[Dossier] Zemmour : un lynchage pour rien

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[Dossier] Zemmour : un lynchage pour rien
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[Dossier] Zemmour : un lynchage pour rien
Categories : Dossiers, Médias
Date : 1 octobre 2016
À chaque sortie d’un de ses livres, la sphère médiatique s'agite. Coincés entre la volonté
de faire de l'audience (car il en fait, et beaucoup) et la répugnance envers les idées qu'il
véhicule, les médias audiovisuels ont choisi d'opter pour leur stratégie habituelle : « le
débat avec contradicteur », qui ressemble le plus souvent au tribunal inquisitoire. Pour
ce qui est de la presse papier, celle-ci n'a pas eu à se donner cette peine, se contentant
d'articles hostiles, parfois à la limite du brûlot. Ici on le qualifie de « type en bout de
course », là on le traite de chroniqueur « nauséabond » dont les thèses sentent le
« moisi ». Pour finir, on s'interroge sur sa place dans le débat public, on pense à le
« bannir » des écrans, quitte à téléphoner à ses employeurs pour leur forcer la main...
Ainsi se présente et se répète le triste cinéma qui accompagne chaque publication d'Éric
Zemmour. Pour la parution de Un quinquennat pour rien (Albin Michel), la caste journalistique
qui pense bien a une nouvelle fois répondu à l'appel, comme une horde de globules blancs qui
se jetterait à l'assaut d’un microbe ou d’un virus malveillant. Pas de doute, le système
immunitaire médiatique se porte bien ; heureusement, les ventes de l'écrivain aussi (et c'est
bien ça leur problème).
Le tribunal audiovisuel
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Éric Zemmour commence à avoir l'habitude. À chaque nouvel essai en librairie, le passage par
le tribunal audiovisuel est de mise. Un exercice incontournable pour assurer la promotion, mais
aussi, il faut le dire, pour s'assurer que le déni de réalité des élites, maintes fois décrypté dans
ses livres, est toujours aussi effectif. En guise de première « audience », le polémiste s'est vu
réclamer des explications, sur RTL, où on lui a demandé ses sources concernant l'opération
« Ronces ». Dans son livre, Zemmour parle en effet de ce plan mis selon lui en place par l'étatmajor de l'armée afin de se préparer à devoir, éventuellement, reconquérir les banlieues, des
zones qui « ne sont plus françaises ». Abasourdis par ces réalités concrètes, que l'écrivain dit
tenir d’une « source proche de l'état-major », les journalistes ont eu besoin de passer l'accusé à
la question pour en croire leurs yeux et leurs oreilles, avant de tout simplement se moquer de
son « alarmisme ».
En guise d'audience en appel, RTL a dégainé Nicolas Domenach pour apporter une
contradiction à l'éditorialiste maison. Et le moins que l'on puisse dire est qu'une fois de plus,
celui-ci a bien fait son boulot, allant jusqu'à qualifier Éric Zemmour de « complice des futurs
talibans de la France » ! Pour Domenach, Zemmour est un « prophète de malheur qui prédit la
perte de notre identité ». Et si demain la France venait à être islamisée, il serait donc le «
complice », le « collabo » même, de cette France « talibanisée ». Allez comprendre la logique...
Puis est venue l'heure du fameux passage chez Anne-Sophie Lapix et Patrick Cohen, dans « C
à vous », sur France 5. Sobrement intitulée « La nouvelle attaque de Zemmour », la vidéo
publiée sur le compte Youtube de l'émission annonce la couleur. Pour Lapix et Cohen,
l'écrivain « amalgame islam et islamisme ». Et ça, c'est vraiment très méchant. L'auteur du
Suicide français aura beau rétorquer qu'il n'existe pas, selon lui, de « musulmans modérés »,
l'islam étant un texte sacré absolument incontestable et irréformable, rien de ce qu'il aura pu
dire n'aura convaincu ses juges médiatiques. « Il y a ceux qui appliquent à la lettre et ceux qui
n’appliquent pas, il y a des bons et des mauvais musulmans », a-t-il expliqué. C'en était trop
pour Patrick Cohen qui, ulcéré, a lancé : « Ce n’est pas à vous de dire qui est un bon ou un
mauvais musulman ! » De même pour Anne-Sophie Lapix, outrée d'apprendre que le jihad était
au cœur de l'islam. Pour les journalistes, repris en cœur par la presse le lendemain, il ne s'agit là
que d'une « nouvelle attaque » motivée par la haine, forcément, et par « l'islamophobie », dixit
Patrick Cohen. Dire ce qu'est l'islam, qui est un bloc indivisible, c'est être islamophobe.
