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0123 Dimanche 29 - Lundi 30 novembre 2015 71e année No 22043 2,20 € France métropolitaine www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert BeuveMéry Directeur : Jérôme Fenoglio COP21 SPÉCIAL COP21 FABIUS : « UN SUCCÈS À NOTRE PORTÉE » → LIR E 34 PAGES SUPPLÉMENT PAGE 5 1 É D I TO R I A L PARIS, AU CŒUR DE L’ESPOIR CLIMATIQUE par jérôme fenoglio C e qui va se décider à Paris, du 29 novembre au 11 décembre, n’est rien de moins que le prochain cha pitre de l’histoire géologique de notre planète. Il s’agit du premier de nos biens com muns : notre irremplaçable cadre de vie. Il déterminera, pour les prochaines décen nies, la stabilité des sociétés, le bienêtre et la sécurité d’existence de milliards d’êtres humains. Tel est l’objet, l’ambition, de la conférence internatio nale inédite qui s’ouvre dans la capitale française. Inédite d’abord par l’aréopage ras semblé – 150 chefs d’Etat et de gouvernement accompa gnés par les délégations des 195 Etats parties à la Conven tioncadre des Nations unies sur les changements climati ques (CCNUCC). → L IRE L A SU IT E PAG E 31 COSMOS BAMAKO Impuissance et lourdeurs de l’antiterrorisme LE RÉCIT DE L’ATTAQUE DE L’HÔTEL RADISSON → LIR E ▶ Le ministère de l’intérieur semble incapable de la moindre remise en question PAGE 2 NUCLÉAIRE L RUSSES ET CHINOIS DISTANCENT AREVA → LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 3 THÉÂTRE JEAN-PIERRE VINCENT RÉINVENTE BECKETT PAGES 2 2 - 2 3 YES we can do both! * * Oui, nous pouvons faire les deux ! → LIR E e système antiterroriste français, longtemps con sidéré comme excellent, est en état de mort clinique. Mais personne, ni au gouverne ment ni dans l’opposition, n’a envie d’en signer l’acte de dé cès, faute de savoir par quoi le remplacer. Au fur et à mesure que l’en quête sur les attentats du 13 no vembre à Paris et à SaintDenis avance, les défauts de sur veillance des auteurs, les mau vais choix opérationnels et la lourdeur du dispositif antiter roriste sont, une nouvelle fois, mis en exergue. Un enquêteur, encore hanté par les images des massacres du Bataclan et des terrasses parisiennes, s’indi gne : « Donc, on ne fait rien ? On attend que ça recommence ? » Ce qui le scandalise, c’est avant tout l’absence totale de remise en question affichée au sein du ministère de l’intérieur et du gouvernement. « Je veux donc saluer encore une fois le travail exceptionnel de nos services de renseignement », a ré pété Manuel Valls, devant les députés, le 19 novembre, après la mort à SaintDenis du coor donnateur probable des atten tats, Abdelhamid Abaaoud – que lesdits services de rensei gnement « logeaient » pourtant en Syrie. Le système actuel est né d’une période où les attentats étaient autrement plus nombreux, les années 1980. L’année 2015 mar que néanmoins un cap d’autant plus brutal que la France – hors Corse – avait été épargnée par le terrorisme pendant une longue période, de 1996 à 2012. Cent trente morts en plein Paris, trois commandos coordonnés, des attaques kamikazes, et un sentiment d’impuissance de vant l’inéluctable progression d’une violence connue, docu mentée, médiatisée. laurent borredon et simon piel → LIR E L A S U IT E PAGE S 8 - 9 GÉOPOLITIQUE LES FINANCES DE L’ÉTAT ISLAMIQUE, CIBLE D’UNE GUERRE SECRÈTE JOAILLERIE – PARIS NOUVELLE COLLECTION PYTHON 332 RUE SAINT-HONORÉ PARIS +33 1 42 96 47 20 Audelà des frappes aériennes, les puissances occidentales cher chent à toucher au portefeuille de l’organisation Etat islamique (EI), qui aime se présenter comme la plus riche de tous les temps. L’administration djihadiste gère en effet une région de la taille du RoyaumeUni, riche en pétrole, gaz, blé, coton ; elle a hérité d’un trésor bancaire de 500 à 800 millions de dollars et ses revenus oscillent entre 700 millions et 2,9 milliards de dollars annuels. Mais l’équilibre économique est fragile – la production de pé trole suffit à peine à couvrir les besoins – et les bombardements vont neutraliser entièrement cette ressource. L’EI multiplie les taxes sur les commerçants, a di visé par deux les salaires ; les ma nuels scolaires et les soins médi caux sont désormais payants. Autopsie d’une économie de guerre, et voyage dans les coulis ses d’une bataille secrète. → LIR E PAGE S 1 8 - 1 9 Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA 2 | international 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 En haut à gauche et en bas à droite : des patrouilles dans les rues de Bamako, après l’attaque de l’Hôtel Radisson Blu du 20 novembre. En bas à gauche : suspendu à un balcon, un drap témoigne de la tentative de fuite d’un client. En haut à droite : nettoyage des abords de l’hôtel, deux jours après l’attentat. SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE » « Nous avons ouvert une porte et ça a défouraillé » Vingt personnes et deux assaillants sont morts dans l’attaque de l’Hôtel Radisson Blu de Bamako, vendredi 20 novembre. Récit REPORTAGE I bamako - envoyé spécial l est 6 h 30, vendredi 20 novembre, à Bamako. Abdoul Karim Sy, l’un des barmen du Radisson Blu, et sa stagiaire Viciantia débutent la mise en place du Djembé, où se retrouvent fréquemment hommes d’affaires locaux et étrangers dans le nouveau quartier d’ACI 2000. De son côté, Tamba Diarra, le maître d’hôtel, accueille les clients venus prendre leur petit-déjeuner sur la mezzanine située au-dessus du hall d’entrée. L’établissement, avec ses vigiles armés et ses deux barrières filtrant le passage des véhicules avant d’accéder à l’entrée principale, a la réputation d’être l’un des mieux protégés de la capitale malienne. Depuis mars et la première attaque djihadiste à Bamako contre La Terrasse, un restaurant-bar prisé des « expats », Bamako a fait le constat de sa vulnérabilité. Au Radisson Blu, 129 clients, selon la direction de l’hôtel, ont passé la nuit dans ce bâtiment à l’architecture complexe, faite de divers paliers, d’escaliers intérieurs en spirale et de culs-de-sac. Ce vendredi sont notamment présents douze employés d’Air France, sept de Turkish Airlines, des cadres des entreprises Thalès, China Railway Construction, une délégation de l’Organisation internationale de la francophonie, une autre de six diplomates algériens, deux gendarmes français de l’ambassade venus entretenir leur condition physique dans la salle de sport et dix-huit membres du personnel. Soudain, cinq à dix minutes avant 7 heures, un premier coup de feu retentit aux abords du Radisson Blu. « J’ai cru que c’était un pneu qui avait éclaté puis, au deuxième bruit, j’ai vu un homme en train de tirer sur les gardiens. Quand j’ai vu un premier puis un deuxième garde à terre, j’ai fui », raconte Baïda Cissé, un marchand de cigarettes installé au coin de la rue perpendiculaire à l’entrée principale. Les trois vigiles de la société Escort sont blessés, pris par surprise. Leurs armes de calibre 12 ne font pas le poids face aux kalachnikovs. Deux assaillants, selon les témoignages recueillis, armés de fusils d’assaut et de grenades, s’engouffrent dans le hall et abattent un vigile et un Russe travaillant pour une société de fret aérien qui perdra dans l’attaque cinq autres employés. « Sy ! Cours ! Des bandits sont là ! », hurle Viciantia à Abdoul. Le barman reste pétrifié. « Je les ai entendus crier “Allahou Akbar”. Quand ils sont arrivés vers moi, ils m’ont dit : “Muslim ?” J’ai dit : “Yes.” Ils ont bien regardé mon badge où est marqué Abdoul et m’ont demandé de leur montrer l’ascenseur. » Modibo Konaré, du « room service », raconte : « Ils m’ont trouvé dans ma cachette, ils ont tiré sur mon pied mais la balle n’a fait que le frôler. Je ne comprenais pas ce qu’ils disaient. Tellement j’avais peur, j’ai récité des sourates et ils ont eu pitié de moi. » UN CARNAGE Au restaurant, dès les premiers bruits, Sarah Zongo, une serveuse, lance : « On nous attaque ! » Le maître d’hôtel ordonne alors au pâtissier, Ali Yazbeck, d’évacuer la dizaine de clients par la cuisine qui mène à un couloir permettant d’accéder à deux sorties de secours. Ils sont rattrapés au niveau d’un ascenseur par « un jeune Noir très mince », raconte Ali Yazbeck depuis son lit d’hôpital. C’est un carnage. A cet endroit seront retrouvées une dizaine des vingt victimes – six Russes, six Maliens (trois membres du personnel, deux vigiles et un gendarme), trois Chinois, deux Belges, une Américaine, un Israélien et un Sénégalais –, de cet attentat revendiqué le jour même par Al-Mourabitoune, le groupe du djihadiste Mokhtar Belmokhtar, et deux jours plus tard par le Front de libération du Macina, un mouvement également djihadiste dont les actions se concentrent dans le centre du Mali. L’OPÉRATION A ÉTÉ PÉRILLEUSE. SELON DES SOURCES, DEUX OU TROIS SOLDATS FRANÇAIS ONT ÉTÉ BLESSÉS. L’UN D’EUX A EU LA VIE SAUVE GRÂCE À SON CASQUE EN KEVLAR Hawa Soumaré Dembélé, une serveuse, est abattue à quelques mètres de là en tentant de se cacher dans le bureau du chef cuisinier. Un client belge est tué dans un couloir près de sa chambre. Un vigile dans les étages. Jamais les assaillants qui sillonnent l’hôtel n’ont tenté de prendre des otages. Peu après 7 heures, l’alerte est donnée au commissariat le plus proche. Quinze à vingt minutes plus tard, les premiers policiers arrivent. Très vite, le périmètre de l’hôtel est bouclé. Les unités d’élite de la police, de la gendarmerie, de la garde nationale sont mobilisées mais « j’ai aussitôt pensé à une série d’attaques comme à Paris, alors j’ai gardé deux de mes trois groupes en réserve », confie le commandant Boubacar Diawara, le chef du peloton d’intervention de la gendarmerie nationale, qui a coordonné l’assaut mené par « toutes les unités d’élite maliennes avec l’appui de forces alliées », insiste-t-il. Au moins quatre soldats des forces spéciales américaines, des officiers de sécurité des Nations unies, les deux gendarmes français qui étaient dans l’hôtel et deux policiers français sont venus prêter main-forte. DES FORCES SPÉCIALES FRANÇAISES Les premiers pénètrent dans les lieux environ une heure trente plus tard. Tamba Diarra, le maître d’hôtel, qui est arrivé à s’échapper avec un client, raconte avoir servi de guide alors que les forces ne connaissent ni le nombre d’assaillants ni la configuration de l’établissement. « Les informations contradictoires sur le nombre de terroristes dans l’hôtel nous ont perturbés pendant toute l’opération », affirme le commandant Diawara. A 8 h 30, le président Ibrahim Boubacar Keïta, qui est alors au Tchad, donne son accord à l’ambassadeur de France pour que les forces spéciales françaises, postées au Burkina Faso, viennent appuyer les unités maliennes. La quarantaine de soldats français arrive sur les lieux du siège aux environs de 13 heures. Le ministre de la sécurité, Salif Traoré, est sur place pour superviser l’opération. A l’intérieur, l’inspecteur Michel Kamaté, le chef de section du Groupe d’intervention de la police nationale, raconte que les premiers échanges de feux ont débuté vers 11 h 15. « Quand nous avons progressé dans le nouveau bâtiment pour nous rendre au 3e étage, on a reçu des tirs depuis les escaliers. Nous avons riposté. Vers midi, les deux terroristes étaient fixés sur un palier entre le 2e et le 3e, explique le colosse. La stratégie était de les affaiblir physiquement et d’épuiser leurs munitions. Nous étions à 5 mètres d’eux. On les entendait crier “Allahou Akbar” et parler en anglais. » « Le manque de moyens adéquats, les boucliers pare-balles qui ne résistent pas au combat rapproché ont ralenti notre action », ajoute le commandant Diawara. D’après les informations du Monde, les forces maliennes ont demandé des grenades qu’elles n’ont jamais reçues. Pour l’assaut final, celles-ci se sont divisées en deux groupes. Un premier est resté en dessous des deux assaillants pendant qu’un second, auxquels se sont jointes les forces spéciales françaises, a effectué une manœuvre de contournement à travers le troisième étage. « A un moment, nous avons ouvert une porte en passant par un débarras et là ça a défouraillé », raconte le commandant Diawara, toujours sous le choc de la mort d’un de ses hommes. Comment ont été tués les deux assaillants ? Par la police, la gendarmerie, les forces spéciales françaises ? Les versions divergent. Une chose est sûre, l’opération a été particulièrement périlleuse. Selon des sources, deux ou trois soldats français ont été légèrement blessés. L’un d’eux a eu la vie sauve grâce à son casque en Kevlar. Autour de l’hôtel, avant même la fin de l’opération, des courageux, des curieux, des patriotes sont venus encourager les forces de l’ordre. « Vive le Mali ! » a scandé la foule. Depuis début 2012 et la dernière rébellion dans le nord du pays qui a précipité la chute du régime déliquescent d’Amadou Toumani Touré, la prise de contrôle du nord du pays par des groupes liés à Al-Qaida, puis l’intervention militaire de la France, une large partie des Maliens a le sentiment d’avoir enduré une succession d’humiliations. Alors en cet instant où des forces maliennes sont en première ligne face aux djihadistes, la fierté nationale est revigorée. Les djihadistes tiennent également leur victoire. « Leur objectif était de faire le maximum de victimes puis d’affronter le plus longtemps possible les forces de l’ordre, analyse une source sécuritaire. En ce sens, ils ont pleinement réussi. » p cyril bensimon international | 3 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 L’opposition syrienne troublée par le virage de Paris La France va coopérer avec Moscou contre l’EI et peut-être à terme avec l’armée syrienne L a suggestion inédite faite, vendredi 27 novembre, par le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, d’associer l’armée syrienne à la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI), a jeté le trouble. Pour lutter contre l’EI, « il y a deux séries de mesures : les bombardements (…) et des forces au sol, qui ne peuvent pas être les nôtres, mais qui peuvent être à la fois des forces de l’Armée syrienne libre [l’opposition modérée], des forces arabes sunnites et, pourquoi pas, des forces du régime et des Kurdes également bien sûr », a déclaré M. Fabius à la radio RTL. Au lendemain de la rencontre à Moscou du président François Hollande avec son homologue Vladimir Poutine, pour discuter de la formation d’une coalition unique contre l’EI, l’allusion du chef de la diplomatie française a été interprétée comme un revirement français vis-à-vis de Bachar Al-Assad. Et une concession ma- jeure à la Russie, qui tente de présenter son protégé comme « un allié naturel dans la lutte contre le terrorisme ». C’est en tout cas ce qu’a dit comprendre le ministre syrien des affaires étrangères, Walid Mouallem, qui s’est exclamé : « Mieux vaut tard que jamais ! » « Si Fabius est sérieux concernant l’idée de travailler avec l’armée syrienne et avec les forces sur le terrain qui combattent Daech [acronyme arabe de l’EI], alors nous saluons cette position », a-t-il ajouté depuis Moscou. Pour couper court à la polémique, M. Fabius a précisé sa pensée. Certes, a-t-il rappelé dans un communiqué, « la coopération de tous contre Daech est notre principal objectif », mais une participation de l’armée syrienne à la lutte contre l’EI, si elle est « souhaitable », ne peut être envisagée que « dans le cadre d’une transition politique crédible ». « La position française est inchangée. Le cadre qui s’impose est le processus de Vienne. Il Le pape contre la corruption et le tribalisme A Nairobi puis à Kampala, François a appelé les dirigeants africains à la probité nairobi, kamapala envoyée spéciale J oignant le geste à la parole, le pape François a saisi la main des deux jeunes gens qui l’avaient précédé à la tribune, dans le stade Kasarani de Nairobi, et les quelque 40 000 jeunes Kényans qui se pressaient dans les gradins l’ont aussitôt imité. « Prenons-nous tous par la main. Vaincre le tribalisme est un travail de tous les jours, du cœur et aussi de la main », leur a lancé le chef de l’Eglise catholique en leur faisant scander comme un seul homme, vendredi 27 novembre : « Nous sommes tous une même nation ! » Quarante mille jeunes aux anges, et le président kényan contraint de se prêter au jeu. Uhuru Kenyatta a été très présent tout au long de la visite du pape dans son pays. En l’espace de quatre mois, c’est, après Barack Obama en juillet, le second hôte de marque auprès de qui il peut s’afficher. Mais il a dû écouter stoïquement les fermes propos du pontife argentin et les préoccupations de la jeunesse. « L’un des problèmes que nous rencontrons est le tribalisme, avait ainsi lancé au micro Lynette Wambui, une responsable du service jeune de l’Eglise. Notre diversité parfois nous divise. On vote souvent pour quelqu’un en fonction d’où il vient, non pas de ce qu’il dit. » « Il y a plus de divisions ethniques qu’auparavant », regrettait, sur la pelouse, Julius Kofa, enseignant de 27 ans originaire de Mombasa. L’ombre des divisions ethniques a plané sur les violences post-électorales de 20072008, qui avaient fait plus de 1 300 morts, et à propos desquelles Uhuru Kenyatta a été un temps accusé de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI) avant l’abandon des poursuites en décembre 2014. Corruption Le pape Jorge Bergoglio, qui, comme souvent devant des jeunes, a préféré l’improvisation à son discours écrit, est entré de plain-pied dans la politique kényane par un deuxième sujet de mécontentement de son jeune public : la corruption. « La corruption, leur a répondu François, c’est comme le sucre : doux sur la langue, facile à manger, mais après ça finit mal, on devient diabétique. Un pays entier peut être diabétique. S’il vous plaît, ne prenez pas goût à ce sucre qui s’appelle corruption ! » Le pontife argentin a reconnu au passage que « même au Vatican, il y a des cas de corruption ». Et peut-être encore ailleurs. Vendredi soir, le président ougandais, Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986 et candidat à un nouveau mandat aux élections de février 2016, a accueilli à son tour le chef de l’Eglise catholique pour la deuxième étape de sa visite en Afrique. Reçu à la présidence, tandis que des milliers de personnes attendaient son passage dans les rues de Kampala, le pape a appelé son hôte « à administrer [les ressources du pays] comme des gestionnaires responsables ». La « vérité », la « justice » et la « réconciliation », a-t-il ajouté, sont « particulièrement requises chez des hommes et des femmes comme vous, qui sont chargés d’assurer la bonne et transparente gestion, le développement humain intégral, une large participation à la vie nationale, ainsi qu’une distribution sage et juste des biens ». p cécile chambraud Contre le djihadisme, le pape demande des écoles et des emplois Interrogé par des jeunes Kényans, vendredi 27 novembre, sur les raisons qui peuvent pousser certains de leurs contemporains à se radicaliser et à commettre des attentats, le pape François leur a conseillé de « poser la question aux autorités ». « Si un jeune n’a pas de travail et ne peut pas étudier, a-t-il interrogé, que peut-il faire ? Devenir délinquant, dépendant, se suicider, s’enrôler… Pour éviter qu’un jeune soit recruté, il lui faut une éducation et du travail. » Selon le chef de l’Eglise catholique, le radicalisme « dépend d’un système international injuste, qui met au centre non la personne, mais le dieu argent ». « Si la France fournit des informations aux Russes, ils vont s’empresser de bombarder l’opposition » SALAM KAWAKIBI politologue syrien doit aboutir à la formation d’un gouvernement d’union nationale qui aura les pleins pouvoirs et le contrôle des forces syriennes, à la fois l’armée syrienne et l’Armée syrienne libre », précise une source diplomatique. Les pourparlers engagés à Vienne, fin octobre, entre les principaux acteurs internationaux du conflit ont abouti à une feuille de route qui prévoit des élections dans un délai de dix- huit mois. Ils achoppent encore sur la question du sort de Bachar Al-Assad. Vendredi, M. Fabius a répété que le président syrien, principal responsable dans la guerre qui a fait plus de 250 000 morts en cinq ans, ne pouvait pas « faire partie de l’avenir de la Syrie ». Il a toutefois semblé concéder à la Russie et à l’Iran, autre allié de Damas, que le président syrien pourrait participer au scrutin. « Il n’y a aucune chance, si l’élection est régulière, que Bachar soit élu », a-t-il estimé. « Patriotisme sécuritaire » Ces précisions n’ont pas levé les craintes de l’opposition syrienne. « La crise syrienne est désormais uniquement envisagée à l’aune des attentats de Paris du 13 novembre. Il n’y a pas de vision ni de stratégie. L’heure est au patriotisme sécuritaire. On est allé trop loin dans la réaction, sans réflexion et sans analyse, juste pour taper du poing sur la table », critique Salam Kawa- kibi, politologue syrien et directeur adjoint du cercle de réflexion Arab Reform Initiative. A Paris, on reconnaît une volonté de « revenir dans un jeu coopératif » avec la Russie. « Il faut donner de l’attraction au processus de Vienne, que chacun fasse bouger les curseurs dans le bon sens », ajoute une source diplomatique. On salue les concessions faites par Moscou. Jeudi, M. Poutine a accepté la proposition de M. Hollande de « frapper Daech et non ceux qui le combattent ; d’échanger en conséquence des informations détenues par les Russes, qui ont eux-mêmes des contacts avec l’armée syrienne ; et qu’on leur communique les zones à ne pas bombarder, ainsi que les positions occupées par Daech, qui sont, elles, à bombarder et à détruire », souligne-t-on dans l’entourage du président Hollande. L’engagement de la France à fournir à Moscou une « carte des forces qui ne sont pas terroristes et qui combattent Daech » pour que l’aviation russe arrête de bombarder la rébellion modérée, annoncé vendredi par M. Fabius, n’a fait qu’accentuer les craintes de l’opposition syrienne. « Ce serait gravissime que la France fournisse des informations, si elle en possède, au régime syrien et aux Russes. Ils vont s’empresser de bombarder l’opposition. Ce serait de la naïveté politique et militaire que de tomber dans ce piège », réagit Salam Kawakibi. A Paris, on s’accorde à dire qu’il « faut au préalable vérifier sur le terrain que les Russes ne continuent pas à se livrer à des frappes contre les civils et l’opposition armée ». « C’est un processus où l’on n’est pas seul, qui suppose une coalition de tous les efforts possibles, souligne une source diplomatique. Le travail de cartographie de l’opposition et des groupes terroristes entre dans la logique entérinée à Vienne. » p hélène sallon 4 | international 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 Face à l’UE, Erdogan savoure sa revanche Bruxelles courtise Ankara, en pleine dérive autoritaire, afin d’endiguer l’afflux de réfugiés istanbul - correspondante L e président Recep Tayyip Erdogan ne sera pas présent au sommet TurquieUnion européenne (UE), dimanche 29 novembre à Bruxelles, avec pour but de finaliser le plan d’action que les Vingt-Huit souhaitent conclure avec Ankara. Il s’agit de convaincre la Turquie, qui héberge plus de 2 millions de réfugiés syriens sur son sol, d’empêcher leur départ vers l’Europe. Depuis son fastueux palais à Ankara, le numéro un turc aura tout le loisir de savourer à distance la volte-face de la vieille Europe, prête à se courber bien bas pour faire de la Turquie sa zone tampon. Il n’est pas sans savoir que l’adhésion réclamée par son pays depuis cinquante-deux ans n’est qu’un mirage, la plupart des Etats membres de l’UE y étant opposés. L’homme aime à se gausser des frayeurs de la famille européenne, « qui panique pour 300 000 réfugiés tandis que la Turquie en accueille 2 millions et demi ». « Certains disent : on va accepter 30 000 ou 40 000 réfugiés et après, pour une raison qui m’échappe, on les présente comme des candidats au Nobel alors que nous en avons accueilli 2,5 millions mais personne ne s’en soucie », avait-il déclaré le 16 octobre à l’occasion d’une réunion préparatoire du G20. Une allusion au fait que la chancelière allemande, Angela Merkel, saluée pour sa politique généreuse envers les réfugiés syriens, avait été nominée pour le prix Nobel de la paix 2015. Scepticisme Représentée dimanche par son premier ministre, Ahmet Davutoglu, la Turquie espère une aide substantielle de l’UE et insiste pour une relance de ses négociations d’adhésion, doublée d’un assouplissement du régime de visas pour ses citoyens. Il faut dire que la Turquie, avec ses 76 millions d’habitants, est l’unique candidate à l’adhésion à qui l’UE refuse ce privilège, accordé par ailleurs à l’Azerbaïdjan et à l’Ukraine. Les discussions s’annoncent difficiles. Un accord-cadre a bien été défini, mais les Vingt-Huit continuent de se chamailler sur le volet financier – une enveloppe de 3 milliards d’euros. D’aucuns rechignent à mettre la main à la poche tant ils sont sceptiques sur la réelle volonté d’Ankara d’endiguer Ankara et Moscou à couteaux tirés En pleine guerre des mots avec Vladimir Poutine depuis la destruction d’un bombardier russe par des chasseurs turcs, le 24 novembre, le président turc Erdogan a souhaité, vendredi 27 novembre, une « rencontre en face-à-face » en marge du sommet de la COP21, dimanche à Paris. « Je ne voudrais pas que ce problème nuise à nos relations », a-t-il conclu. Moscou exige des excuses, ce que M. Erdogan a exclu. « Nous recommandons à la Russie de ne pas jouer avec le feu », a-t-il prévenu, jugeant « inacceptables » les allégations russes sur les liens de son pays avec l’organisation djihadiste Etat islamique. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et la chancelière allemande, Angela Merkel, à Antalya (Turquie), le 16 novembre. AP le flux des réfugiés. Les dirigeants turcs campent sur leurs positions : ils ne veulent toujours pas entendre parler des centres de tri et d’enregistrement que les Européens cherchent à leur imposer. 650 000 personnes ont gagné les îles grecques via la Turquie ces derniers mois et le sentiment à Bruxelles est qu’Ankara ne fait pas grand-chose pour les retenir. La Turquie a-t-elle les moyens de mettre des garde-côtes jour et nuit dans chacune de ses criques de la mer Egée ? La Grèce, qui possède 15 021 kilomètres de côtes, a reconnu récemment que l’exercice était impossible. « Ce problème n’est pas seulement celui de la Turquie et de la Grèce. L’Europe devrait prendre ses responsabilités (…) », a souligné le premier ministre grec, Alexis Tsipras, en visite à Ankara le 18 novembre pour discuter d’une action conjointe turco-grecque. La relance du processus d’adhésion promise à la Turquie ne va pas de soi. L’ouverture du chapitre 17 (économie et politique financière) doit donner lieu à des discussions à la mi-décembre, alors que le nouveau gouverne- « Alors qu’Ankara s’est éloigné des critères d’adhésion à l’UE, on nous explique qu’il faut rouvrir les négociations » AHMET INSEL économiste turc ment turc, issu des législatives du 1er novembre, remet en question l’indépendance de la Banque centrale. Voici des mois que son directeur, Erdem Basci, est tancé par M. Erdogan pour réduire les taux d’intérêts. L’UE se montre on ne peut plus conciliante envers M. Erdogan au moment où celui-ci est en pleine dérive autoritaire. Jeudi 26 novembre, les journalistes Can Dündar et Erdem Gül, deux plumes respectées du quotidien d’opposition Cumhuriyet, ont été mis en examen et écroués à la prison de Silivri d’Istanbul pour avoir diffusé une vidéo, des photographies et des articles démontrant les livraisons d’armes effectuées en 2014 par les services secrets turcs (MIT) aux rebelles syriens. Trente journalistes purgent actuellement des peines de prison et plusieurs centaines sont sous le coup de poursuites pour « insulte à la personne du président », au titre de l’article 299 du code pénal. « Hypocrisie » Dans son rapport annuel d’évaluation, la Commission européenne n’a d’ailleurs pas manqué de souligner « un sérieux retour en arrière ces deux dernières années », citant, entre autres, « l’entrave au principe de séparation des pouvoirs » ainsi que « les pressions politiques subies par les juges et les procureurs ». La politique étrangère menée par Ankara est une autre source potentielle d’instabilité, surtout depuis la destruction par l’aviation turque, le 24 novembre, d’un chasseur bombardier russe qui avait pénétré dans l’espace aérien du pays au-dessus de la région du Hatay, non loin de la Syrie. Cet incident, le plus sérieux jamais intervenu entre la Russie et un membre de l’OTAN, rend encore plus hasar- deuse la perspective d’une résolution du conflit syrien, à l’origine du problème des réfugiés. « La Turquie remplissait davantage les critères d’adhésion il y a cinq ou six ans. Aujourd’hui, alors qu’elle s’en est éloignée, on nous explique qu’il faut rouvrir les chapitres de négociations. L’UE apparaît comme totalement hypocrite dans cette histoire », estime l’économiste Ahmet Insel. L’unique raison d’espérer vient peut-être de Chypre, l’île divisée depuis 1974, où les négociations intensives ont repris. Cinq rencontres ont eu lieu en novembre entre Moustafa Akinci, le leader de la République turque de Chypre-Nord (non reconnue par la communauté internationale) et le président chypriote grec, Nicos Anastasiades. Trois autres sont prévues en décembre. Le temps presse car l’accord de réadmission que la Turquie s’est engagée à appliquer dès juin 2016, en échange d’un assouplissement sur les visas pour ses citoyens, suppose qu’Ankara reconnaisse la République de Chypre, ce qui est loin d’être gagné. p marie jégo Israël ouvre sa première représentation diplomatique à Abou Dhabi Les pays du Golfe et l’Etat hébreu partagent la même crainte d’une hégémonie iranienne jérusalem - correspondant E 50S PRESIDENTS’ WATCH • 5200 € 6 rue simon Maupin 69002 LYON +33 (0)4 37 57 54 50 www.maier.fr 4 Avenue de Wagram 75008 PAris +33 (0)1 42 27 88 13 www.forgesboutique.fr n diplomatie, les petits pas comptent lorsqu’ils semblent dessiner un mouvement. Israël aura, pour la première fois de son histoire, un représentant officiel à Abou Dhabi, la capitale des Emirats arabes unis. L’information, révélée par le quotidien Haaretz vendredi 27 novembre, a été confirmée au Monde par le ministère des affaires étrangères. Il ne s’agira pas à ce stade d’une ambassade, mais d’un représentant auprès d’un organisme dont le siège se trouve à Abou Dhabi : l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena). Le directeur général du ministère des affaires étrangères israélien, Dore Gold, s’est rendu sur place cette semaine pour finaliser cette ouverture, qui était en discussion depuis plusieurs années. En janvier 2009, Israël avait soutenu la candidature des Emirats, aux dépens de l’Allemagne, pour accueillir le siège de l’Irena, à la condition que soit envisagé sur place un bureau diplomatique. L’Etat hébreu sera le seul membre de l’Irena à dépêcher un représentant permanent sans avoir par ailleurs d’ambassade dans le pays. « On a déjà eu dans les années 1990 des présences non officielles dans les pays du Golfe. Là, il s’agit d’un diplomate accrédité, c’est un geste important », souligne-t-on au ministère. A l’heure actuelle, Israël ne dispose d’une ambassade que dans deux pays de la région, la Jordanie et l’Egypte, avec lesquels elle a signé un traité de paix. « Diplomatie champignon » Cette présence inédite à Abou Dhabi est annoncée alors que les dirigeants israéliens n’ont cessé, ces derniers mois, d’insister sur une convergence de vues et d’intérêts avec les pays arabes de la région, qui ont traditionnellement considéré Israël comme un Etat ennemi. Ces pays restent très critiques au sujet de la question palestinienne, totalement embourbée. Mais d’autres priorités ont émergé. Les échanges sur le plan sécuritaire se sont intensifiés. « Nos contacts avec les Etats sunni- tes pragmatiques sont plus forts que jamais, soulignait il y a quelques jours un haut responsable israélien. Il s’agit d’une révolution silencieuse, d’une diplomatie champignon. Les champignons poussent dans le noir. Si on allume, leur croissance sera perturbée. » L’un des rares signes publics de cette convergence a été la poignée de main à Washington, début juin, entre Dore Gold et Anwar Eshki, ancien général et conseiller de haut rang du régime saoudien. Les deux hommes s’exprimaient devant le cercle de réflexion Council on Foreign Relations. Anwar Eshki a cité comme objectif majeur la Aujourd’hui, Israël ne dispose d’une ambassade que dans deux pays de la région : la Jordanie et l’Egypte normalisation des relations avec Israël, en rappelant la pertinence de l’initiative de paix arabe (2002) sur la question palestinienne, à laquelle l’Etat hébreu n’a jamais formellement répondu. Cette nouvelle donne est due à la menace représentée par l’organisation Etat islamique, mais aussi aux ambitions de l’Iran après l’accord sur son programme nucléaire signé en juillet. Les puissances sunnites s’inquiètent de son implication en Syrie pour sauver le régime. Elle ne passe plus seulement par son sous-traitant, le Hezbollah libanais, mais par une présence militaire directe sur le terrain. Si le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a cessé de parler en boucle de la « menace existentielle » que représenterait l’Iran pour Israël depuis son discours à l’ONU en septembre, il n’a pas pour autant changé de grille d’analyse. Le premier ministre partage l’inquiétude de Riyad ou du Qatar sur les prétentions hégémoniques de Téhéran. p piotr smolar planète | 5 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 M. Fabius: «Le succès de la COP21 est à notre portée» Le ministre des affaires étrangères préside la conférence de Paris sur le climat, qui s’ouvre officiellement lundi ENTRETIEN D ans une interview accordée à plusieurs journaux européens, le ministre des affaires étrangères, qui présidera la COP21 à partir du 30 novembre, détaille les derniers obstacles à franchir. Les chefs d’Etat et de gouvernement vont s’exprimer lundi 30 novembre, lors de la journée inaugurale de la COP21. Pourrez-vous compter sur leur mobilisation ? Près de 150 chefs d’Etat et de gouvernement ont prévu