Pourquoi une telle hausse des prix des denrées alimentaires sur les
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Pourquoi une telle hausse des prix des denrées alimentaires sur les
Première partie Pourquoi une telle hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux? La situation des marchés des produits agricoles 2009 8 Inflation des prix des denrées alimentaires dans le monde en 2007-08 L’ inversion de tendance des prix des denrées alimentaires dans le monde a commencé en 2006 avant de se transformer en une poussée inflationniste généralisée qui a aggravé l’insécurité alimentaire, déclenché de violents mouvements de protestation et fait craindre l’insécurité sur la scène internationale. L’Afrique a peut-être été la plus gravement touchée, mais le problème était mondial. La publication de rapports sur l’impact de l’explosion des prix des denrées alimentaires sur les pauvres de nombreux pays en développement a incité la communauté internationale à prendre des mesures pour empêcher l’aggravation de la pauvreté et de la sousalimentation. Les organismes d’aide alimentaire comme le Programme alimentaire mondial (PAM) ont eu des difficultés à acheter, du fait de leurs coûts plus élevés, les denrées alimentaires qu’ils prévoyaient de distribuer et ont sollicité des ressources financières supplémentaires. L’indice FAO des prix des denrées alimentaires1 a augmenté de 7 pour cent en 2006 et de 27 pour cent en 2007, et cette augmentation a persisté et s’est accélérée pendant la première moitié de 2008. Depuis, les prix ont reculé nettement tout en restant supérieurs à leurs niveaux tendanciels à plus long terme. En 2008, l’indice FAO des prix des denrées alimentaires était, en moyenne, encore supérieur de 24 pour cent à celui de 2007 et de 57 pour cent à celui de 2006. Si l’on considère les prix en termes réels (corrigés par l’indice de la valeur unitaire des produits manufacturés de la Banque mondiale [MUV]), les augmentations sont encore très importantes. Les prix réels sont depuis longtemps caractérisés par une baisse tendancielle entrecoupée par quelques flambées des prix généralement de courte durée. Une certaine stabilisation est perceptible depuis la fin des années 80, suivie d’un redressement 1 L’indice FAO des prix alimentaires est un indice de Laspeyres, pondéré en fonction des échanges internationaux, qui repose sur les cours mondiaux de 55 produits alimentaires exprimés en USD (voir www.fao.org/worldfoodsituation/FoodPricesIndex). Évolution des indices FAO des prix des produits alimentaires Indice (1998-2000 = 100) 250 Indice FAO élargi des prix réels des produits alimentaires 200 150 100 Indice FAO élargi des prix des produits alimentaires 50 0 1961 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2008 Source: FAO. Indice FAO des prix des produits alimentaires ajusté pour tenir compte des variations de taux de change Indice FAO (1998-2000 = 100) 250 200 150 100 50 0 1961 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2008 Indice FAO des prix des produits alimentaires Indice FAO des prix des produits alimentaires ajusté pour tenir compte des variations de taux de change entre l'USD et les SDR Indice FAO des prix des produits alimentaires ajusté pour tenir compte des variations de taux de change entre l'USD et le franc CFA Note: les Droits de tirage spécial (SDR), créés par le Fonds monétaire international (FMI), se composent d’un panier des principales devises (euro, livre sterling, yen et USD); 14 économies africaines utilisent actuellement le franc CFA dont la valeur est liée à l’euro. progressif à partir de 2000 et d’une augmentation brutale en 2006. Le taux de croissance annuel moyen, de 1,3 pour cent pendant la période 2000-05, s’est envolé depuis 2006, pour atteindre 15 pour cent. Quelle est l’incidence des taux de change? Une part de ces hausses de prix peut être attribuée à la dépréciation du dollar EU, dans Sources: FAO et FMI. lequel les prix internationaux sont généralement libellés. Exprimées dans d’autres devises, les hausses sont moins spectaculaires et correspondent aux variations historiques. Elles restent néanmoins importantes. Le lien entre les devises et les prix des produits de base est un facteur qui complique l’évaluation des hausses de prix des produits agricoles. Il a aussi une incidence sur la manière dont les différents pays sont concernés par les variations des taux de change. La situation des marchés des produits agricoles 2009 9 Pourquoi une telle hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux? Évolution des indices FAO des prix de groupes de denrées de base Sucre Viande Indice (2002-04 = 100) 300 Céréales Produits laitiers Graisses végétales 250 200 150 100 50 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 Source: FAO. Évolution des prix des produits tropicaux d’exportation Riz Prix Blé Café Cacao 800 600 400 200 0 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 Note: Les prix du riz et du blé sont exprimés en USD/tonne; ceux du cacao et du café, en cents d’USD/livre. Source: FAO. L’ampleur de la répercussion de la hausse des prix au niveau international sur la hausse des prix à la consommation et à la production dans certains pays a varié selon leur taux de change avec le dollar EU et d’autres facteurs comme les droits d’importation, les infrastructures et les structures commerciales, qui déterminent le degré de transmission des prix. La plupart des prix des produits de base étant exprimés en dollars EU, la dépréciation de la devise des États-Unis réduit le coût des produits de base pour les pays dont les devises sont plus fortes que le dollar EU. Il en résulte donc une atténuation de l’impact des hausses des prix des denrées alimentaires, dans une mesure plus ou moins grande. En ce qui concerne les pays dont les devises locales sont rattachées au dollar EU, la dépréciation de celui-ci renchérit le coût d’achat des denrées alimentaires. Plus de 30 pays en développement ont aligné leur devise sur le dollar EU. Les prix de tous les produits agricoles ont-ils augmenté de la même façon? Bien que la plupart des prix des produits agricoles aient augmenté, au moins en valeur nominale, les hausses ont nettement varié d’un produit à l’autre. En particulier, les prix internationaux des produits de première nécessité, comme les céréales, les oléagineux et les produits laitiers, ont augmenté de manière beaucoup plus spectaculaire que les prix des produits tropicaux comme le café et le cacao, et ceux des matières premières comme le coton ou le caoutchouc. Les pays en développement qui dépendent des exportations de ces produits ont donc constaté que leurs recettes d’exportations avaient certes augmenté mais moins rapidement que le coût de leurs impor tations de denrées alimentaires. Importateurs nets de produits alimentaires, La situation des marchés des produits agricoles 2009 10 les pays en développement ont été confrontés à de graves déséquilibres de leurs balances des paiements. Qu’est-ce qui distingue les augmentations de prix des denrées alimentaires de la période 2007-08? L’envol des prix des denrées alimentaires constitue une rupture brutale avec la baisse tendancielle et l’effondrement continu des prix des produits de base de 1995 à 2002, au point qu’une relance des accords internationaux sur les produits a été demandée. Quelques analystes estiment que les hausses ont marqué la fin de la baisse à long terme des prix des produits agricoles, la revue The Economist (2007) annonçant même «la fin des aliments bon marché». D’autres ont vu les prémisses d’une crise alimentaire mondiale. On peut se demander si ces hausses brutales sont fondamentalement différentes des flambées des prix précédentes et si la baisse tendancielle des prix réels aurait pu s’interrompre, signalant un changement radical du comportement du marché des produits agricoles. Les périodes de prix élevés, comme les périodes de prix bas, ne sont pas des phénomènes rares sur les marchés agricoles, bien que les premières soient souvent beaucoup plus courtes que les secondes, qui ont tendance à se prolonger. Ce qui distingue cet épisode est que la hausse des prix n’a pas concerné que quelques produits destinés à l’alimentation humaine ou animale mais la quasi-totalité d’entre eux, et que les prix pourraient rester à des niveaux élevés lorsque les effets des chocs à court terme se seront dissipés. L’explosion des prix a aussi été accompagnée par une volatilité des prix2 beaucoup plus élevée que dans le passé, surtout dans les secteurs des céréales et des oléagineux, ce qui illustre la plus grande incertitude des marchés. Pendant les quatre premiers mois de 2008, la volatilité des prix du riz et du blé a atteint des niveaux records (la volatilité des prix du blé était deux fois supérieure à celle de l’année précédente, celle du prix du riz était cinq fois supérieure). L’accroissement de la volatilité n’a pas concerné que les céréales. En effet, les hui- 2 La volatilité mesure les fluctuations du prix d’un produit pendant un intervalle de temps donné en utilisant l’écart type des prix. D’amples fluctuations des prix pendant une courte période sont le signe d’une «forte volatilité». La crise alimentaire mondiale des années 70 Lors des deux décennies précédant la crise des abondantes pour reconstituer les stocks et dé- années 70, la production de céréales dans les samorcer la hausse croissante des prix. pays en développement a augmenté de 80 pour Malheureusement, le Canada, l’ex Union sovié- cent. La «révolution verte» a entraîné des gains tique, les États-Unis d’Amérique et une grande de productivité considérables et l’extension des partie de l’Asie n’engrangèrent que des récoltes surfaces cultivées. Cependant, en 1972, de médiocres à cause de mauvaises conditions mauvaises conditions climatiques ont endom- climatiques. À la fin de 1974, les réserves cé- magé les cultures dans le monde entier et la réalières mondiales étaient au plus bas depuis production alimentaire mondiale a chuté pour la 22 ans et correspondaient à près de 26 jours de première fois en 20 ans, reculant de 33 millions consommation contre 95 jours en 1961. Fait de tonnes à une période où 24 millions de ton- aggravant, le Gouvernement des États-Unis nes supplémentaires étaient nécessaires pour d’Amérique mit son veto à l’exportation de 10 couvrir les besoins d’une population s’accrois- millions de tonnes de grains (en grande partie sant rapidement. L’année suivante, un nouveau destinées à l’Union soviétique), craignant qu’une choc lié à l’offre – le quadruplement du prix du vente aussi massive déclenche une inflation des pétrole – joua un rôle important dans la hausse prix des denrées alimentaires au plan intérieur. des prix agricoles, menaçant la révolution verte Après la flambée de 1974, les prix de la plupart dont le succès dépendait en grande partie de des produits alimentaires sont restés élevés l’application de pesticides, d’herbicides et d’en- jusqu’au début des années 80. Les estimations grais azotés, c’est-à-dire de produits dérivés du officielles du nombre de décès directement im- pétrole. Après avoir payé leurs factures pétro- putables à la crise alimentaire mondiale des lières, de nombreux pays en développement ont années 70 n’ont pas été conduites, mais si l’on été à court de ressources pour acheter des