La fracture entre le poète et la société L`esthétique du laid: de Les

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La fracture entre le poète et la société L`esthétique du laid: de Les
© Franco Alvisi 2005
La fracture entre le poète et la société
L’esthétique du laid:
de Les fleurs du mal de Baudelaire à I fiori de Aldo Palazzeschi
Séminaire d’Histoire de la littérature :
La naissance de la Modernité en Europe
Franco Alvisi
Università degli Studi di Bologna
© Franco Alvisi 2005
Table des matières
1. The Songs of Experience (1794)
2. La préface au Cromwell (1827)
3. Les Fleurs du Mal (1857)
4. Leopardi (1798-1837) et Lautréamont (1846-1870) : l’universalité du laid et la nécessité
de la révolution. Dés La Ginestra à la poésie faite par tous
4.1 Leopardi
4.2 Lautréamont
5. Le laid dans le futurisme italien : De l’ « Espettorazione di un tisico alla luna » de Lucini
à « I fiori » de Palazzeschi
Bibliographie
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Salax taberna vosque contubernales,
A pileatis nona fratribus pila,
Solis putatis esse mentulas vobis,
Solis licere quicquid est puellarum
Confutuere et putare ceteros hircos?
An continenter quod sedetis insulsi
Centum an ducenti, non putatis ausurum
Me una ducentos irrumare sessores?
Atqui putate ; namque totius vobis
Frontem tabernae sopionibus scribam.
Puella nam mei, quae meo sinu fugit,
Amata tantum quantum amabitur nulla,
Pro qua mihi sunt magna bella pugnata,
Consedit istic. Hanc boni beatique
Omnes amatis (Catulle)
Eu, filho do carbono e do amoníaco,
Monstro de escuridão e rutilância,
Sofro, desde a epigênesis da infancia,
A influência má dos signos do zodíaco.
Profunissimamente hipocondríaco,
Este ambiente me causa repugnância...
Sobe-me à boca uma ânsia análoga à ânsia
Que se escapa da boca de um cardíaco.
Já o verme – este operário das ruínas –
Que o sangue podre das carnificinas
Come, e à vida em geral declara guerra,
Anda a espreitar meus olhos para roê-los,
E há de deixar-me apenas os cabelos,
Na frialdade inorgânica da terra!
(Augusto dos Anjos)
Il y a eu un moment dans l’histoire de la culture où les artistes les plus subtils se sont aperçus qu’il
y avait une fracture inguérissable entre eux et la société.
Ils n’étaient plus les VATES qui pouvaient guider l’humanité dans son chemin de gloire et de
félicité, premièrement parce que la société n’allait pas du tout vers la gloire et la félicité, ensuite
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parce que la société commençait à regarder aux poètes comme à des gens parfaitement inutiles pour
son projet de progrès industriel.
Le résultat a été qu’on ne pouvait plus éviter de regarder en face l’horreur à laquelle le progrès fou
était en train de conduire le monde occidental.
Il fallait alors s’efforcer à oublier les beaux et anciens mensonges avec lesquels le pouvoir cachait
de plus en plus l’horreur montante de la vie, pour chercher à enregistrer d’une façon claire la plus
part de phénomènes où cette horreur aboutissait.
Il fallait reproduire cette horreur avec force afin de faire tomber une fois pour toutes le masque
rassurant avec lequel la réalité déformée était habituée à se maquiller.
1. The Songs of Experience (1794)
En Angleterre où l’industrie a été d’abord développée déjà à la fin du XIX siècle, William Blake,
notamment dans ses Songs of Experience (1794), a cruellement dénoncé les injustices et les
violences sur lesquelles le progrès « magnifique » était fondé, le mécanisme intrinsèque qui
construisait le privilège de peu de gens sur le sacrifice d’une majorité de gueux.
Nombreux sont les textes que l’on pourrait citer mais, ici, nous préférons fixer notre attention à
London, poésie de quatre quatrain où l’abjection à laquelle sont contraints les misérables finit pour
condamner sans contredit la ville entière qui a voulu produire cette abjection.
Dans le premier quatrain la faiblesse et la douleur, qui marquent les visages des passants comme
signes dramatiques de violence, ne manquent pas de contaminer la rue londonienne et la Tamise.
Dans le troisième quatrain les cris lancinants lancés par les Hommes et les Enfants frappent chaque
Eglise, en lui quittant le pouvoir de se soustraire à la vérité profonde de ce qui devrait être sa
mission chrétienne dans le silence de ses hypocrites méditations.
Mais c’est surtout au deuxième et au dernière quatrains que Blake consigne les idées les plus
terrifiantes. C’est là, en effet, qu’il souligne la profondeur de l’esclavage auquel les gens ont été
réduits, un asservissement qui tue l’essence même de l’être humain, car il n’est pas fait de chaînes
matérielles mais de chaînes mentales, qui rendent les gens étrangers à eux mêmes et qui font ainsi
qu’il n’y ait plus aucune chance de changer les choses.