Le polémiste a également été moqué pour s'être rendu compte en direct sur le plateau qu'il
manquait deux chroniques RTL à son livre. Hasard ou censure, il s'agissait des deux
chroniques particulièrement « sensibles », l'une concernant la ville de Molenbeek en Belgique,
qu'Éric Zemmour proposait ironiquement de « bombarder », l'autre concernant les
mésaventures du cardinal Barbarin, accusé de non-dénonciation d'actes pédophiles dans son
diocèse. « C'est un mystère car l'éditeur ne sait pas ce qu'il s'est passé, moi je ne sais pas ce
qu'il s'est passé, on ne les retrouve plus sur la clé USB de l'éditeur », a commenté l'écrivain
désappointé. Du côté d'Albin Michel, on évoque « un bug, une erreur ». « Ce n'est pas un coup
monté. L'édition reste un métier humain. Tout le monde était paniqué dans la maison. Il n'y a
pas eu de censure », a déclaré l'éditeur. Aujourd'hui encore, le mystère plane sur cette
mystérieuse disparition.
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Quoi qu'il en soit, très partagée par ses partisans sur les réseaux sociaux, la vidéo de l'interview
d'Éric Zemmour a également choqué quelques bonnes âmes. Ainsi, dès le lendemain, le
Conseil supérieur de l'audiovisuel a expliqué avoir reçu « plus de 700 plaintes » de
téléspectateurs après cet entretien. Et les sages de préciser que le « dossier sera instruit
prochainement »... Décidément, le vocabulaire judiciaire colle à la peau du journaliste.
Lundi 12 septembre, il était l'invité d'Audrey Crespo-Mara, femme de Thierry Ardisson, sur LCI.
À cette occasion, la journaliste a choisi d'insister sur la polémique autour des prénoms. En effet,
dans son ouvrage comme ailleurs, Éric Zemmour considère qu'il convient de donner un prénom
« du calendrier » à ses enfants pour faciliter leur assimilation, comme cela se faisait encore il
n’y a si longtemps. Mais pour les médias, cette proposition est désormais un scandale. Ainsi
Audrey Crespo-Mara lui a-t-elle lancé : « Est-ce que vous estimez pour autant que Rachida
Dati, Zinedine Zidane, Jamel Debbouze et Omar Sy sont moins Français que vous ? » Réponse
du chroniqueur : « Pour le corps social, c'est à dire comment ils sont reçus par la population,
par le peuple qui est là depuis 1000 ans, alors oui, ils sont moins Français que moi, parce que
moi mes parents - et je les en bénis - ont fait l'effort de me donner un prénom, dans le
calendrier comme on disait. » Une nouvelle fois, le tollé ne s'est pas fait attendre.
Rebelote le vendredi 16 septembre face à Jean-Jacques Bourdin, où l'entretien, diffusé sur
BFMTV et RMC, a tourné en véritable comédie, Bourdin incarnant le camp du Bien (et du
sentimentalisme) et Zemmour celui du Mal (et du ressentiment). « J'ai eu ce matin au téléphone
le père d'un enfant fauché à Nice, par le camion (lors de l'attentat du 14 juillet, ndlr). Sa mère
s'appelle Samira. Est-ce qu'elle est moins française que vous ? », a osé le présentateur,
comme un procureur essayant tant bien que mal d'attendrir un jury. Avec sang-froid, Zemmour
lui a alors rétorqué : « Vous essayez de faire du pathos, mais ça ne marche pas avec moi. » Et
il ne s'agit ici que d'un exemple parmi tant d'autres...
Le lendemain, l'écrivain retrouvait Jean-Jacques Bourdin sur un plateau, cette fois celui de
Thierry Ardisson dans « Salut les terriens ! » sur C8. On a ainsi pu assister à la même comédie,
à la même mise en scène de la part du chevalier blanc de RMC. Sauf que cette fois, un public
était là pour applaudir sur commande. Lorsque Bourdin lâche : « On a le droit d'être fier de ses
origines, d'appeler son enfant par le prénom de son grand-père », les applaudissements
viennent renforcer l'émotion, comme des notes de piano accompagnant un mauvais film
dramatique ou une pincée de sel venant au secours d'un plat sans saveur. Quant aux propos
d'Éric Zemmour, bien que fondés historiquement, ils sont tout simplement « nauséabonds »
(GQ Magazine) voire découlent d'un « délire islamophobe » (L'Obs).