de venir et de prendre la parole : c’est la manifestation diplomatique la plus vaste jamais organisée en France. Non seulement nous n’avons pas eu de désistement à cause de la tourmente liée au 13 novembre, mais beaucoup ont eu à cœur de venir compte tenu des circonstances. La lutte contre le dérèglement climatique et la lutte contre le terrorisme sont deux des principaux défis du XXIe siècle. L’Inde plaide pour un fort engagement des pays riches au nom de la « justice climatique ». Comment dépasser ce clivage Nord-Sud ? La bonne approche me paraît consister à respecter le mandat qui nous a été donné à Durban [en 2011] ainsi que l’historique des négociations, et à avancer chapitre par chapitre. En matière de financement climatique par exemple, la différenciation est prégnante : c’est aux pays riches de contribuer à l’effort pour aider les pays en développement à faire face au réchauffement, même si, comme on le voit avec la Chine, une coopération Sud-Sud est aussi possible dans ce domaine. L’impératif de transparence et de suivi des engagements me semble pouvoir s’appliquer, lui, aux pays riches et aux pays en développement, même s’il peut être aménagé pour ces derniers. Ce sera aux négociateurs de trancher. L’accord de Paris doit être différencié, universel, juridiquement contraignant, durable, dynamique et, pour reprendre l’expression du premier ministre indien Modi, juste. Quelle portée juridique pourrait avoir un accord, alors que les Etats-Unis sont opposés à un texte « juridiquement contraignant » ? J’en avais déjà parlé avec le secrétaire d’Etat John Kerry, lorsqu’il avait donné une interview [au Financial Times, le 11 novembre] qui avait soulevé une certaine émotion et une réaction assez vive no- « Ma tâche est d’écouter chacun, de préserver un haut niveau d’ambition et de faciliter les compromis » tamment de la France. L’accord doit être juridiquement contraignant. S’agira-t-il d’un traité ? On sait que cette dénomination poserait un problème américain puisqu’il devrait être examiné par le Congrès [majoritairement républicain]. Et un accord à Paris, qui serait récusé par les autorités chinoises, américaines ou indiennes, perdrait évidemment de sa force. Les contributions des pays à la lutte contre le réchauffement n’auront, en revanche, pas de portée contraignante… Ces contributions nationales sont un élément nouveau et, dans l’ensemble, positif. Nous en sommes à 180 contributions nationales, représentant plus de 94 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Lorsque cette idée avait été précisée il y a un an à la conférence de Lima, peu d’entre nous imaginaient qu’on atteindrait un tel niveau au moment de débuter la COP21. Le fait qu’autant d’Etats soient entrés dans une démarche de mise à plat de leurs objectifs climat et de projection dans le futur est porteur de progrès. Les chiffres sont des objectifs. Lorsqu’on additionne toutes ces contributions, on évite le scénario catastrophe du schéma de l’inaction dressé par le GIEC, 4 °C, 5 °C, voire 6 °C, mais nous ne sommes pas encore, pour autant, à 2 °C ou 1,5 °C, qui est l’objectif recherché. Une disposition importante sera donc de prévoir des clauses de rendez-vous – certains disent tous les cinq ans – permet- « L’accord de Paris doit être différencié, universel, juridiquement contraignant et juste » tant aux pays de revoir leur contribution vers le haut. Comment intégrer la communauté internationale tout entière à ce processus, les pays pétroliers par exemple, qui doivent changer de modèle de développement ? Les contributions de ces pays sont diverses, c’est un fait. Il faut maintenir l’objectif – une décarbonation progressive de l’économie, un développement soutenable mais à partir de l’existant. Il faut tenir compte des réalités actuelles de ces pays, dont les ressources viennent à 80 % ou 90 % du pétrole ou du gaz, et évoluer. Cette évolution se manifeste par un engagement parfois massif vers les énergies renouvelables. Samedi 5 décembre vous sera remis le texte des négociateurs. Que se passera-t-il si, à cette date, un accord n’est pas à portée de vue ? Je n’ai pas un texte tout prêt à sortir de ma poche, mais la présidence française de la COP21 ne sera évidemment pas inactive. Je rencontrerai les différents groupes et facilitateurs. Ma tâche, en tant que président de cette conférence, est d’écouter chacun, de préserver un haut niveau d’ambition pour l’accord et de faciliter les compromis. C’est autour de ces trois notions que l’on pourra bâtir un succès. Il est à notre portée, mais il n’est pas encore acquis. L’OCDE a estimé à 62 milliards de dollars (58,5 milliards d’euros) par an les financements Nord-Sud en 2014. Les subventions aux énergies fossiles sont bien plus considérables… L’OCDE souligne aussi qu’il faudrait réduire, peut-être même supprimer, les subventions aux énergies fossiles. Dans les débats autour de la COP21, la question de la tarification du carbone sera aussi abordée. L’accent doit être mis sur les énergies décarbonées, en tenant compte des circonstances nationales et en rappelant que l’objectif est un développement soutenable. En soulignant aussi que l’enjeu climatique n’est pas seulement une contrainte, mais aussi une immense opportunité. La Chine est ainsi devenue la première puissance du monde dans le solaire. Dans le cas africain, où la disponibilité électrique est encore faible, des progrès énergétiques rapides sont possibles et peuvent fournir une formidable occasion de croissance durable. C’est tout cela que la conférence abordera. p propos recueillis par simon roger Paris paralysé Circulation Il sera très difficile de circuler en région parisienne les dimanche 29 et lundi 30 novembre, jours d’arrivée des quelque 150 chefs d’Etat et de gouvernement à la COP21, qui débute officiellement lundi, au Bourget (Seine-Saint-Denis). Pour éviter les embouteillages, la Préfecture de police conseille d’éviter de circuler en voiture. Axes fermés Plusieurs axes seront fermés à la circulation dimanche, de 16 heures à 22 heures : l’A6a d’Orly à Paris (prendre l’A6b), l’A1 de Roissy à Paris (prendre l’A3) et les périphériques, extérieur de la porte de la Chapelle à la porte de Saint-Cloud et intérieur de la porte d’Orléans à celle de Saint-Cloud, ainsi que la voie sur berge jusqu’à la Concorde seront fermés. Un dispositif semblable sera mis en place lundi de 6 heures à 21 heures. RER, métro… Alors que la Région et la Ville de Paris ont décidé la gratuité des transports en commun (du dimanche midi au lundi minuit), la Préfecture de police déconseille d’emprunter le réseau pour éviter sa saturation. 6 | planète 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 En haut et de gauche à droite. Dans la province de Jambi, sur l’île de Sumatra, une usine de production d’huile de palme. Des enfants Orang Rimba devant leur habitat de fortune. En Indonésie, la forêt assassinée L’été, des incendies criminels ravagent la jungle de Sumatra au profit des industriels de l’huile de palme, du caoutchouc ou du bois. Une catastrophe écologique qui ronge le territoire des Suku Anak Dalam PARIS CLIMAT 2015 REPORTAGE harold thibault photos : rony zakaria pour « le monde » provinces de jambi et riau (indonésie) envoyés spéciaux cause des feux : ils permettent de faire place nette à moindres frais pour de nouvelles plantations de palmiers à huile, d’hévéa à caoutchouc ou d’acacia à pâte à papier. « Pour préparer le terrain, c’est moins cher que de faire intervenir les pelleteuses », résume Rudi Syaf, responsable de la communication de Warsi, une ONG basée à Jambi, principale ville de la région du même nom, l’une des plus touchées par la déforestation. « LA FORÊT EST TOUT POUR NOUS » En 1982, cette province de 5 millions d’hectares (ha) comptait 4,18 millions d’hectares de jungle, « presque tout Jambi en était couvert ». En 2014, c’était un peu moins de 2,1 millions d’hectares. Même ce dernier chiffre est trompeur, car 963 000 ha relèvent en fait de la forêt dite « de production », capable de se renouveler en théorie, mais rarement dans les faits, et 258 000 ha sont destinés à « l’exploitation limitée », c’est-à-dire qu’on n’y coupe que les troncs d’un diamètre supérieur à 60 cm. En fait, seuls 864 000 ha sont inclus dans des parcs nationaux ou régionaux, eux-mêmes loin d’être exempts d’incursions de l’agro-industrie. VIETNAM PHILIPPINES BRUNEI Océan Pacifique MALAISIE MALAISIE Pekanbaru SU Riau BORNÉ O M AT RA Il fut un temps, pas si lointain, où les Suku Anak Dalam pouvaient encore tomber nez à nez avec un tigre dans la forêt vierge. De cette période, Pagbu, l’un des chefs de famille de la tribu, tire un conseil : en cas de rencontre avec le grand félin, prendre ses jambes à son cou, de préférence avant qu’il ne vous remarque. En réalité, ces chasseurs-cueilleurs ne croisent plus aujourd’hui le prédateur dont l’habitat, qui est aussi le leur, s’est réduit à peau de chagrin. Sous les coups des industriels de l’huile de palme, du bois et de la papeterie, la jungle recule et un nombre croissant de familles vivent désormais au milieu d’une palmeraie. Chaque été, des incendies d’origine criminelle réduisent en cendres des pans entiers de la forêt de Sumatra, les fumées cédant place, lorsque tombent les premières pluies, à l’automne, à des paysages calcinés. Il suffit alors de couper les souches noircies à la machette avant de pouvoir planter des palmiers, et c’est ce que font Oyriya, 44 ans, et Rossita, 32 ans. « C’est comme ça chaque année, il est beaucoup plus simple de couper lorsque ça a brûlé », explique cette dernière. Rossita n’y est pas pour grand-chose. Embauchée comme journalière pour un salaire des plus modeste par une certaine Mme Anna, elle a d’ailleurs elle aussi souffert de l’air irrespirable, comme tous les habitants de cette région du centre de Sumatra. Elle n’est qu’un maillon d’une longue chaîne passant par de puissants conglomérats qui savent se faire entendre à Djakarta et se prolonge ensuite dans l’industrie agroalimentaire jusque dans les supermarchés occidentaux. L’été 2015 aura été le plus meurtrier pour les forêts des deux plus grandes îles d’Indonésie que sont Bornéo et Sumatra. Les experts locaux jugent que ces fumées ont été pires encore que celles qui, en 1997, avaient déjà marqué tous les esprits. Les deux principaux aéroports du centre de Sumatra, dans les villes de Pekanbaru et Jambi, ont dû fermer leurs portes pendant deux mois. Les brasiers indonésiens ont enfumé une bonne partie de l’Asie du Sud-Est, plongeant Singapour, la Malaisie, le sud de la Thaïlande, une partie des Philippines ou même Ho Chi Minh-Ville, au Vietnam, dans un brouillard inextricable. La sécheresse causée dans l’archipel par le phénomène climatique El Niño à partir de juin a amplifié ces incendies devenus hors de contrôle. Selon l’agence Bloomberg, qui a compilé les données du World Resources Institute, à Washington, et de l’Université libre d’Amsterdam, les émissions de dioxyde de carbone de l’Indonésie ont dépassé celles des Etats-Unis durant quarante-sept des soixante-quatorze jours de crise jusqu’à la fin du mois d’octobre, se plaçant même, pendant quatorze jours, devant la Chine, le premier pollueur mondial. A quoi s’ajoute la réduction de la capacité de séquestration du carbone, conséquence du recul des forêts. L’Indonésie est le 5e plus gros émetteur mondial de gaz à effet de serre. La vie est devenue un enfer pour les habitants de la région. Plus de 503 874 cas d’infection respiratoire aiguë et dix décès, du fait de maladies respiratoires ou d’accidents pendant les opérations d’extinction dans les six principales provinces touchées au cours de la crise, ont été recensés par l’Agence indonésienne de gestion des catastrophes. Les organisations non gouvernementale (ONG) locales ne se font pas d’illusions sur la Jambi Océan Indien INDONÉSIE Djakarta J AVA Parc national de Bukit Duabelas 300 km AUSTRALIE La structure des plantations de palmiers à huile favorise ces incendies. Un maillage de canaux est nécessaire à l’irrigation, qui sont également utiles au transport des grappes de noix, mais ces voies artificielles se révèlent trop larges et profondes, de sorte qu’elles restent vides pendant la saison sèche, explique Rudi Syaf : « C’est un facteur majeur dans la propagation des feux de forêt. » Toute la région porte la marque de ces changements. Sur les routes, les convois de camions-citernes sortent remplis d’huile des raffineries et croisent en sens inverse des bennes chargées de régimes de noix de palme, des grappes piquantes qui peuvent peser une bonne vingtaine de kilos. Ils doublent des Mobylette équipées de grands paniers métalliques permettant d’aller chercher le fruit entre les palmiers. Là, des indépendants s’activent, les yeux toujours vers le haut, maniant une serpe montée au bout d’un long manche leur permettant de couper les palmes et, ainsi, de laisser tomber les régimes au sol – leur art consistant à s’écarter avant cette dangereuse chute. C’est cette réalité qui détruit le mode de vie des Suku Anak Dalam. « La forêt est tout pour nous », résume le chef Pagbu. Littéralement tout, c’est-à-dire pas seulement le lieu de chasse et le logement traditionnel de ces semi-nomades qui déplacent leur campement à chaque décès. Elle est aussi leur religion, ces animistes enterrant le placenta de leurs nouveau-nés au pied d’un arbre. Problème, cette même forêt a été vendue en blocs de concessions à de puissants industriels de l’huile de palme, notamment à des succursales du conglomérat géant indonésien Sinar Mas, qui a acquis des concessions à partir des années 1980, sous le régime de Suharto, au pouvoir pendant trente et un ans, jusqu’en 1998. Il en a exploité une partie directement, tandis que l’autre, restée en réserve, a finalement été confiée à des particuliers qui ven- planète | 7 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 En bas, de gauche à droite : une habitante du village de Bukit Suban portant une grappe de noix ; des jardinières de pousses de palmier ; un convoi d’huile de palme. dent au poids le fruit du palmier à huile aux raffineurs qui en sortent la crude palm oil. Ces indépendants sont originaires de Java, qui abrite 140 millions des 255 millions d’habitants de l’Indonésie. Afin de contrôler la den sité de population de l’île, poumon économique et démographique du quatrième pays le plus peuplé de la planète, et parce que Suharto voulait à toute force donner une certaine cohérence à un archipel d’une grande diversité ethnique et culturelle, il incita les populations à migrer vers les îles étendues, mais périphériques, que sont Sumatra et Bornéo. Ces « transmigrants » se sont vu confier l’exploitation des nouvelles palmeraies, ayant besoin à leur tour de développer une activité économique. LES CERFS SE FONT RARES Aux yeux des migrants, les Suku Anak Dalam sont des squatteurs. Ils se trouvent acculés à un nomadisme bien éloigné, cette fois, de leur tradition : tous les deux ou trois jours, les exploitants les somment de partir de leurs concessions. Ils avancent alors de quelques kilomètres, pour qu’on les laisse en paix quel ques jours de plus. « Si nous prenons des grappes, les exploitants nous tombent dessus, ils disent que c’est du vol, même lorsqu’elles sont déjà au sol, l’un de nous a eu le crâne ouvert lorsqu’il a été battu », raconte Pagbu. Au vu du nombre élevé de malades et de décès, la tribu est cer taine que l’eau de ses rivières est dangereuse ment polluée par les engrais des plantations. Les hommes chassent toujours dans le parc national de Bukit Duabelas, les « douze collines », et conservent leurs lance-pierres pour les oiseaux, mais, ces dernières années, ils ont troqué leurs lances contre des fusils, car, la forêt se rétrécissant, les cerfs se font très rares et les sangliers plus méfiants. « En une semaine, nous n’avons eu que deux sangliers. Avant, nous en attrapions cinq pour une chasse à dix hommes », se lamente Meriyu, autre chef de famille. Autour d’eux, une bonne trentaine d’hectares ont brûlé cette année, et rien ne semble pouvoir endiguer ce recul. En 2008, les gouverneurs de province de Sumatra signaient un accord sur la préservation d’au moins 40 % de la forêt de l’île mais, dès l’année suivante, Jambi s’engageait plutôt sur 20 %. Et si, en 2010, la province annonçait un moratoire sur la conversion de zones protégées en terrains exploitables, les contours de celui-ci ont, depuis, été modifiés six fois. « Ces entreprises font en permanence du lobbying pour réduire les zones sous moratoire, on a beau parler d’efforts, ils ne sont pas appliqués », dit agacé Rudi Syaf. En mai 2014, des chercheurs de l’université du Maryland concluaient, dans la revue Nature Climate Change, après étude de photos satellite, que l’Indonésie a sacrifié six millions d’hectares entre 2000 et 2012. Au cours de la seule année 2012, 8 400 km2 de forêt ont été coupés, dépassant pour la première fois le niveau du Brésil (4 600 km2 perdus en 2012). Et 40 % de cet abattage avait lieu dans des zones où il était censément interdit ou restreint. Ce recul est une source croissante de conflits. A Bungku, un autre village où vivent des Suku Anak Dalam sédentarisés, un militant local du nom de Pujiono est mort à l’hôpital, le 5 mars 2014, après avoir subi les coups des forces de sécurité alors qu’il manifestait pour demander la libération de Titus, un voisin arrêté le même jour. Ce dernier exigeait, comme les autres, la reconnaissance d’un droit ancestral sur des concessions exploitées depuis les années 1980 par une entreprise locale, Asiatic Persada. Celle-ci a longtemps été détenue par un géant des de l’agro-industrie basé à Singapour, Wilmar, premier producteur d’huile de palme de la planète, qui s’est débarrassé d’Asiatic Persada, en 2013, du fait de son passif d’expropriations et l’a cédée au groupe Ganda, propriété du frère du cofondateur de Wilmar. Un avocat engagé contre la déforestation, Musri Nauli, membre d’une autre ONG indonésienne, Walhi, évoque un cas plus récent de décès suspect. Fin février, un fermier, Indra Pelani, a été frappé et emmené par la « force de réaction rapide » de Wira Karya Sakti – ou WKS, une plantation d’acacias –, alors qu’il se présentait à un point de contrôle de la concession de ce fournisseur de pâte à papier détenu par Asia Pulp & Paper, un géant de la papeterie appartenant à Sinar Mas, l’un des principaux conglomérats de l’archipel. M. Pelani était entré en conflit avec les agents de sécurité au sujet de photos de la communauté locale prises par ces derniers. On retrouva son cadavre le lendemain, nu, les poings liés, des coups de couteau portés à la nuque. LUTTE POUR CHAQUE HECTARE DE FORÊT « 20 % À 30 % DES PARCS NATIONAUX SUBSISTENT AUJOURD’HUI » AFDHAL MAHYUDDIN responsable du WWF à Sumatra Pour Musri Nauli, ces conflits sont hérités du capitalisme de forte croissance, mais aussi des copinages de l’ère Suharto. « Le gouvernement ne se focalisait pas sur les droits fonciers des habitants, mais sur ceux distribués aux entreprises », résume l’avocat. Me Nauli est partagé sur les améliorations possibles. Sous la pression des consommateurs, certaines multinationales bougent. Unilever, premier consommateur d’huile de palme de la planète, s’est engagé à n’utiliser, à la fin 2014, que des sources durables et traçables pour ses marques à destination de l’Europe, et pour l’ensemble de ses marchés mondiaux d’ici à 2020. La crise des fumées, cette année, a suscité un tel mécontentement dans les populations locales et les pays voisins, que Me Nauli espère davantage d’attention de la part des autorités. Avec d’autres juristes, il a engagé des poursuites contre dix-huit entreprises. Mais, d’expérience, il sait qu’elles sont quasi intouchables, et il compare l’agitation de ces derniers mois à un écho : « On l’entend et puis il disparaît. » Cette lutte ardue pour chaque hectare de forêt est visible à Tesso Nilo, à dix heures de route des « douze collines ». Dans cette réserve, une des plus riches de la planète par sa biodiversité, vivraient des tigres et environ 150 éléphants. Ses 38 576 hectares ont été classés parc national en juillet 2004, et le World Wildlife Fund (WWF) est parvenu, en octobre 2009, à convaincre le ministère des forêts d’étendre la superficie protégée à 83 000 hectares, une victoire à l’époque, en y ajoutant une concession encore inexploitée. Mais Afdhal Mahyuddin, un responsable de WWF à Sumatra, impliqué dans le programme Eyes on Forest, qui rassemble trois ONG luttant contre la déforestation, se souvient que c’est sous l’impulsion d’un des premiers producteurs de pâte à papier de la planète, Asia Pacific Resources International Holdings Limited, ou April, qu’avait été construite, au tournant des années 2000, une route avançant loin dans ce territoire aujourd’hui protégé. Signe des temps, April s’est engagé en juin à cesser de contribuer à la déforestation. Pourtant, grâce à cette route, la destruction du parc au profit de plantations commerciales va toujours bon train, comme ailleurs dans le pays. « Peut-être 20 % à 30 % des parcs nationaux subsistent à l’heure actuelle, c’était 50 % il y a seulement cinq ou six ans », constate M. Mahyuddin. Du fait de la perte de leur territoire, les éléphants de Tesso Nilo sortent plus fréquemment de la forêt. Des villageois ayant abattu, par le passé, des animaux qui s’en prenaient à leurs habitations ou à leurs récoltes, le WWF a dû créer une brigade de quelques éléphants, apprivoisés, afin que les locaux se familiarisent avec l’animal, mais aussi pour repousser les pachydermes sauvages vers leur habitat. « Les empiétements sont de plus en plus étendus et les ONG ne peuvent qu’accompagner, l’action doit venir des forces de l’ordre », regrette Afdhal Mahyuddin. Cette année encore, 4 000 ha de forêt sont partis en fumée à l’intérieur même du parc national de Tesso Nilo. p 8 | france 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 AT T E N TAT S D U 1 3 N O V E M B R E L’antiterrorisme en état de mort clinique Les lourdeurs sont connues, mais le gouvernement semble incapable d’une remise en question suite de la première page De 2012 à 2015, il y a l’affaire Merah – sept morts, dont trois enfants assassinés de sang-froid parce que juifs, à Toulouse et Montauban –, il y a les leçons tirées des failles du renseignement que le tueur a révélé, et notamment la création de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le renforcement du renseignement territorial, il y a deux lois antiterroristes, en 2012 et 2014. Et puis il y a le massacre de Charlie Hebdo et la prise d’otages de l’Hyper Cacher, les 7 et 9 janvier, et la loi sur le renseignement. Au fond, aucune de ces réformes de structure ou modifications législatives – dont certaines se sont révélées inutiles, comme la création d’une infraction d’« entreprise individuelle terroriste » – n’a changé les deux piliers de la lutte antiterroriste : l’infraction d’« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et le cumul judiciairerenseignement au sein d’un même service. A l’origine, ce dernier devait permettre à la direction de la surveillance du territoire (DST), devenue direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) en 2008 puis direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) en 2014, de maintenir une bonne circulation de l’information en son sein. Le fantasme d’un suivi exhaustif Dans le cas des attentats de Paris, la DGSI suivait ainsi un certain nombre des auteurs en judiciaire comme en renseignement. A commencer par Abdelhamid Abaaoud. Ce Belge, qui apparaissait dans cinq dossiers de projets d’attentats en France, était également impliqué, en Belgique, dans l’animation de la cellule terroriste de Verviers, démantelée en janvier. La DGSI avait déclenché dans la foulée ce que l’on appelle une « enquête miroir » en France. Une équipe commune franco-belge travaillait même main dans la main. En vain. Samy Amimour, l’un des kamikazes du Bataclan, était lui mis en examen depuis 2012 dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour un projet de djihad au Yémen. L’enquête était confiée à la DGSI. Placé sous contrôle judiciaire, il disparaît sans que personne ne s’émeuve, jusqu’à ce que les Turcs signalent son passage sur leur territoire. Le travail judi- Depuis 2012, à chaque attentat, le même constat déclenche la même réaction politique à contretemps ciaire a été effectué, notamment des perquisitions chez ses parents. Un mandat d’arrêt international a été émis. Jusqu’au massacre du 13. Dans le cadre de son rôle judiciaire, la DGSI a également été alertée sur les menaces qui visaient la France. Ainsi, Reda Hame, interpellé début août de retour de Syrie, qui assure que l’Etat islamique va viser des « cibles faciles », comme par exemple, « des concerts ». « La DGSI a biensûr ces éléments dans le viseur, mais comme tout le reste. Ces gens ont une stratégie de harcèlement, y compris via les menaces qu’ils laissent fuiter. Si l’on se met à raisonner en termes de cibles potentielles d’attentat et pas en termes de réseaux, on va s’épuiser », se défend une source proche des services de renseignement. Au quotidien, certains estiment que ce volet judiciaire a participé à déborder la DGSI. Dans les services territoriaux, les agents sont polyvalents et se retrouvent happés par la judiciarisation du tout-venant syrien. Le nombre de dossiers judiciaires antiterroristes a été multiplié par cinq entre 2013 et 2015, de 34 à 188, et le nombre de mis en examen par dix, pour atteindre plus de 230 personnes. Cela signifie des dizaines d’auditions, de gardes à vue, d’actes de procédures… Tout faire, tout le temps… Depuis 2012, à chaque attentat, le même constat – Mohamed Merah était connu mais sa dangerosité mal évalué, la surveillance des frères Kouachi avait été interrompue parce qu’ils ne paraissaient plus dignes d’intérêt – déclenche la même réaction politique à contretemps. Plutôt que d’encourager les services à cibler davantage, les ministres successifs poursuivent le fantasme d’un suivi exhaustif – tout en rappelant qu’il est impossible lorsque le pire se produit. Depuis les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, c’est la création de l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme, qui centralise sous l’autorité du ministre les informations des services, et la création du fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste, qui rassemble plus de 11 000 noms. Trop pour être utile. « Les agents passent des heures à remplir des kilomètres de fiches », dénonce un policier. Pourtant, dans la discrétion, la DGSI s’est donné les moyens d’un meilleur ciblage. Depuis quelques mois, la cellule « Allat », du nom d’une déesse syrienne préislamique, traite des objectifs de la zone irako-syrienne. Les huit principaux services français sont réunis dans une même pièce. « Chacun amène ces objectifs, chacun apporte ses billes et peut se Les caches grecques d’Albelhamid Abaaoud SALON DU LIVRE ET DE LA PRESSE JEUNESSE SEINE-SAINT-DENIS . SLPJ.FR MONTREUIL WWW.SEINE-SAINT-DENIS.FR BelleVille 2015 - John Tenniel - image BnF DÉC 7 U A DU 2 ni démenti ni confirmation. La police grecque refuse toujours d’officialiser – sans pour autant les démentir – les informations révélées vendredi 27 novembre par l’ensemble des médias grecs, selon lesquelles Abdelhamid Abaaoud, le cerveau des attentats de Paris, était bien présent à Athènes au moins jusqu’au mois de janvier. Selon le principal quotidien grec, Kathimerini, des traces ADN lui appartenant ont été retrouvées dans deux appartements perquisitionnés en janvier. A l’époque, une cellule terroriste vient d’être démantelée à Verviers en Belgique. Les enquêteurs belges remontent la piste d’un téléphone portable jusqu’en Grèce. Le 17 janvier, l’antiterrorisme grec investit un appartement situé dans le quartier de Pangrati, au cœur d’Athènes. Là, deux hommes sont arrêtés puis extradés vers la Belgique. Et des empreintes sont analysées. Questions sans réponses Deux jours plus tard, de nouveau sur information belge, une deuxième opération est menée dans le quartier de Sepolia. L’appartement est vide, mais des papiers français y sont retrouvés, et de nouvelles empreintes prélevées. Qui correspondent notamment à celles trouvées à Pangrati. Seule conviction : la même personne a circulé dans ces deux appartements, sans que la police grecque puisse identifier de qui il s’agit. Après les attentats du 13 novembre, la police française a fait parvenir à la grecque des échantillons génétiques d’un certain nombre de terroristes. En les comparant avec le matériel génétique des caches de Pangrati et Sepolia, la police scientifique grecque – qui refuse de commenter cette information, sans la démentir – aurait identifié Abaaoud. Le 19 novembre, Bernard Cazeneuve, le ministre français de l’intérieur, avait déjà déclaré que « postérieurement aux attentats de Paris, un service de renseignement d’un pays hors d’Europe nous a signalé avoir eu connaissance de sa présence en Grèce ». Ce que démentaient jusqu’à aujourd’hui les autorités grecques. Comment Abaaoud est-il entré en Grèce alors que tous les services de renseignement le croyaient encore en Syrie ? Jusqu’à quand est-il resté à Athènes ? Est-ce de là qu’il a coordonné les attaques parisiennes ? Avait-il des complices ? Autant de questions pour l’instant sans réponse. p adéa guillot (athènes, correspondance) connecter à ses bases de données. Le travail est extrêmement opérationnel », explique une source. Même la DGSE, la sœur jumelle de la DGSI à l’international, met donc la main à la pâte. Elle s’était tirée à bon compte de l’affaire Merah, alors qu’elle avait raté le périple afghano-pakistanais du tueur de Toulouse. Dans le cas des attentats de Paris, la DGSE a au moins fourni un renseignement, mais trop tard pour qu’il puisse être exploitable. Lors de la surveillance d’une cible en Syrie, le service a découvert des conversations avec une femme en France. Elle est inconnue, jusqu’à début novembre, lorsque les agents se rendent compte qu’il s’agit d’une cousine d’Abdelhamid Abaaoud, Hasna Aït Boulahcen. La DGSI est alertée et découvre ainsi, bien tardivement, l’existence de la famille française de l’une de ses cibles numéro un. Nous sommes le 12 novembre, veille des attentats. Et c’est finalement un témoin, après les attentats, qui mettra la police judiciaire sur la piste d’Hasna Aït Boulahcen et d’Abdelhamid Abaaoud – tous deux morts le 18 novembre lors de l’assaut du RAID sur un appartement de Saint-Denis. « 3 000 agents pour 4 000 objectifs » C’est que ce travail de coordination, qui suit des années de dialogue heurté entre la myriade de services français, ne peut suffire quand la menace devient transnationale. « Ils s’organisent de Syrie, finalisent le projet en Belgique, arrivent presque la veille à Paris. La DGSI reste un service intérieur, elle ne peut pas faire grand-chose seule… », explique une source au ministère de l’intérieur. La coordination européenne fonctionne, mais là aussi, elle n’a pas suffi car elle se concentre sur le haut du panier. Or, les auteurs des attentats de Paris étaient connus des services belges ou français, mais pas comme des hommes de premier plan. Les frères Abdeslam – Brahim s’est fait sauter boulevard Voltaire et Salah est en fuite – étaient identifiés en Belgique mais pas comme prioritaires, Samy Amimour était considéré comme l’un des moins dangereux de sa cellule yémenite. Ismaël Omar Mostefaï, également france | 9 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 La France demande de l’aide aux Etats-Unis François Hollande souhaite accéder aux moyens de renseignements américains en Syrie et en Irak P artagé entre sa volonté de conserver son autonomie de décision en matière de renseignement et le constat de ses limites après les attaques du 13 novembre venues de Syrie, la France souhaite l’aide des Etats-Unis. Lors de son séjour à Washington, le 24 novembre, le chef de l’État, François Hollande, a, selon nos informations, demandé à Barack Obama que Paris puisse accéder aux moyens de renseignement américains, en Syrie et en Irak, normalement partagés par les Etats-Unis avec ses seuls alliés anglo-saxons. La France ayant déjà essuyé un refus, en 2010, d’être acceptée comme membre à part entière du club très fermé des « Five eyes » qui réunit les services secrets américains, britanniques, australiens, canadiens et néo-zélandais, M. Hollande a proposé que soit mis en place, en Syrie et en Irak, une coopération bilatérale identique à celle existant actuellement au Sahel. « Mais ce qui est possible au Sahel dans un cadre purement bilatéral car les Etats-Unis sont venus sans leurs alliés ne l’est pas au Levant où les Five eyes font partie de la coalition », explique une source ministérielle de haut rang. kamikaze au Bataclan, était très secondaire pour la DGSI. « La difficulté, résume une source proche du renseignement, c’est qu’il faut à la fois être sur Yassine Salhi, qui du jour au lendemain décide de décapiter son patron, et sur Abaaoud. On a 3 000 agents pour 4 000 objectifs. Et encore, à Paris et SaintDenis, il y a parmi les auteurs des Belges et des hommes que nous n’avons même pas encore identifiés. Nous n’avons pas des structures qui ont été pensées pour un tel phénomène de masse. » « Si l’enquête permet de pointer des failles ou des manques, on s’adaptera », explique-t-on au ministère de l’intérieur. La Place Beauvau défend également les mesures poussées par la France au niveau européen. Le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen d’abord, puisqu’un certain nombre de terroristes ont pu passer par la route des migrants sous de fausses identités. Et puis la mise en place d’un fichier des passagers aériens (PNR) européen, vieux serpent de mer dont on voit moins le lien direct avec les attentats, puisque, précisément, il semble que les auteurs des attaques aient suivi une voie terrestre. Mais, à ce jour, à droite comme à gauche, personne ne souhaite poser la seule question qui vaille, dans un espace de libre circulation des personnes : faut-il européaniser la lutte antiterroriste ? Hors de question de toucher à ce point de souveraineté nationale. p Après l’assaut de la police contre les terroristes retranchés