Et la malédiction de la jeune salope désintègre l’innocence des Enfants en même temps que l’espoir
en un monde nouveau contenu dans le mariage des jeunes époux
I wander thro’ each charter’d street
Near where the charter’d Thames does flow,
And mark in every face I meet
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Marks of weakness, marks of woe.
In every cry of every Man,
In every Infant’s cry of fear,
In every voice, in every ban,
The mind forg’d manacles I hear.
How the Chimney-sweeper’s cry
Every black’ning Church appals,
And the hapless Soldier’s sigh
Runs in blood down Palace walls.
But most thro’ midnight streets I hear
How the youthful Harlot’s curse
Blasts the new born Infant’s tear,
And blights with plagues the Marriage hearse.1
2. La préface au Cromwell (1827)
Si avec Blake le laid et l’horreur de la réalité ont commencé à être peints par le poète,
c’est seulement avec Victor Hugo que le problème de la formulation d’une esthétique du laid monte
à la conscience des poètes.
Quand en 1827 il publie la Préface au Cromwell, Hugo relève l’importance fondamentale du
concept du laid pour une esthétique qui puisse se définir moderne.
S’il est vrai que « le christianisme sépare profondément le souffle de la matière. Il met un abîme
entre l’âme et le corps, un abîme entre l’homme et Dieu »2, il faut opérer un changement de
direction en accueillant dans l’art aussi les choses qui nous entourent dans la vie réelle.
Il faut, en d’autres mots, que la Muse Moderne donne résidence littéraire au laid, au difforme, au
grotesque :
La muse moderne verra les choses d’un coup d’œil plus haut et plus large. Elle sentira que tout dans la
création n’est pas humainement beau, que le laid y existe au coté du beau, le difforme au coté du gracieux,
le grotesque au revers du sublime, le mal avec le bien, l’ombre avec la lumière 3
1
Blake W., Poesie, Introduzione di Segio Perosa, cura e traduzione di Giacomo Conserva, Testo inglese a fronte,
Roma: Newton Compton, 1991, p. 82.
2
Victor Hugo, Cromwell (1827), Paris : Gasnier – Flammarion, 1968, p. 67.
3
Ibidem, p. 69.
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Même s’il y a « trop de nature et d’originalité dans la tragédie grecque pour qu’il n’y ait pas
quelquefois de la comédie »4 et du grotesque5, est bien vrai que « l’épopée l’étouffe », en ne lui
laissant qu’un rôle minimum dans le discours esthétique.
Bref « le grotesque antique est timide, et cherche à se cacher » tandis que le grotesque moderne n’a
pas peur de gagner le premier plan, de telle sorte que :
Le génie moderne change les géants en nains, des cyclopes il fait les gnomes 6
Á la monotonie ennuyante du beau, le laid et le grotesque vont ajouter un moyen de contraste
fondamental qui met l’attention du lecteur en éveil en lui offrant une perception nouvelle « plus
fraîche et plus excitée »7.
Hugo oppose ainsi au « beau antique »8 le « sublime moderne », enrichi par « le contact du
difforme ».
C’est une prise de conscience que Victor Hugo demande à l’art modern, une prise de conscience qui
doit accepter la réalité en tous ses aspects, sans rien exclure de la représentation dont elle est
chargée.
Hugo, qui s’est inspiré à la vie de Napoléon lors d’écrire son Cromwell, avait appris de l’histoire
que, comme Napoléon lui-même le dit-il, « du sublime au ridicule il n’y a qu’un pas ».
L’art doit aborder la question, et quoi qu’il en disent les « pédants étourdis »9,
mélanger le
grotesque et le sublime, pour atteindre l’humanité qui dans cette mélange même réside.
3. Les Fleurs du Mal (1857)
L’auteur qui arrive à la conscience la plus limpide de la modernité a probablement été Charles
Baudelaire, qui par son œuvre a su exprimer d’une façon exemplaire l’esprit de son époque.
Dans deux poèmes en prose, Le Dandy et Perte d’auréole, il affirme que le poète est « déclassé,
dégoûté, désoccupé » , qu’il a subi, en d’autres mots, une blessure inguérissable qui l’a
profondément affaibli, tout en l’obligeant à perdre les privilèges dont il jouissait jadis.
4
Et il ajoute “Dans l’Iliade Thersite et Vulcain donnent la comédie, l’un aux hommes, l’autre aux dieux”. Ibidem, p. 70.
“les triton, les satyres, les cyclopes, sont des grotesques; les sirènes, les furies, les parquet, les harpies, sont des
grotesque; Polyphème est un grotesque terrible, Silène est un grotesque bouffon”. Ibidem, p. 70
6
Ibidem, p. 71.
7
Ibidem.
8
Et avec cette opposition il nous ramène à l’important texte de Edward Burke, A Philosophical Inquiry into the Origin
of Our Ideas of the Sublime and Beautiful (1759), Oxford : Basil Blackwell, 1990.
