Télecharger le livret / booklet

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Anthologie de musique citadine algérienne / Anthology of Algerian urban music
Cheikh Raymond
Concert public de malouf
à l’Université Populaire de Constantine (1954)
Volume I
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“Tout chant exprime donc la foi en l’homme, et prêche
d’exemple, ce qui va bien plus loin que des mots. C’est prouver
la liberté par l’œuvre; mieux encore par l’acte. La musique
est plus puissante que les autres arts en ceci qu’elle a besoin
d’hommes libres; comme elle a été faite, il faut qu’elle soit
refaite, et toute portée à bras. Elle signifie que la vertu est toute
de l’instant et ne s’amasse point .”
Propos d’Alain - 5 juin 1927
“All song therefore expresses the faith in man, and shows
an example, which goes much farther than just words. Freedom
is exemplified in this art and becomes an action to this end.
Music is stronger than the other arts in that it requires free men.
It must be done over and over again. It means that virtue is of
the moment and can not be stocked up for later.”
Statement made by Alain - 5 June 1927
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On pourra s’étonner à juste titre qu’il ait fallu trente trois ans pour rééditer les œuvres de mon père
Raymond Leyris, avec lequel tout le monde s’accorde à reconnaître que la musique arabo andalouse
avait atteint des hauteurs inégalées. Il aura fallu au Temps, le soin d’apporter la sérénité nécessaire à
l’écoute et à l’étude de celle-ci.
Je garde précieusement le manuscrit de mon ami le Professeur Raphaël Drai du 23 12
79, évoquant la mémoire de mon père (L’Information juive mars 80). Après le temps de l’exil
une génération recherchait ses repères sous la plume d’un de nos plus brillants intellectuels et
universitaires. Un second article plus exhaustif “l’Aigle et le Luth” parut dans la revue Sillages,
(9 10 - hiver 83 - Jerusalem). S’ensuivirent les émissions de radio et de télé en 1986 dont le journal
Libération se fit tout particulièrement l’écho.“L’absence de disques et de cassettes de Raymond Leyris
se fait cruellement sentir ” - Libération 15 16 novembre 86)
Enfin avec la chanson “Mon chanteur préféré”, Enrico Macias, son élève, permit non seulement
au plus grand nombre de se souvenir mais de le faire connaître à un public plus vaste encore. Mais que
dire d’un peintre, fut-il très grand, dont on n’aurait jamais vu une toile ?
Le hasard, s’il existe, me fit rencontrer Toufik Bestandji, petit-fils du grand maître Cheikh
Abdelkrim Bestandji, et Michel Pagiras. La boucle était bouclée et nous pouvions commencer le travail
de publication. Le choix fut porté sur un concert public à Constantine, datant du printemps 1954 qui
a tout à la fois le mérite de restituer l’ambiance et la palette créative de ce véritable nocturne musical.
J’ai donc laissé au Professeur Raphaël Drai le soin de présenter l’homme et à Toufik Bestandji celui
de présenter l’œuvre. Dans l’avenir nous inscrirons la suite de notre travail hors de toute nostalgie pour
transmettre à nos enfants un des éléments de leur héritage culturel. Il fallait à Constantine pour rejoindre
deux points passer par un “pont”. Ceux-ci ont été détruits et nous essaierons de les reconstruire afin
d’établir un véritable chemin conduisant à la paix.
Je dédie cette première publication à ma Mère et à mes sœurs. Tout particulièrement à ma sœur
Viviane qui était au bras de mon père lorsqu’il fut assassiné et j’y associe Melle Boukhobza, étudiante
en médecine, dont le père connut le même destin, à la même date, 32 ans plus tard, le 22 juin 1993. Et
à tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à cette véritable renaissance : au Professeur Raphaël
Drai, au chanteur Enrico Macias, à la Fondation Emile Cohen, au journal Libération, à la mémoire de
son journaliste Philippe Hoummous, à Maurice Hattab, aux radios FM libres, (J, Beur, Shalom, Com
Lyon...) aux musiciens constantinois qui ont su maintenir cette tradition, Sylvain Ghrenassia, Hadj
Mohamed Tahar Fergani, Alexandre Nakache, à Toufik Bestandji.
A mes filles, ses petits-enfants
Paris, le 1er juillet 1994 Docteur Jacob David Leyris
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It can seem surprising that it took thirty three years to republish the work of my father, Ramyond
Leyris, whose arab-andalusian music reached a summit unequaled by others. Time was needed to bring
the necessary calm to listening and studying his music.
I have carefully kept the article written by Professor Raphaël Draï, dated 23 December 1979 about
my father (“L’information juive”, March 1980). After a time of exile, a generation was looking for
references in the writings of one of our most brilliant intellectuals and university professors. A second,
more extensive article titled “The Eagle and the Lute”, was published in “Sillages” magazine (9 10
Winter 83 - Jerusalem), followed by radio and television programs in 1986, which were recounted in
particular by Libération newspaper (“recordings of Raymond Leyris are lacking deeply” - Libération
15/16 November 1986).
The song “My favorite singer”, written by my father’s student, Enrico Macias, gave the many who
already knew him a chance to remember, and introduced him to an even broader public. But what can
be said of a painter, no matter how great, whose paintings have never been seen?
By chance I met Toufik Bestandji, grandson of Cheikh Abdelkrim Bestandji, and Michel
Pagiras. We were able to start work on the recordings. We chose the public concert that took place
in Constantine in the Spring of 1954 which reflects both the atmosphere and creative palette of this
musical” evening. I have left to Professor Raphaël Drai the presentation of the man and to Toufik
Bestandji the presentation of his music.
In future editions we will refrain from falling into nostalgia preferring to simply pass on an
important element of cultural heritage to the young.A bridge is needed to go from one side of
Constantine to another. The bridges were broken and we will attempt to rebuild them to create a
pathway towards peace.
I dedicate this first publication to my mother and sisters, and in particular to my sister Viviane
who was at my father’s side when he was assasinated. I also dedicate this to Miss Boukhobza, a
medical student, whose father suffered the same fate on the same date 32 years later, 22 June 1993.
And to all those who contributed to this renaissance: Professor Raphaël Drai, the singer Enrico
Macias, the Emile Cohen Foundation, Libération newspaper, to the memory of that paper’s journalist
Philippe Hoummous, to Maurice Hattab, free FM radios (J, Beur, Shalom, Com Lyon...) the musicians
of Constantine who have maintained this tradition, Sylvain Ghrenassia, Hadj Mohamed Tahar Fergani,
Alexandre Nakache, and Toufik Bestandji.
To my daughters, his grandchildren
Doctor Jacob David Leyris
Paris, July 1, 1994 --
CHEIKH RAYMOND LEYRIS
MUSIQUE D’EDEN
Raymond Leyris est né le 27 juillet 1912. Il est mort, assassiné à Constantine, le 22 juin 1961.
Dans le presque demi-siècle de cette existence, s’inscrit une œuvre que le temps révèle comme l’un
des sommets de la musique orientale, tel un monument de la musique universelle. Qu’en dire à titre
d’ouverture ? La vie et l’œuvre de Raymond Leyris sont traversées par deux trajectoires de force égale
mais de sens contraire. La première, toute d’unité et de synthèse, fit de lui Cheikh Raymond. Les
musiciens de sa génération le reçurent parmi eux comme l’un des plus grands, sinon le plus grand.
L’autre, toute de violence et de dislocation, marque le déroulement sanglant de la guerre d’Algérie.
L’intersection de ces deux trajectoires eut lieu ce jour insensé, lorsqu’un coup de feu abattit Raymond
Leyris, sans doute parce qu’il était devenu symbole vivant d’une conciliation humaine et culturelle dont
une Histoire démente ne voulait plus. Il faut revenir sur ces deux trajectoires.
Comment devient-on Cheikh Raymond ? Le créateur de chefs d’œuvre est souvent lui même un
chef d’œuvre de la vie lorsqu’elle se met à créer des existences improbables. Enfant, Raymond fut
adopté par une des familles juives les plus pauvres du prolétariat de Constantine. Une femme venue
de France l’avait conçu, ayant rencontré un jeune juif de la bourgeoisie de Batna lequel fut mobilisé
dans les troupes coloniales qui donnèrent leur vie sur le Front de la Somme pour la victoire de la
France. En ce temps là, christianisme, judaïsme et islam, se côtoyaient en Algérie sans se lier, malgré
leurs communes références abrahamiques. C’est pourquoi il parut impossible que la femme du soldat
mort pour la France assumât l’enfant de ce que d’aucuns considéraient comme une transgression
majeure, l’atteinte aux multiséculaires fidélités d’une communauté engagée par son devoir de survie à se
préserver, mais que d’autres pouvaient considérer comme le franchissement du fossé séparant
injustement des êtres que l’existence avait fait s’enlacer. La topographie de Constantine était l’image
gigantesque de ces dilemmes déchirants. Constantine , l’antique Cirta des Numides, est bâtie sur un
vertigineux piton rocheux, clivé par les eaux rongeuses du Rummel, en deux parties séparées par
un abîme. La ville n’est devenue vivable que grâce aux ponts qui relient entre elles ces deux parties
de la fracture géologique, laquelle devait dicter sa configuration démographique, elle aussi faite de
retranchements, à cette cité dont la mémoire est l’une
des plus anciennes du monde.