pro- procède à une extrapolation tendancielle des duits chimiques et des nutriments que le mode taux de mortalité pendant la période de crise, de culture intensif, à rendement élevé, exigeait. on obtient un chiffre, non officiel, de près de cinq En 1974, le monde attendait avec impatience millions de personnes (The Oil Drum, 2009). que les pays riches engrangent des récoltes les végétales, les produits d’élevage et le sucre ont aussi connu des variations de prix nettement plus marquées que dans un passé récent. Une volatilité élevée est synonyme d’incertitude, qui gêne les acheteurs et les vendeurs dans leurs prises de décisions. Cette incertitude, lorsqu’elle s’accroît, limite également l’accès des producteurs aux marchés du crédit et conduit à l’adoption de techniques de production peu risquées au détriment de l’innovation et de l’esprit d’entreprise. Par ailleurs, plus les variations de prix d’un produit sont amples et imprévisibles, plus les gains résultant de la spéculation sur les cours anticipés de ce produit peuvent être importants. La volatilité a donc un attrait spéculatif qui, à son tour, crée un cercle vicieux qui déstabilise les prix au comptant. Au niveau national, de nombreux pays en développement sont encore extrêmement dépendants des produits de première nécessité, à l’importation et à l’exportation. Si les brusques envolées des prix peuvent gonfler temporairement la balance des paiements d’un exportateur, elles peuvent aussi renchérir les coûts d’importation de produits alimentaires et d’intrants agri- Sources: FAO et Time, 1974. coles. Parallèlement, d’amples variations de prix peuvent avoir un effet déstabilisateur sur les taux de change des pays, qui voient leurs économies mises à rude épreuve et leurs efforts pour réduire la pauvreté quasiment réduits à néant. Qu’est-ce qui distingue la flambée des prix de 2007-08 des crises précédentes? L’examen du comportement des prix dans le passé permet de mettre en évidence le caractère unique de la récente flambée des prix. Les graphiques (voir page 9) montrent qu’une flambée des prix ressort en particulier, celle correspondant à la crise alimentaire mondiale des années 70. Quelques analogies existent entre les deux situations. Le double choc pétrolier et climatique d’alors a entraîné une contraction de la production alimentaire alors que la demande de denrées alimentaires commençait à croître sous l’effet de l’emballement démographique des pays en développement. Des restrictions aux impor tations, identiques à celles d’aujourd’hui, ont été imposées pour maî- La situation des marchés des produits agricoles 2009 11 Pourquoi une telle hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux? Flambées des prix des produits agricoles Une flambée des prix est une augmentation brutale et prononcée des prix au-dessus de la valeur tendancielle. Pour des raisons pra- termes réels montre donc une situation sans rapport commun. Si l’on se fonde par exemple sur les prix et les taux de change de 2000, le coût d’une tonne de riz en 1974 était quatre fois supérieur à la moyenne observée pendant les quatre premiers mois de 2008. tiques, une flambée des prix peut être considérée comme une variation annuelle en La fin des «aliments bon marché»? pourcentage supérieure à deux écarts types des cinq années précédant l’année à partir de laquelle la variation en pourcentage est calculée. En utilisant cette définition, il est possible d’identifier les années durant lesquelles de fortes variations de prix des produits alimentaires de base (en utilisant l’indice FAO des prix alimentaires) sont intervenues au cours de la période 1961-2008. En rapportant les variations en pourcentage de chaque année à deux fois l’écart type calculé selon la formule: il est possible d’identifier quatre périodes distinctes au cours desquelles les prix ont accusé de fortes hausses: 1972-74, 1988, 1995 et la période actuelle. Seules la première et la période actuelle ont connu des variations sur plusieurs années consécutives, trois années de suite (1972, 1973 et 1974) pour la première période et deux années pour la dernière période (2007 et 2008). Toutefois, en appliquant la même méthodologie aux prix exprimés en termes réels, quatre années seulement apparaissent comme significatives en termes de variations de prix: 1973 et 1974, 2007 et 2008. triser l’inflation au plan intérieur. Mais contrairement à la crise actuelle, celle des années 70 a été causée par des chocs liés à l’offre, alors que les facteurs liés à la demande (notamment la demande de biocarburants) ont joué un rôle considérable dans la crise de 2007-08 et leurs effets pourraient être durables. Au moment le plus critique de la crise des années 70, les cours internationaux du riz et du blé s’élevaient respectivement à 542 USD et 180 USD par tonne. Les prix atteints au début de 2008 étant nettement supérieurs à ceux observés dans les années 70, on pourrait en conclure que le monde traverse une crise analogue. Mais le pouvoir d’achat actuel du dollar EU est très différent de ce qu’il était alors. L’examen des prix en L’explosion des prix des denrées alimentaires a été un choc notamment parce que les consommateurs s’étaient habitués aux «aliments bon marché». Jusqu’en 2006, le coût réel du panier alimentaire mondial avait quasiment diminué de moitié au cours des 30 années précédentes, les prix de nombreux produits alimentaires baissant en moyenne de 2 à 3 pour cent par an en termes réels. Cette baisse tendancielle s’explique par les progrès techniques, qui ont nettement réduit le coût de production des produits alimentaires, et par les larges subventions versées dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui ont permis à leur production d’être plus rentable et plus efficace qu’ailleurs. Ces deux facteurs ont cantonné quelques pays dans le rôle de fournisseur d’aliments pour la planète. Le modèle agricole fondé sur l’offre a donc provoqué une baisse tendancielle des prix qui a duré pendant des décennies. Par ailleurs, les changements opérés sur les marchés et les politiques adoptées ont joué un rôle déterminant dans la réduction des niveaux des stocks et ont conduit les pays à s’appuyer davantage, de manière planifiée, sur les importations pour couvrir leurs besoins alimentaires. Profitant de ces évolutions, les principaux pays exportateurs ont endossé l’habit de premiers fournisseurs des marchés internationaux. Il n’est donc pas étonnant que lorsque des baisses de production se succèdent plusieurs années de suite dans ces pays, la tension sur les marchés internationaux tend à s’accentuer et la volatilité ainsi que les variations de prix s’amplifient lors d’événements imprévus. Ce fut précisément le cas dans la période précédant l’envolée récente des prix. Dans ce contexte, la demande mondiale croissante de produits agricoles, tirés par la hausse des revenus et la poussée démographique au niveau mondial, et par l’accroissement de la production de biocarburants, n’a pas permis aux principaux exportateurs de reconstituer les stocks. La volatilité extrême des prix de plusieurs produits a été un autre facteur suscitant La situation des marchés des produits agricoles 2009 12 Prix annuels des denrées alimentaires, en termes nominaux et réels exprimés en USD, 1957-2008 Produits en vrac PRIX RÉELS PRIX NOMINAUX USD USD 600 1 500 400 1 000 200 500 0 0 57 70 80 90 00 Blé 57 08 Maïs Riz 70 80 90 00 08 70 80 90 00 08 80 90 00 08 80 90 00 08 Soja Graisses végétales USD USD 2 500 1 500 2 000 1 000 1 500 1 000 500 500 0 0 57 70 80 90 00 57 08 Huile de soja Huile de palme Huile de colza Produits de l’élevage USD USD 300 200 150 200 100 100 50 0 0 57 70 80 90 00 Volaille 08 57 Porc Bœuf 70 Beurre Sucre et boissons USD USD 800 2 000 600 1 500 400 1 000 200 500 0 0 57 70 80 90 00 Cacao 08 Café 57 Thé 70 Sucre Note: Les prix réels font référence aux prix nominaux ajustés pour tenir compte des variations de l’Indice des États-Unis des prix à la production (2000 = 100). Sources: Cacao (ICCO); café (ICO); coton (COTLOOK A Indice 1-3/32”); maïs (États-Unis, n° 2, jaune, golfe du Mexique); riz (blanc, thaï 100% second grade B, f.o.b. Bangkok); soja (États-Unis, n° 1, jaune, golfe du Mexique); sucre (ISA); thé (volume total vendu aux enchères de Mombasa); blé (États-Unis, n° 2, blé rouge doux d’hiver, golfe du Mexique); bœuf (Argentine, découpes de bœuf congelées, valeur unitaire à l’exportation); beurre (Océanie, prix indicatifs d’exportation, f.o.b.); viande porcine (États-Unis, porc, produit congelé, valeur unitaire à l’exportation); viande de volaille (États-Unis, volaille en morceaux, valeur unitaire à l’exportation); huile de colza (Pays-Bas, f.o.b. à l’usine); huile de soja (f.o.b.à l’usine). La situation des marchés des produits agricoles 2009 13 Pourquoi une telle hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux? Indice FAO des prix des produits alimentaires Indice des prix des denrées alimentaires, 2007-2008 Indice (2002-04 = 100) 230 Indice (2002-04 = 100) 350 300 2008 200 Produits laitiers Matières grasses 250 170 Céréales 200 2007 Sucre 140 150 2006 Viande 2005 110 100 J F M A M J J A S O N D Source: FAO. l’inquiétude quant à l’éventualité d’une crise généralisée. Lorsque la volatilité des prix augmente et se prolonge, il est difficile de savoir si c’est le marché qui est instable ou si ce sont les niveaux de prix qui sont fondamentalement élevés. De nouveau, l’incertitude concernant la situation réelle des marchés internationaux de denrées alimentaires a fait craindre l’imminence d’une crise. La flambée récente des prix traduit-elle une inversion de la baisse tendancielle des prix réels ou n’est-elle qu’une flambée de plus, un peu plus importante que d’habitude? Les périodes de turbulences excessives des marchés n’entraînent pas nécessairement un changement permanent, fondamental, de la trajectoire des prix. Lorsque ce changement se produit, il s’agit, pour les économistes, d’une «rupture structurelle». Des techniques économétriques peuvent être utilisées pour détecter ces ruptures structurelles dans les prix des produits agricoles. L’application de ces techniques montre que même les hausses considérables des prix des produits alimentaires observées pendant la crise des années 70 n’ont pas causé de ruptures structurelles. Lorsque le pire de la crise est passé, les prix ont simplement repris leur tendance précédente. Il est difficile de tirer des conclusions définitives concernant la récente flambée des prix en se fondant sur les preuves disponibles à ce jour, et les tests économétriques n’ont pas détecté jusqu’ici de rupture structurelle. Peut-on assimiler l’explosion des prix qui vient de se produire aux envolées des prix précédentes, brusques mais brèves? Ou s’il s’agit d’une rupture avec les modèles de comportement antérieurs? Seul l’examen D J F M A M J J A S O N D Source: FAO. de la nature des causes apparentes permet de répondre à cette interrogation. De nombreux facteurs ont été cités comme responsables: productions déficitaires, bas niveau des stocks, prix du pétrole, demande de biocarburants, croissance des revenus dans les économies émergentes, dépréciation du dollar EU et spéculation. Bien qu’il soit difficile de déterminer quantitativement la part de chacun, certains de ces facteurs pourraient avoir une incidence persistante sur