9
“Les pédants étourdis, chassés de ce retranchement dans leur seconde ligne de douanes, ils renouvellent leur
prohibition du grotesque allié au sublime” (Hugo V., op. cit., p. 71.
5
6
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Il entre en conflit avec un monde qui est désormais voué à l’unique loi du profit et son auréole
tombe dans la boue avant qu’il n’entre dans le lupanar.
Le résultat obtenu est misérable. Le poète aujourd’hui peut seulement se figurer comme un vieux
saltimbanque ou comme un pauvre Albatros, condamné a vivre dans un monde trop étroit pour lui
permettre de combler son essence, toujours tourné en ridicule par ses camarades, rejeté du ciel dans
le fange, citoyen de la souffrance et de l’incompréhension
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolent compagnons de voyages,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
Á peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à coté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rie de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher10
Le poète albatros, abandonne les cieux qu’il habitait, et, exilé sur la terre, il se trouve dans
l’impossibilité de marcher, de marcher vers le profit.
Comme le profit éloigne toujours le plaisir à faveur de l’accumulation des richesses et de la
constitution du capital, le profit tue le présent à faveur du lendemain.
Baudelaire, refusant de participer à la marche industrielle de l’utilité, désavoue le lendemain et
l’accumulation en faveur du présent et du plein plaisir de la dépense inutile. C’est la thèse du
George Bataille
10
C’est la deuxième, justement fameuse, poésie du Les Fleur du Mal (1857), livre qu’on le sait, fut condamné par la
justice française. Baudelaire C., I fiori del male, Milano : Garzanti, 1999, p. 14-16.
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La négation du Bien chez Baudelaire est d’une façon fondamentale une négation du primat du
lendemain 11
La vie misérable que le poète doit mener pour s’être soustrait au mécanisme automatique et aliénant
de la production, le met en rapport direct et inévitable avec les ordures et les cruautés les plus
atroces.
Décrire ces atrocités c’est le premier devoir dans lequel le poète moderne doit s’engager, de telle
sorte que la volonté d’aller jusqu’ « au bout de la nuit », pour paraphraser Céline, est clairement
avancée au début du livre dans la célèbre Au Lecteur . On citera seulement quelques verses
significatifs aux fins de notre discours :
La sottise, l’erreur, la péché, la lésine
Occupent nos esprit et travaillent nos corps
[…]
C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !
Aux objets répugnants nous trouvons des appas ;
Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.
[…]
Serré, fourmillant, comme un million d’helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
[…]
Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie,
N’ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie.12
Au-delà de la volonté d’épater le bourgeois, il y a là le désir d’aller au fond du gouffre pour annexer
au domaine de la littérature des zones inconnues, des zones que l’histoire a cherché presque
toujours à cacher.
Lorsque la culture traditionnelle regardait effrayée à tout ce qui n’était pas à l’intérieur du cercle
magique tracé pour l’idée de Beau, avec Baudelaire a mûri une attitude différente qui vise à oublier
toutes les fausses peurs qu’on a apprises dès le début de la civilisation, une attitude nouvelle qui,
encore à l’état embryonnaire avant lui, saura animer ce que nous avons l’habitude d’appeler
modernité.
11
12
Bataille, Gorge, La littérature et le mal, Paris : Gallimard, 1957, p. 67.
Baudelaire C., op. cit., p. 4 -6.
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Mais si déjà au début de son œuvre Baudelaire s’engage à détruire l’idée traditionnelle du Beau,
désormais inacceptable, c’est surtout dans Charogne (la poésie n. XXX de Les Fleurs du Mal), que
le poète dévoile la beauté du caractère d’absolu et d’essence pour la démontrer vaine et faible.
Un « beau matin d’été si doux » le poète est en train de se promener avec sa femme dans les rues de
Paris quand ils voient « une charogne infâme ». Splendide exemple de « fleur du mal », elle avait
même le soleil et le ciel dévoués à son bonheur
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme au fin de la cuire à point
[…]
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouir
Le poète invite alors sa femme à ne pas oublier cette charogne parce que, quoi qu’elle se croie « la
reine des grâces », elle-même est inexorablement destinée à être dévorée par « la vermine »
Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !13
Pour conclure notre discours sur Baudelaire, Les plaintes d’ un Icare – la XII poésie du Supplément
aux Fleurs du Mal, – souligne efficacement le sort inutile qui touche à celui qui est « brûlé par
l’amour du beau », un beau, bien sûr, abstract et perdu stupidement dans les vastitudes du ciel. Un
beau qui adresse tous les efforts du poète à « étreindre des nuées »
13
Ibidem., p. 52-56.
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Les amants des prostituées
Sont heureux, dispos et repus ;
Quant à moi, mes bras son rompus
Pour avoir étreint des nuées.
