Théophile Gautier (1811–1872)

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Théophile Gautier (1811–1872)
Théophile Gautier (1811–1872)
• En général dès qu’une chose devient utile, elle cesse d’être belle
Sa vie
Théophile Gautier est né à Tarbes (sud-ouest de la France) le 30 août 1811 dans une famille de la
petite bourgeoisie qui déménage à Paris quand il a seulement quatre ans. C’est dans cette ville qu’il
fait ses études au Collège Charlemagne où il rencontre Gérard de Nerval qui va devenir son ami.
Il étudie la peinture, mais la rencontre avec Victor Hugo (juin 1829) va être décisive et orientera sa
vie vers la littérature. Il participe activement à la défense des idées romantiques face aux
conservateurs et c’est à cette occasion qu’il porte le fameux gilet rouge qui va faire scandale.
À la fin de 1830, il forme un petit cénacle avec quelques jeunes artistes (des peintres, des sculpteurs
et des poètes) et mène une vie de bohème.
Il commence à écrire (contes fantastiques, poèmes, textes en prose) et, à partir de 1836, il collabore
au journal d’Émile de Girardin, La Presse, jusqu’en 1855, et il se charge de la critique d’art. Ses
articles veulent rendre au moyen des mots la sensation visuelle et musicale produite par les œuvres
d’art. Il passe ensuite au Moniteur universel jusqu’en 1868. Ces collaborations sont son seul et
unique gagne-pain.
À partir de 1843 il va voyager en Espagne, Algérie, Grèce, Turquie et Russie et ses impressions
deviendront le sujet de publications. Ces expériences enrichiront ses nouvelles, ses romans et ses
poèmes.
Il fonde en 1844 le club des Hashischins destiné à l’étude du cannabis. Ce club sera fréquenté par
beaucoup d’artistes, entre autres par Baudelaire.
Avec sa femme (Ernesta Grisi), ses filles et ses deux sœurs, il s’installe à Neuilly-sur-Seine en 1857
et aime y recevoir ses amis (Baudelaire, Flaubert, Dumas…). Il a eu aussi un fils, Théophile
Gautier, de sa liaison avec Eugénie Fort.
En 1862 il est élu président de la Société nationale des Beaux-Arts. Cette élection fait naître la
jalousie du monde littéraire et ne lui permet pas d’entrer à l’Académie française qui rejette par trois
fois sa candidature (1866, 1868 et 1869).
Il revient à Paris en 1870 et il meurt le 23 octobre 1872 ; il est enterré au cimetière de Montmartre.
Victor Hugo et Stéphane Mallarmé écrivent chacun un poème, réunis en 1873 sous le titre de
Tombeau de Théophile Gautier et, en 1857, Baudelaire lui dédie son recueil Les Fleurs du mal.
Son œuvre
Théophile Gautier a écrit :
- des contes fantastiques : La Cafetière (1831), Arria Marcella (1852), Le Roman de la momie
(1858), Spirite (1866) ;
- des textes en prose : Les Jeunes-France, romans goguenards (1883), Mademoiselle de Maupin
(1835), Le Capitaine Fracasse (1868) ;
- des articles de presse (plus de mille deux cents) : Beaux-Arts en Europe (1855) ;
- des poésies : La Comédie de la mort et Poésies diverses (1838), España (1845), Émaux et Camées
(1852) ; l’accento spagnolo (tilda) si trova sulla n, ma non è presente nei simboli del mio computer
- des témoignages de voyage : Tra los montes (1843), Voyage en Espagne (1845), Voyage en Russie
(1867) ;
- des livrets de ballets : Gisèle (1841), Anneau de Sacountâla (1858).
Dès 1832 il dit que l’art doit être cultivé pour lui-même. Il pense qu’un beau poème ne doit servir à
rien et c’est un esthète qui privilégie l’esthétisme au détriment des autres fonctions de l’œuvre :
l’Art pour l’Art.
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Il est convaincu que l’art doit être indépendant de la morale et de la politique et que, pour rester pur,
il ne doit pas exprimer les sentiments, mais préférer les sensations et les impressions.
L’artiste doit vouer un culte à la beauté, qui est éternelle, fixe les rêves et apaise.
Il ne faut rien laisser au hasard et le travail et la recherche technique deviennent déterminants pour
la beauté du texte. La facilité doit être bannie et c’est pour cela que Gautier choisit des mètres
difficiles, des rimes soignées, des sonorités qui évoquent des sensations visuelles et olfactives.
L’artiste devient émailleur ou orfèvre.
Le pin des Landes (España, 1845)
Encore une réflexion sur la condition du poète, destiné au travail et à la souffrance.