Eric Zemmour: "En France, il ne faut pas... par morandini
L'homme à abattre
En parallèle de cette tournée des tribunaux hertziens, Éric Zemmour a également été victime
d'un feu nourri de la part de la presse écrite et des sites d'information. Comme un signe que le
débat allait demeurer au ras des pâquerettes, c'est l’inénarrable Bruno Roger-Petit qui a ouvert
le bal. Dans sa chronique sur le site de Challenges, le journaliste juge qu'Éric Zemmour et
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Robert Ménard sont les nouveaux « poisons de la droite » qui vont obliger cette dernière à se
positionner sur une ligne identitaire « imprégnée de débats aussi navrants qu’aberrants ». Pour
lui, « Ménard et Zemmour sont l’œuf et la poule du délire identitaire français. Et ils pèsent dans
le débat à la mesure de leur audience, considérable dans cette partie de l’opinion française
saisie par le délire identitaire, à droite comme à gauche, et qui trouve parfois dans le concept dit
"d’insécurité culturelle" le synonyme élégant de "libération légitimée de la parole raciste" ».
Dans le même temps, le site Acrimed s'en prenait lui aussi à Éric Zemmour mais aussi aux
médias qui avaient selon le site commis la faute de l'inviter. « La loi de l’audience est dure mais
c’est la loi. Avec Éric Zemmour, audience garantie : ça "fait polémique", ça "clashe" et ça
"buzze", comme dit le vocabulaire en vigueur dans les médias qui aiment par-dessus tout le
bruit qu’ils font ou qu’ils entretiennent », explique Henri Maler, qui considère que « la publicité
négative, c'est encore de la publicité ».
Chez Marianne, Zemmour est carrément traité de « Zozo ». Dans une tribune publiée sur le site
de l'hebdomadaire, Jean-Philippe Moinet, ancien président de « l'Observatoire des extrêmes »
et actuel directeur de la Revue Civique, estime que « ce ne sont pas les arabo-musulmans qui
envahissent la France, ce sont ses obsessions qui ont envahi Zemmour ». Avec un ton de
psychanalyste de caniveau, ce dernier dénonce le « marketing racialiste » d'un « petit
télégraphiste du FN » qui « sort un livre comme on lance un crachat : pour agresser ». Pour M.
Moinet, Zemmour n'est qu'un homme « en proie depuis des années à un désespoir personnel et
existentiel » et qui doit donc aller « se faire soigner ». Voilà qui fait avancer le débat.
Mais Les Inrocks ont fait pire, poussant l'attaque personnelle jusqu'au ridicule. Le 20
septembre, sur le site du magazine, Pierre Siankowski commence son papier sans intérêt en
décernant à Zemmour le titre de « sosie officiel du monsieur Burns des Simpson ». Pour le
journaliste, l'écrivain n'est qu'« un type en bout de course, à court d'idées ». Un « chroniqueur
usé », « rongé par ses échecs (littéraires et télévisuels) » (sic!). En résumé : « un ailier droit de
Ligue 2 en fin de règne, qui referait sans fin sa seule et unique feinte de corps. » Et Siankowski
d'enchaîner sur une analyse plein de profondeur et d'intelligence : « C'est pas beau de vieillir
»...
Dans Libération, en pointe dans cette chasse au mal-pensant, les attaques ridicules se sont
transformées en charge violente. Le 21 septembre, Jérôme Lefilliâtre dénonce l'« odieuse
audience » du polémiste, accusé d'être un « gourou de l’ultradroite » (et de la « fachosphère »)
« au discours toujours plus nauséabond ». Zemmour n'est qu'un chroniqueur au « goût de moisi
» qui publie des lignes « d’une extrême violence contre la religion musulmane ». Ainsi, étant
donné ce discours plein de « contre-vérités » et d'« agressivité », le journaliste de Libé se pose
la question : « faut-il continuer à lui donner la parole ? » Mais celui-ci fait mieux : il est allé poser
la question à ceux qui l'ont déjà interrogé mais aussi... à ses employeurs.
