Etude d`œuvre : Les Confessions de Rousseau (1763

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Etude d`œuvre : Les Confessions de Rousseau (1763
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LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE
Etude d’œuvre :
Les Confessions de Rousseau (1763 - 1770)
Titre de la fiche
1. Inventer l’autobiographie moderne
2. Plaidoyer et accusation
3. A la découverte des contradictions : l’art littéraire dans Les Confessions
4. Hypocrisie et sincérité ? Un témoignage controversé
Inventer l’autobiographie moderne
Le titre de l’œuvre évoque immédiatement les célèbres Confessions de saint Augustin que Rousseau a pu connaître au moins par
extraits. C’est sur ce modèle de révélation religieuse qu’est décrite l’illumination de Vincennes qui va engager le musicien dans la
voie difficile de la philosophie et de l’écriture.
Rousseau peut être considéré comme l’inventeur de l’autobiographie moderne. Certes, la littérature française des siècles précédents,
notamment au XVIe siècle, en présente d’autres exemples, tous refusés par notre auteur. Il condamne sévèrement Montaigne : « Je
mets Montaigne à la tête de ces faux sincères qui veulent tromper en disant vrai. Il se montre avec des défauts, mais il ne s’en donne que
d’aimables ; il n’y a point d’homme qui n’en ait d’odieux. Montaigne se peint ressemblant mais de profil ».
En fait, Rousseau se défend d’emprunter à Montaigne avec une vigueur d’autant plus grande qu’il n’a pu se dégager totalement
de l’influence des Essais, dont le but est voisin du sien. Le XVIIe siècle et l’épanouissement des mémoires à tendance moralisante
ont certainement marqué le goût de Rousseau. De même, son époque, où triomphent de nombreux romans écrits à la première
personne et présentés comme de véritables mémoires, n’est pas étrangère à l’aspect souvent romanesque des Confessions.
Plaidoyer et accusation
Contrairement à cette tradition littéraire, Les Confessions sont un livre orienté vers un seul but : s’expliquer, se défendre. Il s’agit
d’une pièce dans un procès où Rousseau s’imagine accusé ; où les accusateurs, ses anciens amis, prennent prétexte de ses livres
et de ses actes comme autant d’arguments pour le condamner comme un homme méchant, instable et moralement monstrueux.
L’ouvrage, comme après lui les Dialogues, se fonde donc sur la hantise de la défiguration de sa vraie personnalité auprès du public.
A ceux qui ne connaissent que l’écrivain, il veut montrer l’homme dans sa vérité physique et morale. Il voudrait « rendre [son] âme
transparente aux yeux du lecteur ». Il fait donc la lumière sur les fautes qu’on lui reproche, en avoue même d’autres, ignorées de tous.
Le récit autobiographique n’est pas issu de la vanité, mais de l’urgence : il faut restaurer la vérité. L’accusé ne peut présenter de
meilleure défense que sa vie, tout entière consacrée à la quête de la vertu. Tout entière ? Naturellement non, car nul n’est parfait !
Mais du moins Rousseau veut-il tenter d’expliquer et de s’expliquer à lui-même ses erreurs.
Parmi les projets de Rousseau vers 1760 figurait un vaste ouvrage qui devait s’intituler La Morale sensitive ou le Matérialisme du sage.
Il posait une seule question : pourquoi « la plupart des hommes sont-ils, dans le cours de leur vie, souvent dissemblables à eux-mêmes ? ».
Comment est-il possible de dire « je », alors que notre personnalité est souvent contradictoire ? L’œuvre est abandonnée mais Les
Confessions reprennent ce questionnement. Ainsi s’explique le souci de relater le moindre fait et de chercher les causes des erreurs
d’une personnalité soumise aux influences extérieures du monde physique et social. Il s’y ajoute une volonté d’universalité et une
méthode presque scientifique d’analyse de soi : explorer l’enfance, sonder son inconscient. En cela le projet est très en avance sur
son siècle.