On ne voit, en passant par les Landes désertes,
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l’herbe sèche et des flaques1 d’eaux vertes
D’autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc ;
Car pour lui dérober ses larmes de résine,
L’homme, avare bourreau2 de la création,
Qui ne vit qu’aux dépens de ceux qu’il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon3 !
Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume4 et sa sève5 qui bout6,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.
Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu’il ait du cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d’or !
1. Petite étendue d’eau.
2. Celui qui met à mort les condamnés.
3. Trace que fait dans la terre le soc de la charrue.
4. Résine odoriférante.
5. Liquide circulante dans les végétaux.
6. L’infinitif de ce verbe est bouillir.
Clés de lecture
1. Sur quelle comparaison est construit le poème ? Qui est le comparant ? Qui le
comparé ?
2. Une fois le comparé nommé, par quel lexique le poète rappelle-t-il le comparant?
3. En quoi le poème est-il révélateur de l’incompréhension et aussi du rejet dont souffre
le poète ? Relevez les images pathétiques du poème.
4. Quelle est la singularité du poète et quel est son rôle selon la conception romantique ?
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5. Pensez-vous que le poète est condamné à l’incompréhension et que la source de la
poésie se trouve le plus souvent dans la souffrance ? Le destin du poète est-il travail et
douleur ?
6. Comparez ce poème à L’albatros de Charles Baudelaire (p. 139) et à Le lombric de
Jacques Roubaud (p. 435), deux poèmes qui ont le même sujet. Relevez les comparaisons
et les images de nature différente.
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Stéphane Mallarmé (1842-1898)
[biographie à p. 143]
Brise marine (Poésies, 1865)
Ce poème, profondément marqué par l’inspiration baudelairienne, témoigne d’un état
d’ennui et de volonté de sursaut.
La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur déserté de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant1.
Je partirai ! Steamer2 balançant ta mâture3,
Lève l’ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts invitant les orages,
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots…
Mais, ô cœur, entends le chant des matelots !
1. La femme du poète venait d’avoir un enfant.
2. Navire à vapeur.
3. Ensemble des mâts (vergues et cordages portant la voilure d’un navire).
Clés de lecture
1. Quelles sont les motivations qui poussent le poète à vouloir partir ?
2. Quels sont les liens qui rattachent le poète à son environnement familial et à son
présent ? Est-ce qu’ils suffisent pour le retenir ?
3. Comment dans le texte s’exprime à plusieurs reprises le désir de partir ?
4. Quelles images traduisent l’appel de la liberté ?
5. Les images maritimes de ce voyage de liberté révèlent-elles une navigation calme ou
tumultueuse ?
6. Montrez comment ce voyage maritime souhaité prend au-delà des justifications
personnelles une signification symbolique : métaphore de l’inspiration, dépassement de la
page blanche, refus d’une poésie du présent et recherche d’une nouvelle écriture
poétique.
7. Retrouvez dans ce poème l’inspiration baudelairienne où se mêlent ennui et volonté de
réagir, dépression métaphysique et évasion vers le monde de l’Azur.
8. À travers les textes étudiés recherchez les motivations et les fonctions du voyage.
Pensez en particulier au Bateau ivre de Rimbaud (p. 141).
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Gérard de Nerval (1805–1855)
• Je suis l’autre
Sa vie
Gérard de Nerval, de son vrai nom Gérard Labrunie, naît à Paris le 22 mai 1805. Il n’a pas connu sa
mère qui meurt quand il a deux ans, en Silésie, où elle suivait son mari, médecin militaire de la
Grande Armée napoléonienne. C’est un grand-oncle maternel, Antoine Boucher, qui l’élève à
Mortefontaine dans le Valois. En 1814, au retour de son père, il s’installe à Paris et fréquente le
collège Charlemagne où il rencontre Théophile Gautier.
Passionné de littérature allemande, il traduit en 1827 Faust de Goethe quand il est encore au lycée.
Ami de Gautier, Hugo, Dumas, il participe à la défense des idées romantiques.
En 1835 il s’installe rue du Doyenné et l’appartement devient un lieu de rencontre pour un groupe
d’artistes qui mènent la vie de bohème.
En 1836 il tombe follement amoureux d’une actrice, Jenny Colon, et il lui voue un culte idolâtre :
elle deviendra dans son œuvre Aurélie ou Aurélia. Elle lui préfère un autre et cette passion
malheureuse va avoir des conséquences terribles sur sa raison qui va encore plus vaciller après la
mort de Jenny. Il a aimé en elle l’éternel féminin, la Mère perdue, la Femme idéale.