dans un appartement de Saint-Denis, le 18 novembre. ERIC FEFERBERG/AFP laurent borredon et simon piel Des réticences Les besoins français portent notamment sur la surveillance des communications locales des djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI) menaçants la France et sur l’accès aux images satellitaires et aériennes dont disposent les Etats-Unis sur la zone irako-syrienne afin de préparer les frappes comme celle qui avait visé, dans la nuit du 8 octobre, un camp de francophones de l’EI à Rakka. « Les discussions étaient déjà en cours sur ce rapprochement au sein de la coalition, concède-t-on au ministère de la Défense, mais le 13 novembre a accéléré le processus de discussion ». Si la Maison Blanche a accueilli favorablement cette demande, les échelons opérationnels, notamment au Centcom, le commandement des forces américaines au Moyen-Orient (Centcom), à Tempa, en Floride, ou à la CIA ont manifesté, selon une source diplomatique française, des réticences à ouvrir un cercle de partage très confidentiel. En 2010, la France avait déjà essuyé un refus d’être acceptée comme membre à part entière du club très fermé des « Five eyes » Depuis son entrée, en septembre, dans la coalition, menée par les Etats-Unis en Syrie et en Irak, la France recueille ses propres éléments par reconnaissances aériennes, grâce à l’accès aux câbles sous-marins par lesquels transite l’essentiel des données de communication et aux images satellitaires fournies par la Direction du renseignement militaire (DRM). « Nous sommes capables de constituer des dossiers d’objectifs, explique la même source ministérielle, mais nous manquons de précision et de vision d’ensemble ». La France aimerait pouvoir s’appuyer, comme elle le fait pour le Sahel, sur le travail de l’Agence nationale de renseignement géospatial (NGA) américaine. M.Hollande a aussi milité pour l’intégration du renseignement et de l’intervention aérienne, comme cela fut fait en Irak et en Afghanistan. John Allen, qui fut, jusqu’au 23 octobre, à la tête de la coalition contre l’EI, l’a rappelé au Forum international d’Halifax sur la sécurité, les 20 et 22 novembre : « pour faire reculer l’EI, il faut réduire au maximum le temps entre l’acquisition du renseignement et son utilisation opérationnelle ». Pour la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), services secrets français, l’exemple à suivre est l’opération des forces spéciales américaines ayant conduit, en mai, à la mort du grand argentier de l’EI, Abou Sayyaf. Les soldats américains ont récupéré plusieurs térabytes de données qui ont été immédiatement utilisés pour d’autres opérations. La France aimerait avoir désormais accès à ce type d’informations. Les faiblesses françaises en matière de renseignement étaient déjà apparues, au printemps 2014, lorsque la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) avait tenté, de rétablir un lien direct avec les services de renseignement syriens afin d’obtenir des renseignements permettant d’anticiper le retour de djihadistes français. La tentative avait fait long feu lorsque le régime de Bachar Al-Assad avait conditionné sa coopération à la réouverture de l’ambassade française en Syrie. Si l’intégration du renseignement français dans un espace plus large, contrôlé par les Etats-Unis, peut aider la France à mieux se protéger, il lui reste à mieux adapter son organisation. En marge de la rencontre avec David Cameron avec François Hollande, le 23 novembre, des discussions ont ainsi porté sur l’étude du modèle antiterroriste britannique. Alors que la Grande-Bretagne a confié, après les attentats de Londres en 2005, au seul MI5 la direction de la lutte antiterroriste, avec 1 000 personnes – analystes, agents du renseignement technique du GCHQ et membres des services secrets extérieurs du MI6 –, le modèle français reste éclaté. La DGSE compte 200 analystes au sein d’un pôle « contre-terrorisme » et opère seule la puissante agence technique nationale de renseignement. La DGSI dispose de modestes moyens techniques mais a tout pouvoir sur le sol français. Cette discontinuité du renseignement alors que les djihadistes se jouent des frontières constitue un angle mort. A l’heure des interceptions massives de données de communications, la capacité d’analyse demeure la clé de l’anticipation de la menace. La DGSE utilisait il y a peu les services de la société Intelligence Notebook pour ce travail d’analyse mais son rachat par IBM a contraint la France à chercher d’autres outils. Le renseignement américain, lui, utilise, le plus souvent, une société de même nationalité, Palantir, pour traiter le gigantesque flux de données interceptées, une expertise à laquelle la France aimerait avoir accès concernant l’EI. Interrogée, la DGSE a décliné tout commentaire. L’Elysée a renvoyé Le Monde vers l’Etat-major des armées qui s’est refusé à commenter « les discussions en cours au regard de la sensibilité du sujet ». p j. fo. La Belgique s’interroge sur les failles du renseignement La coopération franco-belge est satisfaisante mais la Sûreté de l’Etat à Bruxelles ne dispose que de moyens limités F ustigée, souvent de manière expéditive, pour son impéritie en matière de lutte antiterroriste, à la lumière des attaques du 13 novembre, la Belgique tente de faire face aux critiques. Le Parlement a créé une commission sur les questions de terrorisme et le Comité R, chargé de la surveillance des services de renseignement, a ouvert un dossier sur les attentats de Paris. Comment expliquer s’interroge le ministre de l’intérieur belge, Jan Jambon que des personnes parfois recensées comme d’ex-djihadistes – 135 au total, dont 85 à Molenbeek – aient pu échapper à la surveillance. Trois d’entre eux figuraient sur une liste de 900 noms de l’Office central d’analyse de la menace. Comment trois des assaillants du 13 novembre, Bilal Ha- dfi, Brahim Abdeslam et son frère Salah, toujours en fuite, qui figuraient sur cette liste, ont-ils pu échapper aux contrôles ? Le parquet fédéral assure que les éléments sur les Abdeslam « ne montraient pas le signe d’une possible menace ». « Trop de détails » La surveillance des terroristes concerne à la fois les services spécialisés de la police fédérale, la Sûreté de l’Etat, la Sûreté militaire et les polices locales, ce qui permet une accumulation d’informations mais ne facilite pas le tri et l’établissement de priorités. « En réalité, nous possédons souvent trop de détails, et pas assez d’informations ciblées et utilisables », dit un expert. « Nous avons nos failles, reconnaît-on au ministère de l’intérieur, à Paris, mais les services belges souffrent encore d’une fusion toujours mal digérée entre la gendarmerie et la police fédérale en matière judiciaire, de plus il existe en Belgique une vraie autonomie des chefs de police régionaux par rapport à l’échelon fédéral, ce qui ralentit le système. » Le gouvernement belge dispose de moyens limités. La Sûreté de l’Etat compte moins d’agents aujourd’hui qu’avant le déclenchement de la guerre en Syrie, en 2011. Des économies de 4 % lui avaient été imposées pour 2015, et de 20 % pour ses moyens matériels. Les dix millions d’euros débloqués en janvier n’ont pas résolu une autre carence flagrante de ce service : le manque d’agents arabophones. Vu de Paris, et notamment de la Direction générale de la sécurité inté- rieure (DGSI), la coopération avec la sureté d’Etat belge, son homologue, est perçue comme « très bonne ». Ces deux institutions ont étroitement travaillé après les événements de Charlie Hebdo notamment lors du démantèlement, en janvier, de la cellule de Verviers. La Sureté d’Etat et la DGSI ont également uni leur force dans l’enquête sur le groupe d’Artigat, une petite commune ariégeoise, considéré comme l’un des noyaux du djihadisme français. Enfin, après l’arrestation, le 21 août, d’Ayoub ElKhazzani, l’assaillant du Thalys entre Amsterdam et Paris, elles ont été également associées de près dans l’enquête, au grand dam de la police judiciaire française. Le samedi 14 novembre, quand les gendarmes français contrôlent le véhicule dans lequel se trouvent Sa- lah Abdeslam et deux hommes venus le chercher à Paris, ils ne disposent que d’une fiche S émise par les Belges. Le lien entre les attaques de Paris et ce véhicule loué ne sera fait que quelques heures plus tard. Le lendemain une équipe de liaison française de six personnes, comprenant des officiers de police judiciaire, dont deux de la DGSI et des agents de la préfecture de police de Paris, est envoyée à Bruxelles pour coordonner l’enquête entre la Sous-direction anti-terroriste française et la police belge. Le surlendemain, un commissaire rejoint le dispositif. Mais Salah restera introuvable et Abaaoud est tué dans l’assaut de Saint-Denis. p jacques follorou et jean-pierre stroobants (bruxelles, correspondant) LE CONTEXTE SIX INCULPATIONS Une sixième personne, interpellée jeudi 26 novembre à Bruxelles, a été inculpée vendredi pour « attentats terroristes » dans le cadre de l’enquête sur les attaques de Paris, a annoncé le parquet fédéral belge. Deux autres personnes qui avaient été interpellées jeudi à Verviers (est de la Belgique) ont pour leur part été relâchées, a précisé le parquet dans un communiqué. Cinq autres suspects ont été inculpés ces derniers jours, dont trois hommes soupçonnés d’avoir véhiculé le suspect en fuite Salah Abdeslam au cours de sa cavale. 10 | france 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 Libertés: pour les politiques, le débat doit attendre Depuis le 13 novembre, ce sont surtout les universitaires qui mènent la réflexion autour de l’état d’urgence U ne fois déclenchée, la guerre n’a jamais été une période très propice au débat. Celle que François Hollande a annoncée – sinon décrétée – contre Daech n’échappe pas à la règle. Toutes proportions gardées, bien sûr, tant cette guerre-là, contre un ennemi invisible, est différente de celles que l’on a connues dans le passé. Pas de tranchées, comme en 1914-1918, et nulle censure, cette fois-ci : n’en déplaise à certains parlementaires, qui ont tenté de la maintenir, le gouvernement a même pris l’initiative de supprimer cette disposition qui figurait dans la loi de 1955 sur l’état d’urgence. Pour autant, le virage sécuritaire de l’exécutif et la posture martiale qu’il a arborée, en réponse aux attentats, se sont accompagnés d’un mot d’ordre implicite à l’attention de la majorité : silence dans les rangs ! Le premier ministre, Manuel Valls, s’est chargé de le transmettre, visant la forme comme le fond. Primo, ne pas perdre de temps en palabres. Lors de l’examen au Sénat du projet de loi prorogeant et modifiant l’état d’urgence, le chef du gouvernement a eu ces mots : « II y a toujours un risque à saisir le Conseil constitutionnel. (…) Moi je souhaite que nous allions vite », a déclaré M. Valls. « Aucune excuse sociale » Des propos qui ont laissé pantois nombre de ceux qui, y compris – voire surtout – dans ces circonstances, sont attachés aux principes du droit. Rebelote le 25 novembre, à l’Assemblée nationale, lors de la séance des questions au gouvernement : « Aucune excuse sociale, sociologique et culturelle » ne doit être cherchée au terrorisme, a souligné le chef du gouvernement. Un avertissement pour les élus de gauche qui seraient susceptibles de juger un peu « courte » la réponse sécuritaire apportée à ce jour par le gouvernement. Et une probable réplique à Emmanuel Macron. Le ministre de l’économie reste, à ce stade, l’un des très rares politiques à s’aventurer sur ce terrain. Le 21 novem- « Tout le monde se retient, a peur de ne pas trouver les mots justes » PASCAL PERRINEAU professeur à Sciences Po Lors de l’hommage national aux victimes du 13 novembre, vendredi 27 novembre, aux Invalides, à Paris. MIGUEL MEDINA / AFP bre, il avait souligné que la société française devait assumer une « part de responsabilité » dans le « terreau » sur lequel le djihadisme a pu prospérer en France. Les rappels à l’ordre de M. Valls étaient davantage un signe supplémentaire destiné à l’opinion, massivement acquise aux réponses sécuritaires apportées par le chef de l’Etat. Car le terrible choc du 13 novembre a tétanisé les élus de tous bords. La quasi-totalité des parlementaires s’est levée pour applaudir le chef de l’Etat après son intervention devant le Congrès, le 16 novembre. La quasitotalité d’entre eux ont voté le projet de loi sur l’état d’urgence à l’issue d’un examen au pas de charge, les 19 et 20 novembre. Dans un tel contexte d’« unité nationale » – une expression récu- sée par certains politiques mais plébiscitée dans l’opinion –, il était très difficile pour les responsables politiques et les élus de faire entendre des voix discordantes. Si les élections régionales ont été maintenues aux 6 et 13 décembre, la campagne a été mise sous l’éteignoir. « C’est la première fois dans la vie politique française que se tient une élection sous état d’urgence et dans un choc posttraumatique, note Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po. Tout le monde se retient, a peur de ne pas trouver les mots justes. » « La demande de consensus entame l’expression du dissensus », ajoute-t-il. En témoigne notamment le virage opéré par Nicolas Sarkozy. Après avoir vertement critiqué l’exécutif au lendemain du Congrès, le président de LR a explicitement approuvé – lors d’un meeting à Strasbourg, le 25 novembre – toutes les mesures prises par François Hollande. Les mêmes contraintes ont pesé sur les écologistes et la gauche radicale, qui comptent dans leurs rangs de farouches défenseurs des libertés publiques et individuelles. Eux qui avaient vivement critiqué au printemps la loi renseignement n’ont pas réussi, cette fois, à faire entendre leur voix. André Chassaigne, président PCF du groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale, assume le vote en faveur de la loi sur l’état d’urgence : « C’était la décision qu’il fallait prendre vu la gravité de la situation, juge le député du Puy-deDôme. C’était de notre responsabilité de la voter. » Onze sénateurs communistes se sont abstenus sur ce texte, seule trace du malaise qui traversait les rangs de la gauche radicale. Les écologistes n’ont pas été plus clairs. Eva Sas, députée EELV de l’Essonne, partage l’analyse de son collègue communiste : « L’ampleur du drame était telle qu’il fallait une réponse immédiate au risque d’attentat, explique cette proche de Cécile Duflot. Une autre réponse aurait été difficilement audible. » Noël Mamère, député de Gironde, est l’un des trois écologistes à avoir voté contre la prorogation de l’état d’urgence et à faire entendre une petite musique différente : « On ne touche pas aux libertés fondamentales dans l’émotion. La peur est mauvaise conseillère pour le législateur. » « Tout discours de complexité est considéré comme une forme de lâcheté par rapport à un ennemi clairement identifié », renchérit Yannick Jadot, député européen EELV. Le directeur de la Fondation Jean-Jaurès, Gilles Finchelstein, juge probable que l’hommage national, rendu vendredi 27 novembre, ait refermé cette parenthèse d’« urgence » politique, au cours de laquelle « l’événement a imposé son agenda ». « On entre dans une espèce d’entre-deux, prédit-il. Ce n’est plus le post-attentat immédiat, mais pas encore le retour à la normale. » En attendant que les politiques retrouvent la parole, ce sont des chercheurs et des universitaires qui ont répondu par une profusion de textes à l’intense besoin de compréhension né – juste après l’émotion – au lendemain des attentats. L’équipe chargée des pages « Débats » du Monde a reçu jusqu’à 150 tribunes par jour, contre 40 à 50 en « temps normal ». Les champs de réflexion sont multiples, les opinions variées, parfois diamétralement opposées. La question de l’éventuelle part de responsabilité de la France est l’un des principaux points de clivage. Mais elle recouvre à la fois la politique étrangère française (ses interventions militaires, la nature de ses alliances) et les politiques menées sur notre territoire (éducation, intégration, banlieues, place de l’islam, etc.). La nature de la réponse à apporter (sécuritaire et/ou sociétale) a également fait l’objet de multiples analyses et points de vue. L’état d’urgence a été abondamment commenté. Les politiques devront réinvestir tous ces thèmes, et d’autres encore. Vu l’ampleur des chantiers, le plus tôt sera sans doute le mieux. p jean-baptiste de montvalon et raphaëlle besse desmoulières A Evry, Manuel Valls appelle à « un sursaut républicain majeur » Pour le premier ministre, au-delà de la réponse sécuritaire aux attentats, il faudra aussi repenser la société dans son ensemble L e serment d’Evry. Manuel Valls est longuement revenu, vendredi 27 novembre, à la mairie d’Evry (Essonne), sur les attentats de Paris survenus deux semaines plus tôt. Pendant deux heures, le premier ministre, qui a dirigé la ville de 2001 à 2012, a échangé avec quelque 400 personnes réunies dans la salle du conseil municipal. Pas d’annonces particulières ni de nouveautés dans son discours, mais une synthèse de ses différentes interventions depuis plusieurs jours. Et la volonté d’afficher encore et encore une gravité pour faire en sorte que le choc ressenti par les Français après le 13 novembre ne retombe pas. « Nous changeons d’époque, nous avons tellement oublié que l’Histoire peut être tragique », a-t-il expliqué quelques heures après l’hommage national aux victimes, le matin même aux Invalides. Aux portes de cette nouvelle ère française, le premier ministre a donc fait un serment très politique aux Evryens, et à travers eux aux Français : « Moi, j’en fais le serment, je ne redescendrai plus dans les petits débats, dans l’arène médiocre. Après les attentats de janvier, on y est redescendu, ce n’était pas ma volonté ». A neuf jours du premier tour des élections régionales et à dix-huit mois de la présidentielle, il invite le pays à en faire autant, appelant les citoyens à « un sursaut républicain majeur ». Mais au-delà des élections, M. Valls veut s’inscrire dans le temps long : « Il faut reconstruire une grande partie de la République, ce sera l’affaire d’une génération. Il faut reconstruire l’école, les quartiers populaires… », Une manière pour lui d’élargir le débat à l’ensemble de la société, en plus de la réponse sécuritaire enclenchée par le gouvernement après les attentats, avec la mise en place de l’état d’urgence. Mais sans renier ses positions inflexibles. « La boule au ventre » « Il n’y a pas, d’un côté, une réponse sécuritaire et de l’autre, une réponse sociale. C’est une vision dangereuse du problème (…) La culture de l’excuse, je ne l’ai jamais pratiquée. Ce n’est pas parce qu’un jeune galère, qu’il est au chômage, d’origine maghrébine et de confession musulmane, qu’il devient terroriste ou voyou », précise-t-il. Cette « réponse de la société » ne sera possible, selon le premier ministre, que par un supplément de « lucidité ». Qu’importe que certains de ses propos sur la menace terroriste aient pu paraître anxiogènes, M. Valls les assume mais récuse tout « langage bushiste ». « Ce ne sont pas mes mots qui font peur, c’est la réalité », affirme-t-il, ajoutant, les traits tirés, « la boule au ventre, je l’ai depuis janvier, elle ne me quitte pas, elle m’empêche de dormir ». Mais si son discours est autant alarmiste que volontariste, M. Valls peine à décrire dans les faits ce sursaut qu’il appelle de ses vœux. « Il faut une force morale nouvelle, un mouvement en chacun d’entre nous et collectivement », se contente-t-il de répéter, évoquant ici « la question du service national [qui] doit être posée », ou là, la place de l’islam qui « doit faire sa révolution ». Mais sans livrer davantage de précisions au moment où justement, le « peuple » semble attendre des réponses concrètes. p bastien bonnefous YES we can do both! * C’est donc avec une grande ierté que nous pouvons annoncer que les résultats des recherches que nous avons menées permettent aujourd’hui de mettre à disposition de tous les investisseurs des indices innovants qui réduisent de plus de 75 % l’empreinte carbone de leurs investissements en actions tout en créant à moyen terme plus de 50 % de richesse supplémentaire. Pour plus d’informations sur les recherches en inance de l’EDHEC et sur ces indices innovants, veuillez contacter Séverine Cibelly au 04 93 18 78 63 ou [email protected] www.scientiicbeta.com * Oui, nous pouvons faire les deux ! L’EDHEC, dans le cadre de sa stratégie Research for Business, s’est ixée l’objectif ambitieux d’être l’une des institutions académiques qui, par l’application de ses travaux de recherche, a le plus d’impact sur l’économie et les entreprises. Un des enjeux clés pour l’industrie inancière mais aussi pour l’avenir de la planète est de concilier les performances écologique et inancière. 12 | france 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 A la prison d’Osny, les petits pas de la déradicalisation La maison d’arrêt du Val-d’Oise expérimente un programme sur deux groupes de quinze détenus volontaires C’ était quelques semaines avant les attentats de Charlie Hebdo, Montrouge et l’Hyper Cacher. L’administration pénitentiaire lançait un programme expérimental pour tenter de briser la spirale islamiste dans laquelle certains détenus s’engouffrent. Ce qu’on appelle – improprement, assurent les professionnels – la radicalisation. L’Association française des victimes du terrorisme (AFVT) et l’Association dialogues citoyens (ADC), chargées fin 2014 de piloter ce programme, s’apprêtent à rendre, un an après, dans un contexte bien différent alors que le pays est ébranlé par un deuxième épisode terroriste majeur, leur rapport de mission. Ils se montrent d’autant plus prudents qu’ils savent que l’attente des politiques comme de l’opinion sur ce sujet est énorme. Aussi la direction de l’administration pénitentiaire ne souhaitaitelle pas communiquer, à ce stade, sur ces expériences. Mais jeudi 26 novembre, Le Monde a pu accompagner Sébastien Pietrasanta, député PS des Hauts-deSeine, qui avait demandé, comme le lui autorise depuis peu la loi, à visiter l’une des prisons pilotes de ce programme. « Nous ne faisons pas de lavage de cerveau. Notre objectif est d’assécher le vivier potentiel de recrues » STÉPHANE LACOMBE directeur adjoint de l’Association française des victimes du terrorisme La maison d’arrêt du Val-d’Oise, à Osny, a organisé cette année deux sessions de six semaines, pour quinze détenus volontaires chaque fois. « Ce n’est pas gagné, mais nous avons quelques indices positifs », assure Renaud Seveyras, le directeur de cet établissement, qui accueille 815 détenus pour 580 places. Les groupes comprenaient des prisonniers condamnés ou poursuivis pour terrorisme (dont certains de retour de Syrie), des détenus de droits communs mais identifiés comme étant engagés dans un processus de radicalisation et une poignée de « leaders positifs » susceptibles de produire un effet d’entraînement. BU D GET R ELI GI ON Le Sénat vote l’augmentation des crédits de la défense Un prêtre traditionaliste relevé de ses fonctions Le prêtre Hervé Benoît, qui exerçait comme chapelain à la basilique lyonnaise de Fourvière, a été déchargé de toute responsabilité pastorale. Le religieux avait publié, le 20 novembre, une tribune sur le site traditionaliste Riposte-catholique .fr, dans laquelle il décrivait les terroristes comme les « frères siamois » des spectateurs du Bataclan. Le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, a demandé au Père Benoît « de se retirer immédiatement dans une abbaye pour prendre un temps de prière et de réflexion ». Les sénateurs ont adopté à l’unanimité, vendredi 27 novembre, un amendement du gouvernement augmentant de 273 millions d’euros les moyens de la défense dans le projet de budget 2016. Cette décision, annoncée par François Hollande devant le Congrès, fait suite aux attentats du 13 novembre. L’essentiel de cette somme (203,5 millions) sera destiné à l’acquisition de munitions, notamment en raison de l’intensification des frappes aériennes en Syrie et en Irak. – (AFP.) DORMEZ MIEUX SOULAGEZ VOTRE DOS A PRIX EXCEPTIONNELS MATELAS - SOMMIERS ixes ou relevables - toutes dimensions TRECA - TEMPUR - DUNLOPILLO - EPEDA - SIMMONS - STEINER - BULTEX... Matelas TRECA Gamme Hôtel A partir de 530 € couchage 140x190 Existe aussi en 160x200 CANAPES - SALONS - RELAX CONVERTIBLES - CLIC-CLAC pour couchage quotidien DIVA - NICOLETTI - BUROV - SITBEST... Canapé Convertible A partir de 990 € couchage 140x190 grand choix de tissus 50 av. d’Italie 75013 PARIS 247 rue de Belleville 75019 PARIS 148 av. 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Puis vient « le retour sur soi et le travail sur un projet d’avenir qui passe par une confrontation avec des victimes du terrorisme et des repentis », explique celui qui fait tourner l’établissement avec 130 surveillants (compte tenu des postes vacants et des arrêts maladie) pour un effectif théorique de 170. Mme Blin et M. Seveyras sont à l’unisson : « Cela a fait bouger des choses, chez certains détenus. » Pas tous. « Chez d’autres, nous les sentons plus fragiles, ils peuvent basculer d’un côté ou de l’autre », reconnaît le directeur d’Osny. « Ceux-là, on ne les lâche pas », prévient-il, ambitieux et combatif. Restent ceux « pour lesquels il n’y a pas d’espoir… on se dit qu’il ne faut pas qu’ils sortent ». Un imam supplémentaire Stéphane Lacombe, directeur adjoint de l’Association française des victimes du terrorisme, absent d’Osny lors de la visite de M. Pietrasanta, confirme, lors d’un entretien téléphonique, le but du programme : « Il y a peu de chance d’arriver à faire quelque chose avec ceux qui sont totalement fanatisés, car nous ne faisons pas de lavage de cerveau. En revanche, notre objectif est d’assécher le vivier potentiel de recrues. » « Nous devons travailler sur le bas de la pyramide », précise Mme Blin, un travail de longue haleine. Ces deux sessions de six semaines n’y suffisent pas. « Nous avons confronté au terrain nos outils académiques pour les faire évoluer », explique M. Lacombe. Cette expérience devrait permettre à l’administration pénitentiaire d’écrire une méthodologie, pour étendre en 2016 à d’autres établissements ce type de travail, et surtout le maintenir dans la durée avec des personnels qualifiés. D’autres leçons seront tirées pour définir le régime qui sera appliqué aux cinq quartiers (FleuryMérogis, Osny, Lille-Annœullin et deux à Fresnes) qui sont consacrés aux personnes identifiées radicalisées. A la maison d’arrêt d’Osny, les derniers travaux sont en cours pour accueillir fin janvier 2016 vingt détenus, qui, cette fois, ne seront pas volontaires. Ils seront regroupés pour six mois dans une aile du bâtiment, en cellule individuelle et avec une cour de promenade qui leur sera spécifique. Le programme s’inspirera de ce qui a été fait cette année, mais en plus intense et élargi, avec notamment des cours d’alphabétisation et d’autres sur les valeurs républicaines. Un aumônier musulman supplémentaire devrait être recruté pour ce quartier. Osny n’en comptait qu’un jusqu’au mois dernier. Il assure la prière du vendredi dans la salle polycultuelle, qui est mosquée le vendredi, temple le samedi, église le dimanche, et synagogue plus épisodiquement. Un second, un imam, est arrivé récemment : il se consacre aux rencontres individuelles avec les prisonniers qui le souhaitent… VERBATIM Nous prenons très au sérieux la question de la radicalisation en prison. Nous avons conforté le régime de surveillance pour les détenus radicalisés ou en cours de radicalisation.” “ Christiane Taubira ministre de la justice, en réponse à une question du député (LR) David Douillet, mercredi 25 novembre à l’Assemblée nationale. Ces programmes seront-ils suffisants compte tenu de l’ampleur du phénomène et de la fulgurance de certaines vocations ultraviolentes ? Ce n’est pas sûr. Le rapport de visite du contrôleur général des lieux de privation de liberté, établi au printemps, faisait état « avec certitude » de contacts maintenus par certains détenus d’Osny avec le Yémen ou la Syrie. Il notait également que le fond d’écran à la mode, observé sur les téléphones portables récupérés lors des fouilles, est le drapeau de l’organisation Etat islamique. p jean-baptiste jacquin Dans les banlieues, demande de sécurité et crainte des « regards de travers » Des militants associatifs redoutent des dérapages liés à la mise en place de l’état d’urgence L a peur, on essaie de la mettre de côté. » C’est comme un refrain qu’on entend du Blanc-Mesnil à Sarcelles en passant par Clichy-sous-Bois et Cergy. Comme les Parisiens, les habitants de ces banlieues de Seine-SaintDenis et du Val-d’Oise continuent à vivre, travailler, faire leurs courses, malgré l’état d’urgence. Après les attentats, ils ont comme tout le monde été horrifiés, sidérés. Ils sont aussi inquiets des conséquences des mesures de sécurité mises en place, surtout dans leurs quartiers où le rapport à la police est souvent fait d’incompréhension et de suspicion réciproque. Ce lundi 23 novembre, une dizaine de retraitées sont réunies à la Maison des Tilleuls, local associatif au cœur de ce grand ensemble du Blanc-Mesnil (Seine-SaintDenis). L’une est venue avec des biscuits, l’autre avec une brioche. Certaines avec un fichu sur la tête ou un voile plus coloré, d’autres « en cheveux ». Ces mamies de banlieue, qui ont demandé que leur nom ne soit pas cité, s’investissent dans le Tilia, le café associatif des Tilleuls, ou dans le collectif Quelques-unes d’entre nous. Depuis le 13 novembre, elles ont peur, sortent moins. L’islam rigoriste en accusation La proclamation de l’état d’urgence leur paraît normale, les rassure même. « Avec des policiers et des militaires partout, on se sent en sécurité. Pour moi, ce sont les anges de la ville », assure Fatma, 67 ans. Son fils et ses neveux étaient au Stade de France le 13 novembre. Comme toutes celles autour de la table, elle a suivi à la télévision les scènes d’horreur. Très vite, après le refrain obligé du « il faut continuer à vivre », les critiques affleurent sur la politique de renseignement et de lutte contre l’islam radical. « Pourquoi on les laisse rentrer de Syrie sans les stopper, [pourquoi] ils passent les frontières sans être repérés ? » demande Brigitte, 59 ans, mère d’un jeune métis. « La sécurité, on ne la voit pas beaucoup en banlieue : il n’y a pas de policiers, ni de militaires » MOHAMED MECHMACHE président du collectif ACLefeu D’autant qu’à les entendre, ces phénomènes de radicalisation ne datent pas d’hier. « J’ai travaillé à Roissy, et déjà il y a quinze ans, il y avait des intégristes », raconte Cybeline, une retraitée d’origine indienne. Au fil des échanges, l’islam rigoriste est mis en accusation. Elles l’ont vu gagner ces franges fondamentalistes très minoritaires mais très visibles dans les rues du Blanc-Mesnil. « On a trop laissé faire », tranche Fatma. Elles qui pratiquent un islam discret ont toutes une anecdote sur ces jeunes ultraorthodoxes qui ont « mis l’islam à l’envers ». « L’autre jour, chez le dentiste, une femme a refusé de serrer la main du médecin. Et après, elle est allée ouvrir grand la bouche devant ses yeux ! », s’exclame Fatma. Fatiha, une Algérienne aux cheveux blonds, raconte un repas chez une amie. Deux des filles portaient le jilbab (longue robe couvrant le corps) : « Se cacher alors qu’on était entre femmes, d’où ça sort ça ? », s’indigne-t-elle. Les convertis, à leurs yeux, sont les pires, disent-elles. « L’Etat a été trop laxiste », s’agace Béatrice, 59 ans. Avec les attentats, pourtant, ces mères craignent une stigmatisation renforcée : « On sent les regards de travers, surtout quand on porte un foulard », souffle Houria. Cette demande de plus de sécurité est parfois plus ambivalente. « La sécurité, on ne la voit pas beaucoup en banlieue : il n’y a pas de policiers ni de militaires. Comme si, pour les politiques, les attentats ne pouvaient se dérouler qu’à Paris », dit Mohamed Mechmache, président du collectif ACLefeu à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). A ses yeux, le seul antidote, est de « rester unis, se rassembler ». C’est aussi le sentiment de Moussa Camara, responsable du collectif Agir pour réussir à Cergy (Val-d’Oise) : « Avec l’état d’urgence, tout le monde se sent pris en otage. C’est une période difficile, et ça peut engendrer des divisions. Evitons de ressortir les vieux débats sur l’intégration ou la place de l’islam », prévient le jeune homme. « Des perquisitions pour rien » A Sarcelles (Val-d’Oise), dans le café sur la dalle du grand ensemble, ils sont quatre membres de l’association Made in Sarcelles à discuter, jeudi 26 novembre. Sans crainte particulière, même si tous connaissent quelqu’un touché par ces événements sanglants. « On n’a pas peur, il y a la police partout », ricane même Frédéric Bride, qui travaille dans un label de musique. A ses yeux, « l’état d’urgence arrange le gouvernement, car plus personne ne va bouger un sourcil ». Nabil Koskossi, directeur d’un service jeunesse, est plus mesuré : « Dans un premier temps, c’était nécessaire pour coincer les mecs. Mais plus le temps passe, et plus on a des perquisitions pour rien. » Il y en aurait eu trois à Sarcelles, selon lui : « On a cassé des portes, mis à sac des appartements, et rien ! » Luis Duarte, retraité aux origines cap-verdiennes et sénégalaises, ne veut pas terminer sur une note si sombre : « J’ai l’espoir d’une cohésion plus forte maintenant. Il va y avoir une grande rencontre nationale. » p sylvia zappi Ce dimanche à 12h10 MAHAMADOU ISSOUFOU Président de la République du Niger répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE), Sophie Malibeaux (RFI), Christophe Châtelot (Le Monde). Diffusion sur les 9 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr 0123 MOBILIER, LITERIE, CANAPÉS, LUMINAIRES, TAPIS... 