5ème congrès de l`Association française de sociologie

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5ème congrès de l`Association française de sociologie
5ème congrès de l’Association française de sociologie « Les dominations »
Nantes, 2-5 septembre 2013
L’école entre domination et justice sociale
4 septembre 2013, 14h30-16h
RT4 Sociologie de l'éducation et de la formation et GT 44 Justice sociale et sentiments
d’injustice
La sociologie de l’éducation constitue un espace de croisement essentiel entre les
interrogations relatives à la justice sociale et celles relevant de la domination. D’un
côté, et pour une large part, les politiques scolaires se réfèrent à des conceptions de la
justice sociale et à une volonté de lutte contre les effets de la domination – généralement
exprimées dans des termes se rapportant à un « projet d’émancipation ». De l’autre côté, les
sociologues se sont historiquement appliqués à mettre à l’épreuve les prétentions égalitaires
du système. Ils ont largement souligné les dimensions idéologiques des principes de justice
affichés et décrit leurs fonctions latentes de légitimation et de reproduction des rapports
sociaux. Aujourd’hui, les sociologues interviennent de plus en plus directement dans les
débats relatifs aux principes de justice capables de fonder les politiques scolaires.
Ce croisement des questions de justice et de domination(s) au sein du système scolaire
présente ainsi une remarquable actualité, scientifique et politique. Les vagues successives
de massification dans l’enseignement secondaire, puis supérieur, suscitent des attentes
directement formulées par les jeunes et les familles dans le langage de la justice scolaire. La
sélection opère désormais au cours de trajectoires scolaires complexes, soumises aux effets
inégalitaires des hiérarchies entre filières, classes ou établissements. La complexification et
la multiplication des inégalités proprement scolaires paraissent rompre le lien entre
massification et démocratisation. La demande d’une école plus « juste », mais aussi plus
performante, traverse des politiques scolaires, dont les référentiels connaissent des
déplacements sensibles, liés à la généralisation du benchmarking et des standards de
compétence qui semble creuser l’écart aux conceptions traditionnelles de l’élitisme
républicain ou de l’égalité formelle des chances. Au total, et pour reprendre la typologie
classique de Elster (1992), la problématique de la justice et ses transformations préoccupent
ainsi l’ensemble des acteurs du système d’allocation de ressources rares que constitue
l’institution scolaire : acteurs de « premier rang » (personnel politique ; administrations
centrales, nationales ou internationales), acteurs de « second rang » (administrations
locales, établissements, personnel enseignant) et acteurs de troisième rang (destinataires
des décisions : élèves, familles).
Ces dynamiques affectent les agendas scientifiques et c’est à un tour d’horizon des
évolutions les plus récentes des problématiques que cette table ronde entend
contribuer.
La question de la méritocratie apparaît donc comme l’un des principaux fils rouge des
travaux sur ces questions. Le mérite comme fondement de la justice scolaire a largement fait
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figure d’idéologie dominante au service de la reproduction des rapports sociaux dans les
travaux fondateurs de la sociologie contemporaine de l’éducation (Bourdieu, 1966). Si cette
position semble peu remise en cause, elle n’en reste pas moins débattue et trouve, dans des
travaux plus récents, divers prolongements.
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Certains chercheurs s’interrogent ainsi sur la validité intrinsèque de ce principe et
soulignent, en mobilisant les apports de la philosophie politique contemporaine
(Kymlicka 2003), ses apories, montrant alors comment elles contribuent à la « crise »
de la démocratisation scolaire (Duru-Bellat 2009). D’autres interrogent en retour le
dévoiement de ce principe dans les politiques scolaires : faut-il mettre en cause le
principe méritocratique lui-même ou ses usages idéologiques par les classes
dominantes ou encore ses formes effectives de mise en œuvre (Coulangeon 2011) ?