Moderne aussi est l’attitude de Rousseau envers la responsabilité de ses actes. Il les assume, mais s’en défend en se montrant la
victime de la société ou des circonstances : il a connu une enfance sans rigueur, il est affligé d’une mauvaise santé, etc. La question
assez retorse de la responsabilité permet de retourner le plaidoyer en acte d’accusation.
En effet, si, au fond, il n’est pas vraiment coupable de ses actes, pourquoi est-il calomnié par des hommes qui ne sont guère meilleurs
que lui ? C’est la société qui est coupable, parce qu’elle le méconnaît d’abord, et aussi parce qu’elle est de ces causes qui influent
sur le comportement d’un être. Nous retrouvons ici, utilisée à des fins personnelles, la thèse du Second Discours. Oui, Jean-Jacques
a accusé Marion d’un vol dont elle était innocente ; mais il y a été forcé par sa condition subalterne et par la méchanceté de ses
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maîtres. Oui, il a abandonné ses enfants, mais il n’est pas le seul à l’avoir fait et si ses ennemis le savent, c’est parce que sa conscience
lui a fait avouer sa faute… ce que n’ont pas eu le courage de faire les autres.
Dès lors Les Confessions peuvent devenir une apologie déguisée de soi, sous couvert d’auto-accusation. La destinée de Jean-Jacques
est la meilleure confirmation de ses idées philosophiques : originellement bon, le mal qui est en lui vient de la société, ses malheurs
lui viennent de son courage à dénoncer les abus. Or, souffrir de ses croyances, c’est faire acte de martyr, au sens étymologique du
terme. Témoin de la vérité, Rousseau connaît le sort de ses semblables, dont le plus illustre est Socrate ; il est bafoué, persécuté,
renié. Pareil aux héros tragiques qui ont nourri son imaginaire, il se sent, du fait même de ses souffrances et du sort fatal qui le
traque, tiré hors de cette médiocrité à laquelle semblait le condamner sa vie vagabonde. Les Confessions tracent donc en filigrane
le portrait d’un génie méconnu.
Cependant on ne peut réduire à ce but un ouvrage aussi complexe, qui illustre la subtilité et le goût du paradoxe de l’écrivain. Le
procès qui oppose Rousseau à ses contemporains importerait peu s’il n’était doublé du procès qu’il se fait à lui-même. Rousseau
est le juge le plus impitoyable de Jean-Jacques, de sa faiblesse, de ses ridicules, de ses contradictions. Il pourfend les méfaits du
théâtre, des arts et de la civilisation, mais gagne sa vie comme romancier et musicien ! Il défend farouchement son indépendance
de roturier, mais est logé et nourri par des protecteurs nobles ! Défenseur de la justice, de la vérité, de la bonté sociales, il a été
injuste, menteur et méchant. Ces exemples parmi d’autres expliquent l’angoisse de Rousseau, non seulement face à ses accusateurs,
mais face à sa propre vie.
Ainsi s’explique le titre religieux du livre. Confesser publiquement ses fautes, c’est faire acte d’humilité et de remords, c’est déjà
mériter le pardon. Désormais purifié et par ses aveux et par ses souffrances, qui sont à ses yeux une sorte d’expiation, Rousseau
va pouvoir contempler en toute sérénité son être enfin reconquis, sa personnalité reconstruite. Le vrai bonheur est donc en
même temps dans la source de la souffrance : l’analyse de soi et le souvenir. L’écriture mémorielle recrée les instants enchanteurs
de l’enfance qu’on croyait à jamais disparus. En se retrouvant et malgré l’angoisse qui domine la fin du texte, Rousseau place aussi
le bonheur de l’écrivain dans la création de l’œuvre d’art qui le reflétera comme un miroir. Ce miroir est naturellement une
reconstruction. On ne peut raconter cinquante ans d’une vie sans choisir les faits, sans les interpréter, sans leur accorder une valeur
plus ou moins signifiante. A travers Les Confessions, Rousseau, et il en est conscient, se construit une légende. Le résumé précédent
des douze livres montre que l’auteur a particulièrement insisté sur les aventures de jeunesse (livres II, III, IV) puis sur son séjour à
l’Ermitage (livre IX). Il a mis ainsi en évidence les deux aspects de sa vie qui lui paraissent fondamentaux : le vagabondage libre qui
a formé sa personnalité et la solitude laborieuse qu’il a choisie adulte.