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Nous en avons quasiment tous entendu parler. Mais c’est un sujet si complexe que bien peu de gens, hormis les spécialistes, le comprennent. Je vais donc tenter de l’exposer aussi clairement que possible à l’aide d’une représentation schématique des chaînes de cause à effet pour vous permettre de suivre mon propos. Le point de départ est la population mondiale et l’impact climatique moyen par individu, c’est-à-dire la quantité moyenne de ressources consommées et de déchets produits par personne et par an. Chacune de ces trois quantités augmente d’année en année. L’activité humaine génère du dioxyde de carbone (CO2) et libère ce gaz dans l’atmosphère, principalement par la combustion d’énergies fossiles. L’autre gaz le plus impliqué dans le changement climatique est le méthane, qui se rencontre en moindres quantités et est actuellement moins important que le CO2, mais dont le rôle pourrait s’accroître par un effet retour : le réchauffement climatique fait fondre le pergélisol – l’ensemble des sols gelés des régions arctiques –, qui libère du méthane, ce qui provoque plus de réchauffement et libère plus de méthane… L’effet premier le plus reproché à l’émission de CO2 est d’agir comme un gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Cela traduit le fait que le CO2 absorbe une partie du rayonnement infrarouge de la Terre, augmentant par contrecoup la température de l’atmosphère. Il existe deux autres effets premiers à l’émission de CO2. Tout d’abord le CO2 que nous produisons est stocké non seulement dans l’atmosphère, mais aussi dans les océans. L’acide carbonique résultant élève le taux d’acidité des océans, qui est déjà plus élevé qu’à n’importe quelle époque des quinze derniers millions d’années. Cela dissout les coquillages des coraux, entraînant la mort des récifs coralliens, qui sont à la fois des aires de reproduction et de nourricerie majeures de la faune marine, et des zones de protection des littoraux tropicaux et subtropicaux contre les vagues et les tsunamis. A l’heure actuelle, les récifs coralliens de la planète reculent de 1 % à 2 % par an, ce qui signifie qu’ils auront tous disparu avant la fin de ce siècle, entraînant l’effondrement de la disponibilité des produits de la mer et des menaces sur la sécurité des zones côtières tropicales. Ensuite, notre émission de CO2 impacte directement la croissance des plantes, en bien comme en mal. L’effet le plus critique de l’émission de CO2 est cependant celui que j’ai mentionné en premier : l’élévation de la température de l’atmosphère. C’est ce que nous appelons le réchauffement global. Mais cet effet est si complexe que l’expliquer par ces termes est trompeur. Premièrement, parler de chaînes de cause à effet signifie que l’élévation de la température de l’atmosphère peut amener paradoxalement certaines zones à se refroidir plutôt qu’à se réchauffer. Deuxièmement, l’augmentation de l’instabilité climatique est presque aussi impor- SI LES ÊTRES HUMAINS MOURAIENT OU CESSAIENT DE RECOURIR À DES COMBUSTIBLES FOSSILES, L’ATMOSPHÈRE N’EN CONTINUERAIT PAS MOINS DE SE RÉCHAUFFER PENDANT DES DÉCENNIES Augmentation de la quantité de CO2 dans les océans Effets du CO2 sur la croissance des plantes Ac idité 0 Température de surface en hausse 2.0 5.0 7.0 8.0 14 Acidification des océans Baisse des pluies Instabilité du climat Mort des récifs coraliens Conflits liés au manque d’eau Fonte Tempêtes des calottes glaciaires et inondations et des glaciers Baisse de la production alimentaire agricole Propagation de maladies tropicales Conflits alimentaires, famine Baisse des ressources halieutiques Hausse du niveau des mers Ouverture de routes maritimes liées à la fonte des glaces Inondation des plaines côtières SOURCE : JARED DIAMOND tante pour les sociétés humaines que la tendance au réchauffement global : tempêtes et inondations à répétition, épisodes de canicule de plus en plus chauds, mais aussi pics de froid de plus en plus intenses, avec des effets tels que les récentes chutes de neige en Egypte ou la vague de froid qui s’est abattue sur le nord-est des Etats-Unis. Cela conduit les politiciens climatosceptiques, qui ne comprennent rien au changement climatique, à insinuer que de tels faits réfutent sa réalité. FACTEURS D’AMPLIFICATION Troisièmement, il existe de tels décalages temporels, à commencer par les lents processus d’accumulation et de libération du CO2 par les océans, que même si la totalité des êtres humains mouraient ou cessaient à compter d’aujourd’hui de recourir à des combustibles fossiles, l’atmosphère n’en continuerait pas moins de se réchauffer pendant des décennies. Quatrièmement, de puissants facteurs d’amplification non linéaires pourraient amener le monde à se réchauffer beaucoup plus rapidement que ne le suggèrent les projections actuelles, qui postulent des relations linéaires entre causes et effets. Citons parmi ces facteurs la fonte du pergélisol et le possible effondrement des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique. Concernant les conséquences de la tendance au réchauffement moyen de la planète, j’en mentionnerai quatre. La plus évidente dans de nombreuses parties du monde est la sécheresse. Par exemple, 2015 sera l’année la plus sèche de l’histoire de ma ville, Los Angeles, depuis qu’y ont débuté les relevés météorologiques, dans les années 1800. Les sécheresses sont, comme on le sait, des fléaux pour l’agriculture. Celles causées par le changement climatique planétaire s’abattent inégalement sur la surface du globe : les zones les plus touchées sont l’Amérique du Nord, le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient, l’Afrique, les terres agricoles ¶ Jared Diamond est professeur de géographie à l’université de Californie, à Los Angeles. Il est l’auteur de bestsellers planétaires, parmi lesquels « Le Troisième Chimpanzé » (1991), « Pourquoi l’amour est un plaisir » (1997), « Effondrement » (2005) et « Le Monde jusqu’à hier » (2012), tous publiés aux éditions Gallimard. Chercheur touche-à-tout, qui emprunte à différentes disciplines – archéologie, agronomie, histoire, et bien d’autres –, il a construit une œuvre ambitieuse qui cherche à penser les interactions entre l’homme et la nature. Jared Diamond s’est particulièrement intéressé à ces sociétés qui ont soudainement disparu, emportées par une dégradation brutale de leur environnement. Ses livres mettent par exemple en scène le destin de l’île de Pâques, de la civilisation maya, ou des Vikings du Grand Nord. A travers ses différents livres, il en appelle à une prise de conscience sur les dangers du changement climatique. du Sud australien et l’Himalaya. Le seul manteau neigeux himalayen approvisionne en eau la Chine, le Vietnam, l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh, et ces pays n’ont que rarement su régler de manière pacifique les conflits qui les opposent. Une deuxième conséquence de la tendance au réchauffement moyen est la diminution des cultures vivrières. La diminution de la production alimentaire est un problème parce que des projections prédisent une augmentation de 50 % au cours des prochaines décennies de la population mondiale, du niveau de vie général, et donc de la consommation de la nourriture, alors que des centaines de millions de personnes souffrent déjà de la sous-alimentation. Une troisième conséquence de la tendance au réchauffement moyen est que les insectes porteurs de maladies tropicales commencent à coloniser les zones tempérées. Les problèmes sanitaires qui en découlent concernent à ce jour l’arrivée de l’épidémie de chikungunya en Europe, la propagation de la dengue et de maladies transmises par les tiques aux Etats-Unis, ainsi que celle du paludisme et de l’encéphalite virale. La dernière conséquence de la tendance au réchauffement à considérer est la hausse du niveau des mers. Selon des estimations prudentes, l’élévation moyenne attendue au cours de ce siècle serait de 1 mètre, mais on sait qu’il y a eu dans le passé des hausses atteignant 10 mètres. La principale incertitude à ce sujet concerne le possible effondrement des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique. Mais même une hausse moyenne de seulement 1 mètre, amplifiée par les tempêtes et les marées, serait suffisante pour compromettre l’habitabilité de la Floride, des basses terres du Bangladesh et de nombreuses autres zones densément peuplées. Des amis me demandent parfois si le changement climatique peut avoir des effets positifs pour les sociétés humaines. Oui, il pourrait y en avoir quelques-uns, comme l’ouverture de voies de navigation en eaux libres dans le Grand Nord du fait de la fonte de la banquise arctique, ou la probable augmentation de la production céréalière dans des zones telles que les provinces centrales du Canada, par exemple. Mais la plupart des effets à en attendre seront désastreux. RÉDUIRE LES ACTIVITÉS HUMAINES Existe-t-il des solutions technologiques rapides à ces problèmes ? Vous avez peut-être entendu parler de la géo-ingénierie, consistant à injecter des particules dans l’atmosphère ou à en extraire le CO2 afin de la refroidir. Mais aucune de ces approches n’a été réellement testée et encore moins mise en œuvre. Outre qu’elles seraient très coûteuses, les expérimentations nécessaires demanderaient beaucoup de temps et s’accompagneraient d’effets secondaires tels qu’elles auraient toutes les chances de détruire la planète dix fois avant de voir la géo-ingénierie produire le moindre effet positif. C’est pourquoi la plupart des scientifiques la considèrent comme potentiellement trop dangereuse pour être autorisée. Tout cela veut-il dire que l’avenir de la civilisation humaine est sans espoir et que nos enfants sont certains de finir dans un monde invivable ? Bien sûr que non. Le changement climatique étant principalement causé par les activités humaines, tout ce que nous avons à faire pour le contenir est de réduire les activités humaines. Cela implique de brûler moins de combustibles fossiles et d’augmenter la part des énergies renouvelables, comme le nucléaire, l’éolien et le solaire. Si les Etats-Unis et la Chine parvenaient à eux seuls à un accord bilatéral de réduction des émissions de CO2, cela concernerait déjà 41 % de leur volume global actuel. Si l’Union européenne, l’Inde et le Japon nous rejoignaient, cela couvrirait 60 % des émissions mondiales. Le seul véritable obstacle est le manque de volonté politique. p 16 | enquête 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 Caroline Dos Santos et Julien Boudot, dans leur bureau de Canal+, à Boulogne- Billancourt, le 25 novembre. JEAN-FRANÇOIS JOLY POUR « LE MONDE » annick cojean S’ extraire de l’horreur. Hébétés, ahuris, encore dans l’épouvante. Et courir dans la nuit. Survivants ! Chercher désespérément un taxi au milieu des sirènes. Et se serrer l’un contre l’autre tandis que la voiture file sur les berges de la Seine et s’éloigne de ce théâtre de guerre. Incrédules. Pleins de larmes et de frissons. Avec l’urgence de vivre. De se marier, très vite, comme une évidence. Et de se faire tatouer sur le corps le titre de la chanson et la date associés à jamais à cette soirée funeste et à la renaissance. « Kiss the Devil 13.11.2015 ». La mort, au Bataclan, a frôlé leur échine. Ils commencent par la fin pour narrer l’événement, dévoilant, dix jours plus tard, leur avant-bras tatoué. Ils sont encore à vif, fatigués et fébriles. Sans blessure apparente mais totalement meurtris. « Je suis à la fois Jeanqui-rit et Jean-qui-pleure, confesse Caroline Dos Santos, 37 ans. J’oscille en permanence. » Julien Boudot, 36 ans, la tête entre les mains, a le regard perdu vers un lieu que lui seul peut voir. « C’est un truc de malade d’être là ! Il y a eu 89 morts ! Et ça aurait pu être tellement pire. Des milliers de balles ont été tirées, j’entendais les douilles tomber pas loin de nous. » Il se tourne vers sa compagne. « Mais tu sais quoi ? Au fond de moi, il y a de la joie. Cette joie ressentie quand je t’ai entendue hors de la salle et que j’ai compris que tu étais sauve ne m’a plus quitté. Et quand les gosses disent : “Papa, papa”, c’est inouï la vague qui me submerge. » Elle sait. Ils ont trois enfants : 6 ans, 4 ans, 15 mois. Et elle se souvient de s’être dit, allongée sous des corps, dans la fosse du Bataclan : « On ne peut pas mourir. Ils sont trop petits ! » « ON EST SUPER HEUREUX » Ce vendredi 13 novembre s’annonçait pourtant radieux. Le couple Dos Santos-Boudot, qui travaille à Canal+ pour une émission musicale quotidienne, a pris une baby-sitter et se réjouit d’être invité, avec toute l’équipe, pour aller voir au Bataclan les Eagles of Death Metal, un groupe qu’il connaît bien pour l’avoir déjà enregistré en concert. « De vrais gentils, dit Julien. Drôles, amoureux de Paris et de rock californien. Rien à voir, en fait, avec le heavy metal. Leur nom est une blague. Ce groupe n’est que fun. » Ils arrivent à moto, Caroline récupère les billets à l’entrée de la salle auprès de Thomas Ayad, du label Mercury, avec qui elle plaisante un moment pendant que Julien dépose au vestiaire casques et blousons. Ils retrouvent également deux amis de Canal, Arnaud et Mathieu, et s’installent à gauche de l’entrée, contre la console son. L’ambiance, d’emblée, est survoltée. « Je suis sidéré, dit Julien. D’habitude, les bobos de Paris, c’est un peu des zombies ! » Pas ce soir-là. Ça chante, ça danse, ça crie. « A la moitié du premier morceau, il y a déjà des slammeurs, et des bières volent dans tous les sens. Un joyeux bordel ! » Les slammeurs sont ces spectateurs qui se jettent depuis la scène, surfant au-dessus de la foule. C’est très chaud, et le groupe clame sa joie d’être à Paris, « meilleure date de sa tournée ! » Quand s’achève la chanson fétiche du couple, Julien plaisante : « C’est bon, on peut y aller ! » Boire une bière par exemple. Et le couple se dirige vers le bar, croisant au passage le pote Nick Alexander, qui s’occupe du merchandising du groupe, et son amie, Helen. Caroline est tentée de rester sur ce stand qui, légèrement surélevé, permet de mieux voir la scène. Mais elle rejoint Mathieu et ses copains. Il est 21 h 30. Le groupe entame Kiss the Devil. Les amis dansent, se frôlent, balancent. « On est super heureux. » C’est alors que débutent les premiers tirs. « DES TIRS, DES TIRS, DES TIRS » « Je pense qu’un truc électrique a craqué, dit Caroline. Mais des gens visiblement s’affolent. – Moi, je ne tourne même pas la tête. Je me dis : c’est la pompe à bière qui a pété. » Mais les tirs reprennent. En rafale. Caroline : « Des tirs, des tirs, des tirs. Je veux me retourner, je ne peux pas, je suis éjectée en avant, des gens me tombent dessus en hurlant, j’appelle Julien, il me tend la main, et puis il tombe, piétiné lui aussi, plein de gens nous dégringolent dessus, c’est comme un domino. » Et les tirs se poursuivent. « Il n’y a pas de répit. C’est une éternité. J’ai le visage écrasé contre le sol, étouf- « Je t’aime. On ne doit pas mourir » Bataclan, 21 h 40, le 13 novembre. Caroline et Julien, 37 et 36 ans, parents de trois enfants, assistent au concert des Eagles of Death Metal. Récit de deux survivants fée. Julien me souffle : “Tu respires, bébé ? Tu respires ?” Il tente de me dégager la tête. Mais je comprends très vite qu’il ne faut pas bouger. Qu’il faut fermer les yeux et faire la morte. Une horrible odeur de poudre me prend la gorge. » Julien ne sent pas la poudre. « J’ai le bras sur toi, dit-il, poursuivant le récit de sa compagne. En fait, je t’ai rattrapée par terre avant de m’étaler. Je fais le bras dur pour que les autres ne t’écrasent pas, mais il y a des mecs dessus, dessous. C’est effarant. Et ça mitraille. Dix bonnes minutes. Dix ! Je glisse au type qui est sur mon bras : “Excuse-moi, mec, mais t’écrases ma meuf.” Il te chuchote : “Ça va, ma puce ?” en tapotant ta tête. Je me souviens que ça m’énerve. Je ne réalise pas encore à ce moment-là. » « FAUT PAS QUE JE BOUGE » Caroline réalise. Un carnage est en cours. Elle ne sait pas qui tire. Elle pense aux enfants. « J’ai conscience qu’on est en train de mourir. J’attends le moment où on va prendre une balle, sentir une grande brûlure qui nous transpercera le corps. Je n’entends ni cris ni gémissements. Pourtant, on meurt tout près de moi. » « Tu ne pouvais pas entendre les cris puisqu’il y avait ces tirs ! Papapapapa. Non-stop ! J’ai encore des acouphènes, des fois je perds mon oreille droite. Ils ont vidé plusieurs chargeurs. Je pensais : ils n’auront plus de munitions. Mais si. Ils rechargent calmement : kling kling. Et ça repart. » Soudain un grand silence. Et quelques coups ponctuels. Les terroristes marchent dans la fosse. Achèvent ceux qui gémissent ou esquissent un mouvement. Caroline : « On est tétanisés. Chaque coup de feu – pounc, pounc – est suivi d’un gémissement. » « Je suis à califourchon sur toi. Au niveau de mon visage, j’ai la jambe pleine de sang d’un mec qui s’est pris une balle. Je me dis : faut que je fasse comme lui si je m’en prends une, faut pas que je bouge. Mais, en y repensant, il était mort. Je pense qu’à tout moment, ma tête peut exploser et que je vais passer de l’autre côté sans dire “je t’aime” à ma meuf. Du coup, je le CAROLINE RÉALISE. UN CARNAGE EST EN COURS. ELLE NE SAIT PAS QUI TIRE. ELLE PENSE AUX ENFANTS. « JE N’ENTENDS NI CRIS NI GÉMISSEMENTS. POURTANT ON MEURT TOUT PRÈS DE MOI » lui dis. Et puis je rajoute : “Mais c’est pas maintenant qu’on doit mourir.” » Les tirs ont stoppé. Le silence est terrible. Qui est mort ? Qui est vivant ? Les corps sont enchevêtrés. Julien bouge le bras pour tenter d’attraper son portable. « Bouge pas », supplie Caroline. Et Julien se dit aujourd’hui que beaucoup ont dû mourir pour avoir tenté d’appeler la police. A nouveau quelques tirs, mais bien plus éloignés. Julien : « Faut se barrer, j’me dis. Suis pas un lapin. J’aperçois une sortie de secours ouverte derrière des portes battantes. Je vois même un mec s’enfuir. C’est le moment ! Je prends la main de Caro et la tire. Et là, je ne sais plus rien, c’est l’amnésie. Je sais juste que je cours. » Caroline ne bouge pas, tétanisée, certaine qu’elle va entendre le bruit d’une balle et que Julien va s’effondrer à deux mètres d’elle. Il a couru « plus vite que la lumière » et se retrouve derrière la fameuse porte. « Caro m’a lâché la main et je ne peux pas le croire. Une putain d’angoisse m’envahit. Je rouvre la porte et je gueule dans ce silence de fou : “Caro ! Caro ! Sors ! Tu peux le faire !” » Sa voix résonne dans tout le Bataclan. Mais rien ne se passe. La porte entrouverte par Julien donne le signal à quelques personnes qu’une issue est possible. Plusieurs se faufilent, mais glissent dans une marre de sang et s’étalent tous dans l’escalier. « Mon cœur pulse. Je me dis qu’il doit y avoir 15 000 Caro. Alors je gueule : “Caro, c’est Julien !” Mais il doit y avoir aussi 15 000 Julien. Alors je sors mon surnom. “Caro ! C’est Chaton ! Sors ! Sors !” Et je gueule à m’éclater la gorge, désespéré. » « ILS ACHÈVENT LES GENS » Caroline a entendu Julien. Ce n’est que maintenant qu’elle ose ouvrir les yeux. Autour d’elle, oui, « l’apocalypse ». Les gens sont morts. Elle entend un tueur dire calmement à l’autre : « Viens, allons par là-bas. On reviendra ici après. » Il n’y a plus à hésiter. Elle rampe lentement, angoissée à l’idée d’attirer l’attention, se glisse sous une barrière protégeant la console et d’un coup se relève pour courir vers la porte « Je ne sais plus trop comment, je veux juste sauver ma peau. Je dérape à mon tour dans le sang, et j’atterris dehors, face à un flic qui me crie dessus pour que je détale. Mais Julien n’est pas avec moi. Alors c’est moi qui hurle : “Je suis là, bébé !” On m’entend dans la vidéo du journaliste du Monde. » Elle retourne dans le sas du Bataclan. « Je l’avais pas vue ! Je me planquais derrière la porte entre deux gueulements dans la salle. Quand j’ai entendu sa voix dehors, pfff. Mon cœur a explosé de joie. » Il faut courir, car les tirs reprennent, les terroristes visent les gens qui fuient. Caroline craque. « Je ne peux plus marcher, plus parler, je pense aux enfants. » Dans la rue, il y a des corps, de grands blessés, des jeunes en état de choc. Se pourrait-il que les terroristes fassent sauter plusieurs lieux de concerts ? Caro y pense soudain, tant d’autres amis sont dispersés dans d’autres salles. Il faut les prévenir. « Julien appelle notre boss à La Cigale, qui croit d’abord à une blague jusqu’à ce que le proprio du Bataclan, juste en face de lui, reçoive à son tour un appel l’avertissant du drame. » Et puis il y a les amis restés dans la fosse. Arnaud, Mathieu… Les textos du premier leur parviennent en salve. « Ils arrivent », « ils achèvent les gens », « putain faut des secours, c’est un massacre », « voilà le numéro de mon père… », « dis-lui que je l’aime », « je vous kiffe les amis », « putain c’est la fin ». « TIENS BON, LES KEUFS ARRIVENT » Il n’est que 22 h 50. Caro prend le relais des textos pour dire : « tiens bon », « tu meurs pas ce soir », « les keufs vont rentrer… » Julien ne cesse de composer le 17. « J’enrage, il faut donner l’assaut, ça crève dans la salle, et le 17 sonne à vide. » L’amie de Nick Alexander les avertit qu’il vient de mourir dans ses bras. Caroline écrit un message à Thomas Ayad, sur Facebook : « Dis quelque chose ! » Il ne répondra pas. C’est l’un des premiers morts. Le couple s’est réfugié dans une famille dont l’appartement, au dernier étage, jouxte le Bataclan et d’où ils entendent l’assaut de la police. Mais ils veulent vite partir, retrouver leurs amis, leurs enfants. Le témoignage de Julien, qui a parfaitement vu le visage d’un terroriste, intéresse les policiers. On veut les transférer au 36, quai des Orfèvres. Caro insiste : « Demain, je vous jure qu’on revient demain. » Ils se rendront le lendemain matin au 36. Ils témoigneront, du mieux qu’ils peuvent, et déposeront une plainte. Julien y tient et s’y accroche. Caro se demande à quoi bon. Mais quand le policier lui déclare, très calmement : « Madame, vous êtes victime d’un attentat », elle s’effondre. « Il met des mots sur ce que nous avons vécu. » Et tout devient réel. p les attaques terroristes à paris | 17 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 La Californie et le design Keith Richards, Modiano et la tribu Nohemi Gonzalez Suzon Garrigues Quand le professeur Michael LaForte pense à Nohemi Gonzalez, ce qui lui revient en mémoire, c’est son « énergie ». Son appétit de découvrir un monde plein de promesses. Et, bien sûr, son sourire, généreux, pétillant. Tous les proches de l’étudiante l’évoquent, ce sourire. Il est là, sur la photo géante de la cérémonie aux bougies qui s’est tenue le soir du 15 novembre sur « l’esplanade de l’amitié » du campus de l’université, en présence de plus de 2 000 personnes. Nohemi sourit à la vie, confiante, rayonnante, un rien espiègle. Fille d’immigrants mexicains installés à Whittier (Californie), dans l’est de Los Angeles, Nohemi, 23 ans, était la première de sa famille à suivre des études supérieures. Pour les payer, elle avait pris un petit boulot à l’atelier de travaux pratiques de l’université de l’Etat de la Californie à Long Beach (CSULB). C’est là qu’elle a découvert le design, qui est devenu sa passion. Rapidement, elle a pris la responsabilité de l’atelier. Serviable, toujours en train d’aider ceux qui n’avaient pas fini, mais disciplinée, disent ses camarades. Il ne faisait pas bon laisser l’endroit en désordre. « Elle était petite, a confié Matias Ocana, l’un des instructeurs. Mais elle avait beaucoup de force. » Sa famille et ses amis l’appelaient « Mimi ». En quatrième et dernière année, Nohemi Gonzalez avait sauté sur la possibilité d’accomplir un semestre à l’étranger. Avec trois autres étudiants, elle a été acceptée à l’école de design Strate, à Sèvres (Hauts-de-Seine). C’était son premier séjour hors des Etats-Unis. Le 19 octobre, elle avait fêté ses 23 ans dans un restaurant parisien. Tim Mraz, son boy-friend depuis 2012, n’avait pas pu faire le voyage. Beatriz, sa maman, lui avait envoyé ses vœux sur Facebook dans un mélange d’anglais et d’espagnol : « Happy birthday de mi. » Depuis deux ans, Beatriz Gonzalez avait ouvert son propre salon de coiffure, l’Imperial Barbershop, à Lynwood, au nord de Long Beach. C’est là qu’elle s’est réfugiée, trois jours après la mort de son « bébé ». Nohemi en avait dessiné la décoration. Vendredi 13 novembre au soir, Nohemi avait rendez-vous avec un groupe d’amis, dont certains étaient venus des EtatsUnis pour visiter Paris. Ils se sont retrouvés pour prendre une bière à la terrasse de La Belle Equipe, rue de Charonne. Nohemi Gonzalez allait rentrer en Californie en février et se préparait pour la cérémonie de fin d’études en mai. Elle se destinait au dessin industriel, et se passionnait pour les objets recyclables. L’une des créations de son groupe, le « polli snack » – une boîte-emballage biodégradable et transformable – venait de recevoir le deuxième prix dans un concours international de design. L’avenir lui souriait. p Suzon Garrigues avait offert cette place de concert des Eagles of Death Metal à son jeune frère, Paul, pour ses 17 ans. Paul a échappé par miracle à la mort. Suzon a été tuée sur le coup, à 21 ans. Passionnée de Keith Richards, fan de rock, elle était au centre d’une tribu recomposée, avec son père et sa bellemère, son frère, Paul, ses deux demi-sœurs, Roxane, 29 ans, et Salomé, 12 ans, son demi-frère, Tristan, 27 ans, et… Cacou, le chat. Ils avaient pour habitude de se retrouver tous les dimanches soir pour des dîners joyeux, dans l’appartement familial rue de Charonne, dans le 11e arrondissement de Paris. Ils partaient aussi chaque année tous ensemble en vacances, surtout en Italie, pour partager l’amour de la peinture. La mère de Suzon, Sabine, professeure de yoga, n’habitait pas très loin et participait à toutes les réunions familiales. Suzon était allée la retrouver l’an dernier en Inde ; elle en était revenue éblouie. Excellent cuisinier, son père partageait avec Suzon la passion des bons petits plats. Elle adorait le ris d’agneau, les huîtres, les truffes et le vin rouge, et pardessus tout « l’osso-buco de son père ». Suzon venait de prendre un appartement à Paris avec son amie d’enfance Margaux, qui se souvient : « Suzon aimait sortir, la musique, boire des verres, bien manger. » Barthélémy Jobert, président de l’université Paris-Sorbonne, a rendu hommage à cette brillante étudiante en troisième année de licence de lettres modernes appliquées : « Elle laisse à ses camarades le souvenir de la plus généreuse, la plus altruiste, la plus drôle des amies, et aussi d’une inconditionnelle et fidèle admiratrice de Zola. » Pas seulement : Suzon aimait aussi Modiano, venait de lire L’Espoir, de Malraux, le travail de Bernard-Marie Koltès, et tant d’autres. Elle voulait être journaliste. D’une grande sensibilité, très curieuse, et à la fois discrète, Suzon « retenait tout sur les gens, lorsque l’on se retrouvait en vacances avec une trentaine d’amis, elle se souvenait de chacun, me rappelait que c’était l’anniversaire de telle amie… C’était notre agenda », se souvient Marlène Calvignac, sa belle-mère, qui a vécu six ans avec elle. Un vibrant hommage lui a également été rendu par la ville de Maisons-Laffitte (Yvelines), où son père, Jean-Michel Garrigues, est médecin dermatologue. Margaux et Suzon étaient parties en week-end à Amsterdam il y a un an, et Suzon rêvait d’aller à Cuba, pour « louer une grande maison, apprendre à danser et boire du rhum », dit Margaux. Son père et sa belle-mère avaient retapé une maison de campagne en Normandie, pour qu’eux et leurs cinq enfants, leur « tribu adorée », puissent s’échapper de Paris. Une chambre y est aujourd’hui vide. p corine lesnes (san francisco, correspondante) pascale santi Numéro 10 et agrégé de géo « Stars Wars » et les mangas La basse et le snowboard Matthieu Giroud Matthieu de Rorthais Christophe Foultier Mardi 17 novembre, ils sont venus nombreux, dans un café parisien, saluer la mémoire de Matthieu Giroud, tué quatre jours plus tôt au Bataclan. Sa compagne, Aurélie, sa famille, ses collègues de l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée, où il enseignait la géographie, et ceux du CNRS, ses amis artistes, son copain venu de Norvège. Ils ont écouté Pearl Jam, Noir Désir ou Queens of the Stone Age, dont il espérait voir le chanteur-guitariste sur scène pendant le concert des Eagles of Death Metal, puisque le musicien se produit dans les deux groupes. « Une soirée consacrée à lui. Il aurait détesté ça, ironise son ami Hadrien Dubucs, mais ce moment était à la hauteur de ce qu’il incarnait si bien, cette capacité à être proche et attentif aux autres. » Un moment paradoxal aux yeux de ceux qui ont côtoyé ce maître de conférences de 39 ans, chaleureux et humble, qui refusait de célébrer son anniversaire mais n’oubliait jamais de fêter celui des autres. « La vie commence. La vie sans Matthieu », a réagi sa sœur Marion. La vie avec lui a comblé beaucoup de monde. Aux côtés d’Aurélie Silvestre, ils formaient « le genre de couple qui attend chaque soir avec impatience de se retrouver, qui s’échange 65 textos par jour », témoigne Fabienne Silvestre-Bertoncini, la sœur d’Aurélie. Cette dernière devra dorénavant compter sans lui pour donner le bain à Gary, 3 ans, et prendre soin de sa petite sœur qui naîtra au printemps. « Il était tellement modeste que je ne savais pas qu’il était si brillant », dit-elle, à l’instar de François Giroud, son père, décontenancé par ces hommages, « comme si on découvrait un fils plus grand que celui qu’on connaissait ». Cet enfant de Jarrie, dans l’Isère, a découvert le foot à 5 ans et la guitare basse à l’adolescence. « Sur le terrain, il était numéro 10, celui qui garde son calme, organise le jeu. Ça lui allait bien de distribuer, c’était dans son caractère », écrit dans une tribune l’universitaire Sylvain Pattieu. Après la faculté et l’agrégation décrochée en auditeur libre, il rejoint Poitiers puis Clermont-Ferrand. « Son arrivée, c’était un pavé de modernité, de créativité et d’urbanité qui tombait dans une maison un peu endormie », se souvient sa collègue Hélène Roth. Il faisait partie de « la nouvelle génération de la géographie urbaine et sociale, totalement en phase avec son temps », ajoute son directeur de maîtrise, Martin Vanier. Pour sa thèse, il avait choisi d’étudier des quartiers en voie de gentrification. « Il aimait arpenter le 10e arrondissement pour ressentir les choses, conforter son ancrage populaire », confie son ami Christophe Imbert. Sur l’ardoise du café où ils se sont réunis mardi, ses proches ont laissé ces mots : « Keep walking. » p La musique « guidait sa vie ». « Un amoureux », « un passionné » de pop, de rock et curieux des autres genres. La vie de Matthieu de Rorthais, rythmée par les concerts, s’est arrêtée pendant celui des Eagles of Death Metal, vendredi 13 novembre au Bataclan. Depuis un an, ce grand brun de 32 ans, calme et souriant, était disquaire à la Fnac de Rosny-sous-Bois (Seine-SaintDenis). « Il avait enfin trouvé sa voie », assure sa sœur Camille. Cette voie, il l’avait cherchée quelques années. Une scolarité à Saint-Mandé (Val-de-Marne), quand la famille habitait porte de Vincennes – en face de l’Hyper Cacher – puis des études d’infographie à Paris et un parcours professionnel un peu chaotique. Mais Matthieu est un battant. En 2011 et 2012, il doit affronter un cancer. Nullement abattu, il impressionne ses proches, les rassure et reste lui-même. Quelqu’un de sensible et à l’écoute, gentil et pince-sans-rire, jamais à court de saillies d’humour noir. Quelqu’un pour qui la famille importe beaucoup, proche de ses petites sœurs Camille et Pauline, de ses parents Marc et Myriam, de ses cousins. Quelqu’un « élevé dans la diversité des peuples, l’amour des différences », lui qui n’oublie pas ses origines tunisiennes par sa mère, témoigne son cousin Jérémie. La victoire sur la maladie constitue un nouveau départ pour Matthieu, qui cherche activement du travail jusqu’à son embauche à la Fnac. Le job rêvé pour ce passionné de cinéma et notamment de Star Wars, de mangas et de musique, surtout. Sans la pratiquer vraiment sur sa guitare électrique, il était devenu « une véritable encyclopédie » – utile lorsqu’il sortait avec ses amis faire des quiz musicaux dans des bars parisiens. « Cela lui a valu une bouteille de champagne par-ci, un verre offert par le bar par-là… », se souvient Camille. Tout allait bien pour Matthieu jusqu’à ce 13 novembre 2015. Il vivait « heureux » chez ses parents mais envisageait désormais de s’installer avec Chloé, sa copine depuis cinq ans. Tout en profitant pleinement de sa passion pour la musique et les concerts, parfois avec des amis, parfois seul. Sa famille a retrouvé dans sa chambre une dizaine de billets pour des concerts à venir. Dès le 16 novembre, Matthieu avait prévu d’être à Bercy pour applaudir les Foo Fighters. Son cousin Jérémie se désole : « Il aura survécu à un cancer mais ne revient pas vivant d’un concert. Si triste ironie. » p Il y a quelques jours seulement, Christophe Foultier avait trouvé le nom du groupe de rock qu’il avait monté cette année avec son meilleur ami : ce serait « Nite Nite », comme cette façon enfantine de se souhaiter bonne nuit de l’autre côté de l’Atlantique. Alors, bien sûr, depuis que des terroristes ont volé sa vie, au Bataclan, le 13 novembre, l’expression a perdu de sa connotation espiègle pour se teinter de tragique. Mais une semaine après les attentats, Rudy Flagnaud, le second membre du duo, a publié en ligne deux morceaux qui devaient figurer sur le disque qu’ils préparaient, ce projet qui tenait tant à cœur à son ami. « J’ai envie que les gens écoutent, qu’ils sachent que c’était un grand musicien et quelqu’un de génial », raconte celui qui passait avec Christophe « tout son temps libre ». D’autant que baisser les bras et laisser couler, ce n’était pas vraiment le genre du bonhomme. « Il disait toujours qu’il fallait vivre intensément et ne jamais perdre une minute, qu’on se reposerait quand on serait à la retraite », clame son épouse, Caroline Jolivet, la mère de ses deux enfants, une fille de 6 ans et un garçon de 2 ans. Il n’y a guère que les nuits blanches que lui a imposées il y a quelques mois le sommeil capricieux de son fils qui ont réussi à fatiguer le « grand brun baraque » que décrit sa femme. Ses proches dépeignent à l’unisson une aura, une bienveillance, une solidité à toute épreuve, une