The Gershwins`®

Transcription

The Gershwins`®
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
AVEC LE SOUTIEN DE
LES JEUNES AU CŒUR DU GRAND THÉÂTRE
Porgy Bess
The Gershwins’®
and
SAISON1415
WWW.GENEVEOPERA.CH/PEDAGOGIE
+41(0)22 322 51 72
SM
Porgy and Bess
Opéra en trois actes
Musique de George Gershwin (1898-1937)
Livret d’Ira Gershwin et DuBose Heyward
Basé sur le roman Porgy (1925) de DuBose Heyward, et la pièce du même nom
(1927) de DuBose Heyward et Dorothy Heyward.
Créé au Colonial Theatre de Boston (États-Unis), le 30 septembre 1935
!
Porgy and Bess de George Gershwin, créé en 1935, a dû attendre le
succès près de 40 ans. Bien que certains des airs soient devenus de
véritables tubes, comme « Summertime », ce folk opera américain
inspiré du jazz, du blues et du gospel a dû attendre 1976 pour être
programmé dans sa version complète, par l’opéra de Houston.
Depuis, les amours tumultueuses de la belle Bess, dans un bidonville
imaginaire de la Caroline du Sud, tiraillée entre son jules, le caïd
Crown, l’infirme Porgy et le dealer Sportin’ Life, passionnent les
mélomanes. Porgy and Bess, qui nécessite une distribution
exclusivement de chanteurs noirs, est assez rarement programmé.
L‘accueil au Grand Théâtre du New York Harlem Theater en
tournée mondiale s’annonce donc comme l’un des événements
musicaux de 2015.
Les Jeunes au cœur du Grand Théâtre
Programme pédagogique du Grand Théâtre de Genève
avec le soutien de la Fondation de bienfaisance du groupe Pictet
et en collaboration avec le Département de l’Instruction publique, de la culture et du sport
de la République et canton de Genève
Dossier réalisé par Christopher Park
Décembre-janvier 2014-2015
Table des matières
Introduction
p. 4
PRÉLUDE
Textes de Christopher Park
et Benoît Payn, assistant dramaturge au Grand Théâtre de Genève
De l’esclavage à la ségrégation : les Noirs du Sud des États-Unis
p. 5
George Gershwin : le Mozart de Broadway
p. 7
Porgy and Bess : l’opéra aux mille tubes
p. 8
LA PRODUCTION ET L’ŒUVRE
Clés d’écoute proposées par Christopher Park
Rôles et distribution
p. 9
Qu’est-ce qui se passe dans Porgy and Bess ?
Argument, clés d’écoute et textes des extraits musicaux
p. 10
Liste d’écoute
p. 34
HORS PAGINATION
Partition de l’extrait proposé pour l’Atelier Formation Voix-Mise en scène
Questionnaires d’évaluation pour les élèves et l’enseignant
3
Introduction
Ce dossier pédagogique est destiné aux enseignants qui participent au parcours
pédagogique proposé autour du programme de l’opéra Porgy and Bess dans le cadre du
programme « Les jeunes au cœur du Grand Théâtre ».
Ce dossier, préparé à l’intention des enseignants du cycle d’orientation et du
postobligatoire, contient suffisamment d’informations pour leur permettre d’assurer une
bonne préparation des élèves au spectacle.
En amont du parcours pédagogique et du spectacle, nous demandons aux enseignants
d'utiliser ce dossier pour familiariser leur classe avec:
l’argument
les personnages
les moments-clé musicaux et dramatiques (♫)
Une bonne connaissance de ces trois aspects garantira un maximum de profit et de plaisir
pour les élèves prenant part aux ateliers du programme et venant au Grand Théâtre pour
assister à l’une des représentations de Porgy and Bess.
En fonction du niveau des élèves ou du temps à disposition pour aborder la matière, on
pourra mettre le dossier à disposition des élèves pour leur permettre d'approfondir
l'approche de la production du Grand Théâtre. Un exemplaire en format PDF est à leur
disposition, avec la liste d'écoute musicale, sur le site Internet du Grand Théâtre:
http://www.geneveopera.ch/opera_365#infos58
(identifiant: LABOM, mot de passe : opera).
En annexe de ce dossier vous trouverez des questionnaires d’évaluation à votre intention
ainsi qu’à celle de vos élèves. Merci de bien vouloir les photocopier et en remettre un
exemplaire à chaque jeune ayant participé au parcours pédagogique, et de nous les
renvoyer remplis accompagnés du vôtre. Cela nous permettra d’évaluer l’intérêt et la
pertinence de nos propositions. Il sera également possible de nous déplacer dans les
classes afin de renforcer le travail préparatoire, ou de répondre aux questions des élèves
dans leur établissement, à l’issue du spectacle si l’enseignant le souhaite.
Nous vous remercions pour votre collaboration et vous souhaitons, à vos classes et à vousmêmes, un parcours pédagogique passionnant au cœur du Grand Théâtre.
Les animateurs du programme pédagogique
Kathereen Abhervé
[email protected]
022 322 51 72
Christopher Park
[email protected]
022 322 51 88
4
De l’esclavage à la ségrégation : les Noirs du Sud des États-Unis
La population d’origine africaine des États-Unis (les Afro-américains) est presque
entièrement descendue des esclaves d’Afrique sub-saharienne déportés sur les bateaux
négriers au temps de la traite atlantique. On estime à plusieurs millions le nombre de
personnes ayant été transportées de force depuis l’Afrique sur le continent américain. Les
premiers esclaves noirs furent importés en Virginie en 1619. Les colonies anglaises du sud
du littoral atlantique avaient besoin de main d’œuvre pour travailler dans les plantations de
tabac et de coton. Tout au long du XVIIIe siècle, la traite des esclaves noirs s’intensifie pour
atteindre, en 1790, 20 % de la population d'origine africaine des jeunes États-Unis. Dès
cette époque, on peut observer des métissages avec les Blancs.
Les états de la Nouvelle-Angleterre et les nouveaux états de l'avancée vers l'Ouest, lieux
d'industrie ou de friche, ressentent vite le besoin d'une main d'œuvre qualifiée ou de colons
et délaissent l'esclavage. L'économie latifundiste cotonnière des états du Sud (Virginie,
Carolines, Géorgie, Alabama, etc.) refuse de se défaire de ce système, malgré l'indignation
mondiale des abolitionnistes révoltés par le sort misérable des esclaves noirs décrit dans
des romans à succès comme La Case de l'Oncle Tom (1852) de Harriet Beecher-Stowe.
Quand le président Abraham Lincoln veut limiter l'expansion de l'esclavage des noirs aux
nouveaux états de l'Ouest en 1860, le Sud fait sécession et le pays entre dans une guerre
civile sanglante.
5
« I have a dream… »
Lincoln proclame l'émancipation des esclaves noirs en 1862. Les états confédérés du Sud
perdent la Guerre de sécession mais l'amour-propre et l'identité même du Vieux Sud sont
blessés à vif: cinq jours après la reddition du général confédéré Robert E. Lee, Lincoln est
assassiné par un fanatique confédéré pendant une représentation théâtrale. Et la situation
des Noirs n'est toujours pas normale: la ségrégation raciale est fréquente dans tout le pays.
L'éducation, le sport, l'armée, les transports en commun sont souvent divisés entre Blancs
et gens "de couleur". Dans les états du Sud, à forte population noire, ces divisions sont très
visibles et envenimées, d'un côté par la pauvreté et le bas niveau d'éducation des Noirs, qui
génèrent criminalité, abus de substances, et la formation de ghettos, et de l'autre par des
institutions ouvertement racistes qui persécutent les Noirs, comme le Ku Klux Klan. Mais la
culture et l'éducation progressent: des universités sont fondées pour les Noirs qui exercent
de plus en plus des professions libérales et les arts afro-américains traditionnels,
notamment la musique et la danse, sont appréciés de toute la population.
Vers 1900, on observe une migration des Noirs du Sud vers les villes industrielles du Nord,
plus tolérantes et prospères. À New York, c'est le faubourg de Harlem qui est peuplé par
ces vagues de migration, venues aussi des Antilles, où la société est moins racialement
stratifiée et les Noirs bénéficient d'une meilleure éducation. Une classe moyenne de Noirs
commence à émerger aux États-Unis mais il faudra attendre l'assassinat du pasteur
antiségrégationniste noir Martin Luther King en 1968 pour que le Congrès des États-Unis
ratifie l'Acte des droits civils des Noirs passé devant lui en 1964, rendant toute forme
institutionnelle de ségrégation raciale illégale aux États-Unis. Et encore aujourd'hui, les
problèmes de coexistence raciale persistent: à témoin, les émeutes violentes de Ferguson
(Missouri) pendant l'automne 2014.
