La Commission européenne d
Transcription
La Commission européenne d
SUR LA RECEVABILITÉ de la requête No 14563/89 présentée par M. S.r.l. contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 7 octobre 1991 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président S. TRECHSEL F. ERMACORA E. BUSUTTIL A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL M. F. MARTINEZ Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 23 novembre 1988 par M .S.r.l. contre l'Italie et enregistrée le 23 janvier 1989 sous le No de dossier 14563/89 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT La requérante est une société à reponsabilité limitée, Miragrigna S.R.L., ayant son siège à Milan et agissant en la personne de son administrateur, Giancarlo Confalonieri, un ressortissant italien résidant à Milan. Pour la procédure devant la Commission la société est représentée par Me Giancarlo Spadea, avocat à Milan. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par la requérante, sont les suivants. La requérante est propriétaire d'un immeuble sis à Milan qu'elle a acquis le 30 novembre 1961 de la Société anonyme immobilière ligurienne S. Siro (Società anonima immobiliare ligure S. Siro). L'immeuble est constitué d'une villa entourée d'un jardin, et jouxte une propriété de même type appartenant au consulat de l'URSS à Milan, qui l'a achetée en 1979 à Monsieur A. Ce dernier la tenait de la Société anonyme ligurienne S. Siro, à laquelle il l'avait achetée le 8 janvier 1960. La requérante souligne que les actes de vente stipulés les 8 janvier 1960 et 30 novembre 1961, et intégralement transcrits dans les registres fonciers, contenaient les clauses suivantes : - le terrain, figurant dans la catégorie V.1 du plan d'urbanisme du 12 juillet 1950 (piano regolatore) de la ville de Milan, resterait assujetti aux normes de ce plan quand bien même interviendrait une modification au plan moins contraignante ; - les constructions devaient répondre au critère de villas et hôtels particuliers de grand confort (signorili) ; - la partie non construite devait être pourvue de voies d'accès, aménagée comme jardin, plantée d'arbres de haut fût et entretenue dans cet état ; - les constructions s'entendaient à usage d'habitation uniquement ; - les constructions ne devaient occuper qu'un cinquième du terrain disponible. La requérante précise par ailleurs que l'article 28 des dispositions techniques d'application (norme techniche di attuazione) du plan d'urbanisme de la ville de Milan prévoit que la zone où se situent sa propriété et celle du consulat de l'URSS est classée zone B 1 - R X, c'est-à-dire zone résidentielle comportant des contraintes relatives au type de construction autorisée (vincolo tipologico) qui était, au moment de l'adoption du plan, celui de villas et maisons particulières à deux étages avec une superficie de terrain à aménager comme jardin uniquement. En 1953, lors de l'adoption de la modification au plan d'urbanisme, le conseil régional avait décidé de compléter l'article 28 par la disposition suivante : "les interventions visant des constructions nouvelles sur des lots précédemment édifiés ne peuvent avoir lieu que dans les limites du périmètre et de la forme de la construction préexistante, dans le respect des indices de construction visés plus haut et en tout cas en maintenant les espaces libres existant comme espaces verts". Le 23 juillet 1984, le consulat de l'URSS demanda un permis de construire un sous-sol et quatre étages pour le logement des fonctionnaires du consulat, dans le jardin entourant l'immeuble existant. Le 27 juin 1985, la ville de Milan octroya au consulat de l'URSS une dérogation à l'article 28 des dispositions techniques d'application du plan d'urbanisme, autorisant ainsi la construction d'un sous-sol et d'un immeuble de quatre étages à usage d'habitation. Cette décision faisait suite à la délibération du conseil communal de Milan (consiglio comunale di Milano) du 20 mars 1985 n° 451/1 et au décret du 28 mai 1985 n° 1612 du président de la Région (Presidente della giunta della Regione). Il se fondait sur l'article 16 de la loi d'urbanisme du 6 août 1967 (n° 765) - loi de 1967 - qui prévoit que les pouvoirs de dérogation aux normes du plan d'urbanisme et des règlements d'application peuvent être exercés uniquement en