énergie sans cesse déployée pour pousser ses proches à aller de l’avant. « Quelqu’un d’aimable, au sens premier du terme », résume Rudy Flagnaud. A 39 ans, Christophe était directeur artistique, en free lance parce qu’il « n’aimait pas trop les cadres rigides », souffle Caroline Jolivet. Ses trucs à lui, c’était plutôt la vitesse, le skate, le snowboard, les vastes espaces et le grand air – il envisageait d’ailleurs de s’installer avec sa famille, à Vancouver, au Canada. La grande passion de sa vie était surtout la musique. Bassiste, il vadrouillait autant que possible dans les concerts avec son épouse et leur bande de copains. Caroline et Christophe adoraient aller au Bataclan, dont ils savouraient la programmation fidèle à leurs goûts, et où ils avaient assisté à leur premier concert de jeune couple. Le 13 novembre, Christophe est allé écouter les Eagles of Death Metal avec trois amis, les mêmes avec qui il avait déjà vu le groupe californien cinq mois auparavant, dans une autre salle parisienne. Ce soir-là, seul lui n’est pas sorti de la salle. p enora ollivier alexandre pouchard simon roger Mémorial du 13 novembre « Le Monde » publie chaque jour des portraits des victimes des attentats, afin de conserver, avec l’aide de leurs proches, la mémoire de ces vies fauchées 18 | géopolitique 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 Finances de l’EI La guerre secrète Au-delà des bombardements aériens, les puissances occidentales cherchent à frapper au portefeuille l’Etat islamique. L’organisation djihadiste aime à se présenter comme la plus riche de tous les temps ENQUÊTE benjamin barthe (à beyrouth), jean-michel bezat, jacques follorou, allan kaval (à erbil) et hélène sallon photo : émilien urbano/myop D ans son fief de Mossoul, dans le nord de l’Irak, l’organisation Etat islamique (EI) traque jusqu’à la plus petite source de revenus. Ses hommes mettent la main sur les dernières propriétés foncières qui leur échappent pour les revendre à bas prix. Mi-novembre, un message du directorat des propriétés immobilières de l’EI a été diffusé sur la radio Al-Biyan, exhortant les habitants à leur signaler toutes les propriétés abandonnées. Dans le même temps, les commerçants se sont vu réclamer l’intégralité des taxes pour l’année 2016, ce qui a précipité la fermeture d’un tiers des boutiques de vêtements de la rue commerçante Dawasa et de plusieurs dizaines de restaurants du quartier de l’université. Les salaires de ceux que l’EI emploie ont été divisés par deux. Manuels scolaires et soins médicaux sont désormais payants. La zakat, l’aumône pour les pauvres, a été portée de 2,5 % à 10 %. Et la police des mœurs n’a plus de clémence dans les amendes qu’elle distribue. Ces mesures d’austérité, dont ont témoigné au Monde des habitants de Mossoul joints par téléphone, pourraient être le signe, pour les experts, des effets des pressions exercées sur les finances de l’EI. L’Etat islamique « vit sur ses réserves et a un budget structurellement déficitaire », estime-t-on chez Tracfin. La manne collectée lors des conquêtes territoriales s’épuise, les populations s’appauvrissent et l’intensification des frappes contre les installations pétrolières a accentué la baisse des revenus. La perte, en juin, de Tal Abyad, en Syrie, porte d’accès vers la Turquie, puis de Sinjar, en novembre, sur la route reliant Mossoul à Rakka, a entravé ses capacités de déplacement. La surveillance renforcée des mouvements de biens et de personnes perturbe ses réseaux d’approvisionnement. En difficulté, l’organisation djihadiste est toutefois loin de la banqueroute. L’EI demeure « l’une des organisations terroristes les mieux financées », disposant d’un système financier « robuste et largement autosuffisant », estime le département d’Etat américain, dans un rapport publié mi-octobre. Il a mis sur pied une économie diversifiée, dont les comptes sont tenus à la virgule près par le ministère des finances (« Bayt Al-Mal ») et ses relais dans les « provinces » de l’EI. Mais c’est une économie de guerre, tournée avant tout vers les dépenses militaires. « Leur objectif n’est pas de développer Rakka ou Mossoul mais de les gouverner sans qu’il n’y ait de soulèvement », souligne une source onusienne. Depuis sa naissance en Irak en 2004, en réaction à l’invasion américaine, l’organisation djihadiste a investi les réseaux de contrebande à cheval sur la frontière irako-syro-turque, paradis des trafiquants de tout poil depuis les années 1990. Trafics et extorsions lui ont permis de s’émanciper des donations étrangères. Ces dernières ne représentaient que 5 % de ses recettes entre 2005 et 2010, selon le Pentagone. La part des contributions issues de généreux donateurs du Golfe ou du détournement d’actions humanitaires n’a pas évolué de façon significative après l’établissement du « califat » en juin 2014, selon une source onusienne. « LES RESSOURCES NE SONT PAS ILLIMITÉES » La conquête d’un tiers de la Syrie et de l’Irak et le maintien sous son joug de près de 10 millions d’habitants ont offert à l’EI de nouvelles sources de financement. Il s’est retrouvé à la tête d’un véritable butin tiré du pillage des banques – 500 à 800 millions de dollars (471 à 753 millions d’euros), selon le département d’Etat américain –, des stocks d’armes, du pillage des sites archéologiques et de la confiscation des propriétés publiques et privées. Des plaines de Ninive dans le nord de l’Irak aux provinces de l’est de la Syrie, le mouvement djihadiste administre une région riche en ressources naturelles : pétrole, gaz, blé, coton. Le contrôle des mouvements de personnes, de biens et de liquidités vers les autres provinces d’Irak et de Syrie, ainsi que les pays limitrophes, décuple les recettes tirées des activités d’extorsions – désormais sous couvert de taxes et impôts –, de confiscations, de vols et de kidnappings contre rançon. « Cependant, en l’absence de flux entrant de liquidités, le système de taxes mis en place par l’EI n’est pas soutenable. Les affaires souffrent de l’isolement et les ressources ne sont pas illimitées », estime Shwan Zulal, directeur du Carduschi Risk Consultancy. Le contrôle de cette région de la taille du Royaume-Uni en fait un partenaire économique incontournable, même pour ses ennemis déclarés. Son pétrole alimente les zones tenues par l’opposition modérée comme celles du régime syrien. « Daech [acronyme DES PLAINES DE NINIVE DANS LE NORD DE L’IRAK AUX PROVINCES DE L’EST DE LA SYRIE, LE MOUVEMENT DJIHADISTE ADMINISTRE UNE RÉGION RICHE EN RESSOURCES NATURELLES arabe de l’EI] a vendu du pétrole au gouvernement syrien. On n’a pas la facture, mais on a de bonnes sources », indique un diplomate occidental. Mercredi 25 novembre, le département du Trésor américain a placé l’homme d’affaires syrien George Hassouani sur la liste des personnes sanctionnées pour avoir « servi d’intermédiaire dans l’achat de pétrole par le régime syrien » à l’EI. Une même conjonction d’intérêts existe dans le secteur gazier. Employé de la compagnie nationale de gaz à Al-Chaddadi, dans le nord-est de la Syrie, jusque début 2015, Abou Ahmed a travaillé un an sous le contrôle de l’EI, tout en continuant à toucher son salaire du gouvernement. « Il y a un accord tacite avec le régime. Ses avions ont bombardé toute la ville, sauf le site. L’usine ne fonctionne pas à plein régime, mais il y a un système de pompage automatique qui envoie le gaz vers les générateurs électriques de Homs et Deir ez-Zor », nous a-t-il confié. Les agences antiterroristes et les experts ont une vision encore parcellaire des finances de l’EI. L’estimation de ses revenus annuels varie, selon les sources, dans une fourchette comprise entre 700 millions et 2,9 milliards de dollars, sans compter les sommes que l’EI pourrait avoir blanchies sur les marchés financiers. L’EI aurait pour sa part annoncé un budget de 2 milliards de dollars pour l’année 2015, avec un excédent escompté de 250 millions, selon David Cohen, sous-secrétaire chargé de la lutte antiterroriste et des renseignements financiers au Trésor américain. Un document du ministère des finances de la province de l’EI à Deir ez-Zor, daté de janvier, que s’est procuré le chercheur Aymenn Al-Tamimi, offre un aperçu de la répartition de son budget. Sur 8,5 millions de dollars de recettes mensuelles de la province, 44,7 % proviennent des confiscations, 27,7 % du pétrole et 23,7 % des taxes. Plus de 5,5 millions ont été dépensés, ventilés entre salaires des combat- tants (43,6 %), bases militaires (19,8 %), services à la population (17,7 %), police islamique (10,4 %), aides (5,7 %) et médias (2,8 %). Ce document conforte les estimations des experts, pour qui le pétrole n’est pas la source principale de financement de l’Etat islamique. L’organisation, qui contrôle 60 % de la production pétrolière en Syrie et 10 % en Irak, a été incapable de maintenir la production à son niveau de 2014, estimé à plus de 100 000 barils par jour par certains experts. « C’est très difficile à estimer, mais cette production ne doit plus dépasser 20 000 barils par jour aujourd’hui », explique Pierre Terzian, directeur de la revue Pétrostratégies. La main-d’œuvre expérimentée que l’EI a recrutée n’a pas réussi à remettre sur pied des installations déjà en mauvais état ni à raffiner le pétrole à grande échelle. Le baril de brut vendu à 20 ou 30 dollars par l’EI est devenu moins profitable avec la chute des prix du baril. FLUX DE LIQUIDITÉS ET CONTREBANDE « La capacité d’exportation de pétrole brut de l’EI s’est considérablement réduite. Elle semble se limiter dorénavant à des transactions menées avec le régime syrien dans la région de Deir ez-Zor », estime Patrick Osgood, expert à l’Iraq Oil Report. La production suffit à peine à la consommation locale en territoire EI. Selon Louay Al-Khatteeb, le directeur de l’Iraqi Energy Institute du centre Brookings, il faut au minimum de 70 000 à 80 000 barils par jour pour couvrir les besoins : diesel pour les générateurs, essence pour les véhicules et gaz pour la cuisine et le chauffage. Les prix ne cessent donc d’augmenter. « Cela dénote d’une rareté croissante des produits raffinés et probablement d’un recours à la contrebande pour en faire venir depuis l’extérieur, d’autant plus que l’EI n’est pas en mesure de faire produire sur ses territoires des produits raffinés d’une qualité satisfaisante », estime Shwan Zulal. géopolitique | 19 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 Champs de pétrole non loin de Roumelan, dans la province syrienne d’Hassaké. Cette photo, prise en août, est issue des travaux du Français Emilien Urbano. Depuis l’été 2015, ce dernier a réalisé plusieurs reportages pour « Le Monde » autour des combattants kurdes. ÉMILIEN URBANO/MYOP POUR « LE MONDE » L’intensification des frappes aériennes contre les installations et convois pétroliers de l’EI, en novembre, devrait neutraliser presque totalement cette ressource. L’objectif déclaré de l’opération américaine « Tidal Wave II » est de détruire durablement les deux tiers des capacités de production de l’EI et de dissuader les transporteurs qui traitent avec lui. Le secteur pétrolier est la cible la plus accessible à la coalition internationale. Mais le nerf de la guerre se trouve dans les flux de liquidités et la contrebande de biens avec l’extérieur, qui apportent à l’EI d’importantes recettes sous forme de taxes et de confiscations. Tarir ces ressources est autrement plus complexe. « On ne peut quand même pas bombarder le marché de Mossoul ! », s’exclame une source onu- sienne. En dépit des pertes territoriales, l’EI s’est toujours assuré de maintenir ces réseaux d’approvisionnement, essentiels à sa survie. Les bureaux de transfert d’argent à Kirkouk sont le point nodal des flux financiers vers Mossoul et les territoires de l’EI. Les autorités d’Erbil cherchent, d’après Patrick Osgood, à limiter ces flux, en vain. Un ingénieur de Bagdad a ainsi expliqué au Monde pouvoir transférer de l’argent à son cousin à Mossoul, via Kirkouk, sans que ce dernier n’ait à se déplacer. Les autorités irakiennes ont, elles, décidé de cesser de verser les salaires aux fonctionnaires vivant dans les zones contrôlées par l’EI depuis juillet 2015. La mesure est appliquée à Mossoul, mais pas à Fallouja, à défaut de listes à jour des fonctionnaires restés sur place ou LES BUREAUX DE TRANSFERT D’ARGENT À KIRKOUK SONT LE POINT NODAL DES FLUX FINANCIERS VERS MOSSOUL ET LES TERRITOIRES DE L’EI partis en exil, indique un humanitaire originaire de la ville, déplacé au Kurdistan. Cela représente un manque à gagner pour l’EI qui appliquait une taxe sur ces salaires. Il lorgne désormais du côté des retraites, qui sont perçues au moyen de cartes à puce dans des bureaux privés disposant d’une connexion à Internet. « L’EI a annoncé que, à partir du 1er décembre, l’accès à Internet ne sera possible que dans des points agréés. C’est une manière de surveiller et de centraliser ce type de transfert d’argent », témoigne un professeur de Mossoul, exilé à Erbil, en contact avec la ville. En Syrie, en revanche, il semble que l’Etat continuerait à verser des salaires aux fonctionnaires restés dans les zones contrôlées par l’EI. Un autre trafic juteux donne du fil à retordre à la communauté internationale. Le trafic d’œuvres d’art a pris une dimension inédite. Selon le Groupe d’action financière, l’organisme intergouvernemental antiblanchiment, l’EI contrôle plus de 4 500 sites archéologiques, soit un tiers de ceux répertoriés en Irak et en Syrie, qu’il exploite méthodiquement. Des permis de fouille sont attribués à des familles, et des taxes de 20 % à 50 % appliquées sur les objets trouvés. Tablettes de l’ère sumérienne ou artefacts assyriens transitent par camions via les pays limitrophes pour alimenter le marché de l’art international. Les salles de vente ferment les yeux sur l’écoulement de ces objets, et les mesures prises par l’Unesco, en coordination avec Interpol, ont encore peu d’effet. p Arabie saoudite et Qatar : le soupçon permanent d’un financement du Golfe les monarchies du golfe seraient-elles les mécènes secrets de l’Etat islamique (EI) ? Les attentats du 13 novembre, en France, ont relancé le débat sur la responsabilité de ces pays, au premier rang desquels l’Arabie saoudite, dans l’essor spectaculaire du mouvement djihadiste. Or, cette controverse amalgame critiques légitimes et contresens. Premier constat : l’EI n’a pas besoin de contributions extérieures pour boucler son budget. Cette analyse strictement comptable est partagée par à peu près tous les spécialistes de la question. A supposer que ce proto-Etat mafieux empoche ici et là quelques donations privées, ces montants restent insignifiants par rapport aux dizaines de millions de dollars qu’il tire de la mise en coupe réglée d’un territoire aussi grand que le Royaume-Uni. Ensuite, ni l’Arabie saoudite ni le Qatar, autre cible rituelle des débats sur les soutiens de l’EI, ne financent, en tant qu’Etat, l’organisation au drapeau noir. Et pour cause : ils se savent dans le collimateur d’Abou Bakr Al-Baghdadi, le calife autoproclamé de l’EI, qui rêve de mettre la main sur les ri- chesses pétrolières de la péninsule Arabique. La dynastie saoudienne, gardienne des deux mosquées les plus saintes de l’islam, est évidemment la plus menacée par l’homme qui se prétend « prince des croyants ». Depuis le début de l’année, le royaume a subi 17 attaques djihadistes, qui ont causé la mort de 46 civils et 21 policiers. D’où vient donc le soupçon qui plane en permanence sur Riyad et Doha ? D’abord du wahhabisme, ce courant de l’islam ultrarigoriste qui considère les chiites comme des hérétiques et dont le salafisme djihadiste brandi par Al-Qaida et l’EI est une excroissance violente. Le wahhabisme a rang de religion d’Etat en Arabie saoudite, depuis qu’Ibn Saoud s’est allié, en 1744, avec le fondateur de cette doctrine, Mohamed Abdelwahab, pour fonder le premier Etat saoudien. Il est aussi en vigueur au Qatar, mais de façon moins stricte. Les soupçons proviennent ensuite du jeu dangereux auquel les deux pays se sont livrés : l’Arabie, dans les années 1980, a soutenu le djihad afghan, le creuset fondateur d’Al-Qaida ; et le Qatar, dans les années 2000, a offert à Oussama Ben Laden la caisse de résonance planétaire de la chaîne Al-Jazira. Le « monstre » ainsi créé n’a pas tardé à se retourner contre son géniteur. Quinze des 19 pirates de l’air du 11 septembre 2001 étaient saoudiens. Quelques années plus tard, Al-Qaida perpétrait une série d’attentats dans le royaume. L’Arabie saoudite et le Qatar ont tiré quelques leçons de leurs errements. Conscients de la porosité de leur société aux thèses djihadistes, surtout en cette période de tension avec l’Iran chiite, ils ont décrété l’EI « organisation terroriste » et ont rallié la coalition militaire dirigée par les Etats-Unis. En 2014, Doha a musclé sa législation contre le financement du terrorisme, par le vote d’une loi encadrant les levées de fonds sur Internet et d’une autre régulant les activités des associations de charité. Concernant l’Arabie saoudite, le rapport du département d’Etat américain sur le terrorisme en 2014 a noté aussi des progrès, tout en s’inquiétant du fait que « des associations caritatives étrangères, soupçonnées de liens avec des groupes terro- ristes, continuent d’utiliser les réseaux sociaux pour solliciter des fonds de donateurs saoudiens ». Si des financements privés arrivent dans les coffres de l’EI, ils ne viennent pas toujours d’où l’on s’y attend. Le 19 novembre, le Koweït a révélé avoir démantelé une cellule qui fournissait des armes, dont des lance-roquettes, à l’organisation. Une annonce passée inaperçue en France, où cet émirat est généralement exempté des critiques dirigées contre ses voisins, alors que des millions de dollars y ont été levés pour les groupes armés agissant en Syrie. Si la maison des Saoud a appris la vigilance, le clergé wahhabite répugne à toute autocritique. Chaque année, en Asie ou en Afrique, de nouvelles mosquées ou madrasa ouvrent leurs portes grâce à l’argent de cette institution religieuse. Des lieux qui prêchent une vulgate intolérante, soubassement idéologique des exactions pratiquées par les séides d’Al-Baghdadi. L’élite politique du royaume ne peut dénoncer ces agissements sans fragiliser sa propre légitimité. p b. ba. (beyrouth, correspondant) 20 | géopolitique 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 « RESTOS DU TAWHID » La Belgique, plaque tournante du djihadisme européen 1 UN CARREFOUR LOGISTIQUE EUROPÉEN DU GRAND BANDITISME... Facilité de circulation Frontière ouverte de l’espace Schengen Grand port : trafics facilités (humain, armement, drogue...) Autoroute ou nationale (accès à plusieurs grandes villes en moins de deux heures) BRUXELLES BILAL HADFI Domicile à la cité Versailles P Laeken Domicile avenue Jean-De-la-Hoese. Chauffeur de Salah Abdeslam R I R R FRÈRES ABDESLAM FAMILLE ABAAOUD Ancien domicile rue de l’Avenir Grande Mosquée du cinquantenaire GrandPlace Gare Parlement européen BRAHIM ABDESLAM Bar rue des Béguines (fermeture administrative 9 jours avant les attentats) Rotterdam Lieu où il a été conduit le 14 novembre Domicile place Communale R MolenbeekSaint-Jean SALAH ABDESLAM Centre R islamique belge MOHAMED AMRI Le nombre de djihadistes originaires du pays croît sans cesse. Ils seraient 285 à avoir rejoint l’EI ou le Front Al-Nosra Association qui distribuait de la nourriture aux plus démunis, et qui a joué un rôle dans le recrutement de jeunes pour le djihad ATTENTAT DU MUSÉE JUIF DE BELGIQUE R dont le principal suspect est Mehdi Nemmouche ( HAMZA ATTOU & MOHAMED AMRI Lieu où a été retrouvée la Golf avec laquelle les deux hommes ont exfiltré Salah Abdeslam Mer du Nord Plaque tournante du trafic d’armes SHARIA4BELGIUM Organisation salafiste créée en mars 2010 par Fouad Belkacem. Principal réseau de recrutement pour le djihad, il est dissous en 2012 Ville de forte implantation des mafias albanaise et tchétchène Porte d’entrée du trafic d’armes vers l’Europe ) ABDELHAMID ABAAOUD Incarcération dans la prison de Forest entre 2011 et 2012 1 km Point d’approvisionnement Principal point de passage PAYS-BAS 2 ... OÙ PROLIFÈRENT DES MOUVEMENTS RADICAUX... Ostende Bruges AYOUB EL KHAZZANI Anvers Géographie de la radicalisation Ville classée à haut risque Gand Nombre de départs pour la Syrie depuis 2012 QG du groupe salafiste Sharia4Belgium Malines Vilvorde Schaerbeek Molenbeek-Saint-Jean Anderlecht Antenne des « Restos du Tawhid » Foyer salafiste BASE LOGISTIQUE DU GICM P Mortsel Séjour de l’auteur de l’attaque du Thalys AÉROPORT DE DÜSSELDORF Maaseik I Démantèlement, en mars 2004, du Groupe islamique combattant marocain, lié à Hassan El-Haski, un des organisateurs des attentats de Madrid Vols «low cost» vers la Turquie ALLEMAGNE Genk Louvain Maastricht I BRUXELLES Aix-la-Chapelle Base arrière du djihadisme francophone Lille Attentat à Paris - 13 novembre Verviers B E LG I Q U E Attentat manqué du Thalys - 21 août Liège Attentat de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher - 7 et 9 janvier Oignies Mons ATTAQUE DU THALYS Attentat du Musée juif de Belgique à Bruxelles - 24 mai 2014 Base de l’OTAN Attentat manqué dans le Thalys reliant Amsterdam à Paris le 21 août Attentat de Madrid - 11 mars 2004 Lieu de... R radicalisation P passage Charleroi P AMEDY COULIBALY S'est rendu plusieurs fois chez un homme qui a, depuis, été inculpé pour trafic d'armes Spa CELLULE DE VERVIERS Démantelée lors d’un assaut policier meurtrier en janvier 2015 PLAQUE TOURNANTE DU TRAFIC D’ARMES Ciney I Cambrai I interpellation/contrôle 3 SALAH ABDESLAM ... QUI PROFITENT DE LA COMPLEXITÉ POLITICO-ADMINISTRATIVE Contrôlé, le 14 novembre, avant que son implication dans les attentats du 13 novembre ne soit connue 20 km Un millefeuille administratif... LUXEMBOURG rdam Frontière linguistique s - Am ste Frontière administrative FRANCE Municipalité dans laquelle les autorités ont pu jouer la carte du clientélisme auprès des musulmans m esla Abd ah Sal de ... alors que les services secrets belges ont réussi des opérations spectaculaires bruxelles - correspondant Réseau démantelé S PARIS Equivalence des cercles des djihadistes partis pour la Syrie 5 Arlon te Limite des 19 communes à Bruxelles les bourgmestres ont un pouvoir de police étendu Sedan Fui Limite des 6 zones de police à Bruxelles Lig ne Thaly s Pari ... qui n’aide pas au partage de l’information... ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE 10 terroristes, dont 2 non identifiés, 5 Français ( ), dont 3 résidant en Belgique et un Belge ( ) 72 101 Carte réalisée avec l’aide de Jean-Charles Antoine, docteur en géopolitique, expert en trafic d'armes, et Stéphane Mortier, président de l'Union des anciens étudiants de l'Université libre de Bruxelles en France Sources : Radicalisme, conséquence d’une fracture ? Comprendre et agir, Cepess, juin 2015 ; Jean-Charles Antoine, Au cœur du trafic d’armes. Des Balkans aux banlieues, Vendémiaire, 2012 ; Benjamin Ducol, Devenir djihadiste à l’ère numérique, université de Laval, 2015 ; Blog de Pieter Van Ostaeyen, Université de Louvain ; Le Monde elon les dernières statistiques officielles, 285 Belges sont enrôlés dans des groupes djihadistes en Syrie et en Irak. Leur nombre ne cesse de croître et, de l’avis de plusieurs spécialistes indépendants, ceux qui ont rejoint l’organisation Etat islamique (EI) ou le Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida, seraient même en réalité bien plus nombreux (516, selon l’un d’eux), faisant de la Belgique le pays européen qui, proportionnellement à sa population, fournit le plus de combattants islamistes. Beaucoup de jeunes, dont des convertis, sont, en effet, passés « sous le radar » des services de police et de renseignement, qui n’ont découvert leur existence que lorsqu’ils se sont manifestés à partir des zones de combat. Les services spécialisés estiment à 135 au moins le nombre d’enrôlés revenus sur le sol belge : 85 d’entre eux seraient originaires de Molenbeek, l’une des 19 municipalités de la région de Bruxelles. Si leurs pré- décesseurs ont souvent été cantonnés à des tâches de surveillance ou de logistique, ceux qui sont revenus au cours des derniers mois sont vraisemblablement plus aguerris. L’actualité a entraîné une focalisation sur Molenbeek, mais le phénomène de la radicalisation est plus vaste. Les premiers combattants sont partis d’Anvers, Malines et Vilvorde, recrutés pour la plupart par le groupe Sharia4Belgium, dont les autorités ont tardé à mesurer la dangerosité. Son leader, Fouad Belkacem, cité à comparaître avec près de 50 de ses comparses – dont une dizaine déjà morts au combat –, a été condamné, il y a quelques mois, à douze ans de prison, à Anvers. Bruxelles a été l’autre lieu de radicalisation, mais des cellules se sont également développées dans le Limbourg belge et à Verviers. C’est là qu’une intervention policière a été nécessaire, en janvier. Les deux terroristes tués étaient en lien avec Abdelhamid Abaaoud, le cerveau présumé des massacres du 13 novembre, à Paris. Le fichier belge des djihadistes comporte près de 1 000 noms au total, mais ce n’est qu’à partir du 1er janvier que les autorités disposeront d’un registre dit « dynamique », centralisant les informations de tous les services et redistribuant celles-ci. Si elle a été, dans les années 1990, une base de repli et de logistique pour divers réseaux islamistes, la Belgique semble donc devenue une plate-forme d’échanges de combattants. Et elle est restée une plaque tournante du trafic d’armes en provenance des anciennes républiques yougoslaves et de l’ex-URSS. Les dossiers liés au financement du terrorisme sont également de plus en plus nombreux. Près de 4 millions d’euros, en provenance pour l’essentiel du Qatar et du Koweït et transférés, ensuite, vers la Jordanie et l’Arabie saoudite principalement, ont été pistés. Un montant jugé, lui aussi, très inférieur à la réalité. p jean-pierre stroobants infographie : flavie holzinger, jules grandin et delphine papin géopolitique | 21 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 L’écrivain algérien souligne l’ampleur de la menace islamiste et la faiblesse des réponses de l’Occident, tout en faisant l’amer constat des blocages de son pays Kamel Daoud « Le régime algérien veut voir le citoyen transformé en croyant » ENTRETIEN propos recueillis par charlotte bozonnet J ournaliste et écrivain algérien, Kamel Daoud est l’objet d’une fatwa émise par un groupe salafiste en décembre 2014, qui le menace de mort. Sa faute ? Avoir critiqué à haute voix l’islam radical, ainsi que l’obscurantisme de la société algérienne. Auteur de Meursault, contre-enquête (Actes Sud, 2014), un contrepoint de L’Etranger de Camus, récompensé par le prix Goncourt du premier roman, il a publié dans le New York Times, au lendemain des attaques du 13 novembre en France, une tribune dans laquelle il attribue la paternité de l’organisation Etat islamique (EI) à une Arabie saoudite choyée par l’Occident. Qu’avez-vous ressenti devant les images des attentats de Paris ? On est à la fois dans la routine d’un 11-Septembre permanent et dans une sorte de paralysie. L’impression d’être dans un cycle de terreur qui ne s’arrête pas. Il m’a fallu deux jours avant de pouvoir écrire à nouveau. En outre, en tant qu’Algérien, à chaque attentat, on a le sentiment de revivre le cauchemar de la décennie 1990 dans notre pays. Ces attaques à Paris marquent-elles un basculement ? Non, on est dans la continuité. Ceux qui font cela changent simplement de cibles en fonction du message qu’ils veulent faire passer. La France a été visée, car c’est un pays de diversité dans lequel vivent des millions de musulmans. Ils ont voulu casser ce lien, radicaliser et pousser les gens à des basculements. Cela dit, aucun pays n’est à l’abri. Vous dites de l’islamisme qu’il est aujourd’hui le principal totalitarisme. Mais que faites-vous des régimes dictatoriaux ou autoritaires, nombreux dans le monde arabe ? On parle de deux choses différentes. Sur un plan philosophique, la nouvelle idéologie totalitaire est l’islamisme. L’analyse politique des régimes est une autre chose. Les deux se chevauchent, bien sûr. L’islamisme a ainsi deux matrices : la première, idéologique, est l’Arabie saoudite ; la deuxième, c’est l’usage qu’en ont fait les dictatures. Je ne comprends pas pourquoi l’Occident ne veut pas admettre que l’Arabie saoudite est la matrice, celle qui finance les chaînes satellitaires, les prêcheurs, l’édition, la théorie. Shita (« Brosse »), de Walid Bouchouchi, est exposé au Musée d’art moderne de la ville d’Alger en 2014. Lors de sa présentation, l’œuvre est accompagnée du mode d’emploi suivant : Votre critique de l’islamisme peut alimenter les thèses de l’extrême droite en France… C’est assez délicat pour moi d’aborder certains sujets en France, car je suis très conscient du fait que ce discours peut être récupéré. Ma critique de la bigoterie et de l’islamisme en Algérie correspond à une réalité différente de celle qui prévaut en France. En outre, nous n’avons pas les mêmes objectifs : moi, je défends les libertés, alors qu’en France l’extrême droite utilise cette critique pour nier et exclure l’autre. Les islamistes radicaux s’en prennent à l’art, à la culture, aux valeurs démocratiques. Pourquoi mettre la condition des femmes au cœur de votre analyse ? Dans le monde arabe, nous avons trois liens défectueux : le rapport à la liberté, à la mort et à la femme. Nous sommes dans des sociétés qui refusent le « je » et l’individu. Le rapport à la mort est intoxiqué par l’offre religieuse. Reste le rapport à la femme. J’ai fini par comprendre que, lorsque nous avons un lien simple avec la femme, nous avons un lien normal avec la vie, l’espace public, avec la liberté, avec l’amour, le désir et le corps. Pour moi, c’est l’indice majeur, le marqueur d’une société. Au vu de la situation actuelle qui prévaut dans le monde arabe, estimez-vous que les révolutions de 2011 ont été des échecs ? Qui a parlé d’échec ? C’est la théorie des haricots magiques. Il suffirait de les semer pour que ça pousse immédiatement. Je vous rappelle que trois siècles ont été nécessaires pour voir les prémices de la démocratie en Occident. Et on demande aux Arabes d’y parvenir en une année ! Une démocratie se construit. Dans « Histoire », il y a le mot temps. Ces révolutions ont mis fin à l’immense immobilisme qui a suivi les décolonisations. L’Histoire est en marche, et c’est déjà quelque chose de fabuleux. Il y a des consensus qui se créent, avec beaucoup de sang, de douleur et de violence, mais ils n’en seront que plus solides. L’Algérie a connu une décennie de guerre et de massacres dans les années 1990. La Charte pour la réconciliation et la paix de 2005 visait à refermer cette page noire du passé en octroyant l’amnistie aux islamistes armés en échange d’un arrêt des violences. Ce texte est très critiqué dans les milieux démocrates. Pourquoi ? C’est un faux sursis. On ne peut pas avancer sans vérité, sans pardon, sans responsabilité. Tout ce qu’on peut faire, c’est gagner du temps avant que ça ne recommence. On aurait pu avancer si, au lieu d’organiser l’amnistie et l’amnésie, on avait saisi l’occasion de cette tragédie pour fonder un nou- « MODE D’EMPLOI La shita est prête à l’emploi et fonctionne à l’huile de coude. Il vous suffit de l’actionner en présence d’un individu à amadouer et de brosser aussi longtemps et souvent que nécessaire, jusqu’à obtention du résultat désiré. La shita peut être utilisée sur plusieurs personnes simultanément ; sa durée de vie est quasi illimitée. PRÉCAUTIONS D’EMPLOI Tenir hors de la portée des enfants de moins de 25 ans sur lesquels les effets secondaires peuvent être : fainéantise accrue, dépendance, manque d’initiative, accoutumance à la facilité. La shita est l’outil le plus efficace pour caresser un individu ou un groupe dans le sens du poil. Testée et approuvée par des millions d’Algériens depuis 1999. » veau consensus en Algérie et un Etat de droit. Face à la menace islamiste, il y a deux méthodes : soit une répression féroce, soit une réconciliation. Je suis d’accord pour une réconciliation, pour que le sang s’arrête de couler. Mais c’est une solution partielle : si la réconciliation n’est pas portée par une révolution dans les écoles, dans la culture, les médias, la justice, avec l’objectif de tarir les gisements de djihadistes, ça veut dire qu’on va laisser la machine fabriquer les mêmes criminels dans deux générations. C’est une fausse réconciliation, uniquement à but politique. Quel intérêt le pouvoir a-t-il à laisser libre cours aux islamistes qu’il a combattus ? C’est une division des tâches : je prends la rente [pétro-gazière] et je laisse l’espace public être régenté par ces gens-là. L’idéal philosophique du régime est de voir le citoyen être transformé en croyant. Le citoyen demande des comptes pour la cité, le croyant pour l’au-delà. Cet encouragement au bigotisme généralisé procède aussi d’une volonté d’immobiliser toute demande citoyenne. Pour le régime, il est beaucoup plus rentable de faire un deal avec les islamistes qu’avec les démocrates. Les islamistes bénéficient d’une immunité incroyable en Algérie. On ne peut pas les attaquer en justice. Même quand on les poursuit, il n’y a pas de suites. C’est d’autant plus inquiétant que cela se fait sur fond de profond basculement de la société algérienne vers un conservatisme religieux de plus en plus affirmé. C’est un pacte avec le diable, et le diable va gagner. Madani Mezrag, l’ancien chef du bras armé du Front islamique du salut, le FIS, a dit vouloir fonder un nouveau parti politique. Est-il capable de gagner les élections, comme le FIS l’avait fait ? Les gens sont encore traumatisés par la décennie noire. Ça constitue un frein. Le problème, c’est que les milieux ultraconservateurs et les islamistes gagnent du terrain : ils ont contrôlé l’école, ils ont des journaux, des télévisions. Pour le moment, le traumatisme de la guerre va fonctionner pour empêcher un raz-de-marée islamiste mais, dans deux ou trois générations, si on laisse faire, on reviendra à la même équation. L’inhibition actuelle liée au traumatisme de la