(ci-dessus) Le logo des
abolitionnistes en 1850 « Ne suisje pas un homme et un frère ? » ;
(ci-contre, dessus) Collégiens blancs
du Sud protestant contre
l’intégration d’élèves noirs dans
leur école, vers 1961 ; (ci-dessous)
Le pasteur King prononçant son
célèbre discours « Je fais un rêve
qu’un jour sur les rouges collines
de Géorgie, les fils d’anciens
escalves et les fils d’anciens
esclavagistes pourront s’asseoir
fraternellement à la même table. »
6
George Gershwin : le Mozart de Broadway
Né à Brooklyn en 1898, sous le nom de Jacob Gershowitz, au sein d’une famille de Juifs
russes immigrés, le jeune George Gershwin a commencé sa carrière en interprétant les
nouveautés musicales des éditeurs de musique populaire de New York dans des cafés et
des bars.
Auteur de chansons à succès et pianiste d’orchestre, Gershwin deviendra ensuite le
compositeur américain phare de l’entre-deux-guerres dont on admire les plus grands
succès, des comédies musicales (An American in Paris), des œuvres de concert (Rhapsody in
Blue) et un opéra, Porgy and Bess.
Gershwin appelle ce dernier un « American folk opera » (« opéra du peuple américain »), ce
deuxième opus lyrique est basé sur un roman à succès paru en 1925, Porgy de DuBose
Heyward. Après une exécution privée au Carnegie Hall, la prestigieuse salle musicale de
New York, l’œuvre est créée dans une première version le 30 septembre 1935 au Colonial
Theatre de Boston. Suite à cette avant-première, Gershwin effectue de nombreuses
coupures avant que l’œuvre ne se retrouve à l’affiche du Alvin Theater, en plein cœur de
Broadway.
Gershwin continuera à nourrir des ambitions de devenir le plus grand compositeur
classique étasunien, tout en continuant à composer pour Broadway et le cinéma. Il mourra
en 1937 à Hollywood des conséquences d'une opération pour lui ôter une tumeur au
cerveau avant d'avoir pu poursuivre son rêve. Il avait à peine 39 ans.
7
Porgy and Bess : l’opéra aux mille tubes
En élaborant son projet, Gershwin a posé une condition sine qua non : Porgy and Bess ne
peut être représenté que par une distribution entièrement composée de chanteurs afroaméricains. Obsédé par l’idée d’écrire un grand opéra américain, le compositeur s’est
reposé sur sa profonde connaissance du jazz et son expérience dans le domaine de la
comédie musicale. Il s’est aussi plongé dans les traditions musicales noires du Sud pour
produire sa propre interprétation du folklore musical afro-américain. La partition s’organise
comme un opéra traditionnel, en une succession de récitatifs, d’airs et d’ensembles. De
nombreux airs sont devenus des standards de la chanson jazz, comme l’incontournable
« Summertime » et les tout aussi réussis « I Goth Plenty O’Nuttin’ », « Bess, You Is My Woman
Now », « It Ain’t Necessarily So » ou « I Loves You, Porgy ». L’écriture orchestrale penche tantôt
du côté de Broadway, tantôt du côté de Puccini. Soucieux de créer une unité tout au long
de l’œuvre, Gershwin a eu recours à une série de motifs récurrents. Porgy, Crown et
Sportin’ Life possèdent leur propre thème musical tandis que Bess, dépourvue de motif
caractéristique, s’approprie les thèmes des trois hommes selon qu’elle est sous l’influence
de l’un ou de l’autre.
L’œuvre a connu de premières décennies difficiles, certaines voix s’étant élevées contre le
caractère stéréotypique de la représentation qu’elle fait de la communauté afroaméricaine. Ce n’est qu’avec les avancées de la lutte pour l’égalité raciale obtenues au
cours de la seconde partie du XXe siècle que Porgy and Bess est parvenu à se faire la place
qu’il mérite sur les scènes lyriques.
Rapprochant cette œuvre et les valeurs qu’elle véhicule au message d’espoir et d’humanité
de Die Zauberflöte, le musicologue Rodney Milnes a décrit Porgy and Bess comme l’opéra du
XXe siècle qui, « aspire, sans le savoir, à faire de notre société un monde meilleur ».
Porgy and Bess, acte I, scène 2 : l’agent de la police judiciaire donne l’ordre que le c0rps de Robbins soit enterré
le lendemain. Photographie de scène de la première production (1935)
8
Rôles et distribution
The Gershwin’s®
Porgy and Bess℠
Musique de George Gershwin,
Livret de DuBose et Dorothy Heyward et Ira Gershwin
Chanté en anglais.
American folk opera en trois actes.
D’après la nouvelle Porgy de DuBose Heyward.
Créé le 10 octobre 1935 à New York, au Alvin Theatre.
Accueil du New York Harlem Theatre℠.
Direction artistique et musicale:
Mise en scène :
Assistant mise en scène:
Décors :
Costumes:
Lumières:
Les rôles et leurs interprètes :
Porgy (basse-baryton):
Bess (soprano):
Crown (baryton):
Sportin' Life (ténor):
Robbins (ténor):
Serena (soprano):
Jake (baryton) :
Clara (soprano):
Maria (contralto):
Mingo (ténor):
Peter (ténor):
Lily (soprano):
Frazier (baryton):
Annie (mezzo-soprano):
William Barkhymer
Baayork Lee
Larry Marshall
Michael Scott
Christina Giannini
Reinhard Traub
Alvy Powell
Terry Cook
Morenike Fadayomi
Indira Mahajan
Michael Redding
Jermaine Smith
NN
Mari-Yan Pringle
John Fulton
Heather Hill
Marjorie Wharton
NN
NN
NN
NN
NN
Depuis sa création en 1981, la troupe du New York Harlem Theatre℠ a présenté deux
productions différentes de Porgy and Bess. Invitée par les plus prestigieuses maisons d’opéra
d’Europe, elle rassemble des chanteurs afro-américains qui sont les invités réguliers des
grandes institutions lyriques américaines telles que le Metropolitan Opera, le Houston
Grand Opera ou le San Francisco Opera.
Durée de la représentation : 3h (avec un entracte)
9
Qu’est-ce qui se passe dans Porgy and Bess
Argument, clés d’écoute et textes des extraits musicaux
L’action se passe à Charleston en Caroline du Sud, dans les années 1920
ACTE I
Scène 1
Catfish Row. Une cour dans une maison au bord de la mer, autrefois élégante demeure patricienne,
maintenant tombant en ruine et habitée par des Noirs. Un samedi soir d’été.
Jasbo Brown joue du piano, dans une atmosphère de bastringue. Des couples dansent sur
la musique
♫ Piste 1
Introduction – Piano jazz, orchestre et chœur
CHŒUR
Da-doo da wawa
Nous prenons l’ouverture en cours de route, au moment où les fanfares des cuivres
finissent de répéter un motif à deux notes, qui rappelle un peu le sifflet pneumatique d’une
locomotive. Les États-Unis des années 1930 sont traversés par de puissantes et élégantes
locomotives à diesel, transportant passagers et marchandises. Comme Arthur Honegger,
presque son contemporain, George Gershwin devait être fasciné par ces belles machines.
Le motif est alors repris directement par un piano solo, alors que le rideau se lève. Le piano
transforme le motif en honky-tonk, une façon de jouer typique des salles de danse du
début du siècle dernier, où le rythme prime sur la mélodie et l’harmonie. Mais ce n’est
qu’une apparence car Gershwin, en introduisant le chœur, va complexifier le tout avec la
distorsion du motif mélodique, en syncopant les rythmes et en faisant usage de
dissonances.
« Ira et moi avons travaillé les paroles pour la musique du lever de rideau, dans le
bastringue de Jazzbo Brown où les gens sont en train de danser, et je me suis retrouvé
avec une sorte de chant africain. »
Lettre de Gershwin à son librettiste DuBose Heyward (8 mars 1934)
CHŒUR
Da-doo-da
Da-doo-da
Wa-wa wa-wa
Da-doo-da
Da-doo-da
Da-doo-da
10
Clara, la femme de Jack le pêcheur, chante une berceuse pour son bébé.
♫ Piste 2
Jazz Standard I : La berceuse de Clara
CLARA & CHŒUR DE FEMMES
Summertime an’ the livin’ is easy
Devenue la chanson la plus célèbre de l’opéra, interprétée par d’innombrables artistes
de jazz, de rock et de pop, « Summertime » est l’emblème musical de Porgy and Bess. le
premier d’une longue série de « tubes » dans l’œuvre dont on donnera ici quelques
exemples. À tel point que pendant des années après la mort de Gershwin, l'œuvre fut
souvent démembrée et exploitée pour ces tubes, devenus standards du jazz. On faisait
même souvent abstraction de la magnifique ouverture pour commencer le spectacle
avec « Summertime ».
