Aucun de nous... le dossier

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Aucun de nous... le dossier
AUCUN DE NOUS NE REVIENDRA
(extraits)
photogramme emprunté à « Stalker », d’Andreï Tarkovski - © Potemkine Films
de CHARLOTTE DELBO
théâtre et musique
oratorio
contacts Compagnie
www.escabelle.com
Sophie Charvet
tel 06 30 25 22 04
[email protected]
Heidi Brouzeng
tel 06 16 77 62 41
[email protected]
« La mémoire et la profondeur sont la même chose ou plutôt la profondeur ne peut être atteinte par l’homme
autrement que par le souvenir. » (Hannah Arendt)
« Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps. »
(Giorgio Agamben)
« J’écris pour les générations futures » (Charlotte Delbo)
Au retour de 27 mois de déportation en camps nazis, Charlotte Delbo écrit. Et entre 1945 et 1970, elle
compose trois volumes, réunis sous le titre « Auschwitz et après ». Nous invitons à l’écoute de cette
écriture qui a su s’inventer, étonnante et magnifique, dans la volonté même de transmettre une expérience
qualifiée d’indicible. Ecriture de la tragédie, n’offrant aucune consolation, elle divulgue toutefois une
sorte de beauté vitale, fantastique, fascinante. C’est la beauté de vivre, malgré tout.
Charlotte Delbo ouvre ainsi à son tour à une nouvelle conscience de l’humanité qui tiendrait peut-être
précisément dans sa nature duale, oxymore, où cohabitent désormais ouvertement et sans limite
manichéenne, abjection et amour.
La pièce conçue comme un oratorio en est une chambre d’écho ; elle retrace la tension que porte C
Delbo vers la résistance et cet amour de vivre malgré l’horreur, malgré la hantise mémorielle que laisse
l’expérience de l’horreur, ou plutôt en devant tenir compte, inévitablement, de leur possibilité. Les
questionnements qu’elle suscite sont existentiels et offrent en miroir une contemplation sur nos modes de
vie contemporains, et particulièrement notre façon de nous habiter nous-mêmes, de construire (ou non)
les limites de ce legs de l’infamie, dont nous sommes à notre tour, inévitablement, à la fois les survivants
et les porteurs.
Avec (en cours) :
Heidi Brouzeng (récitante) I Matthieu Ferry (lumière, scénographie) I Alain Mahé (environnements sonores,
composition et interprétation musicale) I Marie Cambois (direction chorégraphique) I Martin Rumeau (régie
générale)
Création : 27 au 30 mai 2014 / CCAM, scène nationale de Vandœuvre Reprise 2014/2015 : Les Treize Arches,
théâtre conventionné de Brive-La-Gaillarde (19), Théâtre l’Echangeur, Bagnolet (93), Le Nouveau Relax à
Chaumont (52), L’agora, scène conventionnée de Billère (64), l’Arsenal-Metz en-Scènes (57), Ville de Nilvange
(57)
Production : l’SKBL (l’Escabelle)-Cie théâtrale Coproduction : Le CCAM, scène nationale de Vandoeuvre (54) Les 13 Arches Théâtre Conventionné de Brive (19) Avec le soutien financier de La Région Lorraine - Le Conseil
Général de Moselle - La Ville de Florange Avec le soutien en résidence de création de Le Cube/ La Belle
Meunière (03) Coréalisation Festival d'Avignon Inouï Production, Avignon (84) L’Escabelle est conventionnée
avec La Région Lorraine au titre de l’accompagnement à la structuration 2013-2015
En préambule :
O
5 mars 2014 : répétition publique et rencontres I Le Cube – La Belle Meunière à Hérisson (03) – dans le
cadre d’un soutien en résidence de création.
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19 décembre 2013 à 16h30 – présentation du travail en cours, ouverte aux professionnels I CCAM,
scène nationale de Vandoeuvre (54)
Æ
20 et 21 novembre 2013 : lectures I Dans le cadre d’une résidence de création aux 13 arches, théâtre
conventionné de Brive-La-Gaillarde (19) I lectures, issues d’un atelier de recherche, avec un groupe
d’amateurs pratiquant le théâtre et/ou le chant, dirigées par Heidi Brouzeng et Tania Pividori I Théâtre
D’Ayen (19) - le 20 novembre + Théâtre de la Grange de Brive - Le 21 novembre
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du 8 au 15 juillet 2013 à 13h30 : lectures concertantes I Les Hauts Plateaux - La Manutention / Avignon
Festival 2013 (84) - En coréalisation avec Inouï production
2013 - Centenaire de la naissance de Charlotte Delbo
inscrit au nombre des commémorations par le Haut Comité aux Commémorations Nationales
toutes infos sur www.charlottedelbo.org
Photos : Collectif Inouï
Intentions – vers un poème philosophique
par Heidi Brouzeng
„Zwischen Stadt und Stadt
Nach der Mauer, der Abgrund“
« Entre ville et ville
Après le mur, l’abîme » (Heiner Müller)
„Niemand zeugt für den Zeugen“
« Personne ne témoigne pour les témoins » (Paul Celan)
A travers la littérature concentrationnaire se pose le constat terrifiant que l’humanité est désormais capable
d’organiser des sociétés tortionnaires réduisant la vie des êtres à une forme d’ordure et de déjection.
La défloration des corps devant lesquels on a atrocement levé tous les voiles, pour qui il ne reste plus aucun
secret à découvrir, ni celui de la mort ni celui de l’amour, cette terrible « connaissance inutile » avec laquelle
sont rentrés les déportés, crée une dépression, un vide mélancolique monstrueux. Entre passé déconstruit et
futur in-projetable, le temps devait rester longtemps (et parfois définitivement) pour eux un intervalle
suspendu, asphyxié par une mémoire traumatisée qui s’était refondue d’une catastrophe. No man’s land entre
la mort et une (hypothèse de) vie, où tout semblait devoir rester ruiné, « une planète morte ».