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Dans Constantine la ville abyssale, réunie par ses ponts et passerelles, dans Constantine la ville
coloniale où chaque communauté était pour ainsi dire assignée à résidence depuis un arrêté militaire
du Général Mercier, la vie se déroulait sur deux plans contradictoires. En surface, l’Algérie française
imposait sa langue , sa culture, son droit, son identité hégémoniques. Bugeaud faisait oublier Jugurtha,
Diderot, Ibn Khaldoun, Vincent d’Indy, le mallouf. Le désir de promotion sociale reléguait dans les
interstices des vacances scolaires l’enseignement de l’hébreu et de l’arabe que les jeunes générations
ne comprenaient plus, ou mal. Ces cultures et ces langues résiduelles devenaient souvent des stigmates, les surgeons inavouables d’un temps qu’on voulait révolu. C’est pourquoi un touriste venu de
Métropole, visitant Constantine dans les années 1910, pouvait écrire au dos d’une carte postale, à son
correspondant de l’Ariège : “A Constantine, il n’y a même pas de musique.” Ce touriste sourd n’avait pas
complètement tort. Il était difficile de monter à Constantine le Ring de Wagner. Mais pour les
connaisseurs intimes de la ville immémoriale, il était possible d’entendre sa musique elle aussi
immémoriale, née en Orient, l’Orient de la Judée et de l’Arabie, ayant transité par l’Andalousie, celle
qui se distillait, comme une essence rare dans les Fondouks. Et il était alors possible d’assister en
ces véritables académies à des transmutations comparables à celle de la fleur de l’oranger en zhar,
cette liqueur dont la senteur exhale la douceur du printemps et le mystère de l’esprit humain lorsqu’il
transmue ce qui se touche et se mesure en ce qui est impalpable et ne peut que se respirer.
Car dans ces lieux retirés, dans ces sites d’identité préservée, Constantine s’adonnait au culte de
sa musique propre, musique savante, aux confins de la mystique et de la prière, de la prophétie et de la
poésie. Comment l’enfant Raymond, de mère européenne et de père juif, devenu enfant adoptif, c’est
à dire enfant tout court d’une famille juive dont il fit sienne la religion, et donc doit être considéré
comme s’il avait été présent au Mont Sinaï lors du don de la Thora, comment cet enfant fut-il saisi
par cette musique des frondaisons édéniques...? Comment ses pas le dirigèrent-ils vers les “maisons”
des harmonies secrètes qui figuraient, sur l’espace terrestre et dans l’intériorité de l’esprit, ces autres
“Maisons”, celles du ciel (Sma), qu’habitent les Anges disant la louange du Très-Haut...? Le souvenir
historique se distingue mal de la légende qui en pallie les insuffisances. On dit que le jeune Raymond,
mis en apprentissage chez un peintre en bâtiment, était surtout attentif aux couleurs des saisons et des
jours, aux variations des couleurs de l’âme selon que la joie l’illumine ou que l’anxiété l’assombrit. Lui
vinrent alors aux lèvres des airs et des bribes de ces chants que les fondouks laissaient s’envoler dans
les rues tels des pigeons-voyageurs. Cependant, en les chantant à son tour, sa propre voix les révéla
telles qu’on ne les avaient probablement jamais entendus ainsi , antiques et nés du matin. La voix de
Raymond, il suffit de l’entendre quelques minutes pour comprendre qu’elle fait partie du petit nombre
dites “du ciel”. D’habitude la voix est dominatrice ou serve, portefaix des mots, bête de somme ou
maîtresse des phrases qui s’enchaînent les unes les autres pour former le discours des humains. C’est
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pourquoi parler fatigue ; et c’est pourquoi l’on ne peut chanter très longtemps. La voix de Raymond
ne porte pas le langage, elle est, elle-même langage. A ce titre infatigable. En elle réside plus qu’un
mystère phonique : une énigme spirituelle. Un puits d’eaux “vivantes”, comme dit le Talmud, ne donne
pas son eau à heures fixes. Son jaillissement est incessant. Telle était - est - la voix de Raymond,
eau inépuisable dans laquelle l’on pouvait boire - le verbe n’a rien de métaphorique, avec les plus
splendides chansons du mallouf, ce que ces chansons disaient : d’abord et avant tout les joies et les peines de chaque jour. Car la vie n’est pas une suite de saltis d’un événement exceptionnel à un autre, mais
bien cette succession, parfois rétroversives, d’allégresses et de déplorations qui impriment autant leurs
couleurs aux heures du jour et de la nuit qu’elles les reçoivent de l’une et de l’autre. C’est cela qui dicte,
pour ainsi dire, la structure des concerts donnés par Raymond Leyris (1), sitôt qu’il eut l’approbation
de ses collègues et de ses propres Chiakhs. Concerts qu’il faut appeler de leur nom original, kaâdot,
véritables assises de la musique, où l’auditeur, du soir tombant jusqu’au matin levé, était assuré de
parcourir l’équivalent des sept cieux, où sa vie, souvent condamnée au mutisme et à l’incompréhension
qu’imposent l’oppression, l’exil et la pauvreté, lui était donnée à réentendre mais désormais comprise
comme l’on peut être compris des sœurs et des mères.
Cette voix justifiait pleinement sa nature de voix humaine en ce qu’elle n’opérait jamais seule.
Cheikh Raymond fut aussi un maître du luth oriental, du oûd. Pareille double maîtrise doit être
soulignée. D’ordinaire, si ce mot peut avoir un sens à propos de cet homme, l’on excelle ou dans le
chant ou dans la virtuosité instrumentale. Raymond excellait uniment dans l’un et l’autre. Justement
parce que le oûd n’était pas pour lui un “instrument”, au sens là encore instrumental et servile du mot.
Le ôud accompagnait le chant, cheminant avec lui dans l’univers des harmonies inouïes et des accords
sourciers. Si l’on comparait l’œuvre musicale de Raymond à un cœur, cet organe dont les mouvements
sont perceptibles et tangibles, qui sont sans doute à l’origine de toute rythmique, l’on pourrait dire que
le chant et le oûd en étaient les deux ventricules, insécables. Chez Raymond, chant et oûd se confèrent mutuellement une profondeur que séparément ils n’eussent pas atteint. Parce que la musique est
essentiellement dialogue. Yehouda Halevi, l’un des plus grand théologiens de l’âge d’or judéo-espagnol
du XIIème siècle, affirme dans le Kouzari, que muziqua ou mouzigua, vient de la racine, zoug, qui en
hébreu signifie couple, ce que l’on retrouve dans le zoudj’ de la langue arabe, et, en cette même langue,
dans le zwadj’, le mariage. Cette dimension nuptiale, frappe constamment dans l’œuvre de Raymond.
Elle en appelle à la nuptialité de la mémoire. Après plus de trente années de silence, la voici de nouveau
audible, réparatrice.