CLARA
Summertime and the livin’ is easy,
Fish are jumpin’ and the cotton is high.
Oh yo’ daddy’s rich and yo’ ma is good lookin’,
So hush, little baby, don’t you cry.
CLARA
C’est l’été et la vie est facile,
Les poissons sautent et les plants de coton sont
grands.
Ton papa est riche et ta maman est belle,
Alors chut, petit bébé, ne pleure pas.
One of these mornin’s you’re goin’ to rise
up singin’
Then you’ll spread yo’ wings an’ you’ll take
the sky
But till that mornin’ there’s a nothin’ can
harm you
With Daddy and Mammy standin’ by.
Un beau matin, tu te lèveras en chantant,
CHŒUR DE FEMMES
Ooh-ah
CHŒUR DE FEMMES
Ooh-ah
11
Tu déploieras tes ailes et tu voleras haut
dans le ciel
Mais avant ce matin-là, il n’y a rien qui
puisse te faire du mal
Avec Papa et Maman qui veillent sur toi.
Des hommes assis à une table jouent aux dés. Sportin’ Life, le dealer du quartier, sort ses
propres dés mais on les lui confisque. Serena s’en prend à son mari Robbins. « Un samedi
soir, un homme a bien le droit de jouer », rétorque-t-il. Jake chante une berceuse
parodique à son petit garçon : « La femme, c’est bien de temps en temps. » Clara reprend
l’enfant en pleurs. Peter, le marchand de miel propose sa marchandise.
♫ Piste 3
La partie de crap
EXTRAIT PROPOSÉ POUR L’ATELIER VOIX-MISE EN SCÈNE DU PROGRAMME
PÉDAGOGIQUE
ROBBINS, JIM, JAKE. CLARA, SPORTIN’ LIFE, CHŒUR
There you go again. Lissen what I say.
ROBBINS
There you go again. Lissen what I say.
I works all de week; Sunday got to pray,
But Saturday night, a man’s got a right to play.
ROBBINS
Ça y est, tu recommences. Écoute ce que je
dis. Je travaille toute la semaine, le dimanche
il faut prier, mais le samedi soir, un homme a
le droit de jouer.
CHŒUR HOMMES
A man’s got a right to play!
CHŒUR HOMMES
Un homme a le droit de jouer !
ROBBINS
Yes sir, that’s right.
That ole lady of mine is hell on savin’ money to
join the buryin’ lodge. I says spend it while you
is still alive and kickin’.
ROBBINS
Exactement, les gars !
Ma chère et tendre tient mordicus à faire des
économies pour un bel enterrement. Moi je
dis, qu’on doit dépenser son fric pendant
qu’on est bien vivant.
JIM
Lord, I is tried this night, I’m done with cotton.
JIM
Bon Dieu, je suis fatigué ce soir, J’en ai marre
du coton.
JAKE
Better come along with me on the Sea Gull.
I got room for another fisherman.
JAKE
Tu ferais mieux de t’embarquer avec moi sur
le Sea Gull, j’ai une place pour un autre
pêcheur.
JIM
That suit me.
This cotton hook done swung its las’ bale of
cotton. Here, who wants a cotton hook?
JIM
Ça me convient.
Ce crochet à coton vient de balancer sa
dernière balle de coton. Qui veut un crochet à
coton ?
12
CLARA
Summertime and the livin’ is easy,
Fish are jumpin’ and the cotton is high.
Oh yo’ daddy’s rich and yo’ ma is good
lookin’,
So hush, little baby, don’t you cry.
CLARA
C’est l’été et la vie est facile,
Les poissons sautent et les plants de
coton sont grands.
Ton papa est riche et ta maman est
belle,
Alors chut, petit bébé, ne pleure pas.
PREMIER JOUEUR
Seven, come, seven come to pappy!
Throw dat beautiful number!
Come seven to me!
Yeah, man!
PREMIER JOUEUR
Numéro sept, viens voir papa !
On va tirer le beau numéro !
Numéro sept, viens à moi !
Ouais, chef !
DEUXIÈME JOUEUR
I’ll bet yo’ wrong!
DEUXIÈME JOUEUR
Je parie que tu foires !
TROISIÈME JOUEUR
I’ll bet he’s right!
TROISIÈME JOUEUR
Je parie qu’il l’aura !
QUATRIÈME JOUEUR!
Getting’ hot!
QUATRIÈME JOUEUR!
Ça chauffe !
PREMIER JOUEUR
Come seven! Shoot!
PREMIER JOUEUR
Le sept, ici ! Je tire !
TOUS
Shoot!
TOUS
Tire !
PREMIER GROUPE DE JOUEURS
Made it!
PREMIER GROUPE DE JOUEURS
Il l’a eu !
DEUXIÈME GROUPE DE JOUEURS
He made it!
DEUXIÈME GROUPE DE JOUEURS
Il l’a eu !
CHŒUR DES JOUEURS
Ol’ man seven come down from
heaven!
CHŒUR DES JOUEURS
Pépé le Sept est tombé du ciel !
JAKE
What? That chile ain’t asleep yet?
Give him to me. I’ll fix him for you.
Lissen to yo’ Daddy warn you,
‘Fore you start a-travelling.
Woman may born you, love you and mourn
you,
But, a woman is a sometime thing,
JAKE
Comment ? Le bébé ne s’est pas encore
endormi ? Donne-le moi, je vais m’occuper de
lui pour toi. Écoute ce que te dit ton papa,
Avant de partir bourlinguer.
Une femme t’a fait naître, t’aimera et te
pleurera
Mais une femme, c’est bien de temps en
temps
Oui, c’est bien une femme de temps en
temps.
Yes a woman is a sometime thing.
13
MINGO
Oh, a woman is a sometime thing.
MINGO
Oh, une femme c’est bien de temps en temps.
JAKE
Yo’ mammy is the first to name you,
An’ she’ll tie you to her apron string.
Then she’ll shame you and she’ll blame you
Till yo’ woman comes to claim you
‘Cause a woman is a sometime thing.
Yes, a woman is a sometime thing
JAKE
Ta maman est la première à t’appeler par ton
nom, elle t’attache aux cordons de son tablier.
Et puis elle te grondera, elle te blâmera
Jusqu’à ce qu’une autre te mette le grappin
dessus, parce qu’une femme c’est bien de
temps en temps. Oui, une femme c’est bien
de temps en temps.
SPORTIN’ LIFE
Oh, a woman is a sometime thing.
SPORTIN’ LIFE
Oh, une femme c’est bien de temps en temps.
JAKE
Don’t you ever let a woman grieve you
Jus’ cause she’s got yo’ weddin’ ring.
She’ll love you and deceive you then she’ll take
yo’ clo’es an’ leave you,
‘Cause a woman is a sometime thing.
Yes, a woman is a sometime thing.
Yes, a woman is a sometime thing.
Yes, a woman is a sometime thing.
JAKE
Ne laisse jamais une femme te donner des
soucis juste parce qu’elle a ton alliance au
doigt. Elle t’aimera, elle te trompera et puis
elle prendra tes fringues et elle se tirera, parce
qu’une femme, c’est bien de temps en temps.
Oui, c’est bien une femme de
temps en temps. (ter)
CHŒUR
Yes, a woman is a sometime thing.
Yes, a woman is a sometime thing.
Yes, a woman is a sometime thing.
CHŒUR
Oui, c’est bien une femme de
temps en temps. (ter)
14
Porgy, infirme vivant de la mendicité, arrive avec une poche pleine d’argent. Il voudrait se
joindre aux joueurs de dés. On voit Crown, un docker hargneux, approcher avec Bess, sa
maîtresse. Jake laisse entendre que Porgy est un peu amoureux de Bess. Serena et Maria,
l’aubergiste, espèrent qu’il aura assez de bon sens pour ignorer « cette traînée qui carbure à
l’alcool ». Porgy la défend contre de telles accusations. Quant à lui, « quand Dieu (le) fit
estropié, il (l’)a condamné à être seul. »
Crown demande à boire. Tandis que les femmes invectivent Bess (sans grand effet), les
hommes recommencent leur partie de dés. Crown perd. Ayant déjà bu pas mal d’alcool, il
demande à Sportin’ Life une pincée de « poussière du bonheur » à sniffer.
Porgy tente d’amadouer ses dés en chantant, mais c’est Robbins qui remporte la partie.
Alors que Robbins s’apprête à empocher ses gains, Crown l’agrippe brutalement par le
poignet. La bagarre éclate. Crown tue Robbins.