La question de l’adhésion des acteurs eux-mêmes à ce principe est posée à
nouveaux frais. S’il a pu s’incarner dans « l’idéologie du don » caractéristique des
« héritiers » dans un état antérieur du système (Bourdieu & Passeron 1964), le destin
de cette croyance doit être suivi dans les méandres de la massification, de l’ouverture
de l’éducation secondaire à de nouveaux publics, de la complexification des modes
de sélection et, au final, dans les mutations des formes de la domination sociale et
scolaire au sein d’un système massifié mais aussi éclaté, différencié et ségrégé
(Merle 2012). Qu’en est-il aujourd’hui de la croyance des acteurs dans les principes
de la méritocratie scolaire ? L’efficacité de l’idéologie du mérite comme principe de
légitimation des inégalités scolaires, puis sociales, ressort-elle indemne de la
massification, de la ségrégation et de la relégation des nouveaux entrants ?
Par ailleurs, si le mérite a pu être placé au fondement des politiques scolaires
dans le cadre de l’école républicaine et aux premier temps de la démocratisation, la
situation contemporaine apparaît plus complexe (Morel 2002 ; Tenret 2012) :
d’autres modèles de justice, issus des réflexions de la philosophie politique,
paraissent s’imposer, tels que le « principe de différence » rawlsien dans le cadre
de la définition des socles et standards de compétence dans les politiques nationales
et internationales, les principes de l’affirmative action (Dworkin 1995) dans les
politiques d’éducation prioritaire ou encore, plus récemment, le développement d’une
interprétation des compétences non plus en termes rawlsiens mais au travers de
l’approche par les capacités d’Amartya Sen (2010), comme le fait Marie Verhoeven
(2007). Une mise en ordre s’impose donc ici, afin de décrire les évolutions à l’œuvre
mais aussi de les interroger : par-delà les changements rhétoriques, assiste-t-on à
une prise de distance effective à l’égard du modèle de l’école méritocratique ? Quelle
est l’ampleur de la rupture ? Quels sont les éléments de continuité ? Surtout, quelle
est la portée émancipatoire de ces déplacements : les nouveaux cadres se posent-ils
comme des réponses pertinentes et convaincantes à la question de la domination ?
L’évolution de la nature des clivages qui structurent les inégalités scolaires conduit
enfin à s’intéresser tout à la fois aux questions des langages normatifs mobilisés
par les acteurs et des mécanismes contemporains de la domination. L’école
ségréguée donne une visibilité nouvelle aux différences de genre, d’origine ethnique,
de territoire, qui cohabitent ou se surajoutent à la traditionnelle opposition de classe
clivant le système. A la figure familière de l’injustice sociale réfractée par une école
reproduisant le clivage de classe, viennent s’ajouter des médiations nouvelles par
lesquelles opèrent ces processus de reproduction tels que les logiques ségrégatives
(Merle 2012). Ces déplacements affectent en profondeur les façons aujourd’hui de
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qualifier les injustices scolaires et la perception qu’en ont les acteurs, à l’instar de la
notion de discrimination qui, de plus à plus, sert à désigner les inégalités scolaires
elles-mêmes (Dhume et al. 2011, Cousin 2012). Signalent-ils pour autant
l’avènement de nouveaux modèles de justice à l’œuvre dans les sentiments
d’injustice exprimés par les publics ou désignent-ils de nouveaux habits au
traditionnel sentiment du mérite bafoué ? Faut-il y voir les germes de nouveaux
supports de résistance et tenter d’y décrypter un nouveau « texte caché » de la
domination (Scott 2008) ? La mécanique de la domination opérant à et par l’école
demeure-t-elle inchangée avec la montée en force de ces clivages ? Impliquent-ils de
réinvestir et de renouveler les approches en termes de classes (Poullaouec 2010,
Palheta 2012, entre autres) ou de les réviser au profit, par exemple, d’une
conceptualisation pluraliste, attentive à la diversité des rapports sociaux et à leurs
effets
combinatoires,
comme
la
propose
aujourd’hui
l’approche
intersectionnelle (Dorlin dir. 2009) ?
Pour aborder ces questions, la semi-plénière prendra la forme d’une table ronde
réunissant quatre intervenants qui seront invités à développer les apports de leurs
recherches récentes, mais surtout à débattre entre eux et avec la salle des enjeux. Une
attention toute particulière sera accordée au travail d’animation qui tentera de contenir la part
d’exposé ex cathedra au profit de la forme dialoguée de l’échange et de la discussion, plus à
même de faire surgir les points de problématisation, les incertitudes interprétatives, les
angles morts de la recherche et, au final, d’ouvrir des perspectives stimulantes pour
l’ensemble des participants.
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