Car il faut à présent évoquer l’autre trajectoire, inverse de la précédente. Celle des ruptures et des
divorces, des guerres et des séparations. En 1930 fut célébré le centenaire de la conquête de l’Algérie
par la France. A cette occasion, le pouvoir politique et militaire de la Métropole fut affirmé avec
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éclat, sans lésiner sur la couleur locale. Mais ce pouvoir ostentatoire révélait avec ses pompes son
impuissance puisque l’immense majorité de la population algérienne, toujours qualifiée d’arabe - effet
involontairement conservatoire du mépris - n’avait pas accédé à la citoyenneté française. Il en
résultait une accumulation volcanique de ressentiment et d’énergie propice à la révolte, celle des
dignités méconnues, fondées sur rien moins que la Parole de Dieu. Les sourates du Coran soulignaient
en l’occurrence les carences de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, décidément
difficilement exportable. La déchirure entre les communautés s’élargit encore plus gravement après
le pogrom de Constantine du 5 Août 1934 qui installa dans la population juive de la ville une latente
peur panique vis à vis de la population musulmane. Puis se produisit en 1945 la répression de ce qu’il
est convenu d’appeler les “émeutes de Sétif”... Cette répression sauvage enclencha le processus qui
devait conduire fatalement en 1954 aux “Evénements” de la Toussaint sanglante, début des sept ans
de la guerre d’Algérie laquelle s’acheva, comme l’on sait, par une stratégie de terres et de cervelles
brûlées. Lorsque le 22 juin I961, Raymond Leyris se dirigea en compagnie de l’une de ses filles vers le
marché dit du Palais de Justice, il incarnait la première de ces deux trajectoires. Grâce à lui, la musique
savante des fondouks était pleinement révélée à la ville qui lui avait servi d’écrin. Qui le connaissait,
reconnaissait en lui la synthèse vivante de l’Occident dont il exigeait que la culture fût connue et bien
comprise, et de l’Orient sous ses visages réunis, juifs et arabo-musulmans. Lorsqu’il chantait à la radio
ou à la télévision, les rues de la ville juive et arabe se vidaient. Tout autre que lui, eût disposé des
éléments d’un culte personnel. Nul mieux que lui ne savait aussi que la musique dirige l’âme vers le
ciel mais qu’elle n’est pas le ciel, que la voix de l’homme peut et parfois doit donner l’idée du divin,
sans être elle même divinisée. Lorsqu’il chantait pour la télévision, il le faisait sur fond de cette image
symbolique non seulement de Constantine mais de la condition humaine : le Pont suspendu jeté entre
les deux parties fracturées de la cité, si haute que même les oiseaux en éprouvaient le vertige. Haine,
aveuglement, politique du pire, bêtise au front plus lourd que celui du taureau, conduisirent les pas
du tueur qui l’assassina, personnellement et symboliquement. La trajectoire de la destruction dicta
son mouvement à celle de la synthèse et de la nuptialité. Et cette fois, l’abîme ne se creusa non plus
dans l’espace mais aussi dans le temps. Plus de trente années se sont écoulées durant lesquelles l’on
se demandait si Raymond était disparu, sans qu’il n’en demeure nulle trace. L’on savait pourtant que
sa voix avait survécu, préservée dans des 78 tours rayés et éraillés, dans ces autres disques fabriqués
de façon artisanale à l’enseigne du Hous el mouknine, La Voix du rossignol. Il se disait également
qu’avaient subsisté d’autres archives, plus amples, notamment les enregistrements des kaâdot. Quand
seraient-elles ressuscitées ? Plus de trente années furent nécessaires à cette fin, consacrées à la
consolation et à la persuasion, pour que Raymond ne fût pas mis à mort une seconde fois par
l’enfouissement de ce thésaurus, miraculeusement préservé, dans un silence sans rémission.
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Maintenant ces deux trajectoires sont de nouveau en tension réciproque. L’Algérie de 1994 se rend
compte que la sélectivité culturelle, fondée sur l’exaltation du seul Islam aboutit à l’islamisme qui la
lobotomise. Le propre de la mémoire est d’être indivisible et par cela conjonctive. Durant ces trente
années, de part et d’autre de l’exil méditerranéen, plus de clarté s’est faite dans les esprits qu’oblitéraient les peurs mutuelles, nées de l’ignorance et de l’incompréhension collectives. Par un bienheureux
concours de circonstances, le chant d’Eden est rendue à Cheikh Raymond, comme l’on rend justice à
qui fut innocent de tout, à charge pour nous de la transporter aussi loin qu’il se peut, aussi haut qu’il
se doit .
Raphaêl Draï
( I) Cf l’analyse musicologique de Taoufik Bestandji .
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Cheik Raymond Leyris
Music from Eden
Raymond Leyris was born on 27 July 1912. He was assasinated in Constantine on 22 June 1961.
During his existance of almost a half a century, he built a musical work which has been revealed as
a summit in oriental music, a monument of universal music. How to make an introduction? The life
and work of Raymond Leyris are made up of two equally strong trajectories but heading in opposite
directions. The first, was one of unity and synthesis, made him Cheikh Raymond. The musicians of his
generation accepted him as one of the greats, if not the greatest. The other trajectory is one of violence
and dislocation as drawn by the bloody Algerian war. These two trajectories intersected on that day
of madness when Raymond Leyris was killed by a gunshot, probably because he had become the living
symbol of a human and cultural conciliation which history did not want. We must go back on these
two trajectories.
How does one become Cheik Raymond? Creators of major works are often themselves a major
work of life as when life takes to creating unlikely existences. Raymond was adopted as a child by a
poor Jewish family of Constantine. His biological mother was from France, and his father was a young
jew from the bourgeoisie of Batna who was drafted by the colonial troops and fought on the front of
the battle of the Somme for France’s victory. At the time, Christianism, Judaism and Islam lived side
by side in Algeria, without interacting in spite of their common Abrahamic references. It thus seemed
impossible that the wife of the soldier who died for France could raise the child who was the fruit of
what was considered a major transgression against the age-old faith to a community whose duty to
survival depended on self- preservation, but which could be considered by others as bridging a gap
which unjustly separated two beings whose existences had been brought together in an embrace. The
topography of Constantine mirrors this human dilemma. Constantine, the antique Cirta of Numidia, is
built on a towering rocky peak, slashed in two by the eroding waters of the Rummel. The city became
livable only with the building of bridges between the two sides of this geological fracture which dictated
the demographical distribution, also made of entrenchements, a city whose memory is one of the oldest
in the world.
In Constantine, the abyssal city, reunited by bridges large and small, the colonial city where each
community had been virtually assigned to residence by a military command of the French General
Mercier, life was on two contradictory planes. On the surface, French Algeria imposed its language,
culture, law, its hegemonious identity. Bugeaud took the place of Jugurtha, Diderot of Ibn Khaldoun,
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Vincent D’indy that of Mallouf. The ambition of rising on the social ladder reduced the learning of
Hebrew and Arabic to fleeting moments during school vacations and, as a result the younger generations no longer understood these languages. These residual cultures and languages often became
stigmas, unwanted off shoots and reminders of the past. A tourist from France visiting Constantine in
1910 wrote on a post card to a friend in Ariege: “There isn’t even any music in Constantine”. This deaf
tourist was not completely wrong. It was hard to organise Wagner’s Ring in Constantine. But for those
who knew the city’s true soul, it was possible to hear the immemorial music, born in the Orient, that of
Judea and Arabia, and went through Andalusia, and was distilled like a rare essence in the Funduks. It
was then possible to see a veritable transformation comparable to that of the orange flower into zhar,
that liqueur that exales the sweet perfume of springtime.
Because Constantine gives itself up to the cultivation of its own music in these places which are
confines of what is mystical and prayer, prophesy and poetry. How is it that Raymond, the adopted
child, whose mother was European and father was Jewish, became the child of a Jewish family and
adopted that religion and, as such must be considered as if he had been present on Mount Sinaï
when the Thora was given, how is it that this child was taken up by this music that is a foliation of
paradise? How was he led to these houses of secret harmonies, from earthly to the inner spirit, these other
“houses”, those of the heavens (Sma) where Angels live and sing glory to the Great on High? The
historical memory often has difficulty in distinguishing from the legend which makes up for
insufficiencies. It is said that as a young man Raymond was a housepainter’s apprentice, and paid
attention especially to the colors of the seasons and the days that passed, to the changes in mood that
illuminate the spirit with joy or darken it with worry. This is where he heard the musical airs that would
escape from the funduks and travel through the streets like voyager pigeons. However, when he sung
them himself, his voice revealed them probably as never before, antique and born with dawn. After
hearing Raymond’s voice only a few minutes you understand that it is one of those few that have
descended from heaven. Usually the voice is either dominating or servile, an overhang to words, a
draught animal or master of phrases that are linked together to form the words of men. This is why
talking is tiring, and is why we can not sing for long at a time. Raymond’s voice does not carry
language, it is language itself. As such it is untiring. There lies in his voice more than a phonic mystery:
a spiritual enigma. A well of “living” waters, as in the talmud, does not provide its water at given
hours. It is an unending flow. Such was, is, Raymond’s voice, an untiring flow from which we can drink
- the lyrics have nothing metaphorical about them, with the most beautiful songs of the malouf, speak
above all of the joys and trials of each day. Because life is not a series of jumps from one exceptional
event to another, but rather a succession, sometimes retroverted, of joy and lamentations that paint the
colors of day and night, in that they are fed by both. This is what dictates the structure of Raymond
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Leyris’s concerts(1) as soon as he was approved by his colleagues and cheikhs. These concerts must be
called by their original name, kaâdot, veritable foundations of music, in which the audience, from dusk
until daylight, was sure to cover the seven skies, in which their life, often condemned to silence and
incomprehension as dictated by oppression, exile and poverty, was offered to them under a different
light giving them the understanding of sisters or mothers.