décennie noire ne tiendra pas longtemps. C’est une illusion. Comment cette influence croissante des islamistes se perçoit-elle dans la vie quotidienne ? Le basculement est phénoménal. Il y a la multiplication des fausses polémiques autour des thèmes religieux. Le port du voile s’est généralisé. Il y a une mosquée tous les dix mètres mais pas d’espaces verts, pas de stades, pas de crèches, pas de librairies. On voit des barbus qui organisent des prières sur certaines plages pendant l’été, une façon de culpabiliser les personnes présentes. D’autres font du porte-àporte dans les quartiers pour obtenir la fermeture d’un débit de boissons. C’est une stratégie de contrôle social, un travail très patient. Le pouvoir a acheté la paix sociale avec l’argent du pétrole. La chute du prix du baril vous inquiète-t-elle ? C’est dangereux pour la pérennité du régime, oui, car le système achète la paix sociale. Il ne l’a pas obtenue parce qu’il a réussi, mais parce qu’il est riche. Nous avons un régime extraordinairement rusé : il ne tue pas les gens, il tue le temps, il gagne du temps. Je ne pense pas qu’ils aient une vision de l’Algérie dans deux ou trois générations. C’est au jour le jour. Les quatre mandats d’[Abdelaziz] Bouteflika ont produit une génération qui a été biberonnée à la rente. Maintenant, allez expliquer aux jeunes qu’il n’y a plus d’argent ! Dans le contexte régional, la stabilité du régime algérien ne peut-elle pas passer pour une réussite ? Pas à mes yeux. Ce que je reproche à ce régime, c’est d’avoir raté le coche des quatrecinq dernières années. On avait une occasion en or. On était le pays le plus stable dans le monde arabe, l’argent des hydrocarbures coulait à flots. Tout ce qui manquait, c’était un régime capable de transcender ses ego pour aller vers une transition douce et construire une ouverture contrôlée. On a raté cette occasion alors que c’était la fenêtre de tir la plus opportune depuis des décennies. Vous ne croyez pas à cette stabilité ? Ce n’est pas une stabilité mais un immobilisme. On peut donc aller vers le chaos facilement : les prix du pétrole s’effondrent, le régime n’a aucune vision alternative à luimême et les islamistes progressent. En quoi sommes-nous différents des autres pays ? Parce que nous avons deux traumatismes de guerre (coloniale puis lors la décennie 1990) ? Mais ce n’est pas une garantie ! La vision de l’Occident, dictée par la peur, est que l’immobilisme est synonyme de stabilité et qu’il vaut mieux que le chaos. Mais c’est faux. Le mal, ce n’est pas la révolution, mais ce qui la rend inévitable. C’est cela qu’il faut guérir. La Syrie n’a pas explosé parce qu’une démocratie a été déstabilisée, mais parce que c’était une dictature. La même chose peut-elle se produire en Algérie ? Si on continue comme ça, oui. D’autant plus que le régime ne laisse émerger aucun leader réformateur. Il est totalement verrouillé. p 22 | culture 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 « Dans “Godot”, plus c’est drôle, plus c’est tragique » Jean-Pierre Vincent explique pourquoi et comment il s’est saisi de la pièce de Beckett, qu’il présente aux Bouffes du Nord à Paris, après une tournée à travers la France ENTRETIEN D epuis sa création, le 14 avril, au Théâtre du Gymnase à Marseille, la mise en scène par Jean-Pierre Vincent d’En attendant Godot, la pièce de Samuel Beckett, suscite, partout où elle passe (le spectacle a tourné en France), un engouement et un enthousiasme rarement atteints ces dernières années. Aujourd’hui, le spectacle arrive à Paris, au Théâtre des Bouffes du Nord, où il se jouera jusqu’au 27 décembre. Ce spectacle-phénomène montre que l’on peut encore monter une pièce réputée – à tort – « difficile », porter sur elle un regard neuf et lui donner une audience large. Vous dites être resté à distance de Beckett et de Godot longtemps. Pourquoi ? Mes origines brechtiennes, sans doute. J’étais au début de ma vie théâtrale, en com- pagnie de Patrice Chéreau, dans le camp de Brecht. Nous étions des jeunes gens assez combatifs. Il y avait deux camps : les ArtaudBeckett d’un côté, les brechtiens de l’autre. Et puis bien des metteurs en scène, et pas des moindres, s’en occupaient, de Beckett : chacun avait son couloir – c’est aussi ce qui fait une vie théâtrale –, donc je ne me préoccupais pas de m’en approcher. Quand avez-vous changé d’avis, et pourquoi ? Il y a quelques années, j’ai lu L’Obsolescence de l’homme, un livre du penseur autrichien Günther Anders, qui consacre un texte magnifique à En attendant Godot. J’ai relu la pièce. Et je l’ai complètement redécouverte : j’ai trouvé que c’était une pièce sur l’inaction pleine d’action, une prophétie sinistre pleine de gags. Que le tragique de la pièce était extraordinairement vivant, que cette histoire sans histoire, sans début, sans fin et sans rebondissement était pleine d’événements, d’éléments savoureux. En soixante ans, Go- Novembre 2015 A l’Académie Française Par la présente, nous, membres de l’Akademie der Künste (Académie des Arts de Berlin), souhaitons exprimer notre profonde sympathie aux familles des victimes des horribles actes de terrorisme du 13 novembre 2015. Nous sommes du côté de toutes les forces éclairées en France, nous lançons un appel contre toute forme violente d’extrémisme et contre la haine vers ceux qui pensent autrement, nous appelons à une Europe unie qui respecte les droits de l’Homme dans l’esprit des Lumières et s’engage pour la paix. C’est uniquement en défendant les valeurs de la démocratie que nous pouvons lutter ensemble contre la terreur et la haine. Les membres et Prof. Jeanine Meerapfel, Présidente de l’Académie des Arts de Berlin Akademie der Künste, Pariser Platz 4, 10117 Berlin dot est devenu un chef-d’œuvre universel comme Œdipe, Le Roi Lear, Dom Juan ou Mère Courage. Je crois que cette image est venue surtout à partir de Fin de partie. Comment aborde-t-on ce chef-d’œuvre, encombré de clichés, d’images des mises en scène successives et d’exégèses ? On commence par relire la pièce, par repartir du texte lui-même. Puis, avec Bernard Chartreux, mon dramaturge, avec qui je travaille depuis quarante ans, nous avons lu pratiquement tout ce qui s’est écrit sur Godot. Ce qui nous a passionnés, c’est que tous les commentateurs, à partir des années 1980 – et notamment Alain Badiou –, insistent fortement sur la puissance comique de la pièce. Cela m’avait également frappé : à la relecture, j’avais beaucoup ri. Votre mise en scène rompt avec l’image que l’on peut encore avoir du « théâtre de l’absurde », dans lequel avait été catégorisé Beckett… Je n’ai jamais su ce que ça voulait dire, en fait, le théâtre de l’absurde. C’est comme le marivaudage… Beckett, d’ailleurs, ne se reconnaissait pas dans cette étiquette. Il a cherché à faire table rase de tout ce qui étouffait le théâtre bourgeois mais aussi le théâtre militant. Il n’y a pas d’Absurde, avec une majuscule, dans Godot : Beckett met ses personnages dans une situation absurde, et dans cette situation ils disent des choses absurdes, mais avec une sensibilité formidable. Au cœur de tout cela, il y a ce sentiment de vide, que l’on peut si bien comprendre aujourd’hui. Votre mise en scène est concrète, charnelle, vivante, drôle, pas du tout intimidante. Comment expliquez-vous que la pièce ait été si longtemps et si souvent mise en scène de manière purement métaphysique, éthérée et formaliste ? C’est qu’il y a eu une interprétation impérialiste, dès le début, à laquelle Beckett a luimême participé, d’ailleurs. L’université et les commentateurs ont posé un certain nombre de mots là-dessus, de l’ordre du nihilisme, de la cathédrale grise, d’une emprise du désespoir sans fin et sans solution… Il y a bien sûr des raisons à cela, à commencer par la vie profonde, intime de Beckett, qui ne comprenait pas pourquoi il était né et pourquoi il n’était pas encore mort, et qui se demandait souvent pourquoi il ne dormait pas. Mais Beckett était aussi un homme chaleureux et vivant, comme le montre le livre de Charles Juliet (Rencontres avec Samuel Beckett, éd. POL, 1999) ou la biographie que lui a consacrée James Knowlson (éd. Actes Sud, 2007). Et Godot n’est pas une pièce sinistre. « SI L’ON PREND LE TEMPS DE JOUER LES DEUX CENTS PAUSES INDIQUÉES PAR BECKETT DANS SES DIDASCALIES, CELA REDONNE TOUTE SA TENSION ET SON MOELLEUX À LA PIÈCE » Dans votre Godot, on a l’impression d’entendre chaque phrase, chaque mot, avec une précision et une acuité nouvelles. Comment avez-vous travaillé sur la langue de Beckett ? D’abord, on a décidé de prendre le temps de jouer la pièce. Cela paraît bête, mais c’est fondamental : souvent, par crainte d’ennuyer le public, les acteurs et les metteurs en scène jouent la pièce trop vite. Et, du coup, on n’y comprend rien, et on décroche, quelle que soit la qualité de la lecture et de l’interprétation. Je me suis rendu compte que, moimême, j’avais presque toujours décroché au bout de trois quarts d’heure. La clé, dans Godot, ce sont les silences : si l’on prend le temps et le soin de jouer les deux cents pauses indiquées par Beckett dans ses didascalies (« silence », « long silence » ou « très long silence »), cela redonne toute sa tension et son moelleux à la pièce. Quelle est la nature du comique dans Godot, et quel rôle joue-t-il ? Beckett adorait les grands burlesques américains – surtout Buster Keaton – et, plus ça va, plus je crois que le comique est au cœur de sa pièce : plus c’est drôle, plus c’est tragique. Plus c’est drôle, plus on sent cet espace de résistance qu’il y a dans l’être humain. Ce n’est pas un hasard si on dit que le rire est le propre de l’homme : il est ce qui fait qu’on n’en finit pas tout de suite. Et le comique est aussi dans le langage, avec lequel Beckett s’amuse énormément, dans ce premier texte qu’il écrit en français. Il y a des répliques merveilleuses, qui témoignent de la manière incroyable qu’a eue Beckett à cette époque de mâcher, de savourer la langue française et l’argot parisien entendu dans les bistrots du Quartier latin. Beckett était aussi friand de cette poésie de comptoir que de La Divine Comédie, de Dante, qu’il connaissait par cœur en italien. Que raconte Godot aujourd’hui ? De nombreux courants souterrains courent dans la pièce qui, sur un premier plan, très concret, confronte deux duos masculins, l’un, formé de Vladimir et Estragon, vieux couple chamailleur et solidaire, l’autre, Pozzo et Lucky, enfermé dans le rapport maître-esclave. Mais la principale source, c’est la perte du sens après les deux catastrophes de 1945 : l’ouverture des camps d’extermination et les deux bombes américaines sur le Japon. Dans les camps, le sens, le temps et l’espace s’annulent petit à petit. Le temps continue à passer, mais il n’existe plus. Quand il com- culture | 23 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 Jean-Pierre Vincent, le 12 novembre. PATRICK MESSINA POUR « LE MONDE » Sur les traces de Federico Garcia Lorca Près de quatre-vingts ans après l’exécution du poète, son corps fait toujours l’objet d’intenses recherches Dès que j’ai vu Gaël, j’ai su que c’était lui. On ne sait pas d’où il vient, il est un ailleurs, il vient parler d’une personne qui n’existe sûrement pas, il est un ange de rien, un mystère qui ne se résout pas. Le fait qu’il ne soit pas blanc est par ailleurs, bien sûr, un clin d’œil adressé à cette vieille société française. Il amène dans le vieux monde blanc un éclat de lumière gracieuse, et il se trouve qu’il est « de couleur »… Qui est Godot, ce non-personnage qui ne viendra pas, et sur lequel on a tant glosé ? Il est le nom que Vladimir et Estragon donnent au fait qu’ils attendent. Ils ne sont pas là parce qu’ils attendent, ils attendent parce qu’ils sont là. Ils sont là et ne peuvent pas être autrement que là puisqu’ils ne peuvent pas en finir et qu’ils ne peuvent pas partir. Et donc au bout d’un moment, comme ça arrive dans beaucoup de circonstances de la vie, il faut bien donner un nom, une raison à son attente… En général, c’est plutôt un nom religieux, à consonance sacrée. Sauf que là, le sacré est une blague : cet écrivain irlandais qu’est Beckett, qui a fui l’Irlande catholique à deux reprises, transforme cela en farce, avec ce Godot qui est un « God not ». Godot, c’est une fiction qui sert à continuer à vivre. Comment expliquez-vous le succès de ce spectacle, vous qui faites de la mise en scène depuis plus de cinquante ans ? Je pense qu’il y a dans ce Godot – et c’est le devoir de toute œuvre d’art – une mise en crise du fait d’être spectateur, mais cette mise en crise est amicale. C’est un spectacle au geste amical, et ce sera le cas du prochain et de tous ceux qui suivront. Parce qu’on file un mauvais coton dans un théâtre perpétuellement au bord de la crise de nerfs. Crier à tort et à travers ne sert à rien. mence à écrire la pièce, en 1948, Beckett pense qu’on ne peut plus parler du monde avec les outils du passé, ceux qui vont d’Eschyle à Sartre. On ne peut plus raconter une histoire : l’Histoire a été tellement lobotomisée qu’il faut chercher quelque chose d’autre à dire sur l’existence. Pourquoi la pièce nous semble-t-elle alors si actuelle ? Ce qui est anthropologiquement très actuel, c’est que Beckett écrit sa pièce juste après une catastrophe, et que nous sommes juste avant que ne s’en produise une autre… que Beckett semble avoir anticipée, d’ailleurs, en plaçant au centre du décor cet arbre mort, sur lequel repoussent de manière improbable quelques feuilles. Beckett met en scène la transformation de la terre en désert, dans toutes les acceptions que l’on peut donner à ce mot, et, bien sûr, cela nous parle fortement aujourd’hui. Pourquoi faire jouer le rôle de l’envoyé de Godot par un acteur « de couleur », Gaël Kamilindi, qui est d’origine à la fois rwandaise et israélienne ? Vous avez créé votre spectacle en avril, trois mois après les attentats de janvier, vous le jouez maintenant après d’autres attentats. Ce Godot parle à la fois de fraternité et de catastrophe. Quel lien peut-on faire avec la situation actuelle ? Le théâtre n’est pas un art d’actualité. Quand il s’y essaie, il s’y perd. Le théâtre parle du présent, dans toute son épaisseur (passé et avenir compris). Beckett a pensé à beaucoup de choses du présent en écrivant Godot, mais il en a évincé toute actualité. Cela dit, ces jours-ci, on demandait à une jeune fille de 13 ans, voisine du macabre immeuble de Saint-Denis, si et comment elle allait pouvoir reprendre une vie « normale ». Elle a répondu : « Bien obligée ! J’ai toute une vie à vivre. » Ça, c’est Didi et Gogo, les deux « héros » de Beckett… p propos recueillis par fabienne darge En attendant Godot, de Samuel Beckett. Mise en scène : Jean-Pierre Vincent. Avec Charlie Nelson, Abbes Zahmani, Alain Rimoux, Frédéric Leidgens et Gaël Kamilindi. Théâtre national de Strasbourg, du 18 au 28 novembre. Tél. : 03-88-24-88-00. Théâtre des Bouffes du Nord, Paris, du 4 au 27 décembre. Tél. : 01-46-07-34-50. grenade (espagne) - correspondance O n sait de la mort de Federico Garcia Lorca presque tout : qui est venu chercher le poète andalou au domicile des Rosales, une famille de phalangistes, amis de la famille, chez laquelle il avait trouvé refuge ; l’implication du gouverneur civil dans son arrestation, parce qu’il était « rouge et homosexuel » ; l’identité de ses bourreaux. On sait que l’auteur de Noces de sang fut exécuté par les phalangistes et jeté, comme des dizaines de milliers de républicains, dans un fossé, à Alfacar, non loin de sa ville natale, Grenade. On sait presque tout, mais on ignore le lieu exact de sa mort. Aujourd’hui encore, personne ne sait où repose le corps de la plus célèbre victime de la guerre civile qui ravagea le pays entre 1936 et 1939, mit fin à la République et porta au pouvoir Franco. Quarante ans après la mort du dictateur, le 20 novembre 1975, Federico Garcia Lorca, exécuté le 18 août 1936, fait toujours l’objet d’intenses recherches de la part d’historiens, archéologues et passionnés. « Tant qu’on ne l’aura pas trouvé, il y aura quelqu’un pour le chercher, assure Ian Gibson, historien et biographe du poète. Il est sans doute le disparu le plus célèbre du monde. Et le plus aimé. » « Une victime parmi d’autres » Après l’échec des recherches menées en 2009 par la région andalouse, sur la base du travail de Ian Gibson, une nouvelle campagne a en effet commencé en 2014 pour le localiser à partir des travaux de Miguel Caballero, un historien autodidacte. Auteur de l’essai Les Treize Dernières Heures de la vie de Federico Garcia Lorca (Ed. Indigènes, 2014), M. Caballero a assemblé la documentation existante et recherché de nouveaux témoignages sur la mort de l’auteur de La Maison de Bernarda Alba. Après avoir obtenu le soutien financier du gouvernement andalou lors des deux premières phases des recherches, Miguel Caballero a fait appel à la générosité des donateurs et a obtenu 33 000 euros par le biais d’une campagne de micromécénat. Il ne lui manque que l’accord de la région pour recommencer les fouilles dans un terrain situé à 400 mètres des premières. Celles-ci seront-elles plus concluantes ? Elles ne sont en tout cas pas moins polémiques. La famille APRÈS LA GUERRE EST DÉCLARÉE, LE NOUVEAU FILM DE VALÉRIE DONZELLI Federico Garcia Lorca devant une affiche pour sa compagnie théâtrale La Barraca, en 1935. SFGP/KORPA/RUE DES ARCHIVES Lorca continue de s’y opposer. Elle ne souhaite pas remuer la terre et considère que le poète doit rester « une victime parmi d’autres », comme l’affirme sa nièce, Laura Garcia Lorca, présidente de la Fondation Lorca. Il resterait en effet en Espagne plus de 114 000 victimes républicaines de la guerre civile sans sépulture, selon le juge Baltasar Garzon, qui avait voulu porter ces disparitions devant la justice malgré la loi d’amnistie de 1977. Sans succès. Les fonds destinés à financer recherche et exhumation, alloués par le précédent gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, ont été gelés par le nouveau gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. Mais l’Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH) continue de se battre pour aider les familles à retrouver leurs aïeux et a porté les disparitions forcées du franquisme devant la justice argentine, à défaut de réponses de celle de Madrid. Pour eux, la disparition de Lorca est avant tout un symbole. Durant quarante ans, la dictature franquiste a cherché à dépolitiser sa mort, à en faire la victime d’une balle perdue. Elle a aussi voulu ef- facer son œuvre de la mémoire collective. Jusque dans les années 1950, il était impossible de trouver ses poèmes et ses pièces de théâtre. Puis des petits éditeurs ont osé franchir le pas et les publier. Ses biographes étaient étrangers. Aujourd’hui, le ministère de la culture, la région et la ville de Grenade essaient de réparer l’oubli dans lequel l’auteur est longtemps tombé, à l’instar de tant d’autres victimes du franquisme. En juillet, elle a inauguré un centre culturel dédié au poète, au cœur de sa ville natale, censé héberger le legs de Lorca : archives, documents, manuscrits, lettres ou tableaux d’amis célèbres que possède la famille et qui sont actuellement conservés à la résidence des étudiants de Madrid. Mais de troubles affaires de détournement de fonds publics ont retardé leur transfert. Une exposition, « La Teoria del duende » (jusqu’au 10 janvier 2016), qui rassemble des œuvres d’artistes influencés par Lorca et des dessins du dramaturge, essaie de faire vivre le centre, en attendant qu’il devienne le lieu de référence pour connaître l’œuvre du poète. A défaut de trouver son corps. p sandrine morel « UN FILM D’AVENTURES AMOUREUSES, LYRIQUE ET SINGULIER » LES CAHIERS DU CINÉMA « INTEMPOREL » « BOULEVERSANT » L’EXPRESS PREMIERE TRANSFUGE STUDIO CINÉ LIVE Anaïs Demoustier © 2015 RECTANGLE PRODUCTIONS – WILD BUNCH – ORANGE STUDIO – FRANCE 2 CINÉMA – SCOPE PICTURES – FRAMBOISE PRODUCTIONS. TOUS DROITS RÉSERVÉS. CRÉDITS NON CONTRACTUELS. « ROMANTIQUE » PREMIERE Jérémie Elkaïm Un film de Avec Valérie Donzelli Frédéric Pierrot, Aurélia Petit, Raoul Fernandez, Catherine Mouchet, Bastien Bouillon Sami Frey Géraldine Chaplin Valérie Donzelli Jérémie Elkaïm Jean Gruault avec la participation de et Scénario et - D’après une idée et un scénario original de AU CINÉMA LE 2 DÉCEMBRE 24 | culture 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 Georges Hugnet, surréaliste touche-à-tout La maison Christie’s disperse les archives de cet artiste provocant H ugnet (Georges) né en 1906 – Le Pantalon de la fauvette. Poète. Il se rallie définitivement au surréalisme en 1937. » Ainsi est défini, dans Le Dictionnaire abrégé du surréalisme composé par le groupe lui-même en 1938, l’écrivain et artiste Georges Hugnet, mort en 1974. Ce dernier, qui est moins connu que beaucoup des membres du groupe en dépit de son importance, verra ses collections et manuscrits dispersés aux enchères le 1er décembre chez Christie’s. La définition du Dictionnaire abrégé est poétique, mais très incomplète, tant ont été nombreuses les occupations d’Hugnet : poète, certes, mais aussi historien (contesté parfois) de Dada et du surréalisme, scénariste, épistolier infatigable, praticien prolifique du collage et de l’assemblage, fouineur de marchés aux puces, collectionneur des œuvres de ses amis – parmi lesquels Pablo Picasso, Joan Miro, Max Ernst et Hans Bellmer. Ce qui transparaît dans le catalogue de cette vente de près de trois cents lots, ce sont à la fois la diversité de ces activités et leur cohérence. Hugnet cherche en toutes circonstances les plaisirs de la surprise et de l’incongruité, c’està-dire l’exploration de sa singularité personnelle : dandysme, provocations. Les cercles d’avant-garde Ses débuts sont placés sous leurs signes. Né dans une famille d’ébénistes et d’orfèvres, il rencontre à 19 ans l’écrivain Marcel Jouhandeau, qui habite dans le même immeuble que sa mère. Lequel Jouhandeau le présente aussitôt au poète Max Jacob, par le truchement duquel il rencontre Jean Cocteau, qui l’introduit dans les cercles d’avant-garde. Hugnet va vite : un premier recueil de poèmes en 1928, un film en 1929, son travail aux Editions de la Montagne, où il publie Tristan Tzara, l’amitié puis la brouille avec Gertrude Stein, une étude historique sur Dada publiée dans Les Cahiers d’art en 1932 qui lui vaut de connaître André Breton met pas en scène comme grand artiste, mais comme un esprit libre qui joue avec les images qu’il trouve dans journaux et revues et organise, avec une paire de ciseaux, des juxtapositions et des hybridations d’objets, les unes absurdes et comiques, d’autres plus libertines et d’autres encore satiriques. Les stéréotypes publicitaires ou mondains de la représentation de la femme que répandent magazines et cinéma y tiennent une place majeure, Hugnet aimant à les ridiculiser. Ces montages ne dépareraient pas dans une exposition qui les réunirait aux collages ironiques que George Grosz exécute au même moment aux Etats-Unis et à ceux du pop art britannique également contemporain. Dans son appartement s’accumulent, dans un ordre très relatif, dont témoignent les photographies qui illustrent le catalogue, ses propres œuvres, celles de ses amis, les éditions originales dédicacées d’à peu près tout ce qui compte dans la poésie française de l’époque. Les vitrines sont pleines de bizarreries chinées, figurines en porcelaine, racines sculptées, boîtes Art déco, verreries, chinoiseries. « En tout objet, écrivait Hugnet en 1935, dans le plus insignifiant objet, dans l’objet abandonné comme dans l’objet insolite à l’usage oublié, dort une flamme qui, réveillée par nous, illumine, convulsive, fulgurante, nos obsessions. » Ce serait peu dire qu’il excellait à la réveiller. p Floraison de collages Dans sa librairie, on peut se procurer des faux papiers et les premiers volumes clandestins des Editions de Minuit, à la création desquelles il prend part. Sous le pseudonyme de Malo le Bleu, il participe au recueil L’Honneur des poètes, paru le 14 juillet 1943 et où il se trouve en compagnie de ses amis Robert Desnos, Paul Eluard ou Vercors. Après la Libération, il écrit Les Droits de l’homme. Souvenirs de la débâcle et de l’occupation nazie, dont manuscrits et tapuscrits, vendus ensemble, devraient, s’il reste une logique patrimoniale en France, être acquis par la BNF. Après la guerre, c’est le temps de la floraison des collages, dont les plus anciens datent des années 1930, des aquarelles et gouaches, des décalcomanies, des galets peints, des boîtes en forme de dioramas loufoques. Hugnet ne s’y philippe dagen EX NIHILO présente TAJ MAHAL UN FILM DE Nicolas Saada au cinéma le 2 décembre /BACFILMS #TAJMAHALLEFILM Un univers surréaliste : succession Myrtille et Georges Hugnet, Christie’s, 9, avenue Matignon, Paris 8e. Exposition les 27, 28 et 30 novembre, de 10 heures à 18 heures. Vente le 1er décembre à partir de 11 heures. « Les Jambes croisées », de Georges Hugnet. CHRISTIE’S IMAGES LIMITED 2015 G A L E R I E ARTS par l’intermédiaire de Tzara. Et, donc, la rencontre avec le surréalisme, ses poètes et ses peintres, ses colères et ses querelles. Hugnet en compose la plus précoce anthologie poétique en 1934, affirmant de la sorte la position particulière qu’il a maintenue jusqu’à sa mort : il est simultanément, sans solution de continuité, créateur et historien de la création. Son intérêt passionné pour Dada lui vaut, au même moment, la curiosité de Marcel Duchamp. Tout cela en huit ans. La suite est à la hauteur de son entrée en matière. Sous l’Occupation, il ouvre une librairie au-dessous de la galerie de Jeanne Bucher, l’une des très rares qui présentent des œuvres « dégénérées » malgré les nazis. Dès le 1er octobre 1940, il diffuse Non-Vouloir, poème de résistance qu’il définit lui-même comme « un tract ». PAULIN, PAULIN, PAULIN Galerie Emmanuel Perrotin Le designer Pierre Paulin (1927-2009) est illustre pour ses mobiliers aux formes souples, coques de bois moulées garnies de mousse et habillées de housses aux couleurs vives. Georges Pompidou lui demande d’aménager ses appartements à l’Elysée en 1971 et François Mitterrand lui confie son bureau en 1984. Ses créations sont innombrables et immédiatement reconnaissables. Plusieurs d’entre elles, dont la Tongue Chair et la table Cathédrale, figurent dans l’hommage très réussi que lui rend la galerie Perrotin. Des œuvres d’artistes d’aujourd’hui y sont associées à ses créations. Une jeune femme nue hyperréaliste, bronze peint en trompe-l’œil de John Andrea, est allongée sur un de ses tapis. Une autre profite d’un canapé. Bertrand Lavier accroche une peinture de sa série « Wall Disney Productions », aux lignes sinueuses exactement en accord avec le style Paulin. Laurent Grasso fait miroiter reflets et lumières sur des carrés de cuivre selon des angles variables. Il y a, là aussi, des pièces de César, JesusRafael Soto et Heinz Mack, contemporaines de la grande époque de Paulin et qui, comme il le faisait, mettent la géométrie en mouvement. Les peintures de Mike Bouchet, elles, suggèrent d’autres références, bien plus organiques et moins respectueuses. p philippe dagen « Paulin, Paulin, Paulin », galerie Emmanuel Perrotin, 76, rue de Turenne, Paris 3e. Tél : 01-42-16-79-79. Du mardi au samedi de 11 heures à 19 heures. Jusqu’au 19 décembre. L’HISTOIRE DU JOUR Une faille spatio-temporelle s’ouvre à Belleville I l est là, imperturbable, regard vague, comme si nous n’existions pas. Il vaque à ses occupations, il semble se sentir chez lui, se croire seul. Et, pourtant, nous sommes plusieurs à l’observer, au beau milieu d’un centre d’art. Longue moustache blanche de samouraï, blouse bleue, chaussures de cordes et gestes de moine zen : il est japonais, bien sûr. Mais sur lui, on n’en saura pas plus. Si ce n’est qu’il habite, littéralement, une exposition. Celle qu’a mise en scène au Plateau l’artiste Haris Epaminonda (jusqu’au 6 décembre, Fraciledefrance.com) : cette Berlinoise d’origine chypriote propose un véritable voyage sur les hauteurs de Belleville. Destination ? Un archipel hors temps. Qu’offre-t-elle à voir ? A priori, bien peu. Quelques objets un peu précieux, des photos de paysages asiatiques, des sculptures de métal filiformes. Entre deux vases, céladon ou céramique noire, se tiennent une maison à thé derrière ses stores de bambou et un aquarium où deux poissons rouges naviguent au-dessus d’une petite tête de bouddha échouée dans le sable. Dans un coin, au pied du mur, un pavillon d’or à la Mishima, et une salle offerte à la lune pleine, simpleL’EXPOSITION DE L’AR- ment filmée. Une pierre de lettré, aussi, et un bonsaï. TISTE CHYPRIOTE Cela ne serait rien, une mise en scène élégante et vide, sans l’intervention de HARIS EPAMINONDA ce vieil homme qui vient hanter l’exPROPOSE UN VÉRITABLE position trois après-midi par semaine (les mercredi, samedi et dimanche). Que fait donc cet inconnu aux pas VOYAGE, VERS UN lents, droit sorti d’un film d’Ozu ? Il ARCHIPEL HORS TEMPS frotte une pierre grise, comme pour la préparer à un rituel auquel on n’aura pas accès. Il fait chanter des amphores en versant de l’eau sur leur bouchon de pierres. Prépare le thé, entretient le foyer, éteint une bougie, ratisse un tas de sable qui jamais ne deviendra jardin zen. Et, pourtant, on éprouve à le regarder une sérénité semblable à celle qui naît des paysages minéraux des temples de Kyoto : une douce présence au monde. Une parenthèse de quiétude Par la grâce de cette artiste (qui avait frappé les esprits en investissant, en compagnie de Gustav Daniel Kramer, la gare de Kassel lors de la Documenta de 2012), une faille spatio-temporelle s’est entrouverte sur la colline. Ceux qui oseront s’y engouffrer auront peut-être une autre surprise. En errant dans les ButtesChaumont, à quelques encablures du Plateau, ils pourraient bien apercevoir, au loin, deux geishas en déshérence. Comme le sage nippon (en fait déniché par hasard dans les rues du quartier après qu’un casting eut fait chou blanc), Haris Epaminonda a invité ces belles en kimono à apparaître dans le parc sans qu’aucun agenda ne permette de les surprendre. Elles aussi ouvrent une parenthèse de quiétude bienvenue, dans un Est parisien ravagé par la peine depuis les attentats. p emmanuelle lequeux télévisions 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 | 25 Lors d’un reportage, à Korhogo (Côte d’Ivoire), de Frédéric Garat, envoyé spécial permanent de RFI à Abidjan, avant l’élection présidentielle qui s’est tenue le 25 octobre. PIERRE RENE-WORMS / RFI « RFI permet de traiter des questions sensibles de société ou de politique que les médias locaux sont parfois empêchés d’évoquer » STÉPHANE AKOA chercheur à la Fondation Paul Ango Ela Pour les responsables de la chaîne, cette proximité avec le continent lui donne aussi « une responsabilité » en matière de liberté d’expression et d’information. Les autorités nationales le savent bien et répondent parfois en coupant l’émetteur lorsque la tension avec la population devient trop forte. La station porte aussi son lot de drames. En 2003, Jean Hélène, son correspondant à Abidjan, est froidement assassiné de deux balles en pleine tête. Dix ans plus tard, le 2 novembre 2013, les envoyés spéciaux de la chaîne dans le Nord-Mali, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, sont enlevés, puis tués, à Kidal, alors qu’ils préparaient une série de reportages dans le pays. Le double meurtre avait été revendiqué par les djihadistes d’AlQaida au Maghreb islamique. Mais l’enquête n’a toujours pas abouti. La date a, depuis, été déclarée par les Nations unies Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes. RFI, l’Afrique au cœur La radio publique fête ses 40 ans. La station dispose du premier réseau FM au monde, grâce auquel elle a augmenté sa part d’audience de 8 % en 2014 sur le continent africain mauritanie, gabon, cameroun – envoyé spécial L e taxi, une guimbarde brinquebalante, avance au rythme d’une tortue dans les rues de Nouakchott, en Mauritanie. Les sièges sont défoncés et toutes les aiguilles du tableau de bord semblent figées dans le temps. Dans le taxi d’Ousmane, qui préfère taire son nom, seule la radio, branchée sur Radio France internationale (RFI), fonctionne normalement. Les débats d’« Appels sur l’actualité », un programme phare de la chaîne, animé par Juan Gomez, retiennent ce matin son attention. « Il faudrait que je téléphone à Juan Gomez un jour, j’ai plein de choses à dire à l’antenne », lance-t-il, en donnant un violent coup de volant pour éviter un nid-de-poule. Le conducteur du « tacot » écoute quotidiennement cette radio de service public française, qui émet depuis Paris en quatorze langues, en modulation de fréquence, en ondes courtes ou sur satellite, dans plus de 150 pays à travers les cinq continents. Dans les capitales et les zones rurales africaines, elle est la radio la plus écoutée, avec plus de 30 millions d’auditeurs chaque semaine, selon une étude TNS-Sofres, parue en octobre. RFI a lancé, le 19 octobre, une rédaction en mandingue, une langue parlée au Mali et dans les pays voisins. Après le haoussa, langue maternelle d’environ 30 millions de personnes en Afrique subsaharienne, et le kiswahili, notamment utilisé sur la côte est du continent. La rédaction en mandingue est à Paris. Celle en haoussa est à Lagos, au Nigeria, et celle en kiswahili à Dar es-Salaam, en Tanzanie. Son lancement coïncide avec la célébration des 40 ans de la station. L’anniversaire a failli passer sous silence, avec la multiplication des attaques terroristes sur le continent africain, mais aussi en France, avec les attentats de janvier et du 13 novembre. « Nous ne sommes pas dans une logique d’anniversaire, parce que RFI est éternelle, et que nous pouvons fêter, chaque année, ce que nous voulons », estime Marie-Christine Saragosse, PDG de France Médias Monde, un groupe qui réunit RFI, la chaîne de télévision France 24 et la radio généraliste en arabe Monte Carlo Doualiya. Si Marie-Christine Saragosse se refuse à célébrer un anniversaire en particulier, c’est que l’histoire de la radio est longue. Sa diffusion commence en 1931 avec Le Poste colonial, alors destiné à l’empire colonial français, jusqu’en 1938. Intégrée en 1945 au sein