Edvard Munch : Génie et névrose

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Edvard Munch : Génie et névrose
 1 « Edvard Munch, génie et névrose » Au milieu du XIXe siècle, la Norvège est un pays pauvre, faiblement peuplé et surtout, dépendant d’un autre pays, plus grand et plus puissant, la Suède. (La Norvège ne s’émancipera d'ailleurs qu’en 1905). Edvard Munch est né dans la ferme d’Engelhauge à Loten le 12 décembre 1863, dans le compté de Herdmark. Il était le second de cinq enfants. Après la naissance d’Edvard, la famille s’installe dans la petite ville de Christiania, nom primitif d’Oslo (le nom d’Oslo désignera la ville, qu’à partir de 1925 env.). Il n’y avait même pas 50.000 habitants, Christiania était une banlieue d’Oslo, un endroit assez pauvre, qui sera englouti par la petite ville médiévale, en pleine expansion qu’était alors Oslo. Oslo était une petite ville très provinciale, les bâtiments les plus importants étaient tous regroupés dans la même rue ; Karl Johann. Les Munch, habitaient dans un baraquement récemment construit pour des ouvriers, des bâtiments en bois, sans isolation, très bon marché. Dans ces conditions difficiles vivra quelques années la famille du Dr. Munch. Le père, Chrisian Munch, était médecin militaire, très pieux… La mère, Laura Cathrine Bjostad aussi très pieuse, avait 20 de moins que lui, elle s’occupait des enfants. Situation familiale : La situation familiale de Munch est sans doute une source de traumatismes pour l’enfant. La mère décède lorsqu’il n’avait que cinq ans de tuberculose (dans d’affreuses souffrances)… Son père, après la mort de son épouse, devient un fanatique religieux neurasthénique et acariâtre. La peur de la damnation, de l’enfer était très présente au sein de la famille qui vivait dans une paranoïa religieuse assez frappante. Edvard disait que son père était souvent de très mauvaise humeur et qu’il était souvent proche de la violence. Edvard s’éloigne de lui au point de le voir comme un étranger. Il s’agit là d’une vision probablement subjective d’Edvard, car il existe de nombreuses lettres de son père à sa mère dans lesquelles on voit bien de la tendresse dans ses mots… Quoi qu’il en soit, il s’est construit un univers fantastique rempli d’histoires imaginaires comme refuge. Il s’inventait des histoires soit idylliques soit terrifiantes… Après le décès de sa mère, la sœur cadette de sa mère, est venue chez eux les prendre en charge. De ce côté là, ils n’ont jamais manqué de soutient ni d’ « amour ». C’est elle qui lui donnera le goût pour la peinture. Elle dessinait et achetait du matériel de peinture pour elle et pour Edvard, dont elle admirait les dons de dessinateur. Malgré une situation économique austère, ils n’ont jamais manqué de rien. Ils n’ont jamais dû travailler, (ni lui ni sa tante) pour subvenir à leurs besoins. Il s’est vite tourné vers un membre de sa famille, sa sœur Sophie comme refuge, comme soutien, comme le seul et unique véritable membre de sa famille. Sophie décèdera de tuberculose 10 ans après le décès de sa mère… Edvard a réagit de façon extrême au décès de sa sœur, dont l’effet a été bien plus intense et traumatisant que lorsque sa mère est morte. Il s’isole, culpabilise, se renferme en lui-­‐même et commence à développer une sorte d’aliénation par rapport à sa famille qui est vue, à ses yeux, comme un tas de personnages étrangers, comme « une foule anonyme». Il est resté avec l’image de la sœur, de la jeune femme brulante de fièvre, en délire, souffrante, épuisée… Munch, qui était à ce moment-­‐là adolescent, se sent coupable d’être resté en vie, d’être 2 encore en vie. Ce sentiment est visible dans ses toiles, dans lesquelles il « essaye de vivre la mort par procuration ». « J’ai hérité des deux plus mortels ennemis du genre humain : la tuberculose et la folie. Maladie, folie, et mort, furent les anges noirs qui se penchèrent à mon berceau à la naissance. Dès l’instant de ma naissance les anges de l’anxiété, de l’inquiétude et de la mort se tirent à mes côtés. Ils me suivaient partout, même lorsque j’allais jouer sous le soleil printanier dans les splendeurs de l’été. Ils étaient là encore le soir quand je fermais les yeux et me terrorisaient en me parlant de la mort, de l’enfer et de la damnation. Souvent, je me réveillais la nuit et, scrutant ma chambre d’un air égaré, je me demandais ; « suis-­‐je en Enfer » » Ces faits témoignent des névroses et des difficultés d’Edvard à aimer et à être aimé… et surtout, nous y voyons des thèmes qui seront au centre de son œuvre, tout au long de sa vie. -­‐ La mort (de sa sœur, de sa mère) et son obsession -­‐ L’isolement -­‐ La foule -­‐ La culpabilité -­‐ La peur d’aimer et d’être aimé -­‐ La matérialisation de sa mère à travers sa peinture Il décide en 1880 de devenir peintre, et presque depuis le début, il commence à exposer dans des manifestations telles que le salon d’Automne d’Oslo (en 1883). En 1886 expose « L’enfant malade », et le « Portrait de ma sœur Inge », la critique a été très virulente… Il faut savoir qu’Edvard faisait partie de la bohême de Christiania, il s’agissait d’un groupe d’artistes qui étaient contre les conventions de cette société bourgeoise. Le public rejetait sans cesse la peinture de Munch. La critique également. Nous assistons là à un grand paradoxe de la société norvégienne, car même en le rejetant, en se moquant de lui comme peintre, on lui reconnaissait dans une certaine sphère, du talent. La critique qualifiera ces œuvres de « répugnantes »… Quant à la main de l’enfant malade ; « Cette chose là ne prétend tout de même pas représenter une main »… « (…) ce n’est qu’une bouillie de poisson noyée de sauce de homard ». Cependant, cela ne l’empêchera pas de recevoir à plusieurs reprises des bourses qui l’aideront non seulement à travailler son art, mais aussi à faire des voyages qui marqueront sa formation artistique, notamment à Paris, Berlin, Nice… Il arrive à Paris en 1889, il y avait une forte épidémie de Cholera, raison pour laquelle il préférera s’installer à Saint-­‐Cloud avec un collègue danois. À Paris, c’est l’impressionnisme et le postimpressionnisme qui opèreront un changement dans sa palette. Les thèmes de Munch étaient déjà là ; la nostalgie, la solitude, l’homme face à la nature… La construction du tableau aussi, de grandes diagonales, horizontales et verticales qui structurent l’œuvre. Il étudiait dans l’atelier de Léon Bonnat. Son passage à Paris, n’a fait que confirmer son aversion pour le réalisme. Il y profite pour analyser les œuvres des artistes qui devaient le marquer ; le synthétisme de Gauguin, le schématisme des estampes japonaises, certaines œuvres d’Emile Bernard et quelques gravures de Vallotton (principe des surfaces colorées-­‐décoratives-­‐) et surtout, les visions flamboyantes et passionnées de Van Gogh, peintre qui ne le quittera jamais… 3 En 1892 il part avec toutes ses toiles à Berlin où il devait les exposer. Son premier contacte avec la scène allemande est marquée par un scandale, suscité par ses toiles. Il devait exposer 55 toiles pour l’Association des Artistes Berlinois dans la « Maison des Architectes ». Il réalise l’accrochage avec beaucoup de soin, l’exposition fut inaugurée le 5 novembre 1892 et close le 12 novembre après des polémiques effroyables. « Il n’y a plus rien à dire des tableaux de Munch, parce qu’ils n’ont rien à voir avec l’art »… À partir de ce moment là Munch adopte Berlin comme sa deuxième patrie, il