ce qui concerne des constructions publiques ou d'intérêt public. L'autorisation est accordée par le maire après délibération du conseil municipal. Aux termes des délibérations de ces organes, l'autorisation était octroyée pour un immeuble à usage d'habitation en ce qu'un tel immeuble était lié de manière fonctionnelle (collegato funzionalmente) à celui à usage consulaire auquel il était annexé sur la partie encore libre du terrain et dont il constituait une extension (ampliamento). D'après cette même délibération, l'extension du consulat répondait aux critères d'intérêt public en ce qu'elle permettait une exécution plus rationnelle des fonctions administratives et consulaires, fonctions qui répondent à un intérêt public général. En janvier 1986, la requérante attaqua le permis de construire délivré le 27 juin 1985 par la ville de Milan au consulat de l'URSS, ainsi que tous les actes préparatoires à cette décision, devant le tribunal administratif régional de Lombardie. Par jugement du 10 juillet 1986 déposé au greffe le 13 octobre 1986, le tribunal administratif régional accueillit le recours et annula le permis de construire en suivant le raisonnement ci-après : a) le tribunal reconnut tout d'abord que la requérante avait un intérêt à agir en tant que propriétaire d'un immeuble limitrophe, en vue de protéger l'atteinte aux valeurs inhérentes à l'environnement social, garanties par la législation sur l'urbanisme ("nocumento ai valori inerenti all'ambiente di vita sociale garantiti dalla disciplina urbanistica"), en l'espèce, la limitation de la vue et l'augmentation de la densité des immeubles du fait de la construction de l'édifice ; b) le tribunal estima en second lieu que le permis de construire était entaché d'excès de pouvoir à deux titres. D'une part, la construction litigieuse ne répondait pas au critère de l'intérêt public. Le tribunal estima en effet que la construction d'un immeuble autonome, destiné uniquement à la résidence des fonctionnaires du consulat, et dans lequel il était exclu a priori que s'exercent les fonctions consulaires, ne pouvait répondre à la finalité d'intérêt général de l'Etat et avoir une importance telle qu'elle puisse justifier, en plus de la "compression" des intérêts privés contraires des tiers, une dérogation à la programmation d'urbanisme, d'autant qu'une telle construction ne répondait pas aux caractéristiques d'un logement de service et que l'exercice de fonctions consulaires n'impliquait pas la nécessité de la présence sur place, jour et nuit, de tous les fonctionnaires. D'autre part, la mesure attaquée devait être censurée pour défaut de motivation. En effet, vu le caractère exceptionnel que revêt toute dérogation à un plan d'urbanisme, la motivation doit être précise et en fait et en droit. En l'espèce, la mesure incriminée faisait état d'une "extension" du consulat, d'une liaison fonctionnelle entre cette extension et le bâtiment principal qui devait permettre l'accomplissement plus rationnel des fonctions consulaires et répondre aux obligations souscrites par le Gouvernement italien dans le cadre de la Convention consulaire entre l'URSS et l'Italie. Or, pour le tribunal, le permis de construire ne visait pas une "extension" du consulat puisqu'il autorisait la construction d'un immeuble de 4 étages et 1 sous-sol situé à 23,5 m du consulat. Enfin, un tel édifice était à usage exclusif d'habitation et n'avait pas de rapport avec l'exécution de fonctions consulaires. Le tribunal releva par ailleurs que la Convention consulaire entre l'URSS et l'Italie distinguait nettement les fonctions et le traitement juridique des bureaux consulaires et celui des logements des fonctionnaires consulaires. Selon la Convention de Vienne du 24 avril 1963 (ratifiée par l'Italie par la loi du 9 août 1967 n° 804), les fonctions consulaires s'exercent seulement dans les bureaux consulaires ; sont exclues de la qualification consulaire la demeure du consul et a fortiori celle des fonctionnaires du consulat. Sur appel du consulat de l'URSS, par arrêt du 2 février 1988, déposé au greffe le 28 mai 1988, le Conseil d'Etat infirma ce jugement en adoptant la motivation suivante. Considérant que par construction d'intérêt public il fallait entendre toute construction qui par ses caractéristiques intrinsèques ou sa destination