Position de thèse - Université Paris

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Position de thèse - Université Paris
UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE IV
Laboratoire de recherche : VALE
THÈSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline : Etudes anglaises
Présentée et soutenue par :
Catherine GUIONNET
Le : 12 juin 2015
Le mystère et le fantastique au service du bien
dans l’œuvre romanesque d’Iris Murdoch : The
Bell, A Severed Head, The Italian Girl, Bruno’s
Dream et Jackson’s Dilemma.
Sous la direction de :
M. François GALLIX – Professeur Emérite, Paris-Sorbonne
Membres du jury :
M. François GALLIX – Professeur Emérite, Paris-Sorbonne
M. Christian GUTLEBEN – Professeur, Université Nice Sophia Antipolis
Mme Vanessa GUIGNERY – Professeur, Ecole Normale Supérieure Lyon
Mme Claire BAZIN – Professeur, Université Paris Ouest Nanterre
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C’est en lisant un court extrait de ‘The Sea, The Sea’, roman primé par le Booker Prize, que j’ai
été immédiatement séduite par le fantastique et la poésie qui en émanaient. J’ai lu les 25
autres romans.
Je me suis inscrite ensuite en littérature britannique et ai suivi le cours de M. Gallix sur la
littérature du 20ème siècle. J’ai préparé un mémoire de maitrise sur Julian Barnes et ai travaillé
sur le Post-Modernisme. Puis, toujours sous le charme d’Iris Murdoch j’ai présenté mon
mémoire de DEA qui s’intitulait Mystère et Fantastique dans l’univers romanesque d’Iris
Murdoch : The Unicorn, The Sea, The Sea, The Good Apprentice et The Green Knight.
J’ai poursuivi avec la thèse que je viens vous présenter aujourd’hui. Le Fantastique et le
Mystère au service du bien dans l’univers romanesque d’Iris Murdoch : The Bell, A Severed
head, The Italian Girl, Bruno’s Dream et Jackson’s Dilemma.
Mes recherches et mon sujet a sensiblement évolué au cours des six années de travail.
En effet, si l’aspect fantastique très présent dans les romans d’Iris Murdoch m’avait
profondément attiré et captivé et continue de me séduire, c’est aussi et surtout l’approche
philosophique d’Iris Murdoch qui m’a profondément touchée au fil de mes lectures et de mes
recherches .
Il m’a semblé alors qu’il y avait un lien entre les situations extrêmes et étranges dans
lesquelles l’auteure place ses personnages et son désir de vouloir que nous, lecteurs,
devenions meilleurs.
Je me suis donc penchée sur la notion de bien qu’Iris Murdoch développe dans de nombreux
écrits philosophiques et me suis demandée si ces deux notions n’étaient pas dépendantes l’une
de l’autre. C’est ainsi que j’ai inclus cette notion dans le titre de ma thèse et l’ai intitulé : Le
…. J’ai aussi décidé de travailler sur d’autres romans et ai choisi The Bell, écrit en 1958, A
Severed Head en 1961, The Italian Girl en 1963, Bruno’s Dream en 1969 et pour finir le
dernier ouvrage de la romancière, Jackson’s Dilemma, paru en 1995 juste avant que la
maladie d’Alzheimer dont elle était atteinte soit annoncée publiquement. Au risque de donner
peut-être une impression d'éparpillement, la sélection volontaire de ces cinq romans m'a
contrainte de naviguer de l'un à l'autre au cours de mon analyse. Dans un souci de clarté, j''ai
aussi souvent proposé une forme de traduction pour les citations dont je me suis servie pour
illustrer mon propos.
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J’ai choisi les quatre premiers romans pour plusieurs raisons. Ils ont en premier lieu la
particularité d’être plus courts que la plupart des autres écrits de la romancière. Ainsi
l’analyse des deux notions apparaissait plus facile à mener pour qu’elle soit approfondie,
précise et fine. En second lieu, ces quatre romans présentent un parfait équilibre dans
l’expression de la voix narrative. The Bell et Bruno’s Dream sont à la troisième personne
alors que A Severed Head et The Italian Girl sont homodiégétiques. Les deux premiers
établissant une distanciation avec le lecteur mais permettant aussi une mutiplicité des voix
narratives, les seconds autorisant une identification au narrateur. Troisièmement, chaque
roman offre un aspect différent du fantastique : The Bell, fantastique à consonance religieuse
et spirituelle ; A Severed Head, fantastique plutôt freudien. The Italian Girl interroge sur le
fantastique du moi alors que Bruno’s Dream pose la question du fantastique temporel et de la
mort. En dernier lieu, j’ai sélectionné Jackson’s Dilemma parce que c’est le dernier écrit de la
romancière. Mais plus encore, à mes yeux, ce roman reprend toutes les notions qu’Iris
Murdoch a développées tout au long de sa carrière de romancière et de philosophe.