En ce XXIème siècle anémié que nous vivons, s’ouvre un vide nouveau qui semble être l’écho continu de celui
que laisse « Auschwitz » : prairie aux asphodèles, ou purgatoire, immobilisé entre un passé de chaos et un futur
rendu inimaginable, où règne aussi une sourde mélancolie comme résultat d’une incapacité à penser ce que
nous sommes devenus, entre survivants et porteurs de notre propre barbarie.
Dépassant la mort dans un geste de création dont l’élan s’est efforcé à d’inouïs renouvellements, Charlotte
Delbo a fait du désespoir, une brèche par où est entrée la pensée, et avec elle un poème, c'est-à-dire une
expérience poétique de la langue qui devait pouvoir dire.
Au-delà le « devoir de mémoire » du témoin, Charlotte Delbo a offert un testament ; elle et son « nous » avec
elle, survivent dans le mourir, grâce à la langue et sa possibilité poétique. Une langue qui n’a rien de larmoyant
ni de haineux et qui derrière l’effroi, sans répit, pose la question de la beauté de vivre.
Ainsi, il nous faudrait « simplement » laisser entrer le poème de Delbo, la puissance de son geste d’écrivain, et
par là faire reconnaître sa pensée comme pouvant nous aider, aujourd’hui encore, à méditer notre propre
errance existentielle.
Ecriture poétique sobre et poignante, fragmentaire, sans chronologie, qui mêle récits, vers libres et
dialogues. Ecriture de la tragédie, terrible et choquante, qui, grâce à la beauté fantastique qu’elle divulgue,
transmet un mystère, sur l’être humain et sur la merveille de vivre.
Ecriture enfin, acte de création littéraire et poétique, de sublimation, qui permettra à Charlotte Delbo, à
travers la pensée, de réincarner sa propre vie.
Il n’est pas question ici de « représenter » les camps, d’en faire un « théâtre » de personnages, de décor,
de situations. Pas de théâtre figuratif, peut-être un théâtre «suggestif». Un théâtre d’évocation,
provoquant un phénomène de visions, plus que de narration, répondant ainsi à l’effet quasi incantatoire
que provoquent les textes de Charlotte Delbo.
Plusieurs disciplines artistiques sont convoquées à la fabrique sensible d’une théâtralité particulière,
notamment la musique, la lumière, la scénographie
Le projet se pose donc comme interdisciplinaire, avec croisements, superpositions et éventuelles
polyphonies entre textes, sons (musiques) et « images » scéniques.
Il se construit, sur le plateau, en coécriture scénique et dramaturgique, entre les artistes et les disciplines
impliqués.
Entre lecture spatialisée et oratorio, l‘intention est d’aller vers une forme de poème philosophique,
chambre d’écho du poème de Delbo ; une forme qui doit suivre pas à pas, dans une temporalité dilatée, la
tension (tension intérieure, verticale comme horizontale) que l’auteur porte vers cette résistance et cet
amour de vivre, alors même qu’elle est plongée dans l’horreur et dans la hantise que laisse l’expérience de
l’horreur.
Quelque chose d’existentiel a lieu, qui offre en miroir une contemplation (tragique, responsable) sur nos
modes de vie contemporains, nos modes de résistance à la barbarie dont nous sommes à la fois les
survivants et les porteurs.
La musique, le son - compositions d’Alain Mahé
Les propositions musicales de la pièce forment une trame, composée sur un support électroacoustique. Pas
d’orchestre donc, mais une diffusion sur un système amplifié. Egalement des « installations sonores », (dont
les pierres sonnantes d’Alain Mahé), activées en direct, prennent place et sens dans la scénographie.
« CaillouX
Une Dalle d'ardoise de 80 kilos arrachée aux carrières de Morlaix et taillée pour le seuil du bistrot
"le Perroquet Vert " (le Plateau) posée sur 4 pieds de grès armoricain.
Un Galet gris de la pointe de Dinan usé par la mer d'Iroise (la Tête)
Une Pierre sonnante du Guildo composite, amphibole (le Roc)
De petits morceaux de silex (les osselets)
Des ardoises anciennes taillées de chapelles et crèches finistériennes (les Capteurs )
De très fins schistes des carrières de Commana (les Pièces)
Voilà l'Instrument-matière, brut
aucune tentative d'accord.
la pierre parle d'elle-même.
et donne le répons aux textes de Charlotte Delbo à travers la voix d'Heidi Brouzeng
un Macintosh les accompagnent pour en compter les grains.
La musique indéterminée n'est donc pas une sorte d'improvisation mais simplement un mode de
composition musicale qui fait appel à des matériaux sonores fluctuants.»
Alain Mahé
Une vraie et forte présence à la musique. La voix (le poème) prime, mais il y a derrière elle tout un monde qui
se devine, se place, disparaît, revient hanter, ce monde indicible, mais vibrant, et parfois si douloureusement
vibrant. C’est cela la musique. Cette vibration, plus ou moins écrasante.
La composition, répondant à plusieurs fonctions (atmosphérique, documentaire, incantatoire…), propose
plusieurs registres : classique, populaire, traditionnel, moderne (concret et bruitiste). C'est une traversée
musicale qui symbolise une traversée temporelle de notre civilisation. En Europe, entre le XIXème et le XXIème
siècle, il y eut « Auschwitz » : un point à partir duquel il a fallu réinventer quelque chose. Les hommes comme
les esthétiques en ont été bouleversés.
L'espace - scénographie et lumière de Matthieu Ferry
Friche, sous-terrain, un lieu désolé ; lieu refuge ou au contraire qu’on hésite à revenir visiter … ? L’espace
scénique crée une contrainte sans réellement contraindre : il est comme un mystère qui arrive vers nous sans
se laisser toutefois complètement circonscrire, approcher, toucher. Il pourrait figurer une mémoire.
Objets et matières (étranges réminiscences – végétal, minéral, industriel) y apparaissent en morceaux, par
fragments, en latence, inoffensifs ou troublants. Si tout semble proche et accessible, tout reste pourtant
énigmatique et insaisissable ; la lumière, vivante, vient modifier les perceptions, éloigner les évidences, fausser
les repères, y compris temporels.
L’espace scénique est un assemblage intuitif et sensible imaginé pour générer des forces d’évocations.