À partir de 1841 il commence à avoir des crises de démence et est interné plusieurs fois à la
clinique du docteur Blanche. Ces périodes d’internement s’alternent à des moments de
rétablissement. Il commence à faire des voyages en Allemagne, Moyen-Orient, Belgique, Hollande,
Londres. Il rédige des reportages comme Voyage en Orient (1851), avec ses impressions et il se
passionne pour les cultes ésotériques, les mythologies et les mystères.
Il vit les dernières années de sa vie dans une grande détresse matérielle et morale, mais c’est
pendant cette période qu’il compose ses plus grands chefs-d’œuvre pour se purger de ses émotions
comme le lui conseillait le docteur Blanche.
Le 26 janvier 1855 on le retrouve pendu à la grille d’un bouge2, rue de la Vieille Lanterne, coin le
plus sordide qu’il ait pu trouver, a écrit Baudelaire.
Il a influencé le mouvement surréaliste, Proust, et Artaud (signification des rêves), et peut-être
même Rimbaud.
2. Café, cabaret mal famé.
Son œuvre
Il évoque sa vie de bohème dans plusieurs œuvres : Petits Châteaux de Bohème (1853), La Bohème
galante (1855).
Il a écrit des poèmes et des récits souvent publiés ensemble comme en 1854 Les Filles du Feu, un
recueil de nouvelles qui réunit Sylvie (souvenirs du Valois) et les sonnets de Les chimères.
En 1855 Aurélia nous raconte son obsession de la faute et son aspiration au salut grâce à
l’intervention d’Aurélia.
Dans sa poésie, en vers ou en prose, le songe transforme la vie réelle et les souvenirs. Tout prend un
double aspect, signe et symbole à la fois.
El Desdichado1 (Les chimères, 1854)
Le mal de Nerval est celui d’El Desdichado, chevalier errant et anonyme, qui vit des souvenirs de
ses exploits passés et de ses amours perdus.
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Je suis le ténébreux2, - le veuf, - l’inconsolé,
Le prince d’Aquitaine à la tour abolie3 :
Ma seule étoile4 est morte, - et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m’as consolé5,
Rends-moi le Pausilippe6 et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s’allie7.
Suis-je Amour ou Phébus8 ?..Lusignan ou Biron9 ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine10 ;
J’ai rêvé dans la grotte où nage la sirène11…
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron12 :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée13
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée14.
1. Le déshérité, nom d’un chevalier dépossédé de ses biens et vêtu de noir dans l’Ivanhoé de Walter
Scott.
2. Beau ténébreux, surnom d’Amadis de Gaule, prince malheureux dans ses amours.
3. Nerval se croit descendant par son père d’un chevalier du Périgord.
4. L’étoile dans la symbolique de Nerval est l’image d’une pureté inaccessible, elle représente
Jenny Colon (morte en 1842).
5. Allusion au tombeau de Virgile près duquel Nerval a rencontré une jeune anglaise, Octavie, en
1834.
6. Promontoire de la baie de Naples.
7. Le rendez-vous avec Octavie a eu lieu sous une treille.
8. Autre nom d’Apollon.
9. Lusignan: époux légendaire de la fée Mélusine, originaire d’Aquitaine comme la famille
paternelle de Nerval; Biron: seigneur sous le règne d’Henri IV. Nerval l’associe aux légendes du
Valois maternel.
10. Adrienne, une des héroïnes de Sylvie, reine de la fête, descendant de la famille royale des
Valois.
11. Allusion à une grotte dans la baie de Naples.
12. Fleuve des morts traversé par Orphée selon la mythologie ; allusion aux deux crises de folie du
poète.
13. Héros et figure mythologique de l’amour perdu et retrouvé dans le dépassement.
14. Allusion à Adrienne, la sainte, qui a terminé sa vie dans un couvent, et à Mélusine, la fée, alias
Jenny, cantatrice et comédienne.
Clés de lecture
1. Premier quatrain - Quelle est la situation présente du poète ? Quelles sont les raisons de cette
situation ?
2. Deuxième quatrain - De quoi le poète se souvient-il ? Retrouvez l’alternance des moments
heureux et douloureux.
3. Premier tercet - Le poète s’interroge sur son identité : identité divine ou aristocratique ? Dites
comment le passé persiste et si les deux expériences rapportées se situent dans un contexte de
bonheur ou de regret.
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4. Deuxième tercet - Pourquoi le poète s’assimile-t-il à Orphée ? Que représentent les deux femmes
évoquées ?
5. La conclusion du poème - Comment définir l’évolution de l’itinéraire décrit ? À quoi ont abouti
toutes les expériences du poète ?
6. Le titre de ce poème était à l’origine Le Destin. Comment expliquez-vous le changement que
Nerval a apporté ?
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