This voice was used to its full potential by always being accompanied. Cheikh Raymond was also
a master of the oûd, the oriental lute. Such a dual mastery must be underlined. Usually, if we can use
this word for such a man, a musician is either a master singer or an instrumental virtuoso. Raymond
was equally proficient in both. This is because, for him, the oûd was not “instrument, in the sense of
servile. The oûd accompanied his singing, flowing alongside in the universe of incredible harmony
and chords. If we compared Raymond’s musical works to a heart, that organ which moves perceptibly
and tangibly, and is undoubtedly at the origin or rhythm, we could say that the song and the oûd are
two inseparable ventricles. With Raymond, the singing and oûd profer mutual depth which would
not be reached individually. Because music is mainly dialogue. Rehouda Halevi, one of the greatest
theologians of the golden Judeo-Spanish age of the XIIth century, says that the Kouzari, that muziqua
or mouzigua all stem from the root zoug, which in Hebrew means couple, and is found as zoudj’ in
Arabic and in the same language, the word zwadj’, means marriage. This idea of marriage is recurrent
in Raymond’s works. It beckons to reunite memory. After more than thirty years of silence, the soothing
voice is now audible.
We must now speak of the other trajectory, the opposite. That of break-offs, divorce, of wars and
separations. In 1930, he hundredth anniversary of the French conquest of Algeria was celebrated. Upon
this occasion the political and military power of France was reaffirmed, without much consideration
for the local population. But this show of power revealed its weakness since most of the Algerian
population - still qualified as Arab, an involuntary conservatism stemming from disdain - had not yet
acquired French citizenship. This resulted in an explosive situation with negative feelings and energy
favorable to a revolt, that of unkown dignities, founded on nothing less than the word of God. The suras
of the Koran underlined the gaps in the Declaration of Human Rights and of the Citizen in this regard,
decidedly difficult to export. The divide between the communities became even greater following the
pogrom of Constantine on 5 April 1934 when the jewish population of the city became inhabited by
an immense fear of the muslim populations. Then in1945 came the repression of what is called the
Sétif riots. This savage repression triggered the events which led to the bloody All Saints Day and the
beginning of the seven year Algerian war which ended as we all know in a strategy of burnt land and
brains. On 22 June 1961, when Raymond Leyris was heading towards the Palais de Justice market with
one of his daughters, he incarnated the first trajectory. Thanks to him the music of the funduks was fully
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revealed to the city that had served as its casing. Those who knew him saw in him the living synthesis
of the western world, the culture of which he wanted to be well known and understood, and the orient,
made up of its different facets, jewish and arab-muslim. When he sang on the radio or the television the
streets of the jewish and arab city were empty. Anyone else would have had the elements to raising a
cult of the persona. None better than he knew that music raises the soul towards the heavens, but that it
is not the heavens, but that the human voice can, and sometimes must, lead to the divine, without being
a divinity itself. When he sang for television programmes, the background was the symbolic image not
only of Constantine but also of the human condition: the suspended bridge hanging between the two
sides of the city, so high that even the birds find their heads spinning. Political hate and blindness, the
worst kind, stupidity heavier than the head of a bull, leading the steps of the killer who assassinated him
personally and symbolically.The trajectory of destruction dictated his motion. And this time the fissure
was not only in space but also in time.
Thirty years have passed during which we wondered whether Raymond had disappeared, without
a trace. We knew that his voice had been preserved in scratched 78’s, in records produced by the the
small local Hous el mouknine label, the Voice of the Nightingale. There were rumors that other more
extensive archives had been kept, in particular recordings of the kaâdot. When would they be revived?
More than thirty years were necessary for this to take place, thirty years devoted to the consolation and
persuasion so that Raymond would not be killed a second time by burying this miraculously preserved
thesaurus, into a neverending silence. Now these two trajectories are in reciprocal directions. The
Algeria of 1994 is aware that cultural selectivity based on the exaltation of Islam alone leads to an
islamism that lobotimises. During these past thirty years, the exile from one side of the mediterranean
to the other, minds have become clearer after the mutual fears that had dominated, borne from ignorance and incomprehension of the masses. By some lucky circumstances, the song of Eden is returned
to Cheikh Raymond, as justice is rendered to the innocent, up to us to carry it as far as possible, as
high as necessary
Raphaêl Draï
( I) Cf l’analyse musicologique de Taoufik Bestandji .
- 13 -
A1. Bacheraf Zidane
Les bachârif - du nom turc pîshrû/pechrev - sont des ouvertures instrumentales. Ils composent avec
les touchiat’* et les tchembarat’* le corpus instrumental mesuré de la musique citadine algérienne.
Les bachârif constantinois ressemblent peu, dans leur structure rythmique et mélodique, aux
bachârif turcs et tunisiens. Une trame mélodique irrégulière et soutenue compose les quatre modules
qui sont chacun répétés deux fois. Comme en témoigne cet enregistrement, le quatrième module a un
tempo assez large et sert d’introduction au harbi (final du bacheraf )également repris deux fois. Le
rythme vif (2/4) de ce dernier, contrairement aux finales des touchiat’, est régulier et s’achève par un
arrêt marqué.
Les motifs des bachârif et leurs antithèses, qui forment des périodes distinctes, fluctuent entre
une tendance à la variation mélodique et l’attirance permanente vers la tonalité de base. La notion de
maqam* - appelée asl ettab’ (origine/fondamentale) chez les Maghrébins - est importante et totalement
intégrée. Si les motifs définissent des unités rythmiques et mélodiques distincts et s’ils apparaissent
bien identiques dans leur répétition, ils n’obéissent pas, comme le rappelle R. d’Erlanger, à “la loi de
la carrure” *.
Le mode zidane, composé de deux quartes chromatiques séparées par une seconde majeure (ton
complémentaire), est connu sous le nom théorique de “chromatisme oriental”. Don Hughes Gaiser le
compare au lydien grec. Ce tab’ - mode qui varie selon les différentes écoles musicales maghrébines
- reste, à Constantine, très proche du mode asbiaïne tunisien.
La variation rythmique que pratique Raymond dans le quatrième thème du bacheraf provoque un
semblant de flottement très apprécié dans le malouf.. Cette technique cultive un art de l’imprévu, de
l’appel à l’attention de l’auditoire ; elle apporte une originalité à la mélodie et confirme, par là même,
le nouveau tempo du cycle rythmique.
A2. Istikhbar Zidane
Les istikhbarat’ sont des œuvres semi-improvisées. Leur fonction est semblable à celle que joue le
maqam dans la musique savante Moyen-Orientale. Grâce au pilier du mode, les istikhbarat’ peuvent se
développer assez librement entre un m’hat* et un autre. L’ordre instrumental suivant -’ud (luth), jûwwak
(flûte), alto, guitare...- est entrecoupé de récitatifs.
L’istikhbar zidane de cet enregistrement est un chef d’œuvre du malouf. Le luthiste - Raymond
Leyris - ouvre la série des soli et nous montre ce que peut être un voyage à travers un mode dans un
espace limité à une octave*. Respectant les quatre phases des soli - une dakhla (introduction), une
tefricha (développement), une rada ou j’wab (réponse au chant) et une kafla (fin) - il s’appuie sur
le premier pilier pour confirmer la quinte tant attendue
par les instrumentistes ; ils peuvent à leur tour
- 14 -
jouer simultanément quelques notes d’agrément. C’est ensuite par un glissement rapide sur le raml (sol)
que le tétracorde - unité de référence qui définit les modes dans la musique arabe - trouve sa pleine
expression. Les instrumentistes peuvent dès lors approuver la justesse et la beauté de la pause. Cela se
traduit par des imitations partielles du solo du ‘ud.
Le développement est généralement attaqué sur la note fondamentale à l’octave supérieure. Durant
cette phase, l’instrumentiste teste la gamme descendante du mode ; il doit par conséquent pratiquer les
altérations qui s’imposent dans ce parcours. La pause finale en do (dhil ) est marquée par une rythmique
assez régulière. Cette partie semi-improvisée est mesurée à quatre temps. Chaque temps fort est accentué par l’attaque vive du plectre sur les cordes en boyau. Après la tebyita (retour à la note fondamentale
du mode), les “Allah Allah “* des mélomanes et les “Sahit”* des musiciens se libèrent.