le niveau moyen des prix. La situation actuelle présente en effet plusieurs caractéristiques qui indiquent que les prix élevés atteints récemment pourraient se maintenir encore quelques années, malgré l’ajustement à la baisse observée depuis les sommets du début de 2008. Après la hausse, la baisse: situation actuelle des prix des denrées alimentaires Les prix de la plupart des produits agricoles ont fortement reculé depuis les sommets atteints pendant la première moitié de 2008. Les prix mondiaux des grains ont baissé de 50 pour cent et ceux d’autres produits de base ont suivi. Cependant, les prix restent historiquement élevés et sont encore supérieurs à leurs niveaux de 2007. Dans de nombreux pays, notamment en Afrique, les prix restent nettement supérieurs aux niveaux de 2007. Dans certains cas, les prix internationaux observés pendant la première moitié de 2008 ont encore cours sur des marchés nationaux. La situation des marchés des produits agricoles 2009 14 Pourquoi les prix des denrées alimentaires augmentent-ils autant? L es analystes et les commentateurs ont avancé plusieurs raisons expliquant la hausse brutale des prix des denrées alimentaires. La plus courante est de l’imputer à l’accroissement de la demande de certains produits agricoles utilisés comme biocombustibles pour la production de biocarburants, notamment le maïs pour l’éthanol. La hausse vertigineuse du prix du pétrole et les préoccupations environnementales ont conduit à la recherche d’autres sources d’énergie et les politiques adoptées par les États-Unis d’Amérique et l’Union européenne (UE) ont contribué à augmenter la production de biocarburants. Le prix élevé du pétrole a eu aussi une incidence directe sur les coûts de la production agricole et les prix. Une autre explication met l’accent sur la croissance économique rapide de certaines économies émergentes, en particulier la Chine Évolution des stocks de clôture de blé et rapports stocks/utilisation Millions de tonnes 400 Pourcentage 45 300 35 200 25 100 15 0 5 79/80 81/82 83/84 85/86 87/88 89/90 91/92 93/94 95/96 97/98 99/00 01/02 03/04 05/06 07/08 Stocks de clôture Rapport stock/utilisation Source: FAO. Évolution des stocks de clôture de céréales secondaires et rapports stocks/utilisation Millions de tonnes 400 Pourcentage 36 300 27 200 18 100 9 0 0 79/80 81/82 83/84 85/86 87/88 89/90 91/92 93/94 95/96 97/98 99/00 01/02 03/04 05/06 07/08 Stocks de clôture Rapport stock/utilisation Source: FAO. et l’Inde, qui augmente la demande de produits alimentaires, notamment de produits de l’élevage, et donc de céréales et d’oléagineux destinés à l’alimentation du bétail. Toutes ces explications s’efforcent de faire la part belle à de «nouveaux» facteurs qui seraient déterminants sur les marchés internationaux et laissent penser qu’un changement fondamental s’est produit concernant le comportement des prix des produits agricoles et la persistance de prix élevés. Les explications «traditionnelles» (voir encadré page 16) de la hausse des prix sont aussi pertinentes, comme les réductions de l’offre dues à la sécheresse ayant sévi chez les principaux exportateurs et le niveau des stocks de céréales, le plus bas depuis plus de 30 ans. D’autres facteurs aggravants ont aussi été cités qui expliquent au moins partiellement les prix élevés des denrées alimentaires, par exemple l’irruption de fonds spéculatifs dans les marchés à terme des produits agricoles, les marchés des actions et des obligations devenant moins intéressants à cause de la récession financière mondiale. Lorsque les prix mondiaux ont commencé à augmenter de manière importante, les réponses apportées par le marché et les politiques à ce problème n’ont fait qu’aggraver la pression inflationniste, par exemple le stockage de produits pour se prémunir des hausses de prix anticipées, et les restrictions appliquées aux exportations. Si tous ces facteurs ont contribué à faire augmenter les prix, c’est leur combinaison qui a joué un rôle déterminant. Déclencheurs immédiats de la hausse des prix des denrées alimentaires, ils ont de surcroît opéré dans un contexte défavorable au développement d’agricultures nationales pénalisées par des problèmes à long terme comme la décroissance des rendements, le manque d’investissement, la part déclinante de l’agriculture dans l’aide au développement et la diminution des crédits consacrés à la recherche et au développement. Ces problèmes ont non seulement aggravé l’insécurité alimentaire mais ils ont aussi compliqué la tâche des pays en développement s’efforçant d’y apporter une solution. La situation des marchés des produits agricoles 2009 15 Pourquoi une telle hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux? Comment les prix des produits agricoles sont-ils déterminés? Les prix des produits agricoles sont déterminés dépend des conditions climatiques, mais chocs de l’offre, dus notamment à de mau- par une combinaison de facteurs fondamentaux les chocs de la demande ont aussi leur vaises conditions climatiques. Ils persistent de l’offre et de la demande et de chocs exogè- importance, notamment pour certaines davantage dans le cas de chocs de la de- nes liés à des facteurs comme le temps. Malgré matières premières. L’impact des chocs de mande. des recherches approfondies, les opinions di- l’offre et de la demande sur les prix peut Les prix des différents produits sont liés vergent encore quant à la nature des tendances être atténué par la possibilité d’épuiser les à une substitution ou une complémenta- et de la variabilité des prix, et il n’est pas simple, stocks ou de les reconstituer. Le rapport rité possible de la consommation ou de la sauf rétrospectivement, de faire la part entre une entre le niveau des stocks et la demande production, d’où les effets de «transfert» variabilité normale et un changement de ten- est donc un facteur important du prix des des variations de prix d’un produit à un dance. produits. Si le ratio «stock-utilisation» est autre. Les prix élevés du maïs par exemple Il est important d’établir une distinction faible parce que le niveau des stocks est pousseront les producteurs à produire da- entre les facteurs de l’offre et de la de- bas ou parce que la demande est forte ou vantage de maïs, au détriment d’autres mande qui sont à la base de l’évolution les deux à la fois, la pression poussera les productions, ce qui réduit leur offre et aug- tendancielle des prix et ceux qui sont res- prix à la hausse. Les marchés et les prix mente les prix. L’accroissement de la de- ponsables de la variabilité autour de ces des produits agricoles ne s’ajustent pas mande de produits d’élevage entraîne une tendances. Les changements à long terme immédiatement aux chocs de l’offre et de augmentation de la demande d’aliments de la demande alimentaire découlent es- la demande. Les effets des chocs sont en pour animaux et donc des prix des céréa- sentiellement de la croissance des revenus général moins durables lorsqu’il s’agit de les et des oléagineux. et de la population, mais ils sont aussi influencés par les changements de prix re- Facteurs influant sur les prix des produits agricoles latifs et l’évolution des modes de consommation. La demande de matières premières comme le caoutchouc est plus générale- Stocks initiaux Production intérieure ment liée à la croissance économique. L’accroissement à long terme de l’offre est dû notamment au progrès technique, qui Formation des prix dans le pays exportateur Coûts des intrants Politiques intérieures Conditions météorologiques Prix Utilisation l’année précédente ... etc. P réduit les coûts. Dans le passé, le progrès technique a réduit les coûts et accru l’offre Q Taxes Taux de change plus rapidement que n’a pu le faire la croissance des revenus et de la population pour la demande, ce qui a entraîné une baisse tendancielle relative des prix des produits agricoles. Le contexte actuel est peut-être à cet égard différent. En effet, la croissance de la demande, due à l’augmentation des revenus dans les économies émergen- Exportations + Demande intérieure pays exportateur Consommation humaine Aliments pour animaux Usage industriel Stocks de clôture qui entraîne une hausse des prix. La croissance de l’offre peut être limitée à court terme par le coût et la disponibilité d’intrants essentiels et par d’autres problèmes liés à l’offre, et à long terme par la disponibilité des ressources en eau et en terres, la maind’œuvre et le changement climatique. La Population Revenus Préférences alimentaires Prix de produits complémentaires Prix de produits concurrentiels Demande de viande Prix d’autres aliments pour animaux Prix du pétrole Politiques intérieures ... etc. P Q Taxes Taux de change SPS/BNT* demande et de l’offre. À court terme, l’offre pas élastiques et réagissent peu aux changements de prix. Les chocs de l’offre et de la demande peuvent donc produire des variations de prix de grande amplitude. Les chocs de l’offre sont peut-être les plus importants parce que la production agricole Stocks d’ouverture Production intérieure + Demande mondiale d’importations volatilité des prix résulte des chocs de la et la demande de produits agricoles ne sont Prix des produits agricoles Utilisation l’année précédente Formation mondiale des prix tes et à la demande de biocarburants, semble plus rapide que celle de l’offre, ce Coûts des intrants Politiques Conditions météorologiques Technologies Disponibilités mondiales à des fins d’exportation Demande de viande Prix d’autres aliments pour animaux … etc. Importations Formation des prix dans le pays importateur Population Revenus Préférences alimentaires Prix de produits complémentaires Prix de produits concurrentiels … etc. Prix du pétrole Politiques Technologies … etc. * SPS/BNT: Accords sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires et sur les barrières non tarifaires. P Q Demande intérieure pays importateur Consommation humaine Aliments pour animaux Usage industriel Stocks de clôture Source: FAO. La situation des marchés des produits agricoles 2009 16 Production déficitaire et bas niveau des stocks Les explications traditionnelles de la variabilité des prix des denrées alimentaires soulignent l’importance des chocs exogènes sur l’offre de produits agricoles, notamment les chocs climatiques. L’un des premiers facteurs fondamentaux des hausses de prix récentes a été la baisse de la production de céréales dans les principaux pays exportateurs au début de 2005 et en 2006. La production de céréales a reculé de 4 et de 7 pour cent respectivement au cours de ces deux années. Elle a en revanche beaucoup augmenté en 2007, notamment le maïs aux États-Unis d’Amérique, en réaction à la hausse des prix. La réaction rapide de l’offre en 2007 a entraîné une baisse de l’allocation de ressources productives aux oléagineux, notamment le soja, qui s’est traduite par un recul de la production d’oléagineux. Les stocks jouent un rôle essentiel dans l’équilibrage des marchés et l’atténuation des variations de prix. Lorsque le ratio «stockutilisation» est peu élevé, les marchés sont moins en mesure de faire face aux chocs de l’offre et de la demande, et l’offre déficitaire ou les hausses de prix conduisent à de plus fortes augmentations de prix. Ce ratio a chuté de manière vertigineuse à partir de 2006, atteignant un point bas historique en 