A la découverte des contradictions : l’art littéraire dans Les Confessions
Pour élaborer un projet aussi complexe, Rousseau a longuement travaillé ses instruments littéraires. Le préambule du manuscrit
de Neuchâtel insiste sur le fait que la nouveauté du livre doit passer par la nouveauté du style : « Il faudrait pour ce que j’ai à dire
inventer un langage aussi nouveau que mon projet. [...] C’est ici de mon portrait qu’il s’agit, non pas d’un livre. [...] Je prends donc mon parti
sur le style comme sur les choses. Je ne m’attacherai point à le rendre uniforme ; j’aurai toujours celui qui me viendra, j’en changerai selon
mon humeur sans scrupule. [...] Mon style inégal et naturel, tantôt rapide et tantôt diffus, tantôt sage et tantôt fou, tantôt grave et tantôt gai,
fera lui-même partie de mon histoire ».
La littérature du XVIIIe siècle est fortement influencée par une division des genres littéraires héritée du classicisme. On pense
alors que la tragédie, la comédie, le roman ou le conte obéissent à des règles différentes et doivent être composés dans le style
qui leur est propre. Or, dans Les Confessions, Rousseau rompt volontairement avec cette rigueur et recherche avant tout la variété
des tons. Il privilégie souvent une certaine solennité du propos qui magnifie le souvenir de ses actes ou de ses sentiments les plus
forts : c’est par de vastes périodes qu’il dénonce la punition injuste du peigne cassé ou qu’il se rappelle le coup de foudre pour
Mme de Warens, sacralisant les évènements qui ont valeur de révélations morales et sentimentales. Mais ce qui caractérise le style
des Confessions, c’est la souplesse des tonalités. Le lecteur peut se laisser prendre au jeu d’un style élevé – qui ne sera finalement
qu’une pirouette ironique. « Ô vous, lecteurs curieux de la grande histoire du noyer de la terrasse, écoutez-en l’horrible tragédie et vous
abstenez de frémir si vous pouvez ! » (Livre I). Ce ton, peu en rapport avec l’insignifiante histoire de l’aqueduc, introduit dans le récit
une rupture savoureuse. C’est là un procédé exploité avec une grande virtuosité dans Les Confessions.
Le décalage est le principal ressort littéraire de l’ouvrage, incitant le récepteur à rester toujours en éveil. Au seuil d’une œuvre
sombre et angoissée, Rousseau privilégie les ruptures comiques, se tournant lui-même en ridicule, soulignant l’écart entre ses rêves
littéraires et la réalité brutale à laquelle ils se heurtent. Partant au hasard sur les routes, le jeune Jean-Jacques croit rencontrer « des
festins, des trésors, des aventures, des amis prêts à (le) servir, des maîtresses empressées à (lui) plaire » (Livre II). Son incroyable crédulité,
sa naïveté ne sont pas seulement des ressorts comiques très efficaces ; ils sont aussi un argument pour prouver que le monde
perverti est coupable face à l’innocence maladroite du héros.