L’altiste Sylvain, le flûtiste Abdelhamid et le guitariste Gaston suivent chacun un cheminement
personnel, propre à leur sentiment du moment et à leur formation musicale. La facture, le timbre et la
tessiture de chaque instrument interviennent aussi dans la nature des modulations. Notons que l’altiste
pratique ici une merveilleuse modulation en h’sine.. Le guitariste, lui, expose avec brio toute la matière
que peut contenir ce mode. A la fin, un subtile dialogue “pédagogique” entre le luth et la guitare achève
l’istikhbar.
A3. Insraf Zidane Ala Ya Nassim Essaba (Ô brise du petit matin)
Précédé d’un kûrsi * insraf, l’insraf est une pièce vocale et instrumentale qui vient se placer en
quatrième position après le m’cedder*, le darj * et le b’tayhi * de la nouba. Plusieurs insrafat’ peuvent
s’enchaîner dans ce mouvement.
Le texte poétique est un mouachah*. Il est composé d’un bayt’ (stance) de six asmat * et d’un qûfl
* à deux hémistiches (ab, ab, ab, cd, cd). Pour équilibrer la composition musicale, les chanteurs doivent
répéter les trois hémistiches (b, b, b) deux fois.
La modulation au luth qui précède le matlaa/qûfl , est un exercice de virtuosité remarquable. En
quelques secondes et avant d’atteindre le premier temps fort du cycle rythmique, Raymond opère le
changement de mode. Il expose, par une courte et rapide formule, le tab’ *çika dans lequel il exécute
en solo le matlaa*. Ces “formules de transition” créent une ambiance équivalente à celle que provoque
un accord dans l’harmonie occidentale. Dans d’autres traditions musicales - comme celle de la liturgie
orthodoxe -, les notes tenues par les chœurs et amplifiées par l’acoustique des églises, facilitent le
glissement d’un registre modal à un autre. La modulation est une technique très périlleuse ; sa gestion
revient généralement au musicien le plus confirmé.
La séparation amoureuse, thème poétique de cette pièce, s’exprime dans toute la splendeur
littéraire de la poésie courtoise andalouse. L’amertume puis l’espoir qu’une gaieté puisse revenir après
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le retour de la bien-aimée sont des aspects psychologiques qu’un poète andalou du XIème siècle - At
Tûrtûsi -, a immortalisé par les vers suivants :
“Les nuits de la séparation m’ont fait boire
Des coupes plus amères que la coloquinte...”
De gauche à droite : Abdelhmid Benkartoussa (non visible), Gaston Ghrenassia ( Enrico Macias), Sylvain
Ghrenassia, Raymond Leyris, Nathan Bentari, Haïm Benbala, Larbi Belamri, Abdelhak Benabes.
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A4. Nafer Men Hawit’ (Celui que j’aimais m’a quitté(e))
Œuvre difficile à définir selon les canons esthétiques et la classification académique habituels de
la musique classique maghrébine, mérite d’être élucidée suivant plusieurs niveaux.
La composition poétique de cette pièce est indéniablement un mouachah. Cependant, le mode
d’interprétation musicale en tant que ‘aroubi interroge sur son appartenance à l’anthologie de la
musique savante. Avec ou sans syahat’ (récitatifs), elle reste, comme en témoigne la classification
portée sur les safaïne *, une pièce populaire. L’alternance de chaque cycle (dawr) du mouachah avec
les récitatifs donne une dimension démesurée au texte original. Le but de cette adaptation est, bien sûr,
d’y intégrer des istikhbarat’ (solis vocaux et instrumentaux) dits syahat’. Le texte musical qui impose
ce “bricolage” littéraire est, paradoxalement, très apprécié des mélomanes.
La combinaison de textes classiques et populaires a aussi une fonction pédagogique. Elle permet
d’expliquer, de clarifier le classique par le populaire. On peut à ce titre remarquer que le sujet traité
dans le premier récitatif d’Ibn El Wardi*, n’est qu’une forme simplifiée du langage utilisé dans le texte
classique.
Le Mouachah
“Nafer Men Hawit’” est un mouachah complet. Il est composé de sept aqfal (fermoirs). Le
premier qûfl appelé matlaa (prélude) est formé de quatre aghçan (rameau/hémistiche) (ab, ab) dont
la rime médiane est anî et la rime finale âh’. La métrique, la rythmique et la rime du prélude restent
inchangées du début à la fin. Le dernier fermoir du mouachah prend ici le nom de kharja (sortie). A
propos de cette sortie, Ibn Sanaa El Mûlk, théoricien et réformateur du mouachah, insiste sur le fait
que cette strophe reste particulièrement différente des autres car les poètes préfèrent employer la langue
populaire. “Elle doit être d’allure légère et brûlante comme le naphte, elle est l’arôme du mouachah,
son sucre et son miel ” disait-il.
Voici reportée la sortie du mouachah “Nafer Men Hawit”
Essabrû bih nertaja wa bîh nûatanî
Wa bîhî teltahak el kamar fi samah
Ana mûradî âla el mûa’tanî
Nûwakal ûmûri koulûhâ lillah
La patience, nous préoccupe et nous donne l’espoir
Et c’est grâce à elle qu’on atteindra les sommets (comme la lune dans le ciel)
Moi, je veux celui (celle) qui m’a séduit et quitté
Je laisse dieu juger cet (cette) injuste
Les six stances qui constituent les six cycles -(cd, cd, cd) (ef, ef, ef) (gh, gh, gh) (ij, ij, ij) (kl, kl,
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kl) (mn, mn, mn)- entrecoupés chacun d’un fermoir interne, ont respectivement comme rime médiane
âh’, lâ, âa’, âm, âl, ab et comme rime finale âm, îq, ûh, îh, îl, ûh.
Le culte de la femme a occupé une place importante dans la poésie andalou-maghrébine et arabe,
de même que dans la poésie lyrique universelle. Les thèmes qui attirent notre attention à l’écoute de
ce mouachah rappellent avec force la douleur de l’amour et de la séparation, l’inquiétude, la fatalité de
l’amour, la soumission mais surtout l’infidélité et la trahison amoureuses.
Ibn Choujaa - littéralement “le fils du courageux”-, auteur de ce texte, aborde le sentiment de
l’éloignement, de la séparation pour cause de trahison amoureuse par des propos satiriques (hija). Pour
lui, l’amour, phénomène divin qui lie deux êtres, doit s’achever dans une union sacrée et éternelle. La
trahison s’assimile à une sorte de corruption de l’éros. L’abandon de l’être aimé est une monstruosité,
une sorte de crime contre la vie intérieure et spirituelle. Le traître doit être puni, rabaissé pour n’avoir
pas été fidèle. La satire doit s’en charger. Bien qu’ayant la trahison en horreur, l’auteur, indulgent à la
fin du poème, choisit de s’en remettre à l’arbitrage juste d’Allah (Dieu).
Dans sa dimension philosophique, la satire ne s’attaque jamais au destin qui est volonté supérieure.
On comprend mieux la raison pour laquelle Raymond vint “greffer” sur cette pièce un poème satirique
du très critique poète mystique Ibn El Wardi. Qu’elle traite du politique, de la religion ou de l’amour
courtois, la satire a une fonction psychologique et sociale de dénonciation. Elle nécessite une maîtrise
de la matière sociale. La traduction de deux extraits de ce mouachah-’aroubi permet de mieux saisir ce
phénomène : le premier extrait est le troisième bayt’ de Nafar Men Hawit’. Le second est le deuxième
s’yah (récitatif) d’Ibn El Wardi.
Laisse tomber l’amitié et évite
Toute personne indigne.
Que dois-je te dire ô mon cœur ?
Je te conseille de ne pas fréquenter celui qui te paraît trop limpide.
Regarde comment, celui qui est dans l’aisance et te paraît beau,
Piège, comme une proie, toute personne s’approchant de lui.
Ni compagnon ni ami ne sont serviables quant il le faut
Et parmi cette foule de (prétendus) amis , beaucoup sont stupides
L’amitié de cette époque n’est que piège et péché
Malheureux celui qui est encore crédule
Les stances de cette pièce sont chantées en chœur. Les matlaa sont en revanche toujours interprétés en solo par le chanteur principal. Raymond met beaucoup d’émotion dans ce chant interprété
presque a capella pour donner toute la puissance et l’expressivité au thème satirique. Les deux derniers
hémistiches sont repris en chœur. Dans l’auditoire, chacun y trouve son compte : infidélité amou- 18 -
reuse, trahison d’un ami ou d’un associé dans une affaire commerciale, conflit familial à propos d’un
héritage...