2008. Le niveau des stocks, notamment des céréales, baisse depuis le milieu des années 90. En fait, depuis la période précédente de hausse des prix (1995), les niveaux des stocks mondiaux ont en moyenne reculé de 3,4 pour cent par an. Les Accords du Cycle d’Uruguay ont entraîné l’adoption de nouvelles politiques qui ont joué un rôle déterminant dans la réduction des niveaux des stocks dans les principaux pays exportateurs: volume des réserves détenues par des institutions publiques; coût élevé du stockage des denrées périssables; développement d’autres instruments moins coûteux de gestion des risques; augmentation du nombre de pays capables d’exporter; et amélioration des technologies de transport et de l’information. Lorsque les déficits de production se produisent pendant plusieurs années consécutives dans les principaux pays exportateurs, les marchés internationaux sont plus étroits et la volatilité des prix et l’amplitude des variations de prix sont décuplées en cas d’événements imprévus. Il existe en fait un rapport négatif important du point de vue statistique entre les stocks Indice des prix de l’énergie et des denrées alimentaires Indice (2002-04 = 100) 550 Indice Reuters-CRB des prix de l’énergie Indice FAO des prix des denrées alimentaires 450 350 250 150 50 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 Source: FAO et Reuters-CRB. Relations entre les ratios stocks/prix des céréales Indice (1989-1990 = 100) 300 Index FAO des prix des céréales Ratio stocks mondiaux/utilisation Ratio stocks mondiaux/utilisation, Chine exclue Ratio stocks des principaux exportateurs/consommation 200 100 0 89/90 91/92 93/94 95/96 97/98 99/00 01/02 03/04 05/06 07/08 Notes: Coefficients de corrélation: prix liés au ratio stocks mondiaux/utilisation: r = –0,65; prix liés au ratio stocks mondiaux/utilisation, à l’exclusion de la Chine: r = –0,49; prix liés aux stocks des principaux exportateurs et la consommation: r = –0,47. Source: FAO. Les données sur la Chine concernent la Chine continentale. commercialisés en début de saison (exprimé en pourcentage de l’utilisation escomptée dans la saison qui a suivi) et les prix des céréales établis pendant cette même saison. Cela signifie que l’étroitesse des marchés au niveau mondial au début de la saison de commercialisation a tendance à pousser les prix à la hausse. C’est l’une des principales raisons pour laquelle les prix des céréales ont flambé si brutalement sur les marchés internationaux en 2006. La faiblesse persistante des niveaux de stocks explique pourquoi les prix pourraient continuer à être élevés pendant un certain temps. À la fin des saisons se terminant en 2008, les stocks mondiaux de céréales n’avaient augmenté que de 1,5 pour cent par rapport au niveau réduit qui était le leur au début de la saison, et leurs niveaux étaient les plus bas jamais atteints en 25 ans. En 2007/08, le ratio Taux du transport maritime des grains à partir du golfe du Mexique vers quelques pays USD/tonne 100 Bangladesh Égypte Union européenne CEI* 80 60 40 20 O N D J F M A M J J A S O 2006 2007 * CEI: Communauté des États indépendants. Source: Conseil international des céréales. La situation des marchés des produits agricoles 2009 17 Utilisation des céréales en Chine, en Inde et dans le reste du monde Millions de tonnes 2 000 Millions de tonnes 1 050 1 500 Reste du monde 950 1 000 Alimentation humaine 500 850 Chine plus Inde 0 Alimentation animale 80 750 650 97/98 99/00 01/02 03/04 05/06 07/08 85 90 95 Volume des céréales utilisées pour l’alimentation humaine en Chine + Inde et dans le reste du monde 00 05 07 Notes: Les données pour la Chine concernent la Chine continentale. L’utilisation céréalière comprend la consommation humaine, les produits d’alimentation pour animaux, les semences, les usages industriels et les pertes après récolte. Source: FAO. Source: FAO. Volume des importations nettes de céréales en Chine et en Inde Millions de tonnes 20 Millions de tonnes 700 Chine Reste du monde 10 600 500 0 Inde 400 Chine plus Inde -10 300 -20 200 80 85 90 95 Note: Les données pour la Chine concernent la Chine continentale. 00 Source: FAO. 85 90 95 Note: Les données pour la Chine concernent la Chine continentale. 00 05 07 Source: FAO. Utilisation et commerce net de céréales en Inde Millions de tonnes 400 Millions de tonnes 15 15 300 12 200 10 200 9 150 5 100 6 100 3 50 0 0 0 0 -5 97/98 99/00 01/02 03/04 05/06 07/08 Commerce net (axe gauche) Utilisation (axe droit) Note: Les données pour la Chine concernent la Chine continentale. Source: FAO. Exportations nettes 20 Importations nettes Exportations nettes Millions de tonnes 80 05 07 Utilisation et commerce net de céréales en Chine Importations nettes Pourquoi une telle hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux? Utilisation mondiale des céréales pour l’alimentation humaine et animale Millions de tonnes 250 -3 97/98 99/00 01/02 03/04 05/06 07/08 Commerce net (axe gauche) Utilisation (axe droit) Source: FAO. La situation des marchés des produits agricoles 2009 18 «stock-utilisation» des céréales mondiales était de 19,6 pour cent, très inférieur à la moyenne de 24 pour cent établie sur cinq ans, voire au point bas précédent de 20 pour cent en 2006/07. La situation des stocks de matières grasses et de tourteaux d’oléagineux destinés à l’alimentation animale a commencé à se dégrader vers le milieu de 2007 sous l’effet de l’évolution des marchés des céréales, notamment le blé et les céréales secondaires, le ratio « stock-utilisation » passant de 13 à 11 pour cent pour les matières grasses et de 17 à 11 pour cent pour les tourteaux d’oléagineux destinés à l’alimentation animale à la fin de la saison 2007/08. Placer l’alimentation humaine et animale en perspective: la Chine et l’Inde L’augmentation de la population mondiale exige un accroissement de la production de denrées alimentaires pour couvrir les besoins de consommation. La hausse des revenus entraîne par ailleurs un changement des habitudes alimentaires et souvent une demande accrue d’aliments à plus forte valeur ajoutée (comme les produits de l’élevage) au détriment des produits de base (comme le blé). Ces changements étant progressifs, il ne serait pas correct de les tenir pour responsables d’une hausse soudaine des prix comme celle qui s’est produite récemment. L’idée répandue selon laquelle la demande croissante de pays comme la Chine et l’Inde, les deux pays les plus peuplés, caractérisés par une croissance rapide des revenus et des populations, explique l’explosion des prix des denrées alimentaires mérite d’être réexaminée. L’importance de la croissance de la demande en Chine et en Inde comme facteur décisif de l’évolution des prix et des marchés alimentaires mondiaux a été soulignée dans une étude récente de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI, 2008), qui considère que la croissance économique rapide observée dans certaines économies en développement a dopé le pouvoir d’achat des consommateurs des classes moyennes et provoqué une hausse de la demande de produits de l’élevage comme la viande et le lait, et donc de la demande de céréales pour la consommation animale. Les économies émergentes, notamment la Chine et l’Inde, jouent certainement un rôle important dans la demande et l’offre de produits agricoles au niveau mondial. Cependant, ces marchés émergents ne semblent pas être responsables de la forte hausse des prix observée en 2007 et 2008. L’utilisation des céréales en Chine et en Inde a en fait augmenté moins rapidement que dans le reste du monde. Les importations de céréales en Chine et en Inde connaissent une baisse tendancielle depuis 1980 de près de 4 pour cent par an, passant d’une moyenne annuelle d’environ 14 millions de tonnes au début des années 80 à environ 6 millions de tonnes au cours des trois dernières années. Cela signifie que la croissance de la demande de céréales destinées à l’alimentation animale dans ces deux pays est principalement due à des sources intérieures, au moins jusqu’à une période récente. En outre, bien que la Chine soit un gros importateur d’oléagineux, d’huiles végétales et de produits de l’élevage, sa balance commerciale agricole est largement positive depuis le milieu des années 90, presque chaque année. L’évolution à long terme de la situation commerciale de l’Inde montre également que la demande indienne n’est pas l’un des facteurs responsables de la hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux. L’Inde est un grand exportateur de produits alimentaires. Entre 1995 et 2007, elle a exporté quasiment chaque année plus de blé, de riz et de viande qu’elle n’en a importés. Même les importations indiennes relativement importantes d’huiles végétales doivent être placées dans le contexte d’exportations tout aussi importantes de tourteaux d’oléagineux. En fait, dans le cas de la Chine et de l’Inde, il n’existe aucune Utilisation du maïs et exportations aux États-Unis d’Amérique Millions de tonnes 400 300 200 100 0 03/04 04/05 05/06 06/07 07/08 Alimentation animale Production d’éthanol Autres utilisations Exportations Source: FAO. preuve d’un accroissement soudain des importations d’oléagineux, de viande et d’huiles indiquant qu’elles ont contribué à l’augmentation de leurs prix, qui a commencé au milieu de 2007 après la flambée des prix des grains (et du maïs en particulier) ayant eu lieu un an auparavant. Si la Chine et l’Inde n’ont pas été la cause de la brutale envolée des prix des carburants, il convient de ne pas sous-estimer leur rôle, ni celui des changements concernant les modes de consommation sur l’évolution des marchés des denrées alimentaires, que ce soit dans le passé ou dans l’avenir. Quid des biocarburants? La demande de certains produits agricoles utilisés comme biocombustibles pour la production de carburants peut entraîner une réduction des ressources productives allouées aux cultures vivrières. La production de biocarburants peut réduire la disponibilité de produits alimentaires sur le marché parce que la demande «effective» de grains, de sucre ou d’huiles, voire d’autres produits de base, pour produire des carburants pourrait supplanter celle destinée à la production alimentaire lorsque les prix du pétrole et des produits de base favorisent la production de biocarburants. Cette nouvelle source de demande a joué un rôle important dans la fluctuation des prix. Parmi tous les produits principaux destinés à l’alimentation humaine et animale, la demande supplémentaire de maïs (biocombustible pour la production de l’éthanol) et de colza (biocombustible pour la production de biodiesel) a eu l’incidence la plus forte sur les prix. Par exemple, l’utilisation du maïs dans le monde a augmenté de près de 40 millions de tonnes en 2007, dont près de 30 millions de tonnes ont été absorbées par les seules usines d’éthanol. La plus forte progression a été enregistrée aux États-Unis d’Amérique, qui est le plus grand producteur et exportateur de maïs. Dans ce pays, le maïs utilisé pour produire de l’éthanol a représenté environ 30 pour cent de son utilisation totale au plan national, ce qui a contribué à la forte augmentation des prix internationaux du maïs observée depuis le début de 2007. L’intensité de la réaction des prix a aussi été liée à la rapidité (principalement de deux à trois ans) avec laquelle cette