de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), la station prend le nom de Radio France internationale en 1975, au sein du groupe Radio France, avant de devenir une société indépendante en 1987, puis d’être de nouveau intégrée dans un giron, l’Audovisuel extérieur de la France, voulue par Nicolas Sarkozy, en 2008. quer, analyse le sociologue camerounais Stéphane Akoa, chercheur à la Fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique centrale, un think tank sis à Yaoundé. C’est une radio africaine parce qu’elle parle de l’Afrique aux Africains, et le plus souvent à partir de l’Afrique. » Claire Hédon, qui présente « Priorité santé » sur RFI, reçoit le cardiologue camerounais Yves Monkam. SÉBASTIEN BONIJOL/RFI « Une responsabilité » Mais, à chaque étape, l’objectif est resté le même : contribuer à la diffusion de la culture française à l’étranger. « Il s’agit d’aider à se projeter autour des valeurs de liberté et d’égalité que véhicule la France. Il s’agit aussi de donner aux Français des clés de compréhension du monde », précise Cécile Mégie, directrice de la station depuis 2012. Si RFI se partage l’espace africain avec d’autres radios internationales comme les chaînes britannique BBC World Service, américaine Voice of America et allemande Deustche Welle, elle dispose cependant du premier réseau FM au monde, avec plus de 156 relais installés dans 62 pays. Cette proximité a valu à la chaîne une augmentation de son audience en Afrique de plus de 8 % en 2014. A tel point que, aux yeux de certains, RFI est devenue une « radio africaine ». « Son histoire avec le continent est ancienne, se transmet d’une génération à une autre et lui permet de traiter des questions sensibles de société ou de politique que les médias locaux sont parfois empêchés d’évo- Porte-voix du quai d’Orsay ? Malgré ce drame, RFI affirme vouloir être encore plus présente au Mali et sur le continent africain. Le lancement d’une rédaction en mandingue s’inscrit dans cette logique. Tout comme les sites RFI Afrique, en rodage depuis le 25 novembre, et RFI Savoirs, qui sera notamment consacrée, dès janvier 2016, à l’apprentissage du français. Des sessions d’information ainsi que des émissions comme « Appels sur l’actualité », « L’invité Afrique », « Priorité santé » ou « Radio foot internationale » sont des rendez-vous attendus à Abidjan, à Dakar, ou à Kinshasa, des villes où la radio est connue par 9 habitants sur 10, selon l’étude TNS-Sofres. Cependant, ce succès, revendiqué par les responsables de la chaîne, n’empêche pas les critiques. La radio est parfois considérée comme le porte-voix du quai d’Orsay. « Il est difficile d’occulter l’idée qu’il s’agit d’abord de la voix de la France. On le voit bien lorsque les intérêts de l’[Hexagone] sont engagés quelque part. La couverture de la crise qui a précédé le référendum constitutionnel au Congo, par exemple, a semblé s’aligner sur la position ambiguë de l’Elysée », regrette Gervais Bouanga Ngoma, ancien journaliste et directeur général d’une radiodiffusion-télévision communautaire à Lébamba, dans le sud du Gabon. Selon ce professionnel, l’omniprésence de RFI en Afrique a aussi pour conséquence de « phagocyter » les radios locales, pourtant déjà fragilisées par un manque de moyens et des pressions diverses. « Cette critique tient d’une grande confusion. Nous sommes un média de service public et non une radio d’Etat. [Nous sommes donc une radio] indépendante », rétorque Cécile Mégie. p raoul mbog « La redevance audiovisuelle est une garantie d’indépendance » ENTRETIEN M arie-Christine Saragosse est présidente-directrice générale de France Médias Monde, qui regroupe RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya. Le projet de fusion des rédactions de France Médias Monde a été abandonné au profit de l’idée de refondation. C’est-à-dire ? Il s’agit pour les trois entités du groupe d’être plus efficaces ensemble, mais en restant, chacune, fidèle à son format, à son ambition et à son positionnement éditorial. On a réaffirmé, pour chacun de nos médias, son format, son posi- tionnement éditorial, sa promesse et son ambition. Les infrastructures et plusieurs services sont communs, mais aucun des trois médias ne craint plus de perdre son identité. D’ailleurs, cela facilite les possibilités d’un travail en commun, avec des projets éditoriaux transverses. Puisqu’on ne fusionne plus, l’idée est de réfléchir à comment travailler ensemble autour d’un socle de valeurs communes. Dans certains pays africains francophones, il se développe une forme de sentiment anti-Français. Comment gérez-vous cette question ? Nous avons une centaine de Clubs RFI [Radio France internationale], qui re- groupent près de 80 000 personnes. Ces clubs sont une approche qualitative de nos auditeurs, ce sont des baromètres qui sentent l’air du temps et nous le font remonter en même temps que le travail de nos correspondants sur le terrain. Dans les années 2000, ce sentiment anti-Français s’est exprimé de manière violente en Côte d’Ivoire. Bien souvent, ce sont des questions qui ne nous concernent pas directement et relèvent plutôt de divergences ponctuelles entre Etats. Nous ne les ignorons pas. Mais notre travail reste le même : écouter, donner la parole aux uns et aux autres, apporter des clés de compréhension, contextualiser ou faire de la pédagogie, le cas échéant. Comment les trois entités peuvent-elles rester des chaînes de service public sans donner l’impression d’être des médias d’Etat ? La première garantie à cela est qu’aucun journaliste du service public n’accepterait d’être considéré comme un « journaliste gouvernemental ». Le mode de financement des entités de France Médias Monde, qui est la redevance audiovisuelle, c’est-à-dire une recette apportée par les citoyens pour leur service public, est aussi une garantie d’indépendance. Les pouvoirs publics français n’interviennent en aucune façon dans l’élaboration de nos contenus éditoriaux. C’est l’un des avantages d’une grande démocratie. p propos recueillis par r. m. 26 | télévisions 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 Guillaume Durand, l’intranquille Le temps d’un livre, d’éclats de souvenirs teintés de mélancolie, le journaliste se raconte, à sa manière, singulière PORTRAIT grande admiration – « J’aime beaucoup Mitterrand, je ne vais pas m’en cacher ». Pourtant, il a été un jeune homme auquel « tout est devenu suspect, quand [il] a compris qu’à l’école on ne [leur] avait pas vraiment raconté ce qui s’était passé en France pendant la guerre ». « Tout juste nous disait-on que certains avaient fait du marché noir. Mais la collaboration, silence. Alors, je me suis senti churchillien, je me suis tourné vers le RoyaumeUni, sa culture, sa musique… » Une musique qui ne l’a pas quitté, alors que certains contemporains, comme Madonna ou les Daft Punk, ne sont pas épargnés par la férocité du portraitiste… D ans son livre, qui a pour titre Mémoires d’un arythmique (Grasset, 380 p., 20 €), Guillaume Durand n’a pas choisi d’aligner les souvenirs de sa carrière de journaliste, qu’il continue avec joie. Il a même introduit un peu de fiction – des textos menaçants qui lui auraient été envoyés, une curieuse aventure au Congo –, tout en se gardant bien de faire un roman, lui qui écrit, lucidement, ces mots qui vont déplaire : « Pourquoi beaucoup de mes confrères se mettent-ils à écrire des romans quand ils devinent que leur féroce profession va les satelliser autour de 60 ans ? Qui peut croire que l’on puisse subitement devenir écrivain à mitemps à l’automne d’une vie ? Existe-t-il des sculpteurs et des pianistes à vocation quinquagénaire ? Evidemment non, conversion absurde. Mais mon bien-aimé milieu feint de croire le contraire. » Ce récit, il aurait aussi pu l’appeler « Mémoires d’un intranquille ». Car, depuis son enfance, et ce moment où un homme ivre et dérangé a poignardé son père – celui-ci a survécu mais est resté paralysé un an –, Guillaume Durand est un inquiet. L’arythmie a évidemment aggravé cette inquiétude : « Mon cœur s’est, un jour, brutalement emballé, écrit-il. Je suis devenu comme presque un million de Français : un arythmique, c’est-àdire un type qu’on prend pour un hypocondriaque ou un condamné. » Médicaments, opération. Et angoisse. Mais ce n’est pas cela qui fait de lui « le faux gai dans toute sa splendeur ». C’est son regard sur la vie, empreint de mélancolie, et parfois de nostalgie. Et c’est cette légère mélancolie qui donne à son livre une singularité. Nombre de ses contemporains – il est né en 1952 – y trouveront un écho de leurs passions et de leurs interrogations. Les plus jeunes, eux, comprendront peutêtre mieux cette génération « approximative », née après la guerre, Au café La Palette, à Paris, le 8 novembre. JÉRÔME MARS/SIPA pendant ces fameuses « trente glorieuses » de forte croissance économique. Avant la crise. Avant le terrorisme. Férocité du portraitiste Professionnellement, Guillaume Durand se dit « heureux ». « J’ai été heureux pendant dix ans à Europe 1, heureux à LCI, et même à Canal. J’ai aimé la télévision, même si j’y suis venu un peu par hasard, au moment où je voulais gagner plus d’argent, pour prolonger l’aventure de mon père galeriste, en devenant collectionneur. « Dans le milieu de la télé, je suis passé pour un snob » GUILLAUME DURAND Et là, je me suis fracassé. » Aujourd’hui, il vit « avec bonheur » sa sixième saison à « La matinale de Radio classique ». « Je pensais que ça allait durer un an, et me voilà dans la sixième année. Au fond, j’aime la discipline et l’hygiène de vie que cela suppose. Je me couche tôt, je lis l’après-midi. » En outre, depuis septembre 2014, il présente sur TV5Monde, tous les samedis, de 17 heures à 18 heures, « 300 millions de critiques », « une émission sur l’actualité culturelle francophone à travers les regards croisés de journa- listes belges, suisses, canadiens, québécois, français et, en fonction des thématiques, africains, maghrébins, libanais… » Si le journalisme n’est pas le fil conducteur de ces souvenirs « en éclats », de ces Mémoires un peu déjantés, il est tout de même question de quelques émissions mémorables, d’entretiens avec des écrivains – il a une vraie tendresse pour Françoise Sagan – de rencontres avec des hommes politiques, au premier chef François Mitterrand, pour lequel Guillaume Durand garde une Arte élargit son champ de vision Marco Nassivera, directeur de l’information de la chaîne, explique comment sa rédaction a traité les attentats de Paris L es attentats survenus le 13 novembre en région parisienne ont été très rapidement couverts par les médias du monde entier. Mais si la couverture de tels événements a évidemment été suivie de près par les chaînes de télévision françaises, comment la rédaction franco-allemande du JT d’Arte, avec son approche traditionnellement et culturellement moins franco-française, a-t-elle réagi ? « Il est toujours plus facile d’être là où les autres vont moins, ce qui est souvent le cas pour le journal d’Arte qui, depuis sa création, traite une actualité internationale un peu délaissée par les chaînes françaises », souligne Marco Nassivera, directeur de l’information de la chaîne franco-allemande depuis janvier 2013, et fin connaisseur d’un média atypique pour lequel il travaille depuis plus de vingt ans. « A Paris, lors des attentats, tous les médias étaient sur place et, pour Arte, qui n’a pas les moyens des grandes chaînes françaises sur le terrain, il était d’abord nécessaire de faire un travail d’explication qui puisse être clairement compris, notamment par notre public allemand, sans se perdre dans les données chiffrées ou les noms de lieux. Notre JT dure habituellement vingt minutes, même si l’édition du 14 no- vembre a été exceptionnellement rallongée d’environ dix minutes. Dans ce laps de temps, il nous a fallu d’abord faire un point très factuel sur les événements avant d’élargir notre champ de vision et d’aller voir ailleurs, dans des pays plus ou moins proches, mais tous touchés par le terrorisme. Etre réactifs tout en restant sobres, c’est un peu notre marque de fabrique… » Un JT pour les 7-14 ans Sur certaines chaînes étrangères, le téléspectateur a pu voir des images parfois choquantes, avec cadavres ensanglantés en gros plan. Un cas de figure difficilement imaginable sur les chaînes françaises qui, règle tacite, ne montrent jamais de cadavre lors d’attentats de ce type. Et Arte ? « Les Allemands sont encore plus scrupuleux et sensibles sur ce point précis : pas de cadavres ! Notre direction est très vigilante et nous faisons tous attention aux images diffusées », souligne Nassivera, qui, dès le 15 novembre, a dû gérer un début de polémique concernant… les migrants. « On sentait une polémique monter rapidement en Allemagne, entre une manifestation de Pegida et certaines déclarations de politiques faisant un amalgame entre migrants et terroristes. Comme d’habitude, nous sommes allés voir ailleurs, sur le terrain, pour élargir notre champ de vision : en Turquie, en Pologne, en Hongrie, où certaines réactions antimigrants ont été violentes. Nous avons aussi tourné des sujets en Grande-Bretagne pour expliquer comment les autorités locales ont tenté, au fil du temps, de déradicaliser ce que l’on appelait le “Londonistan”. Bien avant les attentats de Paris, les sujets sur les migrants occupaient nos antennes et intéressaient fortement le public d’Arte. Cette année, nous avons dû en tourner au moins une centaine dans nos JT. » Depuis septembre, Arte propose un JT quotidien de six minutes à destination des 7-14 ans. Là encore, les attentats de Paris ont fait l’objet d’un travail méticuleux. « Beaucoup d’enfants sont déboussolés face à de tels événements, et nous avons décidé de faire un gros effort de pédagogie. Nous avons pris le temps pour expliquer ce qu’était un djihadiste, un kamikaze, le RAID ou ce que signifie l’état d’urgence, la minute de silence. Et même comment Daech se finance. On y apporte le même soin que lorsqu’on s’adresse aux adultes, avec nos soirées thématiques consacrées à Daech, aux mouvements salafistes ou à l’engagement des troupes françaises au Sahel. » p alain constant « Vision poétique de la vie » Guillaume Durand ne cache pas qu’on le prend pour « un gosse de riches ». « Dans le milieu de la télé, je suis passé pour un snob, un présomptueux. Mais mes parents ne sont pas des gens d’argent. » Le privilège de son enfance n’était pas la richesse, mais la chance d’avoir des parents « qui avaient une vision poétique de la vie, qui aimaient les artistes ». La galerie de son père était rue Mazarine, dans le 6e arrondissement de Paris, tout le monde venait boire à La Palette, les artistes n’étaient pas « friqués », « pas prêts à tout pour faire plaisir à de riches collectionneurs incultes bardés de conseillers ». Etre enfant et adolescent dans ce quartier était une chance « qu’on garde pour la vie ». « Je voyais passer Louis Aragon, Simone de Beauvoir, la bande du groupe Tel Quel, Marguerite Duras… » Nicolas Canteloup, sur Europe 1, se moque régulièrement de ce Durand chic et snob. « La moquerie ne me dérange pas. La violence si. » Son attachement à ces années heureuses ne fait pas de Guillaume Durand « quelqu’un qui regarde dans le rétroviseur ». « J’attends encore le Messie, un nouveau grand artiste. » p josyane savigneau EMMY AWAR D S Trois productions françaises récompensées Pas moins de trois International Emmy Awards ont été décernés à des Français, lors de la cérémonie qui, le 23 novembre à New York, récompensait les meilleurs programmes télévisuels produits dans le monde, hors EtatsUnis. La saison 5 d’« Engrenages », diffusée sur Canal+, a été couronnée meilleure série dramatique. Soldat blanc, d’Erick Zonca, diffusé sur Canal+, a été primé dans la catégorie meilleur film de télévision ou mini-série, tandis que le meilleur programme sur l’art récompensait le documentaire Illustre & Inconnu : comment Jacques Jaujard a sauvé le Louvre, réalisé par Jean-Pierre Devillers et Pierre Pochart et diffusé sur France 3. ART E La chaîne franco-allemande en anglais et en espagnol Depuis le 17 novembre, Arte est devenu quadrilingue et propose désormais, au-delà du français et de l’allemand, des contenus sous-titrés en espagnol et en anglais sur son site Internet. Chaque semaine, une douzaine d’heures de programme seront mises en ligne gratuitement autour d’émissions culturelles et de documentaires tels que « Tracks » ou « Arte Reportage ». télévisions | 27 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 Tout commença il y a trente-six ans à La Mecque Yannick Adam de Villier et Sofia Amara retracent, étape après étape, quarante ans de djihadisme international TF1 20.55 Gran Torino Film de Clint Eastwood (EU, 2008, 135 min). 23.10 Les Experts FRANCE 2 DIMANCHE 29 – 20 H 55 DOCUMENTAIRE L’ année 1979, année islamique. Tout a commencé là : la révolution en Iran bien sûr, mais aussi l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique, et enfin la prise de la Grande Mosquée de La Mecque par un commando d’extrémistes religieux saoudiens. De ces trois événements fondateurs, qui continuent de façonner le Moyen-Orient et les crises que nous traversons, l’attaque du premier lieu saint de l’islam est celui qui est passé le plus inaperçu à l’époque. Aujourd’hui encore, on en parle peu, et seuls les spécialistes y voient un véritable tournant. Cette attaque – en fait la prise en otage de milliers de pèlerins par un groupe dirigé par Juhaiman AlOtaybi – est la première action d’envergure faite au nom du djihad international. Avant cela, seul un obscur groupuscule égyptien avait kidnappé et tué un ministre du gouvernement Sadate. A La Mecque, il s’agit de tout autre chose : un commando de près de 300 hommes, originaires de plusieurs pays, qui dénonce la monarchie corrompue des Saoud, accusée d’avoir vendu le pays aux Occidentaux. Cette contestation du régime saoudien au nom de la pureté religieuse, on la retrouvera un peu plus d’une décennie plus tard, lorsque Oussama Ben Laden, auréolé de sa contribution à la victoire des moudjahidine afghans contre l’Union soviétique, rentra au pays proposer ses services à la famille royale, terrifiée par l’invasion du Koweït par les troupes de Saddam Hussein. A son grand dam, la « maison des Saoud » préféra faire appel à l’armée américaine et à la coalition de 33 autres pays rassemblés pour délivrer le Koweït. Une fois la guerre gagnée, les EtatsUnis en profitèrent pour s’installer à long terme en Arabie saoudite, et Oussama Ben Laden, déjà hostile à la politique américaine au ProcheOrient (sous l’influence de son maître à penser, le religieux palestinien Abdallah Azzam), se lança dans un nouveau djihad, non plus contre l’Union soviétique, mais cette fois-ci contre l’Amérique. Le film de Yannick Adam de Villier et Sofia Amara, De Ben Laden à Daech. Aux origines du djihad, résume parfaitement l’enchaînement implacable des causes et des effets qui ont fait du jeune « gosse de riche » saoudien l’inspirateur (et non pas le penseur) du plus grand défi politico-militaire posé à l’Occident à la fin du XXe siècle et VOS SOIRÉES TÉLÉ DIMANCHE 29 NOVEMBRE France 2 20.55 De Ben Laden à Daech : aux origines du djihad France 3 20.50 Les Enquêtes de Murdoch Canal+ 21.00 Football Ligue 1 : Marseille-Monaco. France 5 20.40 La Pomme de terre dans tous ses états Documentaire (Fr., 2015, 50 min). 22.25 De Rouen à Hiroshima Ci-dessus, Oussama Ben Laden. CAPTURE VIDÉO/AFP Ci-contre, Abou Bakr Al-Baghdadi. AFP Arte 20.45 Le Talentueux M. Ripley Film d’Anthony Minghella (EU, 1999, 135 min). 23.00 Le Rêve de Hollywood Documentaire (EU, 2011, 80 min). M6 20.55 Capital Les grandes marques ne meurent jamais. LUN D I 30 N OVE M B R E TF1 20.55 Une famille formidable Série (Fr., 2015, 115 min). 22.50 New York, unité spéciale Juhaiman Al-Otaybi. AFP en ce début de XXIe. Plutôt que de débuter par l’actualité immédiate, les auteurs ont choisi de reprendre le fil de cette histoire à la source, déroulant les étapes les unes après les autres avec pédagogie et sans presser le pas. Aveuglement occidental Il en résulte un certain déséquilibre du film, qui soudain s’accélère à partir du 11-Septembre 2001. Mais c’est une histoire plus connue du grand public. Il reste que le passage de relais – ou plutôt la prise de pouvoir – à partir de 2004, à la branche irakienne d’Al-Qaida, qui a donné une coloration antichiite et un contenu territorial (d’où le choix de se rebaptiser Etat islamique), aurait mérité une explication un peu moins rapide. Ce qui frappe, à la vision du documentaire, c’est la cohérence du projet djihadiste, qu’il soit local ou global, antisoviétique ou antiaméricain, par une élite soigneusement sélectionnée (Al-Qaida) ou de jeunes Européens radicalisés et mal islamisés (l’organisation Etat islamique). A cet égard, le film insiste – trop brièvement – sur Abou Moussab Al-Souri, un Syrien à la peau blanche et aux cheveux roux, ancien responsable de la branche médias d’Al-Qaida, qui a élaboré, en 2004, une somme théologicopratique du djihad post-11-Septembre. Partant du principe que des opérations d’envergure du type de celles du World Trade Center étaient désormais impossibles, il a théorisé les opérations solitaires et « modestes », c’est-à-dire nécessitant peu de moyens, mais rencontrant un grand écho. Alors que Ben Laden était obsédé par les Etats-unis et son bras droit, Ayman Al-Zawahiri, par le monde arabe, en particulier l’Egypte, Abou Moussab Al-Souri s’est surtout intéressé à l’Europe, dont il mesure la faiblesse et l’intérêt à l’aune de ses communautés musulmanes, nombreuses et souvent mal intégrées. Pour lui, des attentats à répétition en Europe vont radicaliser les opinions contre les musulmans d’Europe, les poussant dans les bras, du moins l’espère-t-il, du L’attaque du premier lieu saint de l’islam est la première action d’envergure faite au nom du djihad international mouvement djihadiste. C’est exactement le but recherché des attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis. Autre enseignement du film de Yannick Adam de Villier et Sofia Amara, l’aveuglement occidental qui a souvent consisté à sous-estimer la menace et surtout l’adversaire en ne lui prêtant pas de vision d’ensemble ni de projet cohérent. En pensant qu’il suffisait d’oublier le problème pour qu’il disparaisse. C’est ce qui s’est produit à deux reprises. Une première fois après le djihad afghan, lorsque les Etats-Unis, satisfaits d’avoir sai- gné à blanc l’ennemi soviétique, ont abandonné l’Afghanistan à son sort. La seconde fois remonte à 2011, au moment du retrait américain d’Irak. Pendant les trois années qui ont suivi, les effroyables tueries de chiites menées par l’EI en Irak ont été vues comme un problème purement irakien, ou interne à l’islam, jusqu’à la prise de Mossoul, la deuxième ville du pays, en juin 2014. La proclamation du « califat » par Abou Bakr Al-Baghdadi marque une étape décisive pour l’islamologue Mathieu Guidère. « La restauration du “califat” va être très difficile à déraciner. On a des mesures, des stratégies, des armes, mais pas de projet politique à y opposer. » Le djihadisme international a commencé il y a trente-six ans à La Mecque, il n’en est probablement qu’à la moitié de sa vie. p christophe ayad De Ben Laden à Daech. Aux origines du djihad, de Yannick Adam de Villier et Sofia Amara (Fr., 2015, 130 min). France 2 20.55 Castle Série. 0.05 Le Destin Film de Youssef Chahine (Egy., 1997, 130 min). France 3 20.50 La Vie secrète des chansons Documentaire (Fr., 2015, 125 min). 23.50 Rock’n’Rennes Canal+ 21.00 Versailles Série (GB-Fr., S1, ép. 5 et 6/10). 22.45 Spécial investigation Ecolos : ennemis d’Etat. France 5 20.40 René Bousquet ou le grand arrangement Téléfilm (Fr., 2006, 105 min). Arte 20.55 Annie Hall Film de W. Allen (EU, 1977, 90 min). 22.25 Woody Allen : a documentary M6 20.55 L’amour est dans le pré : seconde chance 28 | télévisions 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 Le réveil de Stéphanie Loire SÉLECTION RADIO Depuis le début de la saison, la Lyonnaise coanime avec humour la matinale de Chérie FM SOUVE N IRS I l est 7 h 27. L’heure de manger des… huîtres. Un collègue du Web, Dimitri, a rapporté une bourriche du Père Rabaud. Entre deux slows, Stéphanie Loire se laisse tenter avec gourmandise. « Il ne manque que le vin blanc », lance-t-elle de sa voix éraillée. N’est-ce pas un peu tôt pour un condrieu ? Pas du tout. Levée depuis 4 h 30 pour prendre l’antenne de Chérie FM de 6 heures à 9 heures, la présentatrice est en appétit. Avec ces lumières roses tamisées et ces fauteuils en simili cuir, le studio de Chérie FM (groupe NRJ) a des allures de club libertin. Dans ce décorum kitch et coquin, le rire de la jeune femme résonne au point de devenir contagieux. Stéphanie Loire, c’est une voix joliment cassée, proche du timbre d’un fumeur de Gitanes. « Sa voix est particulièrement suave », reconnaît le comédien Manu Payet, qui a travaillé avec elle sur NRJ, il y a une dizaine d’années. « Antithèse des chaînes d’info » Avec ses grosses lunettes sur le nez, Stéphanie Loire ressemble au personnage de manga Aralé, diablement drôle et maladroit. Comme elle. Chaque vendredi, elle chante la météo sur l’air d’une chanson connue dont elle remplace les paroles par des prévisions et des températures. Un grand moment d’autodérision. « Elle apporte de la fraîcheur en même temps que du contenu », souligne Gaël Sanquer, le directeur des antennes radio du groupe NRJ. Une qualité qui a poussé la station à la débaucher pour « épauler » l’animateur Vincent Cerutti – ex-présentateur de l’émission « Danse avec les stars » (TF1) – dans la matinale de Chérie FM. Effet Stéphanie Loire ? Selon les chiffres de Médiamétrie, publiés le 18 novembre, elle se classe désormais à la sixième place des « Morning » de France – devant le gros concurrent RFM – avec 266 000 auditeurs, soit 58 000 de plus sur un an. Ainsi, depuis le 24 août, cette métisse (son père est franco-laotien) au sourire bienveillant, tient à respecter sa « promesse » : réveiller les Français dans la bonne humeur, encore plus en cette sombre période marquée par les attentats. « Ceux qui viennent nous écouter veulent oublier leurs problèmes, ne pas voir les chaînes d’information Quand NRJ lance son école de radio, elle appelle la station tous les jours à la même heure pendant un mois VINCENT BINANT en continu, explique-t-elle. Ils mettent leur cerveau en pause et se marrent avec nous. Nous sommes l’antithèse des chaînes d’info. » Pendant trois heures, l’animatrice réagit aux plaisanteries de l’animateur en chef, interagit avec les auditeurs, raconte des anecdotes de son quotidien, qui n’a rien à envier au malchanceux François Perrin qu’interprète Pierre Richard dans La Chèvre, de Francis Veber. « La radio, c’est l’école de la repartie, du ping-pong », expliquet-elle. Ses collègues louent son naturel. « Ce n’est pas la fille qui fait une pige à la radio et saute dans sa Porsche Cayenne à 9 heures », estime Vincent Cerutti. Divertissement et légèreté Stéphanie Loire croit en deux mots : divertissement et légèreté. « Il y a une différence entre légèreté et superficialité, souligne-t-elle. Divertir, c’est une notion très noble, ça ne veut pas dire avilir. » La radio, c’est son « truc », comme elle dit. Pourtant, au départ, rien ne semblait devoir la diriger vers cette voie. Certes, cette fille unique, adolescente, s’endormait en écoutant le Doc et Difool sur Skyrock. Mais le monde de l’audiovisuel demeurait à des années-lumière de son village natal de Sainte-Foy-l’Argentière (Rhône). Après trois années passées à la fac de Lyon, elle suit l’Ecole des attachés de presse (EFAP) dans l’optique de devenir journaliste, puis monte à Paris. En octobre 2004, elle est amenée à couvrir une conférence de presse tenue par NRJ, qui annonce le lancement de sa propre école de radio, la NRJ School. « C’est ça qu’il faut que je fasse ! », se dit-elle. Elle appelle la station tous les jours à la même heure pendant un mois, menaçant ses interlocuteurs de faire une grève de la faim s’ils ne retiennent pas sa candidature. Elle fera partie des dix chanceux sur les 1 900 présélectionnés, apprendra le métier, les codes et servira le café aux animateurs. Mais c’est la télé qui lui ouvre véritablement ses portes. Canal J, France 3, Voyage, NT1, D8, et dernièrement D17 sur laquelle elle coanime le « Morning » de septembre 2013 à juin 2015, avec Cartman et Vincent Desagnat. Pendant dix ans, elle présente chroniques et émissions. « Mais j’étais en galère de micro », avoue-t-elle. Stéphanie Loire souhaite désormais se consacrer à la radio et obtenir un jour sa propre émission sur une grande station généraliste. Sur Chérie FM, elle a trouvé le ton juste, à savoir une voix qui « n’agace pas », ainsi que le précise Vincent Cerutti. Mais aussi « qui n’allume pas et ne minaude pas », assure l’animateur Manu Lévy. Une qualité moins anecdotique qu’il n’y paraît, sur une station comme Chérie FM dont une grande partie des auditeurs sont des auditrices. Des femmes qui la perçoivent comme une bonne copine. Un point dont elle peut se réjouir. Avec cet avantage, qu’offre de surcroît la radio, « d’avoir le droit de grossir et de vieillir », sourit-elle. Il est 8 h 47, Stéphanie Loire a envie de pâtes aux fruits de mer. p mustapha kessous « Le Réveil Chérie », de 6 heures à 9 heures sur Chérie FM. « Culture musique » A partir du 4 octobre 1965, il anime sur France Inter « Le Pop-Club », une émission que la station n’interrompra que quarante ans plus tard, en 2005. José Artur (1927-2015) y inaugure un ton nouveau, où l’humour ne cède en rien à l’acuité critique dont il sait faire preuve. Artistes, écrivains, hommes politiques se croisent dans cette émission qui mêle commentaires, interviews et musique. La productrice Merryl Moneghetti est allée fouiller dans les archives de cette émission mythique pour en rapporter une épopée passionnante. DU 30 NOVEMBRE AU 3 DÉCEMBRE – FRANCE CULTURE – 15 HEURES OPÉ RA « Classic Club » A l’occasion des deux nouvelles productions de l’Opéra de Paris, Le Château de Barbe-Bleue et La Voix humaine, Lionel Esparza recevra le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski et la soprano Barbara Hannigan. Ils reviendront sur ces deux opéras signés Bartok et Poulenc. En direct et en public, de l’Hôtel Bradford (8e arrondissement de Paris). LUNDI 30 – FRANCE MUSIQUE – 22 H 30 CON CE RT Schoenberg (Symphonie de chambre n° 2, op. 38), Brahms (Concerto pour piano n° 1 en ré mineur, op. 15), Brahms-Schoenberg (Quatuor pour piano en sol mineur, op. 25). Avec Lise de La Salle (piano) et l’Orchestre philharmonique de Radio France, sous la direction de Karl-Heinz Steffens. En direct de l’Auditorium de Radio France, à Paris. VENDREDI 4 DÉCEMBRE – FRANCE MUSIQUE– 20 HEURES 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT GRILLE N° 15 - 282 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII I. Ne rate jamais une occasion au moment où elle passe. II. Muse de l’astronomie devenue papillon. Politesse de départ. III. Manifestation de douce sympathie. Deux lettres pour compléter la théorie. IV. Tourne le dos à ses engagements. Pose problème. Marque un temps d’hésitation. V. Met in à la prière. Ouvrent les portes et les portées. VI. Attire l’œil du lecteur. Facilite la circulation à l’intérieur de la Communauté. Franchir le pas. VII. Grosse ou légère, elle fait du bruit. Saint en mauvais état. VIII. L’alsacien et l’autrichien se jettent dans le Rhin. Traitas les afaires. IX. Jugement très favorable. Afaiblit. X. Rendra le passage diicile. du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. 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Protégé avant d’être mis à l’étalage. 3. Etofe à poils longs. Pâté en ville. 4. Génies des eaux du Nord. A suivre pour ne pas se perdre. 5. Peut faire des éclats. S’accroche aux vieilles branches. 6. Planté sur le terrain avant de frapper. Sorti de l’esprit. 7. Sans accompagnement. Réjoui. 8. Fait des dégâts dans le parc. Peuvent faire des dégâts dans les pavillons. 9. Du rouge dans l’étang. Bien sombres. 10. Sur la portée. Partit s’installer ailleurs. 