Dans cet article, on peut donc voir un Patrick Cohen déclarer qu'il n'invitera par Éric Zemmour
sur France Inter parce qu'« on n’est pas loin de discours pouvant tomber sous le coup de la loi
». Au contraire, Jean-Jacques Bourdin considère qu'« il faut l’inviter pour montrer sa dérive, il
faut le laisser déblatérer ». Et d'ajouter : « Pendant l’interview, j’ai beaucoup insisté sur
l’histoire des prénoms car ça révèle l’absurdité de son discours, ça le ridiculise. C’est un
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homme du passé, tombé dans l’excès, qui se caricature lui-même pour exister. Il ne convainc
plus que les plus convaincus, et encore. » Pour Nicolas Domenach, « l'interdire d’antenne
serait lui rendre service, faire de lui un martyr. C’est ce qui s’est passé quand i>Télé a arrêté
"Ça se dispute" » (en décembre 2014, Éric Zemmour avait été écarté de l'antenne pour ses
propos jugés polémiques, ndlr). Ainsi, « il se nuit à lui-même. L’extravagance de ses attaques
le disqualifie », estime Domenach, qui considère que le discours de son confrère est « à pleurer
de rire ».
Cette étape passée, Libération est allé interroger ses employeurs, au cas où... Mais Paris
Première et RTL n'ont rien voulu savoir. Du côté de la chaîne payante du groupe M6, on
rétorque : « Nous le maintenons à l’antenne car c’est une émission où plusieurs personnes,
dont l’invité, lui portent la contradiction. » Même chose du côté de RTL, où le PDG Christopher
Baldelli soutient son chroniqueur contre l'avis d'une partie de la rédaction. « Nous sommes très
attachés à la liberté d’expression, dans la limite de la légalité. Or Eric Zemmour n’a jamais été
condamné pour des propos tenus sur RTL. Ses idées intéressent une partie de la population »,
répète-t-on rue Bayard. Mais cette position, qui va pourtant dans le sens du pluralisme et du
débat, fait dire à Jean-Jacques Bourdin que RTL affiche ici « une hypocrisie totale. Zemmour
fait de l’audience et comme les dirigeants de RTL se couchent devant l’audience, ils le
gardent. Ils n’ont aucune indépendance d’esprit. » L'indépendance d'esprit, c'est donc la
censure ! D'ailleurs, dans leur article, rapportant celui de Libération, Les Inrocks s'interrogent
également, et très sérieusement : « Faut-il bannir Éric Zemmour des écrans de télévision ? »
Dans un autre article publié un peu plus tôt sur le site de Libé, Madjid Si Hocine, présenté
comme un « médecin signataire de l'Appel des 41 Français musulmans », se demande aussi
comment RTL peut « laisser divulguer sur ses ondes mensonges et insultes racistes » et «
garder en son sein un tel incendiaire ». Pour lui, Zemmour prospère sur la polémique comme «
le champignon sur le fumier ». De quoi nuire à « toute cette masse de gens qui voulaient juste
vivre tranquillement ensemble comme avant ». L'écrivain serait donc, à en croire ce monsieur,
l'un des responsables de la situation en France. Il ne fait pas que décrire une situation
dramatique, non, il a lui-même contribué à ce chaos qui vient ! Ainsi, et c'est l'évidence même,
les journalistes ne « doivent plus l'inviter ». Car en France, « l’expression est libre mais (...)
l’insulte raciste est proscrite », conclut-il, appelant à « déradicaliser Éric Zemmour »...
Dernière cartouche
Ce lynchage, ce feu croisé, le polémiste y a droit à chaque parution de ses livres, presque à
chacune de ses chroniques. Même lorsqu'il ne s'agit pas de passages médiatiques, on souhaite
faire interdire ses conférences, comme à Marseille, où le PS local a fait pression sur le maire,
dans une lettre ouverte, pour tenter de déprogrammer ce rendez-vous contraire aux « valeurs
de paix et de tolérance ». Sans succès. Une fois de plus, le public était au rendez-vous et la loi
du réel l'a emporté.
Néanmoins, il est visiblement des vérités qu'il faut taire, au risque de déclencher le système
immunitaire d'une caste médiatique qui ne sait plus quoi inventer pour se rassurer et rassurer
son public. Rattrapés par le réel, ces tenants de la parole correcte peinent à supporter le
succès, incontestable, de l’écrivain. Car à mesure que leurs audiences chutent ou que leurs
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ventes dégringolent, Éric Zemmour parle aux gens, Éric Zemmour trouve un écho dans une
large partie du pays, Éric Zemmour vend des livres par centaines de milliers. Et cela, ils ne
peuvent le tolérer.
Poussés par le besoin irrépressible de faire de l'audience (car le chroniqueur en fait), ils se
voient contraints de l'inviter, non sans avoir pris soin de troquer leur costume de journaliste
contre une robe de magistrat. Le lynchage, l'hystérie, voilà leur dernière cartouche. Bientôt, la
réalité leur ayant totalement échappé, ils n'auront plus le choix ; ils devront tirer à blanc.
Un lynchage pour rien.
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