nouvelle demande s’est concrétisée et à sa concentration aux ÉtatsUnis d’Amérique (plus de 90 pour cent), grand exportateur de maïs. Au plan mondial, près de 12 pour cent de l’utilisation totale La situation des marchés des produits agricoles 2009 19 Pourquoi une telle hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux? du maïs a servi à fabriquer de l’éthanol en 2007, contre 60 pour cent pour l’alimentation animale. Dans l’UE, le secteur du biodiesel aurait absorbé environ 60 pour cent de la production d’huile de colza en 2007, soit près de 25 pour cent de la production mondiale et 70 pour cent du commerce mondial de ce produit cette année-là. La question n’est pas uniquement de savoir dans quelle proportion chaque culture peut être utilisée pour les biocarburants ou l’alimentation humaine et animale, elle est aussi de déterminer quelles surfaces cultivées pour d’autres plantes vivrières pourraient être transférées à la production de biocombustibles pour la production de biocarburants. Il est important de se rappeler que les prix élevés atteints par le maïs à partir de la moitié de 2006 avaient encouragé les producteurs nord-américains à planter davantage de maïs en 2007. Les plantations de maïs ont alors augmenté de près de 18 pour cent. Cet accroissement s’est produit au détriment des surfaces de blé et de soja. L’extension des plantations de maïs ainsi que les bonnes conditions climatiques ont été à l’origine d’une récolte de maïs record en 2007, qui a permis aux États-Unis d’Amérique non seulement de répondre à la demande intérieure, y compris celle de son secteur de production d’éthanol, en pleine croissance, mais aussi d’exporter. Ce succès apparent a cependant masqué un autre phénomène important: la réduction des plantations de soja et de blé et donc de leur production. Ce fut l’une des raisons de la forte hausse de leurs prix. Cependant, si la production en Australie n’avait pas souffert d’une autre année de sécheresse, et si les récoltes de l’Union européenne et de Part des négociants des secteurs privé et public sur les marchés à terme Pourcentage 100 80 60 40 20 0 05 08 Maïs 05 08 05 Blé 08 Soja 05 08 Sucre Négociants du secteur privé Négociants du secteur public Source: OCDE. l’Ukraine n’avaient pas été endommagées par de mauvaises conditions climatiques, on peut supposer que les prix des céréales n’auraient pas autant augmenté. Cette réaction en chaîne était en quelque sorte une répétition de celle de 2008, mais cette fois-ci en sens inverse. Les agriculteurs des États-Unis d’Amérique réduisirent la surface de leurs plantations de maïs au profit des plantations de soja à cause de son prix plus élevé. Les prix élevés du soja ont entraîné un accroissement des surfaces plantées en soja aux États-Unis d’Amérique pendant la saison de commercialisation de 2008/09. Cette tendance a été confirmée par le rapport entre le prix du maïs et celui du soja sur le marché à terme. D’un point de vue historique, à chaque fois que le rapport se rapproche de deux, le soja est préféré au maïs, ce qui entraîne un transfert du maïs vers le soja en ce qui concerne les surfaces plantées. Lorsque ce rapport a diminué en 2006/07, les agriculteurs ont considérablement accru les surfaces de leurs plantations de maïs. Mais lorsque ce rapport a été nettement supérieur à deux pendant la saison 2007/08, les agriculteurs ont accru les surfaces de leurs plantations de soja. Cette augmentation des surfaces plantées en soja a constitué une évolution positive pour le marché du soja, mais elle a laissé le marché du maïs dans un équilibre précaire. Compte tenu de la nouvelle loi sur l’énergie appliquée aux États-Unis, la demande de maïs pour la production d’éthanol devrait s’accroître. Si la production de maïs devait diminuer en 2009, il est difficile d’imaginer comment les États-Unis d’Amérique pourraient répondre à toutes les demandes (alimentation humaine et animale, carburants et exportations) sans puiser dans ses stocks de maïs pendant la saison 2009/10. Il faudra étudier de près le marché pour voir si cette éventualité se produit. Dans ces périodes d’étroitesse du marché, les prix du maïs pourraient rester fermes et déteindre sur d’autres produits de base pour l’alimentation humaine et animale. À l’exception de la production d’éthanol fondée sur la canne à sucre au Brésil, la production de biocarburants n’est pas à l’heure actuelle économiquement viable sans des subventions ou d’autres formes de mesures de soutien. Les coûts de production par litre de biocarburant sont de loin les moins élevés pour l’éthanol brésilien produit avec de la canne à sucre. Il s’agit du seul biocarburant dont le prix soit constamment inférieur au carburant fossile. Le biodiesel brésilien à La situation des marchés des produits agricoles 2009 20 base de soja et l’éthanol des États-Unis à base de maïs sont ceux qui présentent ensuite les coûts de production nets les moins élevés, mais dans les deux cas, leurs coûts dépassent le prix de commercialisation des carburants fossiles. Les coûts de production du biodiesel européen sont deux fois supérieurs à ceux de l’éthanol brésilien, notamment parce que les coûts de transformation et des biocombustibles sont plus élevés. Selon l’Initiative mondiale sur les subventions, les États-Unis d’Amérique ont versé 5,8 milliards d’USD de subventions aux biocarburants en 2006. L’Union européenne, quant à elle, a versé 4,7 milliards d’USD. Ces mesures de soutien ont encouragé la ruée vers les biocarburants liquides et accru en conséquence la demande de certains produits agricoles utilisés comme biocombustibles. La cause première de ce soutien – l’intérêt écologique proclamé des biocarburants par rapport aux carburants fossiles – est désormais remise en question car il semblerait, preuves à l’appui, que la réduction des émissions de gaz à effet de serre due à l’utilisation de certains types de biocarburants soit inférieure à ce qui était escompté à l’origine. Cependant, bien que les soutiens accordés aux biocarburants se poursuivent, la demande supplémentaire des produits agricoles concernés continuera de doper leurs prix ainsi que ceux, par effet de ricochet, fixés sur d’autres marchés agricoles. Beaucoup de choses dépendent du prix du pétrole. Plus il est élevé, plus la production de biocarburants devient rentable et plus la demande de produits agricoles en tant que biocombustibles est forte. Lorsque le prix du pétrole atteint un niveau qui rend compétitifs les biocarburants, la demande de biocombustibles pour le marché de l’énergie augmente et cette nouvelle demande pousse les prix agricoles à la hausse. Marché agricole et marché énergétique deviennent donc liés d’une nouvelle façon. Le marché énergétique étant beaucoup plus grand que le marché agricole, la demande émanant du secteur des biocarburants pourrait, en principe, absorber toutes les productions supplémentaires de végétaux utilisables comme biocarburants. Le marché énergétique pourrait ainsi fixer un prix plancher des produits agricoles. Il pourrait également fixer un prix plafond de ces produits lorsqu’ils atteignent des prix si élevés que la production de biocarburants n’est plus compétitive. Ce serait donc les demandes d’énergie et non les demandes alimentaires qui fixeraient les prix des produits agricoles, et ces prix La spéculation sur les marchés des produits agricoles En général, les marchés d’échanges de pro- part croissante des positions ouvertes (nom- duits de base fournissent des outils de gestion bre de contrats à terme futurs) est détenue des risques comme les contrats à terme et par des investisseurs uniquement intéressés les options pour que les agriculteurs, les trans- par les gains procurés par les variations fu- formateurs, les producteurs ou les négociants tures des prix sans considération pour les – les «investisseurs commerciaux» – puissent facteurs fondamentaux de l’offre et de la de- se protéger contre le risque de fluctuation des mande de produits. L’impact de la spéculation prix dans l’avenir. Ces marchés aident éga- excessive est donc contre-productif pour les lement les investisseurs à prévoir l’évolution marchés à terme parce que le risque de la des prix en fixant des prix à terme. Une autre volatilité des prix est une condition fonda- de leur activité est la spéculation, exercée mentale que ces marchés s’efforcent de pren- principalement par des spéculateurs ou des dre en compte. La spéculation excessive sur investisseurs – les «investisseurs non-com- les marchés des produits agricoles peut par merciaux». Elle consiste à faire des profits en ailleurs envoyer des signaux inappropriés aux spéculant sur les variations futures du prix producteurs agricoles conduisant à une allo- d’une valeur ou d’un produit. cation inefficace de ressources. La spéculation contribue au fonctionnement Le niveau d’activité spéculative pourrait efficace des marchés parce qu’elle y injecte être contrôlé en réglementant les marchés des liquidités et aide les producteurs agrico- des produits, notamment en limitant le nom- les et d’autres participants à couvrir leur ex- bre de contrats à terme qu’un participant, position au risque des fluctuations de prix sur autre qu’un participant disposant d’une auto- les marchés physiques des produits de base. risation de vente à découvert, peut détenir, Elle joue parfois un rôle pervers sur les mar- ce qui réduirait son influence sur le marché. chés. Par exemple, des niveaux excessifs de Cette mesure serait cependant risquée, car spéculation peuvent être à l’origine de fluc- une réglementation excessive peut pousser tuations déraisonnables ou de variations abu- les spéculateurs à quitter le marché, privant sives (dans une direction particulière) des prix celui-ci de liquidités dont il a besoin. des produits. Cela peut se produire lorsqu’une seraient liés aux prix de l’énergie. Il s’agirait à l’évidence d’une rupture radicale par rapport à la manière dont les prix des produits agricoles étaient fixés dans le passé. Quel est le rôle de la spéculation? Des débats récents sur des prix élevés des denrées alimentaires ont montré un intérêt croissant pour le rôle joué par les spéculateurs et les investisseurs institutionnels, c’est-à-dire des «investisseurs non commerciaux». Ces intervenants d’un nouveau genre achètent des produits agricoles sur les marchés à terme pour spéculer parce que les autres valeurs sont devenues moins intéressantes. La spéculation aurait donc contribué, selon certains, à faire grimper les prix des denrées alimentaires. La baisse des marchés mondiaux d’actions et d’obligations a en effet déclenché une irruption massive de capitaux dans les marchés à terme des produits agricoles, capitaux injectés par des institutions traditionnelles comme les fonds spéculatifs et les fonds de pension, et d’autres, plus récentes comme les fonds indiciels et les fonds liés à des matières premières. Au niveau mondial, le volume des échanges de contrats à terme et d’options a plus que doublé au cours des cinq dernières années. Au cours des neuf premiers mois de 2007, cette activité a augmenté de 30 pour cent par rapport à l’année précédente. À noter que la part des investisseurs non commerciaux prenant des positions longues sur les marchés à terme a augmenté, ce qui montre leur intérêt accru pour l’achat de contrats à terme. Entre 