Peut-on perdre une chance de souscrire un contrat d`assurance-vie

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Peut-on perdre une chance de souscrire un contrat d`assurance-vie
ACTUASSURANCE – LA REVUE NUMERIQUE EN DROIT DES ASSURANCES
Publication n° 22 SEPT-OCT 2011
Cass. com., 12 juillet 2011, n°10-16873, Publié
au bulletin
Assurance vie - Service Règlement Différé- Prestataire de services d’investissement Nantissement - Instrument de couverture (non)-Faute (non)
Obs. : Un contrat d’assurance-vie ne peut pas servir de couverture !
Dans un arrêt du 12 juillet 2011, la Cour de cassation vient de juger qu’un épargnant ne
peut pas reprocher à un prestataire de services d’investissement de ne pas avoir accepté
son contrat d’assurance-vie comme instrument de couverture des ordres de bourse qu’il a
passés avec service de règlement et de livraison différés.
Le 16 novembre 2001, un frère et une sœur ont conclu chacun une convention tripartite de
compte-titres et de transmission d’ordres avec d’une part la société Xeod bourse,
désormais Natixis, agissant en qualité d’établissement négociateur-teneur de comptes et
d’autre part avec la société Compagnie financière européenne ABS, aux droits de laquelle
vient la société Bourse direct, agissant en qualité de transmetteur-récepteur d’ordres.
Ces deux personnes ont ensuite donné une procuration générale à leur père afin d’effectuer
toutes opérations de bourse sur ces deux comptes.
A la suite d’opérations réalisées à découvert, fin 2001, l’établissement transmetteurrécepteur d’ordres a demandé à plusieurs reprises de régulariser la couverture des comptes.
Suite à la défaillance de leurs clients, la société Xeod bourse a finalement procédé à des
liquidations partielles des positions. Les comptes-titres ont ensuite été clôturés le 10 avril
2004.
Reprochant aux deux sociétés contractantes d’avoir refusé le nantissement d’un contrat
d’assurance-vie en garantie de couverture, les deux épargnants les ont assignées en
dommages-intérêts.
Ils ont d’abord été déboutés par un jugement du 22 octobre 2007 rendu par le Tribunal de
grande instance de Paris. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la Cour d’appel de
Paris du 4 février 2010 contre lequel les demandeurs se sont pourvus en cassation.
Avant de se prononcer au fond, la Cour de cassation a statué sur la recevabilité de l’un des
deux pourvois. Les magistrats ont relevé que ce pourvoi litigieux avait été formé par le
curateur au nom du demandeur. Or, le curateur n’ayant pas qualité pour agir au nom de la
personne protégée, la Cour a prononcé l’irrecevabilité de ce pourvoi.
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Sur le fond, suivant la décision rendue par les juges d’appel en 2010, la Cour de cassation a
considéré que la responsabilité de la société transmetteur-récepteur d’ordres ne pouvait être
engagée car un contrat d’assurance-vie ne peut être analysé comme un instrument de
couverture (I.). A l’appui de son raisonnement, elle a, en outre, apporté des précisions
quant aux pouvoirs d’un créancier nanti (II.).
I. L’assurance-vie n’est pas un instrument de couverture
Concernant le grief porté à sa connaissance par la demanderesse, la Cour de cassation
n’avait pas la possibilité de s’écarter de l’application des textes en vigueur faite par les
juges du fond.
Il n’est pas inutile de rappeler qu’à ce jour les règles relatives aux ordres avec service de
règlement et de livraison différés sont régies par les dispositions du Règlement général de
l’Autorité des Marchés Financiers (« AMF »)1. Elles autorisent notamment un investisseur
acheteur ou vendeur à différer jusqu’à une date fixée par les règles de marché le versement
des fonds ou la livraison des instruments financiers.
Afin d’éviter à une contrepartie de se retrouver dans de beaux draps, le prestataire de
services d’investissement qui reçoit un ordre à règlement ou livraison différés ne peut
l’accepter que s’il obtient de l’investisseur concerné la constitution d’une couverture.
Dans l’hypothèse où la couverture n’aurait pas été constituée ou correctement complétée,
le Règlement précité autorise le prestataire à liquider partiellement ou totalement les
positions de l’investisseur.
Une instruction de l’AMF n°2007-04 du 15 mai 2007 précise les modalités de calcul de la
couverture en pourcentage des positions et selon la nature des actifs considérés.
Cette instruction reprend très largement les dispositions de la Décision n° 2000-04 du
Conseil des Marchés Financiers (« CMF ») en vigueur au moment des faits incriminés.
Contrairement à ce que soutenait la demanderesse au cas présent, en dépit de la possibilité
d’être investi dans des titres pouvant servir de couverture, il ne fait pas de doute que le
nantissement d’un contrat d’assurance-vie n’entre pas dans la liste des instruments
financiers éligibles aux opérations de couverture.
Dans la continuité des décisions rendues en première instance et en appel, refusant de se
porter au chevet de l’épargnant, la Cour de cassation a donc constaté l’absence de faute de
la société transmetteur-récepteur d’ordres et rejeté la demande de dommages-intérêts
intentée contre elle. Cette décision ne peut qu’être approuvée.