Les Confessions nécessitent pour fonctionner une constante complicité entre le narrateur et le lecteur. Rousseau multiplie donc les
signaux au récepteur, faisant appel à sa curiosité, l’apostrophant, tenant avec lui des conversations imaginaires et plaisantes. Raconter
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pendant des centaines de pages l’histoire de sa vie est un défi, car pour que le lecteur prenne de l’intérêt à un tel récit, il faut qu’il
accepte d’y jouer un rôle, celui du confident amical et indulgent, s’opposant ainsi aux « accusateurs ». Rousseau implique donc sans
cesse son récepteur dans son texte, sur un ton burlesque, « Lecteur pitoyable ! partagez mon affliction ! » (Livre I), ou plus sérieux
« Ô mes lecteurs ! ne vous y trompez pas » (Livre IV).
Le style rapide et contrasté des Confessions a enfin pour but de faire en quelque sorte attendre l’inattendu, de rendre exceptionnel
le banal et dans le même temps de supposer familier à tous ce qui est une expérience personnelle. Par le jeu constant des annonces,
le narrateur souligne le caractère décousu de son expérience, tout en soulignant l’idée d’un destin : « Déjà je me regardais comme
infiniment au-dessus de mon ancien état d’apprenti; j’étais bien loin de prévoir que dans peu j’allais être fort au-dessous » (Livre II).
La surprise et la reconnaissance alternent, entraînant pour le narrateur un bonheur de raconter qu’il espère être aussi un plaisir
de lire.
Hypocrisie et sincérité ? Un témoignage controversé
Les contemporains de Rousseau se sont hâtés, nous l’avons dit, de mettre en doute le témoignage des Confessions, et ils ont
été suivis par de nombreux critiques littéraires. Rousseau s’accuse souvent de crimes imaginaires, comme s’il voulait rendre
vraisemblable ce dont l’accusent ses ennemis. Mais ce qui compte pour lui n’est pas tant ce qui est arrivé que sa propre réaction
alors qu’il le raconte. C’est précisément dans son interprétation de la vérité qu’il se révèle le plus. Si Jean-Jacques, dans le secret
de ses méditations, imagine comment il a réagi à un événement passé, cette réaction repensée est tout aussi révélatrice, voire plus
révélatrice sur sa véritable personnalité, que celle qu’il eut vraiment. Il assume sa mémoire sélective, son imagination déformante
qui embellit le passé heureux et dramatise l’avenir, au point de créer ces hantises maladives qui le mènent parfois au délire. La vérité
des Confessions est dans leur subjectivité.
Les réactions aux Confessions ont été depuis le XVIIIe siècle mitigées. Tout en affirmant orgueilleusement sa singularité, Rousseau a
voulu apporter un témoignage à ses semblables. Mais s’il veut bien partager avec les hommes la culpabilité de ce qu’il y a en lui de
pervers, il ne leur laisse pas la compensation de ses vertus, qu’il juge uniques. Solidaire par le mal, il est singulier par le bien. Cette
attitude n’est pas de nature à lui attirer une sympathie inconditionnelle. Elle ne procède cependant pas d’un orgueil aveugle, mais
de la conscience de l’élévation difficile qui conduit à la gloire l’enfant délaissé, qui fait du vagabond un maître de la pensée et de
l’apprenti voué à tous les vices un moraliste sévère. Le défi qui ouvre Les Confessions est aussi adressé au lecteur : qui osera en effet
dire « je fus meilleur que cet homme-là » ?
Les Confessions ont eu une influence considérable sur la littérature française et ont ouvert la voie au romantisme. Le plaisir de
peindre son moi, qui cesse désormais d’être haïssable, le sentiment de la nature, la religiosité sentimentale, la conscience d’une
fatalité, la mélancolie sans objet, tout cela nourrit le héros romantique, de René à Hernani, de Julien Sorel (admirateur aussi fervent
de Rousseau que de Napoléon) – à Ruy Blas (ce valet à la conquête de la gloire). Rousseau a également contribué à l’essor de
l’autobiographie au XXe siècle, notamment dans l’œuvre de Gide. Ses intuitions psychologiques anticipent enfin sur les travaux de
Freud, sur la recherche proustienne du temps perdu et de la mémoire involontaire.
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