s’y sentait bien et pouvait vivre de son art… À Berlin il fréquentait un petit cercle d’intellectuels, surtout d’écrivains allemands, « Le pourceau noir » dont faisaient partie Stanislaw Przybyszewski (polonais d’expression allemande) et Strindberg, qui vont toujours le soutenir. D’un autre côté, la vie d’errant continuera et s’intensifiera… Paris, Berlin, Nice, la Norvège, La Belgique et l’Italie… 15 années d’errance. Les étés, il partait pour son pays natale. « La Fresque de la vie ; un poème de vie, d’amour et de mort »… Presque toutes les œuvres réalisées par Edvard Munch font partie d’un seul et même programme iconographique… d’un seul et même projet, à savoir, représenter la vie, sa vie dans un vaste programme… « Nous ne devrions plus peindre d’intérieurs où les hommes lisent et les femmes tricotent. Il nous faut peindre des êtres vivants, qui respirent et sentent, qui souffrent et aiment. ». La frise de la vie comprend des œuvres réalisées entre 1889 et 1909. En 1909 il a été victime d’une terrible dépression nerveuse au retour de l’Allemagne. Le titre a été choisi au fur et à mesure que son projet prenait forme. Personne ne sait combien d’œuvres composent la série. Munch consacrait plusieurs toiles à un même thème, de plus, il a remplacé des toiles qui se vendaient. Il est cependant possible d’isoler un groupe d’œuvres qui constituent le noyau, car Munch les avait identifié lui-­‐même. Vampire, le Cri, Madone, La danse de la vie, Soirée sur l’Avenue Karl Johann, Anxiété et la femme aux trois stades de son existence. Presque toutes les œuvres qu’il réalise se rattachent à la frise, sauf ses autoportraits. Il y explore des thèmes fondamentaux que sont ; la sexualité, la mort et la nature. « la Frise est conçue comme une série dont l’ensemble constitue un panorama de la vie ». Sur l’unité de sa frise, car beaucoup de critiques disaient n’y voir de lien entre les œuvres il s’en exprime ainsi; « (…) Dans les tableaux où l’on trouve une plage, quelques arbres et les mêmes couleurs, l’élément unificateur est la nuit d’été. Les arbres et la mer fournissent les verticales et les horizontales, qui se répètent de toile en toile. La plage et les personnages apportent une note généreuse, frémissante de vie, et les teintes vives harmonisent le tout. La plupart de ces tableaux sont des ébauches, des documents, des notes : c’est ce qui fait leur force. » Cette œuvre s’articule en 4 grandes séries thématiques, « l’éveil de l’amour », « Epanouissement et déclin de l’amour », « Angoisse de vivre » et « Mort ». Cette œuvre s’échelonne sur 30 ans. Pas de mots d’encouragement. Souvent il travaillait dans des conditions précaires. 4 Il a acheté un domaine à Ekely, à Skøyen, où il s’est construit un espace pour exposer cette œuvre. Par testament, il a tout légué à la ville d’Oslo. C’est au cours des années 1890 que son style se fixe ; -­‐ Synthétisme puissant -­‐ Arabesques mouvantes qui animent les compositions. -­‐ Symbolisme diffus. En Allemagne, il reçoit dans sa vie plusieurs commandes de cycles (des allemands), le Dr. Linde (oculiste de Lübeck) lui a commandé un cycle, Marc Reinhardt aussi (pour le Kammerspiele du Deutsches theater) à Berlin. En Allemagne il travaillait avec deux galeristes ; Bruno Cassirer à Berlin et Commeter à Hambourg. Quelques principes pour comprendre ses œuvres (« Symbolistes »); Sur l’amour, pour lui la sexualité relève du même grand principe vital qui traverse la nature. L’attirance entre les sexes est source d’angoisse voire, est vécue comme une menace. Pour lui l’amour et la mort sont intimement liés. « La mort donne la main à la vie et une chaîne s’établit ainsi entre les milliers de races disparues et les milliers de celles qui viendront » La