La stance suivante est abordée après un solo instrumental et un récitatif dans un mode différent.
Zidane, çika, h’sine, zidane, mezmoum sont les six modes traditionnels de cette pièce. Le mouachah
finit par le bayt slam, vers de salutation où apparaît le nom de l’auteur.
Toute personne musicalement avertie remarque, à l’écoute de cette œuvre entièrement jouée sur un
rythme b’taïhi, la présence de la technique appelée Sprechstimme - située à mi chemin entre la récitation et le chant - que Schoenberg utilisait pour rétablir le lien entre la musique et le drame. Le rapport
entre la variation des timbres et la hauteur relative des sons est un phénomène bien connu que Webern
et Schoenberg ont essayé de démontrer dans la Klangfarbenmelodie (mélodie de sons et de timbres).
Cette thèse semble tout à fait applicable aux rapports de forces des sons dans un orchestre arabe. Pour
des musiciens Maghrébins, la variation des timbres est une notion très importante. Par contre, leur
hauteur évoluant dans un espace limité à l’octave est sans intérêt. Ré 2 et ré 3 sont, pour une oreille
traditionnelle, équivalents. La variation des timbres - fondement principal de l’histoire de la mélodie
- est utilisée comme palliatif aux carences des ambitus larges. N’y a t-il pas un rapport entre le récitatif
de Raymond, tel qu’il nous apparaît dans le présent enregistrement, et la thèse de Schoenberg ?
A5. Insrafat’ - Mahboubati et Farakouni (Ma bien-aimée/Elles m’ont quitté)
Ces deux pièces vocales et instrumentales appartiennent au répertoire classique malouf. Mahboubati
est apparemment un extrait de qacida.* Composé de trois vers de deux hémistiches chacun (çadr - avant
et ajûz - fin), l’insraf - quatrième mouvement de la nouba - est précédé du kûrsi mezmoum. Entre les
vers, les musiciens jouent l’interlude instrumental qui reproduit la mélodie du chant. Farakouni est un
mouachah de deux stances comportant chacune trois hémistiches rimés ûne et un prélude.
Ces deux pièces servent généralement d’intermédiaire entre deux grandes œuvres. La reprise du
dernier vers du prélude invite parfois les auditeurs à chanter le refrain en choeur avec l’orchestre.
A6. Inklab - Sabrî Kalîl (J’ai peu de patience)
Ces pièces d’une facture plus modeste que les mouachah sont, ou groupées dans des noubat’ qui
prennent leur nom - noubat al inklabat - ou interprétées séparément à la suite d’un insraf, comme c’est
le cas ici. D’allure vive, leur mélodie est assez cadencée et entraîne le plus souvent les musiciens à leur
agencer les finals de noubat.
A7. Hawzi - Nar H’wakoum Lahab (Votre feu me brûle)
Comme son nom l’indique (haouz : les environs des villes), le hawzi est né dans l’ouest algérien
- 19 -
à proximité de la ville de Tlemçen. Ses textes, limités au début à cette région, se sont petit à petit
éparpillés dans tout le pays.
A l’est, à l’ouest et au centre, le corpus littéraire des h’waza est à peu près identique. La différence réside surtout dans l’interprétation musicale. La plupart de ces poèmes populaires sont datés du
XVIIème et du XVIIIème siècle. Leurs auteurs sont connus. Les textes les plus anciens remontent au
XVIème siècle, voire avant. Ainsi, Ibn Khaldoun*, dans sa mûqadima* (XIVème siècle), évoque un
certain Ibn El Mouedden qui exerçait à Tlemçen l’art dit “aroudh el balad ”(expression poétique du
pays). Après lui, Ben Khlouf, poète citadin-populaire du XVIème siècle composa plusieurs pièces dont
la plus célèbre fut celle de la bataille de Mazagran*. Produit du syncrétisme andalou et autochtone,
mode de communication simple ayant préservé tout le lyrisme du fond culturel berbère et arabomusulman, la poésie dialectale fut vite adoptée par la majorité de la population algérienne.
Les h’waza sont classés en deux catégories. Les h’waza metçanaa sont les pièces populaires qui
ont été adaptées aux compositions et aux mélodies de la musique classique. Les h’waza barani* des
campagnes sont, en revanche, chantés par les bardes et les troubadours ruraux. Les grands représentants
de cette poésie populaire ont exploité les poncifs courants de la poésie classique et post-classique arabe.
Ils leur ont ensuite adapté un matériau linguistique puisé dans la pensée et le mode vie locaux.
Mohamed Ben Sahala, auteur du hawzi “Nar H’wakoum Lahab” qui vécut à Tlemçen au
XVIIIème siècle, est le poète le plus célèbre du Maghreb occidental. Comme Ben Msaieb et Ben Triki,
Ben Sahala appartient à l’école citadine. Chantre de l’amour, ses h’waza sont très aimés et continuent
d’être interprétés aujourd’hui.
Comment une poésie strictement régionale a t-elle pu se propager de la sorte ? Qui sont les
compositeurs musicaux de ces h’waza ?
Nous n’avons à ces questions que des éléments de réponses partielles et provisoires. Bien que
citadins, les poètes et les rûwat’ (ceux qui racontent et véhiculent ces pièces) n’étaient, semble-t-il,
pas tout à fait sédentaires. Ainsi en est-il de Ben Debbah. Ce poète du XVIIIème siècle, qui vécut à
Tlemçen et à Constantine, était contemporain de Boumediene Ben Sahala, fils de Mohamed Ben Sahala.
Ses compositions peu nombreuses témoignent bien d’un renouveau poétique et musical dans la
population constantinoise. Belkacem Haddad, appartenant à la tribu des Ouled Rahmoun fixée dans le
constantinois, était lui aussi un voyageur infatigable.
L’évolution de la musique est différente de celle de la littérature. A partir d’une mélodie
originale, notamment tlemçenienne, les instruments spécifiques et les influences de la géographie
musicale peuvent donner un cadre rythmique et mélodique propre à chaque région. Le hawzi “Nar
Hwakoum Lahab”, qui se chante différemment à Tlemçen, Alger ou Constantine, en est un exemple et
permet d’effectuer une comparaison intéressante.
- 20 -
Sur le plan de la phonétique, le hawzi affectionne les répétitions, ce qui laisse penser, comme c’est
le cas du mouachah, que le hawzi citadin est composé pour être chanté. D’autre part, ses allitérations
opèrent non seulement d’un vers à l’autre mais aussi à l’intérieur d’un même vers. Il arrive que le poète
joue sur les formes, les catégories morphologiques du nom, de l’adjectif et du verbe.
Dans la poésie populaire, l’homophonie des mots est un exercice assez courant et apporte un
supplément de musicalité à la versification. Dans la pièce qui nous concerne, le premier mot du sixième
hémistiche du bayt’ est répété au début du prélude. Le terme de behouakoum est également le même
dans la deuxième et la quatrième stance... La répétition de ces mots facilite la mémorisation des textes
et permet de repérer les préludes qui sont le plus souvent chantés en solo.
Dans un cantilène lent, Raymond chante l’amour de Ben Sahala pour une amie injuste qui, malgré
ses multiples appels, n’ose pas le rejoindre. Comme dans l’opéra du XVIIème siècle, le lamento pratiqué dans cette œuvre ressemble à l’aria par lequel l’un des personnages exprime son désespoir lors de
la perte de la personne aimée.
La réplique instrumentale des vers chantés suit une rythmique qui, paradoxalement, accentue les
temps faibles. Les nûkayrat’ (frappes douces du temps faible) de la derbouka* incitent les instrumentistes à pratiquer des notes piquées qui donnent une tournure syncopée à la mélodie.
Avant chaque refrain, le matlaa est précédé d’une note de repère (fondamentale à l’octave
supérieure) qui permet au chanteur de varier sensiblement la mélodie originale. L’enjolivement vocal
qui suit évite la morne répétition du vers. Les musiciens appellent khana cette fioriture. La dernière
stance du hawzi est exécutée sur un rythme khlaç (final) assez vif.