La comédienne
La comédienne ne joue pas (au sens du personnage). C’est essentiellement une voix (derrière un masque ?)
dont le rôle est d’amener le poème de Delbo à l’oralité. Elle porte les sensations (j’écris « pour faire sentir », dit
Charlotte Delbo) à travers une restitution stricte de l’écriture. Ainsi le terme de récitante semble le plus
adéquat pour désigner son positionnement de jeu. Celui-ci ne devrait pas craindre un certain hiératisme, une
certaine retenue, proches encore du geste d’écriture de Charlotte Delbo : sans plainte, ni ressentiment,
empreint de dignité, de délicatesse, mais aussi radical et coupant et qui n’édulcore rien.
Dans le travail d’apparition de la parole, la voix peut se détacher du texte pour être son, évoquer un en-deçà du
langage ; cris, glossolalies, sons vocaux qui pourraient figurer ce désespoir (wortlos : sans mots pour le dire) qui
a suivi le retour des camps et précédé le retour de la parole.
La présence du corps de la comédienne, son errance dans l'espace - et dans le temps de la représentation -,
figure l’existence, sa fragilité, notre part d’humanité dans la dévastation.
Charlotte Delbo (1913-1985)
« Née le 10 août 1913, à Vigneux-sur-Seine, Seine-et-Oise. Ainée de quatre. Père Chef Monteur.
J’ai adhéré à la Jeunesse Communiste en 1932, rencontré Georges Dudach en 1934. »
Charlotte Delbo _« Le convoi du 24 janvier »_ Editions de minuit
En 1936, elle épouse Georges Dudach, rédacteur des «Cahiers de la jeunesse». En 1937 elle devient secrétaire
puis assistante de Louis Jouvet au théâtre de l'Athénée. En tournée avec la troupe en Amérique latine, elle
apprend en 1941 l'exécution sous la guillotine de son ami Jacques Woog, communiste et résistant. Elle décide
alors de regagner la France et de rejoindre son mari dans la résistance. Ils font partie du groupe « Politzer »,
chargé de la publication des «Lettres françaises». Charlotte et son mari sont arrêtés le 2 mars 1942. Georges
Dudach sera fusillé le 23 mai 1942 au Mont Valérien, à l'âge de 28 ans. Le 24 août 1942, Charlotte Delbo est
transférée de la prison de la Santé au fort de Romainville. Le 24 janvier 1943, un convoi de 230 femmes, dit le
convoi des 31000, dont elle fait partie quitte Compiègne pour Auschwitz-Birkenau, où il arrive le 27 janvier. En
juin 1943 elle est envoyée à Rajsko près de Birkenau, avant le transfert à Ravensbrück en janvier 1944, où elle
sera libérée en avril 1945. Rapatriée en France le 26 avril 1945, elle est contrainte au repos en Suisse pendant
six mois. Elle écrit alors «Aucun de nous ne reviendra» qui ne sera publié qu'en 1965. Après ce séjour, elle
reprend ses activités auprès de Louis Jouvet jusqu'en 1947. Elle travaille ensuite pour l'ONU (missions en Israël
et Grèce) avant de rejoindre Henri Lefebvre au CNRS.
Depuis son retour des camps jusqu'à sa disparition en 1985, elle ne cessera d'écrire et de publier des ouvrages
sur son expérience ainsi que des pièces de théâtre inspirées par les événements contemporains.
faire témoignage, faire poésie
une esthétique renouvelée d’après guerre
«Il fallait que quelqu’un rapporte les paroles, les gestes, les agonies d’Auschwitz»*
« Je considère le langage de la poésie comme le plus efficace - car il ramène le lecteur au plus
secret de lui-même - et le plus dangereux pour les ennemis qu’il combat.»*
Charlotte Delbo a écrit le premier volume « Aucun de nous ne reviendra » dès 1945, au sortir des camps, mais
attendra 1965 pour le publier et pour en écrire une suite possible ; comme nombre de déportés, elle devra
attendre que l’on veuille bien l’entendre ; aussi, deux ouvrages suivront « Une Connaissance Inutile » (1970) et
« Mesure de nos jours » (1971), qui finiront par constituer la trilogie « Auschwitz et après »
Charlotte Delbo veut « porter à la connaissance, porter à la conscience » : l’expérience du camp est une
expérience et un traumatisme des corps dont on ne revient pas.
L’œuvre, travaillée sans répit par ce qu’elle a vécu, exige du lecteur d’y engager pleinement le corps et
l’émotion. Elle est difficile, terrible et choquante. Il n’y a rien à en espérer, elle ne console pas, elle saisit
d’effroi en donnant à voir, plus qu’à penser la violence exercée sur les corps.
Car la teneur de ses écrits doit pouvoir, pour quiconque comprend ce dont elle témoigne, faire acte de
vigilance et de résistance, empêcher le renouveau de cette « faillite de l’esprit humain ». Le témoignage a pour
vocation d’éveiller l’attention du lecteur en le troublant profondément et intimement. Il doit poser une
question qui, en serrant le cœur, peut faire agir :
« Qu’avez-vous fait, que faites-vous de votre vie ? »*
C’est une œuvre qui veut transmettre quelque chose pour le futur.
« Je me sers de la littérature comme d’une arme »*
Charlotte Delbo ne laisse pourtant pas une œuvre sociologique ou analytique sur Auschwitz, mais une œuvre
radicalement poétique, un inouï et saisissant poème de la mort et de l’agonie, comme de la solidarité : « un
étrange poème d’amour », selon la formule de François Bott.
Charlotte Delbo aura découvert une écriture nouvelle, avec l’ambition de dépasser l’incommunicabilité
supposée de l’expérience concentrationnaire, son indicibilité. Dès 1945, elle entrera dans la démarche,
historique et esthétique, d’adaptation de la langue à une nouvelle conscience du monde.