11. Incapable de lâcher prise. Lourd et mou. 12. Apportât un doux bien-être. La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 & CIVILISA TIONS IX N° 12 DÉCEMBRE 2015 NS & CIVILISATIO L’AUTRE JÉSUS NGILES CES EVA ´ QUE L’EG´LISE ´ RTES A ECA ´ CÉSAR STRATÈGE IS COMMENT IL A CONQU LA GAULE Chaque mois, un voyage à travers le temps et les grandes civilisations à l’origine de notre monde AUX SOURCES DU NIL UNE DÉCOUVERTE MYTHIQUE EN 1862 PYTHAGORE PHILOSOPHE MATHÉMATICIEN ET GOUROU LA BATAILLE T D’AZINCOUR FRANCE POURQUOI LA A PERDU EN 1415 CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») usages | 29 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 Des gyroroues Solowheel. CYRUS ATORY, VINCENT BOURDEAU/SOLOWHEEL EUROPE L’ homme-machine glisse, sans effort apparent, sur le trottoir. Il dépasse de deux bonnes têtes les piétons entre lesquels il slalome silencieusement et qui, en le voyant, se figent, intrigués. Entre ses pieds, une roue lumineuse semble être le prolongement naturel de son corps… Croiser l’un de ces centaures sur gyroroue (ou roue électrique gyroscopique) n’a encore rien de banal. D’ici à 2017-2018, pourtant, plus personne ne se retournera sur le passage de ces nouveaux véhicules électriques individuels, qui conquièrent les métropoles où la voiture n’est plus reine. On connaissait le vélo à assistance électrique, ses ventes exponentielles : 77 500 en 2014, soit un gros tiers de plus qu’en 2013. Arrivent, dans la foulée, les skateboards, trottinettes et monocycles rechargeables sur secteur. Preuve que le marché est prometteur, la grande distribution se positionne : trottinette électrique maison chez Decathlon, roue motorisée dans les Fnac parisiennes et chez Boulanger. Les mini-planches électriques, que personne ne sait encore comment appeler (smartboards, overboard, overtracks…) et dont les roues sont trop petites pour franchir le moindre trottoir, s’arracheront pourtant à Noël, sait-on déjà. Facile à prendre en main, la trottinette a ouvert la voie de la micromobilité sur batterie. Mais la roue futuriste la rattrape désormais, portée par le même engouement que le roller en ligne au début des années 2000. Mille euros en moyenne Sans manche ni volant, dotée de deux repose-pieds latéraux rétractables, la gyroroue se bloque entre les mollets et se commande, comme son grand frère, le Segway, en inclinant délicatement le buste vers l’avant, l’arrière ou le côté. Il faut comprendre comment se hisser à peu près dignement, dépasser l’appréhension de se lancer en avant, mains libres, puis oser lâcher le mobilier urbain et croire aux lois de l’équilibre. Trois demiheures de cours valent mieux que la consultation, même prolongée, de tutoriels, pour protéger son intégrité physique… Qui doutait que les Français fussent téméraires ? Dans nul autre pays voisin, les roues autonomes ne gagnent aussi vite du terrain. « ON PASSE PARTOUT, FLUIDE, ON FLOTTE, ON A PRESQUE L’IMPRESSION QUE LA PENSÉE CONTRÔLE LA ROUE » ALEXANDRE CAVARO adepte de la gyroroue de 27 ans en roue, libres ! Sur les trottoirs, ils sont de plus en plus nombreux à glisser comme par magie, les pieds calés sur un drôle d’engin. Et sans les mains. La gyroroue électrique, simple gadget ou nouveau vélo ? Environ 10 000 d’entre elles se sont écoulées en deux années de commercialisation. La chute continue des prix (1 000 euros désormais en moyenne, avec des entrées de gamme correctes à 700 euros) n’y est pas pour rien. Car, si le brevet est américain, c’est de Chine que proviennent tous les engins, et en masse. Les marques leaders (Solowheel et Ninebot) se voient concurrencées par des dizaines de « copieurs ». Devant l’Opéra Bastille, ce samedi soir d’automne, ils sont une centaine de wheelers, comme ils s’appellent en référence fusionnelle à leur roue, à attendre le départ de la randonnée hebdomadaire à travers Paris – ils n’étaient pas plus de vingt, en 2014. Des hommes, pour l’essentiel, « qui se projettent dans l’avenir, comme les informaticiens, les architectes, les ingénieurs, ou qui veulent gagner du temps, comme les avocats », observe l’importateur européen de Solowheel, Vincent Bourdeau. Ils forment une communauté, avec leur page Facebook, leur fil de discussion, leurs cartes interactives susceptibles de géolocaliser d’autres usagers proches. Des acrobates freestyle, des bidouilleurs experts dans l’art de doper les machines… Une tribu pionnière déjà dotée de ses héros, comme le postier qui, cet été, a avalé 1 500 kilomètres de bitume sur sa roue, des Pays-Bas aux Pyrénées. Olivier Mignot, distributeur en France des roues Ninebot, ciblait au départ les jeunes adeptes des sports de glisse. Il a finalement séduit les générations précédentes, alliant pouvoir d’achat et besoin de se simplifier la vie, « cadres ur- bains de 30 à 45 ans, lassés du scooter ou du métro ». Leur engin ? Surtout pas un gadget. Un vrai mode de déplacement quotidien, doté d’une trentaine de kilomètres d’autonomie, qui leur offre « la liberté », répondent-ils comme grisés, transformés en autant de VRP. Fini les pleins d’essence, les embouteillages, les soucis de stationnement et d’entretien, le bruit et la pollution. Place au panachage des transports (la roue d’environ 10 kg se porte dans le métro, se glisse dans le coffre), et au plaisir de glisser sur l’asphalte comme sur la neige. « Potentiellement risquée » Alexandre Cavaro, 27 ans, technicien en centrale nucléaire, n’y voit rien moins qu’une « révolution des déplacements » : « On passe partout, fluide, on flotte, on a pres- que l’impression que la pensée contrôle la roue. » Surenchère de Raphaël Marchand, 43 ans, ingénieur informatique habitué des bords de Marne : « Cela a sauvé mes gosses ! » Deux pré-ados qui ont daigné lâcher leurs jeux vidéo. « Cela m’a coûté un rein, 3 000 euros les trois roues, mais, maintenant, ce sont eux qui me demandent de sortir ! » Pour lui, c’est sûr, la pratique « ne peut qu’exploser ». « Tous ceux qui nous voient veulent essayer. » Même les retraités. Comme Gilles Fougère, 65 ans, un ancien de la réparation de poids lourds : « A mes débuts, en juin, j’en conviens, j’ai eu un peu de mal. Ma femme m’entendait tomber dans le garage, elle ne voulait plus me voir dessus ! Il m’a fallu huit leçons. Maintenant, c’est magique. Et, dans mon coin de Seine-et-Marne, à La Ferté-sous-Jouarre, je suis l’oiseau rare. » Se sentir précurseur, être observé, interrogé, un brin admiré, il y a là de quoi nourrir un phénomène. « Le côté ego, résume Christophe Bayart, qui tient la boutique Mobility Urban, à Toulouse. Vous avez les mains dans les poches, vous vous déplacez, vous n’êtes pas comme tout le monde. Certains se vantent un peu… » A moins que leurs grands airs ne témoignent de la concentration requise par l’exercice d’équilibriste. Une plaque d’égout mal encastrée, la laisse d’un chien, un piéton qui zigzague, nez dans le smartphone, et c’est la chute… Pour les usagers de la roue comme des trottoirs, la gyroroue est « potentiellement risquée », admet Guillaume Bocs, fondateur de la prospère boutique parisienne E-roue. « Mais les wheelers sont prudents, parce qu’ils se sentent vulnérables et craignent une réglementation. » Pour l’instant, les gyroroues, que le code de la route n’avait pu prévoir, sont tolérées sur piste cyclable, sur trottoir aussi tant qu’elles ne dépassent pas les 6 kilomètres-heure, mais interdites sur route. Au Royaume-Uni, elles ont été totalement bannies de l’espace public. Les photos de jambes dans le plâtre et d’engins en feu, publiées sur les réseaux sociaux, inquiètent chez Solowheel ou Ninebot. Trop de roues dangereuses, vendues 400 euros, arrivent en France, qui dépassent les 25 kilomètres-heure ou calent d’un coup, éjectant leur passager. Leurs batteries en lithium prennent feu, ce qui commence à inquiéter les compagnies aériennes – faut-il interdire le transport en soute de ces fameuses roues ? Pour pousser les normes de sécurité, les deux marques phares travaillent à une certification de l’Association française de normalisation. La communauté des wheelers, elle, s’autogère. Et n’organise plus ce qu’elle appelait les « randos-mojitos ». p pascale krémer Chéri, j’ai rétréci la maison ! L’avenir est-il à la décroissance résidentielle ? Né aux Etats-Unis, le phénomène des « maisons minuscules » prend de l’ampleur P our vivre heureux… vivons dans moins de 20 m2. Les tiny houses (en français « maisons minuscules »), ces maisonnettes en bois sur roues, écologiques et confortables, fusion entre la cabane et la roulotte, poussent comme des champignons. Né aux Etats-Unis au début des années 2000, le mouvement Tiny a pris de l’ampleur avec la crise immobilière de 2008. Etranglés par leurs crédits, beaucoup d’Américains n’avaient alors pas d’autre choix que de diminuer leur nombre de mètres carrés. Mais avec la reprise de la croissance, l’attrait pour les minihabitations n’est pas retombé. Au contraire. Vivre dans un petit espace, seul ou en famille, avec seulement l’essentiel, est devenu tendance. Magazines spécialisés, sites Internet, blogs, émissions de télé-réalité ne cessent de vanter la joie de l’épure domestique. Aux Etats-Unis, comme en Europe du Nord, les maisons de poupées, avec leur agencement au centimètre près, sont même devenues un marché pour fabricants et constructeurs ingénieux. En Asie, l’enseigne japonaise Muji a fait appel aux plus grands architectes pour concevoir trois modèles de hut, entre pavillon de thé et cabane de trappeur, qui seront commercialisés d’ici à 2017. En France, le mouvement en est encore à ses balbutiements, mais l’intérêt est là. En 2013, Michaël Desloges, paysan et boulanger bio, et Bruno Thiery, charpentier, tous deux installés en Normandie, se sont lancés dans la construction de micromaisons. Depuis un an, les demandes affluent. Une douzaine de Tiny entièrement en bois, tout équipées, ont déjà été vendues. De 20 000 euros pour la Josette (14 m2 avec sa mezzanine) à 40 000 euros pour la Séraphine (20 m2, une mezzanine et possibilité de quatre ou cinq couchages). « Le prix au mètre carré dépasse celui d’un pavillon classique, car nous utilisons des matériaux nobles et écologiques, convient Michaël Desloges. Mais une fois construite, la Tiny coûte très peu en entretien et en charges. » Les clients ? Pas de profil type ni d’usage unique, selon le boulanger constructeur. La liberté en modèle de poche Hébergements d’appoint, maisons secondaires, alternatives écolos et cosy à la caravane, logements principaux pour adeptes du minimalisme, ces petits nids douillets tout confort (double vitrage, poêle à bois, douche, toilettes sèches, cuisine entièrement équipée…) sont pour leurs propriétaires synonymes de liberté. Plus d’emprunt sur vingt-cinq ans ni de loyer exorbitant, la possibilité de pouvoir bouger facilement en emportant sa maison montée sur un châssis de remorque, de s’extraire de la consommation à tous crins, de se rapprocher de la nature… sont autant d’arguments brandis par les convertis au modèle de poche. Cette décroissance résidentielle, a priori peu adaptée au milieu urbain, essaime même là où on ne l’attendait pas. A New York, ville des lofts et des appartements-terrasses, un ensemble de logements lilliputiens situé dans l’est de Manhattan devrait accueillir ses premiers locataires dans quelques semaines. Baptisé « My Micro NY », le projet consiste en un immeuble de neuf étages et de cinquante-cinq studios, de 24 à 33 m2, dont une partie aura des loyers ré- gulés. Cette superficie, qui peut paraître importante au regard des standards français et parisiens, est hors normes à New York, une ville qui, depuis 1987, interdit quasiment partout la construction de logements inférieurs à 37 m2. Tous accessibles en fauteuil roulant, ces petits « home sweet home » avec balcon ont été soigneusement conçus pour donner une impression de place. Et pour les locataires qui se sentiraient un peu à l’étroit, espaces de rangement supplémentaires, cuisine et grande salle TV, laverie, local à vélos, salle de sport… disponibles dans les parties communes leur permettront de pousser leurs petits murs. p catherine rollot 30 | disparitions & carnet 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 Jean-PaulBertaud Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Historien Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu. cppkxgtucktgu fg pckuucpeg Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. cppkxgtucktgu fg ffieflu. uqwxgpktu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. lqwtpfigu fÔfivwfgu S Un chercheur assidu Au tournant des années 1970, le chantier n’a rien d’anodin. Cap sur Vincennes et ses ressources insoupçonnées ! Le jeune historien s’immerge dans les registres des archives de l’armée, à la rencontre de plus d’un million de ces combattants de la « Grande Nation » qui animent les guerres européennes de 1792 à 1815. Aux premiers temps de la pratique informatique, il croise les données sur les origines sociales, les condi- 2 AOÛT 1935 Naissance à Soissons (Aisne) 1979 « La Révolution armée » (Robert Laffont) 1984 « Les Amis du roi. Journaux et journalistes royalistes en France de 1789 à 1792 » (Perrin) 1985-1998 Professeur à Paris-I-Panthéon-Sorbonne 2014 « Napoléon et les Français » (Armand Colin) 21 NOVEMBRE 2015 Mort à Paris tions d’incorporation, les moyens d’existence et les affectations successives. En sort une thèse, puis une synthèse, La Révolution armée (1979), prolongée par une pittoresque Vie quotidienne des soldats de la Révolution (Hachette, 1985). Suivra une captivante étude sur la façon dont Napoléon tempéra la montée de l’individualisme dans la société civile par la divulgation des valeurs militaires (Quand les enfants parlaient de gloire, 2006). Mais les premiers rôles intéressent aussi l’historien s’ils interrogent de nouvelles façons de penser ou de vivre. Ainsi Camille et Lucile Desmoulins (1986) ou Choderlos de Laclos (2003). Sur des terres proches de celles d’André Corvisier (1918-2014), spécialiste de l’histoire militaire sous l’Ancien Régime, Bertaud croise anthropologie historique et amorce d’histoire culturelle – décryptant la presse quand s’invente l’idéal démocratique. Mais, comme il ne s’inscrit pas dans le camp des thuriféraires de l’Empire comme dans le champ clos où s’affrontent tenants des légendes concurrentes, dorée ou noire, de la Révolution, son apport, essentiel, a peu été célébré. D’autant que, « honnête homme » chaleureux, le chercheur n’a rien d’un mandarin. Captivant son auditoire au point que les cours de première année en amphi ne désemplissent pas, alors même que nombre d’apprentis historiens ne fréquenteront plus l’épisode révolutionnaire, Bertaud sait transmettre, posant sa voix, ménageant ses effets. Mais ce chercheur assidu sait aussi dialoguer avec les étudiants, citant scrupuleusement le moindre Mémoire ou la plus brève contribution, lui qui mit toujours la priorité sur la confrontation directe à l’archive. Dans le sillage de Reinhard et de Corvisier, Bertaud a su appliquer les principes des annales à un champ longtemps étroitement académique. Sans doute est-ce du côté d’Hervé Drévillon qu’il faut chercher sa descendance. p philippe-jean catinchi décédé dans sa quatre-vingt-onzième année. Odyssée, Cassandre et Nathan, ses petits-enfants, enseignant, Ses cendres reposeront au cimetière de Waziers (Nord), son village natal. 61, rue du Faubourg Poissonnière, 75009 Paris. Danielle et Brigitte Fournier, ses illes, ont la tristesse d’annoncer le départ de Jean-Claude ROZET, professeur de sciences physiques, chevalier dans l’ordre des Palmes académiques. Ses obsèques se sont déroulées le jeudi 26 novembre 2015. Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ngevwtgu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu Jeannine FOURNIER, La famille remercie toutes les personnes qui se sont associées à sa douleur. Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht Ses cendres seront dispersées en Méditerranée. M. Patrice Bendiyan, son époux, Nicolas et Aurélie, son ils et sa belle-ille, Noélyne et Lorys, ses petits-enfants, Catherine, sa cousine, Ses beaux-frères et belles-sœurs, Parents, Alliés Et amis, ont la tristesse de faire part du décès de Mme Muriel BENDIYAN, née NEZET, survenu le 25 novembre 2015, à l’âge de soixante-cinq ans. Ses obsèques religieuses seront célébrées, le samedi 28 novembre, à 16 heures, en l’église de Douelle (Lot), suivies de l’inhumation, au cimetière communal. Cet avis tient lieu de faire-part. Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou, Denis Berthomier, directeur général du Centre Pompidou, Bernard Blistène, directeur du Musée national d’art moderne, Et l’ensemble des personnels du Centre Pompidou, ont la profonde tristesse de faire part de la disparition de Pierre BERNARD, graphiste, fondateur du groupe Grapus et de l’Atelier de création graphique, survenue le 23 novembre 2015. Sa générosité, son engagement, son exigence, ont profondément marqué l’identité graphique du Centre Pompidou. Le cabinet Chain Association d’Avocats Cyril Chabert, Frédéric Levade, Lauren Sigler, Bernardine Tyl-Gaillard, ses associés, Ses collaborateurs, Ses assistantes, ont la tristesse de faire part de la mort de Me Bruno CHAIN, avocat honoraire, fondateur du cabinet, ancien membre du Conseil de l’ordre, oficier de l’ordre national du Mérite. La cérémonie religieuse sera célébrée le mardi 1er décembre 2015, à 10 h 15, en l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas, Paris 5e. L’inhumation aura lieu dans l’intimité familiale. Ni leurs ni couronnes. de Pierre DUTRIEU, Edmonde Rozet, son épouse, Jean-Edmond Rozet et Angéla Anne-Claude Rozet, ses enfants, ont l’immense tristesse de vous informer de la disparition de ont la tristesse d’annoncer le décès, à l’âge de quatre-vingt-sept ans, de Décès pécialiste français de l’histoire sociale de l’armée sous la Révolution et l’Empire, Jean-Paul Bertaud est mort, le samedi 21 novembre à son domicile parisien, à l’âge de 80 ans. Né le 2 août 1935 à Soissons, où son père, Alfred, officier, est en poste, le jeune Jean-Paul grandit en fait au village de Montournais (Vendée), dont les Bertaud sont originaires. Dans ce milieu très marqué par la culture militaire et les valeurs du catholicisme traditionnel, l’enfant est très tôt bercé par les récits de la geste des Chouans. Ce qui ne manquera pas d’être décisif lorsqu’il se révélera historien. La déclaration de guerre de septembre 1939 prive le petit JeanPaul d’un père qu’il ne devait pas revoir : prisonnier des Allemands aux premières heures des combats, c’est au retour de captivité que le capitaine est tué accidentellement à la Libération. Bientôt l’enfant quitte La Roche-sur-Yon, où il a débuté sa scolarité, pour Alger, où l’armée, qui prend en charge la famille, procure un poste administratif à la mère de Jean-Paul Bertaud. Celui-ci découvre un autre monde, sèche le collège, déambule dans les rues et nage des heures en Méditerranée. Mais la parenthèse éblouie se referme avec le retour en métropole au début des années 1950. Cap sur Paris et le lycée Voltaire, où la rencontre décisive d’un professeur de philo, M. Boucharem, met l’adolescent désinvolte au travail. Il rattrape le temps perdu, décroche le baccalauréat et opte bientôt pour l’histoire. La rencontre avec Marcel Reinhard (1899-1973) est capitale. Le biographe de Lazare Carnot, qui a été nommé en 1956 à l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF), fondé par Georges Lefebvre en 1937, en relance la dynamique et l’aire d’influence. Celui qui cofonda les Annales de démographie historique oriente le jeune chercheur sur la presse royaliste (du mémoire de DEA dirigé par Jacques Godechot naîtra Les Amis du roi [1984]) avant d’accompagner pour sa thèse le regard que Bertaud porte sur la société militaire. À tous ceux qui l’ont connu, aimé et estimé, Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT0 AU CARNET DU «MONDE» En 2006. FLAMMARION Jean-Louis Willemin, son compagnon, Les familles Dutrieu et Willemin, Nous avons appris avec regret, le décès Mme Paulette DELIVRÉ. La perte d’un être cher reste toujours un moment dificile et toutes nos pensées vont vers son fils, Stéphane Delivré et sa famille, à qui nous présentons nos plus sincères condoléances. Avec toute notre sympathie. STMicroelectronics. idèle lectrice du Monde et cruciverbiste avertie. M. et Mme Gérard Tardif, M. et Mme Hervé Gompel, M. et Mme Fabrice Gompel, ses enfants, A d e l in e, L au r e- H é l èn e , D a vi d , Emmanuelle, François, Paul, ses petits-enfants, ont la tristesse de faire part du décès de Mme Claudine GOMPEL, née KIEFE, survenu le jeudi 26 novembre 2015. L’inhumation aura lieu le mardi 1er décembre, à 11 heures, au cimetière du Montparnasse, Paris 14e. Ni leurs ni couronnes. Cet avis tient lieu de faire-part. Nous avons la profonde douleur d’annoncer le décès de Françoise HAMPÉ KLEIN, 10 novembre 1960 - 26 novembre 2015, architecte DPLG. Un dernier hommage lui sera rendu le 30 novembre, à Moussey (Vosges). René Hampé, 35, rue Mélanie, 67000 Strasbourg. Paris. Mme Laurence Crantelle, sa ille, Mme Marie-Louise, Loulette Herly, sa mère, Edmonde Rozet, 70, rue du Bourg-Belé, 72000 Le Mans. Christine Valtier, son épouse, Marie Valtier, sa ille, Matthieu Valtier, son ils, Marion Bartel, sa belle-ille, Gabriel, Valentin, Alice, Anna, Louise, Elias, ses petits-enfants Et toute sa famille, née Monique HERLY, survenu le 30 octobre 2015, à Paris, à l’âge de soixante-dix ans. Ses enfants, Ses petits-enfants Et alliés Christine et Danielle Manuel, ses amis, ont la douleur de faire part du décès du docteur Yves MANUEL, MD, PhD, directeur de recherche honoraire au CNRS, décédé jeudi 26 novembre 2015, à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif, à l’âge de quatre-vingt-six ans. Médecin et chercheur, notamment en immunotoxicologie, il a dirigé des équipes à l’Institut Pasteur de Lyon, au centre d’immunologie de MarseilleLumigny, dans des unités INSERM, à Paris et à Toulouse. Il a participé à la création du pôle santé-environnement au ministère de l’Environnement. Les obsèques auront lieu le mardi 1er décembre, à 14 heures, au crématorium du Val-de-Bièvre, à Arcueil. Ni leurs ni couronnes. Colette Retailleau née Burkel, son épouse, Mylène, Sandrine et Pascal Retailleau, ses enfants, Alban et Alonso, ses petits-enfants, ont la douleur d’annoncer le décès de Jean RETAILLEAU, peintre-illustrateur, survenu le 26 novembre 2015, à Poissy, dans sa quatre-vingt-deuxième année. La crémation aura lieu le mercredi 2 décembre, à 13 h 30, au crématorium l’Orme à Moineaux-des-Ulis (Essonne). « Le Droit Humain » et le président du Conseil national, Madeleine Postal, organisent une conférence publique : « Persécutions et entraide » Conférencier : Jacques Semelin, historien et politologue, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur de recherche au CNRS, affecté au Centre d’études et de recherches internationales, le samedi 12 décembre 2015, à 14 h 30, 9, rue Pinel, Paris 13e. Inscription par courriel : [email protected] Tél. : 01 44 08 62 62. Informations : www.droithumain-france.org ont la douleur de faire part du décès de Alain VALTIER, survenu le 25 novembre 2015, des suites d’une longue maladie. Les obsèques auront lieu le mercredi 2 décembre, à 16 heures, au crématorium du cimetière du Père- Lachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e. Cet avis tient lieu de faire part. Christine Valtier, 5, rue Alphonse Baudin, 75011 Paris. Marie Valtier, 48, rue de Patay, 75013 Paris. Matthieu Valtier, 23, rue des Mouettes, 17340 Chatelaillon. Marion Bartel, 33, rue Charlot, 75003 Paris. Anniversaires de décès ont la tristesse d’annoncer le décès de Mme Jean-Paul LEMIERE, La Fédération française de l’ordre maçonnique mixte international Conférence publique « Journée du devoir de mémoire » organisée par la Commission obédientielle des droits de l’Homme et du citoyen, samedi 5 décembre 2015, à 14 h 30 « Liberté ? » par Marek Halter, écrivain, par le docteur Muriel Haïm, présidente de l’association « Un cœur pour la Paix », par Antoine Bagdikian, président de l’Institut arménien de France. Entrée Libre. Temple Pierre Brossolette, Hôtel de la Grande Loge de France, 8, rue Puteaux, Paris 17e. Communication diverse Frédéric PERIER nous a quittés il y a dix ans. Ceux qui l’ont aimé pensent encore à lui. Jean-Pierre PILLIARD nous a quittés le 29 novembre 1985. Jeannine, son épouse, qui fête ses quatre-vingt-dixsept ans en ce jour anniversaire, Jean-François, Jean-Marie et Jean-Luc, ses ils, pensent toujours à lui. Conférences Musée des beaux-arts de Cambrai auditorium La Parole aux Doctorants Cycle de cinq rencontres consacrées à la recherche en Histoire de l’Art, menée par des doctorants de l’université de Lille 3, sur les collections du musée. Conférences à venir : Vendredi 11 décembre 2015, à 18 h 30 : Les expositions annuelles des Amis des Arts de Cambrai pendant l’entre-deux-guerres, par Edith Marcq. Vendredi 22 janvier 2016, à 18 h 30 : Henri Harpignies, peintre paysagiste (1819-1916), par Jean-Pierre Cappoen. Tél. : 03 27 82 27 90. [email protected] Entrée libre www.villedecambrai.com Groupe EAC Paris. Lyon. Monaco. Pékin. Shanghai. Claude Vivier Le Got, présidente du Groupe EAC, félicite ses diplômés du mastère manager de projet culturel, en particulier Caroline, embauchée par un grand festivalier d’art lyrique. Si comme eux vous souhaitez travailler dans l’art, la culture et le luxe, venez nous rencontrer lors du salon Start, à la Cité de la Mode et du Design, du samedi 5 au dimanche 6 décembre 2015 de 10 heures à 18 heures. 33, rue la Boétie, 75008 Paris. Tél. : 01 47 70 23 83. [email protected] 11, place Croix Paquet, 69001 Lyon. Tél. : 04 78 29 09 89. [email protected] www.groupeeac.com www.ingemmologie.com # # $ !# $ # #$ $# &. + *1.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 1#/ .$%% *%. (*$%- * # $ $ %%- &- # (( &.* # 2"&0+" # $# *%" &%%+ # .** % #$ $ $ %# $ $ ##+ m% &- #$ $ %# $ $ .# % *&&.*#$ % !# # #! %%- * # * +- % ++&# #$ #!#$ * + (-&&*&. # &#+ $%2 * 2 #$ *%" &. # $ $ -* %  # # * +- % ! !$ % ** * (*+ %- +- % *% & / (*+ %- 0123 | 31 0123 DIMANCHE 29 - LUNDI 30 NOVEMBRE 2015 par j ean- m iche l b e zat Quand l’Afrique s’éclairera O n l’a toujours connu ainsi, Jean-Louis Borloo. Généreux, enthousiaste, séduisant, un peu « foutraque », volontiers emphatique. A la veille de l’ouverture de la XXIe conférence des Nations unies sur le climat (COP21), qui se tient du 30 novembre au 11 décembre au Bourget (SeineSaint-Denis), on le sent piaffer d’impatience, arpentant les bureaux cossus de sa fondation Energies pour l’Afrique, le portable collé à l’oreille et le geste accompagnant la parole. L’ancien ministre de l’écologie de Nicolas Sarkozy a abandonné tous ses mandats politiques en avril 2014, pas les affaires du monde. Et sa grande affaire du moment, c’est d’apporter l’électricité aux 650 millions d’Africains qui en sont privés – « priorité absolue » et préalable au développement d’un continent au dynamisme entrepreneurial sans égal. Dans les salles de conférences de la COP21, deux mondes se croiseront. D’un côté, les plus grands pollueurs de la planète comme la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, la Russie, l’Australie, le Japon ou l’Arabie saoudite, qui sont souvent les pays les plus riches. De l’autre, les 54 nations africaines. L’Afrique abrite 15 % de la population mondiale, consomme 3 % de l’énergie et émet moins de 4 % des gaz à effet de serre. Elle subit pourtant les effets dévastateurs du réchauffement climatique (sécheresse, baisse des rendements agricoles, montée des eaux, érosion des bords de mer…) alors qu’elle contribue à l’équilibre de la biosphère grâce aux précieux puits de carbone de ses forêts. Paris sera bien le grand rendez-vous de l’injustice climatique. « La question la plus urgente est celle de l’énergie », confiait au Monde Akinwumi Adesina à son arrivée, le 1er septembre, à la tête de la Banque africaine de développement (BAD). Les conditions de la réussite sont connues et largement partagées : ingénierie technique, fonds d’amorçage, sécurité des investissements, bonne gouvernance des sociétés d’électricité. Tout ou partie d’entre elles manquent aux projets actuels qui, mis bout à bout, réclament 250 milliards de dollars sur dix ans, dont 50 milliards de dotations des pays riches, calcule M. Borloo. Outre ces fonds d’amorçage de 5 milliards par an, plaide-t-il, l’Afrique a besoin d’un organisme mutualisant argent et compétences administratives, cette fameuse « agence panafricaine » qu’il réclamera à cor et à cri en marge de la COP21. Au rythme de déploiement actuel, il faudra attendre 2080 avant que le continent soit électrifié, indique Africa Progress Panel, un groupe de réflexion créé par Kofi Annan, l’ancien secrétaire général de l’ONU. Son pays d’origine est la preuve qu’il n’y a pas de fatalité et que les initiatives locales à succès existent : le Ghana est en passe de réussir le plan 2020 d’électrification lancé en 1990. Il reste pourtant une des exceptions sur un continent qui s’enfonce dans le noir en dépit de nombreuses initiatives internationales, publiques ou privées, sans doute trop nombreuses, cacophoniques et redon- « LES NAISSANCES VONT PLUS VITE QUE LES KILOWATTS » JEAN-LOUIS BORLOO Fondation Energies pour l’Afrique LE CONTINENT CONSOMME 3 % DE L’ÉNERGIE MONDIALE ET ÉMET MOINS DE 4 % DES GAZ À EFFET DE SERRE dantes : le Fonds vert pour le climat et Sustainable Energy for All des Nations unies, Power Africa lancé en 2013 par Barack Obama, Energies pour l’Afrique, Partenariat Afrique-UE pour l’énergie. Et même l’initiative Akon Lighting Africa du rappeur du même nom. Inépuisable réservoir « C’est quand même paradoxal alors que l’Afrique a le plus grand potentiel », s’enflamme M. Borloo. Elle n’est pas qu’une mine à ciel ouvert (cuivre, fer, charbon, manganèse, uranium…) ni un puits de pétrole sans fond – ces promesses de prospérité qui sont devenues une malédiction. C’est un inépuisable réservoir d’énergies renouvelables qui vont des barrages hydroélectriques en Afrique centrale au solaire dans le Sahel, de la géothermie au Kenya à l’éolien au Maroc et en Ethiopie. C’est aussi un continent qui, partant de presque rien, peut bâtir un système électrique décentralisé et décarboné. L’Afrique a fait sa révolution des télécommunications. Quelque 700 millions de téléphones portables sont déployés jusque dans les régions les plus pauvres et les plus reculées. Il y a quelque chose de désespérant à mettre en regard l’inertie qui freine sa révolution énergétique. « Les naissances vont plus vite que les kilowatts », dit M. Borloo. Dix millions de personnes rejoignent chaque année ceux qui sont privés de lumière en Afrique subsaharienne. Ce que le Camerounais Roger Nkodo Dang, président du Parlement panafricain, l’assemblée consultative de l’Union africaine, illustrait avec émotion, le 3 novembre, devant les députés français : « J’ai étudié avec la lampe à huile, et cinquante ans après les indépendances, mes enfants et mes petits frères continuent à étudier avec la lampe à huile. » Les pays développés sont-ils prêts à donner une ampoule ? Le sommet Afrique-Union européenne sur la crise migratoire réuni mercredi 11 et jeudi 12 novembre à La Valette (Malte) n’a accouché que de mesures d’urgence prises pour limiter le nombre de migrants, le plus souvent économiques, venus d’Afrique : un fonds doté de 1,8 milliard d’euros, que les 28 Etats membres de l’Union sont invités à abonder pour le porter à 3,2 milliards. L’Europe a beau assurer qu’il est destiné à lutter « contre les causes profondes des migrations » – le retard économique lié à la pénurie d’énergie en est la principale –, cet argent financera d’abord un dispositif de contingentement des populations. L’Afrique attend la lumière. Qui saurait mieux exprimer cette attente que ses artistes ? Le Ghanéen Paa Joe l’a fait en créant une ampoule géante qui s’ouvre… en forme de cercueil tapissé de satin violet. C’est l’un des 54 plasticiens (un par pays) de « Lumières d’Afrique », une exposition qui vient de s’achever au Théâtre national de Chaillot, à Paris, dans le palais où fut signée en 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme. p [email protected] Tirage du Monde daté samedi 28 novembre : 277 813 exemplaires PARIS, AU CŒUR DE L’ESPOIR CLIMATIQUE suite de la première page Inédite aussi, surtout par l’ampleur de l’enjeu. Il est considérable. Le 11 décembre au soir, à l’issue de la 21e Conférence des parties à la CCNUCC (COP21), ce sont les contours du prochain accord international sur le changement climatique qui seront dessinés. Celui-ci devra succéder, dès 2020, à un protocole de Kyoto moribond, jamais ratifié par les uns, finalement déserté par les autres, et qui n’est pas parvenu à infléchir les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Elles se poursuivent à un rythme effréné, qui surpasse jusqu’à présent les scénarios les plus sombres imaginés par les scientifiques. Les chiffres sont connus. Aujourd’hui, la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone (CO2), le principal gaz à effet de serre émis par l’homme, est à un niveau ja- mais atteint depuis le pliocène, il y a plus de deux millions et demi d’années. La température de l’année en cours sera, pour la première fois, supérieure de 1 °C au niveau préindustriel. A Paris, au cours des deux prochaines semaines, la communauté internationale devra s’entendre sur l’ambition des réductions d’émissions et les leviers économiques à actionner pour y parvenir. Au sein de cette communauté, les pays du Nord doivent se donner les moyens de réparer, vis-à-vis du monde en développement, cette injustice : responsables historiques de la plus grande part du problème, ils n’en sont pas – et n’en seront pas – les principales victimes. Pour l’heure, une part du chemin a été parcourue. Mais on est encore loin du compte. Les intentions jusqu’ici affichées par les Etats ne suffisent pas, tant s’en faut, à écarter le danger. A s’en tenir aux promesses jusqu’ici sur la table, l’atmosphère terrestre sera plus chaude de quelque 3 °C avant la fin du siècle. Dans ce monde-là, un été caniculaire comme celui enduré par l’Europe en 2003 serait un été normal. Et ce n’est là qu’un effet attendu parmi beaucoup d’autres. Pour conserver une chance raisonnable de demeurer sous 2 °C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, la plus grande part des hydrocarbures récupérables devra demeurer dans le sous-sol. Si leur exploita- tion se poursuit au rythme actuel, la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre atteindra, autour de 2030, la limite à ne pas franchir. 2030, c’est-à-dire demain. Toutefois, rien de solide ne se construit sur la peur et le désespoir. Il faut parier sur la capacité d’adaptation des sociétés, leur résilience, leur faculté à produire de l’innovation sociale et culturelle. La créativité scientifique et l’ingéniosité industrielle ont aussi un rôle crucial à jouer. Mais il faut pour cela avoir le courage de contrarier des monopoles anciens, diriger avec clairvoyance les investissements, amoindrir certains intérêts et en favoriser d’autres. La lutte contre le réchauffement est aussi, peut-être, le moyen de rassembler le monde civilisé derrière des valeurs et un objectif communs. Après avoir été placée, dans la foulée des tueries du 13 novembre, au centre de la compassion du monde, la capitale française est désormais le cœur d’un espoir immense. L’Histoire portera un regard sévère sur les reniements et les promesses non tenues. Les chefs d’Etat et de gouvernement réunis au Bourget doivent le garder à l’esprit : ce ne sont pas seulement les yeux de leurs administrés et de leurs électeurs qui sont braqués sur eux, mais aussi ceux de leurs propres enfants et petits-enfants. Eux aussi seront, comme nous tous et pour longtemps, les légataires de l’accord de Paris. p jérôme fenoglio DE BEN LADEN À DAECH, AUX ORIGINES DU DJIHAD. Raconter 40 ans d’histoire pour comprendre. Photo: Benjamin Decoin / FTV L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE Soirée spéciale « UN JOUR DANS L’HISTOIRE » Documentaire inédit puis décryptage avec les invités En partenariat avec Dimanche 29 novembre à partir de 20h55 #DeBenLadenADaech