A8. El Brague - (L’éclair)
Cette pièce, entièrement interprétée sur le mode mezmoum, ressemble par son architecture et sa
composition à une qacida. Elle est composée de deux parties rythmiquement différentes. La première
partie est semblable au r’keb (introduction d’une qacida) des pièces religieuses. La deuxième partie,
plus vive, plus soutenue, rapelle la tawrida (partie libre d’une qacida). Le chant en chœur du refrain,
dit khmassa (le quintil), est essentiel. Les membres de l’orchestre doivent le connaître par cœur. Cette
forme d’interprétation instaure un dialogue entre le chanteur principal et les chœurs. Les passages
chantés en tutti sont, instrumentalement, plus soutenus et, pendant un court instant, laissent l’auditoire
commenter les paroles qui viennent d’être chantées. Le silence s’impose quand le chanteur part dans
une nouvelle exploration du texte.
Tewfik Bestandji
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A1. Bacheraf Zidane
The bacharif - from the Turkish pîshrû/pechrev - are instrumental overtures. Along with the
touchiat’* and the tchembarat* they comprise the measured instrumental corpus of Algerian urban
music.
The bachârif in Constantine bear little resemblance to the Turkish and Tunisian bachârif in their
rhythmic structure and melody. An irregular and intense melody comprises the four modules which are
each repeated twice. As witnessed in this recording, the fourth module has a fairly broad tempo and
serves as an introduction to the harbi (finale of the bachârif), which is also repeated twice. Contrary
to the finales of the touchiat’, the harbi are on a fast, regular beat (2/4) and end abruptly.
The motif of the bachârik and their antithesis which make up distinct periods, fluctuate between the
tendency to focus on the melody and the constant attraction to the base tones. The notion of maqam*
- called asl ettab* (origin/fundamental) by the North Africans- is important and completely integrated.
While motifs define distinct rhythmic units and melodies, which are identical in their repetition, they do
not follow the “law of the “carrure”) as recalled by R. d’Erlanger.
The zidane mode is made up of two chromatic fourths separated by a second major (a complementary tone) known theoretically as oriental chromatism. Don Hughes Gaiser compared it to the Greek
Lydian mode. In Constantine, this tab’ - a mode that varies according to the different musical schools
of North Africa- remains very close to theTunisian Asbiaïne mode.
The rythmical variation used by Raymond in the fourth theme of the bacheraf triggers a kind of
floatation that if highly appreciated in the malouf. This technique cultivates the art of the unexpected,
calling the audience to attention; it brings originality to the melody and confirms the new tempo of the
rhythmic cyle.
A2. Istikhbar Zidane
The istikhbarat’ are semi-improvised pieces.Their role is similar to that played by the maqam in
the erudite music of the Middle East. The istikhbarat’ can develop fairly freely between one m’hat*
and another thanks to the foundation of the mode. The following instrumental order ‘ud (lute), jüwwak
(flute), also, guitar... is interrupted by recitations.
The istikhbar zidane in this recording is a major malouf. The lute player - Raymond Leyris- opens
the series of solos and demonstrates what travelling in a mode limited to one octave* can be. While
respecting the four phases of the solos -a dakhla (introduction) a tefricha (development), a rada or
j’wab (response to the song- and a kafla (end)- he relies on the first pillar to confirm the fifth awaited
by the instrumentalists. They can they simultaneously play a few notes of enhancement. Then, by a rapid
slip to the raml (G) the tetrachord - unit of reference that defines the modes in arab music- finds its full
- 22 -
expression. The instrumentalists can then approve the judiciousness and beauty of the pause. This is
reflected in the partial imitation of the ‘ud solo.
The development is generally started on the fundamental note but one octave higher. During
this phase, the instrumentalist tests the descending scale of the mode; he must make the necessary
alterations required by this. The final phase in C (dhil) is marked by a fairly regular rhythm. This semiimprovised part is on a four beat measure. Each strong beat is accentutated by the strong beating of the
plectrum on the gut strings. After the tebyita (return to the mode’s fundamental note), the Allah Allah*
of the music-lovers and the Sahit* of the musicians is liberated.
The altoist, Sylvain, the flutist Abdelhamid and the guitarist Gaston, each following their personal
path, following their emotions and their musical training. The treatment, the tone and he tessitura of
each instrument also takes part in the nature of the modulations. Note that the altoist does a wonderful
modulation in h’sine here. The guitarist, makes a brilliant show of the material that is contained in this
mode. At the end, a subtle pedagogical dialogue between lute and guitar ends the istikhbar.
A3. Insraf Zidane - - Ala Ya Nassim Essaba (Oh early morning breeze)
The insraf is a vocal and instrumental piece which is preceded by a kûrsi* insraf, and comes in
fourth position after the m’cedder*, the darj* and the b’tayhi* of the nouba. Several insrafat’ can be
linked in this movement. The lyrics are a mouachah* comprising a bayt’ (stance) of six asmat* and a
qûfl* of two hemistiches (ab, ab, ab, cd, cd). To balance out the musical composition, the singers must
repeat the three hemistiches (b, b, b) twice.
The modulation on the lute which precedes the matlaa/qûfl, is a show of remarkable virtuosity.
In a few seconds, and before reaching the first strong point in the rhythmic cycle, Raymond makes the
change in mode. By a short and rapid formulation he brings out the tab’* çika in which he executes
the matlaa* in a solo. These transition methods create an atmosphere that is equivalent to that which
is set off by a chord in western harmony. In other musical traditions - such as orthodox liturgy, the
notes held by the chorus and amplified by church accoustics make the transition from one modal key
to another easier. Modulation is a perillous technique and is usually confered to the musician having
the most expertise.
The poetic theme of this piece, the separation of lovers, is expressed in all the literary splendour
of the courtship poetry of Andalusia. The bitterness then hope that joy may be restored after the return
of the loved one were immortalised by the Andalusian poet of the XIth century -At Tûrtûsi- in the
following verses:
“the nights of separation made me drink
cups more bitter than the colocynth...”
- 23 -
A4. Nafer Men Hawit’ (He who never left me)
This piece is difficult to define according to the usual aesthetic canons and academic classifications of classical North African music and deserves to be elucidated on several levels.
The poetic composition of this piece is undeniably a mouachah. However, the musical interpretation as an ‘aroubi questions its belonging to the anthology of erudite music. With or without
syahat’ (recitations) it remains a popular piece as witnessed by the classification in the safaïne*. The
alternation of each cycle (dawr) of the mouachah with recitations gives an umeasurable dimension to
the original text. The purpose behind this adaptation is of course to integrate istikhbarat’ (vocal and
instrumental solos) called syahat’. Paradoxically, the musical text imposed by this literary handiwork
is highly appreciated by music lovers.
The combination of classical and popular texts also has a pedagogical role. It helps explain and
clarify the classical text using popular language. In this regard we can note that the subject matter of
the first recitation of Ibn El Wardi* is a simplified form of language used in the classical text.
The Mouachah
Nafer Men Hawit is a complete mouachah. It is composed of seven aqfal (closings). The first qufl
called matlaa (prelude) is formed by four aghçan (branches/hemistiches) (ab, ab) of which the middle
rhyme is anî and the final rhyme is âh’. The metrics, rhythm and rhyme of the prelude are the same at
the beginning and end. The last closing of the mouachah is called kharja (exit) here. In this exit, Ibn
Sanaa El Mûlk, theorist and reformer of the mouachah insists on the fact that this verse remains very
different from the others because poets prefer to use popular language. “It must be light and burning
like naphta, it is the aroma of the mouachah, its sugar and honey”
Following is the closing of the mouachah “Nafer Men Hawit”
Essabrû bih nertaja wa bîh nûatanî
Wa bîhî teltahak el kamar fi samah
Ana mûradiî âla el mûa’tanî
Nûwakal ûmûra koulûhâ lillah
Patience preoccupies us and gives us hope
And it is thank to this that we reach the highest summits (like the moon
in the sky)
Iwant the one who seduced me and left me
I let God judge this injust one.
The six stanzas that make up the six cycles (cd, cd, cd) (ef, ef, ef) (gh, gh, gh) (ij, ij, ij) (kl, kl, kl)
(mn, mn, mn) each interrupted by an internal closing, have respectively the middle rhymes âh’, lâ, âa,
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âm, âl, ab and as a final rhyme âm, îq, ûh, îh, îl, ûj.
The cult of the woman has taken a large place in Andalusian-North African and Arab poetry, as
in universal lyrical poetry. The themes that call our attention in this mouachah are a strong reminder
of the pain of love and separation, the anxiety and fatality of love, the submission but especially the
unfaithfulness and treachery of lovers.