«Aujourd’hui, je ne suis pas sûre que ce que j’ai écrit soit vrai, je suis sûre que c’est véridique »**
Intégrant l’impuissance des langues dramatiques ou lyriques, s’interdisant aussi tout voyeurisme, Charlotte
Delbo a cherché une langue concevable et véridique qui pouvait donner à voir quelque chose sans pour autant
expliquer, ni surligner. Poursuivant sa propre indigence, sa défaillance devant ce qui, effectivement est
indicible, la langue de Delbo provoque l’innommable et le révèle. Elle use pour cela d’effets voués à casser et
expulser la signification des discours, afin d’y faire apparaître d’autres sens, d’autres visions, qui agiront
physiquement plus que par effet de démonstration :
Ecriture du silence, épurée, faite d’omissions, de non-dits, d’absences : ce qu’il faudrait dire est tu et c’est
parce qu’il est caché qu’on va le saisir soudain, le ressentir.
Ecriture « musicale », sonore dans une prosodie répétitive qui laisse entendre des refrains, voire un
ressassement entêtés de ritournelles. Parfois ce sont de grandes boucles du langage qui reviennent
obsessionnellement, avec d’infimes déplacements, (comme en musique répétitive). Refrains, ritournelles,
boucles oblitèrent le sens premier du vocabulaire et emmènent dans un rythme corporel, oscillatoire ou
tournoyant, nerveux, tendu qui répond, sans avoir à le démontrer, au rythme de la tourmente. Ecriture
musicale encore qui, dans ce qu’elle charrie de silences, de non-dits, d’allusions, traque l’horreur à revers en la
laissant d’elle-même puissamment résonner.
Ecriture de la fragmentation : elle casse les logiques narratives habituelles comme les repères chronologiques ;
le récit est déconstruit, dans une succession de séquences cellulaires autonomes, de « tableaux », sans logique
spatio-temporelle apparente ; elle fait aussi cohabiter différents registres, récits, poèmes, dialogues et
différents temps de narration ; elle use dans une même cellule narrative de ruptures temporelles ou de
superpositions de différentes temporalités où se mêlent rêves (cauchemars) et réalité, passé, présent et futur,
des temps fractionnés, comme des temps infinis, non mesurables, in-mesurables. Cette polymorphie des
formes et des séquences narratives fait l’effet d’un retable rendu fou, effrayant et arbitraire qui finit par
circonscrire l’inénarrable.
Voix, visages multiples, convoqués à tour de rôle qui démultiplient le « je », jouent de ces indistinctions
narratives, (incarné ou désincarné, fictionnel, documentaire ou biographique) et laisse deviner un moi
fragmenté, dissolu ou brisé, à la limite de l’éclatement et de l’effacement, un moi défiguré, massacré par la
honte et la souffrance.
Interpellations récurrentes du lecteur qui réfutent toutes ses possibles tentatives d’identification. Elles
désarçonnent le lecteur, l’obligent à une réception active, lui rappellent qu’il doit oublier les stratégies
narratives habituelles, qu’il doit avec l’auteur redécouvrir l’impact des mots utilisés, alors même qu’ils restent
très simples, usuels, et au-delà de ces mots, repenser la fonction de la poésie dans sa propre vie.
« Nous sommes dans un milieu où le temps est aboli »**
C’est une écriture de la perte et de la désolation, perte de repère totale qu’a provoqué l’histoire des camps
dans l’histoire de l’humanité ; tout est soudain devenu étrange, étranger, inouï, atrocement inouï et rien dans
la culture passée ne pouvait permettre d’appréhender, ni de décrire cela ; ce n’est pas une parenthèse dans
l’histoire, mais un point crucial, à la fois conclusif et inaugural, qui a nécessité un arrêt ; un point zéro. Ainsi, un
point zéro de l’écriture, qui aiderait à porter le point zéro de l’existence même.
* Charlotte Delbo, propos recueillis par François Bott _ le Monde des Livres / 20.06.1975
** Charlotte Delbo_ « Aucun de nous ne reviendra »
Bibliographie
Hors théâtre :
Ø Les belles lettres, Editions de Minuit (1961)
Ø Le Convoi du 24 janvier, Editions de Minuit (1965)
Ø Auschwitz et après, Editions de Minuit :
1 - Aucun de nous ne reviendra (1965)
2 - Une connaissance inutile (1970)
3 - Mesure de nos jours (1971)
Ø Spectres, mes compagnons, Maurice Bridel (1977)
Ø La mémoire et les jours, Berg International (1985)
Théâtre :
Ø Ceux qui avaient choisi, Les Provinciales, 2011.
Ø Qui rapportera ces paroles ?, Paris, Editions Pierre-Jean Oswald, 1974; rééd. avec Une scène jouée
dans la mémoire, Aigues-Vives, HB Éditions, 2001. (Epuisé)
Ø Kalavrita des mille Antigone, (avec une lithographie de Jean Picart le Doux), Paris, LMP, 1979 ; rééd.,
in La Mémoire et les Jours.
Ø Maria Lusitania et Le coup d’État, Paris, Éditions Pierre-Jean Oswald, 1975. (Epuisé)
Ø La Sentence, Paris, Éditions Pierre-Jean Oswald, 1972. (Epuisé)
Ø La Théorie et la pratique. Dialogue imaginaire mais non tout à fait apocryphe entre H. Marcuse et H.
Lefebvre, Paris, Editions Anthropos, 1969. (Epuisé)
Réédition en un seul tome chez Fayard - mai 2013
Qui rapportera ces paroles ?
La théorie et la pratique
La capitulation
La sentence
Et toi, comment as-tu fait ?
Maria Lusitania
Le coup d’Etat
La ligne de démarcation
Les Hommes
Le convoi des 31 000
Ce convoi, composé de 230 femmes et de 1200 hommes, tous français et « politiques » a quitté la gare de
Compiègne le 24 janvier 1943. A Halle, les wagons des hommes, détachés, bifurquent vers le camp
d’Oranienburg, tandis que les quatre wagons des femmes continuent vers Auschwitz-Birkenau.
Ce convoi de résistantes, de « politiques » fut le premier et le seul à avoir été dirigé vers Auschwitz-Birkenau,
vers un camp d’extermination.
A leur arrivée, le 27 janvier 1943, les 230 femmes entrent dans le camp en chantant La Marseillaise.