C’est grâce aux astres nonpareils,
Qui tout au fond du ciel flamboient,
que mes yeux consumés ne voient
Que des souvenirs de soleils.
En vain j’ai voulu de l’espace
Trouver la fin et le milieu ;
Sous je ne sais quel œil de feu
Je sens mon aile qui se casse ;
Et brûlé par l’amour du beau,
Je n’aurai pas l’honneur sublime
De donner mon âme à l’abîme
Qui me servira de tombeau.14
4. Leopardi (1798-1837) et Lautréamont (1846-1870) : l’universalité du laid et la nécessité de
la révolution. Dés La Ginestra à la poésie faite par tous.
4.1 Leopardi
Ici nous n’avons aucune ambition d’expliquer exhaustivement la poétique complexe de Giacomo
Leopardi, poète absolu dans sa grandeur.
Une vie difficile, une condition physique douloureuse l’ont poussé à une violente analyse de la
société à lui contemporaine.
Heureusement sa condition douloureuse devient pour lui l’aiguillon et l’instrument pour une analyse
extrêmement violente de la société à lui contemporaine. Dans le Zibaldone, le journal intime dans
lequel il annotait ses méditations, Leopardi ôte la masque de la beauté à un topos qui est un parmi
les plus recourrant de la littérature occidentale.
En s’oubliant de toutes les belles métaphores liées au topos, il décrit un jardin de façon à heurter la
sensibilité des lecteurs traditionnels.
14
Ibidem, p. 336-338.
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Le jardin n’est rien d’autre qu’un « hôpital immense», où se vérifient des supplices atroces. Le lieu
député à l’amour pour beaucoup de poètes classiques était réduit au règne de la souffrance.
Les fleurs, 40 ans avant les Fleur du Mal baudelairiens, finissaient par s’éloigner irréparablement
d’une idée rassurante quelconque. Carrément il serait mieux pour elles de n’être jamais nées
Entrate in un giardino di piante, d’erbe, di fiori. Sia pure ridente quanto volete. Sia nella più mite stagione
dell’anno. Voi non potete volger lo sguardo in nessuna parte che voi non vi troviate del patimento. Tutta
quella famiglia di vegetali è in istato di souffrance, qual individuo più, qual meno. Là quella rosa è offesa
dal sole, che gli ha dato la vita; si corruga, langue, appassisce. Là quel giglio è succhiato crudelmente da
un’ape, nelle sue parti più sensibili, più vitali […] Lo spettacolo di tanta copia di vita all’entrare in questo
giardino ci rallegra l’anima, e di qui è che questo ci pare essere un soggiorno di gioia. Ma in verità questa
vita è trista e infelice, ogni giardino è quasi un vasto ospitale (luogo ben più deplorabile di un cementerio),
e se questi esseri sentono, o vogliamo dire, sentissero, certo è che il non essere sarebbe per loro assai
meglio che l’essere (Bologne, le 22 avril 1826)15
Déchirées cruellement par des insectes avides seulement de leur plaisir et totalement insouciants du
bonheur d’autrui, ces fleurs sont une proclamation de guerre contre tous les mensonges qui sont
renversés sur l’homme depuis le jour où il naît.
La vie entière est pour Leopardi un non-sens. Si on suivait la raison on devrait se tuer ; c’est
seulement grâce aux «illusions merveilleuses», aux « dolci inganni », c’est seulement en se
trompant sur le véritable sens de l’existence que la vie peut avoir son cours16.
Mais quand l’illusion la plus grande, l’illusion de l’amour, se dissout, l’inanité du tout,
l’universalité du laid apparaît et dévoile son horreur.
En 1835, quand la dernière espérance en l’amour d’une femme, Fanny Targioni Tozzetti, est
détruite, il écrit A se stesso, sûrement une lyrique parmi les plus belles et atroces de sa production
Or poserai per sempre,
Stanco mio cor. Perì l’inganno estremo,
Ch’eterno io mi credei. Perì. Ben sento,
In noi di cari inganni,
Non che la speme, il desiderio è spento.
Posa per sempre. Assai
Palpitasti. Non val cosa nessuna
15
Leopardi, Giacomo, Zibaldone, Roma, Newton & Compton, 2001, pensée n. 4175-4177, p. 854 -855.
Ça nous rappelle sans doute de Céline, et de son Voyage au bout de la nuit (1932), Paris : Gallimard, 2001, p. 200 :
« On n’a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie, voilà. Toute la jeunesse est allée mourir déjà au bout
du monde dans le silence de vérité. Et où aller dehors, je vous le demande, dès qu’on a plus en soi la somme suffisante
de délire ? La vérité, c’est une agonie qui n’en finit pas. La vérité de ce monde c’est la mort. Il faut choisir, mourir ou
mentir. Je n’ai jamais pu me tuer moi ».
16
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I moti tuoi, né di sospiri è degna
La terra. Amaro e noia
La vita, altro mai nulla; e fango è il mondo.