Ibn Choujaa - literally the son of the brave one - author of this text, uses satire (hija) to speak
of the feeling of distance, of separation after a lover’s treachery. For him, love, a divine phenomenon
that links two beings, must end in a sacred and eternal union. Treachery is assimilated with a type of
corruption of the eros. Abandonment by the loved one is a monstruosity, a type of crime against the
interior and spiritual life. The traitor must be punished, put down for having been unfaithful. The satire
must take charge of this. In spite of the hate of treachery, the author’s indulgence appears at the end of
the poem and he chooses to let Allah (God) judge.
The satire never attacks destiny which is a superior will. We can better understand why Raymond
added a satirical poem of the highly critical mystical poet Ibn El Wardi to this piece. Whether dealing
with politics, religion or courtship, the satire’s psychological and social function is denunciation. This
requires a deep understanding of social structures and laws. The translation of two extracts of this
mouachah’-aroubi helps to better understand this phenomenon: the first extract is the third bayt’ of
Nafar Men Hawit’. The second is the second s’yah (recitation) of Ibn El Wardi.
Let friendship go and avoid
any unworthy person.
What should I say O my love?
I recommend not to go with he who seems to clear.
See how he who is wealthy and seems handsome,
Traps, like a prey, any person who comes near.
Neither companion nor friend are obliging when needed
And among this crowd of (so-called) friends, many are stupid
Friendship of these times is only a trap and sin
Unfortunate is he who is still credulous.
The stanzas of this piece are sung in chorus. The matlaa on the other hand are always sung solo by
the lead singer. Raymond puts strong emotions in this song interpreted almost a capella to give the satirical theme its full force and expression. The last two hemistiches are taken up by the chorus. Everyone
in the audience is concerned: unfaithful love, treachery of a friend or an associate in a business venture,
family conflict concerning an inheritance....
The following stanza commences following an instrumental solo and a recitation in a different
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mode. Zidane, çika, h’sine, zidane, mezmoum are the six traditional modes of this piece. The mouachah
ends with the bayt slam, verses of salutation in which the author’s name appears.
Any person with a musical background will remark in this piece, played entirely in ab’taïhi
rhythm, the presence of the Sprechstimme technique - half way between a recitation and song- used by
Schoenberg to reestablish the link between music and drama. The relationship between the variation in
tones and the relative height of the sounds is a well known phenomenon that Webern and Schoenberg
attempted to demonstrate in the Klangfarbenmelodie (melody of sounds and tones). This thesis seems
to be applicable to the relationships between the sounds in an Arab orchestra. For North African musicians, the change in tone is a very important notion. On the other hand, their height evolving within one
octave is of little interest. The D 2 and D 3 are equivalent fro a traditional ear. The variations in tone main foundation of the history of the melody- is used as a cure to the weakness of the broader (ambitus).
Is there not a relation between Raymond’s recitation in this recording and Schoenberg’s thesis?
A5. Insrafat’ - Mahboubati and Farakouni (My loved one/They left me)
These two vocal and instrumental pieces are part of the classical malouf repertory. Mahboubati is
apparently an extract of a qacida*. The insraf is preceded by the kûrsi mezmoum, and is composed of
three verses of two hemistiches each (çadr - before and ajûz - end), making up the fourth movement of
the nouba. Between the verses, the musicians play the instrumental interlude reproducing the melody
of the song. Farakouni is a mouachah of two stanzas each made up of three hemistiches ryhming in
ûne and a prelude.
These two pieces generally serve as an intermediary between major works. The repetition of the
last verse of the prelude sometimes invites the audience to sing the refrain in chorus with the orchestra.
A6. Inklab - Sabrî Kalîl (I have little patience)
These pieces are given a more modest treatment than the mouachah. They are either grouped in
noubat’ that are then called -noubat al inklabat- or interpreted separately following an insraf, as is
the case here. The tempo is generally fast, and their melody is rhythmical, leading the musicians to
organize a noubat style finale.
17. Hawzi - Nar H’wakoum Lahab (Your fire burns me)
As indicated by the title (haouz: the city outskirts), the hawzi comes from the western part of
Algeria near the city of Tlemçen. These texts were originally limited to this region, and gradually
spread to other parts of the country.
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In popular poetry the homophony of words is a relatively common practice and provides an additional degree of musicality to the versification. In the present piece, the first word of the sixth hemistich
of the bayt’ is repeated at the beginning of the prelude. The term behouakoum is also the same in the
second and fourth stanzas... The repetition of these words facilitates the memorization of the texts and
makes it possible to locate the preludes which are most often sung solo.
In the slow cantilena, Raymond sings of Ben Sahala’s love for an unjust friend who in spite of his
numerous calls does not dare to join him. As in the opera of the XVIIth century, the lamento of this piece
resembles the aria in which a character expresses their despair upon losing a loved one.
The instrumental response to the verses paradoxically puts the accent on the weaker beats. The
nûkayrat’ (gentle beat on the weak beat) of the derbouka* prompts the musicians to play piqué giving
a syncopated style to the melody.
Before each refrain, the matlaa is preceded by a reference note (fundamental, one octave higher)
which gives the singer a chance to change the original melody substantially. The vocal enhancement
which follows avoids a monotone repetition of the verse. The musicians call this khana. The last stanza
of the hawzi is excuted in a fairly fast rythm called khlaç (finale).
A8. El Brague (Lightning)
This piece is entirely in the mezmoum mode, and resembles a qacida in its architecture and composition. It is made up of two different rhythmical parts. The first is similar to the r’keb (introduciton to a
qacida) of religious music. The second part, is faster, stronger and resembles the tawrida (the free part
of the qacida). The chorus song of the refrain, called khmassa (the quitain) is essential. The members
of the orchestra must know it by heart. This form of interpretation creates a dialogue between the lead
singer and the chous. The passages sung in tutti are instrumentally strong and for a short time let the
audience comment on the words that were just sung. Silence returns when the singer embarks on a new
exploration of the text.
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The literary structure varies little from one region to the next. The difference resides essentially
in the musical interpretation. Most of these popular poems date from the XVIIth and XVIIIth centuries.
Their authors are well-known. The oldest texts go back to the XVIth century and even earlier. In the
XIVth century, Ibn Khaldoun* , in his mûqadima* spoke of a certain Ibn El Mouedden who practiced
the art of aroudh el bala (poetic expression of the country) in Tlemçen. After him, Ben Khlouf, an
urban-popular poet of the XVIth centuries composed several pieces of which the most famous is one
depicting the battle of Mazagran*. A product of the Andalusian and local syncretism, a simple form of
communication that preserved the lyrism of the Berber and Arabo-Muslim cultural foundations, dialectical poetry was rapidly adopted by the majority of the Algerian population.
The H’waza are classified in two categories. The h’waza metçanaa are popular pieces that are
adapted to classical compositions and melodies. The h’waza barani* of the country are on the other
hand
sung bysur
theun
bards
and troubadors of the country. The main representatives of this popular poetry
“Perchée
rocher
exploited
the stereotypes
of classical and post-classical Arab poetry. They then adapted the linguistic
au dessus
des gorges
materials
fromConstantine
the local way of thinking and lifestyle.
du Rhumel,
fait
penserBen
à Tolède”
Mohamed
Sahala, author of the hawzi Nar H’wakoum Lahab, who lived in Tlemçen in the
XVIIIth century is the most famous poet in the western part of North America. Like Ben Msaieb and
Albert
Camus
Ben Triki, Ben Sahala came from the urban school. Cantor of love, his h’waza are loved and continue
to be interpreted today.
How did such a strictly regional poetry spread insuch a way? Who are the musical composers of
these
“Et h’waza?
voici Constantine,
have partial answers to these questions. Although they were from the city, the poets and
laWe
citéonly
phénomène...”
rûwat’ (those who tell and transmit these pieces) were not completely sedentary. Ben Debbas is in this
Maupassant
case.Guy
Thisde
XVIIIth
century poet who lived in Tlemçen and Constantine was a contempory of Boumediene
Ben Sahala, son of Mohamed Ben Sahala. His few compositions bear witness to a new era of poetry and
music in Constantine. Belkacem Haddad, who was part of the Ouled Rahmoun tribe and settled in the
Constantine region was also a constant traveller.
The music evolved differently from the litterature. Starting from an original melody from Tlemçen,
the instruments and influences specif to a musical geography can modify a rhythmic structure and
melody according to region. The hawzi Nar Hwakoum Lahab is sung differently in Tlemçen, Algiers or
Constantine, an example offering interesting comparisons.
Where phonetics are concerned, the hawzi have a liking for repetitions, leading to believe that the
city hawzi, like the mouachah, is composed in order to be sung. There are alliterations not only from
one verse to another, but also within a same verse. The poet can also play on the form, the morphological category of the noun, the adjective and the verb.
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