Elles sont enregistrées (et tatouées) dans la série des 31 000, de 31 625 à 31 854.
Elles travaillent dehors tout l’hiver aux marais, aux terrassements, aux déblaiements, etc.
Ces premiers mois passés dans le camp sont les plus meurtriers, aussi à cause de l’épidémie de typhus qui y
sévit et conséquemment d’une augmentation de diverses formes « sélection ».
Le 10 avril 1943, moins de trois mois après leur arrivée, les 31 000 ne sont plus que soixante-dix survivantes.
En juillet survient un événement : grâce à la pression de la Croix Rouge sur qui l’influente famille de MarieClaude Vaillant-Couturier (n°31 685) fait elle-même pression, les 31 000 reçoivent le droit de correspondre
avec leur famille et de recevoir des colis.
Le 3 août 1943, elles ne sont plus que cinquante-sept survivantes.
A cette date, survient un autre événement extraordinaire qui demeure quasiment inexpliqué* : la plupart de
ces survivantes est placée en quarantaine, dans une baraque installée à l’entrée du camp.
Durant toute la quarantaine qui se prolonge jusqu’en juin 1944, elles sont exemptées d’appel, de travail, de
marche, reçoivent un quart de litre de lait par jour, la possibilité de se laver, d’écrire une fois par mois et de
recevoir lettres et colis. C’est un véritable répit qui freine considérablement la mortalité du groupe.
Dix-sept des 31 000 avaient auparavant été transférées au Kommando de Rajsko (laboratoire, situé dans un
hameau de l’espace concentrationnaire de Birkenau où, sous la responsabilité de chercheurs SS, y était
expérimentée la culture du kok-saghiz, sorte de pissenlit dont la racine contient une forte proportion de latex).
Connaissant là un régime qui équivalait sans doute à celui de la quarantaine, elles y seront maintenues jusqu’au
7 janvier 1944 ; à cette date, dix d’entre elles seront choisies par le commandant d’Auschwitz pour être
détachées à Ravensbrück, là encore pour des raisons inexpliquées. Huit seulement partiront, deux ayant de la
fièvre.
Elles arrivent à Ravensbrück le 8 janvier. Les conditions du camp semblent meilleures qu’à Birkenau mais les
détenues y vivent dans la crainte permanente des « transports » dans lesquels étaient envoyées toutes celles
qui tombaient dans le piège d’un « barrage » de Polizei. Six d’entre elles n’y échapperont pas (usine en
Tchécoslovaquie pour l’une, mine de sel à Beendorf pour le 5 autres).
Les 3 août 1944, trente-cinq des trente-sept survivantes de Birkenau sont à leur tour transférées à
Ravensbrück (les deux restantes, malades, sont retenues au Revir de Birkenau ). A leur arrivée à Ravensbrück
le 4 août, elles sont classées « Nacht und Nebel » : elles ne peuvent être envoyées en Kommandos de travail
hors du camp (maintenues à disposition de l’administration SS pour leur éventuelle exécution). Elles ne
peuvent non plus écrire ni recevoir de colis.
Le 16 août 1944, les sept dernières, restées à Rajsko, sont à leur tour transférées à Ravensbrück et y arrivent le
17.
Cinquante-deux des 31 000 sont encore vivantes.
Le 2 mars 1945, trente-trois d’entre elles sont transférées à Mauthausen. Elles y travaillent en kommandos de
nuit au déblaiement des voies de la gare de triage d’Amstetten. Trois d’entre elles périssent dans les
bombardements alliés qui y sont quotidiens.
Le 22 avril 1945, les survivantes sont libérées de Mauthausen, acheminées en Suisse par les camions de la Croix
Rouge, puis par le train jusqu’à Paris où elles arrivent le 30 avril 1945.
Les 23 et 25 avril 1945, huit de celles restées à Ravensbrück sont libérées par la Croix Rouge Suédoise
(négociations du Comte Bernadotte), emmenées et soignées en Suède dans un premier temps ; en mai elles y
sont rejointes par les cinq de Beendorf. Toutes sont rapatriées à Paris par avion la dernière semaine de juin
1945.
Le 30 avril les trois restées à Ravensbrück sont libérées par l’armée soviétique, rapatriées à Paris le 25 juin.
Celle qui de Ravensbrück avait été transportée en Tchécoslovaquie, rentre vers la mi-mai.
Celle restée à Auschwitz est arrivée la dernière à Paris, le 15 juillet 1945.
Sur les deux cent trente femmes du convoi des 31 000, seules quarante-neuf auront survécu, après 27 mois de
déportation.
*La quarantaine équivalait à une grâce. « Pourquoi cette grâce ? Il faut avouer qu’on n’en sait toujours rien » _
Charlotte Delbo dans « Le convoi du 24 janvier »
Pour toutes précisions, y compris chronologiques et statistiques, sur l’histoire du convoi des 31 000, se
référer à « Le Convoi du 24 janvier » de Charlotte Delbo (Editions de Minuit)
Heidi Brouzeng - récitante
Comédienne de formation (différentes écoles et ateliers à Paris), elle a travaillé depuis 1995 entre autres avec
Kristian Frédric, Stéphanie Loïk, MJ Thomas, Bernard Bloch, Christophe Thiry, Catherine Beau, Anne-Marina
Pleis, ...sur des textes classiques ou contemporains. Le legs en 2004 de l’SKBL, Cie théâtrale, qu’elle dirige
aujourd’hui et avec laquelle elle a déjà créé près d’une dizaine de pièces, lui permet d’interroger sa pratique,
de creuser d’autres espaces de jeu en rapport à différentes disciplines artistiques (musique, danse,
marionnettes) et en rapport à un croisement obstiné de « politique et poétique ». Les créations (direction
artistique et jeu) les plus remarquées ont été « Poupée, anale nationale » (2006), « Une vendeuse d’allumettes
» (2008), « Le Sexe Faible ? » (2010), « Le Tribun » (2012)
Elle poursuit son engagement auprès d’autres Compagnies : Léa Drouet (Brxlles - projet en cours), Ensemble
XXI.n (54), Obliques-Cie (57), Cie Echo (54), l’Attrape théâtre (77), Cie Le temps de Dire (13), Ensemble
Ultim’Asonata (54), Cie Théâtre 27 (13), etc.