Tandis que Serena s’effondre sur le corps de son mari, la foule se disperse. Bess donne de
l’argent à Crown et lui dit de filer. Il la prévient : il viendra la chercher « quand l’orage sera
passé ». Elle demande de la cocaïne à Sportin’ Life mais ne fait aucun cas de ses avances.
Lui aussi s’éclipse. Alors que la police est sur le point d’arriver, Bess se sent abandonnée –
jusqu’à ce que Porgy lui ouvre sa porte et la fasse entrer.
15
Scène 2
La chambre de Serena. Le corps de Robbins repose sur le lit. Une soucoupe destinée à recueillir les
dons pour l’inhumation est placée sur sa poitrine.
Les voisins pleurent le défunt, Serena refuse l’argent de Bess, puis se laisse fléchir lorsque
celle-ci lui dit que c’est l’argent de Porgy, pas celui de Crown. Porgy invite tout un chacun à
donner davantage à la collecte. L’assistance reprend sa prière : « Oh, remplissez la
soucoupe jusqu’à ce qu’elle déborde ! »
♫ Piste 4
Gospel I : l’invocation de Porgy
PORGY, JAKE & CHŒUR
Gawd got plenty of money for de saucer … Overflow, overflow
Premier de quelques exemples de musique religieuse afro-américaine sélectionnés pour
l’écoute de ce dossier pédagogique, le numéro « Overflow, Overflow » est un très bon exemple
d’un chant antiphonal. L’antienne est un chant liturgique appelant une réponse. On en trouve
dans toutes les religions du monde, et les Africains emmenés en esclavage aux États-Unis ont
fait une synthèse de leurs chants religieux « appel et réponse » avec les invocations des
liturgies chrétiennes des Blancs. Dans les cérémonies religieuses des églises chrétiennes afroaméricaines, qui ont donné le jour au gospel, le pasteur ou un chantre conduit les fidèles avec
des invocations, souvent improvisées au gré de son inspiration spirituelle, et les fidèles
répètent l’invocation en harmonie. Porgy montre ici qu’en dépit de son infirmité, il a la force
spirituelle d’un grand prédicateur.
PORGY
Gawd got plenty of money for de saucer.
PORGY
Le bon Dieu a plein d’argent pour la soucoupe !
SERENA
Bless de Lord!
SERENA
Bénissons le Seigneur !
PORGY
An’ he goin’ to soffen dese people heart for to fill
de saucer till he spill all over.
PORGY
Et il va attendrir les cœurs des gens qui feront
déborder partout la soucoupe.
SERENA & CHŒUR
Amen, my Jesus!
SERENA & CHŒUR
Amen, mon Jésus !
PORGY
De Lawd will provide a grave for his chillen.
PORGY
Le Seigneur pourvoira une sépulture pour ses
enfants
CLARA
Bless de Lawd!
CLARA
Bénissons le Seigneur !
PORGY
An’ he got comfort for de widder.
PORGY
Et il réconfortera sa veuve !
16
CHŒUR
Oh, my Jesus!
CHŒUR
Oh, mon Jésus !
PORGY
An’ he goin’ feed his fadderless chillen.
PORGY
Et il nourrira ses orphelins.
CHŒUR
Yes, Lawd! Truth, Lawd!
CHŒUR
Oui, Seigneur ! En vérité, Seigneur !
PORGY
An’ he goin’ raise dis poor sinner up out of de
grave.
PORGY
Et il fera se lever ce pauvre pécheur du tombeau.
JAKE
Allelujah!
JAKE
Alléluia !
PORGY
An’ set him in de shinin’ seat ob de righteous.
PORGY
Et il le fera s’asseoir sur le trône étincelant des
justes !
SERENA
Amen, my Jesus!
SERENA
Amen, mon Jésus !
CHŒUR
Overflow, overflow,
Oh, fill up de saucer till it overflow!
Everybody helpin’ now sendin’ our brudder to
Heaven!
Send down yo’ angels, Lawd, oh Lawd!
Robbins is risin’ to Heaven!
Lawd, take Robbins to your blessing!
CHŒUR
Déborder ! Déborder !
Remplissez la soucoupe et faites-la déborder !
Tout le monde doit aider notre frère à monter au
Paradis !
Fais descendre tes anges, ô Seigneur !
Robbins va monter au Ciel !
Seigneur, entoure Robbins de ta bénédiction !
17
PORGY
Oh, sufferin’ Jesus!
You knows right from wrong.
You knows Robbins was a good man
An’ now he’s weary an’ he’s goin’ home.
Reach down yo’ lovin’ han’
An’ take our brudder to yo’ bosom.
Thank you Lawd, bless you Lawd!
Lawd will fill de saucer,
Lawd will fill de saucer, overflow, overflow, oh!
PORGY
Ô Jésus qui as souffert !
Tu sais distinguer le bien du mal.
Tu sais que Robbins était bon, qu’il a besoin
de repos et de rentrer chez lui. Tends-lui ta
main de tendresse et prends notre frère dans
ton sein. Merci, Seigneur ! Sois béni, Seigneur !
Le Seigneur va remplir la soucoupe, le
Seigneur va remplir la soucoupe jusqu’à ce
qu’elle déborde, déborde, déborde, oh !
CHOEUR
Overflow, overflow,
Oh, fill up de saucer till it overflow!
Everybody helpin’ now sendin’ our brudder to
Heaven !
Send down yo’ angels, Lawd, oh Lawd !
Robbins is risin’ to Heaven!
Lawd will fill de saucer till it overflow, overflow,
oh!
CHOEUR
Déborder ! Déborder !
Remplissez la soucoupe et faites-la déborder !
Tout le monde doit aider notre frère à monter
au Paradis !
Fais descendre tes anges, ô Seigneur !
Robbins va monter au Ciel !
Le Seigneur va remplir la soucoupe jusqu’à ce
qu’elle déborde, déborde, déborde, oh !
Un agent de la police judiciaire donne l’ordre que le corps soit enterré le lendemain. Ayant
repéré Peter, il l’accuse du meurtre. Peter dit que Crown est le meurtrier. Lorsque Porgy
refuse de confirmer l’histoire, Peter est emmené comme témoin essentiel. Serena pleure la
mort de son mari.
18
♫ Piste 5
Jazz Standard II : l’élégie de Serena
SERENA
My man’s gone now
L’interprète de cette complainte déchirante et lyrique d’une
femme qui doit faire face au veuvage et à la vieillesse dans
la production originale était Ruby Elzy (1908-1943), l’une
des premières femmes afro-américaines formées comme
chanteuse d’opéra. Née dans une famille de Noirs pauvres
de l’état du Mississipi, elle devint l’une des sopranos les plus
en vue de son pays et fut invitée par la Première Dame
Eleanor Roosevelt, à chanter lors d’un déjeuner à la Maison
Blanche. Elle mourut à l’âge de 35 ans sans avoir pu réaliser
son rêve : chanter le rôle-titre d’Aida de Giuseppe Verdi.
Portrait de Ruby Elzy par le grand
photographe étasunien Carl Van
Vechten (1935)
My Man’s Gone Now a été interprété par la suite par un
grand nombre de chanteuses d’opéra afro-américaines,
comme Leontyne Price ou Audra McDonald, mais on
connaît surtout ses interprétations mythiques par des légendes du jazz comme Ella Fitzgerald,
Nina Simone, Sarah Vaughan et Shirley Horn.
SERENA
My man’s gone now,
Ain’t no use a listenin’
For his tired footsteps,
Climbin’ up de stairs.
Ah, ah !
Ole Man Sorrow’s
Come to keep me comp’ny,
Whisperin’ beside me
When I say my prayers.
Ah, ah !
Ain’t dat I min’ workin’,
Work an’ me is travellers
Journeyin’ togedder
To de promise land.
But Ole Man Sorrow’s
Marchin’ all de way wid me
Tellin’ me I’m ole now
Since I lose my man.
SERENA
Maintenant, mon homme est parti,
Ça ne sert plus à rien de tendre l’oreille pour
Le bruit de ses pas fatigués
Qui montent l’escalier,
Ah, ah !
Le Vieux Père La Tristesse
Est venu me tenir compagnie,
Et me murmure à l’oreille
Quand je dis mes prières.
Ah, ah !
C’est pas que j’aie pas envie de travailler,
Le travail et moi, on se connaît
On marche ensemble depuis longtemps
Vers la Terre promise.
Mais le Vieux Père La Tristesse
Il marche tout du long avec moi
Et il me rappelle maintenant que je suis vieille
Depuis que j’ai perdu mon mari.
Il n’y a pas assez d’argent dans la soucoupe pour payer l’enterrement. Serena supplie
l’entrepreneur de pompes funèbres de lui faire la charité et il accepte. Bess entraîne tous
ceux qui veillent le défunt dans un spiritual plein d’exaltation.