fonctionnelle était de nature à satisfaire des intérêts publics de premier plan, le Conseil d'Etat estima que les considérations sur l'intérêt public dégagées par le tribunal étaient de nature restrictive et ne tenaient pas compte de considérations telles que l'amélioration objective des conditions de travail du personnel du consulat qui rentrait aussi dans la notion d'intérêt public, entendu comme comprenant également le développement correct et loyal des relations internationales, en fonction de critères de courtoisie et de disponibilité qui imposent à l'Etat italien le respect des appréciations et des nécessités (esigenze) de l'Etat hôte. Ces dernières échappent au pouvoir d'appréciation de l'Etat italien et relèvent de la sagesse d'appréciation de l'Etat étranger dont les fonctionnaires nécessitent le maximum d'assistance. GRIEFS La requérante se plaint que la dérogation au plan d'urbanisme accordée au consulat de l'URSS par la ville de Milan a porté une atteinte injustifiée à son droit au respect de ses biens. Elle allègue une violation de l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention. EN DROIT La requérante allègue que la dérogation au plan d'urbanisme accordée par la ville de Milan au consulat de l'URSS constitue en l'espèce une atteinte au droit au respect de ses biens, tel qu'il est garanti par l'article 1er du Protocole additionnel (P1-1) à la Convention. Aux termes de cette disposition : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes." La Commission souligne d'emblée que la mesure litigieuse - soit l'autorisation de construire en dérogation aux règles du plan d'urbanisme - ne vise pas la propriété de la requérante mais celle d'un tiers. Elle ne saurait donc s'analyser comme constituant dans le chef de la requérante, une privation de propriété au sens du paragraphe 1er de l'article 1er du Protocole additionnel (P1-1) ni une réglementation de l'usage de ses biens au sens du paragraphe 2 du même article. La Commission constate cependant que la dérogation litigieuse a eu pour effet une limitation de la vue dont jouissait l'immeuble appartenant à la requérante et une atteinte à son environnement immédiat. Elle admet que ces valeurs revêtaient une réelle importance, tant il est vrai que leur protection avait fait l'objet de stipulations expresses dans le contrat de vente des immeubles concernés, stipulations inscrites aux registres fonciers et librement acceptées par les acheteurs, la requérante d'une part et le consulat de l'URSS d'autre part. Une telle dérogation pourrait donc affecter le droit de la requérante au respect de ses biens, au sens de la première phrase de l'article 1er du Protocole additionnel (P1-1). Il appartient dès lors à la Commission de rechercher si une telle mesure enfreint le droit énoncé à la première phrase du premier alinéa. A cette fin, la Commission doit rechercher si "un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu" (cf. Cour Eur. D.H., arrêt Sporrong et Lönnroth du 23 septembre 1982, série A n° 52, par. 69, p. 26). En l'espèce, la Commission relève que la dérogation accordée au consulat de l'URSS est prévue par la loi de 1967. Selon le Conseil d'Etat italien, elle répondait bien en l'espèce à une finalité d'intérêt public qui est "le développement correct et loyal des relations internationales, en fonction de critères de courtoisie et de disponibilité qui imposent à l'Etat hôte le respect des appréciations et des nécessités de l'Etat invité". La Commission admet que l'intérêt public ainsi défini constitue un but d'intérêt général. Elle considère par ailleurs qu'en accordant la dérogation litigieuse et en limitant ainsi le droit de la requérante à la protection de son environnement, les autorités municipales n'ont pas excédé la marge d'appréciation dont elles disposaient, s'agissant de trouver l'équilibre nécessaire entre l'intérêt général et les exigences particulières de la requérante. Il s'ensuit que la dérogation litigieuse n'a pas porté atteinte au droit de la requérante au respect de ses biens tel qu'il est garanti par l'article 1er du Protocole additionnel (P1-1). En conséquence, la Commission considère que le grief de la requérante est manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Commission (H.C. KRÜGER) Le Président de la Commission (C.A. NØRGAARD)