2005 et 2008, ces nouveaux types d’investisseurs ont doublé leurs investissements sur les marchés à terme du soja, du blé et du maïs, bien que leur part n’ait pas sensiblement varié sur les marchés à terme du sucre. Les investisseurs institutionnels peuvent investir des capitaux énormes. Cependant, le volume de ces investissements dans les produits agricoles n’a pas été aussi important que celui observé pour d’autres produits comme les métaux. La situation des marchés des produits agricoles 2009 21 Pourquoi une telle hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux? L’accroissement des parts des investisseurs non commerciaux sur les marchés du maïs, du soja et du blé a coïncidé avec la hausse des prix de ces produits sur les marchés physiques. Ce niveau élevé de l’activité spéculative sur les marchés des produits agricoles au cours de ces dernières années a conduit des analystes à lier les hausses de prix des denrées alimentaires au regain de spéculation. Mais la spéculation a-t-elle dopé les prix ou a-t-elle été attirée par des prix qui augmentaient déjà de toute façon? Une étude récente du Fonds monétaire international (FMI) conclut qu’en général ce sont les prix élevés qui ont encouragé les fonds d’investissement à investir massivement dans les marchés à terme des produits agricoles. Cette question de causalité mérite une étude plus approfondie. L’injection de masses énormes de capitaux pourrait fournir une explication complémentaire, au moins en ce qui concerne la persistance des prix élevés et l’accroissement apparent de leur volatilité. Là encore, une autre étude s’impose. Entretemps, le rôle, s’il en est, des investisseurs financiers dans la fluctuation des prix est un objet de préoccupation, au point que certains pays ont même envisagé d’adopter des réglementations complémentaires. L’explosion des prix des denrées alimentaires n’a pas d’explication unique La brusque envolée des prix des denrées alimentaires en dollars EU, qui ont culminé pendant la première partie de 2008, peut être considérée comme la flambée la plus importante depuis les années 70. Elle résulte des déséquilibres de l’offre et de la demande sur les principaux marchés des produits, notamment les céréales et les oléagineux. C’est essentiellement du côté de la demande que des explications plausibles de la hausse des prix peuvent être trouvées. Les principaux facteurs de l’accroissement des prix du côté de l’offre sont de courte durée et liés à des déficits de production et à des mesures comme les restrictions aux exportations. Du côté de la demande, les facteurs ayant contribué à la hausse récente des prix mondiaux des denrées alimentaires sont peu nombreux. Contrairement à ce que l’on observe avec l’offre, les changements de la demande ne sont ni rapides ni imprévus. En effet, mis à part le facteur récent des biocarburants, les éléments déterminants de la demande sur les marchés des denrées alimentaires sont la croissance des revenus et de la population. Dans la plupart des cas, ces deux variables fondamentales montrent une progression constante (et prévue) de la demande et permettent ainsi à l’offre de s’ajuster. La situation observée pendant la période récente de flambée des prix ne s’écarte pas de cette tendance, car la demande de produits pour l’alimentation humaine et animale n’a affiché à aucun moment une hausse soudaine et imprévue qui aurait justifié le type de hausse des prix auxquels les marchés ont assisté. La spéculation et les flux de capitaux provenant des fonds d’investissement ont probablement plus suivi la hausse des prix qu’ils ne l’ont provoquée. Seule la croissance rapide de la demande de biocombustibles marque une rupture significative avec les périodes de hausse des prix précédentes. Cependant, la demande de biocarburants n’explique pas seule l’ampleur des hausses de prix en 2007 et du début de 2008. Les prix records du pétrole ont accru l’intérêt pour le développement de biocarburants, mais ils ont aussi joué un rôle majeur en renchérissant les coûts de transport et de production. Par ailleurs, les craintes que les prix puissent atteindre de nouveaux sommets ont aussi alimenté la hausse des prix ainsi que la pression accrue sur les stocks. La brusque augmentation des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux ne peut pas être expliquée par un seul facteur. Prises individuellement, aucune des causes couramment citées ne peut expliquer les mécanismes et l’ampleur des variations récentes des prix. La crise s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs qui ont coïncidé. Dissocier leurs impacts respectifs pose un problème, mais force est de constater que la demande de biocarburants et le prix élevé du pétrole ont été des facteurs déterminants. Des simulations avec les modèles AglinkCosimo de l’OCDE-FAO3, qui représentent 3 Le modèle Aglink-Cosimo est un modèle d’équilibre partiel, fruit d’un projet commun de la FAO et de l’OCDE. Ces scénarios sont décrits plus en détail dans le rapport intitulé Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO: 2008-2017 (OECD-FAO, 2008). Ce modèle donne une représentation complète de la situation des politiques et de la dynamique économique de 58 régions et pays produisant et commercialisant les principaux produits des zones tempérées ainsi que le riz, le sucre et l’huile de palme. L’éthanol et le biodiesel sont aussi désormais compris. Comme la plupart des modèles de ce type, le modèle en question réagit aux élasticités, aux paramètres techniques et aux variables résultant des politiques adoptées. La situation des marchés des produits agricoles 2009 22 Sensibilité des estimations des prix mondiaux face aux changements dans le cadre de cinq hypothèses clés, différence de pourcentage fondée sur des valeurs de référence, 2017 Production céréalière en 2007 et 2008 Pourcentage 1 400 Millions de tonnes 0 0,9% 1 200 -10 11,0% -20 1 000 -30 -40 800 -50 Blé Maïs Huile végétale 600 -1,6% Scénario 1: volume de production des agro-carburants similaire à 2007 Scénario 2: scénario 1 et volume de production de riz similaire à 2007 (72 USD) 400 Scénario 3: scénario 2 et fléchissement de la croissance des revenus dans les cinq principaux pays en développement* (taux de croissance annuel réduit de moitié) Pays développés Scénario 4: scénario 3 et taux de change par rapport à l’inflation similaire à 2005 Scénario 5: scénario 4 et hausse de 5% des rendements de blé, de graines oléagineuses et de céréales secondaires par rapport à la période de projection * Les cinq principaux pays en développement sont l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Indonésie. Pays Pays en développement, en développement à l’exclusion des BIC* Estimations 2007 Estimations 2008 * BIC: Brésil, Inde et Chine (continentale). Sources: FAO et OCDE. les marchés agricoles mondiaux, permettent d’obtenir des indications sur les impacts relatifs des différents facteurs susmentionnés. Ces modèles sont utilisés pour simuler le comportement des marchés à moyen terme en se fondant sur des hypothèses concernant les valeurs futures de variables influant sur les marchés et les prix. En faisant varier ces hypothèses et en comparant les projections qui en résultent, on obtient des indications sur le poids de chaque influence. Les cinq hypothèses suivantes ont été examinées: i) l’utilisation de céréales et d’oléagineux pour produire des biocarburants; ii) les prix du pétrole; iii) la croissance des revenus dans les principaux pays en développement: Afrique du Sud, Brésil, Chine, Inde et Indonésie (EE5); iv) le taux de change du dollar EU par rapport aux devises de tous les autres pays; et (v) les rendements des cultures. L’incidence sur les prix des céréales secondaires et de l’huile végétale serait la plus forte si la production de biocarburants devait rester constamment à son niveau de 2007. Les variations de la demande de ces produits en tant que biocombustibles pour la production de biocarburants sont une source d’incertitude, que la cause en soit l’évolution du prix du pétrole, un changement des politiques de soutien aux biocarburants ou une innovation technique conduisant les transformateurs à acheter des biocombustibles différents. Maintenir la production de biocarburants à son niveau de 2007 se traduit par un recul de 12 pour cent des prix prévus en 2017 des céréales secondaires et d’environ 15 pour cent du prix prévu de l’huile végétale. Le deuxième scénario montre que les prix prévus du blé, des céréales secondaires et de l’huile végétale sont tous extrêmement sensibles aux hypothèses concernant le prix du pétrole et seraient de 8 à 10 pour cent inférieurs si celui-ci atteignait son point bas de 2007. Dans un scénario de croissance réduite du produit intérieur brut (PIB), les prix des céréales secondaires et du blé seraient légèrement inférieurs (1 à 2 pour cent) au niveau de référence. Pour les huiles végétales, la différence de prix simulée est supérieure à 10 pour cent, ce qui reflète probablement une élasticité nettement plus importante de la demande par rapport au revenu et une influence plus importante des cinq pays précités dans les échanges mondiaux. Un quatrième scénario prévoyant un dollar plus fort fait monter les prix libellés en monnaie nationale dans les pays exportateurs, renforçant les incitations à accroître l’offre. Dans le même temps, un dollar plus fort diminue la demande dans les pays importateurs. La combinaison d’une offre d’exportations plus importante et d’une plus faible demande d’importations ajoute une pression à la baisse sur les prix mondiaux. D’ici à 2017, le prix du blé, des céréales secondaires et de l’huile végétale seront inférieurs d’environ 5 pour cent par rapport à ceux prévus dans l’hypothèse de base. Le scénario selon lequel les rendements de céréales et d’oléagineux seraient supérieurs de 5 pour cent conduit à des projec- Source: FAO. Production céréalière dans les pays en développement et dans les pays développés Millions de tonnes 1 300 Pays en développement 1 100 900 Pays développés 700 500 300 65 70 * Estimations. 