19
ACTE II
Scène 1
Catfish Row
Le jour du pique-nique de la paroisse, quelques semaines plus tard.
Jake et les pêcheurs chantent tout en travaillant sur leurs filets. Clara se fait du souci car
Jale a prévu de partir en mer malgré l’imminence des tempêtes de septembre.
Porgy a trouvé le bonheur avec Bess. Il a peut-être « beaucoup de rien du tout » mais il est
aux anges toute la journée !
♫ Piste 6
Comédie musicale : le credo de Porgy
PORGY
Oh, I got plenty o’ nuttin’
Cet air joyeux, soutenu tout du long par un chœur
bouche fermée qui se termine avec un brillant finale
où le chœur répète les paroles du chanteur, est
typique du genre de numéros de spectacle musical de
Broadway avec lequel Gershwin était très à l’aise.
Pourtant, il ne fut pas écrit pour un chanteur de
comédie musicale.
Le premier Porgy, Todd Duncan (1903-1998) était un
chanteur lyrique de formation qui enseignait le chant
classique à l’université Howard à Washington.
Comme Gershwin avait de la peine à trouver des chanteurs noirs, capables à la fois de
chanter l’opéra et le jazz, il se fit conseiller par Olin Downes le critique du New York
Times, qui lui présenta Duncan.
Gershwin écrivit à DuBose Heyward, son librettiste : « On m'a parlé d'un chanteur qui
enseigne la musique à Washington et je me suis arrangé pour le faire venir chanter pour
moi un dimanche, il y a quelques semaines. À mon avis, il est ce qui se rapproche le plus
d'un Lawrence Tibbett (baryton étasunien très célèbre du moment) de couleur. Il mesure
environ un mètre quatre-vingt, très bien bâti, avec une belle voix riche et retentissante. Il
ferait un Crown superbe et, je pense, un Porgy tout aussi excellent. » Gershwin avait
invité Duncan chez lui pour une audition et fut impressionné par sa voix classique,
craignant toutefois qu’elle ne soit « trop belle » pour Porgy. Duncan eut lui aussi ses
réserves quand Gershwin lui joua l'ouverture de l'opéra avec son fond de piano de
bastringue, mais les choses allèrent mieux ensuite. « George et Ira, avec leurs affreuses et
épouvantables voix cassées, me chantèrent toute la partition et plus j'en entendais, plus
je trouvais la musique belle. »
!
!
PORGY
I got plenty of nuttin’
An’ nuttin’s plenty fo’ me!
I got de sun,
Got de moon,
Got de deep blue sea.
PORGY
J’ai tout plein de rien du tout,
Et rien, ça me suffit amplement !
J’ai le soleil,
J’ai la lune,
J’ai la mer profonde et bleue.
20
De folks with plenty o’ plenty
Got to pray all de day.
Seems wid plenty
You sure got to worry
How to keep de debble away.
I ain’t frettin’ ‘bout hell
Till de time arrive.
Never worry long as I’m well,
Never one to strive to be good, to be bad,
What the hell, I is glad I’s alive!
Oh, I got plenty of nuttin’
And nuttin’s plenty fo’ me.
I got my gal, got my song,
Got Hebben de whole day long.
Les gens qu’ont plein de plein de choses
Doivent prier toute la journée
On dirait que quand on a plein de choses
On a aussi plein de soucis
Pour tenir le diable à bout de bras.
Je me fais pas de souci pour l’Enfer
Avant que le moment soit venu.
Pas de soucis, si je vais bien,
J’suis pas du genre à faire des efforts pour
être bon ou mauvais, sapristi !
J’suis juste content d’être vivant !
J’ai tout plein de rien du tout,
Et rien, ça me suffit amplement !
J’ai ma nana, j’ai ma chanson,
J’ai le Paradis toute la journée.
CHŒUR
Hmm (bouche fermée)
CHŒUR
Hmm (bouche fermée)
PORGY
No use complainin’!
Got my gal,
Got my Lawd!
PORGY
Ça sert à rien de se plaindre !
J’ai ma nana,
J’ai mon Seigneur !
CHŒUR
Got his gal!
Got his Lawd!
CHŒUR
Il a sa nana !
Il a son Seigneur !
PORGY
Got my song!
PORGY
J’ai ma chanson !
21
Maria dit à Sportin’ Life qu’elle ne veut pas de drogue dans son auberge. Il essaie de
l’embobiner mais un couteau à la main, elle lui dit sa façon de penser. Frazier, un avocat
charlatan, propose à Porgy de lui vendre un document qui donnera à Bess un « divorce »
d’avec Crown. Lorsqu’on lui dit qu’ils ne sont pas mariés, il monte le prix d’un dollar à un
dollar cinquante. Porgy règle la somme. Un Blanc, Mr Archdale, est à la recherche de Porgy.
Il veut réunir l’argent de la caution de Peter qui appartenait jadis à sa famille. Tandis
qu’Archdale reproche à Frazier de vendre des faux divorces, on voit passer un busard.
L’oiseau est un mauvais présage et Porgy lui dit de ne pas se poser. Les choses ont changé :
« La solitude, ça n’existe pas et Porgy est redevenu jeune. » Sportin’ Life tente de vendre de
la drogue à Bess « en souvenir du bon vieux temps ». Elle refuse. Porgy, qui a surpris la
conversation, menace de tordre le cou du dealer. On encourage Bess à participer au piquenique de la paroisse, mais elle veut rester avec Porgy. Porgy et Bess se disent leur amour
♫ Piste 7
Opéra classique : le duo d’amour
PORGY, BESS
Bess you is my woman now
Dans ce magnifique duo d’amour, Gershwin montre à quel point il maîtrise ses sources
classiques (on pense au « Bimba dagli occhi pieni di malia », de Madama Butterfly par Puccini) et
l’idiome musical américain (les chromatismes très jazz de « An’ you mus’ laugh, an’ sing, an’
dance »).
PORGY
Bess, you is my woman now, you is, you is!
An’ you mus’ laugh an’ sing an’ dance for two
instead of one.
Want no wrinkle on yo’ brow, no how,
Because de sorrow of de past is all done,
done. Oh, Bess, my Bess!
De real happiness is jes’ begun !
PORGY
Bess, tu es maintenant ma femme, tu l’es, tu l’es !
Tu dois rire, chanter et danser pour deux au lieu
d’un.
Je ne veux pas te voir froncer le sourcil, oh non,
Parce que la tristesse du passé, c’est fini maintenant,
pour de bon. Oh, Bess ! Ma Bess !
Le vrai bonheur vient juste de commencer !
BESS
Porgy, I’s yo’ woman now, I is, I is!
An’ I ain’t ever goin’ nowhere ‘less you shares
de fun.
Dere’s no wrinkle on my brow, no how,
But I ain’t goin’!
Wid you I’m stayin’!
Porgy, I’s yo’ woman now!
I’s yours for ever,
Mornin’ time, an’ evenin’ time,
an’ summer time, an winter time.
BESS
Porgy, je suis ta femme maintenant, je le suis, je le
suis ! Et je n’irai jamais nulle part si tu n’es pas là
pour partager l’aventure.
Est-ce tu me vois froncer le sourcil ? Oh, non !
Je ne vais nulle part !
Je reste avec toi !
Porgy, je suis ta femme maintenant !
Ta femme pour toujours !
Le matin, le soir,
L’été et l’hiver.
PORGY
Mornin’ time, an’ evenin’ time,
an’ summer time, an winter time.
Bess, you got yo’ man.
PORGY
Le matin, le soir,
L’été et l’hiver.
Bess, tu l’as, ton homme.
22
Les habitants de Catfish Row, particulièrement animés, se retrouvent pour aller piqueniquer. Bess ne veut toujours pas y aller, mais Porgy réussit à la convaincre de rejoindre les
autres.
Scène 2 – Sur l’île de Kittiwah
Le pique-nique bat son plein.
♫ Piste 8
Allegretto barbaro : la « Revue nègre »
CHŒUR
I ain’t got no shame
Encore une fois Gershwin s’éclate avec un grand numéro choral dans le style extravagant de la
comédie musicale : les cuivres et les percussions sont à l’honneur et les habitants de Catfish
Row sont à la fête. En Amérique du Nord, on marque la fin de l’été par un jour férié, le premier
lundi de septembre, qui est connu sous le nom de Labor Day (« Fête du travail », le Premier Mai, à
forte connotation politique communiste n’est pas fêté au Canada ou aux États-Unis). Le Labor
Day Picnic, un pique-nique communautaire festif dans les parcs ou dans la nature, est une
importante tradition nord-américaine.