Ces notions sont celles de la réorientation de la vision, du don de soi, de l’amour, du bien.
Jackson m’est apparu comme l’incarnation d’Iris Murdoch : quelqu’un qui n’a “no memory,
no continuity, no identity1.”
Quand j’ai commencé mon travail de recherches sur Iris Murdoch, j’ai eu la chance d’assister
à la soutenance de thèse de Mathilde la Cassagnère, en 1997, qui s’intitulait : La Vision dans
l’univers romanesque d’Iris Murdoch. La description de sa visite chez Iris Murdoch et John
Bayley dans leur maison à Cedar Lodge, à Oxford avait été particulièrement touchante car elle
avait eu lieu peu de temps avant la mort de la romancière. Rencontrer l’auteur de ses
recherches est le genre d’expérience dont rêve tout doctorant. J’aurais eu un très grand plaisir
à parler avec Iris Murdoch qui a souvent été présentée comme : “a bourgeois grandee living
an unwordly detached intellectual life2” ou comme l’universitaire vivant dans un monde
coupé de toute réalité.
Dans l’impossibilité de cette rencontre, je suis devenue membre de la Société d’Iris Murdoch.
Cette société, fondée en 1986, dirigée par Anne Rowe qui a elle-même écrit de nombreux
ouvrages de critique sur Iris Murdoch, dont The Visual Arts and the Novels of Iris Murdoch en
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Peter Conradi, Iris Murdoch : A life, p. xxiii
Iris Murodh, op. cit. p. xxii.
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2002, Iris Murdoch A Reassessment, en 2006, Sacred Space, Beloved City: Iris Murdoch’s
London avec Cheryl Bove en 2008, Literary Lives: Iris Murdoch avec Priscilla Martin en
2010, fait paraître chaque année des articles, des forums, des critiques et tient ses membres au
courant de toutes publications ou nouvelles découvertes comme ses lettres avec Raymond
Queneau.. Des conférences sont organisées dans le monde entier, une se déroulant à Kingston,
où est hébergée la société, tous les deux ans. J’ai assisté à la conférence de Septembre 2010,
Fifth International Iris Murdoch Conference: Iris Murdoch: On the Margins. Après une
présentation de la conférence par Anne Rowe, nous avons eu le grand honneur d’entendre en
séance plénière Peter Conradi avec le sujet : ‘Iris Murdoch and the Poetry of Transformation’.
Jill Paton Walsh a ouvert la deuxième journée avec son article sur ‘Philosophy and Narrative’.
Priscilla Martin a rendu un hommage poignant à Iris Murdoch. Anne Rowe et Nick Turner
ont, pour finir, lu des extraits de l’ouvrage controversé de David Morgan qui venait de sortir :
With Love and Rage: A Memoir of Iris Murdoch.
Régulièrement Penny Tribe, secrétaire de la société, nous fait part de tous les
événements concernant Iris Murdoch. Le 23 avril dernier, Peter Conradi a donné une
conférence sur Iris Murdoch et Shakespeare au Rose Theatre de Kingston.
Cependant j’ai commencé mes recherches avec une documentation sur le genre
fantastique. J’ai consulté de nombreux critiques littéraires comme Tzvetan Todorov bien sûr,
mais aussi Terramosi, Jean-Luc Steinmetz, Irène Bessière, Roger Bozetto, Alain ChareyreMejan, Max Duperray. J’ai ensuite confronté les définitions du fantastique et les écrits de la
romancière. Ainsi il m’a semblé que la notion de réalité se plaçait au centre des récits
fantastiques. Les définitions de Pierre-Louis Castex, de Louis Vax et de Roger Caillois ont
servies de point de départ à mon analyse : « intrusion brutale dans le cadre de la vie réelle3 »,
« présence de l’inexplicable4 », « rupture de l’ordre reconnu, irruption de l’inadmissible au
sein de l’inaltérable légalité quotidienne5 ». J’ai montré alors comment, dans un univers
parfaitement réel (scènes d’exposition classiques et description des personnages précise et
ancrée dans la réalité), les personnages murdochiens basculent dans un monde étrange où la
raison ne trouve plus sa place.