75 80 85 90 95 00 05 08* Source: FAO. tions de prix pour le blé et le maïs à l’horizon 2017 qui sont inférieurs, respectivement de 6 et de 8 pour cent, à la valeur de base correspondante dans l’hypothèse de base, mais ce scénario n’a que peu d’incidence sur les prix projetés de l’huile végétale. Pourquoi les prix ont-ils baissé? La chute brutale des prix des denrées alimentaires sur les marchés internationaux depuis juillet 2008 a compensé la hausse antérieure toute aussi brutale et ramené les prix à leurs niveaux de 2007. Les causes profondes de ce renversement de tendance sont dues à une combinaison de facteurs liés à l’offre et à la demande. Les prix élevés La situation des marchés des produits agricoles 2009 23 Pourquoi une telle hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux? Crise financière, récession et prix des produits agricoles L’économie mondiale ne devrait croître que dont beaucoup d’entre eux dépendent ne de 2 pour cent en 2009 contre 3,8 pour cent connaît pas une baisse aussi sensible, voire en 2008. Les preuves d’une récession mon- plus forte. L’incertitude prédominante et le diale se sont accumulées, la croissance pré- sentiment négatif des marchés devraient ra- vue dans les principales économies étant lentir la demande globale. L’idée selon la- réduites à zéro, voire négatives. La crise fi- quelle la demande et les prix des produits nancière et surtout la récession mondiale ont peuvent être appuyés par les taux de crois- évidemment contribué à la chute spectacu- sance élevés de la Chine, de l’Inde et d’autres laire des prix des produits agricoles. Il est économies connaissant une croissance ra- cependant difficile d’établir une distinction pide dans le monde en développement sem- entre les impacts de la crise et de la récession ble désormais d’autant plus illusoire que leurs et les ajustements attendus des marchés à projections de croissance ont été revues à la l’apparente réaction excessive des prix en baisse. La disponibilité du crédit et des liqui- 2007 et au premier semestre de 2008. Les dités pèse sur le commerce agricole, contri- marchés et les prix agricoles seront touchés buant à la pression à la baisse sur les prix du côté de la demande et du côté de l’offre, internationaux des produits pouvant servir de non seulement par la réduction des taux de biocombustibles pour la production de bio- croissance économique et de la demande, carburants. Cependant, l’effet net dépendra mais aussi par les variations des taux de des fluctuations de leurs prix par rapport au change, des évolutions de la disponibilité et pétrole et de l’ampleur des mesures de sou- du coût du crédit, ainsi que de la disponibi- tien aux biocarburants. lité d’autres sources de financement externe, La baisse des prix est en général une y compris l’aide. Cependant, la réduction de bonne nouvelle pour les consommateurs, mais la croissance économique mondiale sera le elle n’incite pas les producteurs à investir facteur principal qui pèsera sur les marchés pour assurer une sécurité alimentaire plus des produits agricoles et les perspectives importante à moyen et long termes. L’intérêt agricoles des pays en développement dans des producteurs diminuant, on peut s’atten- un avenir proche. dre à une compression de la production qui L’impact sur la demande de produits sera réduira les possibilités de reconstitution des négatif. L’expérience des récessions précé- stocks de céréales. La question de savoir si dentes montre que la demande, et les prix, la baisse des prix est une bonne nouvelle pour des matières premières comme le caoutchouc les consommateurs dépend du comportement et les fibres naturelles seront les plus durement des salaires, qui baisseront avec le niveau touchés, suivis par les produits de l’élevage d’emploi dans le cas d’une récession mon- pour lesquels les élasticités de revenus sont diale. De nombreux pays en développement relativement plus élevées. L’impact des pro- sont aussi très dépendants des envois de duits de base comme les céréales pourrait fonds des travailleurs migrants. Toute réces- être moindre, car les niveaux de consomma- sion dans les pays développés pourrait donc tion sont assurés et la demande est maintenue. avoir une répercussion indirecte sur la de- Les pays en développement dépendant des mande intérieure dans les pays en dévelop- exportations de matières premières et de pro- pement, notamment si l’emploi et les revenus duits tropicaux seront confrontés à des pro- des travailleurs migrants diminuent. Ces en- blèmes de balance des paiements si le coût vois de fonds contribuent aussi à l’investis- des importations des denrées alimentaires sement, notamment dans l’agriculture. ont favorisé le développement de la production mondiale de céréales. Cependant, cette réponse par l’offre s’est concentrée principalement dans les pays développés et, parmi les pays en développement, au Brésil, en Chine et en Inde. À l’exception de ces trois pays, la production de céréales a en fait diminué entre 2007 et 2008 dans les pays en développement. Il est donc clair que les producteurs pauvres des pays en développement n’ont pas saisi l’opportunité représentée par les prix élevés. Leur réponse par l’offre a été limitée en 2007 et proche de zéro en 2008. La chute des prix des denrées alimentaires n’est quasiment pas due à l’accroissement des disponibilités mondiales. Elle s’explique davantage par le ralentissement de la demande sous l’effet La situation des marchés des produits agricoles 2009 24 Projections de prix de certains produits agricoles à moyen terme Blé Maïs Riz USD/tonne 400 USD/tonne 200 USD/tonne 400 300 150 300 200 100 200 100 50 100 0 0 1997 Prix nominal 2007 2017 0 1997 2007 2017 2007 2017 Source: OCDE-FAO, 2008. Prix réel de la crise financière et de la récession mondiale naissante, qui ont réduit l’activité économique, et par la chute du prix du pétrole. La baisse de la demande a eu le plus d’impact, au moins au début, sur les marchés et les prix des matières premières agricoles comme le caoutchouc, mais elle a aussi eu une incidence sur les prix des denrées alimentaires. Bien que la chute des prix des denrées alimentaires soit une bonne nouvelle pour les consommateurs, il ne faudrait pas en déduire que les problèmes du système alimentaire mondial sont résolus. Pour la plupart, les facteurs qui sont à l’origine de la flambée des prix et de la menace pesant sur la sécurité alimentaire n’ont pas disparu. L’accroissement de la production alimentaire au plan national n’est pas significatif et la baisse des prix n’encouragera pas le développement de la production par ailleurs. Les stocks mondiaux de céréales sont encore bas et les ratios stock-utilisation des céréales en 2008/09 sont inférieurs à leur moyenne sur cinq ans. Bien que le prix du pétrole ait chuté de manière impressionnante, la demande de biocarburants reste soutenue car les prix des biocombustibles ont baissé et les nouvelles capacités de production d’éthanol ont démarré. L’impact de la chute du prix du pétrole sur les prix agricoles n’est pas simple à évaluer. En effet, un pétrole moins coûteux réduit les dépenses liées à l’énergie et aux engrais, mais il renforce par ailleurs la tendance à la baisse des prix de produits utilisables comme biocombustibles à mesure que les biocarburants deviennent moins compétitifs. L’effet net dépendra des variations relatives des prix 1997 entre le pétrole et les biocombustibles, notamment le maïs. Quelles perspectives à moyen terme? La chute des prix des denrées alimentaires sur les marchés internationaux a été spectaculaire mais les prix restent nettement au-dessus de leur moyenne des cinq dernières années. La grande question est de savoir si ces prix continueront de baisser ou s’ils se maintiendront à des niveaux élevés. Les prix ont autant chuté pendant la deuxième moitié de 2008 qu’ils avaient grimpé pendant la première moitié. Dans les deux cas de figure, la forte volatilité a sans doute provoqué une réaction excessive. Il est donc difficile de savoir s’il s’agit d’un ajustement ou d’une nouvelle tendance. Cependant, certains facteurs considérés comme responsables des prix élevés indiquent qu’ils pourraient persister, contrairement aux modèles de comportement antérieurs, dans lesquels les flambées des prix étaient de courte durée et suivies de phases de dépression prolongées. Plus généralement, comme noté précédemment, à l’exception du prix du pétrole, les facteurs qui ont contribué aux prix élevés des denrées alimentaires n’ont pas changé. Les disponibilités n’ont pas augmenté de manière importante et le niveau des stocks reste bas. Le rapport Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO: 2008-2017 (OCDE-FAO, 2008) indique que les prix réels et nominaux des produits agricoles baisseront par rapport aux niveaux records atteints au début de 2008 mais qu’ils resteront plus élevés pen- dant les 10 prochaines années que pendant la décennie précédente. Cette baisse a déjà commencé, mais plus rapidement que prévu du fait de la crise financière et de la récession économique mondiale. La durée de cette baisse dépendra de la rapidité du redressement économique. Cependant, ce rapport estime que parmi les principaux facteurs déterminants de la récente flambée – la sécheresse dans des régions céréalières importantes, la demande croissante de biocombustibles pour la production de biocarburants, le prix élevé du pétrole, la dépréciation du dollar EU et un changement de structure de la demande de produits, dans un contexte où le niveau des stocks est bas –, certains présentent des éléments qui devraient maintenir les prix à un niveau élevé au cours des 10 prochaines années. Le rapport fait notamment référence à la demande de biocarburants et au prix du pétrole. Même si, à l’échelle mondiale et en termes absolus, l’alimentation humaine et animale demeure la source principale de croissance de la demande de produits agricoles, la demande de biocombustibles destinés aux secteurs des biocarburants affiche désormais une croissance plus rapide. La demande de biocarburants, en forte croissance, est considérée comme un facteur déterminant dans la hausse durable des prix des produits agricoles. Les biocarburants ont établi un nouveau lien entre les prix des produits agricoles et le prix du pétrole, qui a aussi la possibilité d’inverser la baisse tendancielle des prix réels des produits agricoles, au moins à moyen terme. La situation des marchés des produits agricoles 2009 25 Pourquoi une telle hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux? L’impact des prix élevés des denrées alimentaires L’impact de la hausse des prix sur les consommateurs4 L’ impact des prix élevés des denrées alimentaires est évidemment beaucoup plus grave pour les pauvres des pays en développement, pour lesquels la nourriture représente au moins 50 pour cent et jusqu’à 70-80 pour cent de leur budget. Des prix plus élevés influent non seulement sur leur consommation alimentaire du point de vue de la quantité et de la qualité, mais aussi sur leurs dépenses en général. L’indicateur le plus visible de cet impact négatif a été les troubles sociaux et les émeutes que l’explosion des prix a provoqués dans le monde entier, et principalement dans les zones urbaines. Il s’agit de zones où la dépendance à l’égard des denrées alimentaires importées et l’exposition aux prix internationaux de ces denrées sont probablement les plus fortes, et où les consommateurs ressentent le plus l’impact d’une explosion des prix. Mais les pauvres des zones rurales sont aussi touchés, même si leurs liens avec les marchés des denrées alimentaires peuvent être moins étroits. L’impact des prix plus élevés des denrées alimentaires dépend essentiellement de leur situation sur les marchés des produits. S’ils sont vendeurs nets de denrées alimentaires, l’impact pourrait être en principe positif. S’ils sont acheteurs nets de denrées alimentaires, l’impact est incontestablement négatif. Il est prouvé que la plupart des ménages du monde en développement, et notamment les ménages pauvres, sont des acheteurs nets de denrées alimentaires, et ce constat vaut également pour les ménages ruraux qui sont pour la plupart engagés dans l’agriculture. Qu’ils soient urbains ou ruraux, ce sont les plus pauvres parmi les pauvres qui souffrent le plus, parce qu’ils dépensent la plus grande partie de leurs revenus dans l’alimentation et qu’ils n’ont pas accès à des actifs comme la terre. Les ménages dirigés par des femmes sont surreprésentés dans 4 Voir L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde 2008 (FAO, 2008a), qui étudie ces impacts en détail. les deux cas de figure. L’impact négatif des prix élevés des denrées alimentaires a donc aussi une dimension sexospécifique qui doit être prise en compte dans les politiques mises en œuvre. Confrontés à une explosion des prix des denrées alimentaires, les ménages pauvres doivent ajuster leurs modes de consommation. Ils auraient d’ailleurs réduit leur consommation alimentaire ou essayé de la maintenir en achetant moins de denrées coûteuses et d’autres articles non alimentaires. Parmi les groupes de population les plus pauvres, la consommation de céréales par habitant peut même croître malgré l’augmentation des prix, car les consommateurs changent de régime alimentaire et consomment davantage de céréales au détriment d’aliments plus coûteux et de meilleure qualité comme la viande, les produits laitiers et les légumes. Malgré la flambée des prix sur les marchés mondiaux des produits (en particulier des produits de base commercialisables comme le blé, le riz et le maïs), les données les plus récentes sur l’utilisation alimentaire de ces produits essentiels montrent la résilience de la consommation par habitant. Cette tendance est la même pour la plupart des pays à faible revenu, y compris ceux présentant des niveaux élevés de sous-alimentation. Dans certains cas également, les consommateurs privilégient de nouveau des aliments plus traditionnels car le coût des céréales qu’ils préfèrent, mais qui sont importées, a augmenté. La hausse des prix des denrées alimentaires alimente l’inflation L’augmentation des prix des denrées alimentaires contribue au taux d’inflation global dans la plupart des pays, y compris développés. Les variations de ces prix sont un élément important du taux d’inflation global tel qu’il est mesuré par l’indice des prix à la consommation (IPC). Il s’agit d’une moyenne pondérée des variations des prix d’un panier fixe de biens, notamment les denrées alimentaires, et dont les pondérations reflètent l’importance de chaque bien La situation des marchés des produits agricoles 2009 26 dans le budget global d’un ménage. Plus la part de l’alimentation est importante dans le budget d’un ménage, plus la hausse des prix des denrées alimentaires alimente l’inflation générale. Dans la plupart des pays développés, la part des dépenses alimentaires est de 10 à 20 pour cent. Dans les pays en développement, elle est beaucoup plus élevée, absorbant plus de la moitié du revenu familial dans des pays comme le Bangladesh, Haïti, le Kenya et le Malawi. L’explosion des prix renchérit énormément le coût de la vie, mais elle a aussi d’autres effets, indirects, sur l’inflation, notamment si elle entraîne des augmentations salariales. Les revendications salariales ont été au cœur de plusieurs mouvements de protestation. Une banque centrale qui vise à maîtriser l’inflation pourrait être contrainte d’augmenter les taux d’intérêt pour diminuer la pression inflationniste lorsque l’impact sur les prix des produits non alimentaires est important. Cette tendance est croissante dans les pays en développement, mais des taux d’intérêt plus élevés ralentissent les investissements, qui sont cruciaux dans des secteurs permettant d’éliminer la pauvreté dans les pays vulnérables, notamment le secteur agricole. Quelques indices annuels des prix à la consommation en date de septembre 2008 Sénégal Togo Équateur Mauritanie Philippines Niger Rép.-Unie de Tanzanie Rép. dém. du Congo Bangladesh Honduras Lesotho Zambie Yémen Mozambique Angola Ghana Sierra Leone Haïti Égypte Pakistan Soudan Nicaragua Azerbaïdjan Sri Lanka Hausse des prix des denrées alimentaires égal hausse des factures d’importation de ces denrées Éthiopie Kenya Mongolie 0 10 20 30 Pourcentage Malgré les baisses récentes des prix des denrées alimentaires sur les marchés inter- Source: FAO. Factures des importations alimentaires en 2007 et 2008 Millions d’USD 300 Factures des importations alimentaires des pays développés et des pays en développement 2007 2008 Indice (1998-2000 = 100) 350 300 250 200 200 150 100 100 50 98 99 Monde NFIDC 0 Sucre Produits laitiers Viande Matières grassses Céréales Source: FAO. 00 01 PFRDV PMA 02 03 04 05 06 07 08 Pays en développement Pays développés Note: NFIDC, pays en développement importateurs nets de produits alimentaires; PFRDV, pays à faible revenu et à déficit vivrier; PMA, pays les moins avancés. Source: FAO. La situation des marchés des produits agricoles 2009 27 Pourquoi une telle hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux? Prévisions des variations des factures d’importations alimentaires mondiales par type, 2008 par rapport à 2007 Riz Huiles végétales Sucre Céréales secondaires Viande Blé Produits laitiers 0 20 40 60 Pourcentage 80 100 Source: FAO. Prévisions des variations des factures d’importations alimentaires de certains PFRDV, 2008 par rapport à 2007 Rép.-Unie de Tanzanie Lesotho Érythrée Nicaragua Swaziland Togo Rép. dém. du Congo Honduras Angola Bangladesh Yémen Guinée Mauritanie Somalie Haïti Zambie Cameroun Gambie Mozambique Côte d’Ivoire Sénégal Bénin Pakistan Libéria Kenya Zimbabwe Guinée-Bissau Niger 0 20 40 60 80 Pourcentage Source: FAO. La situation des marchés des produits agricoles 2009 28 nationaux, le coût mondial des produits de base importés en 2008 devrait dépasser 1 billion d’USD, soit près de 25 pour cent de plus qu’en 2007. Cette augmentation est due notamment à la hausse des prix du riz, du blé, des céréales secondaires et des huiles végétales, ainsi que celle des coûts du transport, qui a presque doublé pour de nombreux itinéraires. La plupart des pays les plus pauvres sont des importateurs de denrées alimentaires et donc très dépendants des importations de céréales. Une hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux est synonyme d’une hausse des factures d’importations de ces denrées et de problèmes pour les balances des paiements. Le coût total des importations de denrées alimentaires dans les pays en développement en 2007 était déjà en hausse de 33 pour cent par rapport à 2006, et les factures annuelles d’importations de denrées alimentaires des pays à faible revenu et à déficit vivrier ont désormais doublé par rapport à leur niveau de 2000. Au niveau national, l’impact des prix élevés des produits dépend notamment de la question de savoir si un pays est importateur ou exportateur, de ce qu’il importe ou exporte, de ses politiques commerciales et de sa politique des changes. Les PFRDV qui dépendent d’importations de plus en plus coûteuses de céréales (qui représentent dans certains cas jusqu’à 80 pour cent de la disponibilité énergétique alimentaire) et d’exportations de produits tropicaux ou de matières premières agricoles, dont les prix ont moins augmenté, sont les plus vulnérables, d’autant que leurs devises sont souvent liées au dollar EU ou se déprécient par rapport à lui. La situation des pays qui sont par ailleurs concernés par l’insécurité alimentaire (c’està-dire dans lesquels plus de 30 pour cent de la population est sous-alimentée) tout étant en importateurs nets de carburants est à l’évidence extrêmement précaire. On compte plus de 20 pays en développement ayant ces caractéristiques, dont au moins 16 en Afrique. Ce sont apparemment les pays les plus vulnérables qui ont supporté le fardeau le plus écrasant de la hausse des coûts des denrées alimentaires importées. En effet, les dépenses totales des PFRDV en 2008 ont été supérieures de 35 pour cent à celles de 2007, ce qui représente la hausse annuelle la plus forte jamais enregistrée. Par rapport à d’autres pays en développement, ces pays présentent un déficit du compte courant beaucoup plus marqué (en pourcentage du PIB). Ils ont dépensé par ailleurs une part beaucoup plus importante de la valeur de leurs exportations de marchandises pour acquérir des denrées alimentaires, et leur revenu par habitant est inférieur5. La plupart des PFRDV ont enregistré un recul de leurs devises par rapport au dollar EU, ce qui a renchéri le coût de leurs importations de denrées alimentaires. Ces pays se retrouvent donc soumis à des pressions économiques multiples. 5 En moyenne, les pays à faible revenu et à déficit vivrier ont présenté un PIB annuel par habitant nettement inférieur (2 213 USD) à celui d’autres pays en développement (7 453 USD) pendant la période 2000-04. Vulnérabilité des PFRDV en fonction des facteurs de risque Solde actuel de la balance commerciale/PIB* Facture des importations commerciales de denrées alimentaires/PIB** Facture des importations commerciales de denrées alimentaires/exportations des marchandises Dépendance à l’égard des importations (en fonction des besoins caloriques)* -10 Autres pays en développement 0 10 20 Pourcentage 30 40 50 PFRDV Note: Signification des écarts entre groupes: * = chiffre significatif à un niveau de 5%; ** = chiffre non significatif d’un point de vue statistique; *** = chiffre significatif à un niveau de 10%. Source: FAO. De surcroît, la crise financière pourrait avoir de graves conséquences pour la sécurité alimentaire de nombreux pays en développement. Le resserrement du crédit peut empêcher les pays pauvres d’emprunter et limiter leurs capacités d’importer des denrées alimentaires. Les PFRDV peuvent en particulier éprouver des difficultés à financer leurs besoins d’importation de céréales par la dette, et se trouver confrontés à une pression fiscale accrue. Si les consommateurs sont gagnants, les producteurs sont-ils perdants? Il est clair que l’impact des prix élevés des denrées alimentaires sur les consommateurs est incontestablement négatif. En revanche, des prix élevés devraient constituer une bonne nouvelle pour les producteurs du monde entier et un stimulant pour ceux qui produisent les produits concernés. En principe, une telle hausse des prix augmente les capacités d’investissement des producteurs, dope la croissance de l’agriculture et réduit la pauvreté. En ce sens, des prix élevés pourraient être considérés comme une opportunité, en particulier pour certains, qui engrangent des bénéfices exceptionnels. L’accès à des moyens et des biens de production comme la terre est un facteur critique permettant de savoir à qui profite la hausse des prix des denrées alimentaires. Ce sont les grands propriétaires terriens qui en bénéficieront le plus. Les ménages très spécialisés dans l’agriculture seront aussi vraisemblablement gagnants, bien qu’ils ne représentent qu’une petite fraction de la population. Cela étant, les producteurs répondront-ils en accroissant leur offre? Apparemment, la hausse des prix ne semble pas avoir été une opportunité pour la plupart des agriculteurs des pays en développement, et la réponse par l’offre ne s’est pas concrétisée. Comme susmentionné, malgré la hausse spectaculaire des prix, la production céréalière des pays en développement a été inférieure à un pour cent en 2008, et elle a même reculé dans la plupart d’entre eux. La réponse par l’offre, tant attendue, ne s’est tout simplement pas concrétisée. Pour comprendre les raisons de cette inertie et ce qui doit être fait pour stimuler la réponse par l’offre, il convient de s’appuyer sur des politiques et des stratégies fondamentales. Elles sont abordées en détail dans la Deuxième partie du présent rapport. La situation des marchés des produits agricoles 2009 29