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Art. 516-1 et s. Code des marchés financiers
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II. Car le créancier nanti n’en est pas gestionnaire
Ne se contentant toutefois pas de la stricte application du texte précité, la Cour de cassation
a, en amont, procédé à une analyse des pouvoirs du créancier nanti d’un contrat
d’assurance-vie.
L’arrêt retient une définition positive au terme de laquelle le créancier nanti dispose d’un
pouvoir de garde et conservation. En contrepartie, il est débiteur d’une obligation de
restitution lors du paiement de sa créance.
Les hauts magistrats ont également considéré qu’à l’inverse le créancier ne disposait ni du
droit d’user ni d’administrer les unités de compte du contrat d’assurance-vie, prérogatives
qui appartiennent à l’assureur.
En outre, pour rejeter l’assimilation d’un contrat d’assurance-vie à un instrument financier
pouvant servir de couverture, l’arrêt retient que le prestataire de services d’investissement
ne peut pas effectuer une valorisation quotidienne permettant le calcul de la couverture des
ordres passés.
L’analyse à laquelle s’est livrée la Cour de cassation afin de dépasser l’application littérale
de la Décision du CMF précitée ne manque pas de surprendre. En effet, la généralité des
termes employés pour définir les pouvoirs du créancier nanti d’un contrat d’assurance-vie
dépasse le cadre de l’affaire en cause. La Cour s’était déjà prononcée sur la libre
disposition des avoirs conservés par le souscripteur dont le contrat a été mis en
nantissement2. Elle avait alors ajouté que cette liberté pouvait faire l’objet de restrictions
conventionnelles au profit du créancier, mention omise au cas présent. En outre, les
évolutions progressives des techniques de gestion des contrats d’assurance-vie contredisent
en partie l’analyse effectuée. A titre illustratif, un contrat d’assurance-vie souscrit par
Internet permet d’obtenir une valorisation quotidienne des avoirs du souscripteur
compatible avec les exigences propres aux règles de couverture.
En procédant à cette analyse détaillée, on peut se demander si la Cour n’a pas souhaité
faire le lit d’une acceptation future comme instrument de couverture d’une sûreté qui ne
figurerait pas sur la liste de l’instruction de l’AMF précitée dès lors qu’elle offrirait des
caractéristiques et garanties équivalentes à celles expressément mentionnées. Seuls des
contentieux futurs soumis à l’appréciation de ces mêmes magistrats permettront de
répondre à cette interrogation.
Olivier Roumélian
Cabinet Roumélian
Avocat au barreau de Paris
L’arrêt :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 4 février 2010), que le 16 novembre 2001, Mme X... a conclu
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Cass. Com. 12 juillet 2005, n° 04-10214, Banque AGF.
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une convention de compte-titres et de transmission d’ordre avec la société Xeod bourse, aux droits
de laquelle est venue la société Natexis banques populaires, puis la société Natixis, prise en qualité
d’établissement négociateur-teneur de comptes (la société Xeod bourse), et avec la société
Compagnie financière européenne ABS, aux droits de laquelle vient la société Bourse direct, prise
en qualité de transmetteur-récepteur d’ordres (la société Bourse direct) ; qu’elle a donné
procuration générale à son père, M. Jean X..., d’effectuer toutes opérations de bourse sur ces
comptes ; qu’à la suite d’opérations initiées sur le service de règlement différé, l’établissement
négociateur-teneur de comptes a demandé la reconstitution de la couverture et finalement procédé à
des liquidations partielles de position ; que les comptes ont été clôturés le 10 avril 2004 ; que
reprochant aux sociétés Bourse direct et Xeod bourse leur refus de prendre en nantissement des
contrats d’assurance-vie en garantie de couverture, Mme X... les a assignées en dommagesintérêts ;
Attendu que Mme X... fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté ses demandes dirigées contre la société
Bourse direct, alors, selon le moyen, qu’est un instrument financier susceptible de constituer la
couverture des ordres de bourse avec service de règlement et de livraison différés, le contrat
d’assurance-vie composé de parts ou d’actions d’OPCVM nanti par le donneur d’ordres au profit
du courtier en bourse ou du prestataire tenant le compte ; qu’en décidant le contraire, la cour
d’appel a violé les articles 3 et 4 de la décision n° 2004-04 du Conseil des marchés financiers du 30
août 2000, ensemble l’article L. 211-1 du code monétaire et financier ;
Mais attendu qu’après avoir relevé, par motifs adoptés, que le créancier nanti d’un contrat
d’assurance-vie n’est que détenteur, avec seul pouvoir de garde et de conservation, sans acquérir le
droit d’user ni d’administrer la chose, et a une obligation de restitution lors du paiement de sa
créance, que la gestion des valeurs mobilières, supports du contrat, est effectuée par l’assureur et
que les prestataires habilités ne peuvent pas effectuer la valorisation quotidienne de ces titres pour
le calcul de la couverture des ordres passés, l’arrêt retient que le nantissement d’un contrat
d’assurance-vie n’est pas compatible avec les règles de la couverture et que le refus, légitime, de la
société Bourse direct de l’accepter comme instrument de couverture n’était pas fautif; que par ces
constatations et appréciations, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est
pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi formé au nom de M. Olivier X... ;
REJETTE le pourvoi formé par Mme X... ;
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