Elle s’intéresse au rapport texte et musique, verbe et son et y explore depuis plusieurs années une forme
d’expression en performances et improvisations, principalement avec des musiciens. En la matière est
notamment cofondatrice du duo Mme Za, ou agit en tant qu’invitée dans le groupe 60 étages ou l’ensemble de
musique contemporaine XXI.n ; les performances et créations qui en découlent ont été jouées dans différentes
manifestations : au GRIM (Marseille), Les Instants Chavirés (Montreuil), Farniente Festival (Pornichet), Festival
Musique Action (Vandoeuvre), Festival In Situ - (l’Echangeur-Bagnolet), Festival PiedNu (Le Havre), Zones Libres
(Aurillac), Festival Court Toujours (Thionville) etc.
Est instrumentiste (clarinette) amateur, autodidacte
Matthieu Ferry - Lumière / Scénographie
Après une formation pratique comme éclairagiste en troupe de théâtre amateur et des études d’opérateur
prise de vue vidéo, Matthieu Ferry présente son premier spectacle professionnel en tant qu’éclairagiste en
1996 (Le Roi Lear) à Lons-le-Saulnier. La même année, il entre à l’Ecole de la Rue Blanche (E.N.S.A.T.T.) en
section lumière où il travaille avec Pierre Pradinas, François Racillac, M. Raskine, Claudia Stavisky, Olivier Py,
Joël Pommerat. A sa sortie en 1999 et jusque 2001, il travaille au théâtre, à l’opéra, dans la marionnette en
compagnies avec Claudia Stavisky, Jacques Falguières, Véronique Vidocq, Martine Waniowsky, Bérengère
Vantusso, Claude Baqué, Guy Lumbroso, Philippe Labaune, etc.
En 2001, il commence à s’intéresser de plus près au rapport de l’espace et de la lumière et se met à concevoir
des décors de théâtre avec Pour un oui ou pour un non avec Emmanuelle Laborit, spectacle en langue des
signes. Il devient par conséquent aussi scénographe.
De 2001 à 2006, il continue à travailler au théâtre en croisant de temps en temps des expériences à l’opéra
avec Antoine Campo (L’histoire du soldat), Marjorie Evesque (Lynch), Emmanuel Houzé (Agatha), G. Lumbroso
(Dom Juan, Liliom, Roberto Zucco), F. Meier (Les Troyennes), S. Tranvouez (Les Elégies de Duino, Katherine
Barker) dans diverses institutions théâtrales.
Il lie sa formation vidéo à son travail scénique dans les spectacles de P. Labaune (Prigent, La Princesse Blanche,
Et jamais nous ne serons séparés, etc.), de C. Baqué (Bobby Fisher vit à Passadena, Septembre Blanc, Anatole,
etc.) En 2006, il oriente son travail de lumière vers une écriture en partition et en improvisation en direct :
Proust (avec Isabelle Paquet), Et jamais nous ne serons séparés, Meurtres (avec P. Labaune), Il ne faudra plus
compter sur moi (avec la plasticienne M), Mes bibliothèques (avec F. Meier). Il travaille dans le domaine du
cirque avec Yoan Demichelis (Je est ou tu suis) ; de la danse avec Julien Jeanne (Trois petits points) ; collabore
avec David Mocellin sur le spectacle Paranoïa, Gaël Baron pour Adieu l’Institut Benjamenta, et C. Baqué pour le
décor d’Eaux Dormantes. Il crée à Mexico DF La Llama de mi Vida avec Manuel Ulloa. En 2008, il travaille avec
Alexis Forestier (Purgatory Party) ; la Cie UNTM (MC2, Minimal Connotatif) Gaël Leveugle ; au Festival «
Premiers Actes » avec Tableau d’une exécution, par Léa Drouet ; à Bruxelles avec Noémie Carcaud pour Au plus
près. En 2009, il poursuit sa collaboration avec Léa Drouet pour La Maladie de la mort ; crée la lumière pour un
opéra (J.C. Marti, P. Carbonneaux) en collaboration avec des comédiens sourds.
Pour The Free Light Medieval Blues Experience qu’il conçoit et interprète en 2009, il travaille autour de
l’interaction de la partition lumière et musique générée par l’harmonica ou le chant.
En 2010, il continue son travail avec Alexis Forestier pour La Divine Party. Il rencontre la danse butô et le travail
sur le nu avec Camille Mutel. En 2011, premières collaborations en lumière avec l’SKBL, pour la création au
festival Musique Action de Vandoeuvre, d’Alices, de Nadège Prugnard.
Alain Mahé - Compositions
Avec une formation de saxophone ténor et soprane, il étudie le jazz et les musiques improvisées à l’Institut of
Art, Culture and Perception- Paris. II suit la classe de composition de musique électroacoustique de Christian
Villeneuve au CNR de Nantes. Il participe aux ateliers de musiques électroniques et informatiques au GMEA
d’Albi, aux ateliers de l’Université de la radiophonie d’Arles et à l’Académie d’été de l’Ircam en 98.
Il est membre du Forum Ircam.
Musique: De 83 à 91, il joue dans diverses formations de musiques improvisées et crée Bohème de chic. Il joue
avec Jean François Pauvros, Carlos Zingaro, Carol Robinson, Kamal Hamadache, Thierry Madiot, Pascal Battus,
Patrick Molard . Musique électroacoustique: Odyssée 87 Nantes - Premier prix du concours national de
Musiques Expérimentales d'Orléans avec la pièce Arrêt cardiaque III (87) Créations: La chute des corps ou la
poussée d'Archimède (concours international de radiophonie francophone, Arles), Biochild (exposition du
musée d'histoire naturelle de Paris. Paulette concerto: Sophie Audureau, Christian Prigent, Charles Pennequin,
Jean François Pauvros (99). La marée fait flotter les villes - Paul Klee, création musicale Abbaye de l’Epau (01).