Faisant appel aux thèmes répertoriés dans le genre fantastique, je les ai mis en regard
avec les cinq romans sélectionnés. L’illusion d’optique s’est avéré une notion essentielle à la
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Pierre-Louis Castex, Le Conte fantastique en France, p.8
Louis Vax, L’art et la littérature fantastique, p.5.
Roger Caillois, Au cœur du fantastique, p.161.
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création de cet univers flou. Je me suis intéressée à la vision distordue qu’Iris Murdoch
évoque dans The Sovereignty of Good : “clear vivion is a result of moral imagination and
moral effort. There is also of course ‘distorted vision’, and the world ‘reality’ here inevitably
appears as a normative word6.” De la vision distordue, le thème du regard s’est imposé avec
ses différents instruments comme les jumelles ou le miroir. En transformant les contours de la
réalité, l’hésitation et la peur sont venues contaminer la narration. Utilisant la distinction que
Peter Conradi a établie entre ‘the mystical hero’ et ‘the existentialist hero’7, j’ai examiné les
rôles des personnages de pouvoir comme celui de Palmer Anderson ou d’Antonia dans A
Severed Head ou Nick Fawley dans The Bell ainsi que ceux des mystiques : Maggie dans The
Italian Girl, Lisa et Nigel dans Bruno’s Dream et Jackson dans Jackson’s Dilemma.
Toujours dans le cadre de l’analyse du fantastique dans les écrits d’Iris Murdoch, les
symboles comme le feu, l’isolement, la transformation physique, le mythe de la caverne,
l’étranger et l’Orient, la dualité, le mythe de la Méduse et la présence récurrente de certains
objets m’ont permis de mettre en lumière cet univers étrange. J’ai conclu cette première partie
en pointant la synergie manifeste et déterminante des éléments naturels avec le ‘landscape of
the mind’. La remarque de Graham Swift: “ the world of all novels, is nonetheless an
imagined and imaginary world, and its landscape is to some degree a landscape of the mind8 ”
m’a permis de mettre en lumière cette interaction dont Iris Murdoch se sert abondamment.
Mais le roman ne peut exister que s’il est lu. J’ai donc dirigé mes recherches sur la
réception du lecteur. Le choix des couleurs s’est avéré avoir une signification bien précise
dans les romans d’Iris Murdoch. J’ai abordé cet aspect dans A Severed Head et dans The
Italian Girl principalement. L’intertextualité et l’auto-intertextualité et les procédés d‘écriture
ont aussi été explorés. J’ai accordé une grande place à l’art et en particulier aux peintures
chères à notre romancière. A l’instar des symboles ou du paysage, les œuvres d’art semblent
entrer en communion avec les personnages et par conséquent avec le lecteur. Les couleurs, les
procédés d’écriture, les œuvres d’art sont des voix multiples qui peuplent les romans
murdochiens et donnent au lecteur autant de pistes d’exploration, terreau de l’imagination, de
6
Iris Murdoch, The Sovereignty of Good p.
Peter Conradi, The Saint and the Artist, p. 23.
8
Graham Swift, Conférence prononcée à Nice lors du 37ème Congrès de la SAES. 37ème, samedi 17 mai
1997, Oh I do like to be beside the seaside, n°44 Trimestriel, septembre 1997. Corresponddance : Jean-Louis
Duchet, Poitiers
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l’ouverture sur l’autre, de la tolérance. Plutôt que des digressions, leur traitement m’a semblé
révélateur des innombrables sources d’inspiration qu’Iris Murdoch propose à son lecteur.