T’acqueta omai. Dispera
L’ultima volta. Al gener nostro il fato
Non donò che il morire. Omai disprezza
Te, la natura, il brutto
Poter che, ascoso, a comun danno impera,
E l’infinita vanità del tutto.17
La rime conclusive qui unie symboliquement « brutto » (laid) et « tutto » - au-delà du rythme
continûment brisé par les enjambements - reproduit l’idée fondamentale d’un laid député à régner
sur le monde avec une puissance inépuisable.
Littéralement il s’agit d’un « laid pouvoir caché » (brutto poter ascoso) qui vise au détriment
commun (a comun danno impera).
La chimère d’un amour toujours nié est morte et Leopardi exhorte son cœur, dont rien ne vaut les
mouvements profonds, à mépriser ce laid pouvoir caché de la même manière que la vanité infinie
du tout.
Comme ce pouvoir nuisible est un pouvoir caché, le premier pas pour gagner dans la lutte avec lui
c’est de lui arracher le masque, c’est de le dénoncer pour ce qu’il est effectivement.
L’ennemi principal de la culture c’est encore une fois le mensonge qui dore la réalité en lui quittant
son aspect sinistre.
Comme en Blake et Baudelaire – entre lesquels Leopardi se situe – le mensonge le plus terrifiant est
celui du progrès.
Dans La ginestra (1836), il parle de cette fleur qui vit sur le coté du Vésuve - le vulcain près de
Naples dans le sud de l’Italie – une fleur qui n’a pas de prétentions de noblesse. Une fleur qui a
dans l’humilité son trait caractérisant. Elle est « contenta dei deserti », elle semble consoler le désert
avec son parfume, d’une douceur infinie, presque éprouvant compassion des dommages d’autrui
Ove tu siedi, o fior gentile, e quasi/ I danni altrui commiserando, al cielo/ Di dolcissimo odor mandi un
profumo/ Che il deserto consola18
C’est ici – où est indéniable la misère et la souffrance sans issue de la fleur, qui ne peut que
succomber
17
18
à
la
lave
du
vulcain
–
que
Leopardi, G., Canti, Milano : Mondadori, 2000, p. 190-191.
Ibidem, p. 222.
12
le
poète
voudrais
que
vienne
celui
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qu’a le courage d’élever avec laudes la condition humaine, celui qui est tellement fou de parler de
progrès. Les magnifiques sortes progressives de l’humanité sont peintes dans cette misère
Dipinte in queste rive/ Son dell’umana gente/Le magnifiche sorti e progressive19
Dans l’horreur et la souffrance souveraines, Leopardi s’efforce à nous lasser le message qu’il faut
oser élever nos yeux mortels au destin atroce et commun, en étant d’abord sincères sur le mal qui
nous avons eu la malchance de recevoir en sorte
Nobil natura è quella/ C’a sollevar s’ardisce/ Gli occhi mortali incontra/ Al comun fato, e che con franca
lingua,/ Nulla al ver detraendo,/ Confessa il mal che ci fu dato in sorte20
Prise conscience de ce qui nous attend, c’est là la seule espérance de donner un sens à la vie, dans la
solidarité d’une humanité faite d’ « hommes confédérés », serrés en une « chaîne sociale » ; et
donner ainsi au destin une « guerre commune ».
4.2 Lautréamont
La ligne Blake-Hugo-Leopardi-Baudelaire atteint son point culminant avec un autre écrivain
français – quoique il naisse à Montevideo – Isidore Ducasse.
Sous le pseudonyme du comte de Lautréamont, il publie entre le 1868 et le 1869 une œuvre
fondamentale pour notre discours sur la modernité : Les Chants de Maldoror, limpide exemple de
« littérature du mal » où le protagoniste se voue à la satisfaction de ses instincts pervers.
Le but principal est encore une fois celui de détruire les représentations conventionnelles et
bourgeoises de la réalité , notamment celles qui sont liées à l’idée du Beau.
Mais le coup qui Lautréamont porte à cette vielle idée est d’une violence sans précédents,
incomparablement plus fort de tous ceux que la modernité avait osés jusqu’ici.
Le poète a une mission : rejeter l’homme du ciel dans lequel il s’est perdu pour qu’il se confronte à
la dure réalité de sa misère. Voilà des considérations qui ouvrent le chant deuxième
19
Ces mots sont dues au cousin du poète, Terenzo Mamiani (1799-1855), qui est ici la cible directe de la féroce critique
léopardienne. Ibidem, p. 223.
20
Ibidem, p. 225. C’est une attitude épicurienne, on devra se rappeler de Lucrèce et de son De rerum natura, Milano :
Rizzoli, 1997, p.77 : « Humana ante oculos foede cum vita iaceret/ in terris oppressa gravi sub religione/ quae caput a
caeli regionibus ostendebat/ horribili super aspectu mortalibus instans,/ primum Graius homo mortalis tollere contra/ est
oculos ausus primusque obsistere contra,/ quem neque fama deum nec fulmina nec minitanti/ murmure compressit
caelum, sed eo magis acrem/ irritat animi virtutem, effringere ut arta/ naturae primus portarum claustra cupiret ».