Théâtre: Les Crachats de l’onde, James Joyce, réalisation et composition avec Jean Ribault (89). Avec le Théâtre
du Radeau : Choral (91-96), Bataille du Tagliamento (96-98) et Orpheon (98-00). Composition et réalisation
avec Sophie Audureau de la pièce Chien de feu-UshantTraffic aux Laboratoires d’Aubervilliers, à La Fonderie-Le
Mans et au Théâtre de l’Instant-Brest(97). Avec Pierre Meunier, Le chant du ressort, les Fédérés (99) et Le Tas,
avec Jean Louis Coulloc’h en février 02. a travaillé avec les Forman et la Volière Dromesko.
Cinéma - Photo: Musique originale du film de Pascaline Simar Interruption volontaire . Musique originale du
court métrage Le vent du nord Sepideh Farci. Hoplà (99) Hardi (01) et Asphalte (05) de Pierre Meunier (01),
Soeurs saintes & Sybilles Nan Goldin, Festival d’automne (04).La cinémécanique avec Vincent Fortemps,
Christian Dubet, Gaetan Besnard.
Danse : Musique d’Une journée blanche chorégraphie: Carlotta Ikeda, Hervé Diasnas, Théâtre de la ville
Paris(91). Musique de En Chasse Cie Ariadone chorégraphie Carlotta Ikeda (95). Haru no Saiten chorégraphie
Carlotta Ikeda, Ko Murobushi Cie Ariadone , théâtre de la bastille (99-01) Tampopo, Mathilde Lapostolle,
Carlotta Ikeda, compositon, Le vif du sujet Avignon in 01. Musique de la chorégraphie de Ko Murobushi PIE
(92). Musique de SEBI chorégraphie Ko Murobushi, La Fonderie (95). Composition pour In Silence, chorégraphie
Ko Murobushi, cornemuse Patrick Molard. Le Quartz (97). Potlach improvisation avec Ko Murobushi, CCN
Monpellier (00) [edge 2] création, solo de Ko Murobushi, Tanzwochen Wien Aout 2002,Chantier Musil François
Verret 03 partition sonore.,Siyala Emanuela Nelli 04 Rabat/Salé musique, Contrecoup François Verret 04
partition sonore, When I take off my skin… son, Robyn Orlin 05.
Travaille aujourd’hui avec Pierre Meunier, Carlotta Ikeda, Josef Nadj...
L’SKBL (l’Escabelle) - Cie Théâtrale
L’SKBL est une compagnie indépendante, hébergée par la Ville de Florange, en Moselle (57) au sein du Centre
Culturel La Passerelle. Elle a été constituée en association en 1992 par Brigitte Meignant, refondée en 2005 par
Heidi Brouzeng et Hugues Reinert, tous deux comédiens, aujourd’hui pilotée par Heidi Brouzeng, directrice
artistique et comédienne. Ses activités principales sont la création (constitution d’un répertoire),
l’expérimentation- la recherche, la diffusion et l‘éducation artistique et culturelle auprès d’amateurs.
Elle est régulièrement subventionnée par la DRAC Lorraine, La Région Lorraine, le Conseil Général de Moselle,
la Ville de Florange, la Communauté de Commune du Val de Fensch.
La Compagnie a été en convention de développement artistique (janvier 2009 à juin 2012) avec le CCAM, scène
nationale de Vandoeuvre. Elle est en convention avec la Région Lorraine, au titre du dispositif
d’accompagnement à la structuration 2013-2015.
Elle a signé une convention de résidence avec la Ville de Nilvange, pour les années 2014-2017
« Théâtre. Du grec theatron : le lieu d’où l’on peut voir.
Lorsque je choisis une pièce à porter sur la scène c’est toujours parce qu’elle a résonné très
fortement avec quelque chose de ma propre vie qui me taraudait.
Et c’est parce que l’écriture purement théâtrale, même contemporaine, reste pour moi la plupart du
temps très éloignée de ma propre vie que je recherche d’autres types d’écritures qui m’amènent
petit à petit à d’autres formes que celles que l’on trouve habituellement sur les plateaux de
«théâtre ». Des formes hybrides, éclectiques et imparfaites, aux identités partagées entre musique,
marionnette, danse -et théâtre au sens strict. Des pièces courtes, des pièces longues, des qui
s’adressent aux enfants, d’autres uniquement aux adultes. Peu importe le nom et la durée que l’on
donnera à la forme : il ne s’agit vraiment que de creuser, au plus près de nos propres émotions, les
récits poétiques et politiques, eux-mêmes totalement hybrides, de notre humanité bouleversée en
permanence.
Heidi Brouzeng
Créations
> 2005 : LE BANQUET DES ABOYEURS d’Eugène Durif
> 2006 : POUPEE, ANALE NATIONALE d’après le roman d’Alina Reyes
> 2007 : MODESTE PROPOSITION POUR EMPECHER LES ENFANTS... d’après le tract de Jonathan Swift
> 2008 : LA FEMME AUX DEUX VISAGES d’après une interview d’Annick Cojean
> 2008 : MON PSYCHANALYSTE M’A DIT... d’après des textes de Christine Angot
> 2008 : UNE VENDEUSE D’ALLUMETTES d’après le conte de H.C. Andersen
> 2010 : KILLING NO MURDER d’après Etienne de La Boétie
> 2010 : LE SEXE FAIBLE ?, sur des textes de V Despentes, M Duras, J Eustache, P Louÿs, A Reyes, S Wuttke…
> 2011 : LES SIESTES DE L’SKBL # 1 ET # 2 sur des textes d’Isabelle Wéry, Emmanuelle K.
> 2011 : ALICES de Nadège Prugnard
> 2012 : LE TRIBUN, de Mauricio Kagel
> 2014 : AUCUN DE NOUS NE REVIENDRA, de Charlotte Delbo
> 2015 : LORELEI(S) DES ENCHANTEMENTS, d’après une ballade de Clemens Brentano
Fragments -extraits de « aucun de nous ne reviendra » et « une connaissance inutile »
C'était une plaine désolée
au bord d'une ville
La plaine était glacée
et la ville
n'avait pas de nom
*******
(…) La neige étincelle dans une lumière réfractée. Il n'y a pas de rayons, seulement de la lumière, une lumière dure et
glaciaire, où tout s'inscrit en arêtes coupantes. Le ciel est bleu, dur et glaciaire. On pense à des plantes prises dans la glace.