C’est ainsi que je suis passée à la troisième partie : vers un chemin initiatique. En
effet, après avoir observé la manière dont le paysage narratif se colorait de fantastique et les
moyens mis en place pour y réussir, j’en ai conclu qu’Iris Murdoch sollicitait ces espaces et
situations extraordinaires pour faire prendre conscience au narrateur et ensuite au lecteur de
l’enjeu de ses écrits : rendre chacun meilleur, comme l’explique Ya-Ping Lin “The experience
of art is itself a spiritual pilgrimage of soul from selfish fantasy to a clear vision of reality. For
Murdoch, art enriches moral understanding, cultivates virtue, and helps us to achieve better
lives9.” L’examen du rite d’initiation et situation de crise, de la catharsis, des personnages et
des lieux rédempteurs sont donc apparus incontournables. Comprenant entre autres
l’isolement et la confrontation directe avec la mort, le rite de passage se révèle être, selon Iris
Murdoch, le moyen d’acquérir une vision plus juste de soi-même, de parvenir à l'abandon du
moi et de devenir meilleur. Otto explique à son frère dans The Italian Girl: “It’s not
punishment, it’s acceptance of death that alters the soul. (IG, 79)”.Le rite de passage ou
situation de crises sont présentes dans tous les romans d’Iris Murdoch. Dans ceux qui nous
concernent il s’agit de la mort de Nick Fowley et de la chute de la nouvelle cloche dans le lac
d’Imber Court dans The Bell, de la lutte de Martin et d’Honor dans A Severed Head, de la
mort d’Elsa et le feu qui enflamme la maison dans The Italian Girl, du déluge qui fait tout
chavirer y compris les rapports entre les personnages et dans Jackson’s Dilemma, c’est
l’annulation du mariage de Marian et d’Edward mais aussi a mort de Randall et la disparition
de Jackson. Arrive alors le temps de la catharsis ou la purification. Ce sont ces situations
dramatiques et fantastiques qui permettent d’y parvenir. En effet, un vide s’installe et laisse la
place à l’introspection et à une réorientation de sa propre vision. Le monde de la ‘fantasy’ que
dénonce vigoureusement Iris Murdoch, se montre sous son vrai jour, envahi d’illusions
trompeuses à l’image des flammes illusoires du mythe de la caverne de Platon, mythe
largement repris par la romancière. Il convient de noter la distinction qu’Iris Murdoch établit
entre le terme ‘fantasy’ et le terme ‘imagination’. Même si elle reconnaît qu’il y a quelques
fois interpénétration entre l’un et l’autre, elle les différencie très nettement. La ‘fantasy’ est
source d’illusions trompeuses: “When we fail to see the reality of others, it is because we are
completely enclosed in a fantasy world of our own,[…] Fantasy, the enemy of art is the
9
Ya-Ping Lin: “Art for Life’s Sake: Iris Murdoch on the Relationship Between Art and Morality”,
p.317.
6
enemy of true imagination10”, alors que l’ ‘imagination’ est porteuse d’espoir et de posture
positive : “ [...] Imagination is a positive aspect of mind. […] Imagining is doing, it is a sort of
personal exploring11”. Débarassée de la ‘fantatsy’, la conscience ou l’attention tournée vers
l’autre plutôt que la conscience de soi ouvre la voie vers la vérité et le bien : “We act rightly
‘when time comes’ not out of strength of will but out of the quality of our usual attachments
and with the kind of energy and discernment which we have available12.”
J’ai compris alors qu’aux yeux d’Iris Murdoch, l’essentiel était d’acquérir une vision juste car
elle seule pouvait nous permettre d’atteindre le bien. Je me suis aussi rendue compte que cet
état de conscience n’était possible que si nous réussissions à nous défaire de notre ego et que
nous réalisions que nous ne sommes rien. Pour n’être rien, il ne faut attendre aucune forme de
compensation. La religion est apparue comme une certaine forme d’illusion: “Religion has
always been a reactionary force, it makes people lazy and stupid, it consoles them for their
rotten lives, they can think about heaven and not care about changing the world13”, fait-elle
dire à Timonas dans Acastos. Pour Iris Murdoch: “We can lose God, but not Good14.”
Finalement, la littérature nous offre une voie pour devenir meilleurs: “For both the collective
and individual salvation of the human race, art is doubtless more important than philosophy,
and literature most important of all (SG, 57).”
Néanmoins, je n’oublie pas que le souhait d’Iris Murdoch, comme tout écrivain, est avant tout
d’être lu :
I’d like people to enjoy reading them. A readable novel is a gift to humanity. It
provides an innocent occupation. Any novel takes people away from their
troubles and the television set; it may even stir them to reflect about human
life, characters, and morals. So I would like people to be able to read the stuff.
I’d like it to be understood too; though some of the novels are not all that easy,
I’d like them to be understood, and not grossly misunderstood. But literature is
to be enjoyed, to be grasped by enjoyment15
10
The Sovereignty of Good, p. 58.
Iris Murdoch, ‘The Darkness of Practical Reason’ in The Encounter, 27, p.48.
12
The Sovereignty of Good, p. 89.
13
Iris Murdoch, Acastos, p. 76.
14
Existentialists and Mystics: Writings on Philosophy and Literature. By Iris Murdoch. Allen
Lane/Penguin; Reviewed by Alan Jacobs Copyright (c) 1998 First Things 89 (January 1999): p. 54-58
15
Metaphysics as a Guide to Morals, op. cit. p. 501.
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