mettre en regard
l’inertie qui freine sa révolution
énergétique. « Les naissances vont
plus vite que les kilowatts », dit
M. Borloo. Dix millions de personnes rejoignent chaque année ceux
qui sont privés de lumière en Afrique subsaharienne. Ce que le Camerounais Roger Nkodo Dang,
président du Parlement panafricain, l’assemblée consultative de
l’Union africaine, illustrait avec
émotion, le 3 novembre, devant
les députés français : « J’ai étudié
avec la lampe à huile, et cinquante
ans après les indépendances, mes
enfants et mes petits frères continuent à étudier avec la lampe à
huile. »
Les pays développés sont-ils
prêts à donner une ampoule ? Le
sommet Afrique-Union européenne sur la crise migratoire
réuni mercredi 11 et jeudi 12 novembre à La Valette (Malte) n’a accouché que de mesures d’urgence
prises pour limiter le nombre de
migrants, le plus souvent économiques, venus d’Afrique : un fonds
doté de 1,8 milliard d’euros, que les
28 Etats membres de l’Union sont
invités à abonder pour le porter à
3,2 milliards. L’Europe a beau assurer qu’il est destiné à lutter « contre
les causes profondes des migrations » – le retard économique lié à
la pénurie d’énergie en est la principale –, cet argent financera
d’abord un dispositif de contingentement des populations.
L’Afrique attend la lumière. Qui
saurait mieux exprimer cette attente que ses artistes ? Le Ghanéen
Paa Joe l’a fait en créant une ampoule géante qui s’ouvre… en forme
de cercueil tapissé de satin violet.
C’est l’un des 54 plasticiens (un par
pays) de « Lumières d’Afrique », une
exposition qui vient de s’achever
au Théâtre national de Chaillot, à
Paris, dans le palais où fut signée
en 1948 la Déclaration universelle
des droits de l’homme. p
[email protected]
Tirage du Monde daté samedi 28 novembre : 277 813 exemplaires
PARIS,
AU CŒUR
DE L’ESPOIR
CLIMATIQUE
suite de la première page
Inédite aussi, surtout par l’ampleur de l’enjeu. Il est considérable. Le 11 décembre au
soir, à l’issue de la 21e Conférence des parties
à la CCNUCC (COP21), ce sont les contours du
prochain accord international sur le changement climatique qui seront dessinés. Celui-ci devra succéder, dès 2020, à un protocole de Kyoto moribond, jamais ratifié par
les uns, finalement déserté par les autres, et
qui n’est pas parvenu à infléchir les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Elles
se poursuivent à un rythme effréné, qui surpasse jusqu’à présent les scénarios les plus
sombres imaginés par les scientifiques.
Les chiffres sont connus. Aujourd’hui, la
concentration atmosphérique de dioxyde
de carbone (CO2), le principal gaz à effet de
serre émis par l’homme, est à un niveau ja-
mais atteint depuis le pliocène, il y a plus de
deux millions et demi d’années. La température de l’année en cours sera, pour la première fois, supérieure de 1 °C au niveau
préindustriel.
A Paris, au cours des deux prochaines semaines, la communauté internationale devra s’entendre sur l’ambition des réductions
d’émissions et les leviers économiques à actionner pour y parvenir. Au sein de cette
communauté, les pays du Nord doivent se
donner les moyens de réparer, vis-à-vis du
monde en développement, cette injustice :
responsables historiques de la plus grande
part du problème, ils n’en sont pas – et n’en
seront pas – les principales victimes.
Pour l’heure, une part du chemin a été parcourue. Mais on est encore loin du compte.
Les intentions jusqu’ici affichées par les
Etats ne suffisent pas, tant s’en faut, à écarter le danger. A s’en tenir aux promesses jusqu’ici sur la table, l’atmosphère terrestre
sera plus chaude de quelque 3 °C avant la fin
du siècle. Dans ce monde-là, un été caniculaire comme celui enduré par l’Europe
en 2003 serait un été normal. Et ce n’est là
qu’un effet attendu parmi beaucoup
d’autres.
Pour conserver une chance raisonnable de
demeurer sous 2 °C de réchauffement par
rapport à l’ère préindustrielle, la plus grande
part des hydrocarbures récupérables devra
demeurer dans le sous-sol. Si leur exploita-
tion se poursuit au rythme actuel, la concentration atmosphérique en gaz à effet de
serre atteindra, autour de 2030, la limite à
ne pas franchir. 2030, c’est-à-dire demain.
Toutefois, rien de solide ne se construit sur
la peur et le désespoir. Il faut parier sur la capacité d’adaptation des sociétés, leur résilience, leur faculté à produire de l’innovation sociale et culturelle. La créativité scientifique et l’ingéniosité industrielle ont aussi
un rôle crucial à jouer. Mais il faut pour cela
avoir le courage de contrarier des monopoles anciens, diriger avec clairvoyance les investissements, amoindrir certains intérêts
et en favoriser d’autres. La lutte contre le réchauffement est aussi, peut-être, le moyen
de rassembler le monde civilisé derrière des
valeurs et un objectif communs.
Après avoir été placée, dans la foulée des
tueries du 13 novembre, au centre de la compassion du monde, la capitale française est
désormais le cœur d’un espoir immense.
L’Histoire portera un regard sévère sur les
reniements et les promesses non tenues.
Les chefs d’Etat et de gouvernement réunis
au Bourget doivent le garder à l’esprit : ce ne
sont pas seulement les yeux de leurs administrés et de leurs électeurs qui sont braqués
sur eux, mais aussi ceux de leurs propres
enfants et petits-enfants. Eux aussi seront,
comme nous tous et pour longtemps, les légataires de l’accord de Paris. p
jérôme fenoglio
DE BEN LADEN À DAECH,
AUX ORIGINES DU DJIHAD.
Raconter 40 ans d’histoire pour comprendre.
Photo: Benjamin Decoin / FTV
L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE
Soirée spéciale
« UN JOUR DANS L’HISTOIRE »
Documentaire inédit puis décryptage avec les invités
En partenariat avec
Dimanche 29 novembre
à partir de 20h55
#DeBenLadenADaech