Cela doit arriver dans l'Arctique que la glace prenne jusqu'aux végétations sous-marines. Nous sommes prises dans un bloc
de glace dure, coupante, aussi transparent qu'un bloc de cristal. Et ce cristal est traversé de lumière, comme si la lumière
était prise dans la glace, comme si la glace était lumière. Il nous longtemps pour reconnaître que nous pouvons bouger à
l'intérieur de ce bloc de glace où nous sommes. Nous remuons nos pieds dans nos souliers, essayons de battre la semelle.
Quinze mille femmes tapent du pied et cela ne fait aucun bruit. Le silence est solidifié en froid. La lumière est immobile. Nous
sommes dans un milieu où le temps est aboli. Nous ne savons pas si nous sommes, seulement la glace, la lumière, la neige
aveuglante, et nous, dans cette glace, dans cette lumière, dans ce silence.
Nous restons immobiles.
(…)
*******
(…)
J'ai oublié tous les mots
ma mémoire s'est égarée
dans les délabres des jours passés
ma mémoire s'en est allée
et nos ivresses anciennes
Apollinaire et Claudel
meurent ici avec nous.
*******
La jambe d'Alice
Un matin avant l'appel, la petite Simone, qui était allé aux cabinets derrière le bock 25, revient toute
tremblante : « la jambe d'Alice est là-bas. Venez voir. »
Derrière le block 25, il y avait la morgue, une baraque de planches où l'on entassait les cadavres sortis
des revirs. Empilés, ils attendaient le camion qui les emporterait au four crématoire. Les rats les dévoreraient.
Par l'ouverture sans porte on pouvait voir l'amoncellement de cadavres nus et les yeux luisants des rats qui
apparaissaient et disparaissaient. Quand ils étaient trop, on les empilait dehors.
C'est une meule de cadavres bien rangés comme en une vraie meule dans le clair de lune et la neige, la
nuit. Mais nous les regardons sans crainte. Nous savons qu'on atteint là aux limites du supportable et nous nous
défendons de céder.
Couchée dans la neige, la jambe d'Alice est vivante et sensible. Elle a dû se détacher d'Alice morte.
Nous allions exprès voir si elle y était toujours et c'était chaque fois insoutenable. Alice abandonnée qui
mourait dans la neige. Alice que nous ne pouvions approcher parce qu'une faiblesse nous clouait là. Alice qui
mourait solitaire et n'appelait personne.
Alice était morte depuis des semaines que la jambe artificielle gisait encore sur la neige. Puis il a neigé de
nouveau. La jambe a été recouverte. Elle a réapparu dans la boue. Cette jambe dans la boue. La jambe d'Alice –
coupée vivante – dans la boue.
Nous l'avons vu longtemps. Un jour elle n'y était plus. Quelqu'un avait dû la prendre pour faire du feu.
Une tzigane sûrement, personne autre n'aurait eu ce courage
*******
(…)
Et quand le sifflet siffle le réveil, ce n'est pas que la nuit s'achève
car la nuit ne s'achève qu'avec les étoiles qui se décolorent et le ciel qui se colore,
ce n'est pas que la nuit s'achève
car la nuit ne s'achève qu'avec le jour,
quand le sifflet siffle le réveil il y a tout un détroit d'éternité à traverser entre la nuit et le jour.
Quand le sifflet siffle le réveil c'est un cauchemar que se fige, un autre cauchemar qui commence
il n'y a qu'un moment de lucidité entre les deux, celui où nous écoutons les battements de note coeur en écoutant s'il a la
force de battre longtemps encore
longtemps c'est à dire des jours parce que notre cœur ne peut compter en semaine ni en mois, nous comptons en jours et
chaque jour compte mille agonies et mille éternités.
Le sifflet siffle dans le camp, une voix crie : « Zell Appell » et nous entendons : « c'est l'appel », et une autre voix cris : «
Aufstehen », et ce n'est pas la fin de la nuit
ce n'est pas la fin de la nuit pour celles qui délirent dans les revirs
ce n'est pas la fin de la nuit pour les rats qui attaquent leurs lèvres encore vivantes
ce n'est pas la fin de la nuit pour les étoiles glacées au ciel glacé c'est l'heure où des ombres entrent dans les murs, où
d'autres ombres sortent dans la nuit
ce n'est pas la fin de la nuit
c'est la fin de mille nuits et de mille cauchemars.
*******
Ce n'est rien de mourir
en somme
quand c'est proprement
mais dans la diarrhée
dans la boue
dans le sang
et que ça dure
que ça dure longtemps
*******
De l'autre coté de la route, il y a un terrain où les SS vont dresser les chiens. On les voit s'y rendre, avec leurs chiens qu'ils
tiennent en laisse, attachés deux par deux. Le SS qui marche en tête porte un mannequin. C'est une grande poupée habillée
comme nous. Costume rayé décoloré, crasseux, aux manches trop longues. Le SS la tient par un bras. Il laisse traîner les
pieds qui raclent les cailloux. Ils lui ont même attaché des socles aux pieds.
Ne regarde pas. Ne regarde pas ce mannequin qui traîne par terre. Ne te regarde pas.
*******
Ce point sur la carte
Cette tache noire au centre de l'Europe
cette tache rouge
cette tache de feu cette tache de suie
cette tache de sang cette tache de cendres
pour des millions
un lieu sans nom.
De tous les pays d'Europe
de tous les points de l'horizon
les trains convergeaient
vers l'in-nommé
chargé de millions d'êtres
qui étaient versés là sans savoir où c'était
versés avec leur vie
avec leur souvenir
avec leurs petits maux
et leur grand étonnement
avec leur regard qui interrogeait
et qui n'y a vu que du feu,
qui ont brûlé là sans savoir où ils étaient.
Aujourd'hui on sait
Depuis quelques années on sait
On sait que ce point sur la carte
c'est Auschwitz
On sait cela
Et pour le reste on croit savoir