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l’homme, à la figure de crapaud, ne se reconnaît plus lui-même ; et tombe souvent dans des accès de
fureur qui le font ressembler à une bête des bois. Ce n’est pas sa faute. Dans tous les temps, il avait cru, les
paupières ployant sous les résédas de la modestie, qu’il n’était composé que de bien et d’une quantité
minime de mal. Brusquement je lui ai appris, en découvrant au plein jour son cœur et ses trames, qu’au
contraire il n’est composé que de mal […] Je voudrais qu’il ne ressente pas, moi, qui ne lui apprends rien
de nouveau, une honte éternelle pour mes amères vérités […] En effet, j’arrache le masque à sa figure
traîtresse et pleine de boue, et je fais tomber un à un, comme des boules d’ivoire sur un bassin d’argent,
les mensonges sublimes avec lesquels il se trompe lui-même 21
La nue vérité est désormais, après l’action de Maldoror-Lautréamont, quelque chose qu’on doit
prendre en charge. C’est pourquoi il faut opérer un net changement dans les habitudes de vie
O être humain ! te voilà, maintenant, nu comme un ver, en présence de mon glaive de diamant !
Abandonne ta méthode ; il n’est plus temps de faire l’orgueilleux 22
La création même n’est que le fruit d’une « bouffonnerie excellente », les hommes des « êtres
singuliers et microscopiques », faits d’ « os et graisse », des « inépuisables caricatures du beau »23 .
Dans les deux dernières chants du livre, le V et le VI, il y a trois sections où le concept du beau est
violemment détruit. Il faut qu’on en reporte ici au moins une sélection
Le grand-duc de Virginie, beau comme un mémoire sur le courbe que décrit un chien en courant après son
maître, s’enfonça dans les crevasses d’un convent en ruine. Le vautour des agneaux, beau comme la loi de
l’arrêt du développement de la poitrine chez les adultes dont la propension à la croissance n’est pas en
rapport avec la quantité de molécules que leur organisme s’assimile […] Le scarabée, beau comme le
tremblement des mains dans l’alcoolisme, disparaissait à l’horizon
24
Il est beau comme la rétractilité des serres des oiseaux rapaces; ou encore, comme l’incertitude des
mouvements musculaires dans les plaies des parties molles de la région cervicale postérieure; ou plutôt,
comme ce piège à rats perpétuel, toujours retendu par l’animal pris, qui peut prendre seul des rongeurs
indéfiniment, et fonctionner même caché sous la paille; et surtout, comme la rencontre fortuite sur une
table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie 25
et je me trouve beau! Beau comme le vice de conformation congénital des organes sexuels de l’homme,
consistant dans la brièveté du canal de l’urètre et la division ou l’absence de sa paroi inférieure, de telle
sorte que ce canal s’ouvre à une distance variable du gland et au-dessous du pénis; ou encore comme la
21
Lautréamont, I canti di Maldoror, Poesie, Lettere, Milano : Garzanti, 1990, p. 27.
Ibidem.
23
Ibidem, Chant IV pag. 266.
24
Ibidem, p. 301-303.
25
Ibidem, p. 358-360.
22
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caroncule charnue, de forme conique, sillonnée par des rides transversales assez profondes, qui s’élève sur
la base du bec supérieur du dindon…26
N’importe quel lecteur est perturbé par l’efficace dépaysement par comparaison qui dérange
profondément les représentations mentales habituelles.
Comme Leopardi et Baudelaire, mais encore plus qu’eux, Lautréamont vise à subvertir l’ordre
commun de la logique.
Mais dans son oeuvre successive, Isidore Ducasse, dépouillé des vestes maudites du Comte de
Lautréamont, révèle en toute clarté la haute moralité de son projet culturel.
En 1870, peu avant de mourir, il publie des Poésie où la tension social révolutionnaire qui l’a
toujours animé explose en une formule qui sera destinée au plus grand succès dans l’histoire de la
culture, la formule préférée du groupe surréaliste.
La poésie doit être faite par tous non par un 27
Une formule qui nous rappelle ce que nous avons trouvé dans la Ginestra : la nécessité, en
définitive, que la poésie soit la réalisation, réelle et matérielle, d’une humanité protagoniste ellemême de son destin.
5. Le laid dans le futurisme italien : De l’ « Espettorazione di un tisico alla luna » de Lucini à
« I fiori » de Palazzeschi.
Le Futurisme, la première des avant-gardes historiques, se situe de façon partielle dans le parcours
que nous avons tracé. Il choisit de s’éloigner une fois pour toutes du monde ancien, étouffé par des
conventions insoutenables.