femme ; représentée avec une sorte de douceur « cadavérique ». « Tes lèvres rouge carmin comme le fruit à venir s’entrouvrent comme dans la douleur le sourire d’une dépouille.» La passion ; est perçue comme étant dévastatrice, source d’un mal terrible, la jalousie, qui anéanti l’homme. L’angoisse ; n’est pas que sexuelle, elle est aussi liée à la peur de la maladie, au sentiment d’exclusion et, pour finir, à la solitude. La solitude on peut la ressentir au milieu d’une foule ou bien, au sein de la nature. La nature ; est omniprésente dans ses œuvres, parfois il la représente seule, d’autre fois il y intègre des personnages. La nature scandinave est vue et représentée dans toute sa splendeur, elle a une dimension cosmique et presque religieuse, elle est le réservoir des forces éternelles, elle attire inéluctablement l’être humain qui la craint. Sa fameuse colonne de lune en I est un signe magique de la nature. Le cri, « Je longeais le chemin avec deux amis, c’est alors que le soleil se coucha, le ciel devint tout à coup rouge couleur de sang, je m’arrêta, m’adossai épuisé à mort contre une barrière, le fjord d’un noir bleuté et la ville étaient inondés de sang et ravagés par les langes de feu, mes amis poursuivirent leur chemin, tandis que je tremblais encore d’angoisse, et je senti que la nature était alors traversée par un longue cri infini.» En 1908, il tombe malade, une forte dépression, après des déboires amoureux avec Tulla Larsen. Fatigué de voyager mais aussi par l’abus d’alcool, il décide de se faire interner dans la clinique du Dr. Jacobson à Copenhague: « Je fus très brutalement frappé, au point de prendre la décision de me réparer moi-­‐même. J’espère bien que cet accroc se traduira par une ère nouvelle pour mon art ». 5 En effet, il expose de plus en plus à l’étranger, en Allemagne, grâce à Die Brücke (Dresde), ses estampes sont éditées à Paris. Il est exposé à Cologne (1912) à côté de Cézanne, Gauguin et Van Gogh. Une salle entière lui a été consacrée. Le succès de cette exposition le fera accepter en Norvège. Son pays natale fini par reconnaître sa valeur artistique. Le musée de Christiania lui achète plusieurs toiles. C’est ainsi, qu’en 1913, il décide de retourner s’installer chez lui. Il travaille à la réalisation de grands décors. Le cycle monumental de l’université de Christiania, le décor de l’Hôtel de ville, et le décor de la fabrique de chocolat Freia. Il s’y consacre à des thèmes en rapport avec des ouvriers, mais aussi des thèmes plus apaisés sur la nature. Il achète une confortable maison à Ekely Advient sa maladie, en 1930… Il souffre de troubles de la vision à cause d’une hémorragie de son œil droit. Il essaie de représenter ce qu’il voit avec cet œil malade mais ne s’arrête pas de peindre, de travailler. Il partage sa vie entre ses différentes demeures, côtoie des poètes, comme toujours, s’entoure d’écrivains et de penseurs, comme il havait l’habitude de le faire. Il avait abandonné très tôt l’idée même de vivre avec une femme, car source de malheur… Il s’isole de plus en plus chez lui, prend des distances par rapport à la politique, refuse d’être en contacte avec le nazisme (ils ont été occupés par les nazis) et continue de travailler sans cesse, recevant chez lui ses amis de toujours mais aussi des critiques d’art et biographes (Paula Gauguin) qui préparaient des monographies sur lui… Il vivait entouré de ses œuvres qu’il considérait comme ses enfants, les sortant même (en hiver) dans le jardin pour qu’elle « prennent l’air » et se métamorphosent au contacte avec les éléments… Le temps passe, entre la peinture, une vie austère, sans alcool et en cultivant son potager… Il décède chez lui, paisiblement en 1944 d’une maladie pulmonaire...