Musicalement, cette introduction, avec les exclamations de joie presque sauvage (les chanteurs
ont recours aux onomatopées « Ha-da-da » et Gershwin précise que le tempo est un allegretto
barbaro (« mesure assez rapide et barbare »), appartient à un genre devenu très populaire dans
les années 1920, au music-hall puis au cinéma, où les artistes noirs présentaient des chants et
des danses caricaturant l’exotisme primitif africain, ou afro-américain : la « Revue nègre ».
Comme pour beaucoup d’autres manifestations culturelles de l’époque, on ne s’imaginait pas à
quel point ce genre de spectacle pouvait être raciste. On était surtout fasciné par la sexualité
sans complexes et la ceinture de bananes de Josephine Baker (ci-dessous)…
CHŒUR
I ain’t got no shame doin’ what I like to do!
Sun ain’t got no shame!
Moon ain’t got no shame!
I ain’t got no shame doin’ what I like to do!
CHŒUR
J’ai pas de honte à faire ce qui me plaît !
Le soleil n’a pas honte !
La lune n’a pas honte !
J’ai pas de honte à faire ce qui me plaît !
23
Sportin’ Life se moque de la Bible dans une parodie de sermon : « C’est pas forcément
vrai. » Serena est atterrée de voir des bons chrétiens reprendre en chœur un tel blasphème.
♫ Piste 9
Jazz Standard III : le catéchisme du dealer
SPORTIN’ LIFE, CHŒUR
It ain’t necessarily so
Voici un autre de ces « showstoppers », ces numéros qui « arrêtent
le spectacle » parce que ce sont, au fond, des « tubes » tellement
appréciés du public qu’il en oublie qu’il est à l’opéra. Cette
chanson a été reprise par de nombreux artistes de jazz, rock et
pop, dont The Honeycombs (1964), The Moody Blues (1964)
Bronski Beat (1984), Cher (1994), Jamie Cullum (2002) et en
version jazz par Hugh Laurie (alias Dr. House) sur son album de
jazz, Let Them Talk (2011).
Portrait de John Bubbles par le
Le motif chromatique un peu sinueux des premières mesures de
grand photographe étasunien
la chanson ressemble beaucoup à la mélodie d’une bénédiction
Carl Van Vechten (1935)
liturgique juive, utilisée lors du culte à la synagogue pour appeler
les lecteurs à l’estrade : « Baruch et adonai ham’vorach ». Gershwin avait grandi dans une famille
juive peu pratiquante mais il avait passé sa jeunesse dans les nombreux théâtres yiddish de son
quartier et la tradition musicale ashkénaze du klezmer lui était toute naturelle,
Le personnage de Sportin’ Life a été créé par John W. Bubbles (John William Sublett, 1902-1986),
un artiste de vaudeville et un danseur de claquettes hors pair qui donna des leç0ns au grand
Fred Astaire.
SPORTIN’ LIFE
It ain’t necessarily so.
SPORTIN’ LIFE
C’est pas forcément vrai.
CHŒUR
It ain’t necessarily so.
CHŒUR
C’est pas forcément vrai.
SPORTIN’ LIFE
De t’ings dat yo’ liable
To read in yo’ Bible,
It ain’t necessarily so.
Lil’ David was small but oh my!
SPORTIN’ LIFE
Les choses qu’on pourrait
Lire dans sa Bible,
Ne sont pas forcément vraies.
Le p’tit David n’était pas bien grand mais voilà !
CHŒUR
Lil’ David was small but oh my!
CHŒUR
Le p’tit David n’était pas bien grand mais voilà !
SPORTIN’ LIFE
He fought big Goliath
Who lay down an’ dieth.
Lil’ David was small, but oh, my!
SPORTIN’ LIFE
Il a combattu le géant Goliath
Qui est tombé raide mort.
Le p’tit David n’était pas bien grand mais voilà !
24
SPORTIN’ LIFE & CHŒUR
Wa-doo, zim-bam-boodle-oo,
Hoodle-ah-da-wa-da, scatty-wah, yeah!
SPORTIN’ LIFE & CHŒUR
Wa-doo, zim-bam-boodle-oo,
Hoodle-ah-da-wa-da, scatty-wah, yeah!
SPORTIN’ LIFE
Oh, Jonah, he lived in de whale.
SPORTIN’ LIFE
Oh, Jonas vivait dans une baleine.
CHŒUR
Oh, Jonah, he lived in de whale.
CHŒUR
Oh, Jonas vivait dans une baleine.
SPORTIN’ LIFE
Fo’ he made his home in
Dat fish’s abdomen.
Oh, Jonah, he lived in de whale.
Lil’ Moses was found in a stream.
SPORTIN’ LIFE
Il s’était fait une maison
Dans l’abdomen du poisson.
Oh, Jonas vivait dans une baleine.
Le p’tit Moïse, on l’a trouvé dans un ruisseau.
CHŒUR
Lil’ Moses was found in a stream.
CHŒUR
Le p’tit Moïse, on l’a trouvé dans un ruisseau.
SPORTIN’ LIFE
He floated on water
Till Ole Pharaoh’s daughter
She fished him, she says, from dat stream.
SPORTIN’ LIFE
Il a flotté sur les eaux
Jusqu’à ce que la fille de ce vieux Pharaon
Le sorte, c’est qu’elle dit, du ruisseau.
SPORTIN’ LIFE & CHŒUR
Wa-doo, zim-bam-boodle-oo,
Hoodle-ah-da-wa-da, scatty-wah, yeah!
SPORTIN’ LIFE & CHŒUR
Wa-doo, zim-bam-boodle-oo,
Hoodle-ah-da-wa-da, scatty-wah, yeah!
George Gershwin salue le public à la première new-yorkaise de Porgy and Bess
25
On entend un sifflet. Maria craint qu’elle et Bess ne manquent le vapeur pour rentrer à la
maison. Crown, qui se cache sur l’île depuis le meurtre, surgit d’un fourré et empêche Bess
de partir. Elle lui dit qu’elle vit « honorablement » avec Porgy, qu’elle imagine comptant les
gens qui descendent du bateau, attendant qu’elle paraisse. Elle tente de convaincre Crown
que ce serait mieux pour lui de tout recommencer avec une femme plus jeune mais il n’en
démord pas : elle est à lui. Elle cède à ses avances et ils disparaissent dans les bois.
Scène 3
Catfish Row, avant l’aube. Quelques jours plus tard.
Jake et ses hommes s’apprêtent à partir pêcher. Nelson a un mauvais pressentiment à
cause du temps. Bess délire de fièvre depuis qu’elle est revenue de l’île de Kittiwah. Peter,
récemment sorti de prison, dit qu’il faudrait l’envoyer à l’hôpital des Blancs, mais Serena,
pour qui la prière est une grande source de guérison, ne veut rien entendre. Porgy et Peter
se joignent à Serena, qui prie pour que Bess guérisse.
♫ Piste 10
Gospel II : Serena la guérisseuse
SERENA, PORGY, PETER, LILY
Mus’ be you is all forget how I pray … Oh Doctor Jesus
Dans ce deuxième extrait illustrant la manière dont Gershwin représente les traditions
musicales religieuses afro-américaines dans son opéra, on entend Serena invoquer le
« Docteur Jésus » dans une puissante incantation pour sortir le démon de la fièvre du corps de
Bess. L’imposition des mains pour guérir et exorciser fait partie de la tradition chrétienne : les
pauvres gens de Catfish Row n’avaient pas beaucoup d’autres ressources que leur foi quand ils
faisaient face à la maladie et à la mort.
Gershwin passa l'été 1934 sur la côte de la Caroline du Sud, non loin de l'île de James Island, où
vivait une importante communauté de gens Gullah, descendants directs d'esclaves venus
d'Angola. Il avait assisté à leurs offices religieux et fréquenté leurs cafés et leurs
rassemblements communautaires pour chercher de l’inspiration musicale. Mais comme tous
les spirituals dans Porgy and Bess, celui-ci est entièrement le fruit de la composition de
Gershwin.
SERENA
Mus’ be you is all forget how I pray Clara’s baby
out of the convulsions. There ain’ ever been a
sick person or corpse in Catfish Row, dat I has
refused my prayers.
SERENA
Paraît que vous avez tous oublié comment mes
prières ont sorti le bébé de Clara de ses
convulsions. ‘Y a pas un seul malade ou cadavre à
Catfish Row à qui j’ai refusé mes prières.
PORGY
Dat’s right, sistuh, you pray over her.
PORGY
C’est vrai, ma sœur, vas-y, prie sur elle.
SERENA
Oh doctor Jesus who done trouble de water in
de Sea of Gallerie.
SERENA
Ô docteur Jésus, toi qui as calmé les eaux de la
Mer de Gallilée.
26
PORGY
Amen!
PORGY
Amen !
SERENA
An’ likewise who done cast de devil out of de
afflicted time an’ time again.