Comme Nietzsche l’avait-il fait à la fin du XIX siècle, le Futurisme veut se libérer du poids d’une
vision historiciste qui bloque la plupart des énergies qui seraient autrement destinées à la lutte et à
la révolution.
Ainsi que Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944) l’écrit-il dans le premier manifeste - publié dans
“Le Figaro” de Paris le 9 février de 1909 - il faut d’abord se libérer de toutes les personnes qui
contribuent à éteindre la danse et la joie de la vie et de la pensée, c'est-à-dire de la « fetida cancrena
di professori, d’archeologi, di ciceroni e d’antiquari »28 qui à rendu l’Italie - comme on lit dans un
26
Ibidem, p., 380-360.
Ibidem, Poèsies p. 464.
28
Ici on cite dès Filippo Tommaso Martinetti e il Futurismo, a cura di Luciano de Maria, Milano : Mondadori, 2000,
Fondazione e Manifesto del Futurismo, p. 7.
27
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autre manifeste, Uccidiamo il Chiaro di Luna, du 9 avril de 1909 - à être rien plus que le règne de
« Paralisi »29.
Il faut le plus tôt possible se lancer dans le future, et pour le faire il convient d’autre part éliminer
tous les endroits où le passéisme s’est cristallisé, c'est-à-dire les musées, les bibliothèques, les
académies. Les prescriptions de Marinetti à ce propos ne pourraient être plus claires
Il Tempo e lo Spazio morirono ieri […] Noi vogliamo distruggere i musei, le biblioteche, le accademie
d’ogni specie 30
Ainsi que les autres , Marinetti veut-il édifier le changement auquel il pense sur la destruction du
traditionnel concept du beau, c’est ainsi qu’il commence tout de suite à preconiser - comme on a vu
- qu’il faut « tuer le clair de lune » ou encore qu’une voiture à toute allure est plus belle que la
« Victoire de Samothrace »
Un automobile da corsa col suo cofano adorno di grossi tubi simili a serpenti dall’alito esplosivo […] un
automobile ruggente, che sembra correre sulla mitraglia, è più bello della Vittoria di Samotracia31
Étant donné qu’un critique doit souligner les contradictions violentes dans lesquelles le Futurisme
italien a vécu, une observation sera maintenant nécessaire: en italien « automobile », de même que
« voiture » en français, est un mot féminin. Pourtant Marinetti l’emploie au masculin.
En effet si le futurisme est, et cela pour plusieurs raisons, un mouvement profondément anarchique
visant a détruire des conventions chlorotiques, pour donner aux gens la plénitude d’une vie qui soit
de danse et de joie, il est également un mouvement qui s’enfonce quand même dans un bourbier
d’idées exécrables sur le dédain de la femme (voilà la raison pour laquelle Marinetti donne le genre
masculin au mot féminin « automobile »), ou sur l’éloge de la guerre. Par exemple :
Noi vogliamo glorificare la guerra – sola igiene del mondo – il militarismo, il patriottismo, il gesto
distruttore dei libertari, le belle idee per cui si muore e il disprezzo della donna32
Même la foi dans le progrès qui porte Marinetti à célébrer la nouvelle « beauté technologique »
s’éloigne de la direction que nous avons montrée.
En effet ce sont surtout les futuristes hétérodoxes qui nous intéressent.
29
Ibidem, Uccidiamo il chiaro di luna! p. 9.
Ibidem, Fondazione e Manifesto del Futurismo p. 6.
31
Ibidem.
32
Ibidem.
30
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Gian Pietro Lucini (1867-1914), consumé par la tuberculose, fut un poète anarchique entièrement
voué à déconsacrer le trône, l’autel et, encore une fois, le beau.
Il y a une poésie contenue dans un recueil publié posthume, Revolverate e Nuove Revolverate
(1975), qui prends comme objet de dérision la lune - un topos de la littérature classique contre
lequel Marinetti aussi, on l’a vu, avait-il porté un coup violent dans son deuxième manifeste.
La poésie, Espettorazione di un tisico alla luna, n’est pas une poésie d’haute qualité mais cependant
elle mérite d’être partiellement reportée grâce à l’importance qu’elle revête dans le chemin vers la
profanation du beau classique avec laquelle on a fait coïncider la naissance de la modernité :
Luna,
luogo comune degli sfaccendati
in ogni prova prosodica,
facile rima ai sonetti romantici,
belletto e vernice sentimentale alla bionda e alla bruna
per gustar le primizie de’contatti antematrimoniali,
[…]
crachat maggiore allo stomaco immedagliato del cielo;
[…]
Luna,
clorotica fortuna d’argento a navigare,
della tua faccia mi feci un altare:
[…]
Luna,
Il mio cuore ti sospira e si svuota
d’amarezze e ti vomita bestemmie;
sono un povero tisico che rece,
coi coalgoli rossi, il suo buon cuore.