SERENA
Et qui as aussi chassé le démon du corps des
affligés mainte et mainte fois.
PORGY
Time an’ time again!
PORGY
Mainte et mainte fois !
PETER
PETER
Oh, my Jesus!
Ô, mon Jésus !
SERENA
Oh, doctor Jesus, what make you ain’ layin’ yo’
han’ on dis po’ sister’ head…
SERENA
Ô docteur Jésus, pourquoi ne viens-tu pas
imposer ta main sur la tête de notre pauvre
sœur…
LILY
Oh, my father!
LILY
Ô, mon père !
SERENA
… an’ chase de devil out of her down a steep
place into de sea like you used to do time an’
time again?
SERENA
… et chasser le démon de son corps et le
précipiter du haut d’un rocher escarpé comme tu
l’as fait dans le passé, mainte et mainte fois ?
PORGY
Time an’ time again, oh, my Jesus!
PORGY
Mainte et mainte fois !
SERENA
Lif’ dis po’ cripple up out of de dus’.
SERENA
Relève ce pauvre infirme de la poussière !
PORGY
Allelujah!
PORGY
Alléluia !
SERENA
An lif’ up his woman an’ make her well time an’
time again an’ save us all for Jesus’ sake! Amen!
SERENA
Et relève sa femme et guéris-la mainte et mainte
fois et sauve-nous tous, au nom de Jésus ! Amen !
PORGY & PETER
Amen!
PORGY & PETER
Amen !
Les cris de vendeurs des rues —fraises, miel, crabe — retentissent dans un Catfish Row qui
se réveille et grouille de vie. La fièvre de Bess a cessé. Porgy lui demande ce qu’il s’est passé
avec Crown. Si elle veut partir avec Crown, il ne cherchera pas à l’en empêcher. Bess veut
rester avec Porgy, mais elle craint de n’être pas digne de lui. Elle sait que, au moment ou
Crown viendra, elle fera ses quatre volontés. Porgy lui dit qu’elle n’a plus à avoir peur de
Crown.
27
♫ Piste 11
Jazz Standard IV : la supplique de Bess
BESS, PORGY
Someday I know … I loves you Porgy
Un « standard » de jazz est une mélodie, souvent une chanson, reprise et
interprétée par un artiste de manière très personnelle, souvent dans des
styles très différents de la partition originale. Le duo I Loves You, Porgy a
été enregistré en solo par des chanteuses de jazz comme Billie Holiday
et Nina Simone, La version de Nina Simone sur son album Little Girl Blue
(1958) passa l’automne 1959 au Top 20, Le pianiste Bill Evans en arrangea
une version pour trio de pianos en 1961. Cristina Aguilera en fit une
version exceptionnellement réussie lors de la cérémonie des Grammys
2008.
I Loves You, Porgy fut interprété lors de la création par Anne Brown (1912-2009). Cette soprano
originaire de Baltimore (Maryland) fut la première élève afro-américaine admise à la
prestigieuse école de musique Juilliard de New York. Quand Porgy & Bess partit en tournée en
1936 après les représentations sur Broadway, la destination finale était la capitale nationale,
Washington. Or, la ségrégation raciale y était en vigueur et on se trouvait devant le paradoxe
qu’une distribution d’artistes entièrement afro-américaine allait jouer dans le National Theater
où les « gens de couleur » n’avaient pas le droit d’entrer. Anne Brown, dans ses mémoires, écrit :
« Je leur ai dit : “Je ne chanterai pas au National. Si ma mère, mon père, mes amis, si les
personnes noires ne peuvent pas m’entendre chanter, débrouillez-vous sans moi.” » La direction
du théâtre finit par céder, et exceptionnellement, on permit aux Noirs d’assister aux
représentations de Porgy and Bess. Mais la ségrégation reprit dès que l’opéra eut quitté la scène.
Anne Brown avait à peine 22 ans au moment de la production. Gershwin la fit beaucoup
travailler en privé et avait beaucoup d’estime pour le talent de cette jeune artiste qui avait
surmonté tant d’obstacles. Pendant les dernières répétitions de l’opéra (qui portait encore le
titre du roman et de la pièce, Porgy), il l’emmena déjeuner et une fois qu’ils furent assis, lui
annonça : « Je veux que vous sachiez, Mlle Brown, qu’à l’avenir et pour toujours, l’opéra de
George Gershwin portera le titre de Porgy and Bess. »
BESS
Someday, I know he’s comin’ back to call me,
He’s goin’ to handle an’ hol’ me so.
It’s goin’ to be like dyin’, Porgy, deep inside me.
But when he calls, I know I have to go.
BESS
Un jour, je sais qu’il reviendra me chercher,
Il va mettre ses mains sur moi et me retenir.
Au fond de moi, ce sera comme mourir, Porgy,
Mais s’il m’appelle, je sais que je devrai y aller.
PORGY
If dere warn’t no Crown, Bess,
If dere was only jus’ you an’ Porgy,
What den?
PORGY
S’il n’y avait pas de Crown, Bess,
S’il y avait juste toi et Porgy,
Il se passerait quoi ?
BESS
I loves you, Porgy,
Don’ let him take me,
Don’ let him handle me an’ drive me mad.
BESS
Je t’aime, Porgy,
Ne le laisse pas me prendre,
Ne le laisse pas me rendre folle avec ses mains.
28
If you kin keep me,
I wants to stay here
Wid you forever,
an’ I’d be glad
Si tu veux bien me garder,
Je veux bien rester ici,
Avec toi pour toujours,
Et je serais heureuse.
Todd Duncan (Porgy) et Anne Brown (Bess). Photo de scène de la production originale de 1935.
29
Clara est inquiète car Jake et ses hommes ne sont pas rentrés. Tandis que le vent se lève et
que les nuages s’assombrissent, la cloche d’alerte à l’ouragan retentit.
♫ Piste 12
Instrumental : la cloche des ouragans
Ce passage orchestral fait la transition entre les scènes 3 et 4 de l’acte II et permet à Gershwin
de déployer son talent de compositeur « sérieux » pour orchestrer magnifiquement, à grand
renfort de cuivres et de bois, les hurlements de l’ouragan, tandis que la cloche d’alerte tinte de
manière sinistre. Les scènes de tempête en mer de l’opéra Peter Grimes (1945) de Benjamin
Britten doivent certainement beaucoup à Gershwin.
Le littoral de la Caroline du Sud est, comme toute la côte sud-est des États-Unis, exposé aux
cyclones qui se forment dans le Golfe du Mexique et qui déferlent sous la forme d’ouragan vers
le nord-ouest chaque année autour de l’équinoxe d’automne. En 1911, un ouragan ravagea la ville
de Charleston, où se passe l’action de Porgy and Bess et le librettiste de l’opéra, DuBose Heyward,
qui avait 21 ans à l’époque, s’en rappelait très bien et en raconta les détails à Gershwin pour en
faire l’une des scènes les plus dramatiques de leur opéra. Cette année-là, l’ouragan fit tomber
des pluies torrentielles, coupant les voies ferrées, anéantissant les cultures, le bétail et détruisant
les routes. Des vents de 171 km/h soufflèrent sur Charleston pendant plus de 36 heures,
arrachant des toits, détruisant des maisons et abattant poteaux électriques et téléphoniques.
Les marées de trois mètres au-dessus de la normale firent des ravages dans le port et 17
personnes perdirent la vie. Les dégâts furent estimés à une valeur actuelle de USD 25.3 millions.
L’ouragan de 1911 à Charleston
30
Scène 4
La chambre de Serena. Le lendemain, à l’aube.
Les habitants de Catfish Row chantent, pour couvrir le bruit de la tempête et implorent
Jésus afin qu’il les protège. Clara chante pour son bébé. Porgy et Bess se demandent
quelles sont les chances de survie de Crown sur l’île de Kittiwah. La fureur de l’ouragan est
comparée à la Mort frappant à la porte. On frappe réellement à la porte. C’est Crown qui
est venu pour Bess. Il a survécu à la tempête et se moque de ceux qui se terrent dans la
pièce.
Crown se lance dans une chanson grivoise où une rouquine fait dérailler une locomotive,
tandis que l’assistance se scandalise et implore le Seigneur de ne pas écouter les impiétés
de Crown.
♫ Piste 13
Opéra classique ou tempo di jazz ?
CROWN, CHŒUR
A red-headed woman makes a choo-choo jump its track
Le rôle de Crown partage la vedette avec celui de Porgy : on a
vu plus haut que lorsque Gershwin fit la connaissance de Todd
Duncan, il se l’était d’abord imaginé dans le rôle de Crown, pas
de Porgy. Encore une fois, Gershwin donne libre cours à son
amour pour les locomotives, puisque le premier vers de la
chanson y fait une allusion explicite : l’air démarre lentement
comme une machine qui prend de la vitesse, avec les
saxophones imitant des sifflets pneumatiques, et les cordes
« galopant » comme les pistons.
Warren Coleman (1901-1968), baryton à la formation classique,
créa le rôle de Crown et participa aussi à la création de l’opérette de Kurt Weill Lost In The Stars.
L’air « A Red-headed Woman » est un véritable défi pour un soliste : il faut une voix d’une
exceptionnelle puissance et beauté dans le registre élevé pour dominer, musicalement et
scéniquement, les chœurs qui implorent la pitié du Seigneur et l’orchestre qui scande un boogiewoogie endiablé. Car Gershwin a inscrit clairement ici sur sa partition tempo di jazz. Quand la
grande tradition lyrique (on pense ici évidemment à la grande scène d’Escamillo dans Carmen de
Georges Bizet « Votre toast, je puis vous le rendre… Toréador, prends garde ! ») rencontre le Big
Band du jazz américain, on a des moments comme celui-ci !
CROWN
A red-headed woman makes a choo-choo
jump its track.
A red-headed woman she can make it jump
right back.
Oh, she’s jus’ nature’s child,
She’s got somethin’ that drives men wild.
A red-headed woman’s gonna take you wedder
you’re white, yellow or black.
But show me the red-head that kin make a fool
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CROWN
Une belle rouquine peut faire dérailler une
locomotive.
Une belle rouquine peut la remettre tout de suite
sur ses rails.
Une belle enfant de nature comme ça,
Elle a quelque chose qui rend les hommes dingues.
Une rouquine, elle te croque que tu sois blanc,
jaune ou noir.
Mais montrez-moi la rouquine qui me fera tourner
of me!
Oh, she ain’ existin’ on de land or on de sea.
Oh, you kin knock me down,
If dey dont fall for Brudder Crown.
Oh, show me de red-head dat kin make a
goddam fool of me!
la tête !
Elle n’existe pas, ni sur terre, ni sur mer.
Oh, vous pouvez m’assommer
Si elles ne tombent pas sous le charme de Crown.
Montrez-moi la rouquine qui me fera tourner ma
maudite tête !
CROWN
Oh, show me de red-head dat kin make a
fool of me!
Oh, she ain’ existin’ on de land or on de
sea.
Oh, you kin knock me down,
If dey dont fall for Brudder Crown.
Oh, show me de red-head dat kin make a
goddam fool of, I said a fool out o’ me!
CROWN
Oh, montrez-moi la rouquine qui me fera
tourner la tête !
Elle n’existe pas, ni sur terre, ni sur mer.
Oh, vous pouvez m’assommer
Si elles ne tombent pas sous le charme de
Crown.
Montrez-moi la rouquine qui me fera
tourner ma maudite tête !
CHŒUR
Lawd, Lawd, save us!
Don’t you listen to dat Crown!
Lawd Jesus, oh pay no min’ to Crown!
Lawd, strike him down!
Lawd, don’t listen to dat Crown!
CHŒUR
Seigneur, Seigneur, sauve-nous !
N’écoute pas ce que dit Crown !
Seigneur Jésus, ne fais pas attention à
Crown ! Seigneur, renverse-le !
Seigneur, n’écoute pas ce que dit Crown !
Un hurlement interrompt l’ode aux rouquines coquines de Crown. C’est Clara qui vient de
voir le bateau de Jake dériver sur le fleuve, la coque renversée. Elle se précipite au dehors.
Bess demande que quelqu’un la suive. Crown est le seul homme à répondre, mais il fait le
serment de reprendre Bess dès qu’il reviendra.
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ACTE III
Scène 1
Catfish Row
Au crépuscule. La tempête a faibli.
Alors que la nuit tombe, on entend des prières pour Clara, Jake et Crown. Sportin’ Life reste
insensible à toute cette désolation. Une femme peut toujours trouver un autre homme.
Quant à Bess, elle a eu deux hommes, ce qui est dangereux – elle pourrait perdre aussi
bien l’un que l’autre.
Bess chante pour le petit de Clara. Crown pénètre dans la cour puis il se met à ramper à
quatre pattes vers la chambre de Porgy, Un volet s’ouvre au-dessus de la porte et une
main plonge un couteau dans le dos de Crown, Alors que Crown se redresse en titubant,
Porgy le saisit, l’étrangle et précipite le corps dans la cour.
Scène 2
Catfish Row.
Le lendemain matin.
L’agent de la police judiciaire revient avec le médecin-légiste pour enquêter sur le meurtre
de Crown. Il interroge Serena et ses deux voisines, mais sans succès. Le médecin-légiste
interroge Porgy et lui demande de venir identifier le corps. Porgy est horrifié rien que d’y
penser. L’agent menace Porgy de le convoquer s’il refuse de coopérer. Sportin’ Life dit à
Porgy que le cadavre saignera à l’instant même où il posera les yeux sur lui. L’agent revient
pour emmener Porgy. Sportin’ Life propose de la cocaïne à Bess en Guise de consolation.
Bien qu’elle refuse, il la force à la prendre. Il l’invite à venir avec lui à New York. Elle
repousse son offre mais il sait qu’elle changera d’avis.
Scène 2
Catfish Row.
Une semaine plus tard.
Les habitants de Catfish Row se saluent les uns les autres en ce début de journée. Porgy
est raccompagné chez lui par une voiture de police. Il a gagné de l’argent en prison en
jouant aux dés et il est chargé de cadeaux pour ses amis. Lorsqu’il déballe la robe rouge
qu’il a achetée pour Bess, les voisins s’éclipsent les uns après les autres, Porgy demande à
Maria ce qui ne va pas. La vue de Serena s’occupant du bébé de Clara renforce ses
soupçons. Il demande où est Bess. Maria et Serena tentent d’expliquer ce qui s’est passé.
On lui dit que Bess est partie pour New York. « Où ça ? », demande-t-il. « À mille miles
d’ici », lui dit Mingo. Porgy réclame son chariot et sa chèvre. « Maintenant, il faut que je sois
avec Bess. Que Dieu m’aide à la retrouver. »
On aide Porgy à monter dans sa carriole. Amis et voisins se joignent à lui tandis qu’il
proclame : « Ô Seigneur, je suis en route ! »
Argument : Richard Osborne
Traduction : Michel Roubinet
© EMI Classics
Clés d’écoute et traduction des extraits du livret : Christopher Park
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Liste d’écoute
Porgy and Bess
Piste 1
Introduction – Piano jazz, orchestre et chœur
CHŒUR
Da-doo da wawa
Piste 2
Jazz Standard I : La berceuse de Clara
CLARA
Summertime an’ the livin’ is easy
Piste 3
La partie de crap
EXTRAIT PROPOSÉ POUR L’ATELIER VOIX-MISE EN SCÈNE DU PROGRAMME
PÉDAGOGIQUE
ROBBINS, JIM, JAKE. CLARA, SPORTING LIFE, CHŒUR
There you go again. Lissen what I say.
Piste 4
Gospel I : l’invocation de Porgy
PORGY, JAKE & CHŒUR
Gawd got plenty of money for de saucer … Overflow, overflow
Piste 5
Jazz Standard II : l’élégie de Serena
SERENA
My man’s gone now
Piste 6
Comédie musicale : le credo de Porgy
PORGY
Oh, I got plenty o’ nuttin’
Piste 7
Opéra classique : le duo d’amour
PORGY, BESS
Bess you is my woman now
Piste 8
Allegretto barbaro : la « Revue nègre »
CHŒUR
I ain’t got no shame
Piste 9
Jazz Standard III : le catéchisme du dealer
SPORTING LIFE, CHŒUR
It ain’t necessarily so
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Piste 10
Gospel II : Serena la guérisseuse
SERENA, PORGY, PETER, LILY
Mus’ be you is all forget how I pray … Oh Doctor Jesus
Piste 11
Jazz Standard IV : la supplique de Bess
BESS, PORGY
Someday I know … I loves you Porgy
Piste 12
Instrumental : la cloche des ouragans
Piste 13
Opéra classique ou tempo di jazz ?
CROWN, CHŒUR
A red-headed woman makes a choo-choo jump its tracks
Extraits tirés de l’enregistrement EMI Classics (1989) de Porgy and Bess avec Willard White (Porgy),
Cynthia Haymon (Bess), Harolyn Blackwell (Clara), Damon Evans (Sportin’ Life), Bruce Hubbard
(Jake), Cynthia Clarey (Serena), Marietta Simpson (Maria) et Gregg Baker (Crown) et le Chœur du
Festival de Glyndebourne, dirigés par Simon Rattle à la tête de l’Orchestre philharmonique de
Londres.
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