Luna, balzata sul palcoscenico del firmamento,
mongolfiera celeste in convulsione sorretta dal vento,
simulata matrice in gestazione,
per scodellarci questa primavera;
ho vergogna di Te, che senza velo
balli la danza del ventre su nel cielo.
Occhiaccio strabico e permaloso,
sbirciami in terra, sono il tuo sposo,
sogguarda dalla palpebra rossa e purulenta.
…
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Luna,
civetta ipocrita a starnazzare
per l’aja insabbiata di stelle,
[…]
mezza-vergine falsa collaudata,
sopra il catarro e il colascione della poesia classica;
ho le vertigini, non guardarmi più:
un giovane impotente e smidollato di squadra le fiche33
Au-delà de la lune et des astres, même le ciel est fait objet de profanation par un autre poète
futuriste, Ardengo Soffici (1879-1965, poète et peintre), probablement le plus grand entre les
futuristes italiens. Pas du tout violent et extrême comme Lucini, il nous a donné des poésies
lesquelles d’un point de vue stylistiques sont des authentiques chefs-d’œuvre.
Ici nous nous limitons à citer des vers traits de Arcobleno, poème splendide contenu dans BFϧZF +
18. Simultaneità e chimismi lirici (1915). Voilà la profanations du firmament
Bacio la vulva del firmamento senza rumore
[…]
Mi asciugo la bocca col tovagliolo indaco del cielo34
Et voilà une autre profanation des fleurs, réduites à quelque chose de scientifique, privées d’une
valeur esthétique quelconque
I più bei fiori hanno una forma che si trova divulgata in
tutti i trattati di botanica35
Mais l’auteur avec le quel on conclura notre promenade littéraire c’est Aldo Palazzeschi (18851974). Futuriste hétérodoxe plus de tous, étranger à tous les délires belliqueux marinettiens,
apologète en plus d’une idéologie qui visait à troquer tout le funèbre de la vie en ridicule et
comique, comme il écrit dans le meilleur de tous les manifestes futuristes, Il Contodolore,36 (29
décembre 1913).
Nous nous bornerons ici à citer une poésie qui fait partie de la deuxième édition de son recueil le
plus célèbre, L’incendiario (1910). La poésie qui significativement pour notre discours s’appelle I
fiori, n’est qu’une dernière profanation du motif baudelairien, une profanation cette fois privée de
33
Poesia italiana del Novecento (1969), a cura di Edoardo Sanguineti, Torino : Einaudi, 1993, Vol. I, p.240-242.
Filippo Tommaso Martinetti e il Futurismo, op. cit., p. 469-470.
35
Ibidem, p. 471.
36
Ibidem, p. 128-138.
34
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toute tension tragique. Le poète se trouve à un déjeuner chez des amis quand il décide de s’écarter
sortant dans le jardin
…io, non visto, uscii nel giardino
per prendere un po’ d’aria.
E subito mi parve d’esser liberato,
[…]
-Zz… Zz…
-Chi è?
M’avvicinai d’onde veniva il segnale,
all’angolo del viale
una rosa voluminosa
si spampanava sulle spalle
in maniera scandalosa il décolleté.
[…]
Ma tu chi sei? Che fai ?
-
Bella sono una rosa,
non m’ai ancor veduta ?
Sono una rosa e faccio la prostituta.
-
Chi?... Te?...
-
Io, si, che male c’è?
-
Una rosa?
-
Una rosa, perché?
All’angolo del viale
aspetto per guadagnarmi il pane,
faccio qualcosa di male?
[…]
Mio caro, è ancor miglior partito
farsi pagare l’amore
a ore,
che farsi maltrattare
da uno sconcio di marito.
Quell’oca dell’ortensia,
Senza nessun costrutto,
si fa finir tutto
da quel coglione
del girasole.
Vedi quei due garofani
nel mezzo della strada?
Come sono eleganti!
Campano sulle spalle delle loro amanti!
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Che fanno la puttana
come me.
[…]
-
Mio caro, e ci posso far qualcosa,
se il giglio è pederasta
se puttana è la rosa?
-
Anche voi!
-
Che meraviglia!
Saffica è la vaniglia,
E il narciso, specchiuccio di candore,
si masturba quando è in petto alle signore.
-
Anche voi!
-
E la violacciocca…
fa certi lavoretti con la bocca…37
Une profanation entièrement comique, qui doit être lue à la lumière des pénétrantes considérations
avec lesquelles Karl Rosenkranz conclut sa fondamentale Esthétique du laid (1873) dans le chapitre
sur la caricature.
Il faut, nous dit Rosenkranz, qu’à la fin de son parcours le laid passe dans la caricature où atteint le
comique et transfigure. Dans le comique, finalement, le laid subit une métamorphose qui l’élève à la
sérénité de l’art, domaine désormais interdit à toute fausse expression du beau38.
37
38
Ibidem, p.380-384.
Rosencranz K., L’estetica del brutto (1853), Palermo : Aesthetica, 